juil 21

En morceaux

runAdèle est devenue une star de la musique en quelques mois : sa voix chavire les foules, les chansons de son groupe Billie Run tournent sur toutes les radios, la télé les réclament, ils font la couverture des Inrocks et dans quelques heures vont faire leur premier concert au Bataclan où se pressent des fans conquis d’avance. Oui mais voilà, Adèle, alias Billie est introuvable…

Billie Run commence comme un thriller avec l’audition des proches de la jeune chanteuse disparue. Luka Prajnic, l’inspecteur chargé de l’enquête pour disparition par la mère de la jeune femme, commence à voir se dessiner le portrait d’Adèle/Billie. La jeune femme a t-elle cédé à la panique en proie à un stress insurmontable ou a t-elle été victime de celle ou celui qui lui a adressé de nombreuses lettres de menaces de mort ? A moins que l’explication ne soit à chercher ailleurs, du côté des origines russes de la jeune femme.

En immergeant son lecteur dans le monde de la musique et des coulisses du star système, Claire Loup fait mouche et trouve avec son intrigue le moyen de parler de bien d’autres sujets. Comment  passer de l’ambition d’être professeure des écoles au statut de rock star, comment avoir des relations amoureuses ou même amicales avec quelqu’un qui n’est pas du même milieu que soit, comment ne pas se faire dévorer par des gens trop avides pour être honnêtes… Outre la description des coulisses d’un monde de paillettes où tout n’est pas rose,  Run Billie brosse le portrait d’une jeune femme tiraillée en proie à des questionnements et des désirs qui la désarçonne avec beaucoup de subtilité et d’intelligence.

On sent que Claire Loup maîtrise son sujet, loin des clichés sur le milieu de la musique. La construction romanesque très efficace balade le lecteur entre présent de l’enquête et flash back et l’écriture de Claire Loup est toujours aussi diablement addictive. Six ans après l’irrésistible Lycée out, Claire Loup revient en grande forme pour notre plus  grand plaisir dans la très belle collection Scripto et l’on ne peut qu’espérer l’y retrouver bientôt !

juil 14

De l’autre côté de la mer

CouvKabylietwistpocheSaint Trop’ été 1960. Le twist fait fureur cette année là et tout le monde se trémousse sur les rythmes donnés par le batteur des Fury’s, Ricky Drums…

Sa petite amie Sylvie vibre à l’unisson tout en rêvant au volant de sa petite Aston Martin que son goût pour l’écriture pourrait l’amener à être un jour aussi célèbre que la jeune Françoise Sagan dont tout le monde parle. En même temps que Ricky reçoit une proposition pour signer chez un grand label pour un 45 tours, ses papiers militaires arrivent. Soudainement à mille lieues de l’insouciance de cet été écrasé de soleil, Ricky prend soudain la mesure d’une autre réalité : la France envoie ses jeunes de l’autre côté de la mer, dans un pays aux maisons blanches, où la guerre ne dit pas son nom puisqu’on y parle des « événements »…

En Algérie, dans la petite ville de Djidjelli, Najib a deux passions : une dévorante pour le cinéma qu’il connaît sur le bout des yeux et une pour la délicieuse Claveline, une jolie française qui le lui rend bien…

Par le biais d’une composition somptueuse qui donne à voir les différents points de vues d’une myriade de protagonistes, Lilian Barthelot (qui nous avait déjà bouleversés avec l’Étoile noire sur le thème de la guerre civile espagnole) fait à nouveau un travail d’historien qu’il donne à lire sous la forme d’une fiction extrêmement touchante, poignante et juste, s’efforçant d’éviter tout manichéisme et toute facilité. La preuve est faite avec Kabylie twist que la fiction peut instruire autant que bouleverser, éveiller les consciences et mettre en lumière cette période de l’Histoire récente encore bien peu présente au sein de l’Éducation nationale.

juin 27

Une fugitiverie

senfuir

C’est ainsi que Gloria et Uman qualifient leur fuite durant presque quinze jours. Il n’a pourtant jamais été question d’une fugue au sens dont on l’entend mais plutôt d’un besoin d’évasion quasi vital, une volonté de faire onduler les lignes du conformisme. Mais allez expliquer ceci à des parents qui se rongent les sangs pendant deux interminables semaines…

Le roman s’ouvre sur l’audition de Gloria par l’inspectrice Ryan qui cherche à savoir si l’adolescente s’est fait manipuler par Uman. Je ne vous ai pas encore présenté Uman? C’est ce jeune garçon énigmatique et venu de nulle part qui a débarqué un beau jour dans sa classe alors qu’elle s’ennuyait ferme. Il n’y a pas que sa répartie laissant les professeurs mortifiés qui soit intrigante…Pourquoi leur suggère-t-il tout le temps de jeter un œil dans son dossier avant d’éventuelles représailles? Quel secret renferme t-il? Son charisme doublé d’une assurance à faire pâlir n’importe quel ado mal dans sa peau en font un objet de curiosité pour Gloria. Enfin quelqu’un de différent! Quoiqu’il soit un peu bizarre… Et puis cette manière qu’il a de lire en elle comme dans un livre ouvert, c’est agaçant.

Mais Gloria trouve en Uman un alter ego, une personnalité osant braver les interdits et qui se contrefiche de ce que la société attend de lui. Aussi, quand Uman va lui proposer d’aller camper plutôt que de se rendre au lycée, comme d’habitude, Gloria y verra une manière d’affirmer son indépendance.

« L’impulsivité d’Uman me rappelait celle que j’étais autrefois. Cela me donnait envie de redevenir comme ça.

– Un esprit libre, ai-je dit.

– Quoi?

– Oh, juste un truc que ma mère a dit un jour, en vacances, à propos de mon frère et moi. Vous deux, vous êtes deux esprits libres flottant dans la brise. Je ne devais avoir que huit ans, je n’ai pas bien compris, mais cette expression est restée gravée dans mon esprit. Ca me fait penser aux aigrettes, tu sais, la tête des pissenlits, qui sont emportées dans le vent comme des fées.       

– Si on achète un jour un bateau, on devrait l’appeler comme ça: Esprit libre. » 

Sauf que nos deux adolescents vont y prendre goût et balayer d’un revers de main les obligations qui les attendent. L’unique nuit se transformera en jours et les jours en semaines où ils choisiront leurs destinations par le simple biais d’un jeu de cartes; car c’est aussi cela la liberté : décider d’aller où on veut, comme on veut et quand on veut. Il y a néanmoins des limites à se nourrir de crackers et de donut’s et peu à peu, Gloria et lui vont découvrir l’autre facette de la médaille: l’argent s’amenuise, la faim les tiraille et les ennuis commencent.

S’enfuir de Martyn Bedford (éditions Nathan) devrait ravir les lecteurs ayant aimé le célèbre roman Nos étoiles contraires de John Green  car on y retrouve à la fois l’aspect poétique et l’humour de deux adolescents hors du temps qui se construisent un amour. Leurs échanges, à la fois profonds et teintés d’humour, illustrent parfaitement les prémices des sentiments amoureux ou affectueux : on cherche à plaire à l’autre tout en voulant lui montrer sa singularité.

Leurs personnalités atypiques rendent les dialogues à la fois intelligents et poilants et l’on se prête au jeu de l’aventure à leurs côtés, le monde leur dévoilant presque un nouveau paysage chaque jour. Si vous avez besoin d’évasion, si vous aimez vous surprendre à penser que tout est possible et si vous cherchez une vraie histoire d’amour, alors glissez S’enfuir dans votre sac!

 

 

juin 05

Branchez les guitares

1993. Allison est l’adolescente que l’on aurait toutes voulu être. Il suffit de l’observer pour remarquer qu’elle est aussi comme des milliers d’autres jeunes filles de son âge : elle boit des bières, fume des cigarettes, va bientôt (très bientôt) passer son bac et rentre parfois chez elle en titubant après des soirées arrosées.

Elle est jolie mais n’en a pas vraiment conscience, une fille qui se remarque sans basculer dans la popularité. Elle joue de la basse dans un groupe de rock avec ses potes sans se donner un genre: elle est juste cool. Son père n’est ni alcoolique, ni violent, ni maltraitant. Il n’est plus tout simplement. Lorsque l’on perd son papa à 3 ans, même le terme souvenir semble nébuleux. Le seul héritage qu’il lui ait laissé a pris la forme d’une passion inconditionnelle pour la musique et elle en écoute partout, tout le temps. Les écouteurs de son walkman* enfoncés dans les oreilles, elle tape du pied au rythme des Cure, Pixies et autres Sonic Youth.

Quand on est mélomane, nul doute que la musique peut faire planer. Mais un beau matin Allison  ne s’en tient pas au sens figuré et alors qu’elle vibre sur loveless de My Bloody Valentine, ses pieds décollent du sol, littéralement. La stupéfaction va rapidement laisser place à l’incompréhension puis à l’affolement. Impossible, elle a dû rêver, le manque de sommeil et les relents d’alcool de la veille lui jouent un mauvais tour et pourtant la scène va venir se répéter quelques fois. Bien assez pour commencer à l’inquiéter sérieusement et l’inciter à laisser son walkman à la maison.

C’est avec une infinie discrétion que Allison va se mettre en quête de réponses concernant son « don » (sa maladie? Peut-on en mourir? Est-ce que ce n’est qu’une phase et tout rentrera dans l’ordre?) et il sera temps d’en apprendre plus sur ce père qui demeure un mystère et dont l’histoire s’évapore sur les lèvres de sa mère à chaque fois qu’elle tente de l’évoquer… On accompagne Alallisonlison comme une bonne étoile dans son périple anglais où elle partage avec nous sa première fois, ses états d’âme, ses appréhensions, toujours à travers le prisme de la musique rock, si emblématique des années 90.

C’est un roman qui nous séduit d’un bout à l’autre car tout est là. Laurent Queyssi capte notre attention par une écriture aussi vive que désopilante et sait jouer des coudes pour nous faire croire à l’impossible. Que l’on soit nostalgiques de cette époque, où les téléphones portables étaient aussi fréquents que les cabines téléphoniques aujourd’hui, ou qu’on ne l’ait même pas connue, que l’on aime la musique rock ou qu’elle nous laisse indifférents, que l’on croie à la lévitation ou non (!), l’histoire d’Allison est intemporelle, intergénérationnelle et universelle car c’est avant tout un roman d’apprentissage, une captation de ce moment magique où la chenille devient papillon. Et c’est très joli.

mai 29

Mon grand frère est en Syrie

sister« Little sister« . C’est le petit nom affectueux et tendre qu’Ivan donnait parfois à Léna, de cinq ans sa cadette. Mais ça, c’était avant. Avant que Léna et ses parents ne découvrent aussi stupéfiés qu’horrifiés le visage d’Ivan en gros plan au journal télévisé. Une image que jamais ils n’auraient pu imaginer.

Comment croire en effet que ce garçon sans histoires, parti en stage en Angleterre se retrouve à la une du 20h désigné comme un djihadiste notoirement dangereux, complice de l’exécution d’un journaliste français en Syrie ? Lena grandit dans le souvenir de ce grand frère devenu un étranger, partagée entre un sentiment d’affection qui ne peut s’éteindre et un sentiment de rancune à l’égard de celui qui les a plongés dans un cauchemar quotidien sans même parler de l’incompréhension qui la fait naviguer entre doute et colère. Pour Lena, Ivan est « un traître à ceux qui l’ [ont] toujours aimé » (…), qui abandonne les siens « en semant le malheur derrière lui » , celui qui a « renié ses origines, sa famille et son pays ». Et pourtant, reste en elle l’espoir qu’il ait pu être embrigadé malgré lui.

Lorsque Lena reçoit un message de son frère par l’intermédiaire de Théo qui fut jadis son meilleur ami, la joie se mêle à l’espoir : Ivan est vivant et il veut la voir ! En cachette de ses parents, la jeune fille part pour le lieu de rendez-vous à Cadaquès loin de se douter qu’elle risque de se jeter dans la gueule du loup…

Benoît Severac s’intéresse à ces victimes collatérales du djihadisme que sont les familles des jeunes partis en Syrie. Désorientés, ostracisés, menacés, en proie à la culpabilité et à l’incompréhension, les parents d’Ivan n’ont guère d’espoir de retrouver un fils devenu un étranger. La petite sœur, elle, y croit assez pour entraîner le lecteur dans son sillage à croire qu’une explication ou une rédemption est possible.

Roman à quatre voix comme autant de regards qui prennent différentes mesures des événements, Little sister est un roman qui amène la réflexion sans asséner de réponses toutes faites. Il questionne, s’indigne, constate et donne à s’interroger sur la marche de l’Histoire et l’évolution des valeurs  et de la notion d’engagement. Le personnage de Joan, vieux loup de mer prêt à faire le coup de poing comme au temps du C.N.T* avec ses vieux copains est une vraie trouvaille qui amène du poids au débat d’idées entre le jeune Ivan radicalisé et les vieux républicains espagnols un peu fatigués mais aux valeurs intactes. C’est fort, juste, poignant, subtil et intelligent : tout ce qu’il faut pour un bon roman en somme !

*Confédération Nationale du Travail, organisation anarcho-syndicaliste fondée à Barcelone en 1910

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