lacunes dans l’Histoire

— Ecrit le jeudi 17 juillet 2008 dans la rubriqueHistoire, Littératures”.

A propos de la chronique inaugurale de ce blog « En cherchant bien… » :
« Ombres dans le paysage : pays, histoire (et filiation) »
,

c’est l’expression (de Jean-Marie Borzeix lui-même) de « la demande des descendants »
_ ce matin même lors d’un échange de mails _ qui m’a fait « cheminer » jusqu’à, peut-être in extremis, ce terme-clé, paradoxal, et « forant » profond _ jusqu’au « cauchemar » même _ et sans doute essentiel ici _ jusqu’à le décider à « publier » cette modeste « recherche » d' »histoire locale » (du canton de Bugeat),
de « lacune«  (ou, si l’on préfère, « blanc« ) de l' »Histoire« .

C’est donc ce titre d’ « Ombres dans le paysage : pays, histoire (et filiation)« ,

que je voudrais, si l’on veut bien, expliciter un peu ici, en une sorte de « décantation » de ma lecture initiale de « Jeudi saint« 

_ avant de me confronter à ce titre même de « Jeudi saint« , choisi Jean-Marie Borzeix pour son « récit ».

Allons-y !

Ce que Jean-Marie Borzeix a pu nommer « la demande des descendants« 
intervient
_ ou plutôt est intervenu(e) _,
pour lui, en son « enquête » même, effective, « de terrain », veux-je dire, débutée à « l’automne 2001 » (page 36),
comme une surprise, ou « découverte », relativement tardive, ainsi que rétrospective,

mais puissante, ô combien, venant
_ ou plutôt venue _
en quelque sorte de (ou à ) l’extérieur de sa propre démarche,
d’abord le surprendre, donc, lui ; puis, et surtout,
la renforcer, elle (cette « enquête » même),
et, plus encore, venir la justifier vraiment

et profondément, et même considérablement.

Même si lui-même,
en tant qu’auteur-narrateur de sa propre démarche, en son récit,

demeure on ne peut plus discret et pudique à propos de cette « découverte » qui lui est ainsi advenue _ et même « tombé dessus » _,
en cette « rencontre » imprévue _ et bientôt on ne peut plus effective _ des « descendants » des « victimes » de ce « Jeudi saint« ,
sous l’aspect de ce que, en amont de toute cette « histoire », il nomme rapidement, et seulement sous la forme d’un titre de chapitre, le huitième, à la page 137, « la Pâque juive« ,
mais sans s’y appesantir,
ni y philosopher.

Quand, à l’origine, en effet, il ne s’agissait, pour l' »enquêteur »
_ sans être question, alors, de s’en faire « aussi » le narrateur-auteur _,
que de « faire » un peu
_ un peu plus, un peu mieux _
« le point » sur ses propres rapports à son « pays« , à « son enfance »
_ soit à sa « 
filiation«  _,
au « terreau »
_ la géographie (de cette « Haute-Corrèze« ), mais aussi l' »Histoire« , venue la travailler en quelque corps, au « terrain », au « terreau », cette « géographie »_ ;
« faire le point » sur ses rapports au « paysage« , donc,
qui en quelque sorte l' »a nourri »,
sans qu’il en ait d’abord, de même que tout un chacun
(tout un chacun d’abord « infans » : ne parlant pas ; ni, donc, ne pensant pas assez bien, non plus : tout cela s’apprenant, et peu à peu, et « à son corps défendant ») ;
sans qu’il en ait d’abord, donc, la plus claire conscience

_ mais qui l’aurait ? nul n’a de science infuse ! il nous faut tous « apprendre », former « à l’épreuve du réel » notre propre « expérience »
_ celle des autres nous demeurant si souvent « inaudible », incomprise _,
former notre jugement _ cf Pic de La Mirandole, Montaigne, Spinoza, ou Kant ! _,
une fois son « parcours d’homme » relativement _ en ce tournant de la soixantaine _ « accompli », et qui, encore, et heureusement (du moins je le suppose) « se poursuit » (!..) :
au tournant
_ méditatif, et comme un premier bilan, approximatif, bien sûr, sur sa propre petite « histoire personnelle » !.. _, au tournant, donc, de la soixantaine :

ce fut là l’occasion, « l’herbe tendre« … _ ajouterait un La Fontaine…
Qui dit exactement,

cet homme merveilleux, en la fable « Les animaux malades de la peste » (« Fables« , Livre VII _ 1) :
« La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant
« …

_ ce « diable » qui « se tient », ou « se cache », dit-on, « dans les détails« …

D’autant que dans un entretien a posteriori, Jean-Marie Borzeix confie qu’il est re-venu à Bugeat, cet « automne 2001 » là, s’occuper un peu de son père, souffrant : « Mon père était malade. J’allais le voir deux fois par mois. Ces séjours m’ont donné l’idée de me replonger dans ce qui s’était passé là-bas à la fin de la guerre. » Poursuivant : « Je suis allé interroger des gens, j’ai pris des notes. Cela ressemblait à un journal de travail. Mais il n’était pas question, au début, de le publier« , nous apprend _ ou confirme _ Thomas Wieder dans « Le Monde » du 27 juin…

D’où la modestie profonde _ et initiale tout comme finale _ du propos,

et le relatif mince empressement à rien publier de cela
_ de fait, « Jeudi saint » n’a certes ni l’ampleur, ni l’urgence, du travail-somme (admirable) d’un Saul Friedländer
_ en ses deux volets de « L’Allemagne nazie et les Juifs » : « Les années de persécution » et « Les Années d’extermination » _ aux Editions du Seuil en septembre 1997 et février 2008)
(et à relier à son très beau texte autobiographique, « Quand vient le souvenir » _ aux Editions du Seuil, en 1978 : les dates disent aussi cette « ampleur » et cette « suite« , dans l’œuvre si « important » de Friedländer) ;
ou de l’intense (jusqu’au baroque magnifique !) « apurement des comptes » familiaux, apurement assez sublime, oui, en son intensité et historique et géographique, des « Disparus » de Daniel Mendelsohn (aux Editions du Seuil, en août 2007) : une « grande » aventure aussi,
à l’échelle d’une famille écartelée sur plusieurs continents, cette fois…

Toutes affaires de « filiation » (sacrée), en quelque sorte et à divers degrés, en ces diverses occurrences (et « œuvres » grandes _ au féminin, cette fois). « Jeudi saint« , aussi.

« Les descendants«  des « victimes » de ce « ramassage » du Jeudi saint de 1944 (à Bugeat)
sont peu nombreux, au demeurant
,
ceux, du moins (des « descendants« ), qui s’étaient en quelque sorte déjà « d’eux-mêmes » manifestés,
qui par un voyage sur « la tombe juive » de L’Eglise-aux-Bois, et le dépôt de leur « plaque d’aluminium » (et inscription en hébreu) avec numéros de téléphone (!),
qui par une initiative ou manifestation personnelle (ou officielle) dont Jean-Marie Borzeix a pu prendre connaissance auprès de la mairie de Bugeat : « une longue lettre _ pour commencer, dans la chronologie des « surprises » et « découvertes », _ à l’en-tête de Yad Vashem » (page 5o, puis page 62) ; puis, « début février » 2002, « une lettre du ministère des Anciens Combattants » (page 80) ; puis, encore (page 81), « quelques mois plus tard« , le « petit-fils » d' »une autre disparue« , lequel, qui « a longtemps enseigné dans une université américaine », « retraité depuis peu (…) vient de profiter d’un congrès en Europe pour effectuer en compagnie de sa femme un pèlerinage en Corrèze. A tout hasard, il a laissé à la boulangerie, son adresse, son téléphone, son courriel. A l’attention de toute personne qui se souviendrait de sa grand-mère« . Avec ce commentaire de l’auteur : « Une façon de dire que le passé a encore un avenir. Une nouvelle bouteille à la mer » (toujours page 81). Une métaphore capitale, que nous allons retrouver…

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Y a-t-il des « descendants » (ou survivants) d’autres familles de « victimes » : quid de Jacob Rozent, et des siens ? quid de Joseph Kleinberg, et des siens ? quid des parents d’Anna et Jeanne Izbicka ? et de ceux de Brana et Serge Tencer ? et de ceux de Karola Hoch ?…

L’inquiétude d’une « demande des descendants » n’était donc certes pas « première », originelle, en la démarche d' »enquête » initiale _ pardon de la redondance _ de Jean-Marie Borzeix, re-venant d’abord rendre visite à son père.

Et plus éloignée encore, de lui,
la moindre « commande » ou « mission » que ce soit :
ni, bien sûr, « officielle », « reçue », en quelque sorte,
ni, non plus, « toute personnelle » : même si, rétrospectivement, c’est d’un peu de quelque chose de cet ordre-là
qu’aujourd’hui Jean-Marie Borzeix, non pas « se sent investi » _ oh non, certes ! _, mais qu’il assume, en toute modestie,
puisque l' »initiative » n’eut au départ rien d' »héroïque » _ en dépit du titre de l’article de Thomas Wieder dans « Le Monde » : « Le Héros inconnu » ! _, ni même de « vertueux » de sa part : rien qu’une petite « inquiétude de vérité » _ dirais-je _ (quant à l' »Histoire » du « pays » natal, Bugeat), qui agaçait, sans doute, comme un caillou logé dans la chaussure…
Ce qui n’est pas tout à fait rien, non plus, en ces temps de cynisme de plus en plus « décomplexé », de carriérisme débridé, avec tant de hauts exemples de bassesse _ je veux dire eu égard au « souci de la vérité »…

Rien qu’un vague soupçon, au départ, donc, titillant une curiosité de « natif », si je puis dire,
que le « récit » « officiel », quasi unanimement partagé au « pays«  (à Bugeat, et dans le département _ à dimension presque « familiale », en effet _ de la Corrèze),
était un peu « trop beau » (« héroïsé ») pour être « tout à fait vrai »,
et comportait envers et « contre tout » _ « lacunairement« , en quelque sorte _ « ses ombres » :
au figuré (de l’oubli _ et l’Histoire) comme au propre (de l’assassinat : de personnes vivantes) : l' »enquêteur » qu’a commencé à se faire Jean-Marie Borzeix, va assez vite s’en apercevoir ; et s’y coltiner passionnément (et nous avec !!!).

De ces « ombres » à ces « lacunes« , et à ces « cauchemars« , même _ certaines nuits, fréquentes (pour qui « attend un appel depuis toujours« , est-il glissé page 70, « un appel qui remonte le temps«  : nous avons affaire à un immense texte, mine de rien, en sa sobre modestie ! _, il n’y avait peut-être qu’un pas. Encore fallait-il l’accomplir…

Des pistes, « rencontrées » sans préméditation _ avec une bonne dose de hasard (= à l’improviste) _, se sont ainsi, d’elles mêmes en quelque sorte, proposées, ouvertes, alors à « suivre »

_ encore fallait-il être en posture de pouvoir « les constater », ces éléments de « pistes », avant, s’y avançant, d' »avérer » quoi que ce soit, en « suite » de cela _,

avec tant soit peu de curiosité, de vaillance, de courage (pour, de là, aller re-chercher et obtenir réponses à ses propres « interrogations », au fur et à mesure, en quelque sorte, qu’elles surgissaient de ces « rencontres » du réel, sans soi-même, l’enquêteur-sans-implication-personnelle, se lasser), du côté du chercheur (et de sa « curiosité », basique et générique en l’affaire) ;
ainsi qu’un peu, ou pas mal, de chance, aussi, sur ce qui allait « s’offrir », ou pas _ conjoncturellement _, du côté de ce « réel » lui-même, surtout,

en matière de « documents » (journaux, archives diverses) _ quand on ne les retrouve pas caviardés, tronqués, mutilés _ ;

en matière de « monuments » (telle qu’une « tombe juive » (!), érigée « peu de temps après la fin de la guerre » _ et une inscription, beaucoup plus récente (« 1999« ), en hébreu, avec « deux numéros de téléphone » _, au « vieux cimetière accolé à l’église » de « L’Eglise-aux-Bois« , bien à l’écart de la route nationale de Lacelle en direction de Limoges _ à la page 66) _ qui se dégradent, se délitent, s’effacent presque, tout seuls, oubliés _ ;

ainsi qu’en matière de « témoignages » _ mais en ayant, ici, un petit peu plus de difficulté à lutter contre le temps,
car « ceux que j’interroge ont en général plus de quatre-vingts ans » (page 39),
et « chaque jour des pans de mémoire s’effritent et s’effondrent : j’ai engagé une course de vitesse avec l’une des pires maladies de notre temps, la rongeuse de mémoire qui se répand comme une épidémie » : « la maladie d’Alzheimer« … (page 40).

L' »enquêteur » est ainsi souvent près de « décrocher » : « les détails » de l’Histoire « importent-ils encore ?« , se demande-t-il, page 85. « Je me dis que tout cela n’intéresse décidément plus personne en dehors de moi« _ en tout cas « au pays ».
Ajoutant cependan
t _ sobrement _ tout aussitôt : « Mais je pense aux enfants de Chaïm, à leurs nuits éveillées«  :
car a déjà commencé l' »identification » _ non encore « assez » achevée aujourd’hui même _ 11 juin 2008 _, en ses ramifications ! _ d’une de ces « ombres«  du 6 avril 1944 : la première dont le nom « est apparu » (à l' »enquêteur » qu’est alors devenu Jean-Marie Borzeix), à l’automne 2001 (page 52).

Cette « réflexion » fugace de la page 85 _ sur « les nuits éveillées » des « enfants de Chaïm » _ « forme » sans doute le point nodal décisif

qui a conduit,

et à ce « tour » capital que prit alors ici l' »enquête« ,

et à cette expression de Jean-Marie Borzeix en son mail, qui _ très, très secondairement bien sûr ! en ricochet, en cascade _ m’a marqué, à mon tour, de « la demande des descendants« , telle une reprise de ces « nuits éveillées » (de la page 85) auxquelles « pense » désormais Jean-Marie Borzeix quand il « pense » _ et il y pense _ à ces « descendants« -là ; à leur « demande« , donc…

Nous touchons ici à quelque chose qui a rapport à Antigone et ce qui la « requiert », impérieusement, quant au corps gisant sans sépulture de son frère Polynice à l’extérieur des fossés de la cité.

Quant aux « lacunes » (ou « blancs« )

que je « hisse » jusqu’à la hauteur du titre de mon premier article

_ précédant celui-ci (« lacunes dans l’Histoire« ), avec, en double analogie, (« ombres/ lacunes » ; et « paysage/Histoire« ) _,

ces « ombres » errantes dans le « paysage » de landes sévères du Plateau de Millevaches,

elles devaient « revendiquer » plus ou moins bruyamment, sans doute, et d’abord assez sourdement, en « quelques têtes » _ « s’y intér-essant »),
depuis quelque « coin » perdu (de cette « Haute-Corrèze« , ou d’ailleurs ?!), reléguée(s), ces « lacunes » (ou « blancs« ) que sont ces « ombres« , en quelque « fond » éloigné, déserté, abandonné(e)s de la plupart, et donc en effet passablement « oublié(e)s », en effet, de presque tous (les autres)
_ peut-être en ces tourbières (si belles, en leur « étrangeté » : pour nous qui venons d’une ville, par exemple Bordeaux) à nous y promener l’été : « l’été seulement… » _ « et même rien que juillet », me corrigerait Pierre Bergounioux) ;
ces tourbières où l' »ombre » (qui mesurait un mètre soixante six) a commencé par effectivement travailler « pendant l’hiver 1942-1943 » (page 107), quand, « avec sa femme, ses deux petites filles et son frère Jacob, Jem

_ on saura (presque) le pourquoi de ce nouveau nom (de cette très prochaine « ombre » _ faut-il dire « définitive » ? et « errante » : je pense ici aux belles et énigmatiques « Ombres errantes » de François Couperin… qu’on y prête son écoute…) en suivant le détail des péripéties du récit _

Jem _ donc _ habita d’abord dans le bourg de Pérols, où le train les avait déposés, et où des logements avaient été réquisitionnés à la va-vite. (…) Jem n’avait guère eu le choix : pour nourrir sa famille, il s’est mis à manier la bêche dans les tourbières. (…) On peut cependant penser que, de constitution plutôt frêle, il n’excella pas dans une activité exigeant une solide musculature et l’habitude du travail de plein air » (page 108). Aussi, « sept mois plus tard, en août 1943, (…) il est placé par le commandant du groupe chez le coiffeur du chef-lieu de canton » _ Bugeat.

Fin de l’épisode des tourbières : « le voilà mis à disposition, en tant que « commis coiffeur », au centre du bourg _ à Bugeat _, un habitant presque comme tous les autres » : la nuance _ et sa « délicatesse » _ est à relever (page 108). Ces tourbières accompagnent les méandres complexes (de peu de pente alors) , parmi les ajoncs, de la naissance ruisselante de la Vézère, du côté de Saint-Merd-les-Oussines, et du presque hameau de Millevaches, celui-là même qui donne son nom à « son » très vaste plateau, lui, en extension sur les trois départements du Limousin _ et que j’ai découvert, pour ce qui me concerne, à Pâques et l’été, en compagnie (et dans la voiture, aussi…) de mes amis Isabelle et Jean-Paul Combet (à partir de leur maison de famille), en ce coin superbe et sévère, sinon rude, de « Haute-Corrèze« , où il fait comme qui dirait assez frisquet l’hiver (qui dure).

Insu, ou oublié, de presque tous, donc, et d’abord de moi-même _ avant de me relire pour la cinquante-et-unième fois _,
le terme de « lacune« ,
puisque c’est sur et autour de ce terme que je creuse cette « méditation » ici,
est donc venu me « parler », à mon tour,
solliciter quelque chose de mon attention, comme d’une inquiétude,

revendiquer un peu des « droits » de cette « lacune » (ou « blanc de l’Histoire« , donc) à être « comblé(e) » : comme il l’a fait auprès de Jean-Marie Borzeix, en le « lançant » dans cette enquête à Bugeat, que narre ensuite « Jeudi saint » ;
« lacune » : mot désignant « en négatif » quelque chose de « non (ou peu) identifié » et de « négligé », « oublié », mais dont on conçoit et ressent néanmoins, « quelque part », le « manque » ; le « défaut » ;

et « quelque chose » d’ainsi « mis au ban » de la communauté de paroles (et des pensées, ensemble) de ceux se « pensant », les uns les autres, eux, « entre nous » ;

et lesquels ne souffrent pas (ou pas trop), eux, de ce « manque »,

dont ils ont en quelque sorte « effacé » la trace, égalisant le sol et tout le « paysage » ;

« manque » qu’ils ont « blanchi« , devenu « macula« , « tache aveugle » du regard lisse de leur mémoire _, si jamais ils l’ont seulement « éprouvé » et s’en sont même « rendus compte » ;
des gens « bien du pays », de « chez eux », eux, a contrario, sans conteste ; en connaissant les moindres coins et recoins.

Je lis pages 77 et 78 : »Dans les mémoires, la plupart de ces ombres ne sont plus identifiables depuis longtemps. Comme les réfugiés juifs n’étaient pas des « gens d’ici », rares étaient les gens des bourgs et des villages à connaître leurs patronymes, encore plus rares ceux qui s’en souviennent. Ils étaient de passage, ils étaient nés dans des pays lointains, ils avaient des patronymes évolutifs _ qui plus est ! _, ils portaient _ de toutes façons _ des noms à coucher dehors : Pawlowsky, Klocek, Marcinkowski, Abastado, Izbicki, Feldstein, Zampieri… »

La « revendication »

_ émanant, en quelque sorte, de ce « lacunaire »,

de ce « blanc » qui, disparu, « fait défaut » et se trouve ir-repérable, effacé qu’il est, en étant devenu ainsi invisible ;

de ce « lacunaire » lui-même _ ;

en revanche, quant à elle,

la « revendication », veux-je dire,
émet sans cesse et perpétuellement _ nuits comprises, donc _, comme sans se lasser, ni s’apaiser,

en direction de quelque(s) attention(s) possible(s) _ il reste difficile de préciser si la « demande » n’est que singulière, ou générale, ou universelle :

c’est là « sa partie » (à jouer, pour elle ! « sa partie à elle » !) ;
« attention » de l’ordre du souvenir personnel, bien sûr, et/ou de la « filiation » (= la « descendance« ), d’abord, en une absolue vigilance ;
ou de celui, non personnel, lui, de quelque inquiétude un peu plus générale (et moins « commune ») ; voire universelle, donc,
_ et c’est le cas de l’inquiétude « de vérité » (quant à l' »Histoire » de son « pays » natal) de Jean-Marie Borzeix, en ce « ressourcement » (« filial », l’article du « Monde » étant venu le confirmer s’il en était besoin !) de sa soixantaine, sur ce (et quant à ce) qu’il advint dans le cadre (et le terreau) même(s) de son enfance : corrézienne, en son « pays » de « Haute-Corrèze« , à Bugeat, pendant cette guerre ; et quand les vagues de la grande « Histoire » générale atteignirent, cette fois _ à ce qui apparaitrait bientôt comme un infléchissement lourd du conflit _, jusqu’aux sources assez infréquentées _ sauf les frustes tourbières _ de la Vézère) ;
la « revendication » émanant de ce « blanc lacunaire », donc,
émet sans cesse et perpétuellement _ nuits comprises _ quelque chose qui a sans doute à voir avec comme une plainte sourde et allant jusqu’au cri _ si je puis me permettre de le formuler ainsi.

Peut-être le « cri sans voix » qu’évoque Henri Raczymov (en son livre éponyme, « Un cri sans voix« , paru chez Gallimard, en 1985)…

Comment ne pas penser ici alors
à ces mots
(mais sont-ce vraiment encore des « mots » ? et pas déjà, eux-mêmes, un « cri » ? ou même « un cri sans voix » ?)
de Paul Celan _ reprenant, plus tragiquement, s’il se peut, les mots triestins de Rilke (à Duino) : « Qui, si je criais, entendrait donc mon cri…? » ;
que Claude Mouchard a élus pour le titre de son (très beau et très nécessaire _ le contraire de « superflu », d' »arbitraire », de « vain ») livre,
le livre de Claude Mouchard s’intitulant précisément, quant à lui,
« Qui,
si je criais…?
Oeuvres-témoignages dans les tourmentes du XXème siècle
 »
(et qui est paru aux Editions Laurence Teper au mois d’avril 2007) ?

De Rilke à Celan, « les cohortes des Anges » se faisant, en ces quelques années, peut-être définitivement, plus « lointaines »…

Et il y a sans doute aussi là, en écho à l' »enquête » et au livre-récit de Jean-Marie Borzeix,
une histoire aussi, encore,
et de ma lecture (de lecteur lambda) de « Jeudi saint« ,
et de l’écriture, encore, de cet article (« Ombres dans le paysage : pays, histoire (et filiation)« , qui en témoigne)
_ de même que dans toute lecture de tout lecteur, mais oui :
le livre est lui aussi une « bouteille à la mer »
_ ou « bouteille à la terre » : comme à Vittel, pour un Yitskhok Katzenelson (cf son « Chant du peuple juif assassiné« , publié par Zulma, en février 2007) ;
_ et même « bouteille aux cendres » : comme à Auschwitz-Birkenau, pour un Zalmen Gradowski (cf « Des voix sous la cendre _ Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau« , publiés par le Mémorial de la Shoah et les éditions Calmann-Lévy, en janvier 2005 ; ou « Au coeur de l’enfer« , aux Editions Kimé, en octobre 2001),
et littéralement : ces « bouteilles-à-la-terre » et ces « bouteilles-aux-cendres » ayant été re-trouvées et décachetées, et leur contenu ayant été lu, puis publié (= offert à lire et à méditer à d’autres…), assez longtemps après, chacune de ces « opérations » ; comme si Méduse continuait longtemps de « pétrifier » qui la rencontre, sans quelque Persée…

La « lacune » (ou le « blanc« )
« revendiquait » donc inlassablement « sa place », en la « n »ième re-lecture de ma propre « lecture »- écriture-ci, en cet article-ci, donc (« lacunes dans l’Histoire »), de « Jeudi saint » :
tel un « re-venant »,
un « fantôme » de retour, si tant est qu’il soit jamais parti (lui, du moins),
mais « demandant » _ c’est là le mot, aussi, de Jean-Marie Borzeix _ instamment toujours, en permanence, lui le premier, à « re-venir » ! à cesser d’être ainsi « effacé »
_ car on lui déniait,
en ce temps-ci de l’imparfait qui « dure » sans s’achever,
et pas au temps _  tellement plus simple _ du passé simple (et portant bien son nom, donc !) :
le temps de l’événement ponctuel _ « advenu » une fois pour toutes, et basta ! _, lui ;
car on lui déniait encore, et plus ou moins vilainement, toujours, toujours,
cette « sienne » de « place », en la vie vécue (ôtée), comme en la mémoire (éteinte)

_ à part celle d’un fils né après qu’il ait été « effacé » : « juste avant sa naissance« , est-il dit, à la page 70, à propos de celui _ le fils, portant le prénom de son père, qui « a toute la nuit pour recueillir des bribes d’information« , en son « attente anxieuse et fébrile« , de « depuis toujours » : les mots de Jean-Marie Borzeix sont magnifiques _ ;

car on lui déniait, à ce vieux « lacunaire« , ce vieux « blanchi« …
cette « place »

qui, rejointe, mettrait fin à la « lacune« , en la « ré-intégrant » dans une histoire enfin un peu plus (et un peu mieux) « générale », sans exclusion-négation-écrasement enfin (exclusion pénible et injuste, vilainement « partiale ») de tels « détails« …

A une « juste place » : à justement évaluer ; quand on sait que ce sont d’abord les vainqueurs qui « écrivent l’histoire »… Etre historien comporte cependant sa déontologie… Et ses sinon incessantes, du moins par « paliers » et « tournants », « ré-évaluations », contre les « propagandes » de tous bords qui cherchent (comme la nuit des temps) à faire « impression » (surtout sur ceux qui « ignorent » : c’est plus facile !) ; et à « corseter », « verrouiller », le souvenir (construit et disputé) de la postérité…

Soit vérité versus rhétorique, nous rappelle le Socrate allergo-graphe des « Dialogues » (écrits) de Platon.

« Autour de Chaïm, se dresse une foule de plus en plus nombreuse de victimes sans nom et sans visages. Presque personne ne les mentionne. Tous ces disparus, est-il encore possible, si longtemps après, de les désigner, de rappeler simplement qu’ils ont vécu et pourquoi ils sont morts, de les réintégrer dans la continuité de l’histoire ? » lit-on page 77.

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On lui déniait « sa » place « parmi nous« , veux-je dire
de ce « lacunaire« ,
« sa place »,
au lieu de cette « non-place », indistincte, confuse, embrouillée (voire artificiellement « floutée »), dévolue à de bien vagues étranges « étrangers »
(pas même « individués », c’est basique _ ou la question du « nom propre », et de l’identité tant soit peu « familiarisée ») ;
au lieu de cette « non-place », dirais-je, qu’on s’obstinait ainsi à vouloir lui attribuer (lui fourguer), en quelque sorte, de force,
en lui assignant ce statut _ pré-formé _ de « lacunaire« , de « destiné » à « être blanchi« ,
et en lui refusant _ cela va avec,
comme l' »ombre » va avec la lumière, face avec pile, et verso avec recto _
le plus souvent un véritable re-gard, un véritable é-gard, une (même petite) vraie pensée qui soit portée et assumée par la personne, en soi.

Même si il y avait des exceptions :
« Annoncer une prochaine descente de gendarmes,
ouvrir sa porte au bon moment
pouvait sauver une famille.
 »
Et cela, « beaucoup _ justes parmi les justes _ l’ont fait« .

Cette expression de « parmi nous » se trouve,
et mise entre guillements, qui plus est ! _ et en effet, je le « re-constate » _ par Jean-Marie Borzeix lui-même, à la page 44,
_ tiens-donc ! mais la co-incidence (avec « avril 44« ) est pur hasard
(sur ce concept _ crucial _ de « hasard » : rencontre contigente de deux, au moins, séries causales indépendantes, relire le toujours pertinent Augustin Cournot,
ou cet autre philosophe majeur, et corrézien, encore, qu’est Marcel Conche, en son très remarquable  « L’Aléatoire« , aux Editions de Mégare, en 1989.

Que l’expression « parmi nous » se trouve à la page 44, donc, de « Jeudi saint« ,
je m’en avise seulement, forcément, après l’avoir tant soit peu « re-cherchée » et enfin « re-trouvée »,
cette expression « significative »,
du moins pour qui y prête son « attention » ;
car, pour avoir eu le désir de la « re-chercher »,
c’est bien que je l’avais déjà si peu que ce soit « re-tenue »,
dans, au sein du, parmi le flou normal, basique (= nécessaire aux « focalisations » de l’attention au présent) du processus, et de mon at-tention, et de ma mémoire ap-proximative, plus ou moins sur le qui-vive et disponible, ou endormie, mise en sommeil. Une affaire de vigilance, et de « focalisation », donc.

« Focalisation » sur un « foyer » de sens « visible » ; et « mémorable ». Comportant, et silhouette (découpant sa forme sur un fond), et sillage (se poursuivant…).

Ou plutôt c’était elle, cette expression « parmi nous« , qui s’était « insignement signalée » d’elle-même
_ et assez peu (même si un peu, bien sûr, quand même !) du fait de l’écriture même de Jean-Marie Borzeix, nonobstant ses guillemets, certes, élégamment discret, et sans lourdeur, jamais (lui), en son »style » _ ; « signalée », donc, à l’attention, un peu attentive intensive et curieuse, de ma lecture : conformément à ce statut paradoxal de la « lacune » (et du « blanc« )
_ voilà décidément un concept digne d’un peu plus d’attention philosophique ! il faudrait en parler à l’ami Bernard Stiegler (cf son passionnant premier volume de « Prendre soin« , avec pour sous-titre « De la jeunesse et des générations » paru aux Editions Flammarion en février 2008).

« Lacune« , donc _ j’y reviens encore, ou plutôt j’y suis toujours, et j’y arrive _,
qui n’e-xiste, n’é-merge, et n’ap-paraît enfin,
ne se forme en son « négatif », donc, qu’en sortant,

s’ex-trayant, s’ex-tirpant

_ mais pas tout seul, pas de lui-même ! en tout cas ; il faut lui donner un peu plus qu’un coup de pouce _,

du « mauvais flou »
(ou brouillard : tout brouillé et brouillant),
indistinct, chaotique
_ et dissolvant, en son effet acide : destructeur, par là _,
de celui qui ne regarde, et ne voit rien que ce qui l' »intéresse » de très (= trop) près ;
dans la logique,
« Chaminadour » peut-être,
très « intéressée », c’est le cas de le dire (= « étroite » et « petite »),
de l’intérêt calculateur mesquin _ et assez vite, sur cette « pente » (boutiquière), méchant…
Soit le « mauvais flou » de la « non-focalisation » du « regardeur » « regardant »
au pire sens du terme (= sans générosité),
qui ne « voit » pas grand chose, alors ; rien que sa grisaille, sa propre tache aveugle (macula) projetée, par son incuriosité, sur presque tout le réel, qu’elle gomme et efface : bien joué !

A l’inverse de cet autre « flou » : « flou dynamique » et même « dynamisant », montueux, en relief
_ « à la Plossu » je le baptise
(« photographiquement ») _, lui,
qui marque,
ainsi qu’une poussière d’étoiles ac-compagne le passage (et le sillage) de la comète,

le cortège (comme « de cour ») scintillant et « plein de grain »

(au singulier, comme au pluriel

_ telle la pulpe grenée et s’égrenant, pour un envol fécond, plus loin qu’elle, de la grenade, ce beau fruit)

de l' »étoile-filante » ;
qui marque, donc, lui, ce beau et bon flou,
mais « aimablement », et avec délicatesse

_ et à l’encontre de toute stigmatisation,
car il est aussi des « étoiles » « stigmatisantes »,

nous dirait un Patrick Modiano, par exemple en sa « Place de l’étoile » (son premier livre, paru chez Gallimard en mars 1968) ;
à l’inverse _ je reprends l’élan de ma phrase _ du « beau et bon flou » (« à la Plossu », donc) qui marque, j’y arrive,
et durablement, mais « aimablement », et avec délicatesse, de son « aura », de son « charnel » encore charnu,
le sillage de vraies personnes (« présentes aux autres »), dans le mouvement de leur corps (plein) présent et comme dansant :
bien vivant est alors un tel « sillage » !..

« Lacune« , donc,
_ je vais finir par y aboutir !

serait-elle, cette « lacune« , serait-il, ce « blanc » (de l' »ombre« ), le centre ? _,
qui ne se forme _ mais « décalé » par rapport à la macula _ au re-gard
et à la pensée per-cevante
_ il y faut si peu que ce soit de per-spicacité » ! _
de quelqu’un,
que pour celui (sujet, et non objet) qui cherche, re-cherche, at-tend,
et lance donc vers l’altérité réelle de l’autre, et tend, sou-tend, son at-tention,
en tension et déjà, aussi, en geste
_ au-delà de la promesse
(mais non sans la re-tenue discrète et pudique de quelque é-gard) _,
de la main ouverte (sans arme de poing) qui se tend, offerte,
et à une re-connaissance
(principiellement mutuelle, en confiance,
mais sans aveuglement, non plus) _
et à l’écart de tout ce (et tous ceux) qui nie(nt). Ouf !

Tout ce déploiement de « commentaire »
pour ce titre in extremis avec ce malheureux petit mot de « lacune » (il est vrai au pluriel : « les lacunes » _ ou les « blancs« ) à partir de l’expression-source, en son amont, de « demande des descendants » _ ainsi que celle, au sein de la lecture, des « rêves éveillés » des « enfants de Chaïm » (page 85) de « Jeudi saint« .

Je remarquerai, pour terminer, que Jean-Marie Borzeix ne prononce pas, lui, le mot de « cauchemar »: il se contente de l’antiphrase des « rêves éveillés« ,

que ceux ci soient nocturnes, ou diurnes, d’ailleurs. Ou le style.

C’est probablement un défaut qu’un tel degré d’inquiétude de douter de n’être jamais tout à fait assez _ quelle formule ! _ explicite
pour qui daigne m’écouter : qu’on m’en absolve !
« Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! » dit François Villon,

en son « Epitaphe » (dite aussi « ballade des pendus »

_ par exemple, pages 81-82 de « Ô ma mémoire _ la poésie, ma nécessité » de Stéphane Hessel, aux Editions du Seuil, paru en mai 2006 : un très beau choix de poèmes connus, tous, « par coeur » par cet inlassable humaniste, à l’âge alors de quatre-vingt-huit ans) ;
« Epitaphe Villon » qui commence ainsi :
 » Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
 »
Je n’ai pas quitté le sujet…

Quant au choix, par Jean-Marie Borzeix, de ce titre de « Jeudi saint« ,

il met l’accent, non sans une légère ironie _ « le curé (à l’église, ce « jeudi saint »-là dans l’après-midi) a du mal à se concentrer. Il n’est séparé des éclats de voix des soldats (de la Wermacht) que par deux verrières donnant sur la cour de l’école »

(où ces soldats viennent de « prendre leurs quartiers » _ en ce début de vacances scolaires, de Pâques).

« Allant et venant entre les autels et la sacristie, le curé devine que quelques uns de ces soldats, s’ils sont encore là, assisteront à la messe dimanche, qu’ils seront un certain nombre à vouloir recueillir l’hostie et sa bénédiction pascale. Parmi eux, peut-être, ceux qui ont appuyé sur la détente, les assassins des paysans de l’Échameil«  _ puisque le récit de l' »enquête » n’en est que « là », en ce chapitre d’ouverture (page 27) _ ;

le choix de ce titre de « Jeudi saint » met ainsi,

mais par le détour de la discrétion tout à son honneur d’une courte antiphrase,

l’accent

_ à peine visible : ainsi parlerait-on d’hémiole dans l’art d’interprétation tout en délicatesse du baroque musical _

sur le caractère de « sacrilège«  des (divers) crimes commis par les SS lors de cette sinistre « semaine sanglante » de Pâques 1944 en Corrèze, en réservant le titre de « La Pâque juive » au chapitre-clé (ultérieur : le huitième de dix !) du récit de son « enquête« ,

sans attirer le lecteur (potentiel, de même que le lecteur réel) sur ce « chiffon rouge »-là,

au risque d’en faire un nouveau poncif,

et démentant, on ne peut plus fâcheusement, le caractère foncièrement « lacunaire » de l’affaire ici en cause : applicable à « tous » les génocides, en leur systématicité…

D’où la référence terminale

(terminale ? non, bien sûr ! : les derniers mots _ terribles de « vérité » _ du texte, sont « la répétition du mal« …)

à l’exemple des exactions systématiques d’avril 1994 à Kigali (Rwanda)…

L’enjeu de la « dignité humaine » est bien sacré, en effet, et en son universalité (catégorique !),

mais le moindre didactisme serait non seulement « contre-productif », selon la nouvelle vulgate, « managériale », mais, en son inélégance, peu respectueux de ce qu’il prétendrait vouloir obtenir (de chacun) de « respecter »…

Et c’est aussi là une des difficultés de toutes les pédagogies : ne pas biaiser, certes ; mais ne pas braquer par une frontalité maladroite (et plus grave encore : contradictoire avec son objet).

C’est là, non une « technique », mais un « art » ;

et un « art » « impossible », oxymorique

_ décalant comme décalé _,

comme tout art se met au défi d’y réussir ; et y parvient plus d’une fois !…

Et « Jeudi saint » est superbement de cet ordre-ci, décalant avec délicatesse…

Pour la suite de ce blog « En cherchant bien…« , ou les « Carnets d’un curieux« , et comme annoncé à l’instant,
je présenterai le livre (immense à tous égards) de Saul Friedländer, « Les Années d’extermination« , le second volume de « L’Allemagne nazie et les Juifs« , par lequel j’avais l’intention _ tant il m’a impressionné par sa magnitude _ d' »ouvrir » ce blog : une somme capitale indispensable pour un peu mieux pénétrer l’énigme du siècle précédent.
Je me permets de renvoyer aussi à deux très beaux et importants livres, à des égards distincts, bien sûr :
_ « Porteur de mémoires » du Père Patrick Desbois (aux Editions Michel Lafon, en octobre 2007), que j’ai cité aussi plus haut : dans la poursuite du recueillement des témoignages des génocides, sur toute l’étendue de l’actuelle Ukraine, tant que vivent encore et peuvent « parler » les « témoins » qui se font vieux ; et
_ « Les Disparus« , de Daniel Mendelsohn (paru aux Editions Flammarion, en août 2007) _ œuvre d’une très grande intensité (et qualité littéraire, lui aussi, mais en une opulence _ mittel-européenne _ baroque) avec lequel « Jeudi saint » partage quelques traits (et décisifs) d' »enquête » sur quelques personnes _ à Bolechow, en Galicie, cette fois, non loin de Stanislavov et de Lvov : en ce qui était alors la Pologne, et est maintenant l’Ukraine _, à l’heure, toujours _ « But at my back, I always hear The winged charriot of Times« , chante Andrew Marvell (« To his coy mistress« ), à l’heure _ qui passe _ de la raréfaction des derniers témoins directs des destructions systématiques du nazisme (cf le remarquablement éclairant sur cette conjoncture historique, le décisif « L’Ère du témoin » d’Annette Wieviorka _ paru aux Editions Plon, en 1998)…

Titus Curiosus, ce 11 juin 2008 (et relu le 30)

Commentaires récents

Posté par collignon
Le 20 juillet 2008

Excellent, foisonnant, de l’ampleur et du halètement, tu as trouvé ton juste-souffle. Parle-moi de la famille Pauty à Bugeat-Treignac. J’ai écouvert Millevaches depuis longtemps, c’est extatique, pas d’autre mot. J’aimerais y inscrire une fiction méditative. Que de choses à faire, à brasser ! Mais je touillerai et brouillerai jusqu’à la fin.

Je lis du policier pour l’instant (Patricia Cornwell), et dois fermer les volets. Mais on sent l’écriture de l’homme qui se donne le temps, qui se donne la liberté. Tu planes, mon vieux, bonne chance. A bientôt.

Le 29 septembre 2008

[…] de ces ombres du passé” _ cf mes articles “Ombres dans le paysage” et “Lacunes dans l’histoire” _, vient juste de se dire le narrateur toujours “bloqué” (un peu plus haut, en […]

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