Archives du mois de juillet 2008

Furtives promesses d’ombres (de cinéma)

15juil

« Les Promesses de l’ombre » (« Eastern promises« ) de David Cronenberg
(en DVD Metropolitan,
ces jours-ci).

Des promesses pas tout à fait tenues
_ serait-ce structurel ? consubstantiel au concept ? non ! existent aussi des promesses tenues !
mais la proportion des unes et des autres, ainsi que la zone d’incertitude,
voire d’indécidabilité,
sont bien intéressantes :
consulter ici le « Furtives promesses » (aux Editions de Minuit en octobre 2004) du passionnant Jean-Louis Chrétien _ ;

après l’éclat, assez éblouissant,
de « A History of violence« ,
par ce petit génie de Cronenberg
(en milieu artisanal « américain« ,
tout canadien, de l’Ontario, qu’il soit, « à la base« …) ;
et autour
du même jeu-pivot _ retenu _ de Viggo Mortensen,
acteur « venu du froid » lui aussi ; Cronenberg vit à Toronto _ ;
acteur (new-yorkais d’origine danoise)
qui a bien de quoi « prendre bien » la lumière,
et, la caméra, bien de quoi lui tourner autour
(même si c’est plutôt de biais, et en coin, que de face)
_ comme c’est une des bases _ de désir _ du filmage (de cinéma),
comme de la photo,
et de toute « focalisation »
du « per-cevoir » (une image :
d’abord mentale, à partir du regard,
et vers ce sur quoi
ce dernier _ et premier ! _ vient achopper) _ ;

après l’éclat, assez éblouissant
de « A History of violence » ;

pourtant « monté » assez « vite fait bien fait« , ce précédent film de David Cronenberg
_ mais justement :
c’est sans doute là un des secrets de « réussite »
qu’un certain « fa presto« ,
tel qu’en la peinture « à fresques » (= de frais) ;
et la grâce qui, « bien tombée », est, de fait, là,
là, là :
cela s’avère « paumes ouvertes », et « écarquillement des yeux » ;
ou quelquefois « pas là » ; ou « moins là » (et on la cherche…) ;

après l’éclat, donc, de « A History of violence »
le précédent film de David Cronenberg,
en « images cinématographiées » de ce qui était au départ
une simple BD (même si « culte » : de John Wagner et Vince Locke)…

Fin de la comparaison entre ces deux films de David Cronenberg.

Je reviens aux promesses « non tout à fait tenues« ,
du moins, entres autres, par rapport à mon « attente » (et mon « point de vue »,
ma « protention« , dirait Bernard Stiegler _ passim…),
de ces « Eastern Promises » ;
mais le titre français de « Promesses de l’ombre »
vient assez joliment congruer avec
le titre de mon article _ pas encore en ligne, de ce blog _ à propos de « Jeudi saint »
de Jean-Marie Borzeix (qui vient de paraître aux Editions Stock),
que j’ai précisément intitulé :
« Ombres dans le paysage _ pays, histoire (et filiation)« .
Prochainement sur cet écran, l’article,
par ce blog même.

L' »histoire » ici
tourne en effet
_ de même que celle de « La Nuit nous appartient » du très doué, lui aussi, James Gray
(le DVD de « We own the night » vient lui aussi de paraître, en juin, édité par THX) _
autour de l’é-migration hors de l’ex-empire soviétique
de toute une (« eastern« ) population
parmi laquelle _ et c’est l’amorce de l' »histoire » du film _ de très jeunes filles
(telle la Tatiana qui meurt
à quatorze ans
lors d’un accouchement dans un hôpital (« Trafalgar Hospital ») londonien
_ revoilà la thématique du « cure » (= « soin« )
si bien analysée par Bernard Stiegler dans « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations », chez Flammarion _ ;
telle la Tatiana, donc,
« prise » (et en divers sens :
prisonnière en un réseau de prostitution -« esclavage » (le mot est asséné par Nikolaï) ;
et « pregnant« , enceinte,
à la suite du viol qui lui a « pris » sa virginité),
cela ne tarde pas à s’avérer
pour qui découvre a posteriori, au fil suspendu des séquences, son drame,
venant confirmer les traces de mal traitances diverses sur _ et dans _ la peau de la jeune femme ;
« prise », donc, Tatiana, comme les autres jeunes filles de l’Est, dans les filets
de réseaux « eastern » de prostitution) _ ;

l' »histoire » tourne autour, donc,
de l’é-migration hors de l’ex-empire soviétique
et surtout,
pas tant de l’im-migration elle-même (sur laquelle d’aucuns braquent de sur-projecteurs)
que de
l’implantation
(mondialisation _ de la corruption _,
tu tisses plus discrètement mais sûrement ta « toile » !)
de la mafia russe,
cette fois ici à Londres
_ mais ce peut être à New-York
(pour le « We own the night » de James Gray _ en 2007 aussi),
à Amsterdam
_ Tatiana y est passé, a-t-elle mentionné en son pauvre
(et précieux pour la « recherche » _ d’abord d’Anna) « carnet de bord », écrit en russe,
trouvé dans une poche de son manteau,
et que récupère Anna, l’héroïne (enquêtrice) du film
_ afin de découvrir la filiation de la petite orpheline arrivant à la vie, elle _ ;
Anna, la  sage-femme du Trafalgar Hospital,
par le regard (de plus en plus terrorisé) de laquelle va se découvrir
_ sans trop de clarté, et dangereusement,
en toute « innocence »
(ne pas connaître le russe la protégeant provisoirement),
et toujours avec un temps de retard _ ;

par le regard (de plus en plus terrorisé) de laquelle va se découvrir

en gros « ce qui se passe » ;
ce peut être à New-York, à Amsterdam, à Paris,
Los Angeles-Hollywood,
Rome, Monte-Carlo, Nice, Marbella, etc… :

soit un « sujet » d’une certaine actualité
_ ou actualisation : entre dynamis et energeia,
quand la puissance « passe à » l’acte,
selon Aristote en sa « Métaphysique » (disponible chez Vrin).

Mais si
tous les « ingrédients » d’une oeuvre parfaitement « emballante »
sont là,
en ce film-ci de David Cronenberg
_ les lieux,
une Londres consubstantiellement inquiétante chez lui
(cf le magnifique « Spider » _ peut-être LE chef d’oeuvre de ce cinéaste), disponible, lui aussi, en DVD, en 2002),
telle une persistance du Londres glauque et poisseux de Dickens
(cf cette fois-ci la venelle-boyau _ dans East End ? _ marronnasse verdâtre
donnant nocturnement même en plein jour _ alors la nuit ! _ sur les tourbillons boueux violents de la Tamise
où sont balancés les corps à jeter
par l’hystérique Kirill,
qu’incarne, en le sur-jouant un poil trop, peut-être, Vincent Cassel,
en panne de virilité
pour assumer, lui « prince« , la succession du « roi » son père)  ;
_ mais Londres elle-même, déjà,
m’inquiète, personnellement,
jusqu’au malaise
(cf la Londres « électrique » en 2001 de Patrice Chéreau,
dans le sublimement dérangeant empoignant « Intimité« ,
à partir de déjà remarquables récits d’Hanif Kureishi _ publiés par Christian Bourgois en 1998 _
le DVD _ indispensable !
le film « gicle » de l’écran « sur vous » : à la Francis Bacon (londonien) ! _
est disponible : édité par Studio Canal en 2005) _ ;

les lieux,
Londres, donc,
et l’ensemble des éléments réunis pour cette aventure cinématographique,
à commencer par (au casting) la fine fleur des acteurs :

_ la lisse, blonde, angélique Naomi Watts
à peine débarquée du labyrinthe vertigineux (jusqu’à la migraine : en importerait-elle subliminalement quelque chose ici ?..) du « Mulholland Drive » en 2001 (en DVD, en 2006) de David Lynch,
en sage-femme (d’origine russe, elle-même, mais bien « intégrée », elle : dans le milieu hospitalier ;
et ignorant (à quelques mots près : « das vidanya« ) la langue russe de son (défunt) père
_ et de son oncle Stepan, présent à Londres _ en substitut bancal du père),
telle une Alice venant d’elle-même
(pour « donner »-« rendre » sa filiation _ manquante _ au bébé, russe, qu’elle vient d’accoucher _ un 20 décembre)
_ en faisant malencontreusement mention du « carnet » de la malheureuse morte en couches _ ;

venant d’elle-même, donc, en toute blonde innocence
« se fourrer » dans « le guépier » du monde inversé
(mais l’est-il vraiment, ce « wonderland » de cauchemar _ d’Alice ?)
_ ou « la gueule du loup » _
que lui donne à affronter la « fantaisie » un tantinet perverse du scénario choisi par David Cronenberg
comme l’était, déjà (perverse), celle de Lewis Caroll envers les petites filles
_ sur ce point, consulter le brillantissime « Logique du sens »
de Deleuze, aux Editions de Minuit en 1969 _ ) ;

_ l’Armin Mueller-Stahl, droit venu
(par le personnage de Michaël Laszlo qu’il y incarnait,
face à sa fille qui n’en « revenait » pas, interprétée, elle, par Jessica Lange)
_ et en « important » lui aussi quelque chose _
du vertigineux, encore, « Music Box » de Costa Gavras, en 1990 (le DVD est paru en 2005) ;

_ Vincent Cassel, dans le rôle du fils « incertain » (de presque tout : en tout cas de son identité sexuelle),
et mettant au centre du film la question vrillante de la « filiation » à « assumer »
d’abord par le sexe,
ainsi qu’il sied en royale dynastie, mais pas seulement…

_ ainsi que Jerzy Skolimowski, dans le rôle de Stepan, l’oncle
(un peu épave échouée et épaissie loin des eaux vives)
d’Anna, et peut-être ex-membre du KGB,

_ aux côtés, tous, de Viggo Mortensen
en livrée grise et lisse, couleur de passe-murailles, de « chauffeur » de maître(s)
_ plutôt du fantasque et incertain « prince » Kirill (à protéger), que du « roi » Semyon
régnant sur son vaste restaurant (« Trans-Siberian » : un nom de transport trans-continental), et l’admiration de tablées de femmes,
et maître (= « père nourricier » _ veuf) ès nourritures succulentes _;
et couvert, Nikolaï, je reviens à lui,
on le découvre pas seulement sur les phalanges de ses doigts,
de tatouages (codés) ;

l’ensemble, donc, ne parvient pas, à mon sentiment, du moins,
à vraiment tout à fait « prendre« ,
« consister »
_ moins en tout cas, me semble-t-il,
que l’opus précédent,
pourtant « gonflant », lui, à un rythme impeccablement tragique, le récit au départ mince de la BD :
ces « Promesses de l’ombre« -ci
demeurant seulement, me semble-t-il, décidément, au seuil
(ou au stade, précisément, de « promesse » : non tenue,

frustrée, volée, violée,
au moins pour Tatiana, la prostituée de quatorze ans
issue d’un village du côté de Saint-Pétersbourg
_ son père mort enseveli par une catastrophe dans les profondeurs d’une mine, ne pouvant plus la protéger _,
et désespérément désireuse d' »une vie meilleure »
_ peut-être de chanteuse (de cabaret) : ah! les prestiges mondialisés de l' »entertainment » ! _
mourant en donnant le jour à un enfant gênant
comme gêne toute trace _ et d’abord de gènes…) ;

demeurant au seuil seulement, donc,
d’une œuvre un peu plus encore habitée,
et hallucinante…
même s’il s’en faut probablement de peu…
mais l’effet de beauté et grandeur de l’art vrai
émane _ structurellement _ de sa difficulté
et de son risque.

Ces « eastern promises » sont donc celles
des Eldorados pailletés de l’Ouest,
pour ces « far-eastern »
_ « eastern« ,
comme « western« , est un comparatif, pas un superlatif,
encore moins absolu ! _,
que sont ces gens é-migrant de l’empire ex-soviétique,
et im-migrant dans l’Ouest :
le restaurant pivot de l’intrigue où officie le séduisant paisible Semyon (autour de la soixantaine),
impavide et admiré de bien des femmes
_ comme la caméra nous le montre sans lourdeur à quelques banales reprises _ ,
qu’incarne en toute son ambiguïté le glaçant sémillant sourire quasi immobile
d’Armin Mueller-Stahl.

Un film aussi et surtout sur les « filiations » (quand tout bouge)
_ celle du nouveau-né,
celle de Kirill _ le « prince » orphelin de sa mère _,
celle d’Anna _ orpheline de son père et ayant perdu un bébé du médecin (noir, Oliver) dont elle vient de se séparer, sans drame _,
et celles de chacun des autres
(Nikolaï viendrait de Iékaterinenbourg,
où disparut Nicolas II et la famille impériale…) _ ;

ainsi que sur les « ombres »
_ à commencer par celle de Tatiana ;
mais aussi celles de la kyrielle des égorgés
_ dont Soykal, le quasi demi-frère de Kirill, et préféré à ce dernier (l’héritier génétique de la couronne) par le « roi » Semyon, pour la « succession » aux « affaires » ;
puis le fils (?) idiot d’Azim, le barbier, qui doit faire ses preuves d’assassin, en égorgeant le « rousski » Soykal, en l’emblématique _ cette fois à nouveau _  séquence d’ouverture du film ;
et égorgé en représailles en train de pisser sur une tombe, un jour de cohue pour le match du club de Chelsea (dont il porte les couleurs et pour lequel il beugle, meugle, mugit, bestialement rugit)_ ;
ainsi que sur les « ombres »
des nombreux égorgés, donc,
de ces « Promesses » (de l’Est)…

Sans oublier les « ombres » vivantes encore un peu (= « esclaves » _ et c’est semble-t-il le départ même du projet de ce film) des prostituées
du « bordel préféré » de Semyon _ dixit Kirill :
en une séquence probatoire de virilité
(probatoire pour Nikolaï _ le « chauffeur » quasi « tuteur » _, au regard de Kirill ;
mais plus encore, sans qu’il le sache lui-même, pour Kirill
qui « mate » la gestique
(de prise « par derrière » de l’objet _ inerte _ de jouissance : « tu l’a bien niquée« , dit Kirill à Nikolaï)
de la virilité
_ l’accomplit-il, vraiment, lui, sa virilité ? et comment ? _ ;
en cette séquence de « Bain turc »
_ je veux dire à la Ingres ;
et non l’autre séquence, de hamam masculin, cette fois,
qui nous livre pour la seconde fois la nudité mise à l’épreuve de Nikolaï

_ dont le prénom provient de niké, la victoire _ ;

mais à l’épreuve de la mort, par les couteaux, cette fois,
et non à celle de la verge virile…
Deux des temps-forts de cette « histoire » de « filiation » et d' »ombres« ,
pour reprendre le titre de mon article

« Ombres dans le paysage : histoire, pays (et filiation)« …

Un film intriguant et dérangeant :
vers quoi nous dirigeons-nous par ces mouvements (massifs) de population,
sempiternellement vers l’Ouest ?
de l’orient (enseveli et englouti) au couchant (scintillant _ glittering _ de paillettes)
_ ainsi que s’y interroge
« L’Occident expliqué à tout le monde« ,
de Roger-Pol Droit, aux Editions du Seuil, en avril 2008 _
à l’aveuglette ?

Car le monde qui se découvre ici est un monde orphelin d’amour : Anna et Nikolaï ont un rapide baiser de « renonciation » l’un à l’autre, après s’être pas mal approchés, regardés, plus, à distance physique… : sans « se donner » ; un monde _ im-monde _ d’orphelins et de veufs ; et pornographique (ou de viols), pour ce qui reste de pulsions vaguement génésiques (tournant à de sado-masochistes perversions ; un monde sans autrui…

Soit ce qui grandit de tentation d’in-humain, pour les « non-in-humains » que _ par quels processus ? _ nous sommes un peu encore, selon le Bernard Stiegler de « Prendre soin« …

Un monde tout est à vendre et se vend sur un marché, et non sans violence (et esclavage _ le mot est prononcé par Nikolaï), selon le Dany-Robert Dufour du « Divin marché » …

Titus Curiosus, ce 8 juillet.

Probité et liberté de l’artiste

15juil

A propos de « Littoral des lacs » de Bernard Plossu (édité par Images En Manoeuvres Editions / Conservatoire du littoral, en mars 2008)

Exposition de Bernard Plossu, Littoral des lacs, Annecy

J’avais l’intention,
pour poursuivre mes articles de photographie,
de publier mes échanges de mails en mai avec Bernard Plossu :
après celui à propos de l’invito alla mostra milanese « Attraverso Milano »
(et ma remarque  « Kafka » pour ce Milan-là ) ;

celui à propos de l’album
(édité par Images En Manoeuvres Editions / Conservatoire du littoral, en mars 2008)
« Littoral des lacs »
(et ma remarque « Rousseau » pour cette Savoie-là,
reprise par Bernard Plossu :
« oui rousseau et kafka
c’est formidable tes commentaires !
necessaire .
plo
 » )

d’autant plus vite que
le mot de « Rousseau » dans ce mail de Bernard Plossu du 22 mai à 7h48
« oui rousseau et kafka »
est, « rapporté » en cet état (en l’article du blog du 4 juillet)
hors de compréhension du lecteur…
Ce qui est un comble (d’incongruité)
pour un blog !…

Mais l’énigme (« oui rousseau et kafka » ?),
pour qui s’en serait avisé (!!!),
va immédiatement se résoudre ;
et au-delà de ce que je pouvais en imaginer
,
attendre, espérer, on va le constater : vive le blog !!!

Car voici que Bernard Plossu,
de retour de ses campagnes photographiques
et bretonne (trois îles : Houat, Molène et Bréhat)
et espagnole,

prenant connaissance de mes courriels (certains anciens de trois semaines)
_ au milieu de la ribambelle de ceux qui ont pu s’accumuler ce long temps-là _,

réagit à mon article « Attraverso Milano : le carton d’invitation alla mostra » du 4 juillet,
et m’adresse
_ cette nuit : 1h07, 1h09 et 1h10 _
3 courriels passionnants
qui y ont indirectement ou directement « trait »
: qu’on en juge !

En deux temps, si on le veut bien :
d’abord nos échanges de courriels de mai.
Puis, les tout récents, de juillet.

D’abord, en un premier moment, l’échange
(sur une durée de quinze jours, déjà : le « photographe » était en « expédition »)
des courriels des 6, 21 et 22 mai :

De : Titus Curiosus
Objet :  « Littoral des lacs » : un sublime de poésie de la simplicité
Date :     6 mai 2008 06:52:36 HAEC
À : Bernard Plossu

face à l’album « Littoral des lacs »
entre mes doigts tournant les pages, et sous mon regard

et juste après le courriel expédié 6 secondes auparavant
Objet :  Courir après son ombre en quel couloir ? En minuscules géantes : Milano !…
Date :     6 mai 2008 06:52:31 HAEC

à propos, lui, de l’image « fabuleuse »
du carton d’invitation à « Attraverso Milano » à la galerie Bel Vedere
(et accessible sur « En cherchant bien » depuis le 5 juillet)…

Voici pour « Littoral des lacs » :

Quelle merveille de poésie que « Littoral des lacs » !

Quelle connaissance tranquille, sublimement paisible,
à la distance qu’il faut des lieux,
tout à la fois connus (aimés) et respectés,

dans une familiarité d’ il y a longtemps, d’il y a toujours,
d’enfance même
sans doute _ ce serait le « secret » _,
car pas même « retrouvée »,
mais simplement fidèle : toujours là, en quelque sorte _ mais il a aussi fallu y arriver _
et elle, et toi ;
vous donc ensemble ;
de compagnie,
mais sans confusion aucune,
sans effusion bruyante de fusion : on peut y goûter la qualité et les couleurs du silence,
à la distance « naturelle » d’un respect où l’on perçoit, si l’on s’y focalise si peu que ce soit,  l’effleurement du vent, de la brise, dans les feuillages qui chantonnent.

Compagnie vrai amour,
comme la ritournelle, en accompagnement, donc, à peine fredonnée, d’une chanson de ce pays même,
gambadant juste sur la pulpe des lèvres
_ et pas à plein gosier.

N’est-ce pas aussi,
simplement,
le résultat honnête du cahier des charges,
et ordre de mission
d’un « Conservatoire, en effet,  du littoral »
?
Un « Conservatoire » qui n’en est plus à faire ses gammes (avec ses couacs),
mais qui s’enchante de la petite sereine musique (de jour) du fruit de son discret travail…

Une merveille de simplicité de l’expérience, tout simplement,
oui.

Titus

Ensuite, ceci, en deux temps, l’espace de la nuit :
d’abord, le 21 mai au soir :

De : Bernard Plossu
Objet :  Rép : « Littoral des lacs » : un sublime de poésie de la simplicité
Date :     21 mai 2008 22:37:48 HAEC
À : Titus Curiosus

wow , merci de ce que tu dis des lacs en photos !
romantique à souhait , hein ?
plo

Puis, le 22 mai au matin,
et en « réponse » aux deux courriels à la fois (sur « Milano » et « les Lacs » de Savoie) du 6 mai (6h52, les deux…) :

De :  Bernard Plossu

Objet :     Rép : « Courir après son ombre en quel coul…
Date :     22 mai 2008 07:48:12 HAEC
À :  Titus Curiosus

oui rousseau et kafka
c’est formidable tes commentaires !
necessaire .
plo

Voilà pour le premier moment de l’échange.

Et voici maintenant ce que donne la seconde « étape » :

Au départ, mon envoi de l’article « Attraverso Milano : le carton d’invitation alla mostra » du 4 juillet,
au sein de ce courriel du 10 juillet :

Cher Bernard,

Le blog a démarré sur mollat.com
avec 3 articles :
le premier (« le carnet d’un curieux« ) de présentation de ce blog
le second (« Musique d’après la guerre« ) sur un CD de quatuors à cordes d’un musicien (1878-1955) ayant survécu à 14-18 et s’étant mis à composer en 1919 : Lucien Durosoir
le troisième (« Attraverso Milano« ) sur la carton d’invitation (« invito« ) de ton expo milanaise.

Déjà, je suis curieux d’avoir tes impressions de chacun des trois, un peu « détaillées ».
On peut aussi se parler au téléphone, si tu préfères parler qu’écrire un peu en détails… Enfin, comme ça te chante, bien sûr !..

Je n’ai pas mis en ligne les 2 articles (« Ombres dans le paysage _ pays, histoire (et filiation) » ; et « Lacunes dans l’Histoire« ) à propos du récit d’enquête historique « Jeudi saint » de Jean-Marie Borzeix
pour plusieurs raisons :
d’abord ils sont très longs (J-M Borzeix qualifie le premier d' »étude critique consacrée à (s)on livre« ) ;
ensuite, j’aimerais que ces deux articles (que je trouve « importants »…) disposent de photos (!) ;
et enfin, je vais les faire précéder d’un « avertissement » quant à leur « longueur » : peu banale sur un blog.

Et même j’ai rédigé un article de réflexion sur la longueur (et le style) de mes articles.
Et ce que j’appelle ma « méthode » : « attentive intensive« …

Je vais te l’adresser aussi :
d’abord, pour que tu y mettes à ton inspiration une ou deux photos…
Faire dialoguer texte et photo provoque un formidable gain d’espace pour la pensée-réflexion du lecteur…
Et aussi pour savoir si j’y laisse ou pas une remarque concernant l’histoire de la photo du carton d’invitation d' »Attraverso Milano« ,
cette photo « fabuleuse »
_ je ne l’ai pas laissée.

J’ai en préparation plusieurs articles :
outre celui de réflexion sur la longueur et le style des articles…

_ d’abord, sur le livre « Littoral des lacs« ,
sur le principe de l’article « Attraverso Milano » :
c’est-à-dire me contenter de reprendre notre échange de mails en mai dernier
(ou une sélection : il y a parfois des coupures à faire),
à propos, donc, du livre cette fois, « Littoral des lacs« .
A ce propos, ce serait bien de disposer d’une image de bonne qualité
de la photo de couverture du livre : « Marais de l’Enfer _ lac d’Annecy »
j’ai bien, déjà, celle du carton d’invitation au vernissage,
mais la qualité de l’image importe aussi…
Je viens de re-regarder le livre en recherchant la légende de la photo
(je me souvenais qu’elle était prise au lac d’Annecy) : quelle beauté paisible en émane…
Oui, le « Rousseau » de l' »état _ fictif _ de nature« ,
enfin presque : parce de tels paysages demeurent « travaillés » !..

_ ensuite, sur le DVD du film de David Cronenberg _ cinéaste qui m’intéresse _ « Les promesses de l’ombre » _ :
l’article (avec la thématique des « ombres » de mon article _ non encore en ligne _ sur « Jeudi saint« ) est pas mal avancé ; mais je suis maniaque : j’allonge, je coupe, je peaufine… jusqu’à ce que ça « aille » à peu près…

_ puis, j’en ai 3 en projets assez simples :
un petit article sur « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » de Bernard Stiegler (chez Flammarion), que je viens de terminer de lire.
Le sujet est crucial : former l’attention ; et protéger contre les politiques audiovisuelles de destruction de l’attention.
J’essaierai d’être bref et percutant : il y a le feu au lac !!!

Et  deux autres petits articles de photo sur des livres forts tous les deux :
sur « Prague 1968 » de Joseph Koudelka (aux Editions Tana) : magnifique de vérité (et à pleurer, comme on les voit pleurer de rage !!!
et « The Americans » de Robert Frank (aux Editions Steidl) : un reportage d’est en ouest et du nord au sud aussi perspicace que riche…

_ puis, il va me falloir me mettre à l’article sur « Les années d’extermination » de Saul Friedländer, une très grande chose pour le XXième siècle ; et pas seulement (hélas !)…

J’espère que tes moissons bretonne et espagnole ont été opulentes : je ne me fais pas trop de soucis là-dessus…

A très bientôt, et de diverses façons,

Titus,
toujours trop abondant, comme tu le constates !

Et ce matin, je trouve une brassée de messages de la nuit,
dont des trois-ci qui font passer le « dossier » « Littoral des lacs » à un cran (de « passionnant ») supplémentaire :

dans l’ordre :

De : Bernard Plossu
Objet :     Trans. : BERNARD EN RESIDENCE EN BRETAGNE par le TELEGRAMME DE BREST !
Date :     13 juillet 2008 01:06:58 HAEC
À : Titus Curiosus

infos

b

De :  Ami
Date : 5 juillet 2008 15:29:57 HAEC
À : Bernard Plossu
Objet : BERNARD EN RESIDENCE EN BRETAGNE par le TELEGRAMME DE BREST !

http://www.letelegramme.com/gratuit/generales/regions/morbihan/bernard-plossu-en-residence-en-bretagne-20080630-3356338_1378695.php#

Bernard Plossu. En résidence en Bretagne
C’est l’une des figures de la photographie, souvent en voyages, presque toujours en noir et blanc, un grain épais qui l’a rendu célèbre. Bernard Plossu est en résidence en Bretagne. Rencontre à Lorient.
Bernard Plossu est en résidence sur trois îles bretonnes : Houat, Molène et Bréhat.

Trois galeries, trois départements, trois îles et un photographe.
Le Lieu, à Lorient, L’Imagerie, à Lannion (22) et Le Centre Atlantique de la Photographie, à Brest (29) invitent Bernard Plossu à une résidence sur les îles d’Houat, Molène et Bréhat, le projet Archipel, et trois expositions en novembre.
C’est un regard nouveau qui se pose sur la Bretagne, celui d’un grand reporter photo, homme du lointain : Nevada, Californie, Sahara ou Mexique…
Toujours avec le même objectif de 50 mm, celui de son Nikkormat, Bernard Plossu est un grand monsieur de la photographie :
« Ma photo a la rigueur de l’École française, un mélange de Corot et de Malevitch, une sobriété qui paraît facile », explique-t-il.
C’est cette sobriété et son grain qui le font choisir pour réaliser une photo d’Isabelle Huppert pour un livre et une exposition sur la comédienne, aux côtés d’illustres photographes, Boubat, Doisneau, Gassian, Lartigue ou encore Lindbergh…
« Je redécouvre la France. »

Il voit la Bretagne comme les falaises de Californie, la même rudesse, le même côté sauvage.

« J’ai toujours habité très loin, je redécouvre la France : le magnifique Aubrac, l’Aveyron, le Jura, la Bretagne… J’y trouve ce que j’allais chercher ailleurs… Des coins sauvages. En Bretagne, ce sont les belles lumières, les beaux gris. »

Très vite, dès ses premiers pas sur l’île d’Houat, Plossu a beaucoup photographié, dès le premier jour, paysages et collines. « Après, j’en ai moins fait. Je vais peut-être aller refaire une photo avec une lumière différente, mais j’ai un ressenti immédiat. » Une bonne sœur qui passe devant une vitrine : photo. Une femme dans la rue : photo. « La photo vient à moi. »

Nourri de peinture, de Constable à Courbet, mais surtout très influencé par le cinéma, et particulièrement la Nouvelle Vague. Il a aussi travaillé sur quelques films de Robert Altman. « Je suis beaucoup allé à la Cinémathèque, et petit, j’étais dans la même classe que Frédéric Mitterrand : il était premier de la classe, et moi dernier ! »

Puis celui-ci :

De : Bernard Plossu
Objet : Trans. : Une critique acerbe de « Littoral des Lacs » !
Date : 13 juillet 2008 01:09:26 HAEC
À : Titus Curiosus

t avais je envoyé ça ?
plo

_ réponse, au passage : pas encore !!!
maintenant, oui !

De : Ami
Date : 26 juin 2008 15:55:08 HAEC
À : Bernard Plossu
Objet : Une critique acerbe de « Littoral des Lacs » !

Saluti  Mister Plo !
Je crois bien, que tu étais à Thonon, hier soir, pour le vernissage de Littoral des Lacs, enfin, je suppose !
J’ai pour ma part bien aimé l’extrait du texte de François Carassan déniché , je ne sais trop où , sur le WEB !

Désolé, de voir cette critique à l’égard de ton ouvrage !

On s’en fout , on ira se faire des photos dans un paradis perdu, loin des critiques !
ça pourrait faire une chanson,comme celle de Bénabar !
Bien à toi
Ami

http://deslivresetdesphotos.blog.lemonde.fr/

14 mai 2008

Littoral des lacs

®© Bernard Plossu, « Littoral des lacs« , Images en Manoeuvres Editions, 98 pages.

Bernard Plossu LITTORAL DES LACS

« J’ai pu être un ardent admirateur de Bernard Plossu. Notamment du « Jardin de poussière » que je tiens, aujourd’hui encore, comme l’une des plus magiques séries de photo minimaliste. Ce mince ouvrage publié en 1989 par Marval me semble toujours l’expression d’une photographie “point, ligne, plan” à rebours de toutes les représentations exaltées de l’Ouest américain. De Plossu, j’aime également quelques images isolées : cette branche de palmier dans le vent, cette vision d’un enfant sur un pont de bateau… Son « Voyage Mexicain » (Contrejour, 1979) tenu par certains comme fondateur d’une modernité “on the road” de la photographie européenne me laisse plus dubitatif. De nombreuses images sont faibles même si elles vibrent d’une tension toute adolescente. D’être bien plus tard, embringué au côtés de Max Pam ou de Paolo Nozolino dans la défense de la “photographie créative” chère à Jean-Claude Lemagny, a offert à Plossu une reconnaissance institutionnelle, en France du moins. Problème, me semble-t’il, cette doctrine a fossilisé ses adeptes dans une démarche poétisante refusant la déferlante documentaire qui a marqué la photographie contemporaine depuis vingt ans.

Conséquence de l’alignement de Plossu sur l’institution, les commandes publiques pleuvent sur lui depuis des années, donnant la plupart du temps lieu à parution. Voici, à titre d’aperçu, un petit florilège de publications de commande : « Paris, Londres, Paris » (1989), « L’Archipel de Riou » (1993) « Marseille en autobus » (1996), « Porquerolles, Port-Cros : Bernard Plossu, les îles » (1999), « Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, Mémoires » (2002), « Au Nord » (2006), « Des mots de lumière dans les musées de Strasbourg » (2007), « L’étrange beauté de la ville d’Hyères » (2007)… Si l’on ne peut que se réjouir qu’un auteur trouve des commanditaires, on ne peut que déplorer l’esprit moutonnier des institutionnels à la recherche de “valeurs sures” et surtout non conflictuelles.

Le Conservatoire du Littoral, institution précieuse qui soustrait des milliers de kilomètres de côtes et de bords de lacs à la spéculation, a donc à nouveau passé commande à Bernard Plossu pour « Littoral des lacs » . Le résultat en est navrant. Sentiers herbeux sinuants vers la rive, paysages lacustres masqués par les feuillages… Le photographe fait de son mieux pour illustrer la beauté virgilienne de ces paysages protégés. Pourtant, le lecteur s’ennuie à la vue de ces images bucoliques que nulle modernité ne vient troubler, ni dans le cadre, ni dans la prise de vue. Le talent de Plossu s’épuise dans ces exercices de style et on en vient à se demander si Conservatoire a forcément partie liée avec conservatisme. »

Voilà la « critique acerbe« , donc.

Et enfin, au moins provisoirement, du moins,
mais l’aventure (des courriels ; et du blog) déjà me paraît, cette fois encore, prodigieuse
_ vivent les artistes ! ils font déjà parler, même s’ils n’enchantent pas
tout le monde
tout le temps !..
et amitiés comme déplaisirs y ont leur place _

ceci :

De : Bernard Plossu
Objet : Trans. : Une critique acerbe de « Littoral des Lacs » !
Date :     13 juillet 2008 01:10:06 HAEC
À : Titus Curiosus

et ma reponse
plo

De : Bernard Plossu
Date : 30 juin 2008 18:12:20 HAEC
À : Ami
Objet : Rép : Une critique acerbe de « Littoral des Lacs » !

salut Ami

de retour …. d’une commande justement, dans les iles bretonnes !

je trouve ton mail,
et ce qui est interessant , c’est que cette commande pour les Lacs Alpins du conservatoire du Littoral,
je l’avais faite justement exprès dans cet esprit romantique XIX° siecle  avec résolument rien de moderne   ,
car c’est l’ambiance que les lieux m’avaient  très explicitement dictée !
( pensé à Balzac ) .

la critique du coup devient  tres interessante
car ces photos sont bien faites ainsi exprès ,
et non  pas par facilité ou nullité banale … !
il ne s ‘agit en aucun cas  » d’une commande de plus » ,
mais de quelque chose au ton bien réfléchi :   et de tout façon je ne bacle jamais une commande , c’est trop important !

et c’est publique , pas le droit de prendre ça à la légère .

ton amigo
el plo

ps : si tu repondais a ce blog ,  ce que je te dis compte , hein  !

Alors ma toute première réaction (« Rousseau« ) à l’album s’éclaire aussi encore
Qu’on relise un peu et « Les Confessions » _ savoyardes pour beaucoup, auprès de Madame de Warens ;
et « Les rêveries d’un promeneur solitaire« , même si ce n’est pas tout à fait la Savoie, et un peu plus tard qu’en la jeunesse,
à l’île Saint-Pierre du lac de Bienne…
Pas assez « moderne » ni « minimal« , forcément (c’est-à-dire « moderniste« ), pour le critique doctrinaire, arc-bouté sur sa vulgate de l’histoire de la photographie (ses « dogmes », « chapelles », « hérésies »).
Quand Plossu, lui (« c’est l’ambiance que les lieux m’avaient très explicitement dictée !«  : on ne saurait mieux dire l’exigence ; et la maîtrise artistique _ « poétique » pouvant vous faire carrément fusiller du regard… _ de la visée toute d’humilité et de grâce du regardeur vrai de ces lieux) ;

quand Plossu, lui, est tout à la fois probe et libre : face à
_ et avec _
l’objet :
en son altérité foncière singulière
: d’objet,
abordée avec respect (réciproque) et énigmatique :

soit, le fin mot de l’énigme des choses _ pas de l’ego !
et de son importune obscénité bouffie de vanité _
en leur altérité…

Titus Curiosus, ce 13 juillet 2008

de la longueur et du style : du contrat de lecture (d’un blog)

14juil

De la longueur et du style : de l’égard dans le contrat de lecture d’un blog

(petite méditation sur l’écriture
eu égard au sens du dire et à sa réception ;
et sur le conseil _ unanime _ de « faire court« )

A propos de l’écriture (longueur des articles, d’abord ;
puis, peut-être aussi, « style » des dits « articles » de ce blog),
ce mail du 6 juillet à 19h 37,
en réponse à un échange téléphonique de la matinée du vendredi précédent,
le 4…

« Je ne publierai les 2 articles sur « Jeudi saint » de Jean-Marie Borzeix
(aux Editions Stock au mois de mai 2008)
qu’en commençant par « prévenir »
de
leur longueur « a-normale »,
« excessive »…

ainsi qu’en donnant aussi
par anticipation
la réponse (à mon envoi de ces articles : « Ombres dans le paysage »
et « Lacunes dans l’histoire »)
de l’auteur, Jean-Marie Borzeix.

En plaçant,
en « avant-propos »
: « Au lecteur » (à la Montaigne en ouverture des « Essais« ),
un « avertissement«  avec un brin de fantaisie,
sollicitant un tant soit peu
de temps et patience
de lecture
(pour chacun des articles : chacun ayant, et devant avoir, son rythme) ;
soit la bienveillance
traditionnellement de mise,
mais ici
en une « époque » de « nouvelles » normes
_ et tenant, et comment, le haut-du-pavé _
de « temps compté »
et d’affichages (médiatiques !) de « ruptures » (dites _ ô la novlangue (de « 1984« , par George Orwell, en 1948) ! _ « modernité« ) ;

en plaçant
un « avertissement » sollicitant un minimum de bienveillance de la part de qui
va « donner de soi »

en s’exposant si peu que ce soit
(mais est-ce, et dans quelle proportion d’occurrences, peu ?)
à ce qu’il peut y avoir d' »intime » et intense en une lecture
_ et qui est ce pour quoi, au fond,
au bout du bout de tout,
j’aime,
quant à moi en-tant-que-lecteur,
me livrer à « ce vice impuni : » _ dit Valery Larbaud _
« la lecture » ;

tel un « avertissement«  à la Rabelais
à propos des « silènes » et de la « substantifique moëlle« 

du « Prologue » de « Gargantua« ,
su par cœur de tous les lycéens de France il n’y a pas si longtemps,
et que je ne résiste pas au plaisir de citer ici :

« Silènes étaient jadis petites boîtes,
telles que voyons de présent
_ 1534 _ ès boutiques des apothicaires,
peintes au dessus de figures joyeuses et frivoles,
comme de harpies, satyres,
oisons bridés, lièvres cornus, canes bâtées, cerfs limonniers

_ ah, l’avalanche des « listes » dont s’enchante aujourd’hui un Pascal Quignard,
l’auteur de ce si intense « Vie secrète » (aux Editions Gallimard en 1998) _,
et autres peintures contrefaites à plaisir pour exciter le monde à rire
(quel _ tel _ fut Silène, maître du bon Bacchus _ le dieu de l’enthousiasme) ;
mais au dedans l’on réservait les fines drogues
_ pharmaka, prononce Bernard Stiegler
en son « Prendre soin _ De la jeunesse et des générations » (aux Editions Flammarion, en février 2008) :
l’allusion rabelaisienne est donc on ne peut plus, cher Bernard, « pharmacologique »,
comme tu le montres si excellemment,
en « reprenant » le travail interrompu (par la mort, le 26 juin 1984) de Michel Foucault _,
comme baume, ambre gris, amomon, musc, civette,
pierreries et autres choses précieuses
 » ;

et à propos de la « substantifique moëlle« , aussi
_ qui ne connaît l’expression ? _,
pour laquelle,
tel le chien de Platon, au livre II de la « République » : « la bête du monde plus philosophe« ,
dit un peu plus loin Rabelais,
a « cassé » l’os, de ses dents curieuses _ fouilleuses et gourmandes ! _
dit Rabelais en son « Prologue de l’auteur » de « Gargantua » :
l’image de la moëlle étant empruntée
à Saint-Jérome ;
et celle des Silènes
à l’intervention d’Alcibiade au « Banquet » de Platon,
via Erasme :
« Socrate _ maître démonique : ironique et évanescent _ est on ne peut plus pareil à ces silènes qui se dressent dans les ateliers de sculpteurs,
et que les artisans représentent
_ musiciennement : ce n’est pas innocent _ avec un syrinx ou un aulos à la main ;
si on les ouvre par le milieu,
on s’aperçoit qu’ils contiennent en leur intérieur
des figurines de dieux
 »
_ soit tout une esthétique d’acheminement
(inventant en se souvenant),
un peu dans le lointain de notre actualité
d’impatience (agressive, plutôt que gourmande !)
et des « normes » majoritaires de blogs d’Internet !!!) ;

en plaçant en « avant-propos » à mon article, donc,
un « avertissement »
un tant soit peu humoristique
à l’égard des mal voyants ou/et peu endurants
(ils sont en nombre, jusque parmi les plus bienveillants,
préférant « tirer » l’article sur papier ! pour le lire,
quand ils ne remettent pas à un « un peu plus tard«  un peu moins bousculé
qu’un présent qui trop se précipite  _ et en est « cabossé » _,
le « temps«  même « de lire » attentivement l’article) ;

peu endurants, donc, de la pas assez confortable « lecture sur écran »
_ livre et librairie ont ainsi en puissance un très bel avenir _
d’articles
dépassant un format « standard »
(c’est-à-dire habituel :
ce qui déjà varie passablement de l’un à l’autre ;
et qui peut « faire » aussi bien _ cf Aristote, l' »Ethique à Nicomaque » (par exemple dans l’édition G-F) _ heureuse « vertu »
que « vice » malencontreux !!! ;

et qui agacerait,
par cet excès de temps nécessaire,
au point de la mettre « à bout » (et faire « bouillir »),
cette « réserve » de patience (de lecture) d’aucuns :

« perdre » son lecteur,
en amenant

_ voire « acculant » (par « harcèlement » : la mode du terme donnant à penser…) _
à « rompre » d’entrée le contrat de lecture,
est de très mauvais goût !!!

combien je le sais !
_ Yves Michaud l’a encore tout récemment gentiment « rappelé » à mon attention _

à l’instar de cet art de la conversation
(orale)
_ cf l’anthologie remarquable de Jacqueline Hellegouarc’h « L’Art de la conversation »
(du Père Dominique Bouhours, « Les Entretiens d’Ariste et d’Eugène« , en 1671,
à l’Abbé André Morellet, « De la conversation« ,
publié en 1812, mais rédigé très vraisemblablement en 1778),
en passant par le chevalier de Méré, Madeleine Scudéry et François de Callières,
anthologie très éclairante (d’un siècle : 1671-1778) parue en août 1997 dans la collection des Classiques Garnier _ ;

à l’instar de cet art de la conversation, donc,
qui n’est ni plus ni moins que l’égard
de sertir joliment la parole à venir de l’autre,
de l’interlocuteur !
de celui auquel on s’adresse
et que l’on va, l’instant qui suit, à son tour, écouter nous adresser à son tour la parole ;

il en va tout
de même
de l’auteur-écrivant vis à vis _ en cette situation de regards qui se donnent, sans rien figer _ de son lecteur ;
lecteur en acte de lecture déjà,
et pas seulement en puissance ;
ni le livre, ni l’article,
ne devant « tomber des mains », « sortir des yeux »,
exaspérer (« mettre hors de soi »)
;

ne pas trop « tirer », donc, « sur la corde »
ultra-sensible de la bienveillance principielle du lecteur

_ n’était-ce pas, là aussi, le premier geste rhétorique (de l’auteur)
que la captatio benevolentiae ? _ ;

c’est toujours, toujours,
ici comme ailleurs,
une affaire de rythme… ;

cet « avertissement »
(à placer en tête des-dits deux articles un peu « longs »
_ « étude critique » les qualifie Jean-Marie Borzeix
en un courriel du 12 juin à 15h08 _),
cet « avertissement« , donc,
sera du genre :

« ne s’engager » en la lecture de cet article
qu’en excellente forme (physique),
en « bon état » (de curiosité),
et avec un équipement neurologique et sensitif
(chaussures, vêtements, lunettes, fauteuil)
adéquat
pour « endurer » plusieurs pages d' »attention intensive« ,
mettant à un peu rude épreuve
qui s’engage sur cette piste « sportive »,
voire « ultra-sportive »
même si elle n’est pas « compétitive »
(on n’y mesure rien,
on n’y délivre nul diplôme,
il ne s’agit ni d’un concours, ni d’un examen,
tout y est libre,
dédié au seul plaisir
_ sans bénéfice, gain, profit, intérêt autre que lui : gratuit ! _
de lire…
) ;

cet « avertissement » ne sera ni bégueule, ni snob :
il porte seulement sur quelques unes des conditions de la liberté (du lire) :
un peu comme pour accéder à l’enchantement proustien
_ ou à l’enchantement montanien
(la situation _ et l’impérial régal _ de « Lire les Essais » est identique à celle de lire « la Recherche« …) _,
il est nécessaire d’entrer (passer le portail),
suivre
et poursuivre la lecture
de dizaines, centaines, milliers de pages qui en toute (double) générosité (de donner _ sans regarder à compter ! _ son temps) se succèdent, au fil des heures, et journées ou nuitées,
que cela _ lire _,
en « prenant » et « occupant », de fait,
« demande », « requiert », « nécessite » on ne peut plus effectivement (en vis-à-vis d’un symétrique écrire) :
on doit franchir, disons les cinquante premières pages de « Combray« ,
en « ouverture » de « Du côté de chez Swann« ,
qui n’est lui-même, un peu artificiellement

(pour des raisons éditoriales de division en « volumes » ;
ainsi que de poids _ on ne peut plus physique ! _ du livre entre les mains du consentant lecteur,
qui a fait l’effort de se procurer _ en l’achetant, le plus souvent _, le-dit livre ;
on peut ici se reporter aux remarques « grammatologiques » de Bernard Stiegler _ passim, dont, par exemple, « Prendre soin » _,
à partir, notamment, de Sylvain Auroux :
« La Révolution technologique de la grammatisation« , publié aux Editions Mardaga, en 1993 _ actuellement non disponible
fin de l’incise) ;

qui n’est lui-même, ce « Du côté de chez Swann« ,
que le seuil
de l’enchantement infini
_ symétrique (du côté de la lecture) du « tant qu’il y aura de l’encre et du papier » (du côté de l’écriture) de l’auteur :

Montaigne, Proust
même « infinie » (= vitale-mortelle-d’éternité) affaire : de générosité ! _ ;

qui n’est lui-même, ce « Du côté de chez Swann« , que le seuil de l’enchantement infini, donc,
de « A la recherche du temps perdu » :
car telle est l’œuvre en son entier (et unité indivisible : le reste _ fragments _ n’en étant qu’éléments, pièces, pierres _ de construction _ d’élévation du bâtiment) ;
les titres la « découpant » (en « volumes » physiques, donc),
n’en constituant que des scansions un peu commodes,
tels des chapitres, si l’on veut, de ce méga-livre :
telles des étapes d’un chemin (de découverte et initiation : sans peut-être même assez d’une vie pour l’accomplir ; et s’y trouver, « dans le temps  » !) à une échelle un peu inhabituelle,

tenant, à la fois et en même temps, de ce qu’offrent, en matière d' »aides au regard« , le télescope et le microscope ;
on se repose un moment en une pause, en une halte, ne serait-ce que grâce à la « tourne » (et aux points) ;
pour mieux « reprendre », « poursuivre », « aller » plus loin et jusqu’au bout (à l’infini, donc, selon le jeu d’échos des « rétentions » et « protentions » de ce qui peu à peu s’élabore et s’élève en ce jeu de « renvois » des miroirs de l’expérience, de la mémoire, et des œuvres aimées : c’est là le propre des livres majeurs…).

Fin de l’incise sur les conditions propices à cette liberté du lire.

Et je reprends (enfin ! Ouf !!!) la citation de mon mail du 6 juillet à 19h37 _

je ne publierai les 2 articles (ou « études critiques« ) sur « Jeudi saint » de Jean-Marie Borzeix
qu’en commençant par « prévenir » – « avertir » le lecteur de leur longueur
(excessive, en effet),
même pour qui pratique une méthode de lecture « attentive intensive »
_ la capacité d’attention et de persévérance de lecture sur écran
a des limites,
et même pour un têtu (avec ascendances bretonnes et basquaises,
entre autres caboches), comme moi ;

et en soulignant les vertus de patience et d’endurance requises
_ Kant dit, lui, « vaillance » et « courage » (du devenir « majeur« ),
versus « paresse » et « lâcheté » (du désirer demeurer « mineur« ,
en son « Qu’est-ce que les Lumières ? » de 1784),
nous rappelle Bernard Stiegler en son « Prendre soin » _
afin de « découvrir » et « assimiler » jusqu’au bout la « matière » de ces deux articles « à venir » :
« Ombres dans le paysage : pays, histoire (et filiation) »
et
« Lacunes dans l’histoire » : par-là même annoncés.

Et en les « aérant », encore, si possible, ces articles,
de photos
(de Bernard Plossu,
quand il sera de retour
de ses actuelles « campagnes »-randonnées photographiques,
sur le terrain de l’altérité désirée
du rencontrer…) ;
toujours, toujours la respiration et le rythme…

J’ai « réagi » aux remarques saines de H.D.D. en rédigeant quasiment instantanément
l’article « Attraverso Milano » : sec
et avec en regard surtout
la très belle photo : « fabuleuse« , de « l’invito alla mostra » …

L’Art est un silence (non vide) appelant _ voire défiant _ réponse en écho
à ses interstices
et par son élan : il déplace par son souffle.
Il est vent
_ et ensemence en mobilisant.
D’aucuns disent « esprit« .
Ou « Et le verbe fut » : mais cela n’est vraisemblablement pas qu’une seule fois (et au passé simple) : le « génie » a vocation, en relais au « divin », à, lui aussi, souffler ; même si, pour lui, les suites (filiations) sont un peu plus improbables, fragiles _ fondamentalement incertaines _, et souvent « manquées »… Mais quand ça vient, l' »œuvre » vraie donne confiance. Et aux autres aussi.

Paul Eluard :
« l’artiste est moins celui qui est inspiré
que celui qui inspire
 » :
sourcier de buissons de désirs
en ritournelles…

Et sur la « ritournelle« , Gilles Deleuze s’est merveilleusement exprimé…

D’autant mieux, je reprends le fil de ma remarque sur un tempo plus « saccadé », que
pour l’article « Attraverso Milano…« ,
j’ai simplement recopié un échange rapide de mails (du mois de mai)…

Et voilà presque, à nouveau, un article…

Bien à vous,

Titus Curiosus »

_ c’était le 6 juillet à 19h37 ;
et c’est maintenant le 9 à 7h17,
ou 18, ou 19, et même 20…
« Tout coule« , dit Héraclite ; ou,
pour Andrew Marvell
« But at my back I always hear
The winged charriot of Times running near
« …

Et à la relecture, le 11 juillet à 9h01…

Attraverso Milano : le carton d’invitation alla mostra

04juil

 A propos de la photo du carton d’invitation

In allegato trovate l’invito alla mostra « Attraverso Milano » di Bernard Plossu
che inaugurerà mercoledì 16 aprile dalle ore 18 alle 21
presso la Galleria Bel Vedere
via Santa Maria Valle, 5
20123 Milano,

cet échange de mails-ci :

De : Titus Curiosus
Objet : Courir après son ombre en quel couloir ? En minuscules géantes : Milano !…
Date : 6 mai 2008 06:52:31 HAEC
À : Bernard Plossu

La photo du carton pour « Attraverso Milano » est fabuleuse :

cette course _ chacun seul, isolé, contre les autres _ glissant à la poursuite de son ombre
(qui les précède ici, au lieu de les accompagner, les suivre)
dans quelque profond couloir de ville,
sans que les pieds même touchent (ou réussissent à atteindre) le sol
_ les engloutirait-il donc ?.. _,
paraît emblématique d’une kafkaïenne Milan…

« A travers » quoi donc, filent de tels vivants en manteaux,
en de tels couloirs urbains rectilignes,
droit devant, au plus vite ?

Et en dessous de quels filets tendus, habiles et plus légers qu’eux, par dessus ce « boyau » ?

Filant droit, et comme fuyant des gratte-ciels ?

Sans nulle porte qui puisse s’ouvrir, sur le côté
_ quelque bar, quelque café _,
pour les accueillir, les recueillir, à leur passage
_ en fait dans cette fuite précipitée…

Ou quand la Milano de Buzzati rejoint sans confraternité la Praha de Kafka…
dans le plus banal du quotidien d’ hommes _ pas de femmes
, semble-t-il _ à cartables…

Milano :
ou une autre ville du « Procès« , du « Château » et de « L’Amérique » tout ensemble,
avec tout de même aussi quelque touche d’italianité,
ne serait-ce que cette « marque » hautement repérable de loin
tout en haut de l’immeuble :
« ca intesa », en minuscules géantes…

Titus

De : Bernard Plossu
Objet : Rép : « Courir après son ombre en quel coul…
Date :     22 mai 2008 07:48:12 HAEC
À : Titus Curiosus

oui rousseau et kafka

c’est formidable tes commentaires !

necessaire .


plo

De : galleria bel vedere
Date : 10 avril 2008 15:30:39 HAEC
À : undisclosed-recipients:;

In allegato trovate l’invito alla mostra « Attraverso Milano » di Bernard Plossu che inaugurerà mercoledì 16 aprile dalle ore 18 alle 21 presso la Galleria Bel Vedere.

Cordiali saluti

Maria Luisa Olgiati=

Ivitation de la galleria Bel Vedere à l’exposition Attraverso Milano de Bernard Plossu

Titus Curiosus, ce 4 juillet

Musique d’après la guerre

04juil

Modifications, ce 28 juin 2020, de la présentation de mon article Musique d’après le guerre

qui,

juste après l’article programmatique Le Carnet d’un curieux,

a inauguré ce blog En cherchant bien, le 4 juillet 2008.

Cependant, au bas de ce très long premier article de ce blog,

je conserve, à titre de témoin,

et ad libitum,

la version originale de cet article, rédigé il y a près de douze ans, le 4 juillet 2008.

Les 3 « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir, par le Quatuor Diotima (CD Alpha 125)


durosoir_alpha.JPGComme en prolongement musical à « Jeudi saint«  (de Jean-Marie Borzeix _ aux Éditions Stock),


bien qu’il ne s’agisse pas de la même guerre,
ni, a fortiori, des mêmes excès
dans l’insupportable de l’horreur,
de l’atroce
_ comment le dire ? _
auxquelles ces deux guerres
(dites « mondiales« , les deux :
que leur est-il donc par là comme « reconnu » : rien qu’une aire géographique ?… chercher l’erreur…) ;
dans l’insupportable de l’horreur _ atroce _,
auxquelles ces deux guerres
donnèrent lieu :
Claude Mouchard convoque, lui, pour son grand livre,

(« Qui si je criais ?… œuvres-témoignages dans les tourmentes du XXème siècle« , aux Éditions Laurence Teper, en octobre 2007) ;
le terme de « tourmentes« , au pluriel ;

or c’est bien,
et ce n’est pas fréquent,
à une telle « œuvre-témoignage« 
et, sinon « de dedans » une de ces « tourmentes » (de l’horreur) du XXème siècle,
du moins « dans » les « séquelles » d’une de ces « tourmentes« -ci,
et de séquelles sans fin (ni remèdes),
dans l’impossibilité de tout à fait jamais « se remettre« 
de ce ni plus ni moins que « suicide civilisationnel« 
_ on peut relire « Le monde d’avant _ souvenirs d’un Européen » (« Die Welt von Gestern – Erinnerungen eines Europäers« ), de Stefan Zwieg (1881-1942),
un livre majeur pour comprendre l’Histoire,
publié, posthume, en 1948 (disponible dans la collection du « livre de poche« ) ;
Stefan Zweig et son épouse, Lotte Altmann, s’étant physiquement donnés la mort à Petropolis, au Brésil

(où ils avaient trouvé refuge, outre-Atlantique, en 1941),
le 23 février 1942,
à un moment d’un peu plus intense découragement que d’habitude,
en cette éprouvante « Seconde Guerre Mondiale« , avec ses génocides à si considérable (à la puissance n) échelle _ ;

dans l’impossibilité, donc, de « se remettre« 
de ce « suicide civilisationnel« 
que fut pour notre Europe _ et donc pour nous, Européens en lambeaux que nous sommes
(cf mais pas seulement, hélas, l’implacable livre de Czeslaw Milosz, « Une Autre Europe« , paru aux Éditions Gallimard en 1964 et réédité en 1980) _
cette première « Grande Guerre« 
_ la seule à laquelle soit attaché, jusqu’ici du moins, cette expression _ ;

or c’est bien en effet à une telle « œuvre-témoignage » que,
avec cette sublime
_ sans abuser de ce mot, j’ose espérer :
qu’on se reporte, pour le vérifier, au si beau travail de Baldine Saint Girons,
depuis « Fiat lux _ une philosophie du sublime » (aux Éditions Quai Voltaire, en février 1993),
jusqu’à « L’Acte esthétique » (aux Éditions Klincksieck, en janvier 2008),
et « Le Sublime, de l’Antiquité à nos jours« , aux Éditions Desjonquères, en mars 2008) _ ;

que, avec cette sublime musique,
nous avons ici à faire :


avec cette « musique d’après la guerre« 

_ guerre dont on ne se remet pas… _,



que sont les 3 « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir.

Même si la force phénoménale de ce « témoignage« -ci de musique
_ sans se méprendre
si peu que ce soit
sur ce en quoi peut « consister » pareil « témoignage » ! _ ;

même si la force phénoménale de pareil « témoignage » (de musique)
est très indirecte,
distanciée :


sans description, bien sûr, d’abord,
ni brut « expressionnisme » ; tout est « transfiguré »


(est-ce « nocturnement« , à la Schoenberg _ de « La Nuit Transfigurée » ? _ ;
en tout cas, passé
par le filtre puissant
d’un classicisme « à la française« )


par une maîtrise _ par soi, sur soi (de l’auteur, compositeur, créateur) _ d’une extrême richesse (et vie) :


maîtrise _ et à un haut degré _ de l’écriture musicale, et au-delà encore,
maîtrise de très brûlants affects, toujours, toujours :


ce qu’est, et en quoi « consiste » _ tient avec lui-même, par son ensemble, et par rapport au reste _, un Art ;
et majeur.


Sublime, oui.

Les 3 « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir,
non publiés par lui,
ni donnés en concerts publics,
non plus,
comme le reste de son œuvre _ une quarantaine d’opus _, demeuré « privé« ,
pour un cercle (« intime« ) d’amis interprètes probablement

_ un phénomène qui donne pas mal à penser ;
d’autant mieux quand on découvre quels « chefs d’œuvre » ce sont :


c’est donc que la musique, ou qu’une « œuvre« , plus généralement, peut avoir d’autres fonctions
et « usages »
qu’une façon
_ l’argent _ de « gagner sa vie« ,
ou de se faire reconnaître
_ la célébrité, voire la gloire _ et admirer ;


comme le virtuose du violon qu’avait été,
avant de se « réduire » en quelque sorte lui-même
_ mais est-ce là « réduction« , ou pas, bien plutôt, « consécration » ? _
à l’essentiel » ?


avant de se « réduire« -« concentrer« , faut-il peut-être dire,
outre à vivre le quotidien

_ je pense ici à ce que concevait de son « vivre le quotidien »
un Albert Cossery,
qui vient de disparaître (3 novembre 1913 – 28 juin 2008),
l’auteur des « Fainéants dans la vallée fertile » (en 1948) et de « Mendiants et orgueilleux » (en 1955) :
deux titres disponibles en « Œuvres complètes«  aux Éditions Joëlle Losfeld, en octobre 2005 _ ;

avant de se « réduire« -« concentrer« , donc,
outre à vivre le quotidien,

à l’essentiel que fut pour lui cette activité intime,
privée (non publique)
de compositeur-créateur d’œuvres, en sa « retraite » (-« retrait« ) des Landes,
« du côté de Mont-de-Marsan« , ou Dax, ou Peyrehorade, « à la campagne » (du pays d’Orthe) ;

comme le virtuose du violon qu’avait été


_ comme en une « vie antérieure«  :
d’interprète brillant
et célébré avec éclat
sur les grandes « scènes de concert » d’Europe : Paris, Berlin, Vienne, etc… _ ;

comme le virtuose du violon, donc, qu’avait été
l’individu Durosoir, Lucien,
avant son « passage« ,
de 14 à 18
,
par la condition, l’uniforme, et le fusil de soldat au front,
dans les tranchées sous la mitraille… ;

les 3 « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir

_ je reprends le sujet de ma phrase principale ! _,
constituent,
sous la forme d’un CD interprété,
et avec quelle intensité,
par le Quatuor Diotima
_ le CD Alpha 125 :  « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir _
;
constituent
une sorte d’urgence musicale rare

pour qui ne craint pas
de se laisser toucher et emporter profond et fort par la beauté somptueuse et « d’absolue nécessité » de la musique ;

urgence musicale, donc, et d’abord d’écoute, pour nous « amateurs » de musique,

que je me fais un devoir de signaler ici en priorité
(de ce blog « En cherchant bien« …) :


d’un CD qui nous fait rien moins
qu’accéder
ou accoster, mais
(de même qu’existent, cousines des « bouteilles à la mer« ,
des « bouteilles à la terre »
et des « bouteilles aux cendres » :
celles d’un Yitskhok Katzenelson, au Camp de Vittel,
et celles d’un Zalman Gradowski, à Auschwitz, lui) ;


accoster, donc, mais
on ne peut plus terriennement,

à « tout un continent musical«  _ rien moins, en effet ! _
oublié, négligé
(et d’abord _ et parce que _ inédit au disque,
comme au concert,
et comme en éditions en partitions !

et dans tous les sens du terme : proprement inouï !) :

parce que le musicien compositeur créateur de ces œuvres,
Lucien Durosoir 
(Boulogne-sur-Seine, 1878 – Bélus, 5 décembre 1955),
se tenait à l’écart des côteries et milieux-de-la-musique de la capitale,
retiré,
en 1923, à l’âge de quarante-cinq ans,
dans les Landes
, du côté de Dax _ à Bélus _, pour l’essentiel _ ;

quand on sait que la musique, pour être accessible
autrement qu’au « premier cercle » des musiciens-interprètes et des lecteurs de partitions :
la musique pouvant pleinement « parler » à ceux-là rien que « lue » (en notes écrites sur portées) ;

la musique, donc,
a besoin, au-delà du « premier cercle » des « lecteurs » (de partitions),
d’interprétations effectives, sonores,

retentissant physiquement, grâce aux instruments (et voix) qui s’expriment (c’est-à-dire qui « chantent« ),
dans l’air tout alentour vibrant et tremblant du concert de leurs résonances d’ondulations vibratoires en expansion

et jusqu’aux tympans, effleurés, au sein de l’oreille,
et bien plus outre encore,
par le lacis en mille ruisseaux (ruisselets, rus, sources vives) des nerfs auditifs :


dans le labyrinthe même de l’âme ;

la musique a besoin,
pour les non lecteurs-déchiffreurs de partitions,

d’interprétations effectives et incarnées

soit au concert,
cette grâce, physiquement et sensuellement partagée en un même moment et lieu,
incomparable quand elle advient
(et prend, par quelque miracle, « consistance » : légère comme une gaze, qu’on ne prenne pas peur !),

soit par la médiation
(un plus large quant au moment et au lieu,
mais qui peut aussi se faire très intense, quand la grâce, à ce micro-là, a pu se faire _ et au mieux _ capter, recueillir, et garder,
pour re-jaillir très loin, dans l’espace comme dans le temps, ailleurs que dans la salle du concert ou de l’enregistrement) ;

par la médiation, donc, de l’enregistrement et du disque (d’un concert ad hoc) ;

et parce que ce musicien,
Lucien Durosoir, donc,
en son passage de soixante-dix-sept ans de vivant-mortel (pardon du pléonasme) sur la terre, entre 1878 et 1955,
avait été profondément _ le terme, faible, est mal approprié _,
et irréversiblement « marqué »
_ un parmi tant d’autres _
par ce qu’il avait subi, vécu, souffert, res-senti, de toutes ses fibres,
« dans » les « tranchées » sous la mitraille de 14-18.


C’est à cela :


à ce degré d’humanité-là

_ je veux dire :
« degré d’humanité » que peut parvenir à exprimer en une « œuvre«  vraie un artiste « vrai » par là même,
en son génie créateur singulier _

et à cela :
à ce « continent« 
,
puisque c’est le mot
me paraissant représenter le moins mal ce « cela« , cette formidable « réalité« -là :

mais en quoi un tel « degré d’humanité » ne pourrait-il pas « constituer » un « continent » ?

face à la masse tellement monstrueuse, et, aussi, sournoise
(car honteuse, en dépit de ce qui ne manque pas de lui échapper, par bouffées, de cynisme),
et s’en cachant (et « niant » effrontément) par de nouveaux mensonges persistants
_ de type « arbeit macht frei« , ou « chambres à gaz » déguisées, en forme d’hygiène (vertueuse) affichée, en « salles de douches«  _ ;

face à la masse monstrueusement sournoise
de la « barbarie » (de la mitraille dans les tranchées ; et sa moisson de vies, toutes si précieuses, par millions, et une par une, instant après instant, « fauchées« )

à laquelle lui, Lucien Durosoir, comme tant d’autres « survivants » de l’atroce, s’est trouvé devoir faire face, et survivre,

face à ces insupportables moments-là
des tranchées sous la mitraille de la « Grande Guerre » ? ;

c’est à « cela« , donc,

que les 3 « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir,
en l’espèce de leur interprétation par le Quatuor Diotima
,
quelques jours d’enregistrement
au Centre Culturel de Rencontre La Borie en Limousin
_ et le lieu sans doute aussi compte _,
de décembre 2007,

nous donnent à accéder,

recevoir, partager, à notre tour,
par ce si beau CD Alpha 125
.


Sans qu’il nous faille,

pour ressentir le degré de « tourmente » de ce qui a pu être vécu, subi, souffert, supporté d’insupportable (aux limites de l' »humain« ), en cette « Grande Guerre« ,
lire ou relire les « témoignages » peut-être plus directement accessibles, du moins comme « témoignages » « directs« , par nous, qui pensons d’abord sans doute, et nous représentons le réel, à travers des mots et à travers des phrases, en leurs propres façons _ chacun d’eux _ (par le verbe) de le « phraser »
_ plus « directs » peut-être ainsi pour nous
que cette « musique d’après la guerre« , ainsi que je me permets ici de la nommer ; et qui ne « s’affiche » en rien comme « témoignage« , et de quoi que ce soit : elle est, et on ne peut plus fondamentalement, « musique » ! _ ;

sans qu’il nous faille lire, donc, les « témoignages » écrits, eux,
d’Erich Maria Remarque (1998-1970 :
en 1929, « Im Westen nichts neues« , »À l’Ouest rien de nouveau » _ disponible en « le livre de poche« ) ;
de Maurice Genevoix (1890-1980 :
cinq volumes écrits entre 1916 et 1923 _ « Sous Verdun » (1916), « Nuits de guerre » (1917), « Au seuil des guitounes » (1918), « La Boue » (1921), « Les Éparges » (1923), tous parus chez Flammarion, et rassemblés par la suite sous le titre « Ceux de 14 » en 1949, disponible en Points-Seuil) _ ;
ou, plus indirect, mais si intense et si puissant, de Jean Giono (1895-1970 :
son œuvre entier prenant toute sa dimension, et elle est immense, à partir de ce « traumatisme » du « front« , à Verdun et au Mont-Kemmel, pour lui :
qu’on lise et relise et se laisse « atteindre » par « Un roi sans divertissement« , ou le cycle du « Hussard sur le toit » , disponibles en Folio) ;
ou encore celui, philosophique, du philosophe Alain (1868-1961 :
en 1921, « Mars ou la guerre jugée« , accessible en Folio)…

Les trois « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir voient le jour, le Quatuor n° 1 (en fa mineur), en 1920 ; le Quatuor n° 2 (en ré mineur), en 1922 ; et le Quatuor n° 3 (en si mineur), en 1934.


Ce sont des œuvres que je permets d’estimer à la hauteur
_ si cela a quelque sens : oui,
par rapport à ce qui « n’y atteint pas » ;
pour ne rien dire des impostures tenant le haut-du-pavé
des opinions inconsistantes
(mais pouvant aller jusqu’à « décourager« , par leur massivité, de jeunes ou timides encore curiosités ;
lire ici l’important « Prendre soin _ De la jeunesse et des générations » de Bernard Stiegler, aux Éditions Flammarion, en février 2008 ),
des préjugés
et du commerce veule, dont d’abord celui de la « grande distribution« , de l’audimat, si l’on veut : aux dégâts d’ampleur catastrophique _ ;

ce sont des œuvres que je permets d’estimer à la hauteur, donc,
de ces sommets du genre (du quatuor)
que sont le « Quatuor » de Debussy
(en sol mineur) et le « Quatuor » de Ravel (en fa Mineur).

Elève d’André Caplet (1878-1925) _ pour la composition (Durosoir et Caplet ont exactement le même âge) _,
et ami _ dans les tranchées _ du violoncelliste Maurice Maréchal,
Lucien Durosoir fut un musicien rare,
peut-être d’exception
:


« jalousement indépendant pendant les trente années de sa période créatrice,
faisant fi de tous les académismes
« ,
le compositeur qu’il devient en 1919
_ il n’était jusque là (de 1899 à 1914) qu’interprète (violoniste virtuose) _
« se démarque de ses contemporains français par l’originalité et la modernité de son écriture.« 

« Sa démarche«  de créateur semble consister à placer une puissante affectivité
_ et c’est un euphémisme _
sous le « contrôle » d' »une science (et art) de l’écriture implacable« ,
« comme chez les grands contrapuntistes de l’école franco-flamande du XVIème siècle« ,
et ce qui s’appela, du temps de Josquin des Près, « musica reservata » ;


car c’est en cette « tradition » _ peut-être, avec Josquin, au sommet de toute la musique occidentale ! _ « que cet homme de grande culture humaniste trouve l’assouvissement de ses aspirations » de pensée _ oui _ les plus profondes.


Je traduis ici, en l’adaptant légèrement, une réflexion de Georgie Durosoir aux pages 19 et 20 du livret du CD Alpha 125.

Nouveaux sommets de la musique française, après les chefs-d’œuvre de Debussy et de Ravel, sur fond de cette gravité profonde
toujours présente
, même si sous des dehors badins, dans les « œuvres » qui en soient « vraiment« ,
_ telles celles, par exemple d’un Marivaux, pour prendre un exemple éloigné en apparence de celles, musicales, que donne ici Lucien Durosoir _,


les trois « Quatuors » de Lucien Durosoir me paraissent parfaitement consonner (aussi) avec « Jeudi saint«  de Jean-Marie Borzeix,
dans l’ordre d’une richesse et d’une grandeur sans pathos,
« à la française« …


Dont Debussy et Ravel sont peut-être les meilleurs exemples, pour la musique (pour ces deux « Quatuors« , cf la version du Parkanyi Quartet : CD PRD/DSD 250 208 chez Praga Digitals).

Sans remonter, par François et Louis Couperin (cf les CDs Alpha 062 : François Couperin : « La Sultanne. Préludes & Concerts royaux« , par et sous la direction d’Elisabeth Joyé ; et Alpha 026 : Girolamo Frescobaldi _ Louis Couperin, par Gustav Leonhardt) jusqu’à Josquin des Près…

alpha-105.JPG

Les Éditions Alpha ont déjà publié, en 2006, la « Musique pour violon & piano«  de Lucien Durosoir (par Geneviève Laurenceau & Lorène de Ratuld, CD Alpha 105).


Et poursuivront la réalisation d’une interprétation intégrale de l’œuvre de Lucien Durosoir au disque.


« Retiré dans le sud-ouest de la France dès 1923,
Lucien Durosoir n’avait semblé souhaiter ni se mêler à la vie artistique parisienne de l’après-guerre,
ni publier ses œuvres immédiatement.
Il comptait pour cela sur le futur.
Le futur, ce devait être une nouvelle guerre,
durant laquelle sa maison fut, un temps, occupée par l’ennemi,
et sa production, interrompue, ne serait-ce que par le manque de papier à musique
 »
_ notait sa belle-fille, Georgie Durosoir, dans le livret du premier CD Alpha (105) consacré à la « Musique pour violon & piano«  de Lucien Durosoir.

Dans le livret du CD (125) consacré aux 3 « Quatuors à cordes« , la musicologue et musicienne bien connue qu’est Georgie Durosoir présente ceux-ci ainsi :


« La pratique du contrepoint domine l’écriture (…) comme le geste le plus apte à rendre compte du monde sonore intérieur
et de la construction intellectuelle propres au compositeur.
Toutes les finesses techniques sont sollicitées dans une réécriture constante des motifs,
leur réutilisation sous des formes inattendues, dans des contextes très différents de leur première apparition,
dans des transfigurations rythmiques et nuancielles.
La circulation des thèmes essentiels à travers plusieurs mouvements
fait de ces trois quatuors des œuvres plus ou moins résolument cycliques.
La tonalité, assumée comme fondatrice, se dissout dans une abondance d’altérations
qui créent des rencontres sonores inattendues
et une harmonie très personnelle.
Les superpositions rythmiques tendent à densifier le tissu instrumental
et à brouiller la stabilité rythmique.
La configuration musicale d’atmosphères poétiques inouïes
est égalisée par la conjonction d’éléments de timbre
(registre suraigu des instruments, trémolos pianissimo proches du bruissement, couplage des registres des régimes extrêmes),
de rythme (brouillage de l’impression de stabilité par superposition de contraires),
d’harmonie (altérations inattendues, modifications minimes de motifs déjà entendus, détournements passagers et multiples de la tonalité).
C’est ce parti-pris d’écriture qui fonde le côté savant, complexe, fouillé des compositions.


(…)
En complément de la démarche savante,
les composantes subjectives, affectives du musical
envahissent l’œuvre
(dans les notations agogiques,
la construction en sections contrastées,
l’opposition de développements agités, violents et combatifs et de séquences méditatives, statiques et doucement chantantes).
Le sens intime de l’écriture complexe apparaît alors clairement :
le contrepoint est le médiateur d’un monde sonore riche, divers et plein de contrastes,
doublé d’une affectivité douloureuse et contradictoire :
il est le garant d’une énergie contenue,
d’un balisage sévère de cette recherche éperdue d’expression personnelle ;
il dresse de solides palissades qui canalisent le déferlement de sentiments aussi puissants
que la révolte ou le désespoir,
éminemment fondateurs de la musique de cet homme à la fois douloureux et enthousiaste.
 »

Qu’ajouter à pareille analyse ?

En appendice,
je me permettrai d’ajouter cet échange de mails, récemment,
autour des  3 « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir (CD Alpha 125) :

Courriel du 23 mai (15h45) :

Au sortir de ma première écoute _ une seule à ce moment _ de ces quatuors de Durosoir par le Quatuor Diotima,
j’ai le sentiment d’avoir été convié à mettre un pied sur un « nouveau continent » :
rien moins !

Comme,
toutes choses étant égales par ailleurs,
avec certaines des réalisations du Poème harmonique

Airs et ballets en France avant Lully(par exemple l’album d' »Airs & Ballets en France avant Lully »
_ d’Antoine Guédron, Antoine Boesser et Etienne Moulinié, de CDs antérieurs ainsi rassemblés,

_ CD Alpha 905)
pour le premier dix-septième siècle :
ce n’est donc pas peu, me semble-t-il.

J’espère que les oreilles de la critique vont se « désembourber » de leurs bouchons de cerumen,
et de leurs petits maniérismes de cliques, de cercles, d’initiés qui méprisent tous les autres !!!

Alpha réalise ici un travail de pionnier…

Courriel du 23 mai (16h37) :

Et en plus le texte du livret est magnifique !

Particulièrement à qui sort de la lecture de « Qui, si je criais… » de Claude Mouchard,
dont le sous-titre est
« Œuvres-témoignages dans les tourmentes du XXème siècle »…

Que Lucien Durosoir ait été « indépendant », et « hors-groupes »,
cela s’entend magnifiquement en cet oeuvre,
et rend raison de sa méconnaissance du public jusqu’à aujourd’hui…

L’heure de la reconnaissance sonne peut-être par ce disque, déjà,
s’il reçoit l’écoute _ et l’ampleur d’écoute _
que cet oeuvre d’un immense musicien, dans son coin (des Landes, peut-être), mérite…

Un peu loin des côteries parisiennes, sans doute…

Georgie Durosoir doit être satisfaite d’écouter de nouveau cela à ce niveau de grâce,
et de profondeur.

Merci à tous ceux qui ont contribué à faire parvenir pareille musique
jusqu’à notre écoute.

Tu peux transmettre ce message à Georgie Durosoir.
Je l’avais contactée il y a quelques années lors de mes recherches « baroques »…

Et dès que mon blog sur mollat.com sera ouvert,
j’en traiterai
_ peut-être (ou même sans doute) dans le prolongement de mon premier article,
sur le livre magistral de Saul Friedländer (et ce qui peut l’accompagner)…

Courriel du 23 mai (20h54) :

Cher monsieur,

J-P C. m’a transmis votre message et j’en ai été touchée. Votre nom, en effet, m’a renvoyée à un souvenir assez ancien…
Je suis heureuse de la sortie de ce beau disque et je suis persuadée que cette musique touchera le cœur et l’intelligence de beaucoup d’auditeurs.
Je vous remercie pour la qualité de votre écoute et pour ce chaleureux message
Bien à vous
Georgie Durosoir

Courriel du 23 mai (22h37) :

Chère Madame,

L’Art est fondamentalement sens,
à côté des impostures et des bavardages.

Ce n’est pas à vous, et à votre travail « de fond » sur le Haut-Baroque, que j’apprendrai quelque révélation sur ce que cet Art-là avait (et a) de « vectoriel »….
Le Baroque m’a notamment touché, en effet, par ce « pouvoir » de « présence »-là…

Ce qui était (et est toujours) vrai du « Baroque »
_ à un moment d’inquiétude de la foi, et de querelles théologiques (sur les Mystères _ dont celui de la transsubstantiation) _
a poursuivi son questionnement taraudant, dans ce qui a succédé au Baroque,
dans une quête peut-être de plus en plus angoissée, sans doute, du sens _ à force de le « refouler » ! _,
dont témoigne ce que Nietzsche a qualifié de « nihilisme ».

C’est en artiste, en musicien, et passant à la création aussi et peut-être surtout, que votre beau-père a survécu _ et vécu ce qui a suivi _ à la « Grande Guerre ».
Avec profondeur, sans comportement de « groupe », avez-vous souligné…
J’y suis sensible, car je réfléchis un peu à ce que disent d’autres artistes d’autres horreurs qui ont suivi.

J’ai ainsi écrit il y a deux ans sur « Liquidation » d’Imre Kertész… Etc…

Courriel du 2 juin (5h36) :

Chère Madame,

Découvrant au réveil la réception du CD Alpha 125 par Christophe Huss,
sur le site Classics-Today France,
je m’empresse de vous en faire part : nous nous trouvons donc sur une même « longueur d’ondes »,
et c’est réjouissant de constater la « merveille » de l’oeuvre reconnue…
En croit-on toujours assez ses propres oreilles, au royaume des mal-entendants ?..

Voici l’article
_ les expressions en gras sont de mon initiative :

LUCIEN DUROSOIR
Les trois « Quatuors à cordes« 

Quatuor Diotima

ALPHA 125(CD)
Référence: premières mondiales

Pour que cet immense disque prenne sa vraie valeur, je vous suggère de baisser un peu le volume d’écoute, car la prise de son découpée au rasoir de Hugues Deschaux, nous met les oreilles dans le vif du sujet et n’élude rien des sonorités un rien agressive du Quatuor Diotima.

Les violonistes du Quatuor Diotima ne valent pas ceux des Quatuors Prazak ou Emerson. Mais les Prazak ou les Emerson n’enregistrent pas Durosoir… Or ce disque est littéralement vertigineux. Surtout au moment où il paraît… En effet, l’interprétation de la « 2e Symphonie » de Roussel par Stéphane Denève (Naxos) a mis le doigt sur une noirceur, une amertume post-Grande Guerre dans une certaine création musicale française, qui n’avait jamais été mise en avant à ce point. Or les « Quatuors » de Lucien Durosoir (1878-1955) expriment exactement cela. Ils illustrent un pan de la création musicale française, loin de l’élégance de Debussy et Ravel, qui produit des oeuvres ressemblant à un écho grave et amer de la tragédie de la guerre.

Plus encore que dans la « 2e Symphonie » de Roussel, on a l’impression d’entendre ici, quarante ans avant, les prémices des grandes oeuvres de Chostakovitch. Les mouvements lents des « Quatuors » n° 1 et 2, notamment, sont une plongée abyssale dans la noirceur du monde. On notera par exemple à quel point dans la Berceuse du « Quatuor n° 2″ la mélodie qu’on attend n’éclot jamais (un peu comme cet allegro qui n’arrive pas dans la « Symphonie funèbre » de Joseph Martin Kraus). Les flottements harmoniques, les frottements aussi, une sorte d' »incertitude du lendemain » (dans le sens où on ne peut pas deviner la phrase ou la note qui va suivre) sont les caractéristiques de ces partitions.

On le pressent à l’écoute : Durosoir est un musicien de la Grande guerre. Violoniste, il y rencontra le violoncelliste Maurice Maréchal et le compositeur André Caplet. Et c’est vrai que c’est à l’énigmatique Caplet qu’il faut le comparer. La notice propose de remarquables analyses des œuvres, qu’il serait inepte de paraphraser. Mais certaines assertions décrivent très bien en fait ce à quoi on est en droit de s’attendre et méritent d’être citées :

« La circulation des thèmes essentiels à travers plusieurs mouvements fait de ces trois quatuors des oeuvres plus ou moins résolument cycliques. La tonalité, assumée comme fondatrice, se dissout dans une abondance d’altérations qui créent des rencontres sonores inattendues et une harmonie très personnelle. Les superpositions rythmiques tendent à densifier le tissu instrumental et à brouiller la stabilité rythmique. » Vous le comprenez à partir de ces données : l’univers de Durosoir est un monde instable où tout est perpétuellement remis en cause.

Ce n’est pas le chemin de la facilité auquel nous invite ce compositeur injustement méconnu. Ses compositions reposent sur une image sonore rude due à la trituration du matériau musical et à « l’indépendance dans la fusion » qu’il exige de la part de ses musiciens. Le Quatuor Diotima est à la hauteur de ces défis. Aux auditeurs, maintenant, de graver les pentes escarpées de ce massif d’une imposante exigence.

Voilà pour cet article de Christophe Huss. Je suis heureux que ces œuvres si puissantes d’un immense compositeur trouvent le chemin de nos oreilles, de nos cerveaux, de nos pensées, de nos coeurs : de quoi « faire monde »… Ou l’alchimie de l’Art, authentique…

Bien à vous

Courriel du 2 juin (9h32) :

Cher monsieur,

Je suis encore sous le coup de l’émotion que m’a procurée la lecture de la critique de Christophe Huss !
Je vous remercie vivement de me l’avoir fait connaître.

J’aurai d’ailleurs d’autres émotions à intégrer, au fur et à mesure de la lecture (lente, en cette période surchargée) des textes que vous m’avez adressés.
Je sais gré à J-P C. de m’avoir mise en relation avec vous car, à mon âge, on ne recherche plus que des gens de vérité et de sincérité.
J’espère vous rencontrer un jour…
Bien à vous
Georgie Durosoir

Courriel du 2 juin (19h09) :

Vérité
ainsi que courage de l’affirmer et la partager,
voilà ce que nous donnent généreusement le « génie » (au sens de Kant) des artistes,
des « auteurs »,
selon le terme qu’utilise Marie-José Mondzain en son « Homo spectator » (chez Bayard) ;
et qui donne un « élan » et un « relais » chez ceux qui s’en font les « acteurs »
(ou interprètes),
et puis, encore, à leur double impact, une « reprise » et une « relance », chez ceux qui, à leur tour, deviennent de vrais et actifs « spectateurs »,
selon ce qu’Albine Saint-Girons appelle, elle, « L’Acte esthétique »
(chez Klincksieck : en une collection qui vous compte parmi ses auteurs)…

J’ai moi aussi l’âge du « décantement »
_ le mot existe-t-il en français ; ou la « décantation »…
_,
car « At my back i always hear The winged charriot of Times » _ disait Andrew Marvell (« To his coy mistress »)…

Aller à l’essentiel, délaissant mondanités et courbettes ;
et s’enchanter de l’enchantement des œuvres enchanteresses des enchanteurs que sont ces artistes…

Que de trésors patientant d’être si peu que ce soit « rencontrés »…

Si vous avez la patience de dérouler les phrases enguirlandées de mes promenades « montaniennes »,
vous retrouverez ces émotions-là,
ce qu’inlassablement je recherche par les livres, les disques, les catalogues d’exposition de peinture, ou de photographie, les films, les représentations de théâtre, les concerts, les conférences,
les conversations et les rencontres aussi, bien sûr,
les voyages avec arpentages de villes, ou de paysages : le monde s’enrichissant des mondes de chacun des créateurs…

J’aurais moi aussi plaisir à faire votre connaissance…
Comme la suite des œuvres de votre beau-père.


Une dernière pièce à ce « dossier » de l’artiste :


Luc Durosoir, le fils de Lucien Durosoir, a publié en octobre 2005 aux Editions Tallandier « Deux musiciens dans la Grande Guerre » (accompagné d’un CD inédit d’œuvres de Lucien Durosoir :  » Trois pièces pour violoncelle et piano » de 1931, « Divertissement« , « Maïade » et « Improvisation » _ interprétées par Raphaël Merlin au violoncelle et Johan Farjot au piano) dédiées par Lucien Durosoir  à son ami (et compagnon dans les tranchées de la « Grande Guerre« ) le violoncelliste Maurice Maréchal (1892-1964).

Je viens de me procurer ce livre, qui contribue aussi à l’hommage (filial) à ce créateur : il est constitué de « Lettres du front » de Lucien Durosoir (août 1914 – novembre 1918) ; et de « Carnets de guerre » de Maurice Maréchal (3 mai 1914 – 5 novembre 1918). Avec aussi un cahier de photos (dont certaines d’André Caplet, que Lucien Durosoir considérait comme son maître en composition).

Titus Curiosus, le 2 juillet 2008

Et, à titre documentaire, voici l’état originel de cet article, à la date du 4 juillet 2008.

les « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir, par le Quatuor Diotima (CD Alpha 125)

durosoir_alpha.JPG Comme en prolongement musical à « Jeudi saint«  (de Jean-Marie Borzeix _ aux Editions Stock),
bien qu’il ne s’agisse pas de la même guerre,
ni, a fortiori, des mêmes excès
dans l’insupportable de l’horreur,
de l’atroce
_ comment le dire ? _
auxquelles ces deux guerres
(dites « mondiales », les deux :
que leur est-il donc par là comme « reconnu » : rien qu’une aire géographique ?… chercher l’erreur…) ;
dans l’insupportable de l’horreur _ atroce _,
auxquelles ces deux guerres
donnèrent lieu :
Claude Mouchard convoque, lui, pour son grand livre,

(« Qui si je criais ?… œuvres-témoignages dans les tourmentes du XXème siècle« , aux Editions Laurence Teper, en octobre 2007) ;
le terme de « tourmentes« , au pluriel ;

or c’est bien,
et ce n’est pas fréquent,
à une telle « œuvre-témoignage« 
et, sinon « de dedans » une de ces « tourmentes » (de l’horreur) du XXème siècle,
du moins « dans » les « séquelles » d’une de ces « tourmentes« -ci,
et de séquelles sans fin (ni remèdes),
dans l’impossibilité de tout à fait jamais « se remettre »
de ce ni plus ni moins que « suicide civilisationnel« 
_ on peut relire « Le monde d’avant _ souvenirs d’un Européen » (« Die Welt von Gestern – Erinnerungen eines Europäers« ), de Stefan Zwieg (1881-1942),
un livre majeur pour comprendre l’Histoire,
publié, posthume, en 1948 (disponible dans la collection du « livre de poche ») ;
Stefan Zweig et son épouse, Lotte Altmann, s’étant physiquement donnés la mort à Petropolis, au Brésil

(où ils avaient trouvé refuge, outre-Atlantique, en 1941),
le 23 février 1942,
à un moment d’un peu plus intense découragement que d’habitude,
en cette éprouvante « Seconde Guerre Mondiale« , avec ses génocides à si considérable (à la puissance n) échelle _ ;

dans l’impossibilité, donc, de « se remettre »
de ce « suicide civilisationnel »
que fut pour notre Europe _ et donc pour nous, Européens en lambeaux que nous sommes
(cf mais pas seulement, hélas, l’implacable livre de Czeslaw Milosz, « Une Autre Europe« , paru aux Editions Gallimard en 1964 et réédité en 1980)_
cette première « Grande Guerre« 
_la seule à laquelle soit attaché, jusqu’ici du moins, ce nom _ ;

or c’est bien en effet à une telle « œuvre-témoignage » que,
avec cette sublime
_ sans abuser de ce mot, j’ose espérer :
qu’on se reporte, pour le vérifier, au si beau travail de Baldine Saint Girons,
depuis « Fiat lux _ une philosophie du sublime » (aux Editions Quai Voltaire, en février 1993),
jusqu’à « L’Acte esthétique » (aux Editions Klincksieck, en janvier 2008),
et « Le Sublime, de l’Antiquité à nos jours« , aux Editions Desjonquères, en mars 2008) _ ;

que, avec cette sublime musique,
nous avons ici à faire :
avec cette « musique d’après la guerre »
,
guerre dont on ne se remet pas…

que sont Les « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir.

Même si la force phénoménale de ce « témoignage« -ci de musique
_ sans se méprendre
si peu que ce soit
sur ce en quoi peut « consister » pareil « témoignage » ! _ ;

même si la force phénoménale de pareil « témoignage » (de musique)
est très indirecte,
distanciée :
sans description, bien sûr, d’abord,
ni brut « expressionnisme » ; tout est « transfiguré »
(est-ce « nocturnement« , à la Schoenberg _ de « La Nuit Transfigurée » ?
en tout cas, passé
par le filtre puissant
d’un classicisme « à la française« )
par une maîtrise _ par soi, sur soi (de l’auteur, compositeur, créateur) _ d’une extrême richesse (et vie) :
maîtrise _ et à un haut degré _ de l’écriture musicale, et au-delà encore,
maîtrise de très brûlants affects, toujours, toujours :
ce qu’est, et en quoi « consiste » _ tient avec lui-même, par son ensemble, et par rapport au reste _, un Art ;
et majeur.
Sublime, oui.

Les « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir,
non publiés par lui,
ni donnés en concerts publics,
non plus,
comme le reste de son oeuvre _ une quarantaine d’opus _, demeuré « privé »,
pour un cercle (« intime ») d’amis interprètes probablement

_ un phénomène qui donne pas mal à penser ;
d’autant mieux quand on découvre quels « chefs d’oeuvre » ce sont :
c’est donc que la musique _ ou qu’une « œuvre« , plus généralement _ peut avoir d’autres fonctions
et « usages »
qu’une façon
_ l’argent _ de « gagner sa vie »,
ou de se faire reconnaître
_ la célébrité, voire la gloire _ et admirer
_ comme le virtuose du violon qu’avait été,
avant de se « réduire » en quelque sorte lui-même,
mais est-ce là « réduction », et pas plutôt « consécration
à l’essentiel » ?

avant de se « réduire »-« concentrer », faut-il peut-être dire,
outre à vivre le quotidien

_ je pense ici à ce que concevait de son « vivre le quotidien »
un Albert Cossery,
qui vient de disparaître (3 novembre 1913 – 28 juin 2008),
l’auteur des « Fainéants dans la vallée fertile » (en 1948) et de « Mendiants et orgueilleux » (en 1955)
_ disponibles en « Œuvres complètes » aux Editions Joëlle Losfeld, en octobre 2005 _ ;

avant de se « réduire »-« concentrer », donc,
outre à vivre le quotidien,

à cette activité intime,
privée (non publique)
de compositeur-créateur d’oeuvres, en sa « retraite » (-« retrait« ) des Landes,
« du côté de Mont-de-Marsan« , ou Dax, ou Peyrehorade, « à la campagne » (du pays d’Orthe) ;

comme le virtuose du violon qu’avait été
_ comme en une « vie antérieure » :
d’interprète brillant
et célébré avec éclat
sur les grandes « scènes de concert » d’Europe : Paris, Berlin, Vienne, etc… _ ;

comme le virtuose du violon, donc, qu’avait été
l’individu Durosoir, Lucien,
avant son « passage »,
de 14 à 18
,
par la condition, l’uniforme, et le fusil de soldat au front,
dans les tranchées sous la mitraille… ;

les « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir

_ je reprends le sujet de ma phrase principale ! _,
constituent,
sous la forme d’un CD interprété,
et avec quelle intensité,
par le Quatuor Diotima
_ CD Alpha 125 :  « les Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir _
;
constituent
une
sorte d’urgence musicale rare
pour qui ne craint pas
de se laisser toucher et emporter profond et fort par la beauté somptueuse et « d’absolue nécessité » de la musique ;

urgence musicale, donc, et d’abord d’écoute, pour nous « amateurs » de musique,

que je me fais un devoir de signaler ici en priorité
(de ce blog « En cherchant bien…) :
d’un CD qui nous fait rien moins
qu’accéder
_ ou accoster, mais
(de même qu’existent, cousines des « bouteilles à la mer« ,
des « bouteilles à la terre »
et des « bouteilles aux cendres » :
celles d’un Yitskhok Katzenelson, au Camp de Vittel,
et celles d’un Zalman Gradowski, à Auschwitz, lui) ;
accoster, donc, mais
on ne peut plus terriennement _

à « tout un continent musical » _ rien moins, en effet ! _
oublié, négligé
(et d’abord _ et parce que _ inédit au disque,
comme au concert,
comme en éditions en partitions !

et dans tous les sens du terme : proprement inouï !) :

parce que le musicien compositeur créateur de ces œuvres,
Lucien Durosoir (1878-1955)
se tenait à l’écart des côteries et milieux-de-la-musique de la capitale,
retiré
_ en 1923, à l’âge de quarante-cinq ans _,
dans les Landes
, du côté de Mont-de-Marsan, pour l’essentiel _ ;

quand on sait que la musique, pour être accessible
autrement qu’au « premier cercle » des musiciens-interprètes et des lecteurs de partitions :
la musique pouvant « parler » à ceux-là rien que « lue » (en notes écrites sur portées) ;

la musique, donc,
a besoin, au-delà du « premier cercle » des « lecteurs » (de partitions),
d’interprétations effectives, sonores,

retentissant physiquement, grâce aux instruments (et voix) qui s’expriment (c’est-à-dire qui « chantent »),
dans l’air tout alentour vibrant et tremblant du concert de leurs résonances d’ondulations vibratoires en expansion

et jusqu’aux tympans, effleurés, au sein de l’oreille,
et un plus outre encore,
par le lacis en mille ruisseaux (ruisselets, rus, sources vives) des nerfs auditifs :
dans le labyrinthe même de l’âme ;

la musique a besoin,
pour les non lecteurs-déchiffreurs de partitions,

d’interprétations effectives

soit au concert,
cette grâce, physiquement et sensuellement partagée en un même moment et lieu,
incomparable quand elle advient
(et prend, par quelque miracle, « consistance » : légère comme une gaze, qu’on ne prenne pas peur !),

soit par la médiation
(un plus large quant au moment et au lieu,
mais qui peut aussi se faire très intense, quand la grâce, à ce micro-là, a pu se faire _ et au mieux _ capter, recueillir, et garder,
pour re-jaillir très loin, dans l’espace comme dans le temps, ailleurs que dans la salle du concert ou de l’enregistrement) ;

par la médiation, donc, de l’enregistrement et du disque (d’un concert ad hoc) ;

et parce que ce musicien,
Lucien Durosoir, donc,
en son passage de soixante-dix-sept ans de vivant-mortel (pardon du pléonasme) sur la terre, entre 1878 et 1955,
avait été profondément _ le terme, faible, est mal approprié _,
et irréversiblement « marqué »
_ un parmi tant d’autres _
par ce qu’il avait subi, vécu, souffert, res-senti, de toutes ses fibres,
« dans » les « tranchées » sous la mitraille de 14-18.

C’est à cela :
ce degré d’humanité-là

_ je veux dire :
« degré d’humanité » que peut parvenir à exprimer en une « œuvre » vraie un artiste « vrai » par là même,
en son génie créateur singulier _

et cela :
ce « continent »
,
puisque c’est le mot
me paraissant représenter le moins mal ce « cela« , cette « réalité »-là :

mais en quoi un tel « degré d’humanité » ne pourrait-il pas « constituer » un « continent » ?

face à la masse tellement monstrueuse, et, aussi, sournoise
(car honteuse, en dépit de ce qui ne manque pas de lui échapper, par bouffées, de cynisme),
et s’en cachant (et « niant » effrontément) par de nouveaux mensonges persistants
_ de type « arbeit macht frei« , ou « chambres à gaz » déguisées, en forme d’hygiène (vertueuse) affichée, en « salles de douches » _ ;

face à la masse monstrueusement sournoise
de la « barbarie » (de la mitraille dans les tranchées ; et sa moisson de vies, toutes si précieuses, par millions, et une par une, instant après instant, « fauchées ») à laquelle lui, Lucien Durosoir, comme tant d’autres « survivants » de l’atroce, s’est trouvé devoir faire face, et survivre,

face à ces insupportables moments-là
des tranchées sous la mitraille de la « Grande Guerre » ? _ ;

c’est à « cela« , donc,

que les « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir,
en l’espèce de leur interprétation par le Quatuor Diotima
,
quelques jours d’enregistrement
au Centre Culturel de Rencontre La Borie en Limousin
_ et le lieu sans doute aussi compte _,
de décembre 2007,

nous donnent à accéder,

recevoir, partager, à notre tour,
par ce si beau CD Alpha 125
.
Sans qu’il nous faille, pour ressentir le degré de « tourmente » de ce qui a pu être vécu, subi, souffert, supporté d’insupportable (aux limites de l' »humain« ), en cette « Grande Guerre« ,
lire ou relire
les « témoignages » peut-être plus directement accessibles, du moins comme « témoignages » « directs », par nous, qui pensons d’abord sans doute, et nous représentons le réel, à travers des mots et à travers des phrases, en leurs propres façons _ chacun d’eux _ (par le verbe) de le « phraser »
_ plus « directs » ainsi pour nous
que cette « musique d’après la guerre« , ainsi que je me permets ici de la nommer ; et qui ne « s’affiche » en rien comme « témoignage », et de quoi que ce soit : elle est « musique » ! _ ;

sans qu’il nous faille lire, donc, les « témoignages » écrits, eux,
d’Erich Maria Remarque (1998-1970 :
en 1929, « Im Westen nichts neues », »À l’Ouest rien de nouveau » _ disponible en « le livre de poche ») ;
de Maurice Genevoix (1890-1980 :
cinq volumes écrits entre 1916 et 1923 _ « Sous Verdun » (1916), « Nuits de guerre » (1917), « Au seuil des guitounes » (1918), « La Boue » (1921), « Les Éparges » (1923), tous parus chez Flammarion, et rassemblés par la suite sous le titre « Ceux de 14 » en 1949, disponible en Points-Seuil) ;
ou, plus indirect, mais si intense, de Jean Giono (1895-1970 :
son oeuvre entier prenant toute sa dimension, et elle est immense, à partir de ce « traumatisme » du « front », à Verdun et au Mont-Kemmel, pour lui :
qu’on lise et relise et se laisse « atteindre » par « Un roi sans divertissement » ou le cycle du « Hussard sur le toit » , disponibles en Folio) ;
ou encore celui, philosophique, du philosophe Alain (1868-1961 :
en 1921, « Mars ou la guerre jugée« , accessible en Folio)…

Les trois « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir voient le jour, le Quatuor n° 1 (en fa mineur), en 1920 ; le Quatuor n° 2 (en ré mineur), en 1922 ; et le Quatuor n° 3 (en si mineur), en 1934.
Ce sont des œuvres que je permets d’estimer à la hauteur
_ si cela a quelque sens : oui,
par rapport à ce qui « n’y atteint pas » ;
pour ne rien dire des impostures tenant le haut-du-pavé
des opinions inconsistantes
(mais pouvant aller jusqu’à « décourager », par leur massivité, de jeunes ou timides encore curiosités
_ lire ici l’important « Prendre soin _ De la jeunesse et des générations » de Bernard Stiegler, aux Editions Flammarion, en février 2008 ),
des préjugés
et du commerce veule _ dont d’abord celui de la « grande distribution » _ ; de l’audimat, si l’on veut : aux dégâts d’ampleur catastrophique _ ;

Ce sont des œuvres que je permets d’estimer à la hauteur, donc,
de ces sommets du genre (du quatuor)
que sont le « Quatuor » de Debussy
(en sol mineur) et le « Quatuor » de Ravel (en fa Mineur).

Elève d’André Caplet (1878-1925) _ pour la composition (ils ont le même âge) _,
et ami _ dans les tranchées _ du violoncelliste Maurice Maréchal,
Lucien Durosoir fut un musicien rare,
peut-être d’exception
:
« jalousement indépendant pendant les trente années de sa période créatrice,
faisant fi de tous les académismes
« ,
le compositeur qu’il devient en 1919
_ il n’était jusque là (de 1899 à 1914) qu’interprète (violoniste virtuose) _
« se démarque de ses contemporains français par l’originalité et la modernité de son écriture.« 

« Sa démarche«  de créateur semble consister à placer une puissante affectivité
_ et c’est un euphémisme _
sous le « contrôle » d' »une science (et art) de l’écriture implacable« ,
« comme chez les grands contrapuntistes de l’école franco-flamande du XVIème siècle« ,
et ce qui s’appela, du temps de Josquin des Près, « musica reservata » ;
car c’est en cette « tradition » _ peut-être, avec Josquin, au sommet de toute la musique occidentale ! _ « que cet homme de grande culture humaniste trouve l’assouvissement de ses aspirations » de pensée _ oui _ les plus profondes.
Je traduis ici, en l’adaptant légèrement, une réflexion de Georgie Durosoir aux pages 19 et 20 du livret du CD Alpha 125.

Nouveaux sommets de la musique française, après les chefs-d’œuvre de Debussy et de Ravel, sur fond de cette gravité profonde
toujours présente
, même si sous des dehors badins, dans les « œuvres » qui en soient « vraiment«  ;
telles celles, par exemple d’un Marivaux, pour prendre un exemple éloigné en apparence de celles, musicales, que donne ici Lucien Durosoir,
les trois « Quatuors » de Lucien Durosoir me paraissent parfaitement consonner (aussi) avec « Jeudi saint«  de Jean-Marie Borzeix,
dans l’ordre d’une richesse et d’une grandeur sans pathos,
« à la française« …

Dont Debussy et Ravel sont peut-être les meilleurs exemples, pour la musique (pour ces deux « Quatuors« , cf la version du Parkanyi Quartet : CD PRD/DSD 250 208 chez Praga Digitals). Sans remonter, par François et Louis Couperin (cf les CDs Alpha 062 : François Couperin : « La Sultanne. Préludes & Concerts royaux« , par et sous la direction d’Elisabeth Joyé ; et Alpha 026 : Girolamo Frescobaldi _ Louis Couperin, par Gustav Leonhardt) jusqu’à Josquin des Près…

alpha-105.JPG

Les Editions Alpha ont déjà publié, en 2006, la « Musique pour violon & piano » de Lucien Durosoir (par Geneviève Laurenceau & Lorène de Ratuld, CD Alpha 105).
Et poursuivront la réalisation d’une interprétation intégrale de l’œuvre de Lucien Durosoir au disque.

« Retiré dans le sud-ouest de la France dès 1923,
Lucien Durosoir n’avait semblé souhaiter ni se mêler à la vie artistique parisienne de l’après-guerre,
ni publier ses oeuvres immédiatement.
Il comptait pour cela sur le futur.
Le futur, ce devait être une nouvelle guerre,
durant laquelle sa maison fut, un temps, occupée par l’ennemi,
et sa production, interrompue, ne serait-ce que par le manque de papier à musique
 »
_ notait sa belle-fille, Georgie Durosoir, dans le livret du premier CD Alpha (105) consacré à la « Musique pour violon & piano » de Lucien Durosoir.

Dans le livret du CD (125) consacré aux « Quatuors à cordes« , la musicologue et musicienne bien connue qu’est Georgie Durosoir présente ceux-ci ainsi :
« La pratique du contrepoint domine l’écriture (…) comme le geste le plus apte à rendre compte du monde sonore intérieur
et de la construction intellectuelle propres au compositeur.
Toutes les finesses techniques sont sollicitées dans une réécriture constante des motifs,
leur réutilisation sous des formes inattendues, dans des contextes très différents de leur première apparition,
dans des transfigurations rythmiques et nuancielles.
La circulation des thèmes essentiels à travers plusieurs mouvements
fait de ces trois quatuors des oeuvres plus ou moins résolument cycliques.
La tonalité, assumée comme fondatrice, se dissout dans une abondance d’altérations
qui créent des rencontres sonores inattendues
et une harmonie très personnelle.
Les superpositions rythmiques tendent à densifier le tissu instrumental
et à brouiller la stabilité rythmique.
La configuration musicale d’atmosphères poétiques inouïes
est égalisée par la conjonction d’éléments de timbre
(registre suraigu des instruments, trémolos pianissimo proches du bruissement, couplage des registres des régimes extrêmes),
de rythme (brouillage de l’impression de stabilité par superposition de contraires),
d’harmonie (altérations inattendues, modifications minimes de motifs déjà entendus, détournements passagers et multiples de la tonalité).
C’est ce parti-pris d’écriture qui fonde le côté savant, complexe, fouillé des compositions.

(…)
En complément de la démarche savante,
les composantes subjectives, affectives du musical
envahissent l’oeuvre
(dans les notations agogiques,
la construction en sections contrastées,
l’opposition de développements agités, violents et combatifs et de séquences méditatives, statiques et doucement chantantes).
Le sens intime de l’écriture complexe apparaît alors clairement :
le contrepoint est le médiateur d’un monde sonore riche, divers et plein de contrastes,
doublé d’une affectivité douloureuse et contradictoire :
il est le garant d’une énergie contenue,
d’un balisage sévère de cette recherche éperdue d’expression personnelle ;
il dresse de solides palissades qui canalisent le déferlement de sentiments aussi puissants
que la révolte ou le désespoir,
éminemment fondateurs de la musique de cet homme à la fois douloureux et enthousiaste.
 »

Qu’ajouter à pareille analyse ?

En appendice,
je me permettrai d’ajouter cet échange de mails, récemment,
autour des « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir (CD Alpha 125) :

Courriel du 23 mai (15h45) :

Au sortir de ma première écoute _ une seule à ce moment _ de ces quatuors de Durosoir par le Quatuor Diotima,
j’ai le sentiment d’avoir été convié à mettre un pied sur un « nouveau continent » :
rien moins !

Comme,
toutes choses étant égales par ailleurs,
avec certaines des réalisations du Poème harmonique

Airs et ballets en France avant Lully(par exemple l’album d' »Airs & Ballets en France avant Lully »
_ d’Antoine Guédron, Antoine Boesser et Etienne Moulinié, de CDs antérieurs ainsi rassemblés,

_ CD Alpha 905)
pour le premier dix-septième siècle :
ce n’est donc pas peu, me semble-t-il.

J’espère que les oreilles de la critique vont se « désembourber » de leurs bouchons de cerumen,
et de leurs petits maniérismes de cliques, de cercles, d’initiés qui méprisent tous les autres !!!

Alpha réalise ici un travail de pionnier…

Courriel du 23 mai (16h37) :

Et en plus le texte du livret est magnifique !

Particulièrement à qui sort de la lecture de « Qui, si je criais… » de Claude Mouchard,
dont le sous-titre est
« Œuvres-témoignages dans les tourmentes du XXème siècle »…

Que Lucien Durosoir ait été « indépendant », et « hors-groupes »,
cela s’entend magnifiquement en cet oeuvre,
et rend raison de sa méconnaissance du public jusqu’à aujourd’hui…

L’heure de la reconnaissance sonne peut-être par ce disque, déjà,
s’il reçoit l’écoute _ et l’ampleur d’écoute _
que cet oeuvre d’un immense musicien, dans son coin (des Landes, peut-être), mérite…

Un peu loin des côteries parisiennes, sans doute…

Georgie Durosoir doit être satisfaite d’écouter de nouveau cela à ce niveau de grâce,
et de profondeur.

Merci à tous ceux qui ont contribué à faire parvenir pareille musique
jusqu’à notre écoute.

Tu peux transmettre ce message à Georgie Durosoir.
Je l’avais contactée il y a quelques années lors de mes recherches « baroques »…

Et dès que mon blog sur mollat.com sera ouvert,
j’en traiterai
_ peut-être (ou même sans doute) dans le prolongement de mon premier article,
sur le livre magistral de Saul Friedländer (et ce qui peut l’accompagner)…

Courriel du 23 mai (20h54) :

Cher monsieur,

J-P C. m’a transmis votre message et j’en ai été touchée. Votre nom, en effet, m’a renvoyée à un souvenir assez ancien…
Je suis heureuse de la sortie de ce beau disque et je suis persuadée que cette musique touchera le cœur et l’intelligence de beaucoup d’auditeurs.
Je vous remercie pour la qualité de votre écoute et pour ce chaleureux message
Bien à vous
Georgie Durosoir

Courriel du 23 mai (22h37) :

Chère Madame,

L’Art est fondamentalement sens,
à côté des impostures et des bavardages.

Ce n’est pas à vous, et à votre travail « de fond » sur le Haut-Baroque, que j’apprendrai quelque révélation sur ce que cet Art-là avait (et a) de « vectoriel »….
Le Baroque m’a notamment touché, en effet, par ce « pouvoir » de « présence »-là…

Ce qui était (et est toujours) vrai du « Baroque »
_ à un moment d’inquiétude de la foi, et de querelles théologiques (sur les Mystères _ dont celui de la transsubstantiation) _
a poursuivi son questionnement taraudant, dans ce qui a succédé au Baroque,
dans une quête peut-être de plus en plus angoissée, sans doute, du sens _ à force de le « refouler » ! _,
dont témoigne ce que Nietzsche a qualifié de « nihilisme ».

C’est en artiste, en musicien, et passant à la création aussi et peut-être surtout, que votre beau-père a survécu _ et vécu ce qui a suivi _ à la « Grande Guerre ».
Avec profondeur, sans comportement de « groupe », avez-vous souligné…
J’y suis sensible, car je réfléchis un peu à ce que disent d’autres artistes d’autres horreurs qui ont suivi.

J’ai ainsi écrit il y a deux ans sur « Liquidation » d’Imre Kertész… Etc…

Courriel du 2 juin (5h36) :

Chère Madame,

Découvrant au réveil la réception du CD Alpha 125 par Christophe Huss,
sur le site Classics-Today France,
je m’empresse de vous en faire part : nous nous trouvons donc sur une même « longueur d’ondes »,
et c’est réjouissant de constater la « merveille » de l’oeuvre reconnue…
En croit-on toujours assez ses propres oreilles, au royaume des mal-entendants ?..

Voici l’article
_ les expressions en gras sont de mon initiative :

LUCIEN DUROSOIR
Les trois « Quatuors à cordes »

Quatuor Diotima

ALPHA 125(CD)
Référence: premières mondiales

Pour que cet immense disque prenne sa vraie valeur, je vous suggère de baisser un peu le volume d’écoute, car la prise de son découpée au rasoir de Hugues Deschaux, nous met les oreilles dans le vif du sujet et n’élude rien des sonorités un rien agressive du Quatuor Diotima.

Les violonistes du Quatuor Diotima ne valent pas ceux des Quatuors Prazak ou Emerson. Mais les Prazak ou les Emerson n’enregistrent pas Durosoir… Or ce disque est littéralement vertigineux. Surtout au moment où il paraît… En effet, l’interprétation de la « 2e Symphonie » de Roussel par Stéphane Denève (Naxos) a mis le doigt sur une noirceur, une amertume post-Grande Guerre dans une certaine création musicale française, qui n’avait jamais été mise en avant à ce point. Or les « Quatuors » de Lucien Durosoir (1878-1955) expriment exactement cela. Ils illustrent un pan de la création musicale française, loin de l’élégance de Debussy et Ravel, qui produit des oeuvres ressemblant à un écho grave et amer de la tragédie de la guerre.

Plus encore que dans la « 2e Symphonie » de Roussel, on a l’impression d’entendre ici, quarante ans avant, les prémices des grandes oeuvres de Chostakovitch. Les mouvements lents des « Quatuors » n° 1 et 2, notamment, sont une plongée abyssale dans la noirceur du monde. On notera par exemple à quel point dans la Berceuse du « Quatuor n° 2″ la mélodie qu’on attend n’éclot jamais (un peu comme cet allegro qui n’arrive pas dans la « Symphonie funèbre » de Joseph Martin Kraus). Les flottements harmoniques, les frottements aussi, une sorte d' »incertitude du lendemain » (dans le sens où on ne peut pas deviner la phrase ou la note qui va suivre) sont les caractéristiques de ces partitions.

On le pressent à l’écoute : Durosoir est un musicien de la Grande guerre. Violoniste, il y rencontra le violoncelliste Maurice Maréchal et le compositeur André Caplet. Et c’est vrai que c’est à l’énigmatique Caplet qu’il faut le comparer. La notice propose de remarquables analyses des œuvres, qu’il serait inepte de paraphraser. Mais certaines assertions décrivent très bien en fait ce à quoi on est en droit de s’attendre et méritent d’être citées :

« La circulation des thèmes essentiels à travers plusieurs mouvements fait de ces trois quatuors des oeuvres plus ou moins résolument cycliques. La tonalité, assumée comme fondatrice, se dissout dans une abondance d’altérations qui créent des rencontres sonores inattendues et une harmonie très personnelle. Les superpositions rythmiques tendent à densifier le tissu instrumental et à brouiller la stabilité rythmique. » Vous le comprenez à partir de ces données : l’univers de Durosoir est un monde instable où tout est perpétuellement remis en cause.

Ce n’est pas le chemin de la facilité auquel nous invite ce compositeur injustement méconnu. Ses compositions reposent sur une image sonore rude due à la trituration du matériau musical et à « l’indépendance dans la fusion » qu’il exige de la part de ses musiciens. Le Quatuor Diotima est à la hauteur de ces défis. Aux auditeurs, maintenant, de graver les pentes escarpées de ce massif d’une imposante exigence.

Voilà pour cet article de Christophe Huss. Je suis heureux que ces œuvres si puissantes d’un immense compositeur trouvent le chemin de nos oreilles, de nos cerveaux, de nos pensées, de nos coeurs : de quoi « faire monde »… Ou l’alchimie de l’Art, authentique…

Bien à vous

Courriel du 2 juin (9h32) :

Cher monsieur,

Je suis encore sous le coup de l’émotion que m’a procurée la lecture de la critique de Christophe Huss !
Je vous remercie vivement de me l’avoir fait connaître.

J’aurai d’ailleurs d’autres émotions à intégrer, au fur et à mesure de la lecture (lente, en cette période surchargée) des textes que vous m’avez adressés.
Je sais gré à J-P C. de m’avoir mise en relation avec vous car, à mon âge, on ne recherche plus que des gens de vérité et de sincérité.
J’espère vous rencontrer un jour…
Bien à vous
Georgie Durosoir

Courriel du 2 juin (19h09) :

Vérité
ainsi que courage de l’affirmer et la partager,
voilà ce que nous donnent généreusement le « génie » (au sens de Kant) des artistes,
des « auteurs »,
selon le terme qu’utilise Marie-José Mondzain en son « Homo spectator » (chez Bayard) ;
et qui donne un « élan » et un « relais » chez ceux qui s’en font les « acteurs »
(ou interprètes),
et puis, encore, à leur double impact, une « reprise » et une « relance », chez ceux qui, à leur tour, deviennent de vrais et actifs « spectateurs »,
selon ce qu’Albine Saint-Girons appelle, elle, « L’Acte esthétique »
(chez Klincksieck : en une collection qui vous compte parmi ses auteurs)…

J’ai moi aussi l’âge du « décantement »
_ le mot existe-t-il en français ; ou la « décantation »…
_,
car « At my back i always hear The winged charriot of Times » _ disait Andrew Marvell (« To his coy mistress »)…

Aller à l’essentiel, délaissant mondanités et courbettes ;
et s’enchanter de l’enchantement des œuvres enchanteresses des enchanteurs que sont ces artistes…

Que de trésors patientant d’être si peu que ce soit « rencontrés »…

Si vous avez la patience de dérouler les phrases enguirlandées de mes promenades « montaniennes »,
vous retrouverez ces émotions-là,
ce qu’inlassablement je recherche par les livres, les disques, les catalogues d’exposition de peinture, ou de photographie, les films, les représentations de théâtre, les concerts, les conférences,
les conversations et les rencontres aussi, bien sûr,
les voyages avec arpentages de villes, ou de paysages : le monde s’enrichissant des mondes de chacun des créateurs…

J’aurais moi aussi plaisir à faire votre connaissance…
Comme la suite des œuvres de votre beau-père.

Une dernière pièce à ce « dossier » de l’artiste :
Luc Durosoir, le fils de Lucien Durosoir, a publié en octobre 2005 aux Editions Tallandier « Deux musiciens dans la Grande Guerre » (accompagné d’un CD inédit d’œuvres de Lucien Durosoir :  » Trois pièces pour violoncelle et piano » de 1931, « Divertissement« , « Maïade » et « Improvisation » _ interprétées par Raphaël Merlin au violoncelle et Johan Farjot au piano) dédiées par Lucien Durosoir  à son ami (et compagnon dans les tranchées de la « Grande Guerre ») le violoncelliste Maurice Maréchal (1892-1964).

Je viens de me procurer ce livre, qui contribue aussi à l’hommage (filial) à ce créateur : il est constitué de « Lettres du front » de Lucien Durosoir (août 1914 – novembre 1918) ; et de « Carnets de guerre » de Maurice Maréchal (3 mai 1914 – 5 novembre 1918). Avec aussi un cahier de photos (dont certaines d’André Caplet, que Lucien Durosoir considérait comme son maître en composition).

Titus Curiosus, le 2 juillet 2008

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