« pourquoi il ne parle pas des camps… », ou « les vingt premières minutes »…

— Ecrit le jeudi 21 août 2008 dans la rubriqueBlogs, Histoire, Littératures, Philo”.

Sur Imre Kertész : « Dossier K.« 

En forme de _ humble _ « conseil de lecture » à Bruno Le Maire,

modeste réflexion sur la déontologie de l’écriture,

et « réponse », à la citation par Pierre Assouline d’un extrait de “Des Hommes d’État (aux Editions Grasset) de Bruno Le Maire, donc

_ cf mon précédent article, avant-hier, « Kertész /”Dachau” : la bourde du politique (et la non-lecture des “lecteurs”)«  _,
à propos de cette étonnante « contre-vérité »
_ et c’est un euphémisme !_
que re-voici : « pourquoi _ en « ses textes » (sic) _ il (Imre Kertész) ne parle pas des camps«  (re-sic) _ ;

et plus précisément, sur « le détail »

(« relevé » et r-apporté

par le conseiller politique du Premier ministre d’alors) :
Ça ne sert à rien de raconter les camps. Ça n’intéresse personne. Les détails, ça n’intéresse personne
;
une phrase prêtée,

par cet auteur (d’un livre à relatif succès _ de vente),

au prix Nobel de littérature 2002 Imre Kertész ;

et encore sur cette autre « citation »
prêtée à ce même Kertész (reçu à l’hôtel Matignon par le Premier Ministre d’alors, Dominique de Villepin) :
« dans Kaddish
_ en fait, dans “Être sans destin“ ! _,
j’ai essayé de raconter les vingt premières minutes de mon arrivée à Dachau« 
_ en fait, à Auschwitz ! _  ;

« raconter »
en les « inventant »
(voire « ré-inventant »), en quelque sorte,
ces « vingt premières minutes »
(vécues alors, mais comment ?…)
-là
;

plutôt que de seulement « r-apporter »,

« brut »,

et « re-transcrire »,
 » tel quel »

_ si tant est que cela soit jamais le cas
(chimiquement pur, en quelque sorte) _ ;

plutôt que de seulement « re-transcrire », donc,

« leur » souvenir

(en l’occurrence de ces dites « vingt premières minutes« …)
_ si tant est qu’un tel « souvenir » « existe » (bel et bien…),
et « demeure »,
mais dans quel état !..
;

« tel » que
_ pour le préciser un peu davantage _
ce « souvenir »

_ bien que loin d’être, celui-ci

(en cette occurrence assez « rare » en une vie !

c’est-à-dire une occurrence on ne peut plus « définitive »

pour la plus grande majorité

_ le « groupe » « le plus important

à droite« , selon l’expression de la page 119,

après le passage « torse nu devant le médecin« , dans « Être sans destin » _ ;

pour la plus grande majorité, donc,

de ceux

qui eurent à la « rencontrer » !.. cette occurrence ;

et n’eurent _ ceux de ce groupe majoritaire- là ! _

ni à l’oublier, passer dessus,

ni à s’en re-souvenir !..) ;

bien que loin d’être,

celui-ci

_ souvenir (des « vingt premières minutes« ) _,

tout à fait « anodin »

en sa singularité tout de même « assez particulière » _ de « souvenir »

(de passage par Auschwitz) _,

au moins rétrospectivement :

mais sur le champ ? _ ;

tel que ce « souvenir » précis -là, donc,

dans « Être sans destin » ;

nous verrons un peu plus loin ce qu’Imre Kertész lui-même en disait déjà

et pas mal en détail, entre les pages 105 et 139 (d' »Être sans destin« , donc),

de ces « vingt premières minutes » au « camp »

_ sans plus de précision, pour le moment, quant à la nature singulière de ce « camp »-là

(les précisions viendront un peu plus tard, dès cette première journée, cependant

_ page 150 : « Je peux affirmer qu’avant le soir du premier jour ne soit tombé j’étais en gros à peu près précisément au courant de tout » : le moindre de ces mots, ici, compte _ lourd ! devant les « cheminées« … ;

puis page 157 d’ « Être sans destin » : la distinction « Konzentrationslager« , Vernichtungslager » , « Arbeitslager«  ;

soit au chapitre V, encore à Auschwitz-Birkenau ;

avant le départ, trois jours à peine plus tard

_ « je n’ai passé en tout et pour tout que trois jours entiers à Auschwitz. Au soir du quatrième jour, j’étais de nouveau dans un train, dans l’un de ces wagons à bestiaux que je connaissais déjà. La destination, comme nous l’apprîmes _ était Buchenwald » (page 166) _,

pour Buchenwald, donc ;

puis, encore, le transfert pour Zeitz

(«  Zeitz, ou plus précisément le camp de concentration qui porte le nom de cette bourgade, est à une nuit de train de marchandises de Buchenwald, puis encore vingt, vingt-cinq minutes à pied, avec une escorte de soldats, sur une route nationale bordée de labours, de paysages ruraux bien cultivés, comme j’ai pu m’en rendre compte moi-même. C’était l’endroit où nos devions nous installer définitivement, nous assurait-on, du moins ceux parmi nous dont le nom se trouvait avant la lettre M dans l’ordre alphabétique ; les autres iraient au camp de travail de Magdebourg, dont le nom m’était plus familier à cause de sa renommée historique _ c’est ce que nous avaient dit des détenus encore à Buchenwald, le soir du quatrième jour« , etc… (page 177)  _ ;

 tout se « dé-couvre »

_ et pas seulement à quatorze ans et demi

(âge d’Imre Kertész

et de « György Köves »

débarquant sur la rampe d’Auschwitz-Birkenau cet été 44 là…

et passant par la « sélection« … :

ce mot-là, bien sûr,

n’appartenant pas au « registre » du « György Köves » de quatorze ans et demi au chapitre IV d' »Être sans destin » ;

pas davantage qu’à celui du « György Köves » de seize ans au chapitre IX et dernier de ce même livre,

à son retour à Budapest, au moment

_ hors récit : « je devais prendre le tram pour aller chez ma mère« , lit-on seulement à la page 359 _

d’aller retrouver sa mère ;

et, probablement, de lui

raconter tout cela

« ma mère m’attend« , se dit « György Köves » à la dernière page d' »Être sans destin » (page 361),

et elle sera sûrement heureuse de me revoir, la pauvre«  ;

et quant à lui, « György Köves » se propose de

« continuer à vivre

ma vie invivable«  ;

« de toute manière,

tout sera certainement comme elle l’avait prévu ;

il n’y a aucune absurdité qu’on ne puisse vivre tout naturellement ;

et sur ma route, je le sais déjà

_ se dit le gamin de seize ans de retour de ce peu prévisible périple (Auschwitz-Birkenau, Buchenwald, Zeitz, et retour) allemand _

me guette, comme un piège incontournable,

le bonheur.

Puisque là-bas aussi,

parmi les cheminées,

dans les intervalles de la souffrance,

il y avait quelque chose qui ressemblait au bonheur« ) ;

tout se « dé-couvre », donc,

il nous faut _ tous ! _ bien l' »apprendre »

_ à la Goethe des « Années d’apprentissage du jeune Wilhelm Meister« , à Weimar

(si proche de Buchenwald :

lire à ce propos le sublime « Le Chercheur de traces« , par exemple dans « Le Drapeau anglais« )  _ ;

l' »apprendre » et « nous y faire »,

forcément…) _ :

entre les pages 105 et 139 d' »Être sans destin« , donc,

pour ces « vingt premières minutes« 

au « camp » !

« quand nous avons fini par arriver _ le train était parti de Budapest _ pour de vrai » , lit-on, en effet, à la page 105 d’ « Être sans destin« ,

en son chapitre IV,

quant au récit de ces « vingt premières minutes » au « camp » ;

chapitre IV commencé, lui, page 82 :

« Ce qui manquait le plus dans le train, c’était l’eau » ;

et s’achevant page 138 : au sortir du « vestiaire »

(et la réception de « nouveaux vêtements »

_ « une chemise qui avait dû être autrefois à rayures blanches, de l’époque de mon grand-père, sans col ni bouton« ,

« un caleçon qui convenait tout au plus à des vieux, avec des fentes aux chevilles et deux authentiques rubans de caleçon,

un costume visiblement usé, l’exacte réplique de celui des détenus, en tissu à rayures bleues et blanches » _

ainsi que de « nouvelles chaussures »

_ « dans une montagne de chaussures bizarres _ semelles de bois, doublure de tissu et trois boutons sur le côté au lieu de lacets« , « j’ai pu choisir » « celles qui, dans la précipitation, m’allaient à peu près » (page 137 d' »Être sans destin« ) _,

pour dorénavant : aux camps…) ;

et après, juste auparavant (pages 134 à 136 pour le récit de l’épisode), une (vraie) douche, pour « György Köves »

_ ce « György Köves » à travers le récit duquel se déroule,

à la première personne du singulier

(et au passé _ de la mémoire en acte),

« Être sans destin » ;

depuis « Je ne suis pas allé au lycée ce matin« , à la page 7,

jusqu’à la page 361,

avec, en ce « final » du livre, quelques réflexions oxymoriques sur le bonheur :

« Oui, c’est de cela,

du bonheur des camps de concentration,

que je devrais parler la prochaine fois

_ c’est-à-dire à d’autres que les « Steiner et Fleischmann » auquel « György Köves » vient de s’affronter, à son retour « chez lui » (= le domicile de son père, chez lequel il vivait _ ses parents étant divorcés), à Budapest _,

quand on me posera des questions. Si jamais on m’en pose. Et si je n’ai moi-même pas oublié«  ;

j’y reviendrai moi aussi, forcément ! _ ;

après une (vraie) douche, donc, page 126, en un « endroit déjà bondé » (page 127) ;

puis

un passage au « vestiaire« 

(le mot étant prononcé, en hongrois, s’il vous plaît, page 129,

et par « un détenu »

_ « à nouveau, il y avait un prisonnier pour nous aider » (page 126) _

« particulièrement distingué » (page 127),

offrant à l’arrivant « la joie inattendue _ en ce lieu pas franchement hospitalier _ d’entendre les sons familiers de la langue hongroise à l’étranger » ;

« ainsi donc, je me tenais en face d’un compatriote » (lit-on à la page 128 d' »Être sans destin« ) ;

après une (vraie) douche, puis un passage au « vestiaire » , donc,

où « nous devrions nous déshabiller et accrocher correctement nos vêtements aux crochets qui s’y trouvaient. Pendant que nous prendrions notre douche, nos vêtements seraient désinfectés. »

Page 134-135 : « J’ai trouvé étonnant que l’eau se mette à couler soudain toute seule (…) ; le débit de l’eau n’était pas vraiment abondant, mais sa température agréablement fraîche me convenait par cette chaleur. Et surtout, je me suis bien désaltéré.« 

Le récit du moment de la douche s’achève page 136 : « Déjà nous étions emmenés, poussés, chassés vers l’extérieur« … Puis, après un couloir et deux salles, le « vestiaire » et la « distribution » « des _ nouveaux _ vêtements » (page 137).

Puis, à la dernière page (138) de ce chapitre IV (à Auschwitz) : « nous étions déjà dehors, à l’air libre« 

Expression non sans humour,

précédant cette dernière phrase, encore,

_ pour achever ce chapitre IV _

de commentaire

de la mémoire s’activant

(et récit au présent rapportant du passé

qui peu à peu, ainsi, par un effort, tant bien que mal _ et la plupart « le » fuient !.. ce passé glauque… _ se « re-découvre », par cette « focalisation » si « difficile » de l’esprit)

précédant cette dernière phrase, donc :

« Je ne sais qui commandait

ni comment cela s’est passé

_ je me rappelle seulement qu’une sorte de pression pesait sur moi,

qu’une espèce d’élan m’emportait, me poussait, me faisant un peu trébucher dans mes nouvelles chaussures, dans un nuage de poussière et avec d’étranges bruits sourds derrière moi, comme si on frappait le dos de quelqu’un,

en avant vers de nouvelles cours, de nouvelles grilles, des barbelés, des clôtures qui s’ouvraient, se fermaient

et se confondaient finalement à mes yeux

en un fouillis flou et embrouillé« …

_ notation (de « confusion », dangereuse…) terminale

(de ce chapitre IV

et de ces fameuses « vingt premières minutes » en ce premier camp)

majeure, qui résume beaucoup !


(et rappelle Fabrice à Waterloo dans la stendhalienne « Chartreuse de Parme » :

Imre Kertész lui-même l’évoque aux pages 25 et 26 de « Dossier K.« ),

pour signifier comment le réel se présente

d’abord

_ et toujours _

à n’importe lequel d’entre nous

(car c’est le cadre universel de l' »expérience » même ! rien moins !..) ;

mais quand la situation

_ telle celle d’une bataille, ainsi qu’à Waterloo pour Fabrice ce jour-là _

met en danger,

un peu plus immédiatement (et massivement) encore _ ici on assassine ! _ que d’habitude,

la vie ;

il y a comme davantage d’urgence

de comprendre

un peu plus vite

et si peu que ce soit (un peu mieux…)

ce dont il s’agit,

en quel « guêpier » nous nous trouvons, pour l’heure, si vilainement « fourré » ;

même si, et ô combien ! certes, la survie dépend, aussi, de bien de « hasards »,

c’est-à-dire de conjonctions _ diversement improbables _ de séries causales

_ cf Antoine-Augustin Cournot ; ou Marcel Conche : « L’Aléatoire » (aux Éditions de Mégare, en 1989) ;

sur tout cela, Imre Kertész, lui-même, « revient » _ superbement _ « méditer »

dans son magnifique « Dossier K. » : par exemple,

pour cette remarque-ci, page 68 de « Dossier K. » :

« Là où commence Auschwitz, la logique s’arrête.

Une contrainte mentale s’impose, elle ressemble beaucoup à la logique, en ce qu’elle nous guide, mais sur une voie qui n’est pas celle de la logique.

Et moi, je cherche ce fil, le processus mental de ce déséquilibre qui donnait à l’absurde les apparences d’une logique,

parce que dans le piège d’Auschwitz

nous n’avions pas le choix.

Et la vie dont nous sommes des parts actives

_ expression d’une justesse et importance véritablement sublimes, est-il besoin de le souligner ? _,

pour ainsi dire _ mais oui ! _, nous entraîne préalablement à cette manière de penser. »

Et aussi, pages 70-71 :

« Je n’ai jamais dit, comme certains, qu’« Être sans destin » était un roman sur l’Holocauste, parce que ce qu’on appelle Holocauste ne peut pas se décrire dans un roman.

J’ai décrit des faits

_ oui, de simples menus « détails »

(et rien que cela !) ;

encore faut-il, en les énonçant, tout simplement, les dé-taillant _ tout est là ! _ les « établir »,

afin qu’ils puissent, ensuite (ou « en suite »…), s' »avérer »… _ ;

J’ai décrit des faits _ donc _

et, bien que le roman essaie de transformer l’expérience inexprimable des camps de la mort

_ de diverses sortes, cette « expérience« 

que signifie l’œuvre entier d’Imre Kertész !

(si difficile à réussir à parvenir à transmettre, pareille « expérience« ;

dont c’est cela, et cela seulement, la « difficulté » d' »expression » que signale ici le terme d' »inexprimable » :

une affaire de difficulté _ relative, pas absolue ! _ de « transmission »,

du côté des « degrés de difficulté » de la « réception » de pareille « expérience » :

tellement « explosive » ! pour les cadres ordinaires du supportable : confrontés, ici, au meurtre immédiat et à très grande échelle ! ou « génocide » ;

tellement qu’il a même fallu inventer _ alors ! _ le mot : cf  Rafaël Lemkin « Qu’est-ce qu’un génocide ? » aux Éditions du Rocher ; et Jacques Sémelin, « Purifier et détruire« , aux Éditions du Seuil) _

et, bien que le roman essaie de transformer l’expérience inexprimable des camps de la mort

en vécu humain

_ « humain » : c’est-à-dire tant bien que mal « supportable » pour nous _ et c’est bien relatif… _, les lecteurs,

auxquels tente de s’adresser

_ « Frères humains, qui après nous vivez,

N’ayez les coeurs contre nous endurcis« , priait François Villon en son si essentiel « Testament« … _,

afin de se faire si peu que ce soit (= un tout petit peu) écouter et comprendre,

ici l’auteur

-survivant, et dans quel état! de cette opération de destruction massives d’hommes

comme on détruit une espèce animale « inférieure » nuisible) _,

j’étais surtout préoccupé par les conséquences éthiques du vécu et de la survie.

Voilà le pourquoi du titre « Être sans destin« .

Car l’expérience des camps de la mort

_ un peu plus haut, en cette même page 70, Imre Kertész a précisé :

« On n’ose pas désigner ce qui s’est passé par son vrai nom _ en l’occurrence « La Destruction des Juifs d’Europe« , pour reprendre le titre du livre capital de Raul Hilberg.

On a trouvé un mot _ « Holocauste« , ici… _ dont on ne comprend pas vraiment le sens,

mais qui occupe désormais dans nos schémas de pensée

une place rituelle, fossilisée , inamovible

qu’on défend avec acharnement comme des chiens de garde,

et on aboie dès que quelqu’un s’approche pour le faire bouger » ;

fin de cette citation _

Car l’expérience des camps de la mort

se transforme en vécu humain

quand j’y découvre

_ par la méditation (féconde) du travail même de l’écriture (fictionnelle, « romanesque » si l’on veut _ mais que l’on ne s’y méprenne pas ! _, et par la médiation du personnage _ inventé (=  re-trouvé) à partir de ce soi qu’on a soi-même été (c’est exactement le même rapport  qu’entre le « Marcel » qui dit « Je » dans « la Recherche » et l’auteur-écrivant, Marcel Proust ( _ de « György Köves » ici) _

un vécu universel, en l’occurrence l’absence de destin,

cette spécificité des dictatures

_ en ont-elles vraiment l’exclusivité ?.. Cela serait à débattre,

et avec Imre Kertész, le premier … _

qui consiste à étatiser le destin individuel,

à le transformer en destin commun,

à priver l’homme de sa substance la plus humaine »

_ quelle expression sublime !..

Mais qu’en est-il, aussi ;

au-delà des exemples _ commodes _ des dictatures

(revenant, qui plus est, « à la mode »…) ;

de ce qui se passe aujourd’hui dans nos (soit-disant) « démocraties » ?

_ le problème commence à se faire jour

(cf un bien passionnant article de Harald Welzer,

« l’avenir incertain de la démocratie occidentale« ,

publié par Le Monde en son édition du 14 août dernier) ;

sans re-parler ici des « alarmes »

d’un Bernard Stiegler (« Prendre soin« ),

et d’un Dany-Robert Dufour (« Le Divin marché« ) _

Avec cette remarque (page 71 de « Dossier K.« )

sur la conjoncture spécifique (le régime de Kádár)

qui a conditionné la situation de l' »expérience » et de l’écriture d’Imre Kertész en ces années-là :

« Le roman _ « Être sans destin« _ a été écrit dans les années 1960, 1970 :

quel roman ne serait pas imprégné par les caractéristiques, la langue, les idées de son époque ?

Pourquoi pense-t-on que le régime de Kádár n’était pas une dictature ?

C’en était une, et comment !

Or, après Auschwitz, chaque dictature contient la virtualité d’Auschwitz. »

Et « j’ai compris clairement mon expérience d’Auschwitz _ sic _ sous ce régime _ la Hongrie de Kádár _ ;

et (…) je n’aurais jamais pu la comprendre

_ ou du moins pas si vite, ou pas si bien _

en vivant dans un régime démocratique. »

Et, cerise sur le gâteau,

cette magnifique métaphore terminale, page 71 :

« Ma madeleine à moi, c’était l’époque de Kádár.

Elle m’a rappelé le goût d’Auschwitz« …

Que ce soit dans ses « fictions »

ou que ce soit dans ses « essais »,

l’écriture de Kertész

pour rendre le saisissement

de cette « expérience » unique,

en son extraordinaire violence (ordinaire),

pour qui (tel un « György Köves« ) va cependant « survivre »,

est absolument magnifique… ;

Tel que ce « souvenir » précis- là, donc

_ je reprends

après cette très longue incise

quant au chapitre IV

de ce grand livre qu’est  « Être sans destin » _ ;

tel que ce « souvenir » précis- là (des « vingt premières minutes«  à Auschwitz

_ et non Dachau : avec le profil des « cheminées » qui bientôt, un peu plus tard que ces dites « vingt premières minutes« , se mettent à « fumer » et répandre leur « odeur » « douceâtre et en quelque sorte gluante » (page 147) de « tannerie » (page 148) d' »Être sans destin« … « Alors, je l’ai regardée plus attentivement : c’était une cheminée trapue, carrée, à large gueule, comme si on li avait donné un coup sur le sommet. Je peux le dire, à part un certain respect _ et puis l’odeur, naturellement, dans laquelle nous étions englués comme dans une espèce de bouillie épaisse, de marécage _, je ne sentais rien » (pages 149-150) : le réel se découvre peu à peu (« pas à pas » : c’est le titre d' »Être sans destin » en son édition suédoise), détail après détail : la conscience procédant, forcément, par « focalisation » !..) _

tel que ce « souvenir » précis- là

serait (au conditionnel, forcément…)

conservé (ou re-trouvé) « tel quel », donc
(= brut, pur, intact),
dans le coffre-fort inviolable

(comme ceux, supposément, bien sûr, des banques suisses :

et elles en font un (très) fort argument promotionnel ; ou d' »autorité » ; en leur faveur ;

tant importe ici, en effet, comme aussi « ailleurs », la « confiance » !) ;

dans le coffre-fort inviolable de la mémoire-cassette…

Sur cette question (du travail de la mémoire),

lire (aussi !) le livre XI
_ toujours aussi magnifique qu’au jour premier de son écriture par Augustin _
des « Confessions » de Saint Augustin ;

ou, si l’on préfère,
en la récente nouvelle traduction _ qui fait le ménage ! _ de Frédéric Boyer (aux Editions POL, en janvier 2008),
des « Aveux » d’Augustin, évêque d’Hippone…
Fin de l’incise.

Quant à la question _ de fond ! _ de la « confiance« ,

prendre connaissance de cette remarque d’Imre Kertész en début même (page 19) de « Dossier K. » :

« Dans la masse  de publications qui abordent cette question

_ « du sentiment de détresse et de désespoir absolu » vient-il de dire _

il n’y a que très peu de livres offrant une description fidèle

de l’expérience incomparable

_ bien noter la précision de l’expression _

 des camps d’extermination _ autre précision à relever _

nazis.

Parmi ces rares auteurs,

c’est peut-être Jean Améry qui nous en apprend le plus

dans ses essais

_ dont « Par-delà le crime et le châtiment _ Essai pour surmonter l’insurmontable » (aux Éditions Actes-Sud).

Il a un mot exceptionnellement précis pour cela :

« Weltvertrauen« ,

que je traduirais _ dit toujours Kertész _ par :

la confiance accordée au monde. »

« Une fois qu’on l’a perdue _ poursuit encore Imre Kertész _

on est condamné à vivre éternellement seul

parmi les hommes.

On ne voit plus jamais en autrui

son prochain,

mais son ennemi.

(Respectivement « Mitmenschen » et « Gegenmenschen », dans l’original.) »

Ajoutant  :

« Lui-même a perdu cette confiance sous les coups de la Gestapo qui l’a torturé

dans une forteresse aménagée en prison, en Belgique »

_ où Jean Améry vivait

depuis que le juif autrichien (Hans Mayer) qu’il était avant l’Anschluss

s’était réfugié…

« Bien qu’il ait survécu au camp de concentration d’Auschwitz,

il a lui-même exécuté la sentence

_ à son encontre, l’expression est kafkaïenne :

page 66 de « Dossier K.« , Imre Kertész cite sa « phrase préférée du « Procès » de Kafka : « Le verdict ne vient pas en une fois, la procédure se transforme peu à peu en verdict » _

plusieurs décennies après :

il s’est suicidé. » (page 19, donc, de « Dossier K.« ).

Jean Améry : né Hans Mayer le 31 octobre 1912, à Vienne ; mort le 17 octobre 1978, à Salzbourg…

Fin de l’incise sur la « confiance »…

..

Cependant,
on comprend bien dès maintenant
que l’articulation
(et rapports très effectifs)
entre pensée, mémoire et travail (du « génie ») de l’imagination
_ ou « Phantasie« ,
selon les Allemands

(en commençant par Kant dans la « Critique de la faculté de juger« , puis Novalis, Hölderlin, etc…)

du tournant du XIX siècle _
est crucial en notre affaire (de transmettre l' »expérience » à autrui)

(et celle d’Imre Kertész « écrivant »,
ainsi que lui-même l’analyse (= « dé-taille »)
en son très important, en cela même, « Dossier K.« 
(publié aux Editions Actes-Sud en traduction française en janvier 2008).

Une lecture à conseiller _ d’urgence ? _ au politique affairé

auteur de « Des Hommes d’État« …

Pour finir,

je veux faire un sort à la nuance entre « fait » et fiction

_ à correctement interpréter,

sous la plume ou dans la bouche de cet homme avec infiniment d’humour qu’est Imre Kertész

(humour dont il ne se départit certes pas en un lieu « imprégné » d’esprit comme peut l’être l’Hôtel Matignon

_ du moins j’ose l’espérer !) _ ;

je désire, donc, faire un sort à la nuance entre « fait » et fiction,

ainsi qu’entre mémoire et « invention » :

comment répondre à la question, se demande Imre Kertész à la page 69 de « Dossier K.« ,

de « savoir dans quelle mesure le personnage de roman

_ soit le « György Köves » d' »Être sans destin » _

ressemble au garçon que j’étais » _ cet été 1944 là ?

Voici la réponse de l’auteur :

« De toute évidence, il ressemble davantage à celui qui l’a écrit _ dans les années 1960 – 1970, pour être précis _ qu’à celui qui l’a vécu » _ en 1944 – 45 _ ;

ajoutant ce mot de commentaire :

« et en ce qui me concerne _ l’homme ? l’auteur ? les deux ? _,

c’est une chance immense que cela se soit passé ainsi » (page 69, toujours).

Les deux phrases suivantes apportent une réponse :

« Parce que tu t’es libéré des souvenirs qui te hantaient ?

C’est ça.

C’est comme si j’avais quitté une peau pour en revêtir une autre,

sans toutefois jeter la première

_ le point est capital _,

à savoir sans trahir mes souvenirs. »

Voilà ce que peut

_ une « métamorphose » :

cf «  « Un autre _ Chronique d’une métamorphose« ,  journal tenu par Imre Kertész après la chute du rideau de fer, entre 1991 et 1995 :

ne pas s’en priver ;

et pourquoi tarde-t-on tant à publier la traduction en français du « Journal de galère« , d’avant 1989 ?.. _ ;

Voilà ce que peut la _ vraie _ littérature ;

et ce qu‘un conseiller politique d’un Premier ministre

_ de même que n’importe quel lecteur (un peu soigneux) _

peut assurément « apprendre »

_ et lui-même « se métamorphoser«  _

d’une lecture attentive

des si grands livres d' »humanité »

et de liberté

_ en de telles « métamorphoses« , donc… _

d’Imre Kertész…

Titus Curiosus, ce 21 août 2008

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