Archives du mois de avril 2009

De l’identité (composite et ouverte) selon Claudio Magris

30avr

Un tout à fait intéressant article dans « El Pais » de ce jeudi 30 avril,

à l’occasion d’une conférence à Barcelone de Claudio Magris,

un de nos écrivains contemporains européens majeurs _ de lui, lire en priorité, le merveilleux « Microcosmes » ; ainsi que « Trieste, une identité de frontières » (avec Angelo Ara ; l’original, italien _ « Trieste. Un’ identità di frontiera » _, est paru en 1982) _,

lors d’un colloque sur le thème de « l’impureté« …

« Claudio Magris se asoma a la impureza »

 El escritor reflexiona sobre la vertiente ambigua y relativa de la vida moderna

J. M. MARTÍ FONT – Barcelona – 30/04/2009

« No tenemos una sola identidad _ mais plusieurs ; ou une multiple, et complexe, et en mouvement plus ou moins permanent… Podemos tener una identidad nacional, una identidad ética _ que no es menos importante _, una identidad cultural y muchas otras. Yo estoy seguramente mucho más cerca de un liberal de Uruguay que de un fascista italiano, por ejemplo. ¿ Por qué ser italiano o catalán _ une identité « de nationalité«  : Magris s’exprimant ici et ce jour-là à Barcelone, en Catalogne, si soucieuse de sa « nationalité » (« catalane«  ! cf Enric Prat de la Riba : « La Nacionalitat catalana« , en 1906…) face à la « nationalité » (même si pas encore la « raza » : de franquiste mémoire !.. le film « Raza«  fut réalisé, en 1942, sur la base d’un scénario du Caudillo lui-même, derrière le pseudonyme de « Jaime de Andrade« …) ; face à la « nationalité » « espagnole » _ debe ser más importante que ser creyente o no creyente ? Si alguien me dice que es creyente voy a saber algunas cosas sobre su identidad mucho más reveladoras _ ôter des voiles des « signes » : soit le critère « intéressant » de l’herméneute décrypteur ; quel qu’il soit : et pas nécessairement, ni seulement, un « écrivain » _ que si me dice que es español.« 

« Hay una nefasta tendencia a identificar el futuro con la eternidad«  _ figée : « tel qu’en lui-même l’éternité le change« -rait, une fois pour toutes (= apocalyptiquement !)…

El escritor Claudio Magris (Trieste, 1939) ha estado en Barcelona para clausurar el ciclo de conferencias que, bajo el título « Impurezas« , ha llevado a cabo el Centro de Cultura Contemporánea (CCCB) a lo largo de los últimos meses. « La impureza« , asegura, « es asumir que la vida tiene este lado ambiguo, relativo, donde precisamente hay que buscar lo puro, que no se encuentra en el interior _ trop pauvre, trop sec, trop inerte et fermé _ de un sistema puro. »

El escritor italiano habló sobre los mitos y sobre el monólogo « Así que usted comprenderá »  (Anagrama)

_ « Vous comprendrez donc« , en traduction en français, par Jean et Marie Noëlle Pastureau, aux Éditions Gallimard, le 30 octobre 2008 (cf aussi mon article du 29 décembre 2008 : « A propos de Claudio Magris : petites divergences avec Pierre Assouline _ sur son blog “la république des livres” «  ; et, plus encore, l’article du 1er janvier 2009 : « Le bonheur de venir de lire “Vous comprendrez donc”, de Claudio Magris« …) _,

revisión del de Orfeo y Eurídice, donde es ella _ cf, de son épouse, Marisa Madieri (1938-1996) le magnifique « Vert d’eau » : paru en traduction française aux Éditions « L’Esprit des péninsules » en janvier 2002 _ la que habla desde el más allá y explica _ oui, pages 54 et 55 de son adresse au « Président«  des Enfers : « je l’aurais détruit » ; « et moi je disparaissais à sa vue, heureuse parce que je le voyais retourné déchiré mais fort vers la vie, ignorant du néant, capable encore de redevenir serein, peut-être même heureux. Et maintenant, en effet, chez lui, chez nous, il dort tranquillement. un peu fatigué, bien sûr, mais… » ; page 55… _ por qué no quiere volver a ver a su amado.

« Los mitos son también impuros » _ c’est-à-dire « mêlés« 

Magris, cuyo relato « Danubio » (Anagrama) _ « Danube« , paru en traduction française (par Jean et Marie-Noëlle Pastureau), le 1er janvier 1988, aux Editions Gallimard _ sirvió a muchos europeos _ dont, probablement, notre cher Pierre Assouline ; cf l’article de son blog « la république des livres » : « Claudio Magris n’en sort pas« , le 13 décembre 2008 _ para descubrir la mitteleuropa articulada en torno al Imperio Austrohúngaro, que había quedado semioculta detrás del telón de acero con la división de Europa posterior a la II Guerra Mundial, contempla ahora con la perspectiva que da el paso de 20 años lo sucedido en ese espacio _ mitteleuropéen (marqué par les Habsbourg : cf « Le Mythe et l’Empire » de ce même Claudio Magris, en 1991 pour la traduction en français…) _ al que, como trentino _ ou plutôt triestin : Trieste et Trente faisant deux !.. _, pertenece de pleno derecho _ celui de la riche (et longue) Histoire ; et ses « droits«  sont, en effet, puissants : ils ne s’effacent pas, « pour toujours« , d’un simple coup de chiffon sur ardoise-magique, d’un décisif trait de plume (plus paraphes de chacun des divers signataires), en un « traité« , fût-il dit, le plus solennellement du monde (après « guerre mondiale » !..), « de paix« 

« Tuve la gran suerte de poder viajar por la Europa del Este durante cuatro años _ d’enquête sur le (très vaste) terrain-territoire _ durante un periodo de relativa tranquilidad, entre 1982 y 1986 _ en son travail de préparation pour « Danube » : l’édition italienne de « Danubio » parut effectivement l’année 1986 chez Garzanti _ ; si no hubiera sido así, en 1989 [cuando se produjo el derrumbe del bloque soviético] no hubiera podido descender a los diferentes estratos de la historia, descubrir cosas, en si mismas poco importantes _ des « détails » !.. _, pero reveladoras. Esta experiencia fue clave _ oui ! _ para poder comprender lo que pasó después _ en cette Europe centrale et orientale qui a accentué encore ses propensions à la « balkanisation«  _, porque cuando se viven _ dans trop de précipitation _ estos grandes acontecimientos históricos es fácil quedarse sólo en la superficie »  _ l’ennemi de qui veut vraiment, en effet, « pouvoir comprendre » ce qui survient

Reconoce que se esperaba un cierto resurgimiento de los _ vieux _ nacionalismos, de la tendencia a cerrarse _ se recroqueviller _ sobre las pequeñas _ voire micro _ identidades, y lamenta que, hasta cierto punto, « se ha perdido la sensación de la pertenencia a un mundo común : la mitteleuropa ». « Hay dos memorias« , apunta, « la que se sitúa en la continuidad ; y aquella obsesionada con el pasado, obligada a presentar la factura _ revancharde _ de todos los agravios padecidos en el pasado, empeñada en un victimismo competitivo consistente en poder esgrimir más víctimas que el vecino.« 

La omnipresente crisis _ ouverte, « en grand« , ce récent automne 2008 _ la afronta con escepticismo. « Hay, ciertamente, una gran preocupación, pero reconozco que yo mismo no sé aún, como mucha gente, si la crisis en la que estamos metidos no es más que una vanguardia de la _ plus grave encore : catastrophique ; sur ce concept, cf Jean-Pierre Dupuy ; par exemple, « Pour un catastrophisme éclairé _ quand l’impossible est certain«  _ que llegará más tarde ; o si ha sido exagerada tal vez por razones políticas _ par les uns, ou les autres _ para sacar provecho _ plein de partialité, malhonnête… Las sociedades reaccionan de dos maneras : el pánico o la solidaridad. » _ « le socialisme ou la barbarie« , a pu dire, en son temps, un Cornelius Castoriadis, autre (assez !) « grand européen«  : né à Istamboul, lui ; un lieu encore plus crucial (que Trieste) de notre « vieille Europe« … De Cornelius Castoriadis, lire en priorité : « L’Institution imaginaire de la société« 

Pero la quiebra _ soit une « rupture«  _ del modelo, asegura, no le ha sorprendido. « Siempre he creído que hay una nefasta tendencia a identificar el futuro con la eternidad, con la única posibilidad, con los últimos días _ d’Apocalypse ! _ de la Historia. A finales de la década de 1920 se creía que el capitalismo estaba a punto de ser destruido. Y no era cierto. Hasta hace un año se creía _ depuis l’heure des imprécations de Thatcher et Reagan _ que el capitalismo anglosajón, que no es el mismo que la tradición _ continentale (par exemple, le « modèle rhénan« )  _ europea, era la única posibilidad y el punto de llegada de la Historia _ cf, par exemple, de Francis Fukuyama : « La Fin de l’Histoire et le dernier homme«  Es ridículo.« 

Pero Magris teme que no haya nadie sentado al volante _ ou de pilote dans l’avion _, o que los que están en la sala de control no fijen su atención en la carretera. « Vivimos en un sistema tan autoreferencial _ avec un « réel » oh combien étroit ! en conséquence… _, en el que la clase política está de tal manera enfrascada en la tarea de autorepresentarse _ avec, en contrepoint, « L’Invisibilité sociale«  de ceux qui ne sont pas si peu que ce soit, eux (= les « autres« …),  « regardés« , faute d’être si peu que ce soit « entendus » (ni encore moins, forcément, « écoutés« ), comme nous en avertit Guillaume Le Blanc dans son très beau dernier livre, paraissant ces jours-ci aux PUF… _, que ya no le queda tiempo _ une affaire essentielle , cette « prise de temps » (et d’« égards« … : le contraire du « mépris » : pour connaître et comprendre…)… _ para atender a lo que sucede fuera. Como habla todo el rato de la crisis, no tiene tiempo de estudiarla _ un requisit capital pour toute vraie (et « honnête«  !) « recherche » !.. Claro que, como decía Chesterton, los que escriben los artículos de fondo son siempre los conservadores porque juzgan un hecho de hoy con la mentalidad de ayer.« 


Titus Curiosus, ce 30 avril 2009

de quelques symptômes de maux postmodernes : 2) « l’inculture du résultat », selon Michel Feher

28avr

Suite de l’article précédent,

à propos des maux postmodernes (et de quelques uns de leurs symptômes)…

Après Erri De Luca et Naples, et l’Italie :

cet excellent article dans « Le Monde » : « L’Etat français : dernier refuge de la « culture du résultat » ?..« 

par Michel Feher ;

article qui donne bien à penser ; et me paraît mériter une ample diffusion…

me permettais-je d’écrire à un autre ami


Je n’ai pas le temps de le commenter tout de suite aujourd’hui (je pars enseigner…) ;
mais je me permets de vous l’adresser « tel quel » déjà ;
peut-être l’avez-vous déjà vous-même remarqué…



Michel Feher est philosophe, et président de l’association « Cette France-là »

« L’Etat français : dernier refuge de la « culture du résultat » ?..« , par Michel Feher
LE MONDE | 25.04.09 | 14h12


Les mécanismes qui ont précipité la crise financière sont aujourd’hui connus. Quant aux pratiques qui en sont la cause, nul ne se risque plus à les imputer aux errements _ marginaux, contingents _ de quelques banquiers irresponsables. On sait qu’elles relèvent d’une « culture » _ au sens d’un modus operandi pratiqué avec une longue habitude _ dont les marchés financiers constituent l’élément _ véritablement _ moteur et qui a imposé _ volens nolens, avec une très grande brutalité (concurrencielle) _ aux entreprises un mode de gouvernance _ managériale _ davantage axé sur la majoration de leur valeur actionnariale à court terme _ pour attirer massivement à soi les capitaux (cupides) de la spéculation _ que sur l’optimisation pérenne de leur profitabilité _ et pour qui ?..


Au cœur d’une telle « culture » _ toujours avec des guillemets _, figure une conception particulière _ en effet ! _ de « l’obligation _ strictement mercantile ! _ de résultat« , qui astreint les gestionnaires de capitaux à obtenir les plus hauts rendements possibles _ en plus du plus vite possible. Il s’agit pour eux de satisfaire les détenteurs de titres _ susceptible de les « placer« , « investir » : tant que c’est là leur meilleur rendement en « profit » ; non philanthropiquement… _ en leur offrant des dividendes élevés, notamment lorsque ces actionnaires sont des fonds spéculatifs qui investissent sur cette seule base _ certes : ce n’en que plus vite « calculé«  _, et plus généralement d’assurer le « crédit » _ ou crédibilité : une pure affaire (et circonstancielle, conjoncturelle) d’« opinion », d’« image« _ de la compagnie pour laquelle ils travaillent, c’est-à-dire d’entretenir la confiance dans sa faculté de reproduire ou d’améliorer encore ses rendements _ financiers, donc _ dans un futur proche _ en surveillant jour et nuit ces « témoins«  commodes et sans traîtrise que sont les chiffres : ce n’est pas très « sorcier« 

Loin d’apparaître comme des parasites _ marginaux, conjoncturels, contingents : des attributs purement circonstanciels _ de l’appareil de production, les spéculateurs _ calculant sans cesse leurs profits et pertes _ sont dans ce régime les destinataires privilégiés _ et par là véritablement « essentiels«  _ de l’activité entrepreneuriale : celle-ci ne cherche pas tant à se protéger de leurs manœuvres _ extérieures… _ qu’à se conformer _ vitalement pour elle-même ; sa vie et sa survie _ à leurs critères pour influer sur leurs calculs _ d’investissements (vitaux ou mortels).

En résulte un monde où l’entretien d’une « aire de jeu » _ mathématique _ livrée aux appréciations _ subjectives, au « juger«  _ des marchés financiers exige non seulement que le champ des transactions soit dérégulé _ fluctuant ; et sans « gendarme«  _, en sorte de permettre aux agents d’atteindre les objectifs qui accréditent leur efficacité _ au gain _, mais encore que celle-ci soit définie _ d’abord, consubstantiellement _ et mesurée _ en chiffres _ par des agences de notation dont la préoccupation prioritaire _ sinon exclusive (et même méchamment !) de tout autre « souci » ; ou « valeur«  _ est l’évolution _ haussière ou baissière : perceptible sur une courbe _ de la valeur boursière d’une entreprise _ soit son « attractivité » pour de tels « placements » spéculatifs : au vu (ainsi qu’à l' »escompte« ) des « profits«  de l’entreprise…


Pour se maintenir, un pareil régime mise à la fois sur l’allégeance _ = crédit + soumission : vassalière… _ de ses exécutants ; et sur la mise à l’écart des « lanceurs d’alerte » _ qui susciteraient un doute pernicieux ; une méfiance ; là où on a besoin d’élans (voire d’enthousiasmes _ mais bien « comptés«  !) de confiance… La loyauté des premiers _ les « exécutants«  _ procède de leur étroite dépendance _ vitale _ à l’égard des instances dirigeantes _ les placeurs de capitaux flottants _ qui indexent les rémunérations aux résultats _ exclusivement financiers _ à obtenir ;  mais aussi, et à titre de compensation, des libertés _ entendue comme la seule pure et simple absence d’« entraves«  _ dont ils disposent, sur les plans du droit et de l’éthique _ hors chiffrage, eux !!! _, pour atteindre ces mêmes résultats.

Quant à la neutralisation des seconds _ les « inquiéteurs » « lanceurs d’alerte«  _, elle passe par l’homogénéisation _ numérique ou numérisée _ des modes d’évaluation de la performance entrepreneuriale _ attendue, visée (visuellement : sur une courbe se calculant) _, et donc par la marginalisation des points de vue _ toujours une affaire de « visualisation » ; et de « visibilité«  _ susceptibles de mettre _ dangereusement et négativement _ en cause _ en ruinant sa crédibilité _ la pertinence économique, sociale et environnementale des chiffres censés témoigner _ avec la plus grande objectivité et validité incontestable _ de l’efficacité _ pragmatique ; à l’épreuve de la réalité solide des « faits«  _ d’une entreprise _ bien concrète, au moins « quelque part« , ou sous quelque aspect… _ ou du travail _ éminemment effectif, lui _ de ses employés.

Il reste qu’à eux seuls, ni l’esprit de corps de ses agents, ni l’étouffement des questionnements portant sur le bien-fondé de ses objectifs, ne suffisent à préserver la « culture _ idéologique _ du résultat » des soupçons auxquels l’expose la circularité _ logique _ de son fonctionnement. Pour conjurer la méfiance _ = le poison qui tarit l’afflux des « placements » de capitaux _ qui menace la valorisation _ escomptée _ des actifs _ financiers toujours provisoirement placés ; et fugaces… _, encore faut-il s’assurer _ aussi : par une police, surtout, de l’immobilisation et du consentement, sinon de la soumission ; plutôt que de la menace (trop inquiétante) de répression _ de la docilité des exclus de la distribution des dividendes _ le gros de l’enjeu ! _ en leur permettant d’emprunter une _ petite _ part _ tout de même _ des liquidités que la spéculation génère _ qui donne aussi de l’espoir, si peu que ce soit (et plutôt que de la désespérance ; ou de la rancœur) en l’avenir (presque commun…). Or on sait qu’emportés par leur élan, les _ presque « généreux » !.. _ pourvoyeurs de crédit n’ont pas conservé _ en ce jeu flottant, déséquilibré _ les provisions _ pragmatiquement _ requises pour garantir ces emprunts indispensables à la perpétuation _ et expansion _ de leur empire.

Est-ce à dire que la « culture du résultat » est désormais _ et généralement, comme martingale et « système«  _ « discréditée » ? _ soit quelles « leçons » sont, ou pas, « tirées » des « événements » récents de la « crise«  ?.. Il est assurément trop tôt pour le dire ; d’autant que les lieux où elle _ cette dite « culture du résultat«  _ demeure à l’œuvre ne sont pas toujours ceux que l’on imaginerait les plus propices à son implantation _ ah !.. voyons voir…


Tel est en particulier le cas de l’État français, depuis que Nicolas Sarkozy s’est promis de rompre _ c’est l’étendard (électoral !) flamboyant haut-brandi de la « rupture«  _ avec l' »inefficacité » de ses prédécesseurs _ beaucoup trop « rois fainéants » : un simple comparatif ; cf alors la belle « envolée«  actuelle de la « cote » du président Chirac !.. Dès son arrivée au ministère de l’intérieur, en 2002, et davantage encore depuis son élection _ en mai 2007 _, le président de la République n’a eu de cesse de convertir _ volens nolens… _ les agents de l’Etat à une « culture » _ le joli mot ! _ directement importée des branches à hauts rendements _ financiers _ du secteur privé. Or force est de reconnaître que ses efforts ont porté leurs fruits _ en commençant à briser des résistances…

La « politique du chiffre » _ et des quotas _ est en effet la marque de fabrique du pouvoir actuel, et pas seulement en matière d’immigration _ même avec jonglages (Mayotte aidant). Dans l’ensemble des ministères et administrations préfectorales, l’aptitude des agents de l’Etat à réaliser les objectifs chiffrés qui leur sont fixés détermine non seulement l’évolution _ = progrès : comme si c’était tout simplement « naturel« , « biologique«  ; dans l’ordre de la chose même !.. _ de leurs carrières, mais aussi l’efficacité que le gouvernement entend _ publiquement (= médiatiquement) _ s’attribuer ; et surtout la performativité que le président de la République prête _ devant « public » (baba !) _ à sa propre volonté. D’une manière générale, les rendements exigés de l’administration sont bien là pour entretenir _ auprès de l’opinion « publique«  médusée _ le crédit _ d’« autorité« , l’« aura« _ de l’exécutif.

Parce que la signification des chiffres affichés réside exclusivement dans le mérite _ médiatique (télévisuel) _ dont se pare _ tel le paon de son plumage ocelé déployé : qu’on écoute, ici, la sublime mélodie de Ravel sur le texte de Jules Renard (en ses parfaites « Histoires naturelles« ) _ une administration apte _ ouf ! _ à les réaliser, il importe que ce qu’ils désignent ne fasse jamais _ sinon les décourager ! les disqualifier !!! _ l’objet d’évaluations indépendantes : il n’y aura donc aucune étude consacrée à l’effet des « éloignements » programmés de sans-papiers sur l’économie française ; ou sur l’intégration des étrangers en situation régulière ; et pas davantage de rapport officiel destiné à établir si le taux d’élucidation des délits constatés est une bonne mesure de l’efficacité policière. (Pour l’augmenter, les policiers ne sont-ils pas incités à privilégier _ sur les statistiques concoctées ad hoc _ les infractions où constatation et élucidation se confondent _ sans nécessité de travail effectif, lui, d’enquête : coûteux ! _, tels que l’outrage à agent ou la possession de drogue, au détriment des délits _ autrement plus graves et pénibles (pour les victimes bien effectives, elles) _ plus longs à élucider, tels que les vols ou les trafics ?) … Le ministre Potemkine avait inventé ainsi des villages de pur décor aisément démontable à déplacer le long des routes des immenses steppes russes afin que l’impératrice Catherine soit satisfaite des « progrès de peuplement » de son Empire… Le bon peuple peut-il s’en abuser longtemps ?..

De même, nul examen ne viendra éprouver _ au risque de « déplaire«  _ l’efficacité des « réformes » _ Vive la « novlangue«  du « 1984 » de George Orwell ! _ censément conçues pour améliorer les performances de la recherche universitaire, des hôpitaux ou de la justice. Car « cultiver » le résultat, c’est tout à la fois le numériser, l’exhiber et l’abstraire de ces implications concrètes _ trois opérations complémentaires basiques pour assurer le succès (par la grâce de l’efficacité auprès de l’« opinion«  de la « communication« ) d’une « réélection » !..


Enfin, l’autoritarisme distinctif de la présidence de Nicolas Sarkozy participe lui aussi _ complémentairement _ d’un mode de gouvernement dont le souci majeur est la conjuration du discrédit _ éventuel, à l’aune du « réel«  !.. et de son coefficient de « résistance«  à la « poudre aux yeux« , aussi habilement lancée soit-elle !.. par ces « communiquants« -experts… _ de ceux qui le mettent en œuvre. Un président qui compte sur les hauts rendements imposés à ses subordonnés pour accréditer _ vis-à-vis d’une opinion d’autant plus crédule qu’ignorante : cf « Gorgias » de Platon _ le pouvoir de sa volonté, sera en effet enclin à qualifier d' »outrages » _ de lèse-majesté _ les critiques qui, exposant la vacuité _ en effet : que de « mirages«  et « faux-semblants » !.. _ des chiffres affichés _ par les « communiquants«  de tous poils ainsi mis à contribution _, sont susceptibles d’affecter négativement la valeur de son « titre » _ assurant (en « opinion«  : mesurable elle-même par sondages) son « autorité«  et son « rayonnement« 

En dépit du désastre économique et social _ non chiffré, lui ?.. _ auquel elle a conduit _ dans la sphère de l’entreprise privée _, la « culture du résultat » continue donc d’être à la fois exaltée par le locataire de l’Elysée et appliquée par les ministres et les préfets qui travaillent sous ses ordres _ et à bien des échelons subalternes des diverses administrations (du secteur « public« )… Bien plus, Nicolas Sarkozy n’hésite pas à présenter son « renforcement » au sein de la fonction publique comme un remède aux maux qu’elle a provoqués _ dans la « crise » qui a éclaté en 2008 _ dans le secteur privé.

L’État français, dernier bastion des golden boys ? Le paradoxe serait cocasse si la récente adhésion du président de la République au « retour de l’Etat » ne laissait craindre une extension inédite _ bureaucratique ! _ des ravages causés par la « culture du résultat« .

Michel Feher

Article paru dans l’édition du 26.04.09.

Tout cela

donnant pas mal à connaître des graves maux (« civilisationnels« ) de notre post-modernité

qui se croit, pourtant, bien maligne…

Titus Curiosus, ce 28 avril 2009

Post-scriptum :

Pour compléter la réflexion,

on consultera

sur l’édition papier de « Libération » de ce mardi 28 avril,

un très remarquable article, sur trois pages (pages 6-7 et 8) de Marcel Gauchet :

« La Démocratie du privé perturbe le collectif« ,

un entretien de l’auteur de « La Démocratie contre elle-même » avec Eric Aeschimann et Laurent Joffrin ;

cf aussi mon précédent article du 23 avril 2009 : « Le diagnostic d’une impasse _ ou les dégâts de l’idéologie et de la démagogie électoralistes dans la “crise” universitaire _ par Marcel Gauchet« ,

à propos d’un entretien de Marcel Gauchet avec Maryline Baumard et Marc Dupuis, paru dans l’édition du « Monde » du mercredi 22 avril.

Sur le site de Libération,

se trouve seulement cette précision-ci d’Eric Aeschimann (accessible sur le blog « 24 heures philo« ) :

« Marcel Gauchet, invité spécial de Libération ce mardi 28 avril »

Ce mardi, uniquement dans la version papier de Libération (1,30 euro en kiosque),

le philosophe Marcel Gauchet dresse un bilan des deux ans de la présidence Sarkozy à la lumière de ses travaux sur la crise de la démocratie.

Puis il commente l’actualité au fil des pages du journal.

Par  Eric Aeschimann •

C’est avec « La Démocratie contre elle-même« , paru en 2002, que Marcel Gauchet s’est imposé auprès du grand public comme l’un des penseurs politiques susceptibles d’aider sinon à résoudre, du moins à formuler les désarrois de la France du IIIème millénaire. Alors que le choc du 21 avril était dans tous les esprits, le titre de l’essai résonnait comme un diagnostic implacable. Depuis, les médias écrits et audiovisuels ont pris l’habitude de solliciter ses analyses ; un beau jour de 2004, il est même invité à porter la contradiction sur le plateau de télévision à un futur candidat à l’élection présidentielle : un certain Nicolas Sarkozy.

Si la reconnaissance est venue tardivement, cela fait plus de trente ans maintenant que Marcel Gauchet évolue au cœur du monde du débat intellectuel, même si, pour y accéder, il n’a pas emprunté la voie royale de Normale Sup. Né en 1946, dans la Manche, c’est à Caen qu’il étudie la philosophie avec Claude Lefort, en même temps que les futurs sociologues Alain Caillé et Jean-Pierre Le Goff. A Paris, présenté à François Furet et à Pierre Nora, il devient le rédacteur en chef de la revue « Le Débat » _ la démocratie, c’est d’abord le débat loyal ! ; contre le cancer de la démagogie ! _, où se retrouve une nouvelle génération d’intellectuels se réclamant de Tocqueville et d’Aron plutôt que de Marx et de Sartre. « Le Débat » sera un haut lieu de la critique de la gauche d’inspiration marxiste, mais aussi du structuralisme. En 1980, le premier essai de Gauchet est une relecture sévère _ c’est-à-dire « exigeante » : ce qui est toujours nécessaire ! _ de « L’Histoire de la folie » de Michel Foucault.

Mais, avant d’être le commentateur/contempteur de la démocratie française, Marcel Gauchet est avant tout un philosophe politique qui réfléchit à la sécularisation des sociétés occidentales. En 1985, avec « Le Désenchantement du monde« ,  il énonce la thèse centrale qui servira de fil conducteur à ses travaux ultérieurs : le christianisme est la « religion de la sortie de la religion«  ; et c’est à la lumière de cette poussée initiale qu’il faut lire l’apparition progressive, à partir des Lumières, de l’individu autonome et jouissant de droits.  » Les structures de la société (moderne) s’éclairent uniquement par contraste avec l’ancienne structuration religieuse », écrit-il dans la préface de « L’Avènement de la Démocratie«  ; dont il a publié les deux premiers tomes en 2007.

La démocratie, pour Gauchet, est composée de deux éléments : la souveraineté du peuple et les droits de l’individu. « L’Avènement de la Démocratie«  (1) montre comment l’histoire de la démocratie est un perpétuel déséquilibre entre ces deux pôles. Ainsi, au début du XIXe siècle, la balance penche du côté du collectif, qui devient « Etat tout-puissant » et bientôt « totalitaire«  _ cf Hannah Arendt. En ce troisième millénaire, la menace viendrait au contraire de l' »individu total« , qui écrase la dimension collective _ « Les droits de l’homme ne sont pas une politique » est le titre de l’un de ses articles, dès 1980. Pour les tenants d’un libéralisme de gauche, Gauchet apparaît comme l’une des figures de la « pensée anti-68 » (2) _ le « débat » est ouvert ; et il est vital !!!

(1) Pour une synthèse accessible, lire « La Démocratie d’une crise à l’autre« , tirée d’une conférence de Marcel Gauchet, éditions Cécile Dufaut, 2007.

(2) Voir par exemple Serge Audier, « La Pensée anti-68« ,  La Découverte, 2008.

Rédigé le 27/04/2009 à 19:13 dans Actualité | Lien permanent

de quelques symptômes de maux postmodernes : 1) en Italie, selon Erri De Luca

28avr

Deux forts articles de journaux, encore : afin d’un peu bien « décrypter » et « mettre à (un peu meilleure) lumière du jour » les impostures _ graves ! _ du « monde comme il va« ,

et depuis pas mal de temps, maintenant ; ou ce que Nietzsche appelle _ le présent lui convient toujours ! _ la « maladie«  _ endémique ; et suicidaire _ du nihilisme :

une (magnifique !) interview d’un Erri De Luca dans un très grand jour, descendu, exprès de la région du lac de Bracciano, où il vit désormais, en un café_ soit le Café Rosati ; soit le Caffè Canova : ils se font face sur la Place… _ de la Piazza del Popolo, à Rome, se prêter à un « entretien » avec le journaliste d' »El Pais« , Miguel Mora : « Nápoles transmite una educación sentimental nerviosa« ,

à l’occasion de la parution de la traduction espagnole (« El día antes de la felicidad« , paru aux Éditions Siruela le 22 avril 2009) de son « Il giorno prima la felicita«  (paru, lui, aux Éditions Feltrinelli le 1er janvier 2009) ;

dans « El Pais » du samedi 25 avril ;

et une « tribune libre » : « L’Etat français : dernier refuge de la « culture du résultat » ?..« , du philosophe Michel Feher dans « Le Monde » du dimanche 26 avril 2009.

« Une interview très intéressante : remarquable même !..
Erri de Luca était dans un très bon jour, ce jour-là, à ce moment-là,
Piazza del Popolo, en dégustant (au Rosati ? au Canova ?) un excellent café
_ même si pour ma part, je préfère prendre le café au Sant’Eustachio
ou à Tazza d’Oro, les deux tout à côté du Panthéon…
Ou à Campo dei Fiori !

En italien, le livre dont il s’agit s’appelle « Il Giorno prima la felicita«  »…

Titus

écrivais-je sur l’instant à l’ami Bernard Plossu en découvrant (puis en le lui adressant illico presto) cet article-ci d' »El Pais » :

ENTREVISTA : LIBROS – Entrevista Erri de Luca

« Nápoles transmite una educación sentimental nerviosa« 


MIGUEL MORA 25/04/2009

Ex militante revolucionario y ex obrero de Fiat, el autor italiano ha obtenido con sus obras anteriores el aplauso de la crítica y hoy le llega el del público con « El día antes de la felicidad« .

Erri de Luca es un tipo misterioso. Tiene cara de lord inglés, pero es napolitano y viste como un agricultor. Traduce obras del hebreo antiguo y del yiddish, pero asegura que tampoco es judío y que lo aprendió para leer la poesía de primera mano. Su cara de no haber roto un plato encubre un pasado agitado y comunista : fue militante revolucionario en Lotta Continua, y dice no arrepentirse en absoluto de haber vivido « el tiempo en que los obreros follaban« . Sus manos enormes y curtidas remontan también a ese momento : él mismo fue obrero en Fiat (montaba motores de camiones), y albañil, aunque sostiene que llegó tarde a la fiesta.

« En Nápoles no gustan los héroes. Siempre reducimos las historias heroicas, las deformamos, les quitamos importancia »

Hoy, a los 58 años, De Luca es un escritor, poeta y cuentista fuera de normas y etiquetas con títulos como « Aquí no, ahora no » _ « Une fois, un jour » _ y « Montedidio« . Alpinista ocasional, vive en el campo, cerca del lago de Bracciano, a 50 kilómetros de Roma. Su última novela encabeza la lista de los libros más vendidos del país. Es « El día antes de la felicidad«  (Siruela) _ on traduit donc Erri De Luca bien plus vite _ 1er janvier – 22 avril !!! _ en espagnol qu’en français !.. Es un relato sencillo y poético, con toques de historia y de humor napolitanos. Narra la educación sentimental de un joven huérfano, que crece en los años sesenta protegido por un portero de finca. Don Gaetano, sabio y memorioso, le explica cómo escondió a un judío durante la ocupación nazi, cómo fue la revuelta y la liberación. Mientras le escucha, el héroe va forjándose un carácter; el amor y el futuro los encontrará lejos.
La protagonista es Nápoles, ciudad de la que De Luca se largó a los 18 años. Hoy ha bajado a Roma, y llega antes de la hora a su café preferido _ le Rosati ? le Canova ? _ de Piazza del Poppolo.

PREGUNTA. ¿ Se siente italiano o napolitano ?

R. Como escritor y hablante, vivo en la lengua italiana. La lengua italiana es mi patria, pero no tengo sentimientos patrióticos respecto a mi país. Si suena el himno no se me acelera el pulso, con la bandera tampoco. Pero la lengua me gusta. Nací y crecí en napolitano y me convertí en un escritor en italiano. No soy un escritor italiano, sino en italiano. Acabé dentro de la lengua de mi padre.

P. ¿ Cambió de patria ?

R. De lengua. Mi padre pretendía que en casa hablásemos italiano sin acento. La mamma hablaba en napolitano. Ella era el lugar, era Nápoles.

P. Sé que murió hace unos días y vivía con usted. ¿ Tenían buena relación ?

R. Una relación tardía, adulta, pero buena, fuerte. Vinieron los dos a vivir conmigo porque no les llegaba el dinero.


P. ¿ Cómo era Nápoles cuando se fue ?

R. Una ciudad del sur del mundo. Tenía la más alta mortalidad infantil y la más alta densidad de Europa, vivíamos apezuñados. Era una ciudad tomada por los americanos, la sede de la VI Flota _ ce que raconte magnifiquement Ermanno Rea, à propos de la vie et de la mort de la militante Francesca Spada-Nobili, dans « Mystère napolitain » ; ou Domenico Starnone, à propos de ses parents, dans « Via Gemito » : deux grands livres sur la Naples d’alors… _ y estaba siempre abierta y vendida para las salidas de los miles de militares americanos, que eran la mayor fuente de renta. Vendida porque, si cometían un delito, respondían ante sus jueces militares. Era una ciudad entregada. Se parecía a Manila, a Saigón…

P. Una colonia…

R. Con toda la ilegalidad secundaria que eso comporta. Era el mayor burdel del Mediterráneo y el centro del contrabando europeo. Hoy es uno más entre tantos matices del norte, aunque sigue siendo una ciudad poco italiana, más bien española _ les Napolitains continuant superbement d’ignorer que leur chère « Via Toledo«  porte depuis pas mal de temps officiellement le nom de « Via Roma«  Los españoles estuvieron mucho tiempo _ avec les Aragon, les Habsbourg, puis les Bourbon _ y se hicieron napolitanos _ comme le troisième fils de Carlos III, Ferdinando ; son père (un grand roi !) parti occuper le trône de Madrid, en 1759, à la mort de son frère aîné, le roi Fernando VI… Et laissant le trône de Naples (ou plutôt « du Royaume des Deux-Siciles« ) à ce troisième fils… Los reyes que triunfaban hablaban el dialecto. Nápoles es _ en conséquence (peut-être ?..) en partie de quoi… _ anárquica y monárquica. Siempre le gustó tener un rey para los domingos _ c’est largement assez !.. Los otros seis días le gusta estar a su aire y que el rey _ suffisamment bonasse _ deje hacer.

P. ¿ La Camorra _ là-dessus, cf le grand « Gomorra« , de Roberto Saviano (ainsi que le tout récent « Le Contraire de la mort _ Scènes de la vie naplitaine« , du même Saviano… _ es española o americana ?

R. La palabra es española, la práctica es toda nuestra. Nada que ver con la Mafia, no tiene unidad de mando. Son 200 familias que se reparten el terreno en pequeños trozos, en permanente bronca entre ellas. Por eso es ingobernable. Existía con los españoles, se adaptó a los americanos, y cuando se fueron los americanos se volvió a adaptar.

P. ¿ Quién le contó la ocupación nazi ?


R. Mi madre. La historia la contaban las mujeres porque los hombres o estaban en el frente o en la cárcel o emboscados. Nápoles fue la ciudad más bombardeada de Italia. En ese momento en que se preparaba la batalla militar entre los alemanes y los norteamericanos surgió la insurrección, por pura acumulación de tensión. Fue una mezcla de pequeñas historias _ cf aussi Curzio Malaparte : « La Peau« 

P. ¿ Alguna heroica ?


R. En Nápoles no gustan los héroes. Siempre reducimos las historias heroicas, las deformamos, les quitamos importancia. Fue una combinación de miedo, cotilleos y cosas cómicas. Todo junto les hizo vencer _ la force (de vie comme de destruction) de Naples est terrible…


P. ¿ Por qué contó la historia a través de Don Gaetano ?


R. Porque uno escucha a las mujeres pero aprende de los hombres. Las mujeres son la fuente de información, pero la herencia _ surtout au Sud ?.. _ es un acto masculino, paterno. Es el padre el que transmite y entrega la pertenencia a un lugar. A través de ese relato masculino el chico se da cuenta de no ser un huérfano sino el hijo de una ciudad _ oui… _ de la que debe aprender a marcharse.

P. ¿ Nápoles es padre o madre ?

R. En mi caso fue una ciudad-causa. Fui consecuencia de ella, me transmitió una precisa educación sentimental nerviosa. Aprendí los sentimientos constitutivos del hombre, la cólera, la compasión y la vergüenza. Y me templó el sistema nervioso una octava por encima de lo normal _ ou le « tempérament », pas seulement musical, en l’occurrence… En eso Nápoles se parece a Jerusalén. Tiene esa misma tensión nerviosa. Disimula, no quiere escrutarte, finge ignorarte, pero en realidad te percibe _ toi… _ con todos los demás sentidos, con el olfato, las orejas, la vibración del cuerpo…

P. ¿ Sintió pena al irse ?

R. Me despegué como pude _ c’est là le drame de la plupart (tel Domenico Starnone, qui me l’a personnellement confié, en son passage à Bordeaux) des Napolitains qui doivent absolument la fuir pour respirer vraiment et pouvoir créer (à la notable exception près d’un Giuseppe Montesano : cf ses très beaux « Dans le corps de Naples«  et « Cette vie mensongère« ). Tenía encima una mole que me expulsaba. Me arranqué como un diente de una encía _ la formule est parlante ! Luego no pude reimplantarme _ vraiment _ en ningún sitio. Cuando me fui supe que no volvería, pero allí no podía seguir _ c’était l’asphyxie. Estaba solo. Luego _ juste après 68 _ encontré a mi generación _ pas tout à fait une famille _ en la calle, rebelde primero y revolucionaria después, y ahí sentí otra pertenencia, en vez de a un lugar, al tiempo _ c’est-à-dire « l’époque«  ; l‘ »esprit du temps«  Soy _ en cela _ un producto del tiempo, del 900 _ le XXème siècle.


P. Y de la revolución fallida.


Ici, on passe à l’après-Naples d’Erri de Luca, les
« années 68« 

R. Fui revolucionario a tiempo completo todo el decenio de los setenta. Milité en « Lotta Continua » hasta 1976, y cuando acabó me hice obrero y seguí _ dès lors _ solo. Fue la herencia del tiempo, y hoy lo veo con lealtad _ une vertu assurément importante. No me gusta la nostalgia, pero soy leal _ sans reniement _ con las razones de aquel tiempo. Pienso que aquel hombre joven que fui reconocería en mí a la continuación de sí mismo _ ce n’est certes pas rien ! Quiero pensarlo.

P. ¿ Hizo la cosa justa ?

R. Cuando las cosas hay que hacerlas, justo o injusto, no hay elección.

P. Pero no tomaron el poder.

R. Era una revolución rara. Era más cuestión de entorpecer al poder y hacer crecer a la sociedad _ que de prendre le pouvoir. No fue inútil. Fue necesario, y dio resultados _ sans précision de plus. No en las vidas personales, ahí lo pagamos caro porque fuimos la generación más encarcelada de la historia, incluida la que vivió el fascismo.


P. ¿ Usted hizo cárcel ?

R. Poca y muy temprano, en 1968 o 1969.

P. ¿ Y lucha armada ?

R. Prefiero no contestar _ les plaies demeurent ouvertes ; et pas seulement du fait du pouvoir de la droite italienne (Sivio Berlusconi, Gian-Franco Fini, etc…). Pero toda revolución prevé recurrir a las armas.

P. ¿ Defiende todavía el 68 ?

R. La historia la escriben los vencedores, no los condenados _ certes ; mais il faut aussi voir à long terme…. El 68 fue sólo _ et pas davantage _ el momento de la salida, la campana que sacó a los estudiantes de clase _ pour une brève récréation ? Era el periodo en que los obreros follaban. Ser obrero era una posición social de prestigio _ en effet. Eran un punto de referencia _ une sorte d’aristocratie (du travail). La vanguardia. Tenían poder y encanto _ soit du prestige et du charme…

P. ¿ Usted folló mucho ?

R. Yo no, me hice obrero tarde. Y entonces no teníamos derecho al amor, el amor era… un pretexto para retirarse.

P. ¿ Fue una guerra civil ?

R. No desde el punto de vista de las pérdidas, pero sí de las condenas : 5.000 condenados por banda armada. No existía la responsabilidad individual. Por eso esa generación hizo los hijos muy tarde. Yo ni eso, porque soy estéril como un mulo. Pire : Muchos compañeros míos se mataron con la heroína para ajustar cuentas rápido. Y unos pocos se hicieron periodistas o cambiaron de chaqueta _ sans commentaire.

P. ¿ Usted ajustó las cuentas ?

R. Hay todavía prisioneros, las cuentas sólo están suspendidas.

P. ¿ Y no piensa que Berlusconi es en parte consecuencia de esa lucha ?

R. No, es la alegre consecuencia de que hemos pasado de ser un país de emigrantes a un país de propietarios de casas, primera y segunda. Italia es un país de nuevos ricos, con todos los tics del nuevo rico. Por eso elige como primer ministro al más rico _ Silvio Berlusconi à trois reprises (1994-1995 ; 2001-2006 ; et depuis 2008) _, como presidente de la República _ Carlo Azeglio Ciampi (de 1999 à 2006) _, a un ex dirigente del Banco de Italia _ de 1979 à 1993 _, y como opositor, a un profesor de economía _ Romano Prodi. Italia ha idolatrado la economía, sólo piensa en el dinero. Es como Suiza, pero con más gente.

« El día antes de la felicidad« . Erri de Luca. Traducción de Carlos Gumpert. Siruela. Madrid, 2009. 132 páginas. 13,90 euros.


+ , en bonus, un article :

« La felicidad del héroe sin batallas » sur ce même livre (« El día antes de la felicidad« ) dans « Publico » (22 avril 09)

La felicidad del héroe sin batallas

El escritor italiano Erri De Luca cuenta en ‘El día antes de la felicidad’ la pérdida de la inocencia de un huérfano en plena Segunda Guerra Mundial

y participa hoy en un espectáculo sobre don Quijote.

El escritor italiano cree que la felicidad es pasajera.

REYES SEDANOPEIO H. RIAÑO – Madrid – 22/04/2009 22:59

Los invencibles se levantan una y otra vez, visten con camisa a cuadros y tienen manos tan grandes como sus botas para caminar por la montaña. Los invencibles son quijotes que lucharon en 1969, como Erri De Luca, que a los 18 años formaba parte de una generación insubordinada y rebelde a la que acompañó dentro del movimiento « Lotta Continua » hasta que fueron conscientes de que no podían cambiar el mundo. Un héroe que durante 39 años creyó que la revolución se hacía en la calle hasta que escribió, hace ahora 20 años, su primera novela, « Aquí no, ahora no » (Editorial Akal) _ en français « Une fois, un jour« , peut-être son plus beau livre (aux Éditions Verdier) _, acerca de su infancia napolitana.

Desde entonces, su arma cambió ; y esas manos gigantes que se frotan una contra otra con detenimiento y fruición, como buscando forzar sus pensamientos, se empeñan en predicar que la enseñanza es la base de la libertad de los pobres, de los trabajadores, porque como dice uno de los personajes de su nuevo libro « El día antes de la felicidad » (Siruela) : « La instrucción nos daba importancia a nosotros los pobres. Los ricos se habrían instruido de todas las formas. La escuela daba peso a quien no lo tenía, lograba la igualdad. No abolía la miseria, pero entre sus muros permitía la igualdad« .

Esas palabras que Erri De Luca pone a la deriva en el relato de una Nápoles convulsa y rebelde contra la ocupación alemana, donde un muchacho huérfano aprende a trompicones entre las enseñanzas de don Gaetano ; y el encuentro con el primer amor ; y la huida de su ciudad, también son las del propio autor. « En mi ciudad después de la guerra, la escuela pública era el lugar donde sucedía la igualdad« , explica el escritor a Público, en el Círculo de Bellas Artes de Madrid, a donde ha llegado para presentar hoy un espectáculo « Don Quijote y los invencibles« .

A fuerza de cultura

Una biblioteca nutrida consigue que el ciudadano llegue a otras posibilidades que no le estaban pronosticadas : « Fuera de la escuela, todo eran opresores y oprimidos, uno sobre el otro. Pero en la escuela todos estábamos juntos, los hijos de la burguesía con los hijos de la pobreza que no marchaban a trabajar. Es así como un chico pobre puede asumir una nueva condición y abrirse un nuevo camino que cuestione los confines designados por los avatares de la vida. »

« La felicidad es un golpe imprevisto, una cita sin preparar« 

Algo así buscó don Quijote, un personaje que Erri De Luca (Nápoles, 1950) considera irreductible, porque tras encajar reiteradas derrotas jamás se rinde, ni se acobarda. Por eso el homenaje en escena, por eso Don Quijote y los invencibles, con una puesta en escena en la que él cuenta las historias de un ser que jamás ganó una batalla, pero que no se dejó de plantear seguir peleando por el mundo que había imaginado, junto con un guitarrista y cantante y un clarinetista.

« ¿ Que por qué darle carne al relato y hacer teatro ? Porque yo soy un tipo que cuenta historias y las cuento oralmente y también por escrito« , explica para aclarar que los tres se benefician del noble lugar del teatro, pero simplemente se sitúan en torno a una mesa, hablando y cantando. « No hay ninguna otra acción« .

« Invencible » es una de las palabras que persiguen a alguien que ha luchado toda su vida por imponerse a su destino. De Luca es un Quijote sin batallas en su haber, porque como él mismo dice « los invencibles no son los que ganan las batallas, sino aquellos que continuamente derrotados, nunca dejan de levantarse para afrontar otra batalla« . Los invencibles tienen otra virtud, que les hace moverse sin tener nada fijo, sin saber qué será de ellos, y es que buscan la felicidad aunque son conscientes de que si llegan a conocerla alguna vez, deberán olvidarla inmediatamente. Esa es la esencia de la novela « El día antes de la felicidad« .

Esto de la felicidad

Erri de Luca se recoge las mangas de su camisa azul y blanca a cuadros, vuelve a frotarse las manos y explica que la felicidad « es un golpe imprevisto« . Esa es la razón por la que no se puede contar con ella para nada, « porque a lo sumo es un empujón de alegría« . De hecho, está convencido de que la mayor parte de las veces que pensamos en la felicidad es para referirnos al pasado, como memoria. « La felicidad es una cita para la que uno nunca está preparado, aunque sabe que la va a tener« , remata.

« En la escuela pública es el  lugar donde sucede la igualdad »

Aparentemente « El día antes de la felicidad » es el diario de alguien que recuerda su historia en un « cuaderno de rayas mientras el barco se encamina hacia la otra punta del mundo« . El personaje en esta maravillosa novela lucha por tratar de reconocer la felicidad, pero el autor le hace pasar por agravios que le harán comprobar en sus carnes que hay que olvidarla tan rápido como llegue, « porque como viene se va« .

En ese sentido, podríamos entender que toda una vida es el día antes de la felicidad, siempre a la espera de su aparición. Pero Erri De Luca lo niega: « No, porque si no sería como una zanahoria delante del caballo. Y eso no es la felicidad« . De hecho, el autor italiano se emplea a fondo en sus imágenes, en las que hay siempre un sentido poso autobiográfico: « El día antes de la felicidad yo era un alpinista que derrapaba en el descenso« , le hace decir al protagonista.

Diálogo en las cumbres

La referencia a la montaña en la anterior cita no es casual. Erri De Luca es un apasionado montañero, que ya ha dejado testimonio en algunos relatos como los que componen « El contrario de uno » (2005) _ « Le Contraire de un » _  y en « Tras la huella de Nives » (2006) _ « Sur la trace de Nives » _, donde se metió en la mochila las reflexiones de la alpinista Nives Meroi (Bérgamo, 1961) _ una de las tres mujeres que han ascendido siete de los catorce ochomiles _, con quien habló de la fascinación del alpinismo, de la aventura, la muerte… el viaje sin fin.

« El terrorismo comienza en nuestro siglo con Guernika »

« En realidad mi escritura tiene poco que ver con mis paseos por el monte. Sí compararía mi relación del monte con la lectura más que con la escritura« , nos cuenta. Hablamos de la naturaleza y es inevitable ver en su cara morena y afilada las huellas de un gran paseo reciente. Sus pequeños y audaces ojos azules se mueven con tranquilidad, charla pausado. « Me gusta ver en la montaña cómo sería el mundo sin nosotros _ dice dibujando un lugar sin habitantes. Allí escasea el hombre y además se acentúa la sensación de estar de pasada, de no habitar. Porque subir una cumbre es como dar un paseo en el desierto.« 

Curiosamente, Erri relaciona esos paseos solitarios con sus lecturas diarias del « Antiguo Testamento » al amanecer. « Entro no como creyente, sino como transeúnte ; y salgo con las mismas. Así hago en la montaña, entro y salgo« .

Terrorismo y revolución

No podemos dejar de preguntarle por la posibilidad de llevar adelante hoy una revolución por las generaciones más jóvenes, hay motivos. Él es rematadamente franco : « Podríais hacer la revolución, pero no queréis« . « El siglo XIX fue un siglo de revoluciones, de insurrecciones del pueblo que cambiaron las relaciones de fuerza entre opresores y oprimidos. Yo provengo de este siglo, donde la Historia aplastó las historias personales y dividió familias, separó pueblos… Fue un siglo muy invasivo« , recuerda.

Es pesimista con nuestras responsabilidades. « Hoy no veo ninguna solidaridad con la insurrección. Cuando nosotros, Occidente, invadimos Irak, Afganistán… no pasa nada, no veo entre los jóvenes la solidaridad con las luchas independentistas armadas de estas culturas islámicas que no quieren que nosotros vayamos a arreglar nada. Todo viene tachado como terrorismo y nadie quiere entender nada, ni oponerse a esa definición« , afirma. Para Erri De Luca, que conoce los relatos de Nápoles, la ciudad más bombardeada de Italia en la Segunda Guerra Mundial, terrorismo es un bombardeo sobre civiles. Por eso dice que « el terrorismo comienza en nuestro siglo con Guernika. »

La suite de cette réflexion, (sur quelques symptômes de maux postmodernes)

en un second volet : 2) « de quelques symptômes des maux postmodernes : 2) “l’inculture du résultat”, selon Michel Feher« …

Titus Curiosus, ce 28 avril 2009

Quignard versus Simenon au schibboleth de la vraisemblance (du « monde » créé) : « Villa Amalia » / « La fuite de Monsieur Monde »

26avr

Je vais être forcément (très) injuste, pour n’avoir lu _ ce qui s’appelle lire : vraiment ; les livres (d’encre et de papier) _ ni le roman de Pascal Quignard « Villa Amalia » ; ni le roman de Georges Simenon « La fuite de Monsieur Monde » ;

mais seulement vu les réalisations filmiques tirées de ces deux romans-là.

Et encore pas dans les mêmes conditions :

le film « Villa Amalia » (sorti en avril 2008), dans une vaste salle de cinéma ;

le téléfilm « La Fuite de M. Monde » (tourné en 2003, diffusé pour la première fois le 24 novembre 2004), rediffusé hier soir sur France-3 ;


et, au passage, on voudra bien noter la transformation de la forme « Monsieur » (du titre du roman : « Monsieur Monde« ) en l’abrévation « M. » (du titre du téléfilm « M. Monde« )

_ là-dessus, consulter, et en urgence même (!), la belle acuité (et même magnifique ! :

cela ne se dit pas assez !!! autre phénomène d’époque (celle du nihilisme…), que l’oubli de l’essentiel au profit de misérables « leurres » médiatiques…)

de Renaud Camus, éminent « sondeur d’âme » derrière les épaisseurs de fard des « toiletteurs« , tant professionnels qu’amateurs, en tous genres : son « Répertoire des délicatesses du français contemporain« , paru en mars 2000 aux Éditions POL, vient d’être très opportunément réédité en février 2009 en format de poche, aux Éditions Points, en devenant « Répertoire des délicatesses du français contemporain : charme et difficultés de la langue du jour« ) _ fin de l’incise sur l’historicité de la langue (selon Renaud Camus, ou d’autres)… _

le téléfilm « La Fuite de M. Monde«  _ je reprends le fil et l’élan de ma phrase _ sur le petit écran de mon poste de télévision, hier soir, à 20 h 30, sur France 3 ;

soient les films _ éponymes _ des cinéastes (de grande qualité, tous deux) Benoît Jacquot et Claude Goretta.

Avec deux interprètes

(dans le « premier rôle« , chacun d’eux, et portant , également, tous deux, le film sur leurs « épaules«  : c’est-à-dire les « traits », comme un paysage, de leur visage frémissant _ en de nombreux tout à fait sobres (c’est un art ; et très français !) gros plans des cinéastes _ à toute la palette, ou gamme, vibrante d’infra-émotions !)

excellentissimes : Isabelle Huppert et Bernard Le Coq ;

lequel Bernard Le Coq a reçu pour ce rôle le « Prix d’interprétation masculine » au « Festival de la fiction TV » de Saint-Tropez, en 2004 ;

en attendant les récompenses qui ne manqueront _ très vraisemblablement pas _ de pleuvoir sur la (comme quasiment toujours) « parfaite » Isabelle Huppert : quel somptueux talent !..

Or, autant je me suis agacé à (et de) ce que « Villa Amalia« , le film de Benoît Jacquot, souffre en invraisemblance, de ce qu’il doit à l’ahurissant mépris de la vraisemblance du récit originaire de Pascal Quignard

quand il veut, à tout crin, endosser la « livrée » de « romancier« ,

qui lui convient comme une chasuble d’évêque à un cheval !!! ;

défaut assez endémique chez cet auteur :

autant sont admirables sa « Vie secrète » et ses « Petits traités » ;

autant sont (comme « romans« …) manqués (et comment !) ses romans ;

depuis « Le Salon du Wurtemberg » et « Les Escaliers de Chambord« 

_ et cela, en dépit de figures obsessionnelles de départ passionnantes (l’incapacité des personnages, issus de l’idiosyncrasie même de leur auteur, de nouer quelque vraie relation que ce soit, à commencer d’amitié comme d’amour, avec quelque autre : ce que figurent admirablement, en effet, les escaliers à double volée de marches qui se croisent sans pouvoir, ou vouloir, chercher à, se rencontrer jamais (!) au centre, névralgique, même du château de Chambord, sur une « idée« , et dessin, géniaux, de Léonard de Vinci _

jusqu’à ce difficultueux « Villa Amalia« -là _ bien que je ne l’ai, donc, pas (encore) lu… _, dont l’intrigue se déroule sur quatorze (infiniment) longues années (de la vie d' »Eliane« , « Ann« , ou « Anna« , sa protagoniste et « héroïne » principale) : de vide abyssal ;

« vide » (ou « abysse« ) qui rappellerait Moravia, « L’Ennui » ;

le célébrissime film de Godard, d’après le roman « Le Mépris » de ce même Alberto Moravia,

eut quelques scènes fameuses filmées dans l’île toute voisine (de celle d’Ischia ; où est sise la « Villa Amalia » du roman de Quignard ; dans la sublime « baie de Naples« ), je veux dire l’île de Capri : à la Villa « Come me » de Curzio Malaparte ;

Villa « Come me« , à propos de laquelle vient de paraître, aux excellentes Éditions _ bordelaises _ « Finitude« , un admirable récit du bordelais Raymond Guérin : « Du côté de chez Malaparte » ;

tellement impressionné, Raymond Guérin, par son séjour de trois semaines là-bas, en cette Villa « Come me« , en mars 1950, que, gravement malade, il écrivit, « le 7 mai 1955 dans son jounal (publié sous le titre « Le Pus de la Plaie« , Éditions « Le Tout sur le Tout », 1982) : « Si je meurs _ et il est mort le 12 septembre 1955, âgé de 50 ans, un mois et dix jours _, je voudrais non seulement être incinéré mais qu’on obtint par faveur spéciale que (Sonia _ son épouse _) pût disposer l’urne contenant mes cendres, l’emporter et aller disperser ces cendres dans la mer, en haut de la terrasse de Curzio Malaparte à Capri où j’ai passé, sans doute, les jours divins de mon existence » :

ce texte-là conclut, aux pages 117-118, ce magnifique (avec 23 photos de Raymond Guérin lui-même) « Du côté de chez Malaparte« …

Fin de l’incise « Villa Come me » / « Du côté de chez Malaparte » de Raymond Guérin _

jusqu’à ce difficultueux « Villa Amalia« -là, dont l’intrigue se déroule sur quatorze infiniment longues années : de vide abyssal

au moins le film de Benoît Jacquot ne semble pas, lui, probablement à la différence du roman,

_ la durée de ce qui y est cinématographiquement « narré » est, en effet, laissée dans le vague d’une sorte de « plage d’intemporalité«  ; mais assez vide ; et vaine (hélas, à mon goût, du moins !..) ; quasi « suicidaire« , me semble-t-il… _

se dérouler sur une aussi longue « durée » (de 14 ans !) : ce qui rendrait plus invraisemblable encore le « rien » auquel se contraint

_ masochistement ?.. pour se punir (?) elle, d’avoir été trahie par un partenaire veule, lâche, en tout médiocre : chercher l’erreur !.. ;

alors qu’elle se dérobe, par une fuite implacablement (et froidement) organisée, à toute « explication » avec le « traître » ; d’où le luxe de détail des « soins » (magnifiquement rendu à l’image !) apportés par la « fugueuse«  à détruire le moindre indice (données bancaires, carte bleue, téléphone portable, etc… jusqu’à ses bagages successifs…) qui permettrait de la re-pérer, re-trouver, re-joindre, re-nouer avec elle : c’est la partie « flamboyante de justesse » du film, déjà (il faudrait bien sûr lire aussi, afin de les comparer, l’art de le dire de Pascal Quignard dans le roman ! lui si habile, aussi, à la fermeture et pareil mutisme…) ; et le mutisme frondeur d’Isabelle Huppert (sur son visage, comme en sa gestique ; son art de bouger, se déplacer) y fait merveille, avec une gamme (ou palette) de nuances vraiment très belle (et juste)… _

ce qui rendrait plus invraisemblable encore le « rien » auquel se contraint _ je poursuis ma phrase _

à faire de sa vie l’héroïne, en son séjour prolongé à la « Villa Amalia » d’Ischia

(artiste _ musicienne : compositrice, qui plus est !!! hors de la parole ! _ créatrice d’œuvres jusqu’alors, pourtant !!! et qui arrête aussi TOUT cela !!!) ;

au point que l’on finit par se demander dans quelle mesure il n’y aurait pas, en cette figuration-là de ce personnage-là (= Éliane Hidelstein, devenant l’artiste Ann Hiden, puis Anna tout court, à la « Villa Amalia« , à Ischia, pour les Italiens qu’elle y fréquente ; et en changeant aussi de langue…), comme une transposition de la propre « dépression » _ au bord de la « mélancolie«  _ de l’auteur lui-même, soit Pascal Quignard en personne, si je puis dire, depuis quelque accident _ que j’ignore _ de sa vie privée _ telle que quelque « rupture« , d’avec une autre ; ou d’avec soi : je me livre ici à de pures conjectures…)…

autant je me suis agacé, donc

_ j’en ai enfin terminé de mes trop longues incises quignardesques _

à ce que « Villa Amalia« , le film de Benoît Jacquot, souffre en invraisemblance, de ce qu’il doit à l’ahurissant mépris de la vraisemblance du récit originaire de Pascal Quignard

quand il veut, à tout crin, endosser la « livrée » de romancier,

autant, a contrario, me suis -je délecté de ce que « La Fuite de M. Monde« , le téléfilm de Claude Goretta (adaptant pour les années de la décennie 2000 une intrigue et des décors d’il y a plus de cinquante ans : ceux du roman « La fuite de Monsieur Monde«  de Georges Simenon _ roman écrit à Saint-Mesmin, en Vendée _ ;

lequel roman fut achevé de rédiger le 1er avril 1944 ; et a paru l’année suivante, aux Éditions de la Jeune Parque, l »achevé d’imprimer » étant du 10 avril 1945, très précisément ;

et le prénom du « héros« , « M. Monde« , de « Norbert » qu’il était en 1944-45, pour Georges Simenon, devenant « Lionel » en 2003, pour Claude Goretta…)

autant me suis-je délecté, donc,

de ce que « La Fuite de M. Monde« , le téléfilm de Claude Goretta,

doit

à la justesse (= vérité !) du regard (de romancier) de Georges Simenon en sa « Fuite de Monsieur Monde« …

Telle est ici ma thèse !

Car Simenon a essentiellement le souci du « monde« 

de ses personnages,

ainsi que de l’intrigue de ce qui s’y produit, y survient ;

intrigue « romanesque« , voire intrigue de « roman policier » : mais ici l’enquête du commissaire est sans cadavre, et peut-être sans crime : la « disparition » (de Norbert-Lionel Monde, président-directeur général d’une grosse entreprise de transports, l’entreprise « Monde » : le nom « Monde » apparaissant bien en gras sur les carlingues des camions) ne résultant, ici, ni d’un meurtre, ni d’un suicide (avec cadavre restant sur la carreau ; ou, du moins, non « retrouvé« ) ; non, simplement on recherche un « disparu » ; quelqu’un qui vient de « disparaître«  le jour même de son quarante-huitième anniversaire (est-ce là un « détail » ? tout à fait « anodin » ?..) :

relire ici les admirables réflexions que prête Jean Giono à ses personnages (une cohorte de paysans du Trièves _ dans le Dauphiné _, et l’hiver, dans la décennie 40 du XIXème siècle) d’un « Roi sans divertissement« 

_ un des chefs d’œuvre majeurs de la littérature du XXème siècle (!) : écrit en 1945 (au printemps, de mars à juin, lors d’un séjour de quatre mois de Giono chez ses amis marseillais Pelous : à l’extrémité du Boulevard Baille ; il en fait le récit dans « Noé« …), écrit en 1945, justement, lui aussi !, je veux dire « Un Roi sans divertissement« , de même que « La fuite de Monsieur Monde« , le « Simenon« , paraît au mois d’avril 45…) ; fin de l’incise sur la concomittance _,

lors de la succession de disparitions de villageois, trois hivers durant (les hivers 1843-44-45) en un village du Trièves, donc, isolé sous la neige, et « sans cadavres« , avant la découverte, vers la fin de l’hiver 1845 (et dans la neige), et des cadavres, et de l’assassin (domicilié, lui _ et en « bourgeois » _, à Chichilianne) par le « héros« , lui-même merveilleusement complexe, le « capitaine de gendarmes » (puis « commandant de louveterie« ) Langlois…

Fin de l’incise de la « disparition« sous le regard très ironique et humoristique à la fois de Jean Giono ; et retour au « monde » simenonien !

Quant au « monde » quignardien,

il n’est tout bonnement pas « romanesque » ! Mais que veulent les lecteurs, sinon encore et toujours davantage de « romans » ? Et Pascal Quignard ne résiste, alors, pas assez aux sirénes

(sur les « Sirènes« , cf son « Boutès » ; et mon article du 19 novembre 2008 sur ce livre : « Ce vers quoi s’élance Boutès ; et la difficulté d’harmoniser les agendas« ) ;

aux sirènes éditoriales ; et succès promis des chiffres de vente de « romans » en librairie s’ensuivant…

Le « monde » de Georges Simenon _ m’y voici !!! _,

et en l’occurrence (très précise !), le « monde » de « La fuite de Monsieur Monde« ,

est très précisément (et « réalistement » : pour nos imaginaires, du moins) dessiné par l’écriture de « romancier » de Georges Simenon ;

ainsi, aussi, que parfaitement adapté, de 1945 (ou avant) à 2003, à son tour, « filmiquement« , par l’excellent « cinéaste » Claude Goretta :

ainsi la transformation du « personnage » de « Norbert _ ou plutôt « Lionel«  dans le film…  _ Monde » en « Simon » X

est-elle magnifiquement rendue _ d’autant plus remarquablement que c’est en une admirable sobriété (dépourvue du moindre maniérisme) _ par la caméra à la fois ultra-légère et ultra-sensible de Claude Goretta ;

comme par le jeu, « au quart de poil » (!), de celui qui l’incarne si excellemment, Bernard Le Coq.

Par exemple, peu après l’ouverture du film consacrée à la phase d’inquiétude exaspérée de la « disparition » de son mari pour son épouse Séverine

(= la « seconde épouse« , interprétée par Nathalie Nell ; Norbert (Lionel) Monde a dû, lors d’un scandale, « monté » ou « amplifié » par des « concurrents« , se séparer, « à son corps défendant« , de sa première épouse, Sophie, interprétée par Sylvie Milhaud)

auprès du commissaire de police (interprété par Frédéric Pierrot),

peu après l’ouverture (angoissée) du film, donc,

dans la succession des séquences du départ de son bureau, le jour de son quarante-huitième anniversaire (on dirait un vieillard !), du pdg de l’entreprise de transports « Monde« , Norbert (Lionel) Monde, dont Bernard Le Coq fait ressentir toute la pesanteur ;

puis avec l’image (fugitive, mais très clairement perceptible cependant) de son allure, immédiatement, beaucoup plus juvénile l’image d’après !

suivie des séquences du « rasage de la moustache » ;

puis du changement de toute la panoplie des vêtements ;

juste après la séquence(-pivot) du poivrot, au zinc d’un bar parisien, s’autorisant à palper l’étoffe _ belle _ du veston de costume du président-directeur général d’une entreprise cossue et florissante que, le voisin de comptoir de bar, Norbert-Lionel, pas tout à fait encore « Simon« , continuait de porter, au sortir de son entreprise ; en prenant un troisième café de la matinée…

« Simon« , après passage-éclair en « boutiques de mode » pour hommes,

étant, lui, « Norbert » (« Lionel« …) est déjà presque « oublié« .., désormais vêtu, ainsi que coiffé _ le réalisateur nous a fait grâce de la séquence du passage chez le coiffeur _, à la mode (davantage « couleur de muraille« , ou « passe-partout« ) de 2003… Le personnage de « M. Monde«  qu’incarne avec une superbe finesse de sobriété Bernard Le Coq prenant alors (2003 – 1945 =) 58 ans de moins d’un coup…

Et la Marseille et la Nice où le nouveau « Simon » se retrouve par hasard

_ il s’enquiert auprès du contrôleur du train dans lequel il vient de s’engouffrer très précipitamment sans passer par le guichet de la gare (et donc sans billet), de la destination terminale du train : « Marseille !«  ; va donc pour Marseille !.. Pétaouchnok ou Tataouine seraient pareil ! _,

sont,

pour la première,

la Marseille d’aujourd’hui ;

je me suis trouvé moi-même récemment à quatre reprises, l’année 2008 (en juillet en en décembre), sur le parvis de la gare Saint-Charles où débarque _ de nulle part _ « Simon » ; et du haut duquel il découvre la ville, tout en contre-bas, au pied de hauts et longs escaliers ;

de même que je suis passé par l’Estaque ce beau dimanche de juillet, quand mes amis Michèle Cohen et François Cervantès m’ont « présenté » panoramiquement « leur » Marseille, le long de la corniche, via le Vieux Port et Endoumes ; de l’Estaque, précisément (de cézanienne mémoire aussi !) au restaurant des Goudes où nous avons merveilleusement déjeuné, en la (festive) compagnie de Patrick Sainton et Laure Lerallut. Fin de l’incise marseillaise ;

..

Soit parfaitement et exclusivement la ville d’aujourd’hui, pour Marseille ;

et un mélange un peu plus subtil de l’ancienne (des années trente et quarante ; avec ses mondialement célèbres grands-hôtels et casinos et boîtes de nuit plus ou moins « de luxe » qui en demeurent) et de l’actuelle Nice,

pour la seconde (Nice-la-belle) de ces destinations de hasard…

Mais c’est là tout un monde précis qui,

et par la plume de Georges Simenon, et par la caméra de Claude Goretta,

nous est alors détaillé :

par exemple dans le contraste des petites pensions et hôtels pour touristes moyennement fortunés dans le Vieux-Nice ; et les résidences des « grand-fortunés » sur la « Promenade des Anglais » _ où résidait la richissime et « fêtarde » protectrice (qui vient d’être retrouvée morte d’une overdose en sa suite de « palace« ) de Sophie, la première épouse de Norbert (Lionel) ;

Sophie, par un bien complexe concours de hasards, « retrouvée« -là (et en bien piètre état !), sur les galets de la plage que vient rouler la mer, par « Simon » ; à moins qu’alors ce ne soit, dès à présent, et à nouveau, « Norbert«  (ou « Lionel« )

Voilà ces « mondes« 

et d’un « Simon« , « en fuite » durant trois mois et demi, très exactement (et pas quatorze ans !) : en un pays « étranger » à son « monde _ grand-bourgeois _ d’origine » (où il rencontre ; et suit, en ses « errances« , la jeune Leïla, qu’incarne Nozha Khouadra ; qu’il n’aurait jamais croisée sinon…) ;

et d’un « Norbert (Lionel) Monde« , qui va revenir « changé » chez lui (en sa riche demeure _ à étages _, des beaux quartiers de l’Ouest parisien) ;

après cette parenthèse probablement formatrice : la fin du téléfilm est « ouverte« , pour d’abord s’occuper comme il vient (= faire soigner comme il se peut) sa première épouse en clinique ad hoc : la « fugue » (de « Simon« ) a porté des fruits ; rien ne va plus être tout à fait comme avant, ni avec sa seconde épouse, Séverine Monde ; ni avec chacun de ses enfants, Stéphane et Agathe (et leurs « problèmes » respectifs)… _,

que nous font vraiment découvrir, en « artistes » justes » (dans les détails sobres et efficaces de leur art respectif…),

et Georges Simenon,

et Claude Goretta

(ainsi que, au tout premier chef, l’interprète magnifiquement « humain » que sait être Bernard Le Coq, pour ce « Monsieur Monde« , qui un moment s’est quitté (de « Norbert« , ou plutôt « Lionel« , dans le film ; et s’est métamorphosé, si peu que ce soit,  en « Simon » ; sinon « Simon-Pierre« …) ;

et ce qu’a sans doute manqué, pour l’essentiel, du moins, Benoît Jacquot, en « Villa Amalia« ,

en prenant trop vite une « option cinématographique » sur un roman de Pascal Quignard qui n’était même pas encore fini d’écrire (!) ;

à la seule « idée » d’un excellent rôle

pour Isabelle Huppert, avec laquelle il désirait beaucoup « tourner » à nouveau, a-t-il dit à maintes reprises dans les médias,

de femme « en fuite« , de femme « rompant » (sur trahison) _ du moins le croit-elle _ avec TOUT le « monde » de son passé ;

qui la rattrape quand même, mais en une « explication » déterministe un peu trop lourde, en la figure du « personnage » de son propre père, lui-même musicien (même si c’est à un niveau pas aussi « haut » que le sien : le niveau de la « création« ) : « La musique permet de mangeoter partout. Il y a toujours des funérailles et des noces. Moi je fais de la muzak, toi tu fais de la musique« , page 258) ; mais surtout, juif (roumain) ; et « être de fuite » : « S’en sortir, c’est partir. Toute ma vie je fus ainsi. Je suis ainsi. Je m’enfuis« , (même page) ; lors de la cérémonie des obsèques en Bretagne, à Erquy, de la mère d’Éliane, bretonne et catholique, et épouse il y a bien longtemps abandonnée ; et qui vient, à cette ocasion-là, des obsèques, parler à sa fille _ au chapitre premier de la quatrième (et dernière partie) du roman, pages 257 à 263…

Le vieux père a plus de quatre-ving-dix ans ; et vit à Los Angeles : « C’est vrai que je vis à Los Angeles, que je suis riche, que je fais de la muzik-muzak-muzok, que maintenant que ta mère est partie je vais pouvoir me remarier mais, en ce temps-là, les morts _ comprends-moi, je parle des vrais morts _, je les avais affreusement trahis en épousant ta mère. Ce n’était pas sa faute. J’avais grâce à elle des papiers. Je vivais. J’avais chaud. Je mangeais. J’enseignais la musique. Je luttais contre le vent sur ma bicyclette, la casquette enfoncée jusqu’aux yeux, pour donner de-ci, de là, des cours de piano aux Bretons. Et tout le monde criait sur moi« , page 262)…


Titus Curiosus, ce 26 avril 1009


Post-scriptum :


Sur la place du détail (et des « détails« ) en Art ; et comment ils font « vraiment » (ou pas !) « monde » !

je viens de découvrir de remarquables analyses, et qui concernent, justement, la place du détail (et des détails) dans le « roman moderne » (= des XIXème et XXmes siècles)

dans le chapitre d’introduction, intitulé « L’Exposition de l’intime dans le roman moderne« , du dernier opus « La Conscience au grand jour« , qui vient tout juste de paraître le 25 ; il y a trois jours) du très perspicace et fin Jean-Louis Chrétien, premier volet d’un opus « Conscience et roman » : « Conscience et roman, 1 _ La Conscience au grand jour » :

je cite, page 31 : « Il y a aussi le détail en régime d’omnisignifiance, le détail révélateur, le détail qui n’a rien de contingent, lequel soulève la question de savoir s’il a vraiment quelque chose comme des détails. C’est lui _ précise alors Jean-Louis Chrétien _ qui hérite de l’omnisignifiance chrétienne en la métamorphosant : dans la lumière de l’humain, il n’est rien qui ne fasse sens. (…) Mais il y a des récits qui posent que tout fait sens dans le monde, et d’autres qui le nient. » En prenant cet exemple-ci : « Ceux qui se lassent des descriptions balzaciennes méconnaissent que voir une demeure et les choses qui s’y trouvent, c’est déjà explorer _ oui, activement _ l’âme et l’histoire de ceux qui l’habitent. L’importance croissant du concept de « milieu », si bien étudié par Léo Spitzer et par Eric Auerbach, va dans le sens de cette omnisignifiance. Tout étant signifiant, il n’y a plus de détails« … A l’artiste, au romancier, d’abord, en l’occurrence de choisir des focalisations plus et mieux perspicaces que d’autres ; et qui, en « montrant » (et avec son « génie« ), aident à mieux faire voir (= à vraiment regarder et à vraiment comprendre) …

Ici un excellent exemple civilisationnel : « Un lieu réel d’omnisignifiance est la ville, et plus particulièrement la grande ville«  _ et je renvoie au très important « Mégapolis » de Régine Robin (ainsi qu’à mon article de présentation de ce livre le 16 février 2009 : « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« )…« Tous les historiens du roman ont montré son rôle essentiel dans le développement du roman, de sa production, de sa diffusion, et elle en est aussi, dans la modernité, un des grands thèmes » _ pages 31-32 : certes ; lire ici Walter Benjamin pour commencer… « C’est que se promener dans une ville, c’est se livrer à l’interprétation infinie d’un livre dont ce sont nos pas qui tournent les pages. D’où _ aussi ! _ notre saisissement devant l’inintentionnel, de l’herbe qui pousse entre les pavés, un oiseau qui niche dans le trou d’un mur » _ page 32. Avec cette arrivée : « Une ville est un lieu de saturation du sens, même si les formes de cette saturation et la nature de ce sens varient selon les temps » _ le concept de saturation intéressant aussi, à d’autres titres, Régine Robin : cf son étude « La Mémoire saturée« , aux Éditions Stock, en 2003… A nous d’apprendre à « défaire« , à « désaturer » (en apprenant à nous en « libérer« ), cette « saturation du sens« -là…  « C’est aussi le lieu de la prolifération des détails signifiants.«  Et « c’est aussi le lieu qui, par excellence, dans le croisement perpétuel des regards et des vies, me révèle la finitude et la solitude de mon point de vue, me montre sans cesse que je ne vois midi qu’à ma porte, et la rue que depuis ma fenêtre«  _ page 32. D’où la nécessité d’apprendre à se décentrer _ par un magnifique lapsus sur le clavier, j’avais écrit « déventrer«  ! c’est tout à fait de cela qu’il s’agit ; sortir de sa bulle, de son cocon, de la poche ventrale du kangourou ! qui ne permettent pas la clarté perspicace de l’intellection _ ; apprendre à se décentrer de soi-même, à mieux se faire attentif vraiment à l’altérité (de ce qui n’est pas nous, ni notre angle de vue (ou point de vue), notre focale : changer de « focales«  et de  « focalisation«  afin de mieux comprendre _ et sans mépris _, et l’altérité profonde de l’autre, et l’altérité profonde du réel).

Sur l' »intime« , cf déjà « La Privation de l’intime » de Michaël Foessel (ainsi que mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie  » ; et aussi « Les Tyrannies de l’intimité » et « La Conscience de l’œil » de Richard Sennett (ainsi que mon article du 21 avril 2009 : « Du devenir des villes, dans la “globalisation”, et de leur poésie : Saskia Sassen « .


En appendice, enfin,

j’ai plaisir à citer

_ et sans commentaire de ma part (du moins limité au maximum), j’ai assez exprimé ma « thèse » sur le travail de ce film-ci (= celui de Benoît Jacquot), _

cette « critique » de Jean-Michel Frodon, « Le Grand arbre de la réduction« ,

moins négative que la mienne, sur le rapport entre le film « Villa Amalia » de Benoît Jacquot, et le roman de Pascal Quignard, « Villa Amalia » :

C’est la nuit, la pluie. Les phares des voitures aveuglent et s’évanouissent. Elle conduit, elle est comme dans un état second. Tout à l’heure Georges parlera de fantômes, on dirait un rêve. Tout le film est-il un rêve, un rêve d’Ann ? Ou Ann elle-même est-elle le rêve d’Anne-Éliane, comme elle s’appelait avant ? Elle découvre comme en songe son compagnon depuis quinze ans dans les bras d’une autre ; aussitôt après tombe sur Georges, l’ami d’enfance perdu de vue depuis des lustres. Il y a une apesanteur, une manière pour les images et les sons, les situations et les personnages, de se manifester à la limite de la réalité. C’est le « prologue« , qui annonce un des motifs du film à venir. La mère de Georges vient de mourir. Sur un parking, seule, enclose dans sa voiture, Ann hurle. On ne l’entend pas. Fin du « prologue« .

Le premier mouvement, qui dure une heure _ soit les deux tiers du film entier _, est lui tout entier porté par un élan décidé, irrésistible. Ann Hidden, pianiste et compositrice renommée, a décidé de tout quitter. Son Thomas, son travail, son appartement… Elle s’en va, elle disparaît sans laisser de trace. La découverte de l’infidélité de Thomas a été le détonateur, bientôt il est clair que c’est avec toute sa vie qu’elle rompt. Situation romanesque s’il en est, qu’il serait possible de traiter en quelques minutes, on aurait compris. Mais non. Ce sera, pour ce qui est du temps consacré, l’essentiel de « Villa Amalia« . Elle dit : « Je veux éteindre ma vie d’avant », coup de force narratif qui devient étude technique des procédures de disparition dans le monde contemporain.

Ann, et le film avec elle, s’appliquent avec méthode à effacer les traces, à détruire les pistes, à semer les possibles poursuivants. C’est une folie. Il y a de la folie chez Ann, Georges embauché comme assistant pour cette opération d’évanouissement ne manquera pas de lui dire. Il y a surtout de la folie dans le film lui-même, dans sa construction, ses surplaces, son attention _ magnifique _ aux sacs-poubelle remplis des habits qu’on abandonne, aux formulaires de procuration, aux procédures bancaires et douanières, au déménagement des pianos, aux changements de serrures, de trains, d’habits, d’hôtels. D’abord il semble que ce soit une erreur de « construction dramatique » comme on dit ; bientôt il est évident que c’est au contraire le projet même du film. Et qu’ainsi il invente étrange espace, un espace à trois faces, à la fois très réaliste, très romanesque et très onirique. Le film se tient là, invente ça. Tout le cinéma, si varié et inégal pourtant, de Benoît Jacquot tend à ça : cohérence et hétérogénéité d’un cinéaste qui croit très fort au réel, très fort à la littérature, et très fort à l’inconscient. Et qui croit précisément que le cinéma se situe là, dans ce triangle qui serait à la fois celui des Bermudes et celui du démiurge _ disparition et apparition.

Cette déroutante machine descriptive, narrative et invocatrice trouve à fonctionner à la perfection en embrayant sur un autre dispositif magique, d’une tout autre nature. Il s’appelle Isabelle Huppert. Isabelle Huppert est une excellente actrice ; elle a joué remarquablement dans plus de grands films qu’aucune autre actrice européenne de sa génération _ peut-être même aussi des autres générations. On ne va pas faire semblant de découvrir Huppert maintenant. Mais ce qu’elle fait, ou en tout cas ce qui se passe avec elle dans ce film-là, elle ne l’avait encore jamais fait ; ni personne d’autre d’ailleurs. Disparition et apparition d’elle-même et de son personnage, la voici qui d’une séquence à l’autre mute littéralement, change de visage et de corps. Ce n’est pas la virtuosité technique d’une comédienne chevronnée, c’est autre chose qui fait écho à la folie du film et du personnage, lui donne très simplement son apparence. Terrorisée, volontaire, manipulatrice amusée, inquiète, triste, musicienne, petite fille, épanouie, noyée, habitée de voix qui ne sont pas la sienne, amoureuse mais de personne et puis _ enfin _ de la maison qu’annonce le titre. Ce ne sont pas des états psychologiques qu’elle jouerait, ce sont des états physiques où elle est tout entière. Étrange anamorphose où vingt visages paraissent, qui sont tous les siens. Dès lors, les images de Caroline Champetier et le montage de Luc Barnier concourent à l’élaboration de ce dispositif à fabriquer de la présence avec les mouvements de l’absence _ belle et forte analyse : mais quelle présence ? et pour en faire quoi  donc ?.. L’enchaînement de plans très brefs, comme des notes griffonnées sur un geste, un son, un changement d’humeur, compose un univers à la fois très précis et très fluide, qui en dit beaucoup en montrant peu, qui suggère davantage _ ou du vide ? Il faudrait faire une part singulière à l’écriture des dialogues, qui joue en savants agencements sur deux registres contradictoires, quasi dissonants. Certaines répliques sont écrites comme des aphorismes et proclamées comme des devises ou des slogans (« du beurre breton, tiens ! », « il n’y a pas de pourquoi », « pas les secrets, le secret », « c’est comme ça maintenant  : je dis non »…) ; beaucoup d’autres phrases sont à peine prononcées, à demi entendues, comme les plans ultracourts elles entrent dans un assemblage sans s’y distinguer _ comme un kaléidoscope aux figures aléatoires… Tout cela, et le film dans sa totalité, est comme habité par cette musique _ syncopée ? s’interrompant brusquement ? heurtée, car stochastique ? _ qu’est supposée composer Ann Hidden. Musique qu’on la voit jouer brièvement en concert avant de fuir son piano et la scène à la première toux dans le public. Musique qu’on dit « contemporaine« , comme l’est le cinéma joué ici, où l’expressivité des sentiments ne recule pas devant les ruptures de ton, les assonances inhabituelles, les longs silences ou les cataractes de notes _ en effet ! Très belle _ oui ! _, et utilisée avec une judicieuse parcimonie, la bande musicale écrite pour le film par Bruno Coulais en dessine à sa manière le code, moins le sens que les règles de style. On songe alors à un film que firent ensemble il y a dix ans Benoît Jacquot et Isabelle Huppert, « L’École de la chair«  : c’était tout le contraire : l’histoire, l’actrice, l’image, le montage, tout convergeait vers un seul point, tout s’additionnait et semblait finir par s’abolir dans cette surenchère, intensification éperdue et autodestructrice. Ici, en totale connivence, règnent à l’inverse la diffraction, le fragment, l’indice et l’esquisse. Et le film ainsi respire et bouge _ pour quel résultat autre qu’une recherche du vide (ou du hasard) ?..

Enfin, dans une île italienne, Ann trouva sa maison, la « Villa Amalia » : toute rouge devant la mer toute bleue, au sommet d’une montagne comme un lieu mythique ; et elle la conquit de haute lutte affectueuse avec celle qui en avait non les clés, mais la mémoire. Elle s’y installa. Elle mourut, noyée. Puis fut sauvée. Et alors naquit un autre personnage, une autre femme qui est pourtant toujours Ann Hidden, née Anne-Éliane Hidelstein : un autre film commence, qui serait comme les branches, ramifications et feuilles d’un arbre _ probablement zen, en quelque « jardin de pierres«  ; peut-être japonais… _ dont la première et principale partie aurait été le tronc.

On aura jusqu’alors parlé du film « Villa Amalia » comme s’il n’existait pas un livre « Villa Amalia« , paru chez Gallimard en 2006. C’est que, jusqu’alors, si le fil narratif et tous les éléments dramatiques sont bien empruntés au roman de Pascal Quignard, leur élaboration ne suit que les besoins et les enjeux propres au film, dessine ses propres horizons _ en effet… Et puis, entre ciel et eau, ces horizons se rejoignent. Dans son livre, Quignard prêtait à la pianiste et compositrice un génie particulier dans l’art de la réduction musicale. C’est cet art même qui préside à l’écriture de la fin du scénario. La rencontre amoureuse avec Giulia, les mésaventures de Georges, la mort de la mère, le retour du père, l’ami qui va mourir. Bien d’autres choses encore pourraient être contées, grandes ou petites, qui se trouvent ou non dans le livre, cela n’importe guère. Sans doute Benoît Jacquot a surtout fait le film pour sa première heure _ hélas : et la critique est forte ! _ ; il s’y met en place une telle force germinative _ germes de fiction, mais aussi de sensation du monde, et de captation des vibrations intimes, inconscientes et indicibles _ que toute péripétie romanesque comme toute considération plus générale (sur les pères, les Juifs, la musique, la mort…) _ quelle qu’elle soit ? indifféremment ? sans davantage de nécessité que cette force de « germination« -là ?.. _ devient _ vraiment ?.. _ à la fois légitime, concrète et touchante. Cela s’arrête là _ n’est-ce pas aussi, et d’abord, là l’effet du texte (mélancolique) quignardien ?.. A quoi bon une telle « force germinative » pour rien que ces « contiguïtés« -aléatoires-là ?..

Pour explorer l’espace-temps (selon Elie During) : l’apport du physicien Bernard d’Espagnat sur le questionnement de ce qu’est le « réel »

24avr

Et pour appréhender un peu davantage (ou mieux) à partir de quel espace-temps Elie During pense « A quoi pense l’art contemporain ?« ,

voici,

tout frais (de parution),

le dernier article, précisément intitulé « Dernières nouvelles du réel » _ sur le site nonfiction.fr _, d’Elie During

qui nous découvre « l’état des lieux » (-« état des temps« ) le plus récent de la réflexion physique et philosophique quant au statut (métaphysique) de ce « réel » même

_ à connaître ? à sentir ? à expérimenter ? ou seulement « penser » ; voire croire, plus ou moins rationnellement… :

à partir des « Entretiens » entre Bernard d’Espagnat et Claude Saliceti, en leur « Candide et le physicien« , à paraître le 30 avril, dans une semaine …

 Suite à un échange de mails,

que je me permets de donner, pour l’essentiel,

dans la mesure où il n’exprime rien de strictement personnel…

De :  Titus Curiosus

Objet : Article sur ta conférence au CAPC du 7 avril
Date : 17 avril 2009 13:55:52 HAEC
À :   Elie During

Cher Elie,

J’ai rédigé un article sur mon blog à propos de ta conférence du 7 avril dernier au CAPC :

« Elégance et probité d’Elie During _ penseur du rythme _ en son questionnement “A quoi pense l’art contemporain ?” au CAPC de Bordeaux« 

J’y ai joint (en post-scriptum)
ton article « Intermondes« 
(farci de quelques commentaires miens) ;

l’œuvre (de Tatiana Trouvé) que tu y évoques
a-t-elle été montrée à Miami

puisque cet article a été publié dans le numéro 7 de Bing,
au moment même de l’exposition « Time Snares » à la galerie Emmanuel Perrotin de Floride ?

Je peux modifier mon article à tout moment !
Si quelque chose ne convient pas,
ce ne m’est pas difficile…

Bien à toi
(et à Bergson _ sur l’œuvre duquel Elie During travaille _
_ nous avons invité Frédéric Worms à la « Société de Philosophie de Bordeaux« ,
du temps de la présidence de Guillaume Le Blanc : ce fut une excellente conférence,
et un repas très convivial,
as usual…)


Titus

Frédéric Worms, quant à lui, est Professeur de philosophie à l’Université de Lille 3 et directeur du Centre international d’étude de la philosophie française contemporaine à l’ENS (Paris). Ses travaux portent sur l’œuvre de Bergson

(outre « Bergson ou les deux sens de la vie« , aux P.U.F., en 2004, son dernier livre « bergsonien«  paru est (toujours aux P.UF., en novembre 2008, et avec Jean-Jacques Wunenberger) : « Bachelard et Bergson : continuité et discontinuité ? Une relation philosophique au coeur du XXème siècle en France« )

autour duquel il anime diverses entreprises collectives :

rédacteur des Annales bergsoniennes (trois volumes parus, PUF, coll. Epiméthée),

il est également responsable de l’édition critique de Bergson aux PUF,

et président de la « Société des amis de Bergson« .

Réponse d’Elie During, un peu plus tard :

De :   Elie During

Objet : Rép : Article sur ta conférence au CAPC du 7 avril
Date : 22 avril 2009 22:13:28 HAEC
À :   Titus Curiosus

cher Titus,

avant de m’envoler vers les Amériques pour (une affaire personnelle), je voulais te remercier chaleureusement pour la manière dont tu as rendu compte de cette soirée-conférence, en y joignant le texte de Bing (quel titre étrange, quand on y songe !).

J’ignore quelles œuvres de Tatiana Trouvé ont été montrées à Miami (j’aurais bien aimé y être…).


En tout cas tu as vraiment inventé un nouveau style du billet : c’est une écriture pleine de petites bifurcations, pleine de bricoles

(j’apprends de Lévi-Strauss que ce mot désignait autrefois les embardées ou les changements de direction brusques de l’animal en mouvement) ;

une écriture qui s’offre comme une annotation continue d’elle-même, ou plutôt un contrepoint (voilà, nous revenons à la musique) à d’autres voix : la mienne, mais aussi celles de tous les auteurs dont tu fais entendre l’écho au fil de ta plume…

amicalement,
e

Je découvre ainsi que le lien (donnant accès à l’exposition « Time Snares » à la galerie Emmanuel Perrotin de Miami en décembre 2007) ne donne pas accès à des images de l’expo ; et je le modifie donc, ad hoc

De :   Titus Curiosus

Objet : Nouveau lien pour « voir » (un peu) l’expo « Time snares » à Miami en décembre 2007
Date : 23 avril 2009 07:31:54 HAEC
À :   Elie During

J’ai modifié le lien pour l’expo « Time Snares » de Tatiana Trouvé en décembre 2007 à Miami,
qui permet de découvrir quelques « vues » de l’expo…

Titus

Mais, juste avant,

j’avais accusé réception du précédent message d’Élie :

De :  Titus Curiosus

Objet : Bricoles, embardées, invention de style et « grandes affaires » _ ou du rythme
Date : 23 avril 2009 07:22:20 HAEC
À :   Elie During

Cher Elie,

(…)

Bravo pour la magnifique justesse de tes concepts.
Ceux de « bricole » et d' »embardée » me réjouissent merveilleusement !

_ « embardée » me rappelant le « à sauts et à gambades » de Montaigne…

cf déjà l’article programmatique de mon blog, le 3 juillet 2007 : « le carnet d’un curieux« …

D’autant que j’admire Claude Lévi-Strauss,
dont je possède _ quelque part en mon « bazar« … _ une très belle lettre manuscrite (émouvante),
en réponse à une « demande » de ma part
de rédiger une courte « présentation » de ce que pouvait représenter la musique de Jean-Sébastien Bach pour lui.
Il avait très gentiment répondu à ma « demande« , en me priant de lui pardonner de ne pas la satisfaire, en mettant en avant la difficulté, en son « grand âge« , de « se consacrer » à une telle « réflexion« ,
à côté des travaux divers qu’il avait déjà en cours…

J’avais reçu aussi un mot gentil de George Steiner, bousculé entre deux avions,
m’autorisant à faire usage de tout texte de lui à ma convenance…
Une réponse tapée à la machine de Michel Serres.
Et pas de réponse de François Jacob, dont j’admire « La Statue intérieure« …

C’était à l’ouverture de l’enregistrement par « Café Zimmermann » d’une intégrale (splendide ! et toujours en cours de « réalisation« ) des œuvres orchestrales de Bach, pour les disques Alpha ;
cette intégrale en est au volume IV (= le CD Alpha 137 : « Concerts avec plusieurs instruments _ IV« ), qui est paru récemment…

Cette image de l' »embardée«  _ en une vie comme une « course » à déjouer le trop prévisible _ est non seulement très belle,
mais, et c’est beaucoup mieux encore, me paraît d’une formidable justesse.
Merci de la qualité de ton attention !


Hier, Marie José Mondzain a commencé son message ainsi :
« quel plaisir chaque fois que vous écrivez de lire ces textes dans votre style chaleureux et nerveux, riche de toute cette culture sensible« 

Rencontrer quelque « réception » attentive et juste
fait plaisir ;

surtout de qui on s’enrichit tant à la lecture aussi…

Le terme de « rythme » m’est venu pour caractériser ton souci philosophique (en ta conférence du CAPC : « Elie During _ penseur du rythme« ) ;
comme il m’était venu, en 1968, pour rédiger un petit « texte » personnel
que nous avions « imposé » cette année-un-peu-particulière-là à nos professeurs, pour les épreuves de licence (de philosophie)…
J’étais « parti » des analyses d’Emile Benveniste, et m’était centré sur le « rythme » dans la poésie surtout (T.S. Eliot, Auden, Maïakovski, Hopkins, etc…) ;
ne m’étant pas encore (!) passionné pour la musique…


Bref, je te suis très reconnaissant de la qualité de ta perception des choses
en ce qui concerne aussi mon « écriture »
et ce que tu nommes l »‘invention » d' »un nouveau style de billet« 

_ merci !!! _,
avec « bifurcation« 

_ j’adore Michel Leiris _ l’auteur de « Biffures » _ ;

et je te recommande tout particulièrement ses derniers recueils de « Poèmes« , auxquels nul (critique) ne semble s’être encore intéressé :
« Ondes« 
(sublimissime !), en 1985 (aux Éditions « Le Temps qu’il fait » _ réédité ! en 2002),
suivi d' »Images de marque » (très beau aussi), un peu plus tard, après la disparition de la compagne de sa vie, Louise…
J’avais choisi d’étudier « Ondes » dans le cours de « Français » que j’assurais alors en Terminale _ c’était l’année scolaire où j’avais comme  élève
Hélène Dessales, qui intégra la rue d’Ulm un peu plus tard : c’est un repère (qualitatif) de temps pour moi (j’ai plus de mal avec les chiffres) : ce fut un régal rare pour moi
de parcourir en son plus infime détail l’ondoiement de Leiris…
De même, lors de mon premier voyage à Prague, au début des années 90 (en février 93 précisément), je l’avais choisi _ ce si beau « Ondes » _ comme cadeau à Václav Jamek,
que je ne connaissais pas encore
(sinon pour avoir lu son « Traité des courtes merveilles » _ paru en septembre 1989 aux Éditions Grasset, et « Prix Médicis de l’Essai« ), mais que je désirais faire rencontrer, comme « introducteur à Prague »
aux élèves de mon « atelier » de découverte du Baroque…
(l’année suivante _ depuis, nous sommes amis _, ce fut « L’Acacia » de Claude Simon…).

Je t’ai raconté le petit concert que nous avions improvisé (avec mes amis flûtistes Philippe Allain-Dupré et Laurence Pottier,
et quelques « baroqueux » tchèques rencontrés au Conservatoire de Prague où nous nous étions tout de suite rendus !)
dans les bureaux déserts de la maison d’édition
(« Odeon« ) que Václav Jamek dirigeait alors !..

C’était le 17 février 1994 : je retrouve la date sur mon agenda.

Un ou deux ans plus tard, Václav Jamek était « attaché culturel » de l’ambassade tchèque à Paris…

Fin des incises Leiris et Jamek… _

Quant au « contrepoint » des « voix« , en « écho » au « fil » de ma « plume« ,
c’est excellemment encore aller à l’essentiel, me semble-t-il

_ j’ai écrit un texte là-dessus : « Les Voix de l’écriture » (une de mes « Chroniques » d’Esthétique pour le site des disques Alpha, au printemps 2004 : avec « fantômes » !..)
à propos du style d’Antonio Lobo Antunes dans son très beau « Traité des Passions de l’âme« … _

Bref, je me réjouis
d’avoir croisé ton chemin, cher Élie.
Et suis impatient de découvrir la suite de tes travaux…


Bien à toi,

Titus

Ps : pour découvrir « de visu » quelques aspects de l’expo « Time Snares » à Miami,
je m’aperçois que le lien que j’avais indiqué sur mon blog ne fonctionne pas ;
en voici un autre : http://www.galerieperrotin.com/fiche_actu.php?id_pop=399&artist_pop=Tatiana_Trouve

Enfin, d’en partance pour l’aéroport, cet ultime message d’Elie :

De :   Elie During

Objet : Rép : Nouveau lien pour « voir » (un peu) l’expo « Time snares » à Miami en décembre 2007
Date : 23 avril 2009 10:53:18 HAEC
À :   Titus Curiosus

J’imprime ton mot et je pars pour l’aéroport. Au fait, si tu cliques sur le bandeau supérieur du portail de Nonfiction.fr, tu tomberas sur ma dernière production !
(« Dernières nouvelles du réel« )
amitiés
e

La voici donc ; et c’est passionnant !

Il s’agit d’une analyse _ lumineuse !!! Elie During est remarquablement doué ! _ d’un livre d’entretiens de Bernard D’Espagnat et Claude Saliceti : « Candide et le physicien« , aux Éditions Fayard (à paraître le 30 avril) :

Résumé :

« Penser un réel sans objet _ bigre ! le premier choc est rude ! _, et peut-être sans concept adéquat : tel est le défi _ oui _ auquel nous convie ce dialogue mené aux confins _ en dialogue, elles aussi _de la science contemporaine et de la métaphysique.« 

Trente ans de réflexion

En dépit de ce que son titre pourrait suggérer _ « Candide et le physicien«  _, ce livre d’entretiens n’a rien d’une espèce de « Monde de Sophie » adapté à l’univers de la physique contemporaine. C’est qu’ici celui qui endosse le rôle du « candide » (Claude Saliceti) est lui-même philosophe ; on pourrait du reste en dire autant du « physicien » (Bernard d’Espagnat), dont l’œuvre est consacrée depuis une trentaine d’années à certains des problèmes spéculatifs les plus ardus de la physique contemporaine (voir notamment « À la recherche du réel« , 1979) _ oui… Car la physique, telle est la conviction commune aux deux auteurs, nous oblige à réviser _ voilà ! _ la formulation traditionnelle de certaines questions philosophiques fondamentales, touchant notamment aux concepts d’espace, de temps, de causalité et d’objectivité. Il y va de l’ontologie de la physique (ses catégories ultimes) _ oui… _, mais aussi bien _ et c’est important ! _ de notre rapport à l’être, selon une tonalité plus existentielle qui traverse tout l’ouvrage _ et en élargit de beaucoup et l’impact de la signification, et le lectorat… D’Espagnat, qui a publié il y a quelques années un « Traité de physique et de philosophie » (Fayard, 2002), n’hésite pas à mobiliser en chemin Plotin et les gnostiques, Spinoza et Leibniz, Berkeley et Bergson, Pascal et Augustin, Kant et Wittgenstein, Mach et Schrödinger, Bohr et van Fraassen, et bien d’autres encore, philosophes et physiciens-philosophes ; il ne s’agit pas ici de touches décoratives _ ô le joli adjectif ! _ destinées à flatter le goût de l’honnête homme cultivé _ à la façon de bien des dessus de présentoirs de librairies (ou émissions « culturelles«  télévisées…) pour « propos de salons«  et « dîners en ville« _, mais de références théoriques précises _ oui ! _ qui permettent de donner _ sérieusement _ toute leur ampleur aux questions parfois très techniques abordées au fil de la discussion _ merci de cette fort claire mise au net préliminaire !

Relativité et physique quantique

Car Claude Saliceti est moins « profane » qu’il veut bien le dire, même s’il se place en retrait : la discussion, qui tient plus en réalité de l’échange épistolaire (sous la forme de cinquante « questions » disputées _ selon une antique tradition féconde… _) que d’une conversation d’après-repas, est d’assez haute volée _ sans rien sacrifier cependant aux exigences d’une pédagogie du concept _ fort utile ! et plus que nécessaire !!! _ dont feraient bien de s’inspirer beaucoup de vulgarisateurs _ aux bons entendeurs, salut ! Les premières sections sont un modèle du genre : on y parcourt, en suivant le développement du problème de l’objectivité de l’espace et du temps, l’histoire du développement de l’électromagnétisme et de l’optique, le passage du concept d’éther à celui de champ. La relativité, restreinte puis générale, mais aussi la théorie quantique, sont introduites, à leur tour, avec le même souci de clarté. Ces théories-cadres devraient être complémentaires, mais leur ajustement réciproque présente des difficultés inextricables _ à bien noter ! Il ne s’agit pas seulement, en effet, de faire tenir ensemble deux « régions » du monde (l’univers de l’extrêmement grand et celui des particules élémentaires), mais deux manières de penser qui, pour recourir à une métaphore optique, ne cessent d’interférer _ mais parasitairement, jusqu’ici _ l’une avec l’autre. Il n’était déjà pas simple de produire, comme l’a _ spécialement génialement _ fait Einstein entre 1910 et 1916, une théorie relativiste de la gravitation (relativité générale) : les générations de physiciens qui sont attelés, à grand renfort de prouesses mathématiques, à la tâche de concilier les principes de la mécanique quantique et de la relativité générale, sont encore loin d’en voir le bout _ merci de nous le rappeler ; et si clairement ! « Théorie des cordes » et « gravité quantique » ne désignent pas des théories achevées, mais des programmes de recherche, ou des chantiers _ en cours : ce que la recherche est on ne peut plus consubstantiellement : tant (y compris de politiquement haut-placés ; « au pouvoir« …) le négligent ; en commençant par l’ignorer !!! Et ignorer qu’ils l’ignorent !!! Et en ne voulant rien en savoir… Edgar Morin (« La Méthode« ), au secours !!! Et Lee Smolin a peut-être raison de s’inquiéter, dans un ouvrage récent (« Rien ne va plus en physique« , 2008) _ un utile rappel à l’ordre : mais pour qui, en priorité ? _, du ralentissement du rythme des grandes révolutions en physique théorique _ de fait, guère d’échos assez sonores, en tout cas, depuis Karl Popper (« La Logique de la découverte scientifique« ) ; Thomas Kuhn (« La Structure des révolutions scientifiques » ; ou Paul Feyerabend (« Contre la méthode _ esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance » ; ou « Adieu à la raison« ) : nous avons bien besoin de rafraîchir nos références…

Contre le « réalisme local »

Faut-il chercher le remède du côté d’un approfondissement philosophique des cadres conceptuels fondamentaux ? D’Espagnat souscrirait volontiers à un tel programme, mais l’obstacle le plus sérieux, à ses yeux, est du côté de la physique quantique _ ah ! Celle-ci ne se contente pas d’introduire, comme la relativité, des effets paradoxaux ; ou certaines conceptions inhabituelles de l’espace et du temps ; elle semble nous forcer, de façon plus générale, à renoncer globalement à toute interprétation descriptive ou réaliste des phénomènes envisagés (que ces phénomènes soient ou non « observés ») _ voilà un point majeur de la donne ! En effet, la notion de superposition d’états, le principe de « complémentarité » _ qui autorise à interpréter un même phénomène (un faisceau d’électrons) tantôt comme un comportement ondulatoire, tantôt comme un corpusculaire (particules localisées) _, les relations d’incertitude de Heisenberg _ qui prévoient qu’on ne puisse mesurer simultanément (avec une précision arbitraire) la position et la vitesse d’un électron _, tous ces aspects déroutants de la mécanique quantique rendent de plus en plus délicate la représentation _ stable et cohérente _ d’un monde constitué d’objets bien déterminés et individualisés, séparés et localisés, existant par eux-mêmes indépendamment de nous _ voilà bien, en effet, des conséquences on ne peut plus cruciales pour le confort de nos repères de représentation ! Si l’on veut rester réaliste _ et pas « idéaliste«  _ dans de telles circonstances, il faut se préparer _ c’est  là tout un enjeu, et de formation, et de diffusion, pédagogique ! _  à un réalisme d’un genre tout à fait nouveau : un réalisme non-objectiviste _ et voilà combien excellemment  cerné l’enjeu de cette très instructive approche !

Le problème se concentre, pour d’Espagnat _ il nous faut donc nous y arrêter _, sur la question de la non-localité (ou « non-séparabilité ») _ un concept-clé… Une des intuitions fondamentales du réalisme objectiviste _ qu’il faudrait, semble-t-il donc, « réviser« , « contester«  : « combattre«  ?.. _ peut en effet se formuler sous la forme d’une condition de proximité qui veut que les forces (gravitationnelles, électriques, magnétiques, etc.) s’exerçant entre deux objets soient d’autant plus faibles que la distance qui les sépare est grande. Ce « réalisme local » _ un concept dont il nous faut bien nous pénétrer, ici _ est actif au cœur même de la relativité restreinte sous la forme du deuxième postulat de l’article fondateur d’Einstein, en 1905. Poser que la vitesse de la lumière dans le vide admet une valeur constante finie (et indépendante du mouvement de la source), c’est ôter son caractère absolu à la simultanéité entre événements distants ; c’est reconnaître, plus profondément, que les influences causales ne peuvent avoir lieu que de proche en proche, contrairement à la physique des actions à distance. Le « réalisme local » soutient encore, en 1935, le fameux « paradoxe EPR » formulé par Einstein et deux de ses collègues (Podolsky et Rosen). Des particules initialement « corrélées » du fait de l’intrication de leurs états quantiques devraient, une fois séparées, continuer à communiquer, en ce sens que les observations menées sur l’une auraient pour effet de déterminer ce qui est susceptible d’être observé de l’autre, et ce indépendamment de la distance qui les sépare. Dans l’esprit d’Einstein, il s’agissait par là de pointer une contradiction dans la théorique quantique, ou du moins de mettre au jour son caractère incomplet. Car à moins d’admettre une influence occulte qui aurait lieu à une vitesse supérieure à celle de la lumière, il faut que la corrélation observée renvoie d’une manière ou d’une autre à quelque condition réelle sous-jacente, c’est-à-dire à des valeurs déterminées, au sein de chaque système, avant l’opération de mesure (on parle de « variables cachées »). Or une expérience menée par Alain Aspect au début des années 1980 a permis de transposer sur le terrain expérimental _ ah ! _ ce qui se présentait, d’abord, comme une simple « expérience de pensée ». En établissant la violation des « inégalités de Bell » quantifiant les conséquences du paradoxe EPR, l’expérience _ d’Alain Aspect, donc _ revenait à établir que des observations menées à distance sur des particules corrélées pouvaient entretenir une relation de détermination _ voilà ! _ en dépit de l’impossibilité objective de faire communiquer ces particules dans l’espace et dans le temps selon les voies de la causalité physique _ ah !

Il faut bien parler dans ce cas d’une influence non-locale _ qu’en déduire ? Or cette incongruité, d’après d’Espagnat, rejaillit sur l’ensemble de notre appareillage conceptuel _ théorique : même question… Si l’on accepte _ comme on le doit _ la possibilité ouverte par l’expérience d’Aspect, la localisation dans l’espace et dans le temps, en général, n’a plus rien d’évident _ oui… _ : elle n’est pas seulement relative (au système de référence adopté), elle paraît tout simplement incompréhensible _ rien moins ! _ dans les termes auxquels nous sommes habitués _ qu’il faut donc « réviser« , et pas seulement  « interroger« , « mettre en question », de ce point de vue de la théorie ; sur lequel se place Bernard d’Espagnat… À bien y réfléchir, c’est la notion même d’objet qui s’en trouve _ totalement ? _ affectée _ encore : rien moins ! ce n’est certes pas peu, même d’un point de vue « théorique »… _, et par extension celle d’une réalité indépendante _ oui… _ constituée par une multiplicité d’objets existant en soi, indépendamment de la connaissance que nous pouvons en avoir _ soit un questionnement tant métaphysique que physique, si je comprends à peu près… Demeure toujours la question : qu’en déduire ?

Le « Réel voilé »

Ainsi la non-séparabilité quantique, qui constituait déjà le motif récurrent des premiers livres consacrés par d’Espagnat à la philosophie de la physique, constitue à sa manière _ mais le physicien s’entoure sur ce point de beaucoup de précautions _ une réfutation du « réalisme local » auquel le scientifique est porté par tempérament, tout comme le bon sens philosophique _ il me semble que je parviens à suivre le raisonnement... La forme philosophique du problème peut d’ailleurs se formuler simplement : il y a, dans la réalité, quelque chose de non-conceptualisable ; un « Réel », si l’on veut, mais un réel non-discursif, non-objectivable _ voilà ce qu’il nous faut essayer de « penser«  ici !.. _, qui nous demeure irrémédiablement « voilé » _ « éloigné« , en quelque sorte, ainsi, de notre atteinte _ par le système que forment _ syncrétiquement ? _ nos observations, nos instruments de mesure et nos concepts _ habituels : qui forment, à partir des usages (même diversifiés) que nous en faisons, nos repères, et normes, et cadres, de référence… « L’objet n’est pas l’être », disait _ en nous mettant en garde _ le philosophe Ferdinand Alquié (p. 225 _ de « La Nostalgie de l’être«  ? Parue aux P.U.F. en 1950).

D’Espagnat insiste sur le fait qu’on touche, avec la violation des inégalités de Bell, à quelque chose comme un point de résistance absolu, qui ne doit pas grand chose, en fait, à l’interprétation _ en aval _ qu’on peut en donner : « la preuve, expérimentale, de la violation en question restera […] valable même le jour, si jamais il advient, où la physique quantique aura été remplacée par une autre physique différente, fondée sur des idées radicalement autres » (p. 101-102). C’est l’universalité _ oui... _ de ce résultat expérimental et de ses implications conceptuelles _ capitales _ qui autorise à voir dans l’inséparabilité quantique _ voilà donc le « hic » ! « Hic Rhodus, hic saltus » !.. _ l’indice d’un véritable problème métaphysique transversal à toutes _ sans exception _ les interprétations physiques du phénomène.

Un éclectisme philosophique

Reste à déterminer précisément la nature _ ah ! _ du problème. C’est là que les choses se compliquent _ ah ! ah ! La thèse, défendue avec force, est celle d’un « réalisme ouvert » _ à bien noter… _, qui ferait son axiome de l’idée que « la pensée humaine n’est pas “le Tout” » (p. 179) _ face à l’altérité et extériorité (à elle) et transcendance (vis-à-vis d’elle) d’un « réel«  S’il est vrai que tout « positivisme » masque une forme d’idéalisme rampant, ce réalisme-là (le réalisme du réel non-objectivable _ il nous faut bien intégrer cete remarquable expression ! _) serait à sa manière plus authentiquement réaliste _ en sa plus grande fidélité à l’altérité de ce « réel«  ; oui… _ que le « réalisme local » _ et plus généralement « objectiviste » _ du sens commun physicien, parce qu’il se serait débarrassé pour de bon _ « libéré«  enfin… _ des dernières scories d’idéalisme _ naïf _ qui portent à réduire le réel à ce que nous observons et mesurons, autrement dit à la réalité empirique, celle qui est valable seulement « pour nous ». En une sorte de « course«  au (plus grand) respect (possible) de l’altérité de ce « réel« , autre _ et, corrélativement, à la (plus grande) modestie du sujet lui-même, en toute la palette de ses diverses opérations (d’objectivation) : en percevant, en connaissant, en pensant, etc…

C’est de ce point de vue que d’Espagnat aborde tour à tour quelques unes des grandes questions fondationnelles _ je retiens le terme _ de la théorie physique contemporaine, comme celles que suscite aujourd’hui la théorie quantique de la gravitation. Faut-il se passer de l’« arène » _ à la fois sol, et cercle ?.. _ que constitue l’espace-temps ; et travailler, en quelque sorte, à _ l’élaboration d’ _ une genèse physique _ nouvellement complexe _ de l’espace et du temps eux-mêmes ? Sur ce point _ physico-physique (purement) , donc, si je suis bien le raisonnement… _, d’Espagnat se montre particulièrement prudent. Il l’est peut-être moins sur le terrain de l’épistémologie, lorsqu’il critique, par exemple, les tenants du « réalisme structurel », qui identifient le réel avec les rapports véritables (de nature mathématique) entre les objets. Quant à ses affinités philosophiques, elles manifestent un certain éclectisme. C’est le cas du rapprochement avec le bergsonisme, dont d’Espagnat n’attend certes aucune « ontologie de remplacement » (p. 160), mais qui lui paraît tout de même capable de fournir « de précieux aperçus _ en quoi ? et lesquels ? _ sur le réel vrai » (p. 161) _ l’horizon de l’exigence (éthique) de vérité (et de justesse) demeurant fondamental… Le problème est que Bergson cherchait dans la saisie de la durée un absolu que d’Espagnat, pour sa part, entend placer _ oui ! _ par-delà toutes les notions phénoménales, espace et temps inclus _ certes. L’alliance tactique n’est donc pas entièrement convaincante _ d’Espagnat le reconnaît lui-même _ ; pas plus que ne l’est, nous semble-t-il, la référence récurrente à l’idéalisme kantien et à la position d’une « chose en soi » qui, manifestement, n’est pas d’une grande aide pour formuler _ opérativement, dirais-je… _ le problème de l’« Être », qui est l’autre nom du « réel voilé ». C’est que le problème de Kant n’est pas celui de d’Espagnat : rallié de force à la cause des adversaires du « réalisme local » _ un comble si l’on songe à son adhésion sans réserve à la mécanique newtonienne et aux formes de l’objectivité qui la rendent possible _, le sage de Königsberg offre pourtant du « Réel » une version trop austère, trop dépouillée _ en quoi ? comment ? il faudrait le creuser un peu davantage _ : c’est pourquoi du point de vue où se place le physicien, l’idéalisme transcendantal _ kantien _ se distingue à peine de l’idéalisme pur et simple. La « chose en soi » est le minimum métaphysique qui permet de garantir que quelque chose nous est encore donné _ et pas seulement projeté (ou a fortiori carrément créé) par nous. Et certes l’« en soi » du physicien, pour être non-discursif, mérite tout de même un peu mieux _ comment ? _ que cela ; mais alors le passage par Kant était-il bien nécessaire ? Bien des questions demeurent, pouvant en quelque sorte « ouvrir » (« opérativement« ) à d’autres « entretiens« 

Tout l’art de Claude Saliceti _ en « Candide«  _ est de conduire son interlocuteur, au fil des questions, à préciser davantage les attendus de ses propres positions métaphysiques. Jamais la discussion ne bascule dans la spéculation gratuite ; elle demeure étayée, d’un bout à l’autre _ et c’est positivement précieux ! _, par les résultats les plus précis _ oui _ de la science contemporaine, comme en témoigne, par exemple, l’ »appendice III » consacré à une mise en question expérimentale, d’ailleurs toute récente, des rapports entre la causalité et le temps _ lesquels ? comment ? en quoi ? cela mériterait de plus amples précisions.

Dans ce livre riche, foisonnant d’intuitions, chacun trouvera matière à penser : le physicien et le philosophe, bien sûr, mais plus largement tous ceux que n’effraie pas l’idée de s’attaquer _ en s’instruisant au passage (oui ! ) _ à quelques « questions ultimes » _ soit un (relatif) vertige du penser (entre « gardes-fou«  : tant scientifiques que philosophiques ; à l’écart de quelque schwärmerei…), au frémissement, en effet, séduisant…


Elie During

Voilà qui, à son tour, et lumineusement,

et nous « instruit » ; et nous « donne matière à penser » (sans délirer)

Bravo !


Titus Curiosus, ce 24 avril 2009

En post-scriptum

_ et complément un peu inutile, après cette brillante introduction d’Elie During _,

ces éléments issus de la quatrième de couverture des « Entretiens » de Bernard d’Espagnet et Claude Saliceti, en leur « Candide et le physicien«  (à paraître le 30 avril aux Éditions Fayard) :

Résumé

Le médecin et philosophe Claude Saliceti a posé cinquante questions au physicien Bernard d’Espagnat

sur les sciences physiques modernes et les implications philosophiques du passage de la physique classique aux physiques relativiste et quantique :

sur les notions d’objet et d’objectivité, de déterminisme, d’espace, de temps, etc.

Quatrième de couverture



Les avancées considérables de la physique d’après guerre n’ont été possibles qu’au prix d’une vraie rupture
_ théorique, conceptuelle _ entre elle et la physique dite « classique » _ celle de Newton, Galilée, Copernic… À quels changements cette rupture _ théorique, épistémologique _ nous contraint-elle _ en profondeur, pour peu qu’on s’y penche en vérité si peu que ce soit… _ en ce qui concerne des notions essentielles telles que celles d’espace, de temps, d’objet et d’objectivité ? Quelles en sont les incidences quant à la portée de la connaissance, au rôle de la conscience, aux relations entre science et ontologie ?

Ce sont là des questions de fond, délicates, auxquelles les personnes de formation si peu que ce soit philosophique sont souvent plus sensibles que ne le sont les physiciens. Malheureusement, elles ne disposent pas toujours des connaissances de pointe qui seules permettent d’approfondir de tels problèmes sans risquer de trop s’égarer.


Étant donné l’impact que, par ses applications, la science a sur nos vies, nombreux sont ceux qui souhaitent se former une idée plus juste de ce que cette science implique vraiment. Le présent ouvrage prend la forme d’un dialogue articulé autour d’une cinquantaine de questions posées par Claude Saliceti à Bernard d’Espagnat sur ces questions de fond. En des termes adéquats (et foncièrement neufs) et dans une langue accessible au profane, cet échange permettra à chacun de découvrir les directions dans lesquelles des réponses peuvent être recherchées.

Bernard d’Espagnat est membre de l’Institut et professeur émérite de l’université de Paris-Orsay, où il a dirigé le Laboratoire de physique théorique et des particules élémentaires.
Il a également enseigné la philosophie des sciences en Sorbonne. Il est l’auteur d’une dizaine d’essais, notamment : « Regards sur la matière« , en collaboration avec Étienne Klein (aux Éditions Fayard, en 1991), « Le Réel voilé » (aux Éditions Fayard, en 1994) et « Traité de physique et de philosophie » (toujours aux Éditions Fayard, en 2002).

Claude Saliceti est médecin et philosophe. Il est notamment l’auteur de « L’humanisme a-t-il un avenir ? » (aux Éditions Dervy, en 2004).

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