Archives du mois de juillet 2009

L’exploration « inspirée » de Jean-Louis Schefer de son goût des « portraits »

14juil

J’ai achevé hier soir la lecture _ pas de première facilité ; il m’a fallu pas mal m’accrocher, parfois, pour poursuivre… ; le livre n’étant pas tout à fait « fait pour le lecteur » : très indirectement seulement ; car c’est avec soi-même (= lui-même) que l’auteur d’abord s’y « explique« , déplie, déploie, découvre un peu, ou beaucoup… _

j‘ai achevé hier soir, donc, la lecture de « La Cause des portraits » de Jean-Louis Schefer,

livre que m’avait vivement conseillé son éditeur _ aux Éditions POL _ Jean-Paul Hirsch,

au café Lavinal, au village de Bages, le jeudi 11 juin dernier,

lors de la remise « ensoleillée » _ un pur moment de grâce _ du Prix Lavinal à Nathalie Léger, pour son magnifique « L’Exposition » :

sur lui, cf en priorité mon article du 15 juin (plutôt que celui du 14 ou celui du 17) : « la jubilante lecture des grands livres : apprendre à vivre en lisant “L’Exposition” de Nathalie Léger » ; ce grand livre, très vif et incisif, très aéré (court : de 157 pages toniques !), méritait au moins trois articles pour le « fouiller » un peu ; et « débattre » un peu avec lui : ce à quoi je m’essaie en ce blog…

Le livre de Jean-Louis Schefer est d’un autre « tonneau« , lui :

199 pages de phrases parfois infinies de recherche de l’énigme de soi _ aussi et surtout peut-être comme « auteur » (de livres sur des « tableaux« ), et selon certaines « musiques«  ; même si c’est on ne peut plus modestement ; et non sans beaucoup d’ironie, vraiment, à l’égard de soi : Jean-Louis Schefer s’appliquant régulièrement au cours de son enquête la métaphore (kleistienne ?..) des marionnettes _,

en creusant, avec bien de la cocasserie parfois _ comme un canari un os blanc de seiche (cf la réjouissante description du jeu des « deux infectes canaris » de la « couturière Carabosse«  de la rue Le Marrois, page 106) _, tout ce que peut offrir l’effort de la mémoire,

à quelques soixante années de distance (de l’été 1947 ou 1948), pour le principal de ce « travail« … ;

mais l’enquête tire,

et en vue de l' »essentiel«  _ pour un jeune auteur de 70 ans : il est né le 7 décembre 1938 _,

les « ficelles » (de « marionnettes » _ à la Kleist, donc…) de toute une vie,

de son « éveil« , surtout, _ alors et longtemps resté confus, tout ensommeillé qu’il demeurait : encore immergé dans « la nuit«  _ à ce qui devait se révéler une « vocation » (au déchiffrement de « portraits« …)…

Ce travail d’enquête ayant, forcément _ comme pour tous les plus grands livres : Montaigne, « Les Essais«  ; Shakespeare, « La Tempête«  ; Cervantès, « Don Quichotte« … :

tous combien plus auroraux que crépusculaires en leur « lumière«  ! _,

quelque chose de « testamentaire« 

en sa vivacité inspirée…

L’excellente émission de Frédéric Ferney « Le Bateau Libre » du 11 juillet 2009 (la sixième) consacre treize minutes à une très instructive interview de Jean-Louis Schefer sur ce livre ;

accompagnée, dans la marge, sur le site du « Bateau Libre« , de cette très judicieuse citation (à la page 197, je viens de la retrouver…) de « La Cause des portraits » :

« Qu’ai-je jamais eu de plus précieux et quel trésor

_ voilà ! _

plus sublime ou mieux caché que ces images et scènes suspendues et qui sont désormais dans ma vie le centre vide

_ oui : d’un maelstrom _

et l’énigme infinie

_ et en cela infiniment fascinante _

vers laquelle

_ voilà la direction ! _

je me déplace

_ et œuvre _

sans le savoir

_ jamais assez : on tourne encore autour, en tentant de s’en approcher, en « cabotant«  comme on peut : par l’écriture en acte… _,

comme si un fil

_ celui, kleistien, des marionnettes _,

une malice

_ qui fait trébucher _

du chemin, un vice du temps

_ un clinamen lucrécien ! Jean-Louis Schefer l’évoque lui-même une fois, page 189 _

me contraignaient

_ encore et toujours _

à arpenter

_ un terme kafkaïen, cette fois, in « Le Château » et « Le Procès«  : autres chefs d’œuvre de la plus haute volée du comique ! cf l’article de mon ami Vaclav Jamek « Les paradoxes de l’humour« , in le n° 415 du Magazine littéraire, en décembre 2002 _,

peser

_ la source et l’acte même du « penser«  actif ! _,

mesurer et manier

_ cela demeure toujours à réaliser, en effet : de main d’homme… _

cette matière et cette boue

_ »homme«  provenant d’« humus » (et de l’humilité)… _

dont, certainement, je suis fait, ou les bulles de savon

_ thème de choix, enfantin et ludique, de ces « Vanités«  hollandaises, souvent sublimes, que Jean-Louis Schefer a pu contempler dans les musées du pays d’Almelo et d’Hengelo, ces petites villes et villages découverts, eux, en ces vacances de 1947 ou 48… : « Hengelo, près de Almelo, au nord d’Arnhem, de Deventer, dans la province d’Overijessel, au milieu d’une plaine basse très abondamment irriguée, coupée de routes, de canaux, semée de boqueteaux de trembles, très légers, et de sapins bas, ne montant jamais très haut dans le ciel mais plutôt, de temps en temps, secoués par le vent, rincés par la pluie qui laisse le ciel régulièrement balayé, rafraîchi et où ne monte jamais une trop grande chaleur«  (page 56) _

les bulles de savon, donc _ telles celles du souffleur de Chardin ! et celles de l’enfance rêveuse décrites aux pages 22 et 23 : en « cette physique d’eau savonneuse et de poussières dansantes aux rayons du soleil« _,

soufflées dans des pailles, dont la nacre irisée emporte avec elle les petits visages d’un carnaval de sucre« 

_ mais dont quelque chose aussi s’est conservé : en quelle « espèce de liquide conservateur ? » (page 25) :

c‘est la tâche de ce livre d’« exploration«  fervente et inspirée, tout autant qu’ouverte à l’improbable,

de le (re-)« mettre à jour« , en quelque sorte,

avec délicatesse, patience dans l’attention aux plus improbables et inaperçus « détails« ,

et, aussi, une étrange féconde force…

Le second et avant dernier chapitre du livre, « La Nuit« 

_ il va de la page 169 à la page 193 ;

le premier, « Les Voyages« , de la page 9 à la page 168, est la « matière«  même (de sortie de l’« enfance«  et d’initiation à ce qui serait une « éducation esthétique«  : l’expression se trouve page 13 : « mon éducation est esthétique« ) des souvenirs recherchés et « travaillée« , ardemment, en ce livre… ;

et, l’ultime « Cause des portraits« , est lapidaire : 5 pages à peine de conclusion, et toute provisoire ! _

creuse la réflexion sur ce face-à-face _ à soixante-dix ans : l’âge était donc venu, cet hiver 2008-2009 de l’écriture fervente de ce livre… _ en un mouvement tournant, à nouveau, de passacaille (ou chaconne) :

je lis, page 177, ceci :

« Est-ce pourquoi avançant pourtant

_ mais justement !!! _

dans mon âge

_ le « dans » doit être pris au pied de la lettre : « dedans«  _,

je marmonne aujourd’hui

_ jours de l’écrire ; et du penser ; et du « se souvenir«  en cherchant à « dé-chiffrer«  enfin un peu mieux ce qui fut « une sorte d’anabase«  (page 124) du rien moins que « Golgotha de l’enfance«  (l’expression se trouve à la page 191)… _

ces toutes petites ritournelles

_ cf l’usage deleuzien (dans « Mille plateaux«  et dans « Qu’est-ce que la philosophie ?« ) de ce concept de « ritournelle«  ici… _

qui me tiennent dans leurs ficelles

_ de marionnettes kleistiennes _

et tirent mes bras

_ d’agissant comme d’écrivant _

comme si la toute première marionnette dans laquelle

_ l’expression est, bien sûr, à relever ! _

nous avons commencé

_ ah ! les « commencements d’une vie«  ! n’est-ce pas, François Mauriac ? le très beau (et pas assez connu) texte mauriacien de ce titre est paru aux Éditions Grasset en 1932 :

nous commençons comme « marionnette«  ;

pour ne rien dire de ce qui suit et/ou continue ; en fonction des conséquences et des degrés d’un « éveil«  : certains (et bien plus nombreux que les seuls « Sept Dormants d’Éphèse«  !..) continuant probablement de bien dormir, profondément, toujours… _

n’avait pas grandi

_ du tout _

et faisait battre notre cœur ; petites scènes, événements invisibles qui doivent

_ selon leur logique propre, autonome _

continuer de parler tout seuls sans mon concours ; ou bien musique dont j’entends la voix monter, et toujours la même : « Erwache Dich, ruft uns die Stimme«  ; la voix qui me relève la nuit, qui dit et chante : « Eveille-toi », qui ne vient pas en même temps que le visage. « Erwache Dich ! », sans doute parce que mon film n’est pas terminé

_ peut-il l’être jamais ?.. _

et les voix mal raccordées aux visages parlants »,

page 177, donc…


Voici le passage, page 189, qui me paraît très éclairant _ pour des philosophes, du moins _ sur le clinamen qui préside à la compréhension par Jean-Louis Schefer de sa propre « anabase«  :

« Suis-je alors, comme par magie, affecté d’un retour du temps ?

_ telle une question proustienne :

mais est-ce seulement passivement ?..

Est-ce justement son essence

_ celle-là même du temps !

mais y a-t-il « temps«  pour d’autres que des vivants-mortels ?.. _

qui se constitue

_ elle a donc une « histoire« , cette « essence du temps«  _

ou devient visible

_ phénoménalement, en quelque sorte, alors, et seulement ;

ou secondairement :

en une « expérience » plus ou moins ressentie ;

et plus ou moins clairement ressentie, certes :

que de degrés !..

même pour un seul et même individu, en son parcours de vie… _

non par une succession d’images, de scènes formant des souvenirs,

mais comme l’économie de la mémoire

_ même _

tantôt imaginée comme un système d’épargne

et tantôt comme une force ;

et dont le fonctionnement mystérieux obéirait à l’espèce d’effacement fulgurant

_ hors temps _

du temps

que me semble encore désigner le clinamen de Lucrèce :

là et alors,

qui ne désignent plus ni lieu ni temps,

la chose

_ si difficilement figurable en « images« , en « scènes«  _

passe à l’état d’être atomique

_ fondamentalement _

sans n’être dorénavant plus assignable par aucun repère :

elle est devenue la pensée même.
Ce que la métaphore de Lucrèce m’avait semblé présenter comme l’équilibre d’une éternité d’un maintenant

dans lequel le temps comme succession d’instants

disparaissait ?« 

La réflexion se poursuivant à la page suivante, page 190 :

« Mystère essentiellement infantile des secrets du passé que nous gardons comme des secrets, sur lesquels des images auraient posé leur sceau

_ bloquant provisoirement ou définitivement l’exploration des métamorphoses :

page 116, Jean-Louis Schefer use de l’expression « le catalogue des métempsycoses«  _ ;

et des images qui, tout comme dans les rêves

_ avec leur « ombilic«  _

tiennent la place d’un monde dans lequel il n’y aurait ni temps, ni figure.« 

Et l’auteur de s’interroger :

 » Quelle espèce de durée donner à ces images éparses et comme tissées d’allers et retours perpétuels

_ car non seulement elles reviennent, mais nous aussi, nous n’arrêtons pas d’essayer de les  décrypter, à l’occasion, en l’impression d’« inquiétante étrangeté« , ou plutôt de « familiarité bizarre« , en nous heurtant régulièrement à elles, pour peu que nous soyons un peu curieux, et osions, tel Persée, affronter Méduse… _,

comme par le mouvement d’un fuseau passant et repassant sous la trame ? Comment peindre ce brouillard

_ mon propre « essai » porte le titre de « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise _ ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni«  : c’est dire si tout cela vient me « parler«  aussi… _

et le mouvement de ces atomes dans leur chorégraphie

_ tout d’abord _

incompréhensible ?« 

Jean-Louis Schefer avance alors ceci :

« Sans doute ne reste-t-il que des atomes ; sans doute aussi la mémoire nous contraint-elle au jeu d’une comédie

_ cocasse, éminemment drolatique  ! le texte s’y déchaîne parfois, notamment à propos de remarques sur la vie familiale (au sein de laquelle le rôle de pivot de la mère de l’auteur, délicieusement croquée alors… : notamment en son catholicisme « passionné, intransigeant« , qui « doit sans doute nous laver des restes familiaux _ du côté paternel : des Schefer _ d’une fausse religion, le protestantisme, dont il est évident à ses yeux et dans son expérience qu’elle est d’essence mondaine«  (page 156), sans qu’elle en soit, non plus, jamais la dupe !..) _

dont nous serions moins l’auteur ou le metteur en scène

qu’un protagoniste d’occasion et de hasard,

puisqu’à tel moment il nous faut comprendre

(comme dans l’anonymat terrifiant des rôles où nous placent les rêves)

que la mémoire était le dernier terme d’abolition du temps.

Nous n’y faisons pas notre retour comme un acteur

mais comme une chose 

égalisée dans l’immense matière du temps

_ l’expression est magnifique de justesse _

qui vient de cesser,

de perdre son rythme,

de lâcher l’espèce de palpitation

_ quasi toujours haletante, dans le temps subi _

du destin ;

comme rejetés sur la grève

_ de la mer du Nord hollandaise, en l’occurrence _,

au milieu de débris d’algues, de coquilles fossiles

_ si nous atteignons par là un temps plus cosmique,

non plus décompté en heures, minutes et secondes,

c’est précisément parce que la mémoire nous fait revenir là

et tels que nous avons cessé d’être :

chose à peine,

empreintes déjà fossiles portées par un autre temps que nous ne savions pas exister

parce que son ordre n’était que le mystère continu et inapparent de la vie,

du tableau des phénomènes

et du déroulement des événements.
Mais peu de choses passent au tableau,

bien peu organisent des scènes,

presque rien n’entre en composition dans une histoire.

Ainsi

_ cependant, pour peu qu’on y prête quelque attention et qu’on s’y « focalise« , à contresens des « brouillards«  et des « vues brouillées » où tout dérape _

le Golgotha de l’enfance,

l’aquarium absent

_ refusé par la mère _

qui n’a fait qu’alimenter des rêves de poissons captifs,

ainsi les poussières

_ lucréciennes : c’est toujours du clinamen qu’il s’agit là… _

d’un rayon de soleil« ,

page 191…


Le résultat, c’est,

pages 93 et 94, que

« ces souvenirs _ retrouvés _ ne sont plus miens

que parce qu’ils sont toute l’attente, dont je suis alors saisi

_ et « inspiré » !.. en deux mois d’écriture frénétique et sans rature !.. _,

du style (de la partition, de la musique entière)

dont je suis désormais la seule possibilité

_ d’où la mission testamentaire aurorale, bien plus que crépusculaire !

Ils sont miens parce que sortant du paradoxal anonymat des rêves,

c’est encore moi tel que je puis me figurer comme le paramètre d’inconnu qui s’ajoute, chaque seconde, au monde

_ tel un point de vue singulier, monadique (à la Leibniz de « La Monadologie« )…

Sentant comme un regret, un remords, mesurant une espèce de retard de figure et de langage touchant la vie même

_ en son flux jaillissant et fécond _,

je vais doter d’un style ce qui n’est que ma _ forcément modeste _ participation au monde.
La naïveté de mon langage, la légèreté de ma croyance au monde et ma foi inébranlable en l’existence inexpliquée des autres,

en somme le besoin même de l’enfance,

arrangeront tour à tour des tableaux,

des récits,

des raisonnements » _ en une œuvre un peu variée, somme toute : mais autour d’un même pivot… Pages 93 et 94…


Voilà.

« Je n’ai fait toute ma vie que chercher une seule image

et recopier mille tableaux

qui m’ont appris la patience, une délicatesse de touche, le soin des détails,

à recopier des scènes ou des paysages dont le silence, enfin, était toujours

moins l’attente d’une action imaginaire

que celle d’une musique _ la musique des sphères, dont se rapproche un Bach... _ jusque là jamais entendue.

Les études, latin, allemand, grec, philosophie,

les livres

n’ont été que le passe-temps de cette tâche toujours plus urgente

comme si ma vie, jusqu’à maintenant, avait dépendu,

et le seul salut dans une guerre qui n’aurait jamais pris fin,

de l’amitié des Chardin,

des tourments d’une âme du Greco,

de la dernière sérénité bleue de Matisse,

tous ceux avec qui, je crois, j’ai appris la musique la plus secrète« , pages 34 et 35.

Et le catalyseur-« introducteur«  (= « initiateur«  : il en faut !) de cette découverte existentielle fondamentale

fut la rencontre, en un train filant vers la Hollande, en 1947 ou 48, de Françoise,

bientôt, aussi, « fille de Dieu » (page 37) ;

« épouse du Christ« , elle lui dira alors (à Lisieux) : « reviens me voir, je ne m’appelle plus Françoise« , page 38.

L’école :

« La petite vie de laboratoire qu’impose l’école ne réussit qu’à découvrir, comme levant le coin d’un voile, un monde de frustration, sans beauté, sans nuances _ qualitatives _, sans intelligence _ c’est grave ! mais combien juste, hélas, le plus souvent !.. _,

inaugurant la séparation dramatique de l’intelligence et de la sensibilité,

ruinant au nom d’une définition obtuse de la réalité _ galiléo-cartésienne (+ Adam Smith…) _ le génie d’intuition que nous portions en nous ;

et que seule la rêverie forcenée nous permet, des années durant _ par la suite !!! et obstinément… _ de maintenir vivant ou de nourrir« , page 144.

Car l‘ »enseignement de la réalité«  que pratique l’école « restera sans prise sur la pâte de rêves dont nous avons, tous plus ou moins _ cf Shakespeare… _, été façonnés« , page 153…


Ce que Françoise lui fait alors découvrir,

ce sont les « objets vrais, des objets infinis dont la peinture et la musique seraient le reposoir« , page 165…

C’est que « le monde commence alors _ dans l’enfance _ par être sentimental : sans la rudesse du besoin, sans le tourment du désir, il est _ ce monde pour nous, en effet _ une partition sentimentale

sur laquelle toutes sortes de choses décident de nos attachements fantômes

à travers lesquels nous espérons

_ avec plus ou moins de succès, en nos « rencontres » singulières : notamment d’œuvres d’art… _

une lumière plus grande et plus douce, une musique plus éternelle«  _ fondamentale, page 181.

Un livre initiateur d’expérience vraie !

que cette « Cause des portraits« 

de Jean-Louis-Schefer…

A suivre ! Un deuxième volume devant poursuivre la réflexion…

Titus Curiosus, le 14 juillet 2009

Sur « L’Holocauste comme culture » d’Imre Kertész

10juil

A propos de l’important recueil de discours et d’articles d’Imré Kertész « L’Holocauste comme culture« , paru le 1er avril 2009 aux Éditions Actes-Sud,

un article de Samuel Blumenfeld, dans « Le Monde » du 18 juin 2009, « « L’Holocauste comme culture », d’Imre Kertesz : réinventer l’Europe après Auschwitz« ,

porte très opportunément le projecteur sur un aspect jusqu’ici méconnu, en France du moins _ faute de traduction en français jusqu’à ce jour _, de l’œuvre de cet immense écrivain qu’est Imre Kertész : sa part méditative d’essayiste lucidissime et particulièrement (comme assez peu !) incisif ;

même si son génie éclate d’abord et surtout dans l’usage (dynamiteur !) de la fiction

(à base autobiographique :

mais justement, Kertész choisit tout spécialement le mode narratif de la fiction _ cf « Être sans destin«  et « Le Refus » ; mais aussi « Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas » ; et, peut-être le sommet de tout, « Liquidation » ! _ pour tenter de se faire mieux entendre, enfin !)

afin d’aider à faire enfin ressentir si peu que ce soit, au lecteur anesthésié lambda, que nous sommes tous, peu ou prou.., l’horreur absolue de ce que l’individu Imre Kertész a pu (ou pas tout à fait !), lui, vivre (jusqu’au bord d’en mourir, d’être irrémédiablement détruit),

et dans la négation nazie _ entre la rafle de Budapest, le 7 juillet 1944, et la libération, le 11 avril 1945, du camp de Buchenwald (via un passage express à Auschwitz et un séjour au camp de travail de Zeitz, dans le land de Saxe-Anhalt : entre juillet 1944 et avril 1945, donc) _

et dans la négation stalinienne _ à Budapest, ensuite (jusqu’à octobre-novembre 1989 ; avec « répliques » et « suites » sismiques, encore : cf le troisième récit du recueil « Le Drapeau anglais« ).

Voici cet intéressant article de Samuel Blumenfeld _ farci de quelque commentaires miens :

« « L’Holocauste comme culture », d’Imre Kertesz : réinventer l’Europe après Auschwitz »

LE MONDE | 17.06.09 | 16h13  •  Mis à jour le 17.06.09 | 16h13

Le recueil de discours, conférences et textes écrits entre la chute du mur de Berlin et 2003, reprend l’intitulé d’une conférence donnée par Imre Kertesz à l’université de Vienne en 1992, « L’Holocauste comme culture » _ pages 79 à 92. Cette formulation surprenante vise à prendre la mesure d’un phénomène qui a mûri dans les années 1990 : la banalisation de la Shoah. Alors même que l’on parle de plus en plus de l’Holocauste, la réalité de celui-ci, le quotidien de l’extermination, échappe de plus en plus au domaine des choses imaginables _ = représentables, dans l’horreur absolue de toute leur « incompréhensibilité«  même, dans la difficulté de s’en faire une « idée«  tant soit peu « approchante« , par tout un chacun ne l’ayant pas « vécu« , pas « éprouvé« , pas « ressenti«  (c’est une affaire d’« aisthesis«  : et c’est là que se situe le pouvoir spécifique et irremplaçable, sans doute, de la littérature ! de permettre à un autre, lecteur tant soit peu attentif, curieux et patient, de s’en « rapprocher«  un tout petit peu mieux…) ; et ne lui ayant pas, non plus, « physiquement«  au moins, « survécu« 

L’institutionnalisation _ actuelle : là-dessus cf aussi Annette Wieviorka : « L’Ère du témoin« _ de la Shoah passe, selon l’écrivain, Prix Nobel de littérature en 2002 _ dont le discours de réception, superbe, intitulé « Eurêka ! » se trouve aux pages 253 à 265 _ et survivant des camps, par un rituel moral et politique, un langage de pacotille _ bientôt, très vite kitsch... _, qui se manifeste par une sous-culture _ barbare… Ses effets vont de la muséification _ et « touristification«  _ de cet événement _ cf le terrible récit : « Le Chercheur de traces«  ; repris aussi dans le recueil « Le Drapeau anglais«  : retour à Buchenwald et son « musée«  : bouleversant ! Ainsi que la visite à Auschwitz et son « musée« , aussi, in l’extraordinaire « Liquidation« … _, qui fait dire à Kertesz qu’un jour « les étrangers qui viennent à Berlin se promèneront dans le parc de l’Holocauste pourvu d’un terrain de jeu », à des œuvres kitsch comme « La Liste de Schindler« , et, à travers elle, à l‘ »hollywoodisation » de la Shoah, devenue, depuis le film de Spielberg, un genre cinématographique.

Ces phénomènes ont un double effet : dépouiller _ aux yeux des autres, tout au moins ; aux leurs propres, cela paraît plus difficile ! _ les survivants des camps de leur vécu _ rendu, ainsi « en-niaisé« , travesti, plus encore inaccessible, incompréhensible : déjà qu’il était si difficile à faire écouter et si peu que ce soit comprendre : cf le sublime final, au retour chez lui, à Budapest, du jeune György Köves d’« Être sans destin« , face à ses anciens voisins, Steiner et Fleischmann… (pages 348 à 359) _ ; et réduire Auschwitz à une affaire entre Allemands et juifs, quand il s’agit _ pour Kertész ; et nous-mêmes _ de l’envisager comme une expérience universelle _ et pas seulement « générale« Kertesz estimait, dans son discours de réception du prix Nobel _ présent dans ce recueil de discours et d’articles qu’est « L’Holocauste comme culture«  _, que l’Holocauste marquait le terminus _ avec ou sans « rebond » possible ?.. _ d’une grande aventure où les Européens sont arrivés au bout _ en quel sens le comprendre ce « bout » ? est-ce la « toute fin » de l’Histoire ? ou pas ?.. _ de deux mille ans de culture et de morale _ avec basculement régressif dans une « barbarie » ?.. ou l’opportunité de quelque « résilience«  ? pour reprendre (plus « optimismement«  !..) le concept de Boris Cyrulnik…

D’où la grande question de son ouvrage : comment l’Europe peut-elle se réinventer _ = rebondir ; question posée à l’horizon de ce grand livre de Cornélius Castoriadis qu’est « L’Institution imaginaire de la société«  … cf aussi « Le Principe Espérance«  d’Ernst Bloch… _ après Auschwitz ?

Kertész défend une culture _ vraie, pas un simili mensonger : et barbare !.. _ de l’Holocauste, détaillée dans des textes consacrés à des thèmes _ ou plutôt des questionnements actifs : le « thème » tombant vite dans le poncif, lui… _ aussi divers _ et d’une très mordante acuité critique, en leur « traitement«  par lui ! _ que « le totalitarisme communiste« , « la république de Weimar« , « les intellectuels hongrois« , ou « Jérusalem« , ce dernier article _ « Jérusalem, Jérusalem…« , pages 241 à 251 _ se révélant l’un des plus décisifs du recueil, l’auteur y définissant avec subtilité et pertinence sa spécificité d’écrivain juif.

L’Holocauste est une question vitale _ et assez mal résolue, pour le moment _ pour la civilisation européenne, qui se doit _ à elle-même : pour être et demeurer vraiment ! _ de réfléchir à ce qui a été fait dans son cadre, si elle ne veut pas se transformer en civilisation accidentelle _ c’est-à-dire disparaître très vite en tant que « vraie«  civilisation : accomplissant, en sa « disparition« , le triomphe du nihilisme ; celui, proliférant, des régimes totalitaires du siècle passé, pourtant apparemment vaincus (en 1945, pour l’un ; en 1989, pour l’autre). Pour ma part, j’attends (et non sans une réelle impatience, même !) la « réaction«  de Kertész (ou la traduction en français de ses textes écrits en hongrois ; et paraissant d’abord en traduction allemande, en Allemagne : il vit désormais à Berlin…) au nihilisme (voire néo-totalitarisme) des régimes ultra-libéraux… « Si l’Holocauste a créé une culture, sa littérature peut _ en quel sens le comprendre ?.. _ puiser son inspiration à deux sources de la culture européenne, les Ecritures et la tragédie grecque, pour que la réalité irréparable donne naissance à la réparation, à l’esprit, à la catharsis » _ à la résilience, ajouterait Cyrulnik… _, écrit Kertész _ y croit-il donc ?.. _, qui, à défaut de savoir ce que peut faire l’Europe, n’a aucun doute sur ce qu’elle doit faire _ comme « idéal régulateur« , condition absolue de sa sauvegarde comme « civilisation« , face à la « barbarie«  qui la gangrène…


L’HOLOCAUSTE COMME CULTURE d’Imre Kertesz. Actes Sud, 276 pages, 22 €….Samuel Blumenfeld…Article paru dans l’édition du 18.06.09.

Imre Kertész : un auteur majeur, à lire de toute urgence ;

et in extenso

Titus Curiosus, le 10 juillet 2009

L’honneur et le « sacré » de la démarche d’enquête du Père Desbois en Ukraine _ la légitimité du concept de « Shoah par balles » : l’apport de Serge Klarsfeld

09juil

Il y a quelque temps _ trois semaines : c’était le 18 juin dernier _, j’ai été,

pour connaître personnellement (et estimer immensément) le Père Patrick Desbois

_ c’était très précisément la journée du jeudi 31 janvier 2008, passée toute à ses côtés : j’étais allé l’accueillir à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac pour l’acheminer en voiture en ville : un des temps-forts, je puis dire, de toute mon existence même, que cette conversation de vingt minutes dans l’habitacle de ma voiture ; et le soir, au dîner clôturant le colloque « Enfants de la guerre _ réparer l’irréparable » (qu’avait pour l’essentiel construit mon ami Nathan Holchaker), dialoguant amicalement avec lui et Georges Bensoussan _,

assez « peiné » de l’émergence d’une plutôt vilaine polémique _ « Querelle autour du Père Desbois« , l’article étant signé Thomas Wieder _ soulevée dans ces mêmes pages du journal « Le Monde«  (daté du 19 juin) par une historienne, Alexandra Laignel-Lavastine, ayant participé à ces enquêtes de terrain (et recueils de témoignages des derniers survivants de ces opérations de massacres de la dite « Shoah par balles« , entre 1941 et 1944) de l’équipe du Père Desbois en Ukraine ;

pour ressentir une certaine joie de voir, aujourd’hui, Serge Klarsfeld soutenir l’honorabilité et la légitimité du travail d’enquête-« recueillement de _ si précieux ! _ témoignages » sur le terrain, du Père Patrick Desbois :

en son « Point de vue » intitulé « En défense du Père Desbois« 

LE MONDE | 08.07.09 | 13h54

Que voici,

farci, selon mon habitude sur ce blog, de quelques commentaires de ma part :

« Les critiques dont le Révérend Père Desbois a fait l’objet ne méritent de sa part _ l’expression est à bien relever _ que de poursuivre sereinement l’œuvre qu’il a initiée, qu’il a conduite jusqu’à aujourd’hui et qui exige que lui et son équipe la mènent à son terme dans les meilleures conditions _ tant de faisabilité et d’efficacité que de légitimité pour le service de la vérité de la connaissance des faits advenus !

Si je me permets d’intervenir pour le soutenir _ on relèvera aussi le choix exprès de ce terme, sous la plume et par la voix de Serge Klarsfeld _, c’est parce qu’il y a plus de trente ans, j’ai entrevu en ce qui concerne la Shoah l’importance _ tant quantitative que qualitative, si j’ose le préciser ainsi… _ des massacres de juifs qui se sont déroulés en Union soviétique. A l’époque, dans un polycopié, j’ai réuni chronologiquement tous les rapports des Einsatzgruppen (unités mobiles d’extermination) qui m’étaient accessibles. En 1978, dans un ouvrage que Beate (son épouse) et moi avons publié aux Etats-Unis et intitulé « The Holocaust and the Neo-Nazi Mythomania« , nous avons inclus deux études approfondies du professeur George Wellers, directeur du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), l’une sur l’existence des chambres à gaz, l’autre sur le nombre des morts.

C’était un des premiers ouvrages à répondre aux allégations des négationnistes à une époque où la précision historique n’était pas le fort des porte-parole des organisations juives et où l’histoire de la Shoah se trouvait, sauf exceptions (le CDJC, Yad Vashem, Raul Hilberg, Leon Poliakov…), plus entre les mains d’amateurs passionnés que d’universitaires habilités à consacrer à ce sujet des thèses nécessitant des années de recherche _ pas encore mobilisés ! ces universitaires : peut-être, en partie, faute d’assez de « motivation » de leur part, alors : et de quels ordres, ces « motivations«  à accomplir ces « recherches de thèses«  ?.. _ afin que chaque page _ toutes comptent !!! _ du livre tragique de la Shoah _ écrit ces années de nazisme : cf la grande synthèse magnifique de Saul Friedländer : « L’Allemagne nazie et les Juifs » : tome 1 : « Les Années de persécution : 1933-1939 » ; tome 2 : « Les Années d’extermination : 1939-1945 » _ ne reste ni ignorée ni négligée.

Dans son étude, le professeur Georges Wellers avait travaillé sur les recensements en URSS en 1926, 1939 et 1959 et était parvenu à établir qu’environ 1,8 million de juifs soviétiques avaient été victimes de la Shoah. Ces statistiques ont été confirmées par les rapports des Einsatzgruppen, par le rapport du statisticien Richard Korherr choisi par Himmler (et que nous avons retrouvé en 1977), mais aussi par les rapports des commissions d’enquête soviétiques sur les crimes commis par les nazis sur le territoire de l’URSS (rapports que j’ai pu voir à Moscou dès 1984 sans avoir la possibilité de les exploiter).

Les historiens étaient au courant, mais cette tuerie systématique restait ignorée du grand public, alors qu’il est capital que le grand public _ lui aussi _ partage l’opinion _ informée _ de la communauté historienne _ savante.

L’expression « Shoah par le gaz » est juste puisque tant de juifs sont morts gazés. L’expression « Shoah par malnutrition et misère physiologique » est juste puisque tant de juifs sont morts de faim et de maladies provoquées et non soignées. L’expression « Shoah par balles » est juste _ elle aussi ! _ puisque tant de juifs ont été tués par des tirs. L’expression « Shoah par pogroms » serait juste aussi puisque tant de juifs ont été tués à coups de bâtons ou de matraques. La Shoah est une opération unique _ oui _ mais les modalités de mise à mort ont été multiples _ aussi _ et chacune d’elles nécessite des recherches _ historiennes _ particulières _ eu égard à la spécificité de ce qui peut en demeurer comme « traces« , « restes« , « vestiges« , « monuments« , « documents« , « archives« , « témoignages« , etc… permettant d’établir et avérer ces « faits » historiques… Ce qui revient à ne pas « délégitimer«  du tout l’expression « Shoah par balles« , de la part de Serge Klarsfeld…

L’équipe du Père Desbois a enquêté _ jusqu’ici _ dans plus de 260 localités d’Ukraine, dans une trentaine en Biélorussie. Elle a recueilli des centaines de témoignages _ de « témoins » encore vivants, bien sûr, l’âge avançant : c’est une lutte contre la montre ; il y a urgence !.. _ qui corroborent les investigations des commissions d’enquête soviétiques et qui expliquent très précisément _ voilà ! _ le déroulement de ces massacres, comment et par qui les fosses communes ont été _ alors _ creusées, tout en extrayant _ aussi, en creusant de facto le sol _ les preuves matérielles _ l’emplacement exact des fosses, ce qui demeure des cadavres, les douilles utilisées _ de ces crimes ; et qui en étaient les auteurs ; et en bétonnant sous surveillance religieuse _ de rabbins _ les lieux d’extermination afin qu’ils ne puissent plus être saccagés. Sans la personnalité _ probablement unique _ du Père Desbois et son état d’ecclésiastique _ avec ce qu’apporte un tel statut auprès des « témoins«  (de religion orthodoxe, pour la plupart) encore vivants _, aucune équipe n’aurait pu s’engager efficacement _ voilà le premier enjeu !!! il faut bien le mesurer et le prendre en compte ! _ dans une pareille entreprise _ d’enquête effective sur le terrain _ et obtenir l’indispensable coopération _ toujours assez délicate !!! et pour laquelle le Père Desbois a peu à peu affiné tout un protocole : cf le détail de cet « affinage«  progressif en son livre : Porteur de mémoires » ; l’édition en collection de poche (« Champs-Flammarion« , le 18 mars 2009) ne comporte hélas pas les photos, si parlantes, elles aussi, de Guillaume Ribot… ; pour elles, si précieuses, pourtant, se reporter à l’édition précédente, le 25 octobre 2007, de « Porteur de mémoires« , aux Éditions Michel Lafon _ aussi bien de la population que des autorités.

Il en est allé de même pour les noms des victimes de la Shoah _ identifiés enfin, si possible, un à un _ que pour les fosses communes _ repérées, ré-ouvertes et explorées, une dernière fois _ de ses victimes. Pour retrouver les noms, il fallait _ avec quelles difficultés ! _ réussir à pénétrer dans les archives d’États qui avaient participé à la « solution finale » et qui étaient réticents _ c’est une des données de fait, aussi, et d’importance, auxquelles se heurte la recherche historique _ à faire la lumière sur leur passé ; il fallait creuser _ un travail de fourmi _ comme des archéologues dans des archives nationales, ministérielles, départementales, municipales pour y découvrir _ une à une, un à un, infiniment patiemment ou obstinément : qui donc a cette force ?.. _ des listes, des dossiers, des fiches, des papiers d’identité, des photographies. Aujourd’hui, de tous les pays, les noms, les états civils, les destins _ singuliers des personnes assassinées _ dans les ordinateurs de Yad Vashem s’additionnent _ in fine _ par millions ; tandis que chaque victime dont l’existence est établie et documentée redevient un sujet _ singulier et, brisant le silence massif méthodiquement voulu et organisé par les assassins,  se mettant à « parler«  enfin, au-delà de sa « liquidation« , des circonstances mêmes de sa propre disparition, puis « liquéfaction« , au fil du temps qui passait ; et des puissances d’oubli œuvrant sans bruit… _ ;

redevient _ donc _ un sujet de l’histoire _ voilà l’apport immensément précieux (et probablement irremplaçable _ par quiconque d’autre…) du travail de l’équipe du Père Patrick Desbois.

Les travaux de l’équipe du Père Desbois suivent une méthode originale et rigoureuse : enquête archivistique _ de ciblage, une à une, des « actions«  des Einsatzgruppen _ dans les documents soviétiques et allemands ; et dans les études historiques antérieures ; enregistrement de l’histoire orale sur le terrain grâce à une enquête de proximité ; recherche balistique et archéologique. Toutes ces données sont _ systématiquement _ traitées et rassemblées afin que les chercheurs _ universitaires, à leur tour _ puissent y accéder dans le cadre de recherches universitaires ; et, si besoin est, les soumettre à leur esprit critique _ bienvenu… Il faut souligner qu’il ne s’agit pas pour le Père Desbois de mener une enquête pour rechercher qui parmi les témoins ou leurs parents aurait participé _ peu ou prou… _ aux crimes, ou en aurait pu en tirer profit. Pareille démarche menée par lui ou par tout autre aurait aussitôt mis fin _ en effet ! _ à l’initiative _ qui ne cherche pas à régler aucun compte in extremis parmi les survivants (plus ou moins complices, éventuellement) des actes accomplis lors de ces événements d’entre 1941 et 1945 ; seulement connaître la vérité des circonstances des meurtres effectifs de ces personnes-victimes de l’entreprise d’extermination.

Les détracteurs du Père Desbois acceptent difficilement _ pour des raisons de « concurrence » de financement de « recherches » ?.. Là-dessus, lire toujours le témoignage décapant, sur les camarillas universitaires, de Paul Feyerabend (1924-1994), en sa passionnante, très instructive et assez édifiante, autobiographie : « Tuer le temps« , parue aux Éditions du Seuil en octobre 1996 _ qu’en quelques années seulement il ait acquis une véritable renommée internationale _ faisant, bien malgré elle, de l’ombre à quelques égos… Il la mérite _ pourtant, cette « renommée internationale«  _ pour avoir surmonté _ en effet _ dans cette aventure historienne _ oui, aussi, et peut-être même d’abord : c’est à « évaluer« … ; même si lui-même, Patrick Desbois, n’est pas, en effet, « historien de formation«  : universitaire… _ de très grandes difficultés matérielles, intellectuelles, diplomatiques, financières et même physiques _ oui ! _ ; et pour avoir rendu visible et compréhensible pour le plus grand nombre _ aussi _ un gigantesque crime qui n’était que comptabilisé et sommairement décrit _ et pas existentiellement mesuré ! _ dans des ouvrages à diffusion restreinte _ dans les cercles d’universités et universitaires. La foi qui le guide a peut-être plus d’exigence historique que le professionnalisme _ seulement technique _ de beaucoup d’historiens _ formule à méditer sur le statut même (= philosophique et existentiel, pour tout un chacun en tant que personne « non-in-humaine« ) de la vérité et de ses enjeux fondamentaux…


Serge Klarsfeld est président de l’Association des fils et filles des juifs déportés de France. Article paru dans l’édition du 09.07.09.

Je complèterai ce « dossier » par un échange de courrier avec une amie professeur d’histoire : Historiana…

Ainsi, voici l’intitulé du message par lequel cette amie me communiquait tout simplement, et sans autre commentaire de sa part, l’article « Querelle autour du Père Desbois » de Thomas Wieder (du Monde du 18 juin dernier) ;

cet « intitulé » faisait allusion à la difficulté (abordée antérieurement entre nous, à l’automne 2007) de « porter foi » aux « témoignages » en une enquête historienne rigoureuse ;

remarques qu’elle avait formulées cet automne 2007, quand je lui avais fait part de la « force » de ma découverte du livre du Père Desbois, « Porteur de mémoires » :

 De :   Historiana

Objet : Peut-être n’est-ce qu’une querelle de personnes, mais cela conforte mes fortes réticences de départ… et mes doutes à la suite de la lecture du livre.
Date : 18 juin 2009 15:41:35 HAEC
À :   Titus Curiosus

Ma réaction, immédiate, à cet aveu de « réticences » :

 De :   Titus Curiosus

Objet : Rép : Peut-être n’est-ce qu’une querelle de personnes, mais cela conforte mes fortes réticences de départ… et mes doutes à la suite de la lecture du livre.
Date : 18 juin 2009 17:35:31 HAEC
À :  Historiana

 Ces « mauvaises » querelles (portant sur la bonne ou mauvaise foi du Père Desbois) me paraissent assez misérables…

Bien sûr, on peut toujours discuter de la légitimité _ historiographique, préciserais-je _ des méthodes ;

mais ne mélangeons pas tout…

Quelles sont au juste, pour commencer, les positions de Georges Bensoussan
ou de Guillaume Ribot
et de Claude Lanzmann
(avec lesquels je peux communiquer ; de même qu’avec Patrick Desbois)
invoqués ici, apparemment, comme « témoins à charge » ?.. A examiner d’un peu (= beaucoup !!!) plus près…

Tout cela (cette « mauvaise querelle« ) me paraît assez « idéologique« , voire « boutiquière« ,
et ne pas trop sentir elle-même la « bonne foi« …

A creuser…

Le Père Desbois ne s’est jamais prétendu « historien« , que je sache ;
et je ne suis pas du tout sûr que l’expression « Shoah par balles » soit la sienne _ elle me paraît plutôt être celle de l’éditeur, Michel Lafon, sur le bandeau du livre « Porteur de mémoires« …


Le travail du Père Desbois porte sur le recueil des témoignages et l’identification des fosses…
Je trouve certains « historiens » un peu chatouilleux a priori


Maintenant,
rien n’est a priori tabou en fait de « questionnement méthodologique » historiographique…
Si scandale il y a, les choses ne manqueront pas de s’éclairer…


Titus

Voici, il me paraît assez significatif pour le verser aujourd’hui à ce « dossier« , le détail de notre échange de courriels en novembre 2007 :


De :   Historiana

Objet : Rép : Dossier de presse sur le Père Desbois et « la shoah par balles » sur le territoire de l’actuelle Ukraine
Date : 17 novembre 2007 09:37:50 HNEC
À :   Titus Curiosus

Oui, sans doute intéressant ce travail.
Cela fait plus d’un an que des articles en parlent et reparlent.
Comme d’une sorte de révélation, comme si tout d’un coup on découvrait qu’il n’y avait pas eu que les camps… étonnant. Ce que l’on appelait « les autres moyens d’extermination » et que l’on appelle maintenant « Shoah par balles« , n’est quand même pas une découverte ! De l’Allemagne à la Russie, c’était le moyen le plus rapide, le plus expéditif. C’était pratiqué aussi dans les camps d’extermination, puisque la capacité des chambres à gaz était beaucoup trop faible. Et les actions des Einsaztgruppen sont connues. D’ailleurs _ ce qui n’apparaît guère dans les articles, mais sans doute dans le travail du père Desbois, je pense (et la réponse est : oui !) _ les Juifs n’étaient pas les seuls. Les communistes, les Tziganes (et d’autres minorités)… et comme il fallait faire du chiffre (concours entre ces groupes et récompenses), on éliminait souvent toute la population sans discrimination. Ce n’est pas uniquement la « Shoah« , c’est l’extermination aussi des « sous-hommes » slaves.

Alors quand on lit sous la plume d’un journaliste _ mais est-ce vraiment là le principal ? _ « au grand étonnement des historiens et de la communauté juive« , ça me laisse perplexe.
Même si bien entendu, ce genre d’enquête est sans doute précieuse.  Mais cela n’a que la valeur du témoignage, c’est de la mémoire.  Et elle est aussi la quête des corps pour que le deuil soit définitivement possible sans doute… Ce travail me semble plus intéressant sur le plan psychologique qu’historique…

Ma réponse alors :

 De :   Titus Curiosus

Objet : Aktionen et « Shoah par balles »
Date : 17 novembre 2007 10:37:07 HNEC
À :  Historiana

Certes, on savait beaucoup de choses de cet ordre (aktionen, Einsatzgruppen, etc…).

Mais l’enquête du Père Desbois est systématique, et va interroger les témoins, notamment les « réquisitionnés« .

Ta réponse (« ce travail« ) porte-t-elle sur l’enquête ukrainienne du Père Desbois ?
Sur le dossier de presse ?
Ou sur ma « lecture » (d’une dizaine de pages), extraite de mon petit essai « Cinéma de la rencontre« , du livre du Père Desbois _ « sur la pire des mauvaises rencontres » ?

En tout cas, le Père Desbois fait avancer la connaissance et sur les témoignages qu’il recueille, et sur les fosses re-trouvées…
Et son livre _ la construction progressive, « sur le terrain« , de ses méthodes _ est passionnant.

Titus

J’ajoute aussi à ce »dossier« , ce message-ci, très remarquable, du photographe de l’équipe du Père Desbois, Guillaume Ribot, contacté alors :

De :   Guillaume Ribot

Objet : Rép : Patrick Desbois à Aix le 3 décembre
Date : 17 novembre 2007 22:28:05 HNEC
À :  Titus Curiosus

Titus Curiosus,

je vous remercie de l’intérêt que vous portez à notre travail en Ukraine et à l’action du Père Patrick Desbois.

J’ai encore eu peu de temps pour réfléchir sereinement à votre texte _ celui que je lui avais alors adressé à propos de « la pire des mauvaises rencontres« , extrait de mon essai « Cinéma de la rencontre » _ et vous en livrer un retour.
Pourtant, j’aimerais réagir à ce que vous m’avez écrit dans votre dernier message :

« Et certains, philosophes pourtant, m’ont avoué ne pas pouvoir seulement affronter pareil sujet de lecture« …

Oui, ce sujet creuse un abîme. Une marche glissante vers ce que nous avons de plus noir. Lire ou en parler en s’imaginant faire partie de la même humanité (m’)effraie.

Il est également si difficile d’en parler.

Dernièrement au cours d’un repas avec des amis (tous « intelligents » et « cultivés« ), après que l’un d’eux m’ait demandé de leur expliquer ce que je « faisais » en ce moment, je me suis rendu compte que je livrais quelque chose de trop lourd _ dans l’immédiat, à « recevoir«  frontalement… Comment parler de ces centaines de milliers d’innocents sans donner des précisions? Sans digressions ? Sans préciser quelques faits historiques ?

_ ce « détaillement« -là, aussi difficile, certes, (à réaliser) que nécessaire (à donner), est bien une question de fond pour une époque pressée (et surtout « intéressée » ; en plus d’égocentrique…) qui n’a de temps à « prêter«  qu’à de tout maigres résumés !!!

Je me rendais compte que mon propos monopolisait la discussion. Mais comment faire ? Personne ne pouvait (alors qu’ils le voulaient) changer de sujet. L’un d’eux a quand même osé le formuler. Je me suis alors empressé de leur montrer que ce sujet n’était pas si « simple« .  Tout le monde convient qu’il faut en parler et faire œuvre de mémoire

_ collective ? à défaut de personnelle ! « Mémoire«  est-il, cependant, tout à fait le terme adéquat ? Lire sur ce sujet ce qu’a commencé à fouiller Paul Ricœur : « La Mémoire, l’histoire et l’oubli«  _ ;

mais quand on livre une vérité, comme celle révélée par Patrick Desbois, l’auditoire ne semble plus si disposé…

_ remarquable terme : une « indisposition » provoquant vite une « indisponibilité« 

Ce sujet est « sparadrap« . Comment s’en défaire ? On en connaît la douleur. La noirceur. L’insondable. On veut en parler. On veut savoir. On veut lire. Pourtant, on finit par dire, comme vous l’écriviez : « ne pas pouvoir seulement affronter pareil sujet de lecture…« …
Le sujet a donc gagné. Que suis-je par rapport à lui ?
Je sens que mon propos manque de rigueur _ au contraire : il aborde de « l’essentiel« 

La meilleure manière de donner une suite à l’image de Marfa Lichnitski :  une autre prise _ jointe alors par Guillaume Ribot en « pièce jointe » _ quelques minutes après celle que vous avez décrite _ dans mon texte « la pire des mauvaises rencontres« Il s’agit du mari nous servant une soupe dans leur pauvre intérieur. Il faut savoir qu’avant notre arrivée inopinée, ils cuisinaient pour la semaine. Après l’interview, ils nous ont demandé de revenir dans 30 minutes pour qu’ils puissent nous préparer ce repas.
Je revois encore _ voilà la puissance de l’enquête du Père Desbois _ Marfa secouer la tête en entendant le témoignage de son mari. Pendant près de 60 ans ans, ils n’avaient jamais parlé de cette histoire.
Nous arrivons et nous recueillons leur parole.
Ceci est un privilège _ oui ! rare ; et de « haute humanité«  (face au poids si terriblement lourd, et depuis si longtemps, de l’atroce « in-humanité » vécue alors ; et comme indissolublement « souillante« , contagieuse, depuis…

Sans ces gens _ et le souvenir, depuis, de leur si forte « humanité«  _, je ne sais comment je pourrais moi aussi « affronter pareil sujet« .
Je pense souvent à Dora fusillée à Simféropol, à Ossip, à Olena, à tous les autres qui nous ont donné une part d’histoire… de leur histoire….. de notre histoire ! cf, sur ces personnes, le livre du Père Desbois avec les photos des « témoins » témoignant… de Guillaume Ribot : « Porteur de mémoires« 

Bien cordialement
Guillaume Ribot

PS : je suis ravi d’apprendre que vous êtes ami avec Bernard Plossu, car son travail m’a toujours plu. Je me souviens même avoir répondu au questionnaire d’entrée à l’école photo que j’ai suivie : « Quel photographe vous influence t-il ? » J’avais répondu, presque inconsciemment : « Bernard Plossu« , car j’avais en tête une image granuleuse et floue d’un palmier……….

Quel bouleversant témoignage de Guillaume Ribot, que voilà !

Le 25 novembre 2007, mon amie professeur d’histoire, avait encore répondu ceci, à propos des « témoignages« , à mon envoi d’un courriel évoquant ma « lecture-commentaire« , pour mon essai « Cinéma de la rencontre« , des « Exécuteurs _ des hommes normaux aux meurtriers de masse » de Harald Welzer :

De :   Historiana

Objet : Rép : A propos des « Exécuteurs »
Date : 25 novembre 2007 20:56:52 HNEC
À :  Titus Curiosus

Ai lu ton texte _ rapidement, parce que le moment n’est pas très bien choisi… eu égard à sa charge de travail _ et ai trouvé très intéressant l’analyse du livre de Welzer _ « Les Exécuteurs « , donc _ et du discours d’Himmler _ le discours de Poznan le 4 octobre 1943. Ce dernier me semble dans la droite ligne de ce qui était dit dans « Mein Kampf« … et qui justifie tout.

« Mein Kampf » : « Si l’on avait, au début et au cours de la guerre, tenu une seule fois douze ou quinze mille de ces Hébreux corrupteurs du peuple sous les gaz empoisonnés que des centaines de milliers de nos meilleurs travailleurs allemands de toute origine et de toutes professions ont dû endurer sur le front, le sacrifice de millions d’hommes n’eût pas été vain. Au contraire, si l’on s’était débarrassé à temps de ces quelques douze mille coquins, on aurait peut être sauvé l’existence d’un million de bons et braves Allemands pleins d’avenir »

Je n’ai pas le temps d’aller chercher dans mes notes maintenant, mais je me rappelle un stage sur les « Mémoires » de la Seconde Guerrre Mondiale où un philosophe nous avait dit des trucs intéressants sur le nazisme ; et notamment le fait que le nazisme, c’est l’absence de référence, c’est le refus de toute transcendance, de toute tradition (en contradiction totale donc avec le judaïsme). Il présentait le nazisme comme un système politique auto-référent, dans lequel l’homme est son propre Dieu, son propre référent ; donc totalement livré à sa subjectivité, sans lien avec le passé… Pas de Loi, pas de référence à la tradition. L’homme est alors _ se croit-il, plutôt ! _ totalement maître de l’histoire. Il vit dans l’immédiateté.
Et si je me souviens bien, c’est à peu près ce que dit Primo Lévi, quand il dit que la différence entre le SS et lui _ ce SS qui lui dit notamment : « Ici il n’y a pas de pourquoi » _, c’est que le SS est totalement libre, il n’a plus de référence, il n’ a plus de morale. C’est un barbare.

J’avais aussi trouvé très intéressantes les analyses de Pierre Legendre _ tout au moins ce que j’avais pu comprendre ! parce qu’il me manque bien sûr toutes les références juridiques et philosophiques pour « entendre » ce qui ne pose pas pour toi de problèmes! _ sur la société totémique et le fait qu’avec le nazisme, il n’y avait plus de référence totémique

LEGENDRE (dans un entretien) :
« C’est fatal, dans la mesure où le droit, fondé sur le principe généalogique, laisse la place à une logique hédoniste héritière du nazisme. En effet, Hitler, en s’emparant du pouvoir, du lieu totémique, des emblèmes, de la logique du garant, a produit des assassins innocents. Après Primo Levi et Robert Antelme, je dirai qu’il n’y a aucune différence entre le SS et moi, si ce n’est que pour le SS le fantasme est roi. Le fantasme, comme le rêve qui n’appartient à personne d’autre qu’au sujet (personne ne peut rêver à la place d’un autre), ne demande qu’à déborder. La logique hitlérienne a installé la logique hédoniste, qui refuse la dimension sacrificielle de la vie. »

Bon voilà, mais je n’y connais rien  !

En tout cas, le travail de Welzer me semble passionnant… Beaucoup plus que celui de Desbois _ qui n’a rien à voir avec lui, bien sûr _ mais pour lequel j’ai une grande réticence… ; et dont la lecture du livre, et particulièrement ses pages de justification.., m’ont agacée.

Le témoignage est parfois nécessaire, mais quand on sait ce qu’il en est d’un témoignage 60 ans après les événements, forcément totalement réécrit par la mémoire…

[J.-M. _ une autre amie professeur d’histoire _ a fait travailler ses élèves l’an passé pour le concours de la Résistance ; et elle avait décidé de travailler sur le maquis de Z… (un village landais). Et elle a fait parler les vieux du village. Et là elle s’est rendue compte de ce qu’était un témoignage ! Ils ont dit n’importe quoi, racontant comme y ayant participé des faits auxquels pour une raison ou une autre ils n’avaient pas pu assister, mais qui sans doute les valorisaient, mélangeant les dates, les hommes, fustigeant tel ou tel en fonction de quelque idéologie… Bref intéressant pour un travail sur la mémoire, mais pas pour l’histoire ! ]

Je veux bien que les médias se gargarisent _ mais est-ce donc là le plus important ? _ en prétendant qu’il _ le père Desbois _ fait le travail que n’ont pas fait les historiens, mais ce n’est pas un travail d’historien… Et le comble a été pour moi de voir sur Internet la vidéo du JT de Poivre d’Arvor _ même remarque de commentaire de ma part ! _ où on a présenté son travail… Les équipes de télévision entrant chez les Ukrainiens comme dans l’ancienne émission de J.P. Foucault « Ce soir chez vous« , ou un truc pareil !
Maintenant, au nom de la mémoire de la Shoah, tout est bon !

Sur ce, je retourne à mon travail.

Historiana

Ma réponse à cet avis :

De :  Titus Curiosus

Objet : Merci
Date : 25 novembre 2007 21:14:59 HNEC
À :  Historiana

Pour le travail du Père Desbois,

je comprends tes « réticences » sur les « témoignages« , mais suis moins pessimiste que toi.
D’abord, ils ont retrouvé beaucoup de fosses, grâce à ces « témoignages » ;
et ensuite dés-anonymer certaines des victimes n’est pas rien, ni peu…

J’y reviens dans ce que j’ai écrit…

Les témoins de Z., dans les Landes, et ceux des fosses d’Ukraine, n’ont pas tout à fait eu à faire, non plus, aux mêmes choses…
Les rumeurs et les silences n’y pesaient peut-être pas tout à fait le même poids.
Reste qu’on doit maintenir toujours la rigueur critique en ces matières de témoignage-là…

Merci, et à suivre,

Titus

Voilà pour ce dossier somme toute « important » ;

et qui demeure « à suivre« …

 Titus Curiosus, ce 9 juillet 2009

Peut-être le modèle (américain) de l' »as de la martingale de la drague » du « Fais-moi plaisir ! » d’Emmanuel Mouret

07juil

Sur le « Libération«  (édition papier) de ce jour,

le « Portrait » de la dernière page (page 36) est consacré, sous le titre « Drague King« ,

_ cet article n’est pas encore en ligne sur le site du journal ;

on peut cependant accéder à un précédent article (signé Xavier Renard) « Dragueurs de pointe sur le Net« , sous-titré « Rencontres. Sur la Toile, un mode d’emploi du parfait cyber-séducteur » (le 19 mars 2009), présentant le « professeur de drague« ,

et où apparaît, en personne, ce « professeur de drague«  de pointe, officiant à Los Angeles,

sur un sujet, la « drague« , que j’ai abordé en mon article du 22 décembre 2008 : « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne)« , à propos, lui, du livre de Dominique Baqué « E-Love _ petit marketing de la rencontre«  ;

à cette occasion, on pourra comparer le concept de « professeur de drague » avec celui de « professeur de désir » dans les assez merveilleux (et néanmoins hilarants ! aussi…) « Professeur de désir«  et « Ma vie d’homme » (titre originel « My life as a man« ) de l’excellentissime Philip Roth…), parus respectivement en 1982 et en 1993 en traduction française… : soit le cœur du sujet ici !!! _

le « Portrait » de la dernière page, donc, est consacré, sous le titre « Drague King« ,

à Neil Strauss,

« Ex-critique musical, cet Américain de 40 ans s’autoproclame « roi de la séduction » et fait commerce de ses recettes, entre coaching et best-sellers«  _ c’est le sous-titre de l’article…

Or, je me demande si l’œuvre de ce Neil Strauss

_ en commençant par son premier best-seller « The Game« , paru en 2005 aux États-Unis, et vendu depuis lors à ce jour à 700 000 exemplaires là-bas : une édition de poche vient de paraître en français, le 3 juin 2009, aux Editions J’ai lu : « The Game : les secrets d’un virtuose de la drague«  _

n’a pas « servi« , par un biais quelconque, de « source » au fantasme de la « martingale de la drague » qu’illustre le personnage du dragueur du délicieux et très réjouissant film d’Emmanuel Mouret

_ cf mon article du 3 juillet 2009 « Deux comédies épatamment délicieuses sur le jeu de la rencontre et du hasard, l’une à Paris, l’autre à New-York : “Fais-moi plaisir !” d’Emmanuel Mouret et “Whatever works” de Woody Allen » _

 « Fais-moi plaisir !« …

De ce même Neil Strauss, paraît aussi, en date du 11 juin _ à l’approche de la saison (de disponibilité accrue) estivale… _ un second best-seller, « Règles du jeu » (en anglais « Emergency« ), aux Éditions Au diable Vauvert (à Vauvert)…

Voici ce que rapporte la chroniqueuse Cordelia Bonal en son « Portrait » de Neil Strauss, page 36, de ce « Libération » du 7 juillet :

« Son éditeur, ayant eu vent d’une obscure communauté de dragueurs compulsifs et méthodiques, lui demande d’enquêter. Strauss, alors trentenaire _ il est né le 4 avril 1969 à Chicago _, s’exécute. Le voilà parti à Los Angeles intégrer la classe d’un nommé Mystery _ cela ne s’invente pas ! à moins que… _, à 500 dollars le « séminaire » de drague. Soir après soir, les élèves passent _ aussi _ à la pratique dans les boîtes de Sunset Boulevard, chasser tout ce qu’Hollywood compte d’apprentis actrices ou de mannequins. Auprès de Mystery, Strauss, qui tient tout de même à sa réputation, coupe tout contact avec sa vie d’avant. »

« Plus je les regardais faire, et plus je me disais : « Ça marche, ils savent s’y prendre. » J’ai décidé de devenir _ sic ; et pas de faire, d’agir _ comme eux : un pro de la drague. »


Strauss s’entraîne
_ donc _ sans relâche, apprend les codes, le jargon, la technique _ abordés en leur détail dans l’article de Cordélia Bonal. Ne jamais approcher la proie de face ou de dos _ ce qui la hérisserait et la mettrait sur ses gardes _, toujours de biais. S’adresser d’abord au groupe d’amis, se faire désirer. Ne jamais offrir un verre, ne jamais dire « excuse-moi » !

L’élève progresse jusqu’à _ bientôt _ dépasser son mentor. Il collectionne les « conclu-tel » (décrocher le numéro de la fille), les « conclu-sex », les Anya, Carrie, Stacy, Pétra, Sarah… Jusqu’à l’obsession. Où qu’il soit, l’ancien frustré repère ses proies, guette les « indicateurs d’intérêt », passe à l’attaque.

Pathétique ? _ demande Cordelia. « Certains naissent en sachant comment draguer, d’autres, non. J’ai découvert que ça s’apprend, ça se pratique, comme un sport » _ répond Strauss…


Misogyne ? Il répond qu’« au bout du compte c’est toujours la fille qui choisit ». Et que, « tant qu’il ne s’agit que d’un coup d’un soir _ le mot même dont j’ai usé dans mon article du 3 juillet _, personne n’est blessé »… » _ qu’en est-il dans l’intrigue ficelée par Emmanuel Mouret dans son « Fais-moi plaisir ! » ? Les blessures, là, sont « collatérales«  seulement…

Depuis, « douze personnes font tourner l’agence de coaching par Internet qu’il a fondée à Los Angeles. Le business a fait quelques émules en France, où Strauss est vu comme un pape du savoir séduire » _ une technique (plus qu’un « art« ) assez juteuse…

« L’homme _ cependant, ajoute encore Cordélia Bonal _ est un angoissé, un maniaque du plan B, toujours à repérer la sortie de secours« …

« Strauss est toujours à Los Angeles. Il n’a plus peur des femmes, n’a plus peur du monde. Que craint-il ? De ne pas savoir « construire une relation stable avec quelqu’un ». S’il trouve la clé _ mais est-ce bien là seulement une « technique » ?.. _, gageons qu’il en fera un livre » _ est le « mot-de-la-fin«  de l’article de Cordélia Bonal…

A verser au dossier des deux films d’Emmanuel Mouret, « Fais-moi plaisir !« , et « Whatever works » de Woody Allen,

sur lesquels je vais « revenir« …

On pourra consulter aussi mes articles sur l' »intimité » :

celui, « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace contre la démocratie« , consacré, le 11 novembre 2008, au livre important du philosophe Michaël Foessel : « La Privation de l’intime_ mises en scène politiques des sentiments » ;

et celui, « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne)« , consacré, le 22 décembre 2008, au dérangeant « E-Love _ petit marketing de la rencontre«  de l’historienne de l’Art et philosophe de l’Esthétique Dominique Baqué…

Titus Curiosus, ce 7 juillet 2009 

Le jeu de la leçon d’humour comme « résistance » citoyenne : l’affaire marseillaise du « Sarkozy, je te vois ! » à la gare Saint-Charles

05juil

Le journal (toujours « de référence » ! ne serait-ce que par de tels articles !) « Le Monde« 

publie, ce samedi 4 juillet 2009, un passionnant « Point de vue« 

(c’est sous cette rubrique, en effet, qu’il est proposé à lire par le quotidien du soir) :

« « Sarkozy, je te vois ! » : le protagoniste de l’affaire raconte son happening citoyen«  :

narrant avec un plus que remarquable talent d’intelligence et de clarté (de la part de son « héros/victime » qui en fait le récit)

la succession assez politiquement éloquente, tout un chacun va pouvoir en juger, des « épisodes«  (à rebondissements rien moins que « politiques« , en effet),

le jour même de l' »incident » _ le mercredi 27 février 2008 _, puis seize mois durant _ le jugement vient d’être rendu ce vendredi 3 juillet 2009 : « Le juge de proximité qui présidait le tribunal de police de Marseille chargé de juger cette affaire a estimé, vendredi 3 juillet, que le « tapage injurieux diurne troublant la tranquillité d’autrui » qui était reproché à l’auteur des propos n’était pas constitué » _, en ses « suites » policiario-judiciaires,

narrant la succession des « épisodes« , donc,

de son « aventure » politico-policiario-judiciario-médiatico, et enfin philosophico-pédagogique…

« Épisodes » d’abord subis :

en « croisant« , pour commencer (à sa descente de train, de retour d’Avignon : c’était le mercredi 27 février 2008), le « contrôle » par deux policiers,

dans l’espace d’arrivée (en permanence bondé d’une foule compacte et bigarrée) de l’immense et très long Hall de la très vaste gare Saint-Charles,

d’un éventuel « sans-papier«  ;

et en y « répondant« , lui, spontanément

_ car c’est bien d’une « réponse » (= de « résistance » « citoyenne » ! à ce qui a été ressenti comme rien moins qu’une effective « menace à la démocratie« ) qu’il s’agit là !.. _,

 et dans le mouvement même de sa marche,

par une double apostrophe de son cru (« Sarkozy, je te vois !.. Sarkozy, je te vois !.. »),

ludique, humoristique,

et courageuse, à la fois :

on le mesure à la lourdeur de l’engrenage policiario-judiciaire dans lequel ce « témoin« , non passif et non-mutique (à la différence de tant d’autres des citoyens) s’est trouvé « entraîné« ,

en commençant par les heures passées par lui aussitôt après « au poste » de police…

mais aussi, pour une très notable part, fort intelligemment « réagis » et même « conduits« ,

et cela, tant sur le moment que par la suite _ nous allons le découvrir ici en son détail _

de la part de ce très remarquable « témoin-citoyen« ,

pour les espaces de manœuvre qui se sont ouverts devant lui (voire qu’il a su « ouvrir » lui-même, assez « génialement » et courageusement),

à chacun des « épisodes » survenus et affrontés,

avec un sens de la « répartie« 

et de la « réaction » opportune efficace

assez rares…

_ Ou quand le sagace et vif  « Rouletabille« , le héros actif de Gaston Leroux (cf « Le Mystère de la chambre jaune« , « Le Parfum de la dame en noir« , « Rouletabille chez le tsar« , etc… : cf le collectif en deux volumes « Les aventures extraordinaires de Rouletabille reporter »…), prend la place d’un un plus emprunté « Joseph K.« , le protagoniste tétanisé, lui, du « Château » et du « Procès » de Kafka _ en pays de « kakanie« , il est vrai ; pas en république française ! _ ;

et cela _ et surtout ! _ « dans le réel » qui lui tombe dessus ; et pas « dans la fiction » seulement…

Voici le récit _ truffé, comme à l’accoutumé sur ce blog, de mes commentaires _ qu’en donne au « Monde » le « héros-victime » de cette « affaire« 

emblématique de la situation de notre belle France eu égard à l’état présent de sa « démocratie » de fait,

Patrick Levieux,

« professeur de philosophie,

relaxé par le tribunal de police de Marseille le 3 juillet« ,

ainsi que celui-ci signe ce « témoignage-analyse des faits » donné au « Monde » :

« Je suis cet homme qui cria par deux fois « Sarkozy, je te vois ! ». Et, aujourd’hui, je suis très heureux du dénouement de cette affaire pour au moins deux raisons. D’une part, l’emballement médiatique a permis de ridiculiser la politique sécuritaire du président de la République. Nous savons tous maintenant que prononcer « Sarkozy, je te vois ! » peut nous amener devant les tribunaux. Après cet épisode, qui pourra encore contester que nos libertés individuelles ne soient sérieusement menacées par ce pouvoir ?

D’autre part, cette affaire a montré que le « storytelling« , cet art de raconter des histoires, n’est pas l’apanage des communicants des grands groupes capitalistes ou des campagnes électorales victorieuses _ ou pas : quand « règnent«  les « communiquants«  Un simple quidam peut détourner _ avec des trésors de ruse ! dans le labyrinthe des circonstances rencontrées _ le storytelling et raconter à son tour sa propre histoire _ mais c’est assez difficile, tant sont puissants les pièges à éviter et surmonter, tout de même !.. Dans son fameux livre _ « Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater des esprits » : le livre est paru le 13 novembre 2008 aux Éditions de La Découverte… _ consacré à ce sujet, l’essayiste Christian Salmon présente le storytelling comme une « machine à raconter » _ et faire croire _ qui _ on ne peut plus cyniquement _« remplace le raisonnement rationnel, bien plus efficace que toutes les imageries orwelliennes _ in l’indispensable « 1984«  _ de la société totalitaire ». L’affaire du « Sarkozy, je te vois ! » donne des raisons d’être plus optimistes, et montre que l’on peut _ aussi _ utiliser le storytelling à des fins citoyennes _ avec beaucoup d’habileté ainsi qu’un minimum de « chance« , aussi, dans l’assez impressionnant (et assez dissuasif, a priori) « jeu de piste«  de la (petite) « souris«  et des (gros) « chats«  : de la (grande) machine politico-policiario-judiciario-médiatique : a priori, on a un peu plus de chance de s’y retrouver « Joseph K.«  que « Rouletabille reporter »

Tout a commencé par un petit mensonge _ aux policiers du poste de police sur le statut social et la profession du trublion interpellé : y aurait-il eu « affaire«  sinon ?… Ce mercredi 27 février 2008, je reviens d’Avignon ; à l’époque je suis journaliste au mensuel alternatif « L’Âge de faire« . Après l’incident _ avec les policiers procédant à l’interpellation d’un suspect d’être « sans-papiers«  dans le Hall de la gare Saint-Charles _, interrogé au poste de police sur ma profession, je me présente comme étant allocataire du RMI. « Journaliste » est une profession beaucoup trop voyante. A 46 ans, un homme au RMI est forcément un pauvre gars, sans relations, fragile, impuissant, qui ne fera pas de vagues auprès de l’administration _ une « victime » née, si j’osais le commenter ainsi : un excellent « appât«  pour démarrer sinon une « affaire« , du moins une assez significative « histoire vraie«  : à « raconter«  par un journaliste ?..

Plusieurs mois après _ en 2008 encore, probablement… _, lorsque je suis à nouveau convoqué au commissariat de quartier pour être interrogé une seconde fois sur cet incident, je confirme être au RMI, même si, entre-temps, j’ai de nouveau rejoint _ à la rentrée de septembre ?.. _ l’Éducation nationale _ le statut social d’une personne n’est jamais sans conséquence pour sa « perception«  par les autres… Dans l’Éducation nationale, les syndicats sont puissants, les relais médiatiques nombreux, la procédure aurait pu alors ne pas se poursuivre _ ce qui aurait été « expérimentalement » dommage… Je voulais _ ce « jugé«  n’est certes pas passif _ rester un anonyme, dans toute la faiblesse de son état, sans passe-droit ni Rolex, et regarder la machine administrative tourner… _ voilà donc l’objet « de fond«  de l’« expérimentation«  en cours : explorer le déroulé du processus judiciario-médiatico-politique…

Lorsque, le 20 avril _ 2009 _, un huissier de justice vient me remettre la citation à comparaître devant le tribunal _ ce sera le mardi 19 mai _ pour « tapage injurieux diurne« , je suis confronté à un dilemme. Soit je comparais comme un individu lambda _ ce qui avait été la « tactique » adoptée sur le champ, puis suivie scrupuleusement jusque là… _, perdu parmi les individus que la justice ordinaire juge chaque jour : je suis condamné ou relaxé, mais l’histoire _ « expérimentale« , donc… _ s’arrête là, avant même d’avoir pu commencer. Soit je pose un acte citoyen et saisis cette occasion _ et revoici notre cher ami Kairos ! _ pour montrer _ et exposer en pleine lumière sur la scène publique (et médiatico-politique, au premier chef)… _ les dérives de la politique sécuritaire du président de la République. Il s’agira de construire une histoire qui mette en scène la figure d’un quidam, d’un sans nom et sans visage qui interpelle en le tutoyant le signifiant-maître « Sarkozy » dans une société crispée _ et en voie d’accélération de « tétanisation« , apeurée ! terrorisée elle-même… _ par le rictus sécuritaire. Mais comment construire _ très effectivement, dans les rouages mêmes, tels qu’ils fonctionnent, du réel sociétal et des institutions judiciaires et médiatiques _ cette narration ? _ voilà l’état de formulation du « problème » tel qu’il se posait ce 20 avril 2009 au justiciable et citoyen Patrick Levieux…

On le sait _ depuis les travaux de narratologie : de Victor Chklovsky, Vladimir Propp (« Morphologie du conte« ), Tzvetan Todorov, Gérard Genette (in « Figures III« ), Umberto Eco (« Lector in fabula« ), Philippe Hamon, et d’autres… _, dans toute histoire, le personnage central ne reste jamais seul _ pour « survivre » (ou « réussir« ) dans l’intrigue… Il lui faut un personnage _ adjuvant, relais et catalyseur _ qui va l’aider à poursuivre son cheminement _ vers le succès dans le réel (de l’histoire) ; isolé, il demeure impuissant et voué à l’échec ! Même si j’avais parcouru les salles de rédaction en exhibant ma convocation et le procès-verbal, l’histoire _ médiatico-politique _ ne se serait pas écrite. Un anonyme n’a pas la crédibilité _ la vérité ne suffisant pas pour apparaître avec « évidence«  « crédible«  ! et, qui plus est, circonstance affaiblissante, quand elle dérange des « puissants«  ! _ pour porter _ en effet : c’est une affaire d’« autorité« , seule « porteuse« , reconnue par l’« opinion » en place : sans cette « reconnaissance« -là (de quelques uns, « faisant » de fait cette « opinion«  régnante), rien n’accède (vérité comprise !!!) à la visibilité (et évidence !) générale (de la plupart des autres _ via Reuter ou l’AFP)... _ pour porter _ donc _une telle histoire, même s’il a été journaliste _ et par là un peu de ce « sérail« -là : ils en sait la logique implacable du fonctionnement, au moins.

Toute « histoire«  a ainsi besoin d’un porteur suffisamment « crédible » pour elle ; et cela, dans un horizon de « réception« , d’« attente« , rien moins que favorable, neutre ou objectif : assez fermé qu’il est, majoritairement, à l’exigence même de vérité, entre tant d’intérêts (= l’« utile«  !) l’emportant (sur l’« honnête« ), de loin, au quotidien des « affaires«  courantes, sur son « souci« … La vérité nécessite par là qu’on se batte beaucoup, avec passablement de courage, mais aussi avec bien de tact, et même habileté, pour elle ! Que de vérités à jamais inconnues, car étouffées par la cruelle suffisance

_ à la Monsieur Homais (in « Madame Bovary«  de Flaubert ; cf aussi, de Flaubert, l’implacable « Dictionnaire des idées reçues«  ; en appendice à « Bouvard et Pécuchet« …) _

des opinions en place. Un beau sujet pour philosophes ; et professeurs (et élèves candidats bacheliers) de philosophie. C’est à se demander comment une telle discipline d’enseignement peut encore « exister » : en France, du moins…Est-ce là une « anomalie«  sociétale ?..

Pour _ réussir à _ continuer _ effectivement _ à écrire _ dans le réel sociétal (de 2009) _ cette histoire, il faut _ donc adjoindre _ un avocat, un orateur brillant, suffisamment alerte pour être capable d’affronter _ et surmonter _ le bruit médiatique sans être dupe _ non plus _ sur les dérives de la « société du spectacle« . C’est un ami, journaliste au quotidien « La Marseillaise » qui me trouve la perle rare : Philippe Vouland, spécialiste des questions des droits de l’homme. L’avocat est une institution _ sociétalement reconnue : elle en « impose«  _ dont on écoute _ tant judiciairement, bien sûr, que médiatiquement, aussi _ la parole, quand celle d’un anonyme est rarement entendue _ là-dessus, lire l’éloquent et très opportun « L’Invisibilité sociale » de l’ami Guillaume Le Blanc : « invisibilité«  (fruit d’une cécité) qui est plus encore une inaudibilité (fruit d’une surdité) sociale… Sans avocat, l’histoire ne serait pas écrite _ grand merci donc à lui !

L’avocat choisi, cinq jours avant l’audience du tribunal _ fixée au mardi 19 mai _, l’histoire pouvait être lancée _ le jeudi 14 mai, très exactement, donc ; et avec grand succès : cf le blog de maître Eolas, en plus de tous les grands médias nationaux _ sur la scène médiatique _ c’est l’objectif et le champ-de-bataille : il s’était de plus en plus clairement précisé… Un simple coup de fil au bureau marseillais de l’AFP _ voilà le retentisseur : formidable… _ suivi d’un courriel indiquant les coordonnées de mon avocat _ pour compléments utiles d’« information » qui soient dûment filtrés… _ suffiront à amorcer _ avec un remarquable succès, donc _ la machine _ médiatico-politique.


Dès lors se pose la délicate question de _ la préservation ou pas de _ l’anonymat _ du « témoin-victime-héros«  (de l’histoire) : le citoyen Patrick Levieux… Raconter une histoire audible _ c’est-à-dire, d’abord, digne de susciter quelque écoute que ce soit et la moindre curiosité : au lieu de la surdité générale ! _ signifie qu’il faut éviter que la narration se fragmente en autant de récits qu’il y a de journalistes _ selon le principe du « téléphone arabe » : la rumeur se diffracte… En m’exposant _ en tant que Patrick Levieux en pleine lumière _ sur un plan médiatique, l’histoire aurait pu tourner à la cacophonie _ tout se brouille et se perd. La question de la dérive sécuritaire dans notre société aurait pu laisser la place à celle plus anecdotique _ et avec « clichés« _ du _ petit _ personnage au centre de cette affaire _ et à la mise en cause suspicieuse de sa légitimité : est-ce un gauchiste ? Est-ce un provocateur ? Est-ce un personnage en quête de gloire ? C’est donc l’avocat Philippe Vouland qui affrontera _ et en le verrouillant, aussi, de toute sa compétence _ le bruit médiatique, en s’exposant _ lui seul _ devant les micros et les caméras _ en faisant écran, d’une part, à l’image (absente) de l’inculpé et, d’autre part, en préservant le mieux possible, ainsi « filtrée« , la « communication«  à diffuser des bruits parasites qui la tueraient. De mon côté, je refuse _ absolument _ d’être photographié et d’être interviewé par la télévision : même floutée, l’image continue à dire quelque chose comme la présence honteuse de quelqu’un qui se cacherait _ mieux vaut l’absence nette et carrée de l’image qu’un ambigü floutage…

L’un des ressorts du storytelling est de s’adresser à l’imaginaire collectif _ et ses clichés terriblement efficacement pénétrants. Pour cela, je laisse échapper une _ unique : on va, faméliquement, s’y précipiter _ petite précision en direction des journalistes sur ma profession, non celle qui était la mienne au moment de l’incident _ journaliste _, mais celle que j’exerce au moment où l’affaire éclate : professeur de philosophie. Et c’est ainsi que résonnent _ puissamment _, dans l’imaginaire collectif, les rapports énigmatiques entre le philosophe _ avec son aura d’idéalisme, de vérité (désintéressée), aussi, et de résistance, souvent, aux séductions et intimidations des pouvoirs en place… _ et les puissants avec des histoires déjà entendues _ et servant de références de « représentation«  _ où entrent en scène _ secourablement _ des personnages comme Diogène, Protagoras, Socrate…

A ce moment-là _ au mois de mai 2009 _, il s’agit de permettre à cette histoire de continuer à s’écrire _ tant institutionnellement que sociétalement, via les médias. Pour cela, il faut faciliter _ surtout quand on connait un peu, du dedans, le « sérail«  _ le travail _ de récit _ des journalistes. Un témoignage factuel _ très ciblé _ est _ alors _ envoyé au site d’information en ligne « Rue89 » ; celui-ci sera également distribué le jour de l’audience _ le mardi 19 mai, donc. Je donne _ voici la piste à suivre !.. (au-delà de l’« os à ronger« …) _ une justification : il s’agit d’« un geste pédagogique _ d’un professeur de philosophie ! _, un trait d’humour destiné à détendre l’atmosphère ». Le rire n’est ni de gauche ni de droite. L’humour doublé du geste pédagogique permet de toucher le public le plus vaste _ et d’avoir les rieurs, comme la didactique, « de son côté«  : en sympathie avec soi…

En réfléchissant _ avec le recul de seize mois supplémentaires _ à ce geste _ du 27 février 2008 _, je me demande aujourd’hui _ 3 juillet _ dans quelle mesure celui-ci n’est pas _ aussi, voire d’abord ! _ un geste artistique, un happening

_ tout à fait spontanément improvisé (et comme éventuel déclencheur, ludique, de « suites«  : « pour voir«  et « s’amuser » : « galéjer« …), en débarquant, ce 27 février, d’Avignon,

c’est-à-dire la ville du grand Festival de théâtre (celui-là même où le 28 juillet 1968, le « Living Theatre » de Julian Beck et Judith Malina se vit signifier l’interdiction municipale et préfectorale de jouer sa pièce-happening « Paradise Now« ) ;

en débarquant d’Avignon, donc,

dans le Hall bondé, remuant et passablement bruissant de la gare Saint-Charles ; cette gare Saint-Charles elle-même sise sur « les hauts« , assez ventés, de la ville de « Marius« , « Fanny« , « César« , et autres marseillais immortalisés de par le monde entier par le verbe « haut-en-couleurs« , lui-même, de Pagnol : ne voilà-t-il pas là une situation « guignolesque«  inspirant tout particulièrement et le jeu et le verbe d’un philosophe-et-journaliste « citoyen«  ?..

Le storytelling citoyen serait-il _ alors _ la dernière invention que les citoyens anonymes pourraient s’approprier _ théâtralement, artistiquement ! _ pour dénoncer ce que Voltaire _ assez théâtral lui-même : cf mon article du 28 octobre 2008, à propos de « Promenades sous la lune » de Maxime Cohen : « Sous la lune : consolations des misères du temps » : Maxime Cohen y consacrant un fort intéressant chapitre, très explicitement intitulé « Éloge vengeur du théâtre de Voltaire«  (aux pages 290 à 305) à cet aspect trop méconnu selon lui (« Mérope« , « Irène« , « Mahomet« , etc…) de l’œuvre d’Arouet… _ appelait en son temps « l’infâme » ? »


Patrick Levieux,

Professeur de philosophie, relaxé par le tribunal de police de Marseille le 3 juillet.

Ou le jeu de l’humour

_ en débarquant d’Avignon à Marseille _

comme leçon de « résistance » citoyenne,

en un pays dont l’hymne porte le nom de « Marseillaise« 

et où figure _ ce n’est tout de même pas rien !!! _ en préambule à la « Constitution » de la République

_ jusqu’à ce que le Congrès réuni à Versailles le « réforme« , le « modernise« , le « dé-ringardise » :

au nom du primat du désormais sacro-saint pragmatisme

et de ses servantes, les bienheureuses économies de budget ?.. _

la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789…

Que voici, pour se rafraîchir _ cela fait toujours du bien ! _ la mémoire :

Article 1er : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

Article 3 : Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article 4 : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

Article 5 : La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Article 6 : La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Article 7 : Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

Article 8 : La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Article 9 : Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

Article 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Article 12 : La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Article 13 : Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14 : Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15 : La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

Article 16 : Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

Article 17 : La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. …

Avec, encore, pour conclure, cet avis d’un ami américain :

Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.

Ainsi que ce refrain d’une chanson

_ de 1958, avec des paroles de Maurice Vidalin sur une musique de Jacques Datin _

qu’a chantée naguère Colette Renard :

« Marseille, tais-toi Marseille,

Tu cries trop fort !

Je n’entends pas claquer

les voiles dans le port !« 

Titus Curiosus, le 5 juillet 2009

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur