travail philosophique et exploitation des philosophèmes : la probité intensive de Thomas Bénatouïl dans sa conférence sur les usages modernes et contemporains du « stoïcisme »

— Ecrit le mercredi 11 novembre 2009 dans la rubriqueHistoire, Philo, Rencontres”.

C’est un Thomas Bénatouïl vif, inspiré, très précis et on ne peut mieux passionnant, avec une probité magnifiquement « intensive« , qui a fait le « point«  hier soir, en sa conférence « Peut-on encore être stoïcien ? A propos de la philosophie comme pratique«  _ et à partir de la publication récente de son « Les Stoïciens III _ Musonius, Épictète, Marc-Aurèle«  _ dans les salons Albert-Mollat, sur l’éventail des usages (et mésusages) des philosophies du passé, en général _ et de « philosophèmes » issus du stoïcisme impérial, en particulier… _ qui sont faits aujourd’hui ; et cela non pas en historien des idées (fut-ce en « historien du présent« …), ni en sociologue, voire médiologue, mais bien en philosophe et historien de la philosophie : en acte.


On sent bien, qu’ayant pas mal réfléchi _ c’est, bien sûr, un euphémisme… _ tout particulièrement à ce qu’est la « pratique » (ainsi qu’à son statut même eu égard à ses fondement théoriques _ ou ontologiques ; au delà même de la partie « physique«  de cette philosophie et de sa tradition héritée)… _ dans une philosophie telle que le stoïcisme, et dans les œuvres transmises jusqu’à nous de trois philosophes, Musonius, Épictète, Marc-Aurèle, que nous classons dans la catégorie rassembleuse du « stoïcisme impérial » ou « stoïcisme tardif«  _ cf aussi son travail développé : « Faire usage : la pratique du stoïcisme«  _, Thomas Bénatouïl s’inquiète, en philosophe et en historien de la philosophie, donc, des usages que d’autres que lui font, ou ont fait, de ce statut de la « pratique » en une telle philosophie (stoïcienne), ou dans la parole ou l’écriture de tels philosophes (stoïciens) ; et de dangers d’abus, en pareille occurrence, ou de syncrétisme, ou d’éclectisme…

Tel m’a semblé en effet être l’enjeu peut-être principal de son intervention hier soir ; et selon un souci le plus éminent de la probité du penser…


Un premier volet de sa réflexion porte sur son rapport (de philosophe sans cesse en recherche _ il y a ainsi grand plaisir à l’écouter « reprendre«  et affiner magnifiquement à plusieurs reprises son propre cheminement de chercheur _) à l’œuvre incontestablement marquante, ces trente dernières années _ « Exercices spirituels et philosophie antique » (en 2002) et surtout « Qu’est-ce que la philosophie antique ? » (en 1995) dont cite à plusieurs reprises certains passages très précis Thomas Bénatouïl _ d’un Pierre Hadot :

ce qui l’amène à s’interroger sur le statut du concept même d' »exercice spirituel » que manie Pierre Hadot

_ concept emprunté à des auteurs d’un (ou deux) siècle(s) qui reli(sen)t pas mal ces Stoïciens-là : je veux dire un François de Sales (1567-1622 : auteur de l’« Introduction à la vie dévote« , des « Entretiens spirituels« ), que cite Thomas Bénatouïl ; ou un Ignace de Loyola (1491-1556 : auteur des « Exercices spirituels« , dont la première publication eut lieu, à Rome, en 1548)… _ ;

ainsi qu’aux conditions de ses usages eu égard aux fondements proprement ontologiques des théories envisagées : un point incontournable du « stoïcisme » !


Mais en s’inquiétant d’amalgames éclectiques ou syncrétiques en contradiction (violente ! alors…) avec les thèses que soutiennent les philosophes stoïciens en cause _ textes ainsi un peu trop « délicatement«  « sollicités«  précieusement cités à l’appui.

Un second volet de sa réflexion porte sur l’œuvre (assez virtuose) d’un Michel Onfray _ notamment dans sa « Contre-histoire de la philosophie _ les sagesses antiques« 


Et un troisième sur la « mode » présente et ne cessant de s »amplifier«  (régulièrement relayée par les « marronniers » des medias) de « conseils pratiques«  _ cf, ainsi, peut-être, jusqu’à l’actuelle « vogue«  (internationale) du « care«  (mais tel n’est pas l’avis de Thomas Bénatouïl)… _ de ce qui se propose comme « sagesse » (du « vivre« ) à l’égard de tout un chacun, constituant un marché de l’édition en direction d’un lectorat assez « en appétit«  _ quand s’effritent, sinon s’effondreraient, les chiffres de vente du secteur des sciences humaines de certaines librairies ; pas la librairie Mollat, toutefois…

Les usages d’emprunts (« pratiques« ) au stoïcisme impérial semblent cependant mieux autorisés _ bien davantage en respect de leurs fondements théoriques ! _, selon Thomas Bénatouïl, chez certains philosophes mieux reconnus : non seulement dans les cas, relativement bien identifiés, analysés et commentés ici, d’un Montaigne _ en ses « Essais » _ ou d’un Descartes _ en son « Discours de la méthode » _, mais encore dans celui plus discret, sinon « secret« , d’un Shaftesbury _ l’auteur de la « Lettre sur l’enthousiasme« , en des pensées gardées soigneusement impubliées, non « affichées », invisibles, secrètes : les « Exercices« , traduits par Laurent Jaffro (aux Éditions Aubier, en 1993) _ ; ou d’un Nietzsche _ en ses « Considérations intempestives«  (II, 5)…

Thomas Bénatouïl aurait pu aussi analyser l’usage que fait Michel Foucault de certaines philosophèmes issus du stoïcisme : mais ce sera pour une autre fois _ promet-il à la fin…

Chez ces divers philosophes-là, cependant, il estime que les usages faits _ ou encore la considération proposée et pleinement assumée de leur « pratique«  _ de certains de ces principes (ou, aussi, « philosophèmes« ) stoïciens, ne sont, ces fois bien spécifiées-là, ni de l’ordre du syncrétisme, ni de celui de l’éclectisme, ni non plus de celui de l’amalgame ; mais qu’ils demeurent fidèles à la lettre et à l’esprit (de la pratique et de la théorie, tout uniment !) de tout le stoïcisme…

Ce qui n’a pas été sans évoquer en moi certaines pratiques chinoises (de discrétion et silence _ y compris d’écriture _, telles celles d’un Tchouang-Tseu (ou Zhuangzi) _ qu’ont pu étudier un François Jullien (cf, par exemple : « Chemin faisant, connaître la Chine, relancer la philosophie« ) ou un Jean-François Billeter (« Etudes sur Tchouang-Tseu« )…


Titus Curiosus, ce 11 novembre 2009

Post-scriptum :

Ayant soumis ce « compte-rendu » de conférence _ à écouter (67′), elle… _ à son (brillant et probe) auteur,

voici ce que celui-ci me répond ce matin, à propos de ma remarque sur le care :

De :   Thomas Benatouil

Objet : Rép : Article sur la conférence à Bordeaux hier soir
Date : 12 novembre 2009 08:56:45 HNEC
À :   Titus Curiosus

« Merci pour ce compte-rendu très fidèle. J’aurais effectivement bien aimé parler de Foucault, j’avais prévu de le faire, mais j’ai passé trop de temps sur Hadot. Mon seul doute sur ton compte-rendu concerne ton allusion au « care » comme faisant partie de la mode de la philosophie comme manière de vivre : tu ne me l’attribues pas bien sûr, elle est en vert. Je n’avais pas pensé à cela. Il me semble que les théories du care, quoi qu’on en pense, ne se réduisent pas à cette mode _ dont acte ! _ et n’ont pas le même soubassement théorique (ou plutôt la même absence de soubassement théorique). »


Ma réponse par retour de courriel :

Merci de ta réponse.

Je nuancerai donc l’expression de « mon » appréciation à propos du « care« .
Cette « sollicitude » peut être le symptôme
_ extra-philosophique dans certains de ses « usages » ?.. : cela, je l’ajoute maintenant… _ d’un « monde » avec inflation d’indifférence et de mépris…

Nos collègues bordelais Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc
ont abordé ces questions dans « Le Sexe de la sollicitude »
et « L’Invisibilité sociale« …

Je ne crois pas avoir écrit d’article sur mon blog
sur le livre de Guillaume (d’une belle écriture ! j’ai apprécié ce travail ! _ et je lui ai écrit !) ; ce livre porte surtout sur la cécité (et la surdité) sociale(s)…
Mais j’ai écrit un article _ le 26 novembre 2008 : « Pour prolonger la conférence d’hier soir de Fabienne Brugère : penser la sollicitude et l’intime« _ sur celui de Fabienne.
Je te l’adresserai quand je serai revenu chez moi _ je t’écris maintenant entre deux heures de cours…

Les échanges consécutifs aux conférences

_ lors des repas conviviaux de notre « Société de Philosophie de Bordeaux«  _

me sont personnellement très précieux.

Titus

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