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Un éclairage plus qu’utile (aujourd’hui) sur ce qu’est (et n’est pas) l’amour (vrai) : « L’Eloge de l’amour » d’Alain Badiou

09déc

On n’attendait pas nécessairement d’un Alain Badiou _ dont je n’étais pas parvenu à lire, il y a quelques années, des analyses (un peu trop techniquement exposées alors) sur l’amour… _ un travail aussi clair, lumineux et éclairant, que ces entretiens avec Nicolas Truong qui viennent de paraître aux Editions Café Voltaire sous le titre d' »Eloge de l’amour« … Il est vrai qu’il s’agitde la mise en forme d’un « dialogue public sur l’amour« , « dans la série « Théâtre des idées » » qu’organise Nicolas Truong « avec le Festival d’Avignon«  (page 10) ; et qui avait eu lieu le 14 juillet 2008 : le texte que nous lisons étant « un redéploiement de ce qui fut dit ce jour-là : il en garde l’élan improvisé, la clarté, l’élan« , et est aussi « plus complet, plus profond« . De fait, « qui ne commence pas par l’amour ne saura jamais ce qu’est la philosophie« , est-il opportunément souligné, page 11.

Le public gagne beaucoup _ et la lecture ! de beaucoup !.. _ à ce genre de petit livre bref, incisif et vivant (de 87 pages pour le texte) ; à l’heure de tant de brouillages, de brouillards, d’imposture où « tous les chats sont gris« , « toutes les vaches noires » _ dans la nuit, dit Hegel _ (et les « habits neufs du roi » d’autant plus resplendissants qu’absolument absents ! cf le conte indispensable d’Andersen !)…

Car aujourd’hui plus que jamais _ mais c’est déjà là sa « loi«  _ « l’amour doit être réinventé ; mais aussi tout simplement défendu parce qu’il est menacé de toutes parts« , page 13…

Et Alain Badiou de rappeler les slogans de la campagne publicitaire permanente de Meetic : « Ayez l’amour sans le hasard !« , « On peut être amoureux sans tomber amoureux ! » ; et aussi « Vous pouvez parfaitement être amoureux sans souffrir !« … « Et tout ça grâce au site de rencontres Meetic« …

Là-dessus, je puis d’ores et déjà renvoyer à mon article d’il y a un an à peu près _ c’était le 22 décembre 2008 _, à propos du livre (riche d’enseignements !) « E-Love » de Dominique Baqué : « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne)« … ; suivi de cet autre article, le lendemain : « Le “n’apprendre qu’à corps (et âme) perdu(s)” _ ou “penser (enfin !) par soi-même” de Dominique Baqué : leçon de méthodologie sur l’expérience “personnelle”« …

« Cette propagande publicitaire _ de Meetic ; et d’autres… _ relève d’une conception sécuritaire de l’amour. C’est l’amour assurance tous risques« , page 14. Car, avec « la guerre « zéro mort », l’amour « zéro risque », pas de hasard, pas de rencontre, je vois là, avec les moyens d’une propagande générale, une première menace contre l’amour (…) la menace sécuritaire.

Et puis, la deuxième menace qui pèse sur l’amour, c’est de lui dénier toute importance. La contrepartie de cette menace sécuritaire consiste à dire que l’amour n’est qu’une variante de l’hédonisme généralisé, une variante des figures de la jouissance. Il s’agit ainsi d’éviter toute épreuve immédiate, toute expérience authentique et profonde de l’altérité dont l’amour est tissé« , pages 15-16.

« Le risque (ne) sera (que) pour les autres ! Si vous êtes, vous, bien préparé pour l’amour, vous saurez, vous, envoyer promener l’autre, qui n’est pas conforme à votre confort _ à votre « utilité«  S’il souffre, c’est son affaire, n’est-ce pas ? Il n’est pas dans la modernité. De la même manière que « zéro mort », c’est pour les militaires occidentaux. Les bombes qu’ils déversent tuent quantité de gens qui ont le tort de vivre dessous. Mais ce sont des Afghans, des Palestiniens… Ils ne sont pas modernes non plus. » Bref, « les deux ennemis de l’amour » sont « la sécurité du contrat d’assurance et le confort des jouissances limitées« , page 16.


« Libéral et libertaire convergent vers l’idée que l’amour est un risque inutile. Et qu’on peut avoir d’un côté une espèce de conjugalité préparée qui se poursuivra dans la douceur de la consommation ; et de l’autre des arrangements sexuels plaisants et remplis de jouissance, en faisant l’économie de la passion« , page 17 _ on ne saurait mieux dire !

« Dans le monde d’aujourd’hui, la conviction est largement répandue que chacun ne suit que son intérêt. Alors l’amour constitue une contre-épreuve« , page 22. « S’il n’est pas conçu comme le seul échange d’avantages réciproques, ou s’il n’est pas calculé longuement à l’avance comme un investissement rentable, l’amour est vraiment cette confiance faite au hasard _ du moins en ce qu’il y a de hasard dans la rencontre d’où naît l’amour… Il nous amène dans les parages _ oui _ d’une expérience fondamentale _ à vivre : ressentir, éprouver et expérimenter _ de ce qu’est la différence ; et, au fond, dans l’idée qu’on peut expérimenter le monde du point de vue _ richement soyeux (voire « baroque« )… _ de la différence. C’est en cela qu’il a _ en effet ! _ une portée _ bel et bien ! _ universelle ; qu’il est une expérience personnelle de l’universalité possible ; et qu’il est philosophiquement essentiel, comme Platon en a eu, en effet, la première intuition« , pages 22-23.


Alain Badiou commente alors la formule célèbre de Jacques Lacan, selon laquelle « il n’y a a pas de rapport sexuel« …

C’est que « c’est dans l’amour _ et pas dans un rapport qui n’est (ou ne serait) que sexuel _ que le sujet va au-delà de lui-même, au-delà du narcissisme«  _ où se confine, lui, le seulement sexuel… Et c’est que « dans le sexe, vous (n’) êtes au bout du compte (qu’) en rapport avec vous-même dans la médiation _ très ténue _ de l’autre. L’autre (ne) vous sert (que) pour découvrir le réel de la jouissance. » Alors que « dans l’amour, en revanche, la médiation de l’autre vaut pour elle-même. C’est cela, la rencontre amoureuse : vous partez à l’assaut de l’autre, afin de le faire exister avec vous, tel qu’il est » _ en lui-même ; et indépendamment de nous _, page 24 _ ces formulations sont d’une magnifique justesse. Alors que le désir s’adresse dans l’autre, de façon toujours un peu fétichiste, à des objets élus, comme les seins, les fesses, la verge…, l’amour s’adresse à l’être même de l’autre ; à l’autre tel qu’il a surgi, tout armé de son être, dans ma vie ainsi rompue et recomposée« , pages 25-26.

De l’amour, Alain Badiou discerne trois principales conceptions : la conception romantique, « qui se concentre _ à tort _ sur l’extase de la rencontre » _ et zappe (ou snobe) ses « suites«  Ensuite, la conception _ qui a le vent en poupe ! _ « qu’on peut dire commerciale ou juridique, selon laquelle l’amour serait finalement un contrat (…) en faisant bien attention à l’égalité du rapport, au système des avantages réciproques, etc… » Il y a également une conception sceptique, « qui fait de l’amour _ rien que _ une illusion« .

« Ce que je tente de dire dans ma propre philosophie _ avance alors Alain Badiou page 26 _, c’est que l’amour ne se réduit à aucune de ces tentatives-là ; et qu’il est une construction de vérité (…) Vérité sur : qu’est-ce que c’est que le monde quand on l’expérimente à partir du deux, et non pas de l’un ? Qu’est-ce que c’est que le monde, examiné, pratiqué et vécu à partir de la différence ; et non à partir de l’identité.

Je pense que l’amour, c’est cela. C’est le projet, incluant naturellement le désir sexuel et ses épreuves ; incluant la naissance d’un enfant ; mais incluant également mille autres choses ; à vrai dire n’importe quoi à partir du moment où il s’agit de vivre une épreuve du point de vue de la différence
« , pages 26-27.

« Précisément, une rencontre n’est pas une expérience ; c’est un événement qui reste totalement opaque et n’a de réalité que dans ses conséquences multiformes à l’intérieur d’un monde réel. (…) L’amour est une proposition _ à accepter, ou pas, de recevoir, d’agréer _ existentielle : construire un monde d’un point de vue décentré au regard de ma simple pulsion de survie ou de mon intérêt bien compris. (…) Elle et moi sommes incorporés à cet unique Sujet, le Sujet d’amour, qui traite le déploiement du monde à travers le prisme de notre différence, en sorte que ce monde advient, qu’il naît _ oui ; et va se déployer _, au lieu de n’être que ce qui remplit mon regard personnel. L’amour est toujours la possibilité d’assister à la naissance du monde. La naissance d’un enfant, si elle est dans l’amour, est du reste un des exemples de cette possibilité« , pages 28-29.

« L’amour, ça traite d’abord un Deux.«  Et « il ne peut prendre qu’une forme hasardeuse ou contingente _ et non prévue ou préparée ; a fortiori calculée ! C’est ce qu’on appelle la rencontre. L’amour s’initie toujours dans une rencontre. Et cette rencontre, je lui donne le statut, en quelque sorte métaphysique _ oui _, d’un événement, c’est-à-dire quelque chose qui n’entre pas dans la loi immédiate des choses« , page 32.

Avec ce commentaire, toujours page 32 : « Ce côté diagonal de l’amour, qui passe à travers les dualités les plus puissantes et les séparations les plus radicales, est un élément tout à fait important. La rencontre entre deux différences est un événement, quelque chose de contingent, de surprenant ; « les surprises de l’amour », encore le théâtre _ dans mon essai, et à partir d’une interrogation de Valéry Laurand, j »emprunte aussi (« aussi » plutôt que « plutôt » !..) la piste du « cinéma«  ; mon essai s’intitulant (j’aime les longs titres ; ainsi que les sous-titres, à rebours des raccourcis !) « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise » ; avec pour sous-titre « un jeu de halo et focales sur un fond de brouillard(s) : à la Antonioni » !..


A partir de cet élément _ « diagonal« , donc… _, l’amour peut être initié et introduit. C’est le premier point, tout à fait essentiel. Cette surprise enclenche un processus qui est fondamentalement une expérience du monde. L’amour (…), c’est une construction, c’est une vie qui se fait, non plus du point de vue de l’Un, mais du point de vue du Deux. Et c’est ce que j’appelle la« scène du Deux »… », pages 32-33.

Ajoutant, page 33, et c’est tout aussi important : « personnellement, je me suis toujours intéressé aux questions de durée et de processus, et non pas seulement aux questions de commencement« …


« Un amour, c’est avant tout une construction durable. L’amour est une aventure obstinée. Le côté aventureux est nécessaire, mais ne l’est pas moins l’obstination _ certes. Laisser tomber au premier obstacle, à la première divergence sérieuse, aux premiers ennuis, n’est qu’une défiguration de l’amour. Un amour véritable, c’est celui qui triomphe durablement, parfois durement, des obstacles que l’espace, le monde et le temps lui proposent« , pages 34-35.


« L’amour invente une façon différente de durer dans la vie«  ; et « l’existence de chacun, dans l’épreuve de l’amour, se confronte _ oui ! _ à une temporalité neuve« . « L’amour est le désir d’une durée inconnue. Parce que, tout le monde le sait, l’amour est une réinvention de la vie. Réinventer l’amour, c’est réinventer cette réinvention« , page 36.

« La tradition pessimiste des moralistes français, selon laquelle l’amour n’est que « le semblant ornemental par où passe le réel du sexe », ou qui considère que « le désir et la jalousie sexuelle sont le fond de l’amour » doit être critiquée« . Car elle appartient à une tradition sceptique, invitant « tout un chacun à se méfier de l’amour. Elle appartient déjà au registre sécuritaire _ hobbésien _, parce qu’elle consiste à dire : « Écoutez, si vous avez des désirs sexuels, réalisez-les. Mais vous n’avez pas besoin de vous monter le bourrichon avec l’idée qu’il faut aimer quelqu’un. Laissez tomber tout ça et allez droit au but ! ». Mais dans ce cas, je dirai simplement que l’amour est disqualifié au nom du réel du sexe« , pages 36-37.

« L’accomplissement du désir sexuel fonctionne aussi comme une des rares preuves matérielles, absolument liée au corps, de ce que l’amour est autre chose qu’une déclaration. La déclaration du type « je t’aime » scelle l’événement de la rencontre ; elle est fondamentale ; elle engage. Mais livrer son corps, se déshabiller, être nu(e) pour l’autre, accomplir les gestes immémoriaux, renoncer à toute pudeur, crier, toute cette entrée en scène du corps vaut preuve d’un abandon à l’amour. C’est tout de même une différence essentielle avec l’amitié. L’amitié n’a pas de preuve corporelle, de résonance dans la jouissance du corps. C’est pourquoi elle est le sentiment le plus intellectuel, celui que les philosophes qui se méfient de la passion ont toujours préféré. L’amour, surtout dans la durée, a tous les traits positifs de l’amitié. Mais l’amour se rapporte à la totalité de l’être de l’autre, et l’abandon du corps est le symbole matériel de cette totalité« , pages 37-38.

« Je soutiens que, dans l’élément de l’amour déclaré, c’est cette déclaration, même si elle est encore latente, qui produit les effets de désir, et non directement le désir. L’amour veut que sa preuve enveloppe le désir. La cérémonie des corps est alors le gage matériel de la parole ; elle est ce à travers quoi passe l’idée que la promesse d’une réinvention de la vie sera tenue, et d’abord au ras des corps. Mais les amants savent, jusque dans le plus violent délire, que l’amour est là, comme un ange gardien des corps, au réveil, au matin, quand la paix descend sur la preuve de ce que les corps ont entendu la déclaration d’amour. Voilà pourquoi l’amour ne peut être un simple habillage du désir sexuel, une ruse compliquée et chimérique pour que s’accomplisse la reproduction de l’espèce« , page 38.

Alors en quoi l’amour est-il _ et fondamentalement même _ une « procédure de vérité » ? c’est-à-dire « une expérience où un certain type de vérité est construit » ? « Cette vérité est tout simplement la vérité sur le Deux. La vérité de la différence comme telle« . Alain Badiou précisant, page 39 : « Et je pense que l’amour _ ce que j’appelle la « scène du Deux » _ est cette expérience. En ce sens, tout amour qui accepte l’épreuve _ c’est même là son critère d’exister (ou pas) ! _, qui accepte la durée _ oui ! il n’y a d’amour qu’en cet engagement existentiel total là ; qui en est aussi l’unique, mais permanente, renouvelée d’acte en acte au long du quotidien des jours et des nuits _, qui accepte justement cette expérience du monde du point de la différence produit à sa manière une vérité nouvelle sur la différence« . Avec cette conséquence secondaire, en écho en quelque sorte, que « tout amour véritable intéresse l’humanité tout entière, si humble qu’il puisse être en apparence, si caché. Nous savons bien que les histoires d’amour passionnent tout le monde. Le philosophe doit demander pourquoi elles nous passionnent« , commente Alain Badiou, pages 39-40.


« Que le monde puisse être rencontré et expérimenté _ cela rappelle la formulation spinoziste du « sentir » et « expérimenter » « que nous sommes éternels« , dans le sentiment (irréductiblement incomparable) de la joie : cf aussi, ici, Jean-Louis Chrétien : « La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation«  _ autrement que par une conscience solitaire, voilà ce dont n’importe quel amour _ vrai : à la différence de ses contrefaçons illusoires (ou mensongères) _ nous donne une nouvelle preuve.«  Qu’Alain Badiou commente ainsi : « Et c’est pourquoi nous aimons _ avec une infinie gratitude de son miracle, de, sinon son exceptionnalité, du moins sa relative rareté, eu égards à la foule de ses « contrefaçons«  _ l’amour, comme le dit Saint-Augustin ; nous aimons aimer _ nous nous réjouissons de sa grâce gratuite ! _ ; mais nous aimons aussi que d’autres aiment _ oui ! Tout simplement parce que nous aimons les vérités. C’est là tout ce qui donne son sens à la philosophie : les gens aiment les vérités même quand ils ne savent pas _ assez consciemment _ qu’ils les aiment« , page 40.

« Pourquoi le fait de dire l’amour est-il si important ? » « Parce que la déclaration s’inscrit dans la structure de l’événement.«  Et si « l’amour commence par le caractère absolument contingent et hasardeux de la rencontre » _ et ces « jeux de l’amour et du hasard (…) sont inéluctables ; ils existent toujours, en dépit de la propagande » qui les nie… _, « le hasard doit, à un moment donné être fixé _ et le « don » de l’espiègle (et armé d’un rasoir !) Kairos, bel et bien « accepté« , sur le champ ; après, c’est irréversiblement trop tard ! Il doit commencer une durée justement«  _ où nous nous engageons tout aussi irréversiblement ; il y faut un minimum d’assentiment courageux ! « C’est un problème métaphysique compliqué« , commente (l’athée) Alain Badiou, page 41 : « Comment une chose qui, au fond, n’était pas prévisible et paraît liée aux imprévisibles péripéties de l’existence, va-t-elle cependant devenir le sens complet de deux vies mêlées, appariées, qui vont faire l’expérience prolongée _ et combien ! et comment ! _ de la constante (re)naissance du monde par l’entremise de la différence des regards ? Comment passe-t-on de la pure rencontre au paradoxe d’un seul monde où se déchiffre que nous sommes deux ? » « C’est tout à fait mystérieux » _ certes ! _, commente Alain Badiou page 41. « C’est justement cela _ le fait absolument banal de la rencontre « que quelqu’un a rencontré sa ou son collègue au boulot«  _ qu’il faut soutenir : un événement d’apparence insignifiante _ eu égard à son contexte et aux autres, poursuivant, eux, leur train-train, en la commune et quasi permanente quotidienneté… _, mais qui en réalité est un événement radical de la vie microscopique, est porteur, dans son obstination _ voilà l’élément qui se fait soudain, mais de façon, aussi et en même temps, on ne peut plus renouvelée, décisif ! _ et dans sa durée, d’une signification universelle.« 

Par conséquent, « déclarer l’amour, c’est passer de l’événement-rencontre au commencement d’une construction de vérité. C’est fixer _ on ne peut plus activement : en le « retenant« , lui qui est en train de « passer« , de « filer« , et à toute vitesse ; en le transformant en tout autre chose : d’infiniment fécond, et à venir, peut-être, dans le tissu (ouvert !) de présents renouvelés ; c’est aussi un pari… _ le hasard de la rencontre _ croisé ; passif en quelque sorte, lui… _ sous la forme d’un commencement » _ d’une histoire qui va, et avec un mimimum de consentement, d’agrément « donné« , se tisser…

Alain Badiou poursuit son analyse, page 42 : « Et souvent _ pas toujours : c’est un pari qui comporte ses risques, bien sûr ! il y faut aussi un minimum de chance ! _ ce qui commence là dure si longtemps, est si chargé de nouveauté et d’expérience du monde _ voilà ! _ que, rétrospectivement, cela apparaît non plus du tout comme contingent et hasardeux, comme au tout début _ une eau amoureuse ayant charrié pas mal de limons très féconds _, mais pratiquement comme une nécessité«  _ selon la perspective (d’alignement de regard…) qui a triomphé… Ainsi et par là, « la déclaration d’amour est le passage _ pour notre point de vue _ du hasard au destin ; et c’est pourquoi elle est si périlleuse _ en son pari liminaire… : le théâtre de Marivaux le donne à contempler merveilleusement en en ralentissant la formidable vivacité, pourtant : encore faut-il que l’attention des spectateurs que nous sommes n’en laisse rien de rien passer : tant ce ralentissement se produit cependant encore, malgré Marivaux, et malgré les acteurs, à folle vitesse ! _, si chargée d’une sorte de trac effrayant«  _ tout amoureux l’a appris pour toujours !

Alain Badiou précise fort justement, page 43, que « la déclaration d’amour, d’ailleurs, n’a pas lieu forcément une seule fois ; elle peut être longue, diffuse, confuse, compliquée, déclarée et re-déclarée, et vouée à être re-déclarée encore. C’est le moment _ éminemment solennel, et pour les deux… _ où le hasard _ compagnon permanent et perpétuel de toutes les vies (mortelles aussi) _ est fixé. Où vous vous dites : ce qui s’est passé là, cette rencontre, les épisodes de cette rencontre, je vais les déclarer à l’autre _ qui va se déterminer à son tour, et forcément, par rapport à cela : qui n’est pas contournable ; et c’est en cela aussi « une épreuve de vérité«  Je vais lui déclarer qu’il s’est passé là, en tout cas pour moi, quelque chose qui m’engage _ irréversiblement. Voilà : je t’aime« , page 43.

« C’est toujours pour dire : ce qui était un hasard, je vais en tirer quelque chose« . Et quoi donc ? « Je vais en tirer une durée, une obstination, un engagement, une fidélité.«  Alain Badiou commente ce dernier terme, « fidélité«  : « Il signifie justement le passage d’une rencontre hasardeuse à une construction aussi solide que si elle avait été nécessaire« , page 43. « La fidélité » a « un sens beaucoup plus considérable que la seule promesse de ne pas coucher avec quelqu’un d’autre« . Elle « montre (…) précisément que le « je t’aime » initial est un engagement qui n’a besoin d’aucune consécration particulière, l’engagement de construire une durée, afin que la rencontre soit délivrée (sic) de son hasard » _ je ne sais si j’adhère vraiment à cette formulation, cependant, toutefois : le hasard n’étant pas seulement une aliénation (et par là condamnable) : il est aussi, et sans doute d’abord, ce qui offre la possibilité (réelle !) à l’amour vrai de se déployer vraiment et en toute effectivité tout au long d’une fidélité ; et qu’il faut remercier !..


La formulation immédiatement suivante d’Alain Badiou, page 44, me paraît plus heureuse : « Dans l’amour, la fidélité désigne cette longue victoire : le hasard de la rencontre vaincu _ c’est-à-dire transcendé ; il s’agit de la « aufhebung » hégelienne… _ jour après jour _ et c’est là un facteur on ne peut plus décisif ! _ dans l’invention _ voilà : du « génie«  _ d’une durée, dans la naissance d’un monde.«  « Pourquoi dit-on si souvent : je t’aimerai toujours ? A condition, bien sûr, que ce ne soit pas une ruse _ donjuanesque… Les moralistes _ grands donneurs de leçons _, évidemment, s’en sont beaucoup moqués, disant qu’en réalité ce n’est jamais vrai. D’abord, ce n’est pas vrai que ce n’est jamais vrai _ Alain Badiou pourrait ici être beaucoup plus ferme ! commenterai-je au passage. Il y a des gens qui s’aiment toujours ; et il y en a beaucoup plus qu’on ne le croit ou qu’on ne le dit _ oui. Et tout le monde sait que décider, surtout unilatéralement, de la fin d’un amour est toujours un désastre _ ici, je serai plus radical qu’Alain Badiou : un tel acte signifie qu’un tel amour n’a jamais « existé«  ; que ce ne fut qu’une (bien triste) illusion ; ou bien que l’on veut tristement, voire terriblement, nier a posteriori sa réalité ; pour mille et mille fausses bonnes raisons…


« Je sais donc intimement _ dit donc Alain Badiou page 45 _ que la polémique sceptique _ niant la réalité de tout amour _ est inexacte. Et deuxièmement, si le « je t’aime » est toujours, à beaucoup d’égards, l’annonce d’un « je t’aime pour toujours », c’est qu’en effet il fixe le hasard dans le registre de l’éternité.«  Et il commente : « N’ayons pas peur des mots ! La fixation du hasard, c’est une annonce _ spinozienne : lire cet immense livre qu’est l’« Ethique«  _ d’éternité. Et en un certain sens, tout amour se déclare _ consubstantiellement ! _ éternel : c’est contenu dans la déclaration _ en effet ! Tout le problème _ léger cependant ; tant l’amour a de puissance… _, après, est d’inscrire cette éternité dans le temps _ des existences des vivants (mortels _ mais c’est un pléonasme ; cela signifiant seulement que le temps nous presse un peu… : « But at my back I always hear / Time’s winged chariot hurrying near« , chante le grand Andrew Marvell en son sublime « To his coy mistress« …) que nous sommes…

« Parce que, au fond, c’est ça l’amour : une déclaration d’éternité qui doit se réaliser ou se déployer comme elle peut _ magnifiques de justesse formulations ! _ dans le temps » _ l’expression terminale de « A la recherche du temps perdu« , au final du « Temps retrouvé« … Une descente de l’éternité dans le temps _ ou, si l’on veut, aussi, une assomption du temps dans l’éternel… C’est pour cette raison _ oui ! _ que c’est un sentiment _ et même une « expérimentation« , pour reprendre le vocable spinozien : même si elle elle nous tombe dessus à l’improviste _ si intense _ en effet ! Vous comprenez : les sceptiques _ s’exclame lors Alain Badiou page 46 _, ils nous font quand même bien rire _ ces pisse-froid ! ces pisse-vinaigre ! _, parce que si l’on tentait _ à chercher à « suivre«  leurs « conseils«  de sagesse : à l’égard de la « vanité » de ce pseudo amour, selon eux... _ de renoncer à l’amour _ naissant, ou à naître… : on peut toujours lui dire non ! _, de ne plus y croire, ce serait un véritable désastre subjectif ; et tout le monde le sait. La vie, il faut bien le dire, serait fortement décolorée«  _ et terriblement anémiée : mortifiée !..


« Donc, l’amour reste une puissance _ oui ! Une des rares expériences où, à partir d’un hasard inscrit dans l’instant, vous tentez _ on ne peut plus effectivement, et physiquement ; corporellement, veux-je dire : l’amour est toujours puissamment incarné ! _ une proposition d’éternité. « Toujours » est le mot par lequel, en fait, on dit l’éternité _ en effet ! Parce qu’on ne peut pas savoir ce que veut dire ce toujours et quelle est sa durée _ temporelle…
« Toujours », ca veut dire « éternellement » _ oui ! Simplement, c’est un engagement dans le temps«  _ consubstantiellement !

« Mais que l’éternité puisse exister dans le temps même de la vie, c’est ce que l’amour, dont l’essence est la fidélité (…), vient _ quand il survient : à l’improviste ! _ prouver _ voilà ! avec sa grande magnifique certitude ! Le bonheur, en somme ! Oui, le bonheur amoureux est la preuve que le temps peut accueillir _ amoureusement ! _ l’éternité » _ à charge pour les amants d’y simplement consentir !

Et Alain Badiou d’y comparer les expériences « parentes » de « l’enthousiasme politique«  _ « quand on participe à une action révolutionnaire« , précise-t-il, page 46 _ ; « le plaisir que délivrent les œuvres d’art«  _ aux « spectateurs« , et en un « acte esthétique » de leur part, dirait la très fine Baldine Saint-Girons, en son « Acte esthétique«  : pour les artistes créateurs, il s’agit plutôt de la « joie » même (du processus de « création« ) !.. _ ; et la joie _ là revoilà ! _ presque surnaturelle qu’on éprouve quand on comprend enfin, en profondeur, une théorie scientifique«  _ que dire de celle de « l’invention intellectuelle » ; cf le livre de ce titre de Judith Schlanger, paru aux Éditions Fayard en 1983… Alain Badiou a développé ces analyses dans son « Conditions« , paru en 1992 aux Éditions du Seuil… 

En sa conclusion, et en son « actualité« , en 2009, Alain Badiou insiste sur le fait que « défendre l’amour dans ce qu’il a de transgressif et d’hétérogène à la loi est bien une tâche du moment«  _ sous cette présidence Sarkozy, tout spécialement peut-être… ; cf d’Alain Badiou, son ouvrage précédent : « De Quoi Sarkozy est-il le nom ? (« Circonstances 4« , paru en 2007 aux Éditions Lignes). Car « dans l’amour, minimalement, on fait confiance à la différence, au lieu de la soupçonner« . Tandis que « dans la Réaction _ cf les entreprises des ministres de l’Identité nationale et de l’Immigration ; et de l’Intérieur… _, on soupçonne toujours la différence au nom de l’identité ; c’est sa maxime philosophique générale« , est-il précisé page 83. « Si nous voulons, au contraire, ouvrir à la différence et à ce qu’elle implique _ lire aussi là-dessus l’important « Différence et répétition » de Gilles Deleuze _, c’est-à-dire que le collectif soit capable d’être celui du monde entier, un des points d’expérience individuelle praticables est la défense de l’amour.

Au culte identitaire de la répétition, il faut opposer l’amour de ce qui diffère, est unique, ne répète rien, est erratique et étranger« . Voilà !

Titus Curiosus, ce 8 décembre 2009

Le charme unique de la mélodie française : la vivacité du surgeon québecquois aujourd’hui, avec deux passionnants chanteurs barytons (de Montréal) : Benoît Leblanc et Marc Boucher

06déc

A propos de 2 remarquables CDs de mélodies françaises

en provenance du Québec,

en l’occurrence le Studio 12 de Radio-Canada à Montréal,

pour la marque de CDs « XXI«  :

_ d’une part : « Gounod-Fauré Mélodies françaises« 

par Benoît Leblanc, baryton & Pierre McLean, piano _ CD XXI-CD 2 1584 _ ;

&

_ d’autre part : « Les Fleurs du mal // De Fauré à Ferré _ Charles Baudelaire (1812-1857)« 

par Marc Boucher, baryton & Olivier Godin, piano _ CD XXI-CD 2 1590.

Le goût de la mélodie française n’a pas tous les jours des concerts ou des disques propres à vraiment le « ravir« .

Dernièrement, cependant, une excellente _ ou même une carrément « merveilleuse« , si j’osais m’exprimer si mal… _ surprise, mais oui !, nous vint du « contreténor«  _ ainsi l’indique la quatrième de couverture du CD… _ Philippe Jaroussky, qui appropria à ce registre (anachronique, à la lettre, certes) de « voix » (de « contre-ténor » !), ce répertoire (pour baryton, surtout ; ou soprano ; ou ténor).

Pour ma part,

à part le malencontreux _ sacro-saint marketing désormais oblige !.. _ titre de ce CD Virgin-Classics _ 50999 216621 2-6 _ de Philippe Jaroussky, « Opium« , bien peu représentatif, ce-dit « titre« , des esthétiques des (24) mélodies (alors) servies _ même si le titre de ce CD « peut » être, si l’on veut bien, « dérivé » d’une des mélodies de ce récital, « Tournoiement« , de Camille Saint-Saens (1835-1921) : mélodie dont le sous-titre était, en effet,

du moins sous la plume du compositeur, sinon sous celle du poète (qui avait donné ce titre « Songe d’opium«  à un autre (tout autre !) de ses poèmes, publié, lui, en 1866, parmi le vaste recueil « Le Parnasse contemporain » (ou « Recueil de vers nouveaux« ) ; recueil auquel avaient contribué 37 poètes (dont Charles Baudelaire, Théophile Gautier, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé ; ainsi que Leconte de Lisle, José-Maria de Hérédia, Charles Coppée, Sully Prudhomme ; etc…) ; deux autres volumes de ce « Parnasse contemporain«  paraissant encore en 1869-71 , puis en 1876 ;

mélodie dont le sous-titre était, en effet, « Songe d’opium« , extraite du recueil des « Mélodies persanes« , opus 26 (de Saint-Saens), en 1870, sur un poème d’Armand Renaud (1836-1895), extrait, lui, du recueil de poèmes des « Nuits persanes« , publié également cette même année 1870 _,

pour ma part, donc,

j’ai trouvé ce récital donné par Philippe Jaroussky d’autant plus excellent _ voilà ! par l’intelligence superbe de l’articulation entre la diction de la poésie (à faire « entendre« ) et la subtilité juste de l’art du chant lui-même ! (à faire « ressentir« …) _ que j’avais assez peu « apprécié » jusqu’alors les prestations « baroqueuses » de ce chanteur, et, en particulier, l’usage plutôt ingrat, à mon goût du moins, de son timbre en ce répertoire baroque (notamment dans Haendel) ;

le tout dernier CD « Johann-Christian Bach _ La Dolce Fiamma, Forgotten castrato arias » de Philippe Jaroussky , venant très heureusement corriger, d’ailleurs, si j’ose le dire ainsi, cette impression mienne, par un usage du registre (et du timbre) de voix bien mieux approprié, à mon jugement, à l’art bien plus tendre et _ quasi onctueusement… _  « galant » _ et jusqu’ici très méconnu, car trop mal servi au concert, à l’opéra, comme au disque ! _ du dernier (1735-1782) des fils de Bach (et maître, à Londres, du jeune Wolfgang Amadeus Mozart : lequel l’a adoré ; et tant appris de son art très « aimable » : le séjour _ de seize mois _ du jeune Mozart à Londres eut lieu d’avril 1764 à juillet 1765 … ; Jean-Chrétien et Wolfgang Amadeus se rencontrèrent à nouveau à Paris en 1778, à la fin août…).

Sur tout cela,

cf mon article du 25 février 2009 « La grâce (et l’intelligence) “Jaroussky” en un merveilleux récital de “Mélodies françaises”, de Jules Massenet à Reynaldo Hahn _ un hymne à la civilisation de la civilité » ;

et sur ce, fin de l’incise « Jaroussky » ; retour à ma découverte des deux barytons montréalais… _

En témoigne, en forme de « demande de précision » à bonne source (québécquoise !), cet envoi de mail (un peu elliptique…) à mon ami Denis Grenier à Québec, après une première écoute des 2 CDS « Gounod-Fauré Mélodies françaises » par Benoît Leblanc, baryton & Pierre McLean, piano _ CD XXI-CD 2 1584 _ & « Les Fleurs du mal // De Fauré à Ferré _ Charles Baudelaire (1812-1857) » par Marc Boucher, baryton & Olivier Godin, piano _ CD XXI-CD 2 1590 _ :

De :   Titus Curiosus

Objet : 2 barytons québecquois
Date : 20 novembre 2009 15:42:28 HNEC
À :   Denis Grenier

Cher Denis,

des deux barytons (de Montréal ?) que je viens de découvrir au disque,
le chant de l’un m’agrée assez ;
alors que je trouve l’autre ridicule !


Vous devez les avoir entendus « au vif » sur les planches…
L’un est Benoît Leblanc et l’autre Marc Boucher…

Dans un répertoire qui m’intéresse tout particulièrement ;
et sur lequel je dois, et non sans plaisir,  « réfléchir« …

Titus

Réponse express de Denis, de Québec _ il est professeur émérite de l’Université Laval ; et anime une émission hebdomadaire de musique, « Continuo« , sur la radio québecquoise CKRL :

CONTINUO
MOYEN-ÂGE, RENAISSANCE, BAROQUE, PRÉ-CLASSIQUE


avec
Denis Grenier
CKRL, 89,1 MF Québec

A retrouver tous les dimanches, de 8h à 11h.
Dans le monde entier, de 14h à 17h (heure de Paris)
Toute la musique ancienne au 89,1
La radio culturelle

_ ; et non sans ellipses, non plus, comme on va en juger :

De :   Denis Grenier

Objet : Rép : 2 barytons québecquois
Date : 21 novembre 2009 16:57:08 HNEC
À :   Titus Curiosus

Cher Titus,

Non, je ne connais pas ces chanteurs _ de Montréal, pas de Québec, certes… Il est vrai qu’il y a plus fana que moi de l’art lyrique !

http://www.quartom.com/Aboutusfr.html

difficile de vous contredire, en tout cas le placage douteux du lyrique sur la musique ancienne _ par Quartom ! dont fait partie Benoît Leblanc… _ ne me ravit pas _ Denis a donc écouté ce qu’offrait à écouter ce lien… _, mais je sais bien que vous me parlez de la voix _ du baryton, seul et seulement ! _ en tant que telle… Ridicule certainement dans l’extrait de « Noëls anciens« , aucune notion de style ; ah le romantisme et ses effets pervers !

http://www.marcboucher.com/enregistrements.html

http://www.polymnie.qc.ca/sol-boucher.htm

Je fais toujours confiance à votre réflexion, merci de nous en faire bénéficier continûment avec tant de générosité… et de grâce.

Amitiés.

Denis.

Je suis dans la musique « hors système » !

Maintenant, mes impressions…

L’interprétation par Benoît Leblanc (et Pierre McLean : tout aussi excellent !) des mélodies de Gounod

_ « Déesse ou femme » (sur un poème de Jules Barbier & Michel Carré), « Viens, les gazons sont verts » (mêmes auteurs), « Ô ma belle rebelle » (la mélodie n°2 de « 6 Mélodies«  : sur un poème d’Antoine de Baïf), « Le Temps des roses«  (sur un poème de Camille Roy), « Prière » (sur un poème de Sully Prudhomme), « Ce que je suis sans toi » (sur un poème de Louis de Peyre) & « Venise » (la mélodie n°6 de « 6 Mélodies«  : sur un poème d’Alfred de Musset) _

me ravit

_ l’interprétation des mélodies de Gabriel Fauré (le premier Fauré, ici : celui-ci eut une longue carrière : 1845-1924 !) est elle aussi excellente ; mais ces mélodies-ci : « Lydia« , op. 4 (sur un poème de Leconte de Lisle) ; « Larmes« , op. 51 n°1 (sur un poème de Jean Richepin) ; « Prison« , op. 83 n°1 (sur un poème de Paul Verlaine) ; la « Sérénade du Bourgeois-Gentilhomme«  (de Molière) ; « En prière«  (sur un poème de Stéphan Bordèse) ; « Le Secret« , op. 23 n°3 (sur un poème d’Armand Silvestre) ainsi que les (trois) « Poèmes d’un jour« , op 21 (de Charles-Jean Grandmougin) et « Ici bas » (sur un poème de Sully Prudhomme) _, sont davantage « données«  à écouter tant au concert qu’au disque… _,

par son caractère direct, profond, tout en servant magnifiquement les nuances,

et cela de la part tant du chanteur, Benoît Leblanc, que du pianiste, Pierre McLean ;

et cinquante écoutes du CD ne m’en ont pas le moins du monde lassé !.. j’y reviens ! et en redemande ! Quel charme !!! profond sans la moindre pesanteur…

Gounod (1818-1893) n’est pas du tout assez « servi » au disque, lui, le père magnifique de la mélodie française…

Benoît Leblanc, avec un « présent » aussi réussi, me paraît promis à un magnifique « avenir » de mélodiste…

Mon rapport au second CD _ « Les Fleurs du mal // De Fauré à Ferré _ Charles Baudelaire (18212-1857) » : pour l’occasion de la célébration, en 2007, du cent-cinquantième anniversaire de la parution du chef-d’œuvre baudelairien des « Fleurs du mal« , en 1857… _ et à l’interprétation du baryton Marc Boucher est plus complexe ; et m’a demandé un peu plus de temps pour enfin l’apprécier…

D’abord, j’ai été agacé _ jusqu’à prononcer le mot « ridicule » ! _,

et surtout par contraste avec l’interprétation directe, profonde, ainsi que le timbre franc et tendre sans mièvrerie, de Benoît Leblanc,

par la première impression d’une interprétation jugée par trop chichiteuse _ un peu comme celle d’un Dieter Fischer-Diskau, face à la franchise « virile«  et plus « directe«  d’un Hermann Prey, toutes proportions gardées…

Avant de mieux écouter, et à plusieurs reprises ;

et surtout de me procurer un CD antérieur de ces mêmes Marc Boucher et Olivier Godin, le CD « Théodore Dubois _ Musiques sur l’eau et autres mélodies« ,  le CD XXI-CD 2 1570, paru en 2007 et brillamment récompensé… _, qui m’a fait mieux percevoir (et admirer) le talent de Marc Boucher ; et d’Olivier Godin.

C’est peut-être l’autorité _ poétique ! _ de Baudelaire qui vient un peu trop peser sur les épaules _ et le gosier _ de Marc Boucher, et lui faire craindre de « savonner » quelques unes des très riches, en effet, nuances de sa sublime _ oui _ poésie, en ce CD d’abord baudelairien _ cf le titre (on ne peut mieux choisi !) choisi de ce CD : « Les Fleurs du mal // De Fauré à Ferré _ Charles Baudelaire (1812-1857)«  _ qui vient de paraître cette fin d’automne 2009…

Le programme est tout à fait magnifique ;

et le choix

(un second CD « baudelairien » à partir de tout le matériel de mélodies découvert et rassemblé par Marc Boucher n’eut en rien déparé à la splendeur des pièces mélodiques du premier !)

des pièces nous donne à découvrir des mélodies merveilleuses, d’esthétiques amplement diverses, et de compositeurs qui méritent pleinement d’être enfin interprétés, chantés ; et ainsi écoutés, appréciés, admirés !

Citons-les : Pierre Onfroy de Bréville (1861-1979), Claude Duboscq (1897-1938), Alphons Diepenbrock (1862-1921), Jean Dora (1876-1941), René Lenormand (1846-1932), Pierre Capdeville (1906-1969)…

Rien qu’à ce titre (de « découverte » d’œuvres qui le méritent !), ce CD _ et le travail de défricheur de Marc Boucher _ vaut _ et valent _ le détour !


Marc Boucher s’étant révélé, somme toute, plus à l’aise en tant qu’interprète-chanteur avec les mélodies de Théodore Dubois (1837-1924 : un compositeur à découvrir pleinement !!) sur des poèmes d’auteurs un peu moins « impressionnants » que le Charles Baudelaire des « Fleurs du mal » : Albert Samain, Henri de Régnier, François Coppée, Sully Prudhomme, Armand Silvestre (1837-1900), mais aussi Joachim du Bellay, à côté d’un Maurice Bouchoir ; ou de complets inconnus jusqu’ici de moi _ qui ne suis pas un expert ! _ tels que Eugène Manuel (1823-1901), Charles Lomon, André Foulon de Vaulx (1873-1961), Jules Breton (1827-1906), Antonin Lugnier, Charles Dubois, Landely Hettich, ou Jules Barbey d’Aurevilly _ je veux dire ici en poète… _, et aussi Fernand Fouant de La Tombelle (1854-1928) et Louis de Courmont (1828-1900)…

Les trois poèmes de Baudelaire mis en musique par Léo Ferré (1916-1993), « La Vie antérieure« ; « La Musique » & « La Mort des amants« , sont hélas loin d’avoir, dans l’interprétation ici de Marc Boucher (et dans un arrangement pour le piano seul d’Olivier Godin) le charme intense mêlé de gouaille de Léo Ferré interprète _ c’était en 1957, pour le centenaire des « Fleurs du mal« , un trente-trois tours « Odéon » _ :

il y aurait fallu beaucoup plus d’audace et de familiarité (d’oreille d’abord) de Marc Boucher-interprète chanteur avec la tradition française de la chanson _ celle d’Yvette Guilbert, Damia, Fréhel, Berthe Sylva, Edith Piaf… _ :

que possédait ô combien ! l’immense Léo Ferré…

C’est là, sans doute, le point faible de ce travail du chanteur Marc Boucher en ce CD « découvreur » pourtant…

En tout cas,

avec ces CDs de mélodies françaises nous parvenant de Nouvelle-France et des rives du Saint-Laurent,

voilà un Marc Boucher bien intéressant ;

et un Benoît Leblanc plus que très talentueux _ très attentivement à suivre !

Titus Curiosus, ce 6 décembre 2009

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