Penser le post-néolibéralisme : prolégomènes socio-économico-politiques, par Christian Laval

— Ecrit le dimanche 18 avril 2010 dans la rubriqueHistoire, Philo, Rencontres”.

Mercredi dernier, 14 avril 2010, Christian Laval était l’hôte de la Société de Philosophie de Bordeaux et de la librairie Mollat, dans les salons Albert-Mollat, copieusement remplis _ et avec une très remarquable qualité d’attention de la part de l’assistance _, pour la cinquième et dernière conférence de la saison 2009-2010 de notre Société.

Le « sujet«  _ déterminé en accord avec Barbara Stiegler, en charge de la présidence _ en était « Néolibéralisme et économie de la connaissance«  : le podcast de cette conférence, particulièrement clair, alerte et passionnant, dure 60 minutes…

C’est la lecture de La Nouvelle raison du monde _ essai sur la société libérale de Pierre Dardot et Christian Laval, aux Éditions de La Découverte ;

ainsi que les applications de ses dispositifs, plus spécifiquement, aux sphères de l’enseignement et de la recherche _ soient les domaines (et institutions) de la constitution et de la diffusion de la connaissance _ ;

qui a (et ont) incité Barbara Stiegler à inviter Christian Laval à éclairer le public sur les enjeux culturels _ et civilisationnels ! _ de ce bouleversement majeur, d’ampleur considérable ! qui affecte et les rapports sociaux et la conception de la subjectivité même, selon les intuitions lumineuses de Michel Foucault, en ses dernières leçons au Collège de France :

Le Gouvernement de soi et des autres _ Cours au Collège de France. 1982-1983

Le courage de la vérité _ Le Gouvernement de soi et des autres Cours au Collège de France. 1984 (de février à mars) ;

Michel Foucault meurt le 25 juin 1984…

Voici, déjà _ farci de quelques précisions de mon cru _, la fort éclairante quatrième de couverture de La Nouvelle raison du monde _ essai sur la société libérale :

« Après la crise financière de 2007-2008, il est devenu banal de dénoncer l’absurdité _ ravageuse _ d’un marché omniscient, omnipotent et autorégulateur. Cet ouvrage montre cependant que, loin de relever d’une pure «folie», ce chaos procède d’une rationalité dont l’action est souterraine, diffuse et globale _ d’ampleur considérable et à l’échelle de la planète. Cette rationalité, qui est la raison _ la ligne de force (de fait), comme la justification (de droit revendiqué, au moins…) _ du capitalisme contemporain, est le néolibéralisme lui-même _ voilà.

Explorant sa genèse doctrinale _ dans l’histoire des idées de l’Occident depuis les XVIIème et XVIIIème siècles, en Angleterre et en Écosse, pour commencer… _ et les circonstances politiques et économiques de son déploiement _ depuis l’arrivée au pouvoir (politique) des équipes soutenant Margaret Thatcher et Ronald Reagan, tout d’abord _, les auteurs lèvent les nombreux malentendus qui l’entourent : le néolibéralisme n’est ni un retour au libéralisme classique _ celui développé à partir des thèses de John Locke et d’Adam Smith _ ni la restauration d’un capitalisme «pur» qui refermerait la longue parenthèse keynésienne.

Commettre ce contresens, c’est ne pas comprendre _ bien dangereusement… _ ce qu’il y a précisément de nouveau _ voilà ; et de probablement irréversible, du fait de son ampleur et de sa vitesse de mise en œuvre : considérables _ dans le néolibéralisme _ qu’il faut donc, et urgemment, correctement penser : si l’on veut le contrer !..

Son originalité _ voilà ! _ tient plutôt d’un retournement que d’un retour : «Loin de voir dans le marché une donnée naturelle _ idéologiquement _ qui limiterait l’action de l’État, il se fixe pour objectif _ on ne peut plus pragmatique _ de construire le marché _ voilà ! sur ces questions (de naturel et artificiel), on se rapportera avec profit à l’ouvrage essentiel de Clément Rosset L’Anti-nature_ et de faire de l’entreprise le modèle _ structurel _ du gouvernement des sujets» _ comme l’a révélé l’intuition lumineuse de Michel Foucault dès le début de la décennie 80… Par des voies multiples, le néolibéralisme s’est imposé _ de fait, tout particulièrement en la première décennie du XXIème siècle ! _ comme la nouvelle raison du monde, qui fait de la concurrence _ voilà _ la norme universelle _ et exclusive ! _ des conduites ; et ne laisse intacte _ totalitairement, par là ! _ aucune sphère de l’existence humaine, individuelle ou collective _ voilà qui déborde considérablement du seul champ de l’économie !

Cette logique normative _ détruisant, tel Attila, tous ses obstacles _ érode jusqu’à la conception classique de la démocratie _ ce qui n’est tout de même pas rien ; particulièrement en France… Elle introduit des formes inédites d’assujettissement _ des personnes : voilà ! _ qui constituent, pour ceux qui la contestent, un défi politique et intellectuel inédit _ tant théorique, à penser, que pratique, à combattre et surmonter, donc…

Seule l’intelligence _ à construire _ de cette rationalité _ à démonter en sa mécanique (tant destructive que constructive) _ permettra de lui opposer _ avec quelques chances de succès _ une véritable résistance et d’ouvrir un autre avenir » _ civilisationnel, lui : là-dessus, se reporter au plus que jamais d’actualité L’Institution imaginaire de la société, de l’excellent Cornelius Castoriadis…

Ce que personnellement je retire de la conférence de Christian Laval mercredi soir dernier,

c’est l’urgence _ tant pratique que théorique _ d’une anthropologie faisant le point _ up to date _ sur ce qui est là détruit, par ce néo-libéralisme ; et sur ce qu’il faut aider et à préserver et à développer, a contrario de la misérable _ davantage encore que pauvre, réduite, simpliste : paresseuse ! et dépourvue d’imagination qualitative ! _ « employabilité« , en les hommes…

Un des paradoxes de la situation présente _ avec l’extension rapide et difficilement résistible, par sa massivité, de ce néo-libéralisme _

étant l’hostilité des inspirateurs de ce néo-libéralisme, Hayek et von Mises, à la logique de la planification ! ainsi que leur éloge de l’ignorance (de tout ce qui peut être jugé inutile) !…

D’où l’expression de « prolégomènes«  du titre de cet article.

Par là,

faire le point sur les racines du pragmatisme utilitariste :

chez un Jeremy Bentham, pour commencer ; mais aussi chez un Friedrich Hayek et un Ludwig von Mises ; et un Théodore Schultz et un Gary Baker ;

afin d’éclairer ses actuelles applications à l’échelle _ cruciale pour nous, Français, notamment, parmi les autres membres de l’Union européenne _ des directives européennes ;

ou dans un rapport _ « d’orientation sur l’université et la culture«  _ de Jean-Pierre Jouyet et Maurice Lévy à destination de Nicolas Sarkozy _ en 2008 ; mais ne pas oublier non plus que Jean-Pierre Jouyet faisait partie des « conseillers«  de Ségolène Royal en 2006-2007… _,

est plus qu’utile : nécessaire !

Au nom du réalisme de l’efficacité, de la raison de la rentabilité économique (= maximiser les gains en diminuant le plus possible les coûts

_ mais « coût«  pour qui ? qui tire, ici, les marrons du feu ? et qui brûle (= est brûlé) ? et est passé par « profits et pertes« , en ce drolatique jeu de bonneteau ?.. quid d’une expression telle que « ressources humaines«  ?.. hommes-moyens, mais pour quelles fins, donc ?.. et de qui ?.. _ ),

c’est à la fois l’ensemble des relations (de convivialité, d’affection, de reconnaissance : au-delà des critères de l’intérêt !!!) de chacun aux autres _ cf ici mon article du 11 novembre 2008 « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » à propos du judicieux travail de Michaël Foessel La Privation de l’intime ! _ ;

sans compter, aussi, la solidarité, la fraternité, la générosité, l’amitié ou l’amour vrais!

ainsi que le statut de l’identité même _ terriblement appauvri ! survivre, consommer, s’enrichir, individuellement (et égoïstement)… : sans désirs vrais, ni sentiments ! _ de la personne

qui se voit attaqué, réduit, détruit !

Et pour quels misérables _ bling-bling (selon un misérable standing)… _ « profits » ?..

Il y a là matière à résister, en faveur d’un sujet « humain » vraiment actif et créateur de perspectives ouvertes et généreuses de vraie vie !..

Jeudi 15 avril dernier _ le lendemain même de la conférence de Christian Laval _,

en une double page de Libération, dans la rubrique « Économie » (pages 14-15),

un significatif article générique _ signé Catherine Maussion _, intitulé « Internet en toile de fonds« , et sous-titré « Les jeunes grands patrons français du web se réunissent (et s’affrontent) pour investir dans les start-up«  ;

accompagné de trois portraits de fondateurs de « fonds » :

Pierre Kosciusko-Morizet (un des 3 patrons du fonds Isai Developpement _ et patron de Price-Minister) : « Le credo du coach« ,

Marc Simoncini (fondateur-patron du fonds Jaina Capital _ et créateur de Meetic) : « Le concret avant tout« ,

& Xavier Niel (fondateur-patron du fonds Kima Ventures _ et patron de Free) : « La mise à tout va« .


La fonction de ces fonds :

aider _ financièrement (et de leurs conseils avisés) _ à « faire émerger des géants européens » d’Internet.

« Avec la crise, les fonds sont devenus beaucoup plus frileux ; il y a un trou dans la chaîne de financement« , confie Simoncini.

« Ces nouveaux investisseurs de la Toile joueraient donc sur la prise de risques assumée. « Ce qui manque en France _ ajoute Marie-Christine Levet (Jaina) _, c’est l’argent pour l’amorçage« … « Nous, on en a bavé, il faut aider les jeunes« .

« De là à en faire des philanthropes du Net ? Les fonds ne veulent pas du virtuel. Mais du retour. Isai veut rendre deux à trois fois leur mise aux investisseurs au bout de huit ans. « L’idée, c’est d’accompagner les boîtes, puis les revendre », dit-on à Jaina Capital _ avec plus-value ; mais cela va sans dire… Avant de recommencer ailleurs«  :

telle est la conclusion de la présentation de Catherine Maussion, page 14 de Libération.

Et Xavier Niel, in « La mise à tout va« , interrogé et présenté par Catherine Maussion :

« Niel guette des « projets simples » qu’il prend au sortir du nid et dans lesquels il mettra « des petits tickets », entre 5 000 et 150 000 Euros. A un rythme affolant : un investissement par semaine pour faire germer _ voilà _ une centaine de petits business. Niel se défend d’être« dans la recherche du profit immédiat ». La preuve : « On fait dix trucs bancals et on est content à la fin quand il y en a un qui marche ». Sur45 à 50 dossiers « faits » avant Kima Ventures, il recense 15 à 20 sociétés qui « bougent encore » ; 15 à 20 qui ont sombré ; 15 à 20 qui continuent doucement leur chemin. « Je ne suis pas sûr d’avoir gagné de l’argent » _ c’est de l’ordre du jeu… Sauf avec Deezer _ toutefois. « Un carton », souffle-t-il. Un retour sur investissement multiplié » par 40 ou 50″… »… Bingo !

Voilà l’illustration même de la logique _ ludico-financière : à vide !.. _ d' »innovation » du néo-libéralisme : en matière de recherche _ et création d’entreprises, ici.

En matière d’enseignement, la norme est celle de la « compétence« , mise en valeur strictement comme « employabilité«  _ pression des coûts et de la rentabilité « obligeant«  !

Et en ce qui concerne « la valeur économique«  des services et des produits, « la valeur d’usage n’est que le support de la valeur d’échange« , a dit en son exposé Christian Laval.

Quel sens y a-t-il à réduire tant d’existences humaines,

et même tant de compétences possibles _ combien de Mozart seront ainsi assassinés ? mais en anglais, « marketable skill«  désigne plus crûment un « savoir-faire négociable sur le marché«  : une « employabilité«  _,

à de si mesquins et avares calculs ?..

Qui en « profite » ? Au secours !!!

André Malraux rapporte ce mot _ bien intéressant _ de Staline à De Gaulle : « A la fin, c’est la mort qui gagne«  ; il suffirait, ainsi, de sur-vivre un peu plus longtemps que ses victimes. Soit la logique du crime des mafieux…

Ou encore : « Après nous le déluge !« … Sans responsabilité ; à l’heure de « Crime et châtiment« …

Une autre conception du vivre, du faire _ voire créer _ et du vivre-ensemble, plus fraternelle _ car les dégâts sociaux de la concurrence généralisée sont terribles ! _, doit être pensée et proposée, face à cette dévastation vide qui se répand…

Penser (et construire) le post-néolibéralisme : voilà la tâche…

A condition que les politiques alternatives (socio-démocrates, par exemple…) ne « se rendent » pas, comme elles l’ont fait depuis bientôt trente ans, à cette logique « réaliste« 

_ « There is no alternative » : les autres font ainsi… Un des grands maux de notre pauvre Europe… _

de la « modernité » marchandisée…

Un Jean-Pierre Jouyet est passé directement de l’équipe de Ségolène Royal en 2006-2007, au gouvernement nommé par Nicolas Sarkozy ;

c’est Lionel Jospin qui a mis en place la loi (de gouvernementabilité) Lolf _ loi organique relative aux lois de finances _ en France, le premier août 2001 ;

et que dire des Tony Blair et Gerhard Schröder ?.. _ et de leurs pantouflages au sortir du gouvernement ?..

Il y a du pain sur la planche… Au travail !

Pour se donner un supplément de « cœur à l’ouvrage« ,

on peut reprendre la devise (à panache) de Charles le Téméraire (1433-1477),

reprise déjà par Guillaume Ier d’Orange-Nassau (1533-1584 ; dont Turenne _ 1611-1675 _ est un des petits-fils) :

« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer« … 

Titus Curiosus, ce 18 avril 2010 

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