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Dans et par le battement des images, les aventures du sujet (tenir bon ou céder) vers sa liberté : le livre (montanien !) « Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs » de Marie-José Mondzain

26oct

Avec son Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs, qui paraît ce mois d’octobre aux Éditions Bayard,

Marie-José Mondzain nous offre un merveilleux livre

_ même si elle se défend qu’il s’agisse là d’un « livre«  ; cf à la page 9 : « Ceci n’est pas un livre« , mais « peut-être la trace d’un parcours, en marche vers l’image« , « sans devoir nécessairement en montrer » « et sans être assurée qu’en parlant d’image, je puisse produire ce qui fait l’unité et la consistance _ dogmatique _ de ce qu’on appelle couramment un livre«  ; et précisant encore : « Cela pourrait être une série de lettres adressées à ce jeune ami aveugle avec qui j’ai entretenu plusieurs années un commerce des regards. Nous tentions de voir ensemble ce que nos yeux ne pouvaient partager« . Et aussi : « Ce pourrait être aussi un hommage singulier rendu au philosophe Jean-Toussaint Desanti, puisque c’est en sa compagnie que le commerce des mots a souvent exploré les chemins du visible«  « Je pense à ces deux amis, évoqués parmi tant d’autres, qui m’ont accompagnée, sans doute aussi parce que l’on ne peut écrire en l’absence de toute adresse (à quelque interlocuteur potentiel, et même s’il n’est plus des vivants sur la terre, ajouterais-je…) alors même que la main qui écrit voudrait, elle, disparaître« , page 10 _

un merveilleux livre, donc, montanien

_ je veux dire à la façon libre et perpétuellement (génialement) inventive, en même temps que : lucidissime !, des Essais de Montaigne ; et à poursuivre « tant qu’il y aura de l’encre et du papier«  (III, 9, début) son entretien-conversation malencontreusement interrompu (par l’accident d’une mort, telle celle survenue à Germignan près Bordeaux : au Taillan-Médoc aujourd’hui) avec, désormais, le fantôme, mais si vivant, de l’incomparable ami, La Boétie, dans le cas de Montaigne... _,

dans lequel, avec son courage et sa générosité merveilleux, elle nous offre un penser en acte magnifiquement éclairant, en ses explorations on ne peut mieux lucidement audacieuses, des aventures (battantes !) de la subjectivation (et du jeu de sa libération-liberté !) via la pratique active/passive des images (notamment _ et principalement même ici _ cinématographiques, en mouvement d’abord sur les écrans ; mais pas seulement…)

_ soit ce qui peut se nommer « opérations imageantes«  (selon l’expression des pages 45, puis 46 et 64, avec, là deux occurrences, ainsi que l’expression, aussi, de « fonctions imageantes« …) _,

entre « céder » et « tenir bon« , de l’Homo spectator : que tout un chacun (ou presque) se trouve désormais être devenu, en actes, plus que jamais aux siècles de l’omniprésence des écrans

_ à partir des films des frères Lumière : cf la filiation, en 1995, du film-(« hommage au cinéma« , pour l’anniversaire de son centenaire) de Harun Farocki, Les Travailleurs sortent de l’usine, avec celui des frères Lumière, en 1895, indiquée page 266 de cet Images (à suivre). Avec ce commentaire, à la page 270, que j’ai plaisir à citer ici : « Les sorties d’usine sont la scène primitive du cinéma à laquelle l’enfant revient toute sa vie en tant qu’éternel spectateur de la magie des images. Cet enfant centenaire, c’est chacun de nous. Mais Farocki fait aussi entendre que le geste qui fait voir n’est plus un geste pictural habité par le souci formel de son achèvement, mais un geste « imparfait » (dans le tremblé du temps même…). Parce qu’il est montage, il est fragmentaire, discontinu et en continuel désajustement _ un concept décisif ! _ de ses parties ; il est aussi en attente des énergies actives de montage par ceux à qui ces images s’adressent. Parce qu’il est adresse, il est solidaire d’un régime déceptif, fragilisé sans fin par le ratage de son but, par la fuite de son objet, par l’indétermination incontrôlable de ses effets.

Le cinéma fut inventé pour que le peuple _ auquel de fait le cinéma s’adresse _ résiste à sa disparition.« 

Vers le  final (en un ultime chapitre, le quatrième, intitulé « Suspens et carnaval » : c’est le chapitre du rebond !) de ce livre peu « livre« , donc, du moins au sens de la tradition académique la plus classique, surtout en philosophie,

Marie-José Mondzain livre une (éventuelle) filiation carnavalesque de la modalité du tempo

_ et du rire créatif : à la Chaplin « en 1938 dans Le Dictateur«  ; cf page 366 : « C’est un rire politique qui s’attaque à la terreur inspirée par l’adversaire et accroît les forces de ceux qui doivent lui résister. Ce rire de résistance _ à l’inverse du rire de connivence (ou au moins complaisance) envers les pouvoirs… _ est animé par le génie du carnaval, c’est-à-dire par la vigueur sismique _ voilà ! _ du renversement, de la réversibilité des rôles et du basculement des images. La permutation des places, la confusion des corps devient _ le sursaut d’ _une fête « idoloclaste » pour le spectateur délivré _ par le tempo même de ce rire spécifique-ci _ de l’effroi paralysant de l’inéluctable _ ennemi de tout jeu de battement, lui. Le Dictateur plaide pour un possible dont on sait aujourd’hui deux choses : l’une, c’est que le pire était imminent, l’autre, que sa défaite était pensable«  ; à l’inverse de la force renversante de ce rire chaplinien : « La Vie est belle de Begnini (cf l’analyse aux pages 134-136), ou Les Voyages de Sullivan  (de Preston Sturges : cf l’analyse aux pages 366-369 : des analyses magistrales !) traitent le spectateur en complice _ voilà ! _ d’un comique consensuel où l’épreuve du pire n’est plus qu’un épisode transformable à volonté par des fictions consolantes et des fraternités faciles« , toujours page 370… _

vers le final, donc, de ce livre peu « livre« ,

Marie-José Mondzain livre une (éventuelle) filiation carnavalesque quant à la modalité du tempo même

de son penser ici, en ce malgré tout « livre » (« en marche vers l’image« ), pages 399-400 :

« C’est la pensée romantique allemande qui mit en œuvre les prolongements paradoxaux de la pensée, du côté de l’informe et du chaos carnavalesque.

C’est en totalité que le poète et le penseur sont _ alors : au tournant des XVIIIe-XIXe siècles _ traversés par les contradictions sismiques d’une soif d’absolu, saisis par une ivresse anarchisante suscitée par les tentations du chaos, sans pour autant faire le deuil de la forme. (…) Le régime intercalaire des parenthèses utopiques inscrit la nécessité _ poïétique _ de la poursuite dans la pratique du fragment dont les romantiques allemands et Nietzsche portèrent au plus haut le flambeau. La discontinuité, la pulsation, la syncope _ facteurs du désajustement et de la création à inaugurer puis poursuivre, en d’autres désajustements _ seront les modalités souveraines des régimes disruptifs _ voilà un qualificatif parlant ! _ qui rompent avec les forces du contrôle, de la maîtrise et du repos _ qui enferment et incarcèrent, elles, dans le carcan des habitudes et addictions confortables : prévisibles et prévues, car calculées pour cela.

Ce que Patrice Loraux nomme _ fort justement _ le « tempo de la pensée » _ c’est décisif ! un clinamen dans la pluie uniforme, sinon, des atomes… _  fait entendre ensemble _ mais oui ! _ le rythme et la percussion propre à toute création _ poïein

La pensée _ en ce revigorant, joyeux, de sa pleine fraîcheur _ est un acte de naissance. Elle commence _ perpétuellement elle met (et se remet elle-même, la toute première !) en jeu… Elle fait l’épreuve de l’échec de la forme _ en l’approximation de ses propres approches essayées et tentées _ dans le don _ gracieux et généreux (pardon du pléonasme !) : il faut aussi apprendre à le recevoir et l’accueillir, ce don-ci… _ de la forme, renonçant à la paix improductive _ stérilisante et incarcérée (ou/et incarcérante) _ de ce qui continue _ selon une stricte nécessité solide : sans le moindre jeu (ou clinamen). Il n’y a pas d’œuvre qui ne soit pas travaillée _ dans le tremblé du frémissement de sa recherche _ par son impossibilité _ aventurée cependant : « Sapere aude !«  Le fragment en est la trace » _ intensive, vibrante.

Schlegel, au fragment 104 de ses Fragments critiques, avance ceci :

« Ce qu’on nomme communément raison n’en est qu’une espèce _ non unique _ mince et aqueuse. Il existe aussi une raison dense et incandescente _ de feu ! _, qui du Witz fait proprement  le Witz, et qui donne au style vierge, élasticité et électricité«  ;

ce que Marie-José Mondzain commente, page 404 : « Le Witz équivaut à une zébrure foudroyante

_ cf pages 195 à 197 une superbe analyse du jeu entre le dispositif « des cercles concentriques«  de la cible, et le schème « de la zébrure, des rayures, qu’il ne s’agit plus de saisir dans une mimétique du regard concentrique, mais dans une temporalité stroboscopique » : « la rayure est un battement du regard entre ce qui apparaît et ce qui disparaît. Le vertige stroboscopique induit par le mouvement des yeux face aux rayures, indique bien que ce qui se joue du côté de la cible renvoie sans doute à l’ordre du temps sous la figure du rythme pulsatile et de la répétition«   _

dans les ténèbres _ mais il les faut, elles aussi, ces « ténèbres«  ; et de toutes façons, nul (ni rien) ne peut prétendre y (ou ne s’en) échapper absolument : dans le recul (nécessaire, certes !), elles (ainsi que l’écart des gestes à leur égard) ne cessent, aussi, de nous nourrir et alimenter : tel le vertige du vide pour le maintien vivant de l’équilibre sur le fil du funambule ; telle est l’alchimie opératoire à laquelle il nous faut, tout un chacun, faire face, et bricoler… Dans le champ de la poursuite, il _ le witz, donc _ fait résonner la percussion de son tempo _ voilà ! _ et déjoue le pli et le repli des attentes _ seulement mécaniques : nous pouvons mesurer là ce qui sépare un art d’une technique (et de ses exploitations commerciales comptabilisées).

N’était-ce pas ainsi qu’il faut entendre chez Prokofiev le tissage _ voilà ! _ déceptif de la mélancolie, de l’ironie et de la fulguration violente d’un galop de la pensée ? _ sur ce nouage, cf les très belles analyses de l’écoute de la septième sonate pour piano (dite « de guerre« ) de Prokofiev (découverte au concert sous les doigts de Richter), aux pages 89-95. Le Witz fait appel à la puissance du sonore _ et des timbres ; cf ici ma lecture, le 3 août 2011, de ce qu’en explore superbement Martin Kaltenecker en son passionnant L’Oreille divisée _ les discours sur l’écoute musicale aux XVIIIe et XIXe siècles : comprendre les micro-modulations de l’écoute musicale en son histoire : l’acuité magnifique de Martin Kaltenecker en « L’Oreille divisée »  _ lorsque la création musicale ne se soumet plus aux illusions frauduleuses des enchaînements harmoniques _ trop attendus et convenus ; et Marie-José Mondzain de l’illustrer, pages 97-100, par une analyse du film impressionnant de Béla Tarr, Les Harmonies Weckmeister

La fragmentation de l’écriture déjoue les visées de l’absolu et l’absolutisme des systèmes _ totalitaires. La pensée est le règne _ paradoxal, alors _ qui abolit tous les règnes _ et empires : tétanisants ! eux… Le Witz fait appel à l’incontrôlable de la vie _ jouant, à partir du clinamen _ dans une fiction où se joue l’échec du concept et de la dialectique.

Le fragment appartient au régime de la parenthéké » _ et du battement des intermittences

A la page suivante, cette remarque à propos de la finesse de l’oreille musicale du viennois (exilé) Ludwig Wittgenstein : « Wittgenstein fut (…) un remarquable diététicien des fausses solennités« , précède ce constat que « les philosophes musiciens _ tel Wittgenstein, ou Nietzsche… _ ont souvent une grande aptitude à déjouer _ et dégeler _ la pesanteur _ plombante et plombée _ des trop fortes consistances » _ surplombantes…

Et Marie-José Mondzain d’évoquer ici l’art de l’éclat du rire de Nietzsche « pour instaurer une temporalité du retour éternel afin d’échapper pour toujours à la linéarité des trajectoires propres au monde convenu des poursuites » _ quand celles-ci sont sinistrement (mortellement ?) trop prévisibles en leurs calculs…

 

De fait, « l’ivresse est l’état carnavalesque par excellence, l’état de ceux qui vivent philosophiquement la relation de leur corps _ c’est la base _ à la vérité : ils dansent. La philosophie est chorégraphique _ voilà ! _ dans son funambulisme même« , toujours page 405 _ sur le funambulisme, cf, en plus de la citation donnée en exergue au livre, page 7, l’analyse, pages 14-15 (« Pourquoi danser ce soir ? Sauter, bondir sous les projecteurs à huit mètres du tapis, sur un fil ? C’est qu’il faut que tu te trouves«  : rien moins ! en cet appui mouvant, vital et mortel pris sur le vide…) et encore page 19, du Funambule de Jean Genet ; qui m’évoque ces deux formules de Nietzsche dans le sublime Prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra : « Je ne croirai qu’en un dieu qui sache danser«  ; et « Il faut encore porter du chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante« 


Ainsi « l’éclat du Witz n’est (-t-il) pas sans rappeler l’éclat _ voilà _ de l’image et sa temporalité éruptive _ voilà _ dans un présent intensif _ voilà, voilà _  ! Widerpost (le poète que fait parler Schlegel en un poème satirique, en 1799 : « la confession de foi épicurienne de Heinz Widerpost« ) chante l’échec spéculatif et célèbre la matière, les sens et tout le corps :

« Je ne tiens pas compte de l’invisible

Et je tiens pour seule révélation

Ce que je peux goûter, respirer et toucher

Et fouiller avec tous mes sens.« 

Et Marie-José Mondzain de conclure ce passage, pages 406-407 : « Le carnaval de la pensée a bien à voir avec ce que la pensée doit à la vie du corps

et avec ce que la vie du corps doit aux femmes » _ souvent plus ouvertes aux images, et moins agrippées à la saisie par les concepts… Cf ici mon article du 25 septembre 2011 sur le très riche livre de Martine de Gaudemar, La Voix des personnages : Le chantier de liberté par l’écoute du sensible, de Martine de Gaudemar en son justissime « La Voix des personnages »… Cf aussi la subjuguante hyper-finesse d’acuité du penser de Baldine Saint-Girons, par exemple dans la sublime séquence syracusaine ouvrant son merveilleux L’Acte esthétique

Pour ce qui est « poursuivi » en cette trajectoire suivie et syncopée _ les deux : et amoureusement (ou/et musicalement !)… _ de 419 pages, terminées par un « (À suivre)… », en cet Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs,

Marie-José Mondzain commence, en son chapitre premier, « Images suivies » (pages 9 à 124), par présenter

comment s’est formée, a bougé (et s’est « poursuivie«  !..) pour elle, en partie singulièrement, « la question de l’image«  _ car c’est d’abord, et encore au final, toujours, une « question«  qui « se poursuit«  : inépuisablement (et nourricièrement) ; même si (ou plutôt car !) la lumière s’en éclaire passablement ! en la trajectoire des 419 pages de ce travail richissime ! (cf toujours et encore Flaubert : « la bêtise, c’est de conclure« …) _,

ce qu’elle _ en sa biographie particulière, voire singulière, immergée en l’Histoire collective : je pense ici à (tout) ce qu’elle a hérité historiquement de son père (« Mon père s’appelait Mondschejn« , page 33), peintre, né en 1890 à Chelm, en une Pologne alors de l’empire du Tsar de toutes les Russies ; et maudit par son propre père pour avoir voulu devenir peintre (« après son départ de Chelm _ en 1904 : « fuyant à quatorze ans le ghetto où son _ propre _  père le destinait au rabbinat« , page 31… _, son père l’avait haï et maudit au point d’accomplir le terrible rituel du Herem à la synagogue. Condamné pour idolâtrie, mon père fut rejeté par les siens. Le rituel du Herem consistait à allumer des bougies noires et l’arche étant ouverte à faire sonner le chofar pour récuser toute filiation. On demande alors que la maladie et la ruine tombent sur le maudit, qu’il soit exclu de la communauté de façon définitive et n’ait pas le droit à être enterré religieusement.

Ayant appris _ tardivement, après 1945 _ son excommunication après la mort des siens, doublement orphelin, je crois pouvoir dire qu’il ne cessa d’être déchiré entre la grâce et la disgrâce qui marquaient sa survie _ à la Shoah. Quand la mort approcha, il se sentit comme un fils coupable appelé à comparaître devant le tribunal paternel. La transmission, et donc le droit et le devoir de suite qu’implique la filiation, pèsent très lourd dans la pensée juive et traversent les générations.

Il m’a fallu trouver les lois profanes et laïques qui mettraient fin à la poursuite d’une malédiction (…). Les images devaient trouver leur avocat, il en allait de la liberté que mon père avait conquise et de celle que je lui devais de garder« )… _

ce qu’elle y poursuit,

tout autant que ce qui l’y poursuit elle-même ;

selon la métaphore _ discrète, mais qui revient (ou « persiste« , sans lourdeur jamais : nous sommes dans la patience) _ des deux flèches du carquois du petit dieu Amour.

Cf par exemple page 125 : « les flèches d’Eros« ,

ou page 191 : « Si Cupidon a deux flèches, comme le raconte Ovide, c’est qu’il faut entendre que sa flèche est double, c’est-à-dire qu’elle indique deux directions opposées. Une flèche vise le poursuivant, l’autre le poursuivi. Cette simultanéité des trajectoires contraires fait qu’un même archer, celui de l’amour, attire et fait fuir. Ce qui nous attire nous fait fuir et nous poursuivons entre délices et frissons les figures qui nous persécutent« …


Mais déjà, page 122, esquissant, lumineusement, comme une approche de définition de ce qu’elle qualifie de sa « course« ,

et comme de son « champ » philosophique (page 120),

parmi les diverses (ou principales) formes de démarches philosophiques : celles des « penseurs de l’ordre« , celles des « penseurs critiques« , et celles des « penseurs à la cécité prophétique » qui « ont hérité de Nietzsche« , mais « Nietzsche est _ aussi _ la victime des plus grands usurpateurs d’héritage » !!!, pages 121-122,

et comme pour répondre au questionnement de son ami philosophe Patrice Loraux (« qui s’interroge précisément à ce que peut signifier la désignation d’un champ philosophique, après avoir interrogé longuement la syzygie de la philosophie avec les chimères« , page 120) :

« Il y aurait en philosophie des régimes de sensibilités particulières _ voilà : des aisthêsis !.. _ qui permettraient d’y repérer de grandes familles. Si je l’ai bien compris, elles se distingueraient ou s’opposeraient en fonction de leur disponibilité interne au vacillement _ un élément crucialissime !!! _ ou aux modes très variés de cristallisations conceptuelles » _ d’après la métaphore stendhalienne appliquée aux processus d’énamoration… _, page 120 ;

achevant ce regard panoramique (détaillé aux pages 120 à 122) déjà lui-même bien éclairant (« Les champs de la philosophie sont innombrables ; et l’on imagine bien qu’il ne me viendrait pas à l’idée d’esquisser une histoire de la philosophie en énumérant des champs ou en repérant des postures. Je ne fais que croiser ce _ ici la méditation de l’ami Patrice Loraux _ qui accompagne ma propre poursuite« , conclut-elle cette synthétique « revue » avec son humilité et auto-ironie coutumières), page 122,

Marie-José Mondzain avance ceci d’éminemment éclairant quant au dessein du travail auquel s’est adonné son livre auto-présenté dès l’abord (page 9) comme peu « livre« , car c’est surtout une « médiation » _ peut-être en abyme, et abyssale… _, et « qui se poursuit«  (page 119) :

« Ma seule ambition _ et le mot est déjà trop lourd pour définir ma course _ est de trouver _ mettre à jour et explorer _ partout la mince fissure par laquelle l’image

séculairement refoulée par la raison et l’intelligence

a poursuivi sa route, imperturbable, à travers les corps pensants, les regards désirants, les silences habités par la parole«  _ peut-être ici le cœur même de ce travail (d’une vie : « philosophique« …) dans ce qui peut faire signe au plus profond, via les images (mais via la musique aussi, ainsi que la poésie ; particulièrement en ce qui devient œuvre d’art…) _ ;

et elle conclut alors ce passage de quatre pages à propos de ce qu’opère l’image

_ ailleurs (par exemple page 45, puis page 46, ou page 64, à deux reprises), elle parle d’« opérations imageantes«  : ainsi « les opérations imageantes sont constituantes des relations d’altérité, en étant le tissu conjonctif qui noue la question d’un sujet à la réponse qu’il reçoit de tout autre« , page 46, dans la mesure où « reconnaître consiste à partager un manque et faire éclore entre nous les fleurs de la surabondance, c’est-à-dire les images. C’est parce que l’autre me manque que je lui adresse _ en gestes d’œuvres _  les signes de ma dépossession ou de ma défaillance«  _

ainsi :

« Elle _ l’image, donc _ est la présence _ vectorielle et et contextualisée, en quelque sorte, et intensive (« disruptive«  dans les liaisons-déliaisons, désajustements-ajustements, que sans cesse, et comme ludiquement, elle opère) _ de l’enfant androgyne au carquois et aux flèches dans son immanence intraitable _ voilà _ au cœur de tout mouvement de la pensée« , page 122 donc…

Voilà énoncé ce qui m’apparaît constituer le sens profond et singulièrement riche du projet philosophique poursuivi (donc !) superbement par cette recherche dense intensément lumineuse _ et éclairante ! _ en son courage et sa générosité _ sans fond, les deux : par la « fidélité« , voilà !, à ce que la vocation de la parole appelle à « tenir«  et « maintenir«  (= « poursuivre«  !), dans le jeu d’actes d’une liberté exigeante assumée… _ menée par Marie-José Mondzain.

La fin du premier chapitre (« Images suivies«  : il court de la page 9 à la page 124) revient sur la question de ce livre « peu livre » et des modalités _ montaniennes, ou nietzschéennes, me semble-t-il… _ de la « forme incertaine«  _ non dogmatique, mais ludique avec gravité (selon l’essence de l’humour) _ (page 122) de son écriture :

« Pourquoi me faut-il d’une certaine façon renoncer au livre _ comme cours dogmatique _ en écrivant sous cette forme incertaine ? Ce pourrait être étrangement à la fois monologue intime, interne ; et adresse à tout autre _ ce qui me paraît être les conditions de toute écriture vraie, courageuse, généreuse, et non servile ; j’en re-donne pour exemple les écritures de Montaigne et de Nietzsche.

A ce « tout autre«  est consacré le chapitre 3 : « Le Casting du premier venu« , (pages 281 à 371) à travers l’analyse de plusieurs grands films de cinéastes américains, de King Vidor (The Crowd, La Foule), Frank Capra (Meet John Doe, L’Homme de la rue), Elia Kazan (A Face in the crowd, L’Homme dans la foule) ; mais aussi de Robert Siodmak (en comparant Menschen am Sonntag, ou People on Sunday, en 1929, et Nachts wenn der Teufel, ou Les SS frappent la nuit, en 1957) et encore, plus récent, Le Premier venu, de Jacques Doillon…


Je m’imagine un peu comme un marin au cœur de la nuit qui cherche à faire le point sur sa position _ s’orienter (dans le penser et le sentir) ; et survivre, en menant son esquif à bon port _ entre deux étendues ténébreuses _ quand le ciel est avare de points de visibilité, dans la tempête par exemple… Le flux noir portant _ voilà ! tel le fil au-dessus du vide pour le funambule de Genet (et celui de Nietzsche)… _ l’embarcation est une masse résistante qui soutient, tant qu’elle n’engloutit pas _ du moins.

Penser  les images _ voici la tâche à accomplir ! _ est un voyage nocturne entre ciel et mer _ et non pas terrestre, par monts et par vaux, ou dans le dédale serré des villes : sur des sols grosso modo plus stables.

Les images qui _ mais il en est d’autres, un peu plus curieuses… _ prétendent se débarrasser de toutes pensées _ telles celles des logos de marques visant à induire (et à grande échelle) d’hyper-rapides réflexes (conditionnés) : celles des matraquages publicitaires et idéologiques _ occupent et dominent _ elles _ l’espace en plein jour des terres habitées _ et hyper-balisées : on n’a pas à s’y poser de questions ! sur le chemin à prendre (ou plutôt, alors, « à suivre«  ! à l’heure de l’attraction des GPS !)…

Surexposition du visible _ jusqu’à l’aveuglement des habitudes-addictions de ceux qui les reçoivent et sont dirigés (par œillères ; et par machines !) par elles _ dans l’inanité des regards morts _ puisque désactivés en ces réflexes instantanéisés, sans épaisseur vivante de durée… Là où sont les cadavres _ cf la quête de Diogène avec sa lanterne allumée en plein jour : « Je cherche un homme ! » ; et il n’en trouvait pas… _, il n’y a pas de fantômes _ apparaissant et disparaissant, eux.

Voir dans la nuit est la condition de toute pensée de l’image«  _ qui amène à aller chercher un peu plus loin que le plein (ou/et les bords) du visible d’abord et immédiatement perçu : afin de comparer « comme si« 

Commentant Homo spectator, j’ai jadis qualifié cette opération-là dimageance

Et Marie-José Mondzain de poursuivre, page 123 :

« Avant que le cinéma n’en fasse surgir le dispositif pour instaurer la vie industrielle _ selon le modèle hollywoodien _ de nos désirs _ idéologisés et markétisés, formatés (en vue de l’achat : la consommation même est surtout alors un leurre) _, l’image depuis longtemps se faisait connaître _ fort discrètement _ dans les cavernes, au fond des grottes, dans toutes les chambres noires de l’histoire, celle des choses et celle des fables.

Cérémonies des apparitions et des disparitions,

mélancolie des départs et récits des deuils,

effigies des ombres qui font jouir _ selon la fable de la fille (première dessinatrice de portrait) du potier de Corinthe, traçant, et ayant tracé et déchiffrant l’ombre de son amant s’absentant, puis absenté… _ et qui font trembler _ les bisons de Lascaux, Altamira, la grotte Chauvet… _,

l’image est là aussi insaisissable qu’insistante _ dans l’espace des distances et absences que leur ténuité cependant, et très fort, aimante…

Quand vint le cinéma, l’image trouva que cela était beau !« , pages 122-123.

Mais le cinéma lui aussi est dans la disjonction :

si « le geste imageant _ du cinéaste faisant son film _ accueille le désir de tout autre, c’est-à-dire les fictions qui le constituent _ positivement, ce « tout autre«  _ comme sujet de la croyance,

de la confiance et du crédit« ,

« le « faire faire » _ du cinéaste, donc _ désigne la capacité de reconnaître et de rendre _ = donner _ au peuple _ toujours à faire advenir ! _ des spectateurs sa puissance d’agir _ le plus souvent volée, niée, exploitée.

Le cinéma _ tel celui d’un Godard : plusieurs fois mobilisé dans cette « marche vers l’image«  _ pourrait faire en sorte _ pour sa (modeste) partie : entraînante ou inhibante _ que je puisse _ moi, spectateur du film _ devenir le sujet _ (plus) effectif _ de mon action et de l’histoire que je partage avec d’autres.

Mais le « faire faire » _ du cinéaste faiseur de films  _ peut aussi être entendu dans le sens de l’asservissement et de la passivité _ des spectateurs croisant le film. Il y a un cinéma qui inhibe la puissance active et dont le « faire faire » suspend justement la capacité de faire.

Être spectateur est une condition active chaque fois que le cinéma ou toute autre création fait le don _ par la transmission-formation de « fictions constituantes«  dans le sujet spectateur du film _ à celui à qui il s’adresse de sa puissance de faire _ un poïein libérateur et créateur, face au réel et aux autres ; relire Homo spectator. Le lien de ce geste créateur avec la fiction est fondateur, car il n’y a de communauté _ humaine non-inhumaine _ qu’à partir de ces croyances partagées _ et échangées, via des opérations (et des œuvres) , dont des paroles, des entretiens _ que j’appelle des fictions constituantes » _ pour le sujet humain non in-humain et sa liberté _, pages 284-285.

Et Marie-José Mondzain de se centrer sur le travail du documentariste, d’une part ;

mais aussi sur la place (et la fonction) du figurant dans les fictions mêmes :


« Dans un documentaire,  ce sont les corps filmés qui occupent la presque totalité du champ fictionnel. Il revient au documentariste de trouver la place la plus juste _ ajuster-désajuster _ pour accueillir_ et, par là, montrer _ ce qui constitue le régime de croyance des sujets filmés au cœur des expériences réelles qu’ils traversent« , page 285.

Quant à « la fiction«  de cinéma, son histoire est durablement marquée par l’impact de la Nouvelle Vague : celle-ci, « fraternellement liée au cinéma documentaire, accueille la fiction qui habite le corps des acteurs. On peut à la fois construire une fiction, et attendre ce qui arrive, développer une forme d’attention au monde et aux corps filmés qui donne sa place à l’autre _ en son altérité fondamentale _, donc à tout autre ; donc par cette voie au spectateur lui-même « , toujours page 285.

Et Marie-José Mondzain consacrera de superbes pages (pages 288 à 293) à la fonction très riche du figurant dans les fictions :

« La figure du figurant, comme site en apparence désubjectivé, opère en fait comme indice _ d’autant plus fort que (forcément !) discret _ de crédibilité _ voilà _ qui confère _ par contraste (d’une forme vis-à-vis d’un fond ; d’une focalisation sur ce qui est découpé et identifiable par le regard regardant à l’égard d’un fond lui flouté…) _ à la star et au récit _ du film de fiction _ leur place _ mine de rien… _ dans le tissu réel de notre histoire _ rien moins. Indice du réel, sans nom, sans gloire et sans histoire _ la caméra n’est pas focalisée sur lui : il n’est qu’un fond pour les formes d’autres : les personnages du récit ! incarnés par les acteurs _, lui seul donne peut-être à la fiction son appui _ comme le fond du vide au fil vital du funambule _, et détermine son plan d’inscription _ à cette fiction _ dans une réalité sensible, à la fois historique et filmée. La place du figurant est une place occupée par n’importe qui  _ discrétion (= quasi invisibilité) oblige ! _ faisant office de réalité des bords, à la frontière desquels se détache avec tout leur relief la figure _ = la forme repérable, elle _ de l’acteur professionnel et de la star, dans leur énergie fictionnelle _ et vecteurs notables d’identification du spectateur de cette fiction de cinéma.

La présence de celui qui n’a pas de nom _ au générique (des identifications) : il n’est nul personnage ! _ est sans doute inséparable de cette histoire du peuple auquel la Révolution a enfin rendu _ ou enfin donné (au moins en puissance) _ la dignité de son nom, sans pour autant résoudre la question de la subjectivation _ effective : devenir une « personne«  en toute sa singularité… _ de toutes les particules élémentaires qui le composent. Que figurent ces corps sans lesquels les acteurs resteraient dans une insularité presque abstraite ? C’est sans doute parce que l’écran n’est pas une scène qu’il faut que la croyance du spectateur soit soutenue par la figuration du monde comme espace doué de consistance, où les _ autres _ corps et les choses offrent l’assistance d’une continuité. Le figurant est le signifiant du hors champ dans le champ _ du récit sur lequel se focalise la caméra _, et le relais entre l’espace fictionnel _ que propose le film, et sa visée de « réalisme«  _ et l’espace réel _ censé être très évident, lui _ du spectateur.

N’ayant aucun rôle, il est tout entier dans sa fonction : se prêter au jeu de la représentation de toutes celles et de tous ceux _ dans le public des spectateurs, déjà, ainsi que les autres, dehors _qui se tiennent dans l’indétermination de leur inscription subjective. Le figurant nous demande de croire à la réalité d’où on l’a tiré quand, l’ayant quittée, il est introduit dans la fiction où on le fait opérer _ voilà _ au nom de cette réalité même.

Extrait de la foule ou du peuple, il en figure métonymiquement _ la partie pour le tout _ l’existence« , pages 289-290.

« « Figurant » est un participe présent dont la légitimité a besoin _ pour sa crédibilité anonyme _ de l’accord de tous. Le figurant devient représentant _ et Marie-José Mondzain d’analyser le devenir (symptomatique !) de certains individus quelconques (des John Doe ! selon Capra) au sein de la production cinématographique de la démocratie américaine... Ce participe présent désigne l’individu figurant, c’est-à-dire désigné comme image de tous, parce qu’il ne ressemble _ pas trop _ à personne.

L’effacement _ voilà _ de la personne implique que la subjectivation du peuple passe par la désubjectivation _ et anonymat subséquent _ de son figurant. Cette désubjectivation a son prix du côté des identifications idéales et du côté de l’effacement du peuple. (…) Le cinéma est par excellence la scène où se jouent les contradictions de cette incarnation, mais aussi où se déploient les combinaisons fictionnelles qui rendent cette incarnation possible ou impossible, digne de confiance ou frauduleuse. En ce sens, dans toute fiction, la place du figurant a une signification politique« , pages 290-291.

 

« La question du figurant entre donc en résonance avec la subjectivation du peuple et l’interrogation démocratique.

Il n’y a de figurant que dans la fiction ; le documentaire par définition ignore le figurant. Ce qui indique que le cinéma navigue nécessairement entre deux régimes fictionnels (…) ou plus précisément se situe au croisement de la trame et de la chaîne qui tissent un espace visuel commun _ réaliste, in fine. La trame serait la fiction inventée et filmée qui transporte le spectateur dans le territoire imaginaire d’un scénario. La chaîne serait l’ensemble de toutes les ressources du réel mises au service de la crédibilité du film. Le figurant serait comme la navette qui passe et repasse _ voilà _ sur le fond anonyme où il lui est demandé de faire office _ = image ! par délégation et incarnation convenue _ de réel. On demande à l’acteur de jouer et au figurant de faire « comme si ». Il est donc bien un messager chargé de faire communiquer _ à l’écran _ le réel et la fiction » _ in fine réaliste _, pages 291-292.

« Il en résulte que l’opération figurative du figurant est une opération politique qui fait advenir ensemble

le mode d’existence de toutes les foules

et, au cœur de ces foules, le mode d’existence de chaque sujet qui y trouve sa légitimité et la dignité de sa place. (…)

Le figurant figure le corps du peuple

en tant qu’il est témoin et juge de ce qui se passe en sa présence et même sous ses yeux ;

tout comme il peut incarner au cœur de la foule dont il fait partie, l’énergie politique parfaitement singularisée du peuple entier.

La place du figurant est indissociable de la place faite au spectateur. C’est en lui, pris isolément ou dans la foule, que se joue la place politique accordée au peuple« , pages 292-293

….

Voilà un des effets (disjonctifs !) du cinéma, parmi les apprentissages des divers processus de subjectivation (ou désubjectivation !) des personnes,

au sein de la « poursuite » de la vie, et des enjeux de « se trouver« , « ou pas » (= se gâcher et se perdre), d’accomplir, ou pas, ses possibles (et si possible les meilleurs, les plus épanouissants, entre continuité et suspens, et au milieu et avec les autres…

De superbes analyses concernent aussi le rapport à l’altérité et à l’accueil (ou pas !) de l’hétérogénéité _ et les dangers des fictions transcendantistes et solipsistes (des fondamentalismes)…

Quant au chapitre 2, « Chasses » (pages 125 à 280), consacré à l’analyse de la poursuite en tant que telle (au cinéma),

il nous livre, du moins particulièrement à mon goût, quatre magistrales analyses de films :

aux pages 149 à 163, celle des Oiseaux d’Alfred Hitchcock ;

aux pages 235 à 254, celle de Gerry, de Gus Van Sant ;

aux pages 271 à 280, celle de La Nuit du chasseur, le chef d’œuvre de Charles Laughton ;

et pages 208 à 217, celle, très impressionnante, de Tropical Malady, d’Apichatpong Weerasethakul :

« Dans les films de Weerasethakul, nous sommes fauves ténébreux, vache immaculée, revenant simiesque, spectre canin, poisson érotique, etc. C’est toute l’histoire de la vie et celle des espèces qui s’incarne _ = prend image ;

là-dessus cf aussi les lumineuses remarques sur l’incarnation de Jésus, et la fonction de la Vierge Marie ; la kenôsis et la sarkôsis… : « Paul de Tarse trouva les mots qui désignaient le dessein de l’image. Lorsque Dieu se fit homme, dit-il, et qu’il « condescendit » (synkatabainein) à devenir mortel, il se vida (ékénôse). La kénôse (kenôsis) fait entendre la vacuité de l’image. La Vierge est pleine de grâce car l’image dont elle est porteuse est vide de matière. La matrice est diaphane, elle aussi a la transparence des bulles«  ; et aussi : « Le « devenir image » qui fait de Dieu une figure humaine a permis l’invention d’un mot : « incarnation«  (sarkôsis). (…) Dans la pensée chrétienne, incarner signifie devenir image, image visible. Décider que l’image invisible se fait voir en gardant sa nature d’image transitant dans un corps dont il se sépare en mourant tout en gardant sa visibilité.

On gardera le mot « incarnation » pour dire que tel corps incarne à l’écran, au théâtre ou ailleurs. Ce qui ne signifie pas que ce corps personnifie. Celui qui personnifie se veut seule figure possible dans son rôle. Celui ou celle qui incarne fait vivre l’intensité d’un possible qui suscite l’infinité de tous les autres possibles« , pages 83 à 85 _

C’est toute l’histoire de la vie et celle des espèces qui s’incarne _ fait image _ dans la mémoire du monde, mémoire inscrite mystérieusement dans le corps de chacun de nous. Weerasethakul filme nos mémoires d’outre-tombe« , page 217.

Et, page 214 : « Filmer est aussi un acte de métamorphose qui s’attaque à la discursivité et à la continuité des récits pour faire advenir dans les images les figures simultanées de la contradiction, de la réversibilité du temps, de la confusion des genres, de l’immanence des spectres dans la chair des vivants, de la parole animale face au silence humain, de l’éclat lumineux de la nuit, de l’éloquence du vent.

Le cinéma viendrait-il dans la modernité de notre monde occuper la place d’un rite, pour remplir la fonction chamanique _ voilà _, et négocier dans le sombre éclat des salles obscures nos relations avec les divinités de l’amour et de la mort ?

Tout le cinéma de Weerasethakul en témoigne (…).


Le cinéma est une industrie hallucinatoire

qui ne cesse de nous faire commercer avec les morts« 

Bref, ce travail _ de tissage et dé-tissage (à la Pénélope ?) : concernant la source nourricière surabondante des « opérations imageantes« , leur suivi, leur suspens, leurs nouages _ est merveilleusement fécond !!!


Et constitue pour le lecteur une expérience (de lecture-analyse) dont il a du mal à s’arracher, tellement la méditation _ dense et toujours magnifiquement éclairante _ de Marie-José Mondzain donne encore et encore à mieux penser : à décortiquer lumineusement la complexité de nouage de nos opérations humaines,

en commençant par les « opérations imageantes » :

à suivre…

Titus Curiosus, le 26 octobre 2011

Les radieuses « Nuits d’été » d’Anne-Catherine Gillet _ ou la perfection de l’enchantement de la mélodie avec orchestre

24oct

Un admirable récital constitué des Nuits d’été (d’Hector Berlioz/Théophile Gautier), des Illuminations (de Benjamin Britten/Arthur Rimbaud) et de Knoxville : Summer of 1915 (Samuel Barber/James Agee), enchante depuis un bon mois _ et sans discontinuer _ notre platine…

Et cela par la grâce de la voix claire et merveilleusement intelligente de la soprano Anne-Catherine Gillet, et de l’Orchestre Philarmonique Royal de Liège, sous la direction raffinée de Paul Daniel,

en un CD Æon AECD 1113 : de toute beauté !..

Outre la perfection de la composition _ pas seulement thématique ! loin de là… _ de ce programme, et l’enchantement poétique de cette interprétation si fine et à pareil degré de grâce !,

il faut noter le parfait rendu de l’inspiration mélodique unissant le génie des poésies _ la sensualité un brin mélancolique (dans la seule distance du souvenir !) de la chair poétique (pleine !) de Théophile Gautier, est idéalement sensible ici... _ élues

et l’art de la mélodie de ces trois compositeurs : je noterai que Britten comme Barber ont su retenir (et exalter !) quelque chose du génie de l’art français _ de la mélodie, donc _ d’Hector Berlioz…

Bien sûr, nous nous souvenons de la voix crémeuse magique et de la diction de la sublime Régine Crespin, de même que de la capacité non moins sublime d’incarnation rayonnante (!) de Janet Baker, ne serait-ce, déjà, que dans les berlioziennes Nuits d’été,

mais la clarté lumineuse de la voix et de l’art de chanter d’Anne-Catherine Gillet règne aussi sur ces cimes…

Nous ne sommes pas près de l’oublier, désormais…

Et ce chef d’œuvre absolu que sont Les Illuminations de Barber/Rimbaud achève en apothéose le bouquet d’enchantement de ce parfait récital…

Soit, aussi, la perfection de la mélodie.


Titus Curiosus, ce 24 octobre 2011

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