Archives du mois de décembre 2015

L’hommage du Monde (et Renaud Machart) à Jacques Merlet, le jour même de son décès, le 2 août 2014

11déc

En avant première aux deux hommages au grand Jacques Merlet que Marcel Pérès rendra à Bordeaux

demain samedi 12 décembre _ par un entretien avec moi-même, Francis Lippa _ au 91 de la rue Porte-Dijeaux, à la librairie Mollat, à 16 heures ;

et après-demain dimanche 13 décembre _ par un concert avec orgue, clavecin, etc. _ à l’église Saint-Paul, 22 rue des Ayres,

et en plus du rappel de mon article du mois d’août 2014 Tombeau de Jacques Merlet en son idiosyncrasie _ à un grand bordelais

je me permets de rappeler ici le très bel hommage que Renaud Machart rendit dans le journal Le Monde le jour même du décès de Jacques, le 2 août 2014 par l’article magnifique que voici.

Mort de Jacques Merlet, producteur à France Musique


Le Monde.fr | 02.08.2014 à 17h09 • Mis à jour le 04.08.2014 à 15h20 |
Par Renaud Machart

Le producteur de radio Jacques Merlet qui fut, sur France Culture et France Musique, l’un des acteurs les plus importants du mouvement en faveur de la musique et des orgues anciennes, est mort à Paris, le 2 août, des suites d’une maladie respiratoire. Il avait 83 ans.

Sa carrière sur les ondes de Radio France, où il officiait depuis plus de trente ans, avait été interrompue brutalement par une attaque cérébrale survenue à Lyon, après un concert, en novembre 2000. Privé d’une partie de ses mouvements et de la parole, Jacques Merlet laissait orphelins des milliers d’auditeurs qui adoraient ses émissions pleines de fantaisie, d’imprévu, de coups de gueule et de blagues à ne pas mettre entre toutes les oreilles.

GOÛT DE LA NOUVEAUTÉ

Ce bon vivant à l’optimisme inébranlable était parvenu à se rééduquer partiellement, à l’aide du professeur Philippe van Eeckhout, orthophoniste attaché au Groupe hospitalier Pitié-Salpétrière, à Paris, qui lui sera fidèle jusqu’à la dernière heure. Il était même parvenu à prononcer un beau discours lorsque les insignes de l’Ordre des Arts et des Lettres lui avait été remis par le ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon en janvier 2003. Mais une deuxième attaque, en 2005, devait réduire à néant les énormes progrès faits en compagnie du médecin et avec le soutien de ses nombreux amis musiciens qui lui faisaient de fréquentes visites dans les établissements où il avait été soigné.

Né le 5 décembre 1931, à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), Jacques Merlet se distingue par son goût de l’aventure et de la nouveauté. Son amie France Debès, qui fut sa belle-sœur, résumera joliment sa personnalité dans un discours prononcé lors de son intronisation par la Confrérie de la lamproie, en 1998 :

« Sa passion première est la découverte, la seconde étant de faire partager ses trouvailles. »


Merlet s’intéresse très tôt à l’orgue, étudie l’organologie et fréquente l’enseignement d’Olivier Messiaen. C’est grâce à la radio que Jacques Merlet peut agir en passeur de passions, se mettant au service d’une génération de musiciens spécialisés dans la musique ancienne qu’on surnommera plus tard les « baroqueux » (un terme qu’il n’aimait d’ailleurs guère).

SES ÉMISSIONS, DE VÉRITABLES UNIVERSITÉS POPULAIRES

Son soutien sera essentiel en un temps où la pratique des instruments anciens était encore une sorte de dissidence maquisarde, boudée par les institutions et le gotha de la musique classique. Il est peu de musiciens, aujourd’hui parfaitement établis à l’échelle internationale, tels Jean-Claude Malgoire, William Christie, Jordi Savall ou Philippe Herreweghe – et tant d’autres, vivants ou disparus –, que Jacques Merlet n’aura pas repérés dès leurs débuts et immédiatement promus à l’antenne de France Musique. L’homme faisait transporter les micros de sa chaîne partout où il lui semblait que le talent s’exprimait.

Comment oublier ses « directs » de Saintes, l’été, ou à Pâques, pour un concert de leçons de Ténèbres des Arts florissants ? Ses veillées de Noël avec son complice érudit Jean-Yves Hameline, ses conversations excentriques avec le claveciniste Scott Ross ? Ses « Matins des musiciens » au cours desquels la soprano Sophie Boulin expliquait en direct l’art des ornements dans les airs de cours français ?

Merlet pouvait aussi aussi bien parler de musique du Moyen Age que de la Renaissance, mais sa passion était l’époque baroque. Il contribuera beaucoup à faire connaître le catalan Jordi Savall, dont les premiers enregistrements de la musique pour viole de gambe de Marin Marais n’avaient pas encore gagné la discothèque de millions d’auditeurs que le film Tous les matins du monde (1991), d’Alain Corneau, d’après le livre de Pascal Quignard, allait lui apporter. Ces émissions étaient une véritable université populaire, alors que les conservatoires français ne reconnaissaient pas encore cette pratique et étaient loin d’admettre en leur sein les départements de musique ancienne qu’ils abritent aujourd’hui.

FIGURINES DES SCHTROUMPFS

Ne se reposant sur aucun laurier – ne se reposant d’ailleurs guère et enchaînant les reportages et enregistrements –, Jacques Merlet délaissait vite les « anciens » pour les plus jeunes générations, pour qui sa curiosité était toujours en éveil. Il les recevait chez lui, dans son grand atelier de peintre de la rue Jouffroy, à Paris, où les milliers de disques, de livres, d’objets rapportés de ses nombreux voyages constituaient une étonnante caverne d’Ali Baba. Les jeunes confrères de la presse ou de la radio étaient aussi conviés avec les amis de toujours, et c’était autour de la table de sa cuisine (où, sur le haut d’une armoire, trônait une armée de figurines des Schtroumpfs !) que l’homme de radio, excellent maître queux, régalait cette joyeuse compagnie de mets du Sud-Ouest largement arrosés de crus gouleyants.

Combien de fois n’est-il pas allé présenter à l’antenne sa rituelle cantate de Bach du dimanche matin après avoir dormi quelques petites heures seulement ? Et le déjeuner pantagruélique qui suivait l’émission se terminait souvent à l’heure du souper ! Certes, Jacques Merlet avait un appétit – et un physique – d’ogre, mais, ainsi que l’a écrit Télérama, en 1998, l’homme avait avant tout « un appétit d’orgue ». Car son nom restera légendairement attaché au milieu organistique et, plus précisément, à celui des orgues anciennes. A France Culture d’abord, à la fin des années soixante, puis à France Musique, il a produit des centaines d’émissions dévolues à des instruments rares, oubliés, menacés de disparition ou de restauration désastreuse.

POIL À GRATTER

Véritable poil à gratter de ce milieu encombré de querelles de chapelle, Jacques Merlet ne cessera de se battre pour le respect des instruments, dont tant d’exemples avaient été massacrés par des restaurations indignes. Sillonnant la France (mais aussi l’Espagne, un pays et une culture qu’il adorait), toquant à la porte des responsables publics, dénonçant les basses-œuvres et trompettant les hautes réussites, il aura fait beaucoup pour la cause organistique.

Ami des meilleurs facteurs, spécialistes et interprètes (Xavier Darasse, Michel Chapuis, Francis Chapelet, etc.), il découvrait vite les talents à peine éclos, tels celui de Jean Boyer, qu’il enregistre pour la radio alors que le jeune organiste est fraîchement majeur, ou, plus récemment, Benjamin Alard ou Serge Schoonbroodt, entre autres musiciens qu’il aura aidés et promus.

JOUEUR D’ORGUE AMATEUR

Jacques Merlet jouait aussi de l’orgue en amateur et improvisait aux claviers entre deux séances d’enregistrement faites directement au Nagra ou avec le concours de ses réalisateurs Périne Menguy, Marianne Manesse, Geneviève Douel, Rosemary Courcelle, Chantal Barquissau, François Bréhinier et Michel Gache qui suivaient à grands pas cet infatigable et imprévisible Wanderer sur les routes de France et de Navarre.

En avril, au rez-de-chaussée de la Villa Lecourbe, la maison de repos parisienne où il résidait, une fête avait été organisée à laquelle participaient beaucoup de ses amis musiciens devant le personnel soignant, médusé de voir autant de monde réuni. Après avoir écouté ses amis Florence Malgoire, Laurent Stewart et Benjamin Alard jouer, Jacques Merlet avait fini par se saisir de son orgue électronique et improviser, à demi-couché sur une chaise roulante, une polyphonie faite de dissonances furieuses et de fragments de faux plain chant. L’homme avait perdu la parole, mais la musique, décidément, ne l’avait jamais quitté.

Renaud Machart

Jacques Merlet demeure à jamais vivant par tous les fruits de ses œuvres,

tant du côté des artistes-musiciens qu’il a considérablement aidés à faire connaître et aimer de par le monde,

que du côté des mélomanes, dont il a formé si excellemment le goût _ et la curiosité de découvrir tant de vraies beautés musicales.

Et artistes-musiciens comme mélomanes, nous lui sommes _ et demeurons _ fidèlement reconnaissants.

Et faut-il ajouter que Bordeaux doit bien davantage que ces deux humbles hommages de décembre 2015, à la librairie Mollat et à l’église Saint-Paul,

à cet immense bordelais que fut _ et qu’est, à jamais _ Jacques Merlet ?..

Titus Curiosus, le 11 décembre 2015

P. s. :

de Renaud Machart, on peut aussi écouter les podcasts des 5 superbes émissions de France-Musique des 2728293031 octobre 2014 : Jacques Merlet In Memoriam, qui nous offre de ré-entendre la voix et les enthousiasmes de cet immense passeur d’enthousiasmes que fut Jacques Merlet…

Et au final de la cinquième de ces émissions,

Renaud Machart ne manque pas de remercier l’aide que lui ont apportée à la conception de cet hommage radiophonique France Debès, Irène Bloc, Sylvia Gomez-Vaez. Grâce leur soit à elles aussi rendue…

 

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