Archives du mois de décembre 2017

A méditer pour réfléchir sur les mésusages idéologiques de la littérature (et des Arts)

24déc

Pour donner à méditer sur des brouillages malencontreux entre Art et idéologie, entre littérature et communication,

voici _ et tels quels, sans nulle farcissure de ma part _ deux articles donnant _ à chacun _ à penser _ par devers soi, davantage qu’à polémiquer en place publique _ :

Sur littérature et communication.

Ces deux articles d’André Markowicz et de Bernard Chambaz

https://m.facebook.com/andre.markowicz/posts/2053869254825376

André Markowicz : « Aux Invalides, c’était juste la vieille droite »


Qu’a fait Jean d’Ormesson, à part avoir « bien écrit », pour qu’un hommage national lui soit rendu ? Dans une tribune au « Monde », le traducteur et poète s’interroge sur le geste politique d’Emmanuel Macron.

LE MONDE | 11.12.2017 à 11h01 • Mis à jour le 11.12.2017 à 11h25 | Par André Markowicz (Traducteur et poète)

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/11/andre-markowicz-aux-invalides-c-etait-juste-la-vieille-droite_5227896_3232.html#f5OMvy0qjW3BH2iO.99

Ca avait commencé le jour d’avant. J’avais vu passer une déclaration de Françoise Nyssen, mon éditrice, une personne que je connais depuis plus de vingt-cinq ans, qui disait qu’il serait bon de rendre un hommage national à Jean d’Ormesson et à Johnny Halliday. Sur le coup, j’ai cru que ça devait être un hommage conjoint, dans la même fournée, et j’ai pensé _ qu’elle me pardonne _ qu’elle déraillait. Et bon, vous savez comme c’est, il y a plein de choses qui se passent en l’espace d’une heure, j’ai oublié cette déclaration, j’avais d’autres choses à faire.

Quand un ami m’a dit qu’un hommage national serait rendu à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday, j’ai cru qu’il me faisait marcher. Mais non, c’était vrai. Quand, ensuite, on m’a dit que l’hommage à Jean d’Ormesson lui serait rendu aux Invalides, j’ai eu peine à y croire, mais non, pas de doute, là encore, c’était vrai.

J’avoue d’emblée que je n’ai jamais pu lire trois pages d’affilée des livres de Jean d’Ormesson – je le dis sans trop de honte. J’en ai feuilleté quelques-uns, sur les tables de libraires, et c’était toujours, comme on dit en français (et seulement en français) « bien écrit ». Quand je traduisais Les Démons, de Dostoïevski, je voyais se profiler des auteurs comme d’Ormesson derrière la figure de l’écrivain Karmazinov, qui, de fait, « écrit bien », et termine son œuvre en disant « merci ». D’Ormesson, lui, c’est par ça qu’il avait commencé : Au revoir et merci… Merci à ses lecteurs, merci à l’existence et à qui vous voulez – il était très content. Ça fait toujours plaisir de voir un homme content. J’ai toujours pensé qu’il était l’exemple parfait de « petit maître », issu d’une tradition bien française qui date du XVIIe siècle.

Bref, pourquoi d’Ormesson ? Et pourquoi aux Invalides ? Malraux avait eu droit à un tel hommage, mais Malraux avait été ministre, c’était une figure du siècle ; pareil, d’une autre façon, pour Césaire (au Panthéon). Mais qu’avait-on fait à la mort de Claude Simon, de Samuel Beckett et même d’Yves Bonnefoy ?

« Génie national »

Quand j’ai écouté le discours d’Emmanuel Macron, les choses se sont mises en place. C’était un beau discours, un discours littéraire, qui multipliait les citations, un hymne à « ce que la France a de plus beau, sa littérature »… Un discours mimétique, aussi : on aurait dit que le président de la République française se livrait à un pastiche du style de d’Ormesson pour prononcer son éloge funèbre,

La suite de l’article d’André Markowicz, ici :
https://m.facebook.com/andre.markowicz/posts/2053869254825376

Ou ici.


Tribune.

Mireille aux Invalides.
Macron, d’Ormesson et Johnny, images de la France.

Ça avait commencé le jour d’avant. J’avais vu passer une déclaration de Françoise Nyssen, mon éditrice, une personne que je connais depuis plus de ving-cinq ans, qui disait qu’il serait bon de rendre un hommage national à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday. Sur le coup, j’ai cru que ça devait être un hommage conjoint, dans la même fournée, pour ainsi dire, et j’ai pensé, — qu’elle me pardonne — qu’elle déraillait. Et bon, vous savez comme c’est, il y a plein de choses qui se passent en l’espace d’une heure, j’ai oublié cette déclaration, j’avais d’autres choses à faire.

Quand un ami m’a dit qu’il y aurait un hommage à Jean d’Ormesson aux Invalides, j’ai cru qu’il me faisait marcher. Bon, je l’avoue d’emblée, je n’ai jamais pu lire trois pages d’affilée de ses livres — et dire que je suis mort de honte à l’avouer serait mentir. J’en avais feuilleté quelques-uns, sur les tables de libraires, et c’était toujours, comme on dit en français (et seulement en français) « bien écrit », comme si ça voulait dire quelque chose, de bien écrire, pour un écrivain. Mon ami Armando, à la Sorbonne, faisait ça : il regardait systématiquement les premières pages des romans sur les tables des libraires, et il livrait son jugement : « Oui, c’est pas Dante ».

Et donc oui, oui, oui, Jean d’Ormesson écrit bien. Il a une « belle langue ». Et non, Jean d’Ormesson, ce n’est pas Dante. Quand je traduisais « les Démons », ce sont des gens comme d’Ormesson qui m’ont servi d’images pour la figure de l’écrivain Karmazinov, qui, de fait, « écrit bien », et qui finit son œuvre en disant « merci ». Merci à ses lecteurs, merci à l’existence, merci à qui vous voulez — qui finit très content. Parce que c’est vrai que c’est très important, d’être content dans la vie. Parce que ça fait plaisir à tout le monde. D’abord à ceux qui vous lisent, et ensuite à soi-même. Et donc, bon, j’ai toujours pensé qu’il était, au mieux, l’exemple parfait du « petit maître », issu d’une tradition, là encore, bien française, qui date du XVIIe. C’est vrai, du coup, il représente une « certaine image de la France » — d’une certaine tradition française de la littérature, ridicule pour toute l’Europe depuis le romantisme — et qui n’est pas moins ridicule aujourd’hui.

Ce n’était pas une blague. Il y a eu un hommage aux Invalides. Pourquoi aux Invalides ? Est-ce que d’Ormesson avait, je ne sais pas, accompli des actes héroïques au service de la France, ou est-ce qu’il avait été victime du terrorisme ? Etait-il une figure de l’ampleur de Simone Veil ? Et quel écrivain français a été l’objet d’un tel hommage avant lui ? — Il y avait eu Malraux, je crois. Mais Malraux avait été ministre, il était une figure du siècle. Mais qu’a-t-on fait à la mort de Claude Simon ou de Beckett ou, je ne sais pas, celle de Francis Ponge ou de René Char, sans parler de Foucault, de Barthes ou de Derrida — et même d’Yves Bonnefoy ? — Il y a eu des communiqués de l’Elysée (ce qui est bien normal), mais jamais un hommage aux Invalides, c’est-à-dire un hommage de la République, en présence, qui plus est, des deux anciens présidents de la République encore ingambes que nous avons, à savoir Nicolas Sarkozy et François Hollande. — Qu’est-ce que ça veut dire, qu’on rende hommage à d’Ormesson de cette façon ? C’était ça, ma question.

Et puis, j’ai écouté le discours d’Emmanuel Macron. Et là, les choses ont commencé à se remettre en place : non, Françoise Nyssen n’avait pas déraillé du tout. Elle avait exprimé l’idée. Parce que ce discours est un moment majeur, pas seulement pour d’Ormesson, ou, plutôt, pas du tout pour d’Ormesson, mais pour la vision à long terme de la présidence de Macron — pour sa vision de la France. De sa France à lui.

Objectivement, c’était un discours formidable. Un discours littéraire, qui multiplie les citations, qui est un hymne à « ce que la France a de plus beau, sa littérature »… Un discours formidable aussi parce que mimétique : on aurait dit que Macron (ou Sylvain Fort, mais ça n’a aucune importance — en l’occurrence, c’est Macron, je veux dire le Président de la République française) faisait un pastiche proustien du style de d’Ormesson lui-même pour prononcer son éloge funèbre, en construisant, avec des imparfaits du subjonctifs gaulliens (et grammaticalement indispensables) un éloge de la clarté, qualité essentielle du « génie national». Et puis, j’ai entendu cette phrase : « La France est ce pays complexe où la gaieté, la quête du bonheur, l’allégresse, qui furent un temps les atours de notre génie national, furent un jour, on ne sait quand, comme frappés d’indignité. »

Dites, — comment ça, « on ne sait pas quand » ? Si, on sait parfaitement quand : d’abord, — non pas en France, mais dans l’Europe entière, au moment du romantisme, et de la Révolution française. Quand, d’un seul coup, c’est le monde qui a fait irruption dans les livres, et pas seulement dans la beauté des salons. C’est le moment du grand débat entre Racine et Shakespeare, oui, dans l’Europe tout entière. Et la remise en cause de la « légèreté comme génie national de la France », c’est, par exemple, tout Victor Hugo. Et puis, il y a ce moment de désastre, d’éblouissement qui reste, jusqu’à nous, une déchirure « irréfragable », selon le beau mot employé par Macron, le moment de Rimbaud — qui trouve la légèreté verlainienne, sublime, à la limite extrême de l’indicible, et la transforme en cette légèreté atroce et impensable, « littéralement et dans tous les sens », des « Derniers vers », et qui le laisse dévasté, Verlaine, et qui s’en va, en nous laissant, oui, aujourd’hui encore, nous tous qui parlons français, béants et bouleversés : et c’est après la catastrophe de Rimbaud que viendra, par exemple, celle d’un poète comme Paul Celan (qui lui est si proche).

Emmanuel Macron a cité les amis de Jean d’Ormesson : Berl, Caillois, Hersch, Mohrt, Déon, Marceau, Rheims, Sureau, Rouart, Deniau, Fumaroli, Nourissier, Orsenna, Lambron ou Baer… — Bon, Orsenna… 


Hersch… C’est Jeanne Hersch ? Et Sureau, c’est François Sureau (dont j’apprends qu’il écrivait les discours de Fillon) ? Et les autres… Berl, Mohrt, Déon, Marceau, Rheims, Rouart, Fumaroli, c’est, de fait, « une certaine idée de la France », — une idée dont je ne pourrais pas dire qu’elle est franchement de gauche. C’est de cette longue lignée dont parle le Président pour peindre, aux Invalides, dans le cadre le plus solennel de la République, la France qu’il veut construire. Et il le fait sans avoir besoin de dire l’essentiel, qui est compris par toute l’assistance : nous sommes dans le cercle du « Figaro », dans le cercle — très ancien — de la droite française la plus traditionnelle, celle des « Hussards », des nostalgiques de l’aristocratie. Parce qu’il faut bien le dire, quand même, non ? — la « légèreté » de Jean d’Ormesson, c’était quand bien ça qu’elle recouvrait : la réaction la plus franche — même si Dieu me préserve de mettre en cause son attachement à la démocratie parlementaire. —

Michel Mohrt, Marceau (Félicien, pas Marcel…), Michel Déon, Paul Morand, toute, je le dis, cette crapulerie de l’élitisme de la vieille France, moi, je ne sais pas, ça ne me donne pas l’image d’une France dans laquelle je pourrais me reconnaître.

L’impression que j’ai, c’est que par l’intermédiaire de Jean d’Ormesson, le Président rendait hommage à cette France-là, en l’appelant « la France », et c’est à propos de cette France-là qu’il parlait de son « génie national ». Et sans jamais employer de mot de « réaction », ou le mot « droite ».

Les Invalides, c’était pour ça. Pour dire la France dans laquelle nous vivons, maintenant que la gauche n’existe plus. Depuis qu’il n’y a plus que la droite. Dans cette légèreté des beautés esthétiques — et cela, alors même, je le dis en passant (j’en ai parlé ailleurs) que la langue française disparaît, en France même, par les faillites de l’enseignement, et, à l’étranger, par les diminutions drastiques et successives du budget alloué à l’enseignement du français. On le sait, la littérature, la beauté, c’est, je le dis en français, l’affaire des « happy few ».

Et puis, pour les « unhappy many », le lendemain, c’était l’hommage à une autre France, celle des milieux populaires, celle, censément, de Johnny Hallyday. Les deux faces du même.— En deux jours, les deux France étaient ainsi réconciliées par une seule voix, jupitérienne, celle des élites et celle du peuple. Je ne dirai rien de ce deuxième hommage, je ne me reconnais ni dans d’Ormesson, ni dans Johnny (que j’avais vu très grand acteur avec Godard). Mais paix à l’âme de Johnny, que la terre, comme on le dit en russe, lui soit « duvet », qu’elle lui soit, c’est le cas de le dire, « légère ».

Il y a eu deux hommages, un appel aux applaudissements dans le second, un silence grandiose à la fin du premier, et, moi, parmi les citations du Président, il y a en une sur laquelle j’ai tiqué, parce que, vraiment, je n’arrivais pas à la situer (je dois dire que je ne me souvenais pas de celle de « La Vie de Rancé », mais qu’elle est grande !..). Non, à un moment, Macron parle de Mireille.

« C’est le moment de dire, comme Mireille à l’enterrement de Verlaine: «Regarde, tous tes amis sont là

C’est qui, Mireille ? Dois-je avoir peur d’afficher mon inculture ? J’ai fouillé tout Paul Fort (enfin, pas tout…), il y a un poème célèbre qui devenu une très belle chanson de Brassens sur l’enterrement de Verlaine (Paul Fort y avait assisté)… et pas de Mireille. Je demande autour de moi, je regarde sur Google, il y a une autre chanson de Paul Fort, à « Mireille, dite Petit-Verglas », — mais, là encore, cette citation n’y est pas. Est-ce une espèce de condensé d’une citation de Brassens ? Sur le coup, dans ma naïveté, je me suis demandé s’il ne voulait pas parler de Mireille, vous savez, qui avait fait « le petit conservatoire de la chanson » à l’ORTF… Je me demande d’ailleurs si le jeune Johnny n’est pas passé chez elle. — Je plaisante. Et puis, Mireille, même si quand j’étais enfant, elle était vieille, elle n’était pas vieille à ce point-là. Donc, je ne sais pas qui est Mireille.

Je me demande ce qu’elle vient faire, cette Mireille, aux Invalides pour dire « tous tes amis sont là »… Si c’est une bourde (je ne vois pas laquelle), ou si, d’une façon plus bizarre, ce n’est pas comme une blague, procédé bien connu parmi les potaches, de fourrer au milieu d’une vingtaine de citations véritables, une citation totalement débile, que personne ne remarquera, histoire, justement, de ne pas se faire remarquer, parce qu’il ne faut pas dire que le roi est nu. — De mon temps, des copains khâgneux avaient fait une série de références à la pensée héraclitéenne de Jacob Delafond, auteur d’un « Tout s’écoule ». C’était, de la part de ces jeunes gens, un signe de mépris envers leur prof. De quoi serait-ce le signe ici ?…

Quoi qu’il en soit, cette Mireille, aux Invalides, elle participe à la construction de l’image de la France du président Macron. — Non, non, notre roi n’est pas nu. Il porte les habits de la « vieille France ». Ils sont très beaux. Ils sont très vieux. Mais ce ne sont pas ceux des grands auteurs du classicisme, — ce sont plutôt ceux des petits marquis.

Et puis, enfin, bizarrement, je ne sais pas comment dire : j’ai le cœur serré en pensant à Verlaine.

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Bernard Chambaz : « Alors, d’où vient Mireille ? »

Dans une tribune au « Monde », l’écrivain revient sur l’analyse de l’hommage d’Emmanuel Macron à Jean d’Ormesson du traducteur et poète André Marcowicz.

LE MONDE | 12.12.2017 à 18h19 • Mis à jour le 12.12.2017 à 18h21 | Par Bernard Chambaz (Ecrivain)

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Tribune.

Mireille m’avait échappé. André Markowicz l’a sortie pour moi de l’ombre dont les Invalides ne l’avaient pas sauvée.

Au cas où Mireille serait encore dans les limbes, le peu que j’aurais à en dire est ceci : Mireille n’est pas Mireille, mais Eugénie Krantz, dite Nini-Mouton, moitié mondaine moitié artiste de music-hall. Après l’enterrement de Verlaine (1844-1896), elle vendra ses porte-plumes sinon ses crayons, beaucoup de porte-plumes, et même plusieurs fois son dernier encrier. Je crois qu’elle n’a pas dit « tous tes amis sont là » mais « tous les amis sont là », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Accessoirement, elle ne l’a pas dit d’une voix posée, mais elle l’a crié pour qu’on l’entende, qu’on sache que c’était bien elle qui détenait l’héritage. C’est seulement en fin d’après-midi, après la cérémonie officielle, que Philomène Boudin qui aimait vraiment Verlaine est venue déposer son petit bouquet de violettes au pied d’une montagne de rubans.

Il paraît qu’Eugénie était plutôt désagréable, le teint rougeaud, le visage ridé, « les yeux petits et méchants ». Peu importe, Verlaine la considérait comme sa « presque femme » et il habitait chez elle, rue Descartes. Le soir, ils s’étaient disputés. Elle avait crié plus fort que lui, elle ne l’avait pas relevé quand il était tombé du lit, elle s’en était allée, et il avait passé la nuit à se mourir à moitié nu sur le plancher gelé.

Fadaises

Sa tombe à lui est aux Batignolles. Depuis la Contrescarpe, ça fait une trotte, mais heureusement il y a des escales. Une messe basse par un froid de canard à Saint-Etienne-du-Mont, le premier Rossignol national veillé par une garde d’honneur avant qu’il ne reçoive l’hommage des clochards et des pierreux. Un adieu devant le Panthéon, une halte à côté de l’Opéra, le cortège battant la semelle derrière le corbillard « tout argenté de glaçons ». On peut parier que les sept discours sur sa tombe, il les a trouvés longs et que c’étaient des fadaises.

Alors, d’où vient Mireille ? A relire la nomenclature sempiternelle du discours, j’ai vu soudain passer le nom de Berl (1892-1976). On sait que son prénom est Emmanuel ; et je me suis rappelé qu’il avait eu une belle histoire d’amour avec Mireille, la chanteuse. Avec les préparatifs pour la Madeleine à la gloire de Johnny, on peut imaginer que la boucle était bouclée.

Franchement n’y-a-t-il pas un peu d’indécence à enrôler Verlaine dans ce compliment ?
Ce serait l’occasion ou jamais de rappeler le salut adressé par Léon Bloy (1846-1917) à « cet indigent qui avait crié merci dans les plus beaux vers du monde ».

Bernard Chambaz a notamment reçu le prix Goncourt du premier roman en 1993 pour L’Arbre de vies (F. Bourin). Il est l’auteur, entre autres, de 17 (Seuil, 144 pages, 15 euros) et d’A tombeau ouvert (Stock, 2016).

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A porter sereinement au débat…

Titus Curiosus, ce dimanche 24 décembre 2017

 

Lire, vraiment lire, ce chef d’oeuvre qu’est « Enfance, dernier chapitre », de René de Ceccatty

12déc

Quand j’ai commencé _ à peine ! une unique phrase… _ mon article du 31 juillet dernier Les chemins indirects de l’enfance en sa singularité : une recherche exigeante et passionnée de René de Ceccatty à propos de ce chef d’œuvre absolu _ oui ! _ qu’est Enfance, dernier chapitre, de René de Ceccatty (riche de 432 pages, aux Éditions Gallimard),

je ne soupçonnais pas que mes lectures-relectures successives de ce si riche récit _ je ne les compte pas _, puis mes échanges de mails avec René de Ceccatty,

dureraient quasiment six mois _ mais oui !.. _, et seraient d’une telle fécondité ; et pas que littéraire : mieux encore, amicale…

Et que lire, après un tel chef d’œuvre _ et c’est très froidement que j’assume devant quiconque de par le monde, Paris compris, ce jugement serein et tout à fait argumenté de chef d’œuvre, de la part du lecteur attentif et scrupuleux que je suis, tout enthousiaste que je puisse paraître (et suis) en ma lecture, et chaleureux dans la vie _,

et afin de _ mais oui ! _ m’en sevrer ?

Ainsi, viens-je de lire, hier après-midi, les 25 premières pages de Classé sans suite, de Claudio Magris _ un auteur dont l’œuvre m’est chère _ :

eh bien !, à côté de la « vie » tellement vibrante et nourrie

_ à presque chaque ligne, telle une surprise, un renvoi

(ainsi, par exemple, à la page 306, René de Ceccatty évoque-t-il « le cérémonial secret _ musical, celui du gagaku _ qui accompagne une télétransportation«  au Japon ; et je retiens ce mot ; et m’avise aussitôt qu’il me faut absolument citer en entier ce passage proprement sublime :

« Vite, vite ! Il ne reste plus _ chez lui, René, à Montpellier _ que quelques centimètres de soleil sur un coin de table, sur le pan d’un volet replié sur le balcon, dans les plis d’un rideau.

Mais, grâce à Dieu, le mauve _ du ciel hivernal _ continue à triompher _ voilà ! « Triompher«  est le mot qui magnifiquement convient ! Et le verbe « continuer«  rend grâce, lui, à ce qui dure (un peu), mais aussi fidèlement se renouvelle, à travers la diversité, parfois très grande, et des temps et des lieux, fort divers pourtant, comme si tous ces lieux et temps s’entr’appelaient directement les uns les autres, et se mettaient à dialoguer entre eux tous, avec cependant aussi, nécessairement, forcément, quelque témoin fidèle, lui aussi, qui soit à même de témoigner de ce dialogue magique ! passant à l’occasion par lui, aussi. Comme ici : par la remémoration de la sensibilité (« intérieure« ) et surtout l’écriture de l’auteur, et le pouvoir de sa magie, miraculeusement trouvée : comme ici… _

au-dessus des cyprès méditerranéens de la cour.

Nous sommes _ et nous lecteurs avec, plongés et immergés _ dans la merveilleuse lumière hivernale du Languedoc

_ celle qu’a aussi si bien su saisir le pinceau du montpelliérain Frédéric Bazille (8-12-1841 – 28-11-1870) dans ses merveilleux La Robe rose, en 1864, et Vue du village, en 1868 (il s’agit du village de Castelnau-le-Lez, en face de la propriété familiale des Bazille, le Domaine de Méric) :

 …
Voir aussi, toujours saisie au domaine familial de Méric, face à Castelnau-le-Lez, mais clairement en été, cette fois, et non plus en hiver, sa justement célèbre très belle Réunion de famille, en 1867 : quel chef d’oeuvre encore !
Résultat de recherche d'images pour "Frédéric Bazille"
mais, cette « merveilleuse lumière hivernale du Languedoc« , que n’a pas su saisir, en 1854, Gustave Courbet, en son bien connu Bonjour, Monsieur Courbet, un tableau conservé au Musée Fabre de Montpellier _,
Gustave Courbet - Bonjour Monsieur Courbet - Musée Fabre.jpg
Nous sommes _ et après ces superbes images de Bazille, nous donnant à nous perdre (flotter, baigner) à notre tour dans le « triomphe du mauve«  bleu pervenche de ce doux, et un peu mélancolique aussi, ciel hivernal languedocien,
je reprends donc ici l’élan de la phrase de René de Ceccatty _ ;
nous sommes _ plongés et immergés, donc _
dans la merveilleuse _ voilà qui est parfaitement reconnu, et loué ! : en une action de grâce idéalement adéquate… _ lumière hivernale du Languedoc,
cousine _ voilà encore !
et nous voici maintenant dans la semblance chère aux intuitions poétiques si justes de Michel Deguy, Marie-José Mondzain et Baldine Saint-Girons : cette semblance télétransportante _
de la merveilleuse _ voilà, voilà ! _ lumière hivernale de la Tunisie _ aussi et encore : celle où avaient baigné les sept premiers hivers de la prime enfance de René de Ceccaty : de sa naissance, le 1er janvier 1952, à son départ pour la France, le Languedoc et Montpellier, en juin 1958.

La cour _ ici, à Montpellier _ ménage une échappée _ bienvenue _ d’ombre chaleureuse _ oui _ poméridienne _ oui :

ce moment qui succède, plus ou moins langoureusement, à cet instant de pondération que le sétois Paul Valéry, en ouverture de son Cimetière marin, nomme « Midi le juste ! » :

Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !

Tout est suspendu _ et nous voici soulevés dans l’éternité même de l’instant : une grâce (et qui n’est pas sans m’évoquer la vision radieuse, sublime, du poète madrilène Jorge Guillen en son trop méconnu Cantico)…

Il me semble _ mais oui : la semblance des sensations en acte se déploie miraculeusement… _

entendre _ ici et maintenant, à Montpellier même _

le souffle d’un orgue à bouche _ japonais.

Parfaitement _ dont acte ! Et nous-mêmes, en lecteurs enchantés que nous voilà, nous suivons : nous entendons parfaitement à notre tour cet instrument pourtant jusqu’alors totalement inouï de nous, faute de nous être jamais rendus au Japon.

Parfaitement : un concert de gagaku s’improvise _ mais oui, ce midi mauve bleu pervenche d’hiver à Montpellier ;

et la notation « s’improvise«  de ce « concert«  (rien moins !) de musique, est, elle aussi, absolument essentielle ! Tout, dans ce court-circuit sauvage du transport, ici, de la « semblance«  physiquement ressentie et éprouvée, résidant dans la neuveté absolue même de l’instant tant coloré que musical ! Cet instant-ci de Montpellier, comme cet instant-là, jadis et il y a longtemps, à Tokyô, mais que voici miraculeusement transporté ici et maintenant à Montpellier même, en une souveraine et « triomphale«  évidence : mauve… _,

et me voici _ et nous avec ! _

non plus à Montpellier, ni à Mégrine _ en Tunisie _,

mais au sommet de la colline de Kagurazaka, au centre de Tokyo,

et à Schichirigahama, au bord du Pacifique :

je suis _ et nous avec ! _

à la fois projeté _ oui : instantanément _

et scindé _ puisqu’encore ici même, aussi, et en même temps, à Montpellier _

au Japon

 

_ mais nous aussi, lecteurs, « sommes à la fois projetés et scindés« , puisque nous sommes nous aussi tout à la fois et dans le même temps, comme l’auteur l’est, tout entiers présents (et transportés), dans et par l’impact émotionnel si fort de notre lecture, à la fois, et oxymoriquement, au présent et au lieu actuels de cette lecture, hic et nunc, et dans les divers lieux et dans les divers temps dans lesquels viennent maintenant, aussi, nous transporter, nous aussi, et à sa suite, les phrases magiciennes et magiques de l’auteur !   

A qui cela dit-il quelque chose ? _ s’inquiète alors ici l’auteur. Mais à nous, ses lecteurs : car nous voici nous aussi totalement transportés (faut-il dire déjà, en anticipant sur le mot de la phrase qui va suivre, et nous marquer : « télétransportés » ?) par la grâce merveilleuse du danser-voyager fulgurant de cette écriture magicienne de René de Ceccatty ! Une écriture capable de signifier (et nous faire ressentir, à notre tour, lecteurs) ces transports tant locaux que temporels du narrateur, nous foudroyant, nous aussi, à notre tour, sur le champ, par cette « semblance » que met en œuvre, ici (comme plusieurs autres fois ailleurs aussi, dans ce merveilleux livre), cet incroyable auteur magicien qu’est René de Ceccatty, par ces « va-et-vients » si puissants de sa mémorielle et « imageante«  écriture…

Revoici _ donc, pour René de Ceccatty, au moins ; ou plutôt pour lui le premier _ le gagaku.

Flûtes, orgues à bouche, tambour !

Cérémonial secret _ voilà, déjà _ qui accompagne une télétransportation

_ nous, lecteurs, découvrons ici, d’un même mouvement de lecture, et les instruments de musique japonais accomplissant ce rite sacré, et ce très remarquable hapax du texte.

Soyons réalistes _ se morigène alors l’auteur _ : ce doit être une équipe d’ouvriers qui scient du métal.

Et pourtant _ oui, et pourtant : la « télétransportation » sur nous aussi, lecteurs, comme sur lui l’auteur qui se souvient, parfaitement fonctionne…

Rien n’est changé _ et tel est bien le régime même (et spécial, ou oxymorique : à la fois pleinement temporel et totalement a-temporel) de l’éternité. Hors le temps singulier et en même temps donné dans la trame du temps même.

Je l’ai su immédiatement en arrivant au Japon _ l’été 1977 _ et en scribouillant _ cet élément conjoint est lui aussi très important : décisif, même ! C’est dire le rôle capital ici de l’écriture ! _ dans mes carnets, carnets qui sont devenus _ par travail poursuivi _ tout de même trois livres _ précisément la troisième et dernière partie (Fanfilù-Roma) de Jardins et rues des capitales (paru aux Éditions de la Différence en septembre 1980) et Esther (ibidem, 1982), que René de Ceccatty vient de m’offrir afin de m’aider à m’imprégner aussi des bases de tout son œuvre ! ; ainsi que Plusieurs ronds de fumée (paru, lui, sous le pseudonyme de Shinobu Watanabé, toujours aux Éditions de la Différence, en 1980 aussi) _, mine de rien.

Je me mettais en contact _ ainsi : René de Ceccatty se l’explicite _ avec une partie de moi _ demeurant, avec constance et obstination, de l’enfance… _ qui avait _ encore ! _ une ou deux choses à dire _ c’est-à-dire révéler enfin _, devant _ car il y faut aussi la situation et la circonstance : le lieu et le moment convoquant, tel un rite discret (ou secret), la révélation ! _ le ciel de Tokyo, puis devant l’océan Pacifique« 

_ le recul de ce « devant » constituant la « scène » propice à ce recul lucide de la semblance : que ce soit à Tokyô, à Montpellier, comme everywhere in the world où pareil processus de « semblance » survient, est capté (« scribouillé« ) et puis « devient livre«  _) ;

à presque chaque ligne, donc,

et je reprends à nouveau l’élan de ma phrase, après cette merveilleuse longue citation empruntée à la page 306 de cet éblouissant Enfance, dernier chapitre,

telle une surprise, un renvoi

(ou une télétransportation : un mystère physico-sensible de la famille, peut-être, de la trans-substantiation…)

un renvoi mieux que parlant : poétique et merveilleux, de semblance (par analogies, nécessairement, voire très rigoureusement judicieuses : nous baignons dans l’oxymore)

à d’autres sensations-émotions-analyses qui déboulent, surviennent et s’emparent de nous, en un constant tonique et sensuel (et parfois, sinon angoissé ou anxieux, du moins interrogateur, questionnnant…) dialogue mémoriel sans cesse, inépuisablement, repris, avec soi-même :

« Le travail n’est pas terminé. Par qui pourra-t-il l’être jamais ?« , viendra ainsi conclure, page 405, son très long premier chapitre Enfance, René de Ceccatty ; le second et dernier (autour du décès de la mère de René et de Jean, survenu le 21 juin 2015, et de ses simplissimes obsèques), le-dit Dernier chapitre, ne comportant, lui, que 23 pages, très volontairement sobres, et presque seulement factuelles _ le régime (poétique) des semblances ne pouvant être enclanché qu’avec assez de temps de recul _, en un très saisissant contraste avec les voyages (constamment palpitants et sous dense tension poétique) de remémoration de la partie première et principale : Enfance ;

et dialogue d’abord avec sa mémoire,

mais aussi avec son Inconscient, comme en ses rêves nocturnes,

et encore avec son imageance d’auteur écrivant,

une imageance constamment ouverte, en même temps que rigoureusement soucieuse de la plus grande justesse possible en ces analogies et constats d’abord subis, et sensitivement éprouvés, de télétransportations… ;

en un irradiant dialogue présent-passé-présent de l’auteur ;

cf là-dessus ce très éclairant passage à propos de ce fécond régime mémoriel, page 260 :

« Chaque souvenir ne tient sa vie _ voilà : « sa vie«  ; car sans cette « vie« -là qui l’anime, le souvenir s’isole, fige, stérilise et meurt _

que de sa relation vibrante, changeante, palpitante _ et c’est absolument décisif : ces trois qualificatifs de la « relation«  que l’auteur a à établir et maintenir, faire vivre aussi, pour lui-même comme pour le lecteur (qui doit en ressentir les vibrations), disent ici l’essentiel _

avec la totalité des autres souvenirs _ de l’auteur, certes, forcément ; mais aussi, chez le lecteur, de ceux qui peuvent faire office d’analogues-semblances de sensations-émotions, et qui soient tout aussi vibrants, mobiles, palpitants, chez ce lecteur, à son tour _

parmi lesquels certains se détachent de la mémoire _ globale _ du passé pour lui être associés«  :

une « relation«  qu’il reste encore, en direction du lecteur (qu’il s’agit, pour l’auteur, de ne pas perdre en route), à devoir aussi, et avec soin, « mettre en scène«  dans le récit ; dans et par l’écriture donc, quand on écrit (et qu’on ne peint pas, ou ne compose pas de musique) ; et une écriture qui, en son style (peu à peu découvert et trouvé au fur et à mesure de ses écritures, par l’auteur), fasse vraiment et très simplement, même si c’est indubitablement complexe et non immédiat, œuvre ; et œuvre vraie… ;

avec le souci, donc, quelque part aussi, et constant lui encore,

de la réception accueillante et relativement aisée, fluide, en sa complexité, aussi, à préparer, par l’auteur, de son lecteur ;

une réception accueillante à l’égard des énigmes (parfois d’un mot unique de ce type rare au sein de la phrase, voire d’un hapax au sein de l’œuvre entier) qu’en défi tranquille, de même qu’à lui-même, l’auteur ne manque pas d’adresser-lancer aussi, en un très amical, mais très audacieux aussi, défi-jeu, avec un brin d’ironie (protectrice ? mais de qui, ou de quoi ?), à son lecteur, via sa ligne la plus claire possible, à travers le souffle tenu, telle une note ou une phrase que le chanteur a à tenir, et qui sera tenu, ce souffle, et non pas tendu (sans la moindre crispation maligne ni hautaine) de ses longues, immenses, embrassantes et généreuses phrases accompagnantes ouvertes, en l’habitude que lui, l’auteur, René de Ceccatty, a déjà prise, ailleurs, en des essais ou des articles, de bannir les notes-de-bas-de-pages, qui coupent trop le fil fluide de ce que doit être le flux souple et chantant de la bonne lecture, à la fois large et très précise (attentive au moindre détail ; et ils ne manquent certes pas) _

à côté, donc, de la vie tellement vibrante et nourrie de l’écriture chantée et dansée de René de Ceccatty, dans le déroulé souple et riche de surprises (les « télétransportations«  !) de son phraser

_ cf ces lucidissimes remarques, page 242, sur sa propre écriture en ses débuts, à l’âge de quinze ans, sous le regard de sa mère :

« Maman a été, après une première stupeur, confortée dans d’anciennes certitudes :

je me détachais  _ moi aussi _  du sol (…)

j’avais, oui, quitté le sol

Je dansais _ voilà _ ,

comme elle, comme papa.

Il ne s’agissait pas d’un envol, non pas ce genre de stéréotype satisfait :

il s’agissait d’une dérive flottante ou aérienne _ celle de la semblance mobile, fluide, mobilisante et transportante de l’art.

Ce que cherchait papa dans ses paysages _ peints _,

sur son clavier  _ aussi.

Ce que cherchait maman dans ses lectures  _ et ce sont-là des exemples de « recherches«  que très concrètement, et sur son mode à lui,  René suivra. (…)

Elle remontait alors dans le temps

et s’interrogeait  _ ouvertement _  sur le hasard  _ facétieux ou tragique, ou les deuxde sa  _ propre _  vie«  _

eh bien ! pour le moment, je trouve _ n’ayant, il est vrai, lu que les seuls deux premiers chapitres _, l’écriture, en ce Classé sans suite, de Claudio Magris _ italien pourtant (de Trieste) _, un peu lourde, terne, grise, pas assez sensuelle, ni aérienne ou fusante _ germanique aurais-je la tentation, injuste, de dire…

Il va donc me falloir entrer davantage dans la pulsation propre de l’écriture de Magris _ mais dès le chapitre III, lu dès le lendemain, cette pulsation-là, de l’écriture de Claudio Magris, déboule, et aussitôt enchante : je le retrouve ! Ouf ! Et en ce genre de dédale lancinant et touffu (et qui demande un peu de perspicacité à déchiffrer) qui me plaît ; et qui caractérise en particulier le personnage de Lisa, confrontée aux terribles taches aveugles de l’histoire, à Trieste même, de sa famille juive… _,

un peu trop bien ancré et bercé-chahuté que je suis encore, pour le moment,

dans l’écriture, tellement vive, dansante, mobile et imprévisible, à surprises permanentes, fusante, donc, de René de Ceccatty ;

une écriture si bien accueillante,

et donc si bien accordée à mon propre mode passionné, boulimiquement curieux _ virevoltant, mais non gratuitement, d’une expression à une autre, d’une page à une autre, d’un livre à un autre : selon le principe, parfaitement sien aussi, des « télétransportations«  _, de lecture, de ce lecteur toujours questionnant, sur le qui-vive et aux aguets, que, dans une joie profonde _ non dilettante, non hédoniste, mais à la Spinoza _, je persiste plus que jamais à être. Face aux énigmes du monde : à percer.

De même que Zone de Mathias Enard _ sur ce chef d’œuvre, cf mon article Emerger enfin du choix d’Achille !.. du 21 septembre 2008 _

m’est apparu le plus grand livre _ rien moins ! _ de la décennie littéraire 2000 en France _ cf mon article Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus « grand » roman de l’année : « Zone », de Mathias Enard du 3 juin 2009 _,

et de même que L’Enfant éternel (1897) et _ plus encore ! _ Toute la nuit (1999) de Philippe Forest _ que complète l’essai Tous les enfants sauf un (paru, lui, en 2007) ; essai qu’a préfacé en italien notre amie (romaine) commune à René de Ceccatty et moi-même, Elisabetta Rasy ; et sur le très beau Entre nous d’Elisabetta (paru en traduction française aux Éditions du Seuil en août 2004), lire, au sein de mon article du 22 février 2010, , article rédigé, lui, à propos de L’Obscure ennemie, d’Elisabetta Rasy, mon texte Tombeau de Bérénice avec jardin ; ce qui me donne l’occasion de m’aviser que l’article immédiatement précédant celui-là sur mon blog En cherchant bien, daté du 22 février 2010, était, rédigé par moi le 19 février 2010, celui-ci : «  Autrement dit, une boucle qui se boucle au sein d’un blog assez cohérent !!! _

me sont apparus les deux plus grands livres de la décennie littéraire 1990 en France,

de même,

ce merveilleux et magnifique chef d’œuvre _ pourquoi craindre le mot ? ou l’éloge ? je ne le gaspille pas, tout gascon pourtant que je suis _ qu’est Enfance, dernier chapitre

me paraît illuminer du miracle de sa force de vérité, et de sa considérable richesse et densité _ sans cesse dansante et virevoltante, traversée qu’elle est des lumineuses fulgurances, parfaitement dynamisantes, de ses « télétransportations«  : voilà, peut-être ai-je ici mis le doigt sur une clé décisive de son écriture-inspiration ! _ toute la décennie littéraire 2010 :

rien moins que ça ! Et j’insiste !

Parviendrais-je, pour ma modeste part, à assez le faire bien entendre ? _  j’y tiens beaucoup.

Partager ce qu’on place haut est un devoir d’honnête homme prioritaire : je n’aimerais pas demeurer seul dans la joie de mon admiration de lecteur ! Face à la misérable prospérité journalistique ignare, si aisément satisfaite de tant d’impostures grossières en littérature, cyniquement reposée sur le critère chiffré du « puisque ça se vend« , et partie prenante pseudo-culturelle du nihilisme régnant…

En effet, quasiment six mois de lectures-relectures hyper-attentives, plume à la main _ et qui encore se poursuivent _,

car j’ai très vite pris conscience que cet Enfance, dernier chapitre reprenait et prolongeait, en un très vaste geste de grande cohérence et d’archi-lucide approfondissement,

rien moins que l’œuvre entier,

ainsi que, plus fondamentalement encore _ puisque c’est l’intelligence sensible de celle-ci, la vie, qui constitue le fond de la visée de son écriture _, la vie entière de René de Ceccatty

vie entière reprise et éclairée, et magnifiée, par le travail hyper-scrupuleux (de la plus grande honnêteté) et d’une stupéfiante lucidité, de son extraordinairement vivante et palpitante écriture, sans temps mort, tunnel, lourdeur, ni faiblesses ! Quels défauts peut donc bien trouver encore René de Ceccatty à son livre ? Je me le demande… Montaigne trouvait-il, lui aussi, des défauts à ses Essais ? Ou Proust à sa Recherche ? Et que René de Ceccatty ne se sente pas accablé par ces comparaisons pour son livre !

Sur cet enjeu majeur de la lucidité de la visée de fond de l’intelligence même de sa vie _ sur ce sujet, se reporter au sublime raccourci, si essentiel, de Proust : « La vraie vie, c’est la littérature«  _,

l’enquête la plus probe et fouillée qui soit que mène ici René de Ceccatty, recherche rien moins que ce qu’il nomme son « enfance intérieure »en s’employant non seulement à débusquer-révéler-mettre au jour (et comprendre !) sinon ce que factuellement celle-ci fut, en son bien lointain désormais ressenti, au moins via quelques approximations ou équivalences de celui-ci, ce ressenti passé et enfui ; mais aussi esquisser ce que peuvent et pourront en être de coriaces effets dévastateurs, encore, à long terme, tels que ceux-ci parfois persistent en l’âge adulte, et souvent pour le pire ;

voici, extraite du Temps retrouvé, la citation proustienne en son entier :

« La grandeur de l’art véritable,

au contraire, de celui _ parasite _ que M. de Norpois _ le diplomate _ eût appelé un jeu _ superficiel et facteur de superficialité _ de dilettante _ adepte du plaisir à condition que ce soit sans la moindre peine _,

c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître _ et explorer _ cette réalité loin de laquelle nous vivons,

de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que _ hélas _ nous lui substituons,

cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie _ en sa singularité de fond vraie.

La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue _ voilà ! _, c’est la littérature ;

cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant _ insue _ chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste.

Mais ils _ la plupart _ ne la voient pas _ anesthésiés qu’ils se veulent _, parce qu’ils ne cherchent _ surtout _ pas à l’éclaircir préfèrant la misérable cécité de leur illusoire (faussement rassurant) brouillard collectif. 

Et ainsi leur passé est encombré _ oui _ d’innombrables clichés _ voilà _ qui restent inutiles _ certes _ parce que l’intelligence ne les a pas “ développés ” _ voilà…

Notre vie, et aussi la vie des autres ; car le style _ auquel l’auteur vrai doit parvenir en chassant sans pitié ces clichés _ pour l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision _ oui ! la peinture est « cosa mentale« , disait Léonard.

Il est la révélation _ oui, qui appert dans l’œuvrer de l’artiste vrai au travail comme dans l’œuvre réalisée _, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative _ singulière, donc ; cf ici la monadologie de Leibniz _ qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel _ voilà _ de chacun _ inconnu de lui-même le premier, aussi et d’abord.

Par l’art seulement _ et en une œuvre réalisée : hors de soi _, nous pouvons _ par l’expression-création de l’auteur, d’abord ; mais aussi, ensuite, par la contemplation du regardeur, en phase avec l’auteur via l’œuvre vraiment regardée _ sortir de nous _ voilà _, savoir _ atteindre, découvrir, apprendre, connaître, explorer _ ce que voit un autre de cet univers _ sien _ qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages _ le mot est donc présent ici sous la plume aussi de Proust ! _ nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune _ et donc, « le style, c’est l’homme-même« , selon l’intuition très lucide de Buffon.

Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu’il y a d’artistes _ vraiment _ originaux _ et sans artifices pour s’en donner seulement l’apparence trompeuse, sur le marché de l’art _, autant nous avons de mondes _ via nos regards ainsi descillés _ à notre disposition, plus différents les uns des autres _ en leur singularité et leur style unique _ que ceux qui roulent dans l’infini _ cosmique _, et qui, bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer _ ou Sophocle, dans la parole de Marx ; ou Mozart, ou Schubert _, nous envoient encore leur rayon spécial  » _ à nous d’apprendre à le capter…

Fin de la citation.

car j’ai très vite pris conscience _ je reprends l’élan de ma phrase _

que cet Enfance, dernier chapitre reprenait et prolongeait, en un très vaste geste de grande cohérence et d’archi-lucide approfondissement, rien moins que l’œuvre entier, ainsi que, plus fondamentalement encore, la vie entière de René de Ceccatty _ lui-même me le confirmant très vite, au passage d’un échange nourri de courriels _,

remontant, donc, jusqu’à ses tous premiers écrits de jeunessequ’il me fallait, en conséquence, impérativement lire _ du moins ceux publiés, à partir de septembre 1979 (pour Personnes et personnages) _ pour les vraiment connaître, ligne à ligne en quelque sorte, eux aussi :

d’abord, la série _ passionnante et magnifique ! _ consacrée à ses amours malheureuses (de novembre 1993 à octobre 2002) avec celui qu’il nomme Hervé : Aimer (paru en 1996), Consolation provisoire (1998), L’Éloignement (2000), Fiction douce (2002) et Une Fin (2004) ;

puis, celle consacrée à ses amours encore bien compliquées et bien déceptives avec celui qu’il nomme Raphaël : L’Hôte invisible (2007) et Raphaël et Raphaël (2012) ;

mais aussi le riche recueil de nouvelles, paru en mars 1993 au Mercure de France, Le Diable est un pur hasard ;

la très engagée _ et cruciale ! _ biographie de Violette Leduc, sous-titrée Éloge de la Bâtarde, parue chez Stock en 1994, et ré-éditée en 2013, qui comporte de multiples et très précieuses indications autobiographiques de la part de René de Ceccatty ; indications qui témoignent, aussi, de la place éminente et cruciale _ j’insiste _ à la fois, de la lecture, au cours de la décennie 70, de l’œuvre de Violette Leduc par René, et du rôle décisif de cette entreprise biographique _ qui fut d’abord, et c’est à relever, une thèse de philosophie, sous la direction, si l’on peut dire, du leibnizien Yvon Belaval, qui fut soutenue à la Sorbonne, en décembre 1980 _ dans le devenir écrivain de René de Ceccatty ! C’est là un travail absolument décisif ! ;

et, surtout, ses trois _ assez extraordinaires ! _ premières œuvres signées de son nom _ dont, geste merveilleux, René de Ceccaty m’a adressé un exemplaire de chacune _, publiées aux Éditions de la Différence _ lesquelles viennent hélas de mettre la clef sous la porte : ces œuvres ne sont donc plus disponibles en librairie… _, et consacrées à ses toutes premières amours _ Hugues, Jacques, à défaut de son premier amour, Norman : du moins c’est ainsi que René de Ceccatty les prénomme en faisant des personnes rencontrées (et désespérément aimées de lui), des « personnages«  _Personnes et personnages (publié en septembre 1979), Rues et jardins des capitales (septembre 1980) _ une œuvre stupéfiante qui m’a époustouflé ! un pur chef d’œuvre… _et Esther (février 1982). .

Car Enfance, dernier chapitre entreprend _ pour peut-être enfin comprendre vraiment… _ de reprendre à la base, c’est-à-dire à la petite enfance de l’auteur _ d’abord en Tunisie, de sa naissance le 1er janvier 1952 à son départ, fin juin 1958 ; puis à Montpellier, jusque vers 1963, année de la probable « sortie de la petite enfance« , à la fin de sa classe de 6e, comme l’estime René de Ceccatty lui-même… _, les constituants _ voilà ! _ de base et référentiels cruciaux de toute son expérience de toute sa vie.

Car « l’enfance,

insiste René de Ceccatty page 349 d’Enfance, dernier chapitre,

se poursuit _ mais oui ! _ à l’âge adulte,

qu’elle nourrit _ terme capital : elle donne les modèles des principaux comportements qui seront à suivre ; et, presque en aveugles, le plus souvent imités et copiés _

et qui ne cesse _ aussi, cet âge adulte _ de la revivre _ dans des répétitions étranges, plus ou moins pathologiquement subies _

ou de la réinterpréter » _ quand on parvient à enfin un peu mieux la comprendre, cette enfance _ ;

de même qu' »elle _ cette enfance, toujours _ cherche dans les enfances des autres (parfois plus jeunes, parfois plus vieux, parfois ayant vécu dans d’autres cultures et d’autres milieux) son propre écho« 

_ de normalité-conformité, en quelque sorte ; et de même, encore, qu’elle cherche cet écho dans, si possible, de grands livres : quand les « analogies«  ou « semblances«  esquissées et tentées, pourraient nous devenir vraiment pertinentes et vraiment éclairantes, au lieu des confusions projectives paresseuses et complaisantes, désastreuses, elles, voire pathologiques : fi des illusions des grossiers amalgames trompeurs et des clichés !..

Et cela _ cette résurrection, donc, de l’enfance _  advient tout particulièrement dans la proximité _ physique des corps, et essai de tendresse : quand on se livre entièrement et vraiment _ amoureuse.

Lisons ce très beau passage, aux pages 400 et 401 :

« L’intimité sentimentale, la violence des sentiments _ les deux sont très proches, voire coexistent _, font resurgir _ voilà _ l’enfance.

Les premiers rapprochements des corps sous l’emprise conjuguée du désir et de l’amour,

appellent aux confidences, érotisant _ dont acte _ l’enfance.« 

Et cet autre, à nouveau page 401 :

« Dans l’amour,

à l’âge adulte (si jeune ou vieux soit-on),

l’enfance redevient _ les verbes sont tous très importants _ cruciale.

Elle revient _ rien moins ! _sur un mode tantôt mièvre et complaisant, tantôt tragique.

Nul amour ne remédie _ certes _ aux peines inconsolables _ c’est dit _ de l’enfance.

Et c’est même, cette confrontation,

l’épreuve contre laquelle s’écrasent _ voilà _ tant d’illusions _ de soi à soi : un phénomène terriblement ravageur. Que de dégâts !

Incapables de se mesurer _ et résister victorieusement _ aux forces indestructibles _ à ce point ! _ de l’enfance,

combien d’amours ont été défaites _ sans relevailles réussies _ au terme de ce combat

qui _ de même que l’Inconscient _ ignore le temps,

et fait resurgir _ le verbe revient donc _ dans l’étreinte des amants,

le spectre _ terriblement assassin _ d’une enfance _ irréversiblement et irrémédiablement _ meurtrie.

C’est dans cette réapparition _ spectrale _,

et dans cette incapacité,

parfois toutes deux _ confuses et perturbantes qu’elles sont _ à l’insu des amants (l’inconsolable et celui qui échoue à consoler _ à preuve, ici, Consolation provisoire, paru en 1998 : le second volume des péripéties de la relation à Hervé, avant (et chaque titre parle !) L’Éloignement, Fiction douce et Une Fin _),

que se niche le secret des _ incompréhensibles sinon _ échecs amoureux, des ruptures, des désespoirs _ subis et atterrants : dévastateurs.

(…)

L’amoureux étant une ombre vide _ sans pouvoir ! _,

et l’inconsolé, un spectre terrifiant _ et non résistible…

C’est ainsi que je m’explique mes défaites amoureuses _ reconnait et assume l’auteur.

Je parle (…) des liaisons qui se sont _ inexorablement _ délitées _ celle avec Hervé, et celle avec Raphaël, singulièrement _

et qui m’avaient mis en présence de démons,

non pas venus de mon enfance,

mais de celles de mes partenaires _ qui les subissaient, sans remèdes _ :

je n’étais _ cependant _ pas _ non plus moi-même _ à la hauteur« 

_ cette situation, très durablement prolongée, qui plus est, ces deux fois-là, ne manquant pas, non plus, en lecteur engagé en sa lecture que je suis, de m’interroger…

L’écriture formidablement vivante de cet Enfance, dernier chapitre procède d’une nécessité personnelle très puissante de la part de l’auteur :

« Je suis piégé.

Piégé par le gouffre d’un passé qui m’aspire«  _ lit-on, avec gravité et même effroi, page 27 :

l’injonction (de mémoire,

et donc d’œuvre à réaliser comme moyen de tenter de domestiquer si peu que ce soit cette surpuissante mémoire,

et affronter pour le vaincre le « gouffre«  aspirant des impressions, « ombres«  et « spectres«  tellement vivaces, issues du passé tel qu’il a été vécu et ressenti…),

est donc au moins aussi forte que l’« aspiration«  vertigineuse du « gouffre«  même de ce passé gravement blessé  !

Mais c’est aussi sans doute, quelle que soit son inefficacité, la moins mauvaise des solutions ; du moins pour quelqu’un qui écrit. René de Ceccatty consacre à cette réflexion quelques pages elles aussi extrêmement lucides. Biaiser et fuir lâchement est encore plus sûrement contreproductif.

Nécessité personnelle étroitement liée aussi, conjoncturellement _ et ce point est bien sûr très important _ au moment _ d’assez étroite fenêtre temporelle _ de l’écriture de cet immense livre, au devenir-détérioration-naufrage du vieillissement de sa mère (née le 22 mai 1924), qui allait s’accélérant, ces années-là de la décennie 2000, avec tout particulièrement la dégradation catastrophique de sa mémoire immédiate, et un relatif maintien _ mais pour combien de temps encore ? _ de bribes-lambeaux de sa mémoire la plus ancienne ;

sa mère : sa plus étroite confidente de toujours, et son témoin affectivement le plus proche et le plus sûr

_ le cas de son frère Jean, lui aussi écrivain, étant à mettre bien à part ; leur lien est lui aussi, ultra-sensible, et la mise en regard de leurs regards respectifs sur leur mère (et leur père), mais aussi sur leurs vies (ainsi que leur œuvre à tous deux) demande les plus grandes précautions ; dont acte _

qui demeurait encore, la dernière _ autour de lui _ de cette plus lointaine petite enfance… ;

et à laquelle René, de Paris, venait régulièrement rendre visite à Montpellier _ où résidaient et sa mère et son frère :

« Je vais et je viens _ par de constants allers-retours _ dans ma mémoire

à la fois ravivée _ par les questions de sa mère _

et éteinte _ par la survenue de nouveaux souvenirs-écranspar mes visites aux Violettes _ la maison de retraite où finit par entrer sa mère en 2011.

Maman, attendue et inattendue, prévisible et imprévisible, fait _ donc, elle aussi  _ renaître des souvenirs _ mais oui ! _ en me posant les mêmes questions sur les protagonistes de son passé, qui ont échappé _ mais pour combien de temps ? _ à la destruction _ progressive et implacable _ de sa mémoire«  _ lit-on page 29 :

ce sont là, pour René, des éléments incitateurs de mémoire à propos de son enfance, tant en Tunisie qu’à Montpellier…

Quant à sa propre mémoire,

et aux lieux

_ divers, en effet, de par le monde, et donc ailleurs même, bien sûr, qu’à Montpellier ou Mégrine, en Tunisie (où René vécut les deux périodes de son enfance effective, objective : de 1952 à 1958, puis de 1958 à 1963…) :

nous allons comprendre pourquoi et comment de nouveaux lieux plus tardifs et extérieurs à ceux où fut effectivement et objectivement vécue l’enfance, voire carrément à leurs antipodes géographiques,

viennent pourtant pleinement participer, poétiquement et sensitivement, à l’élaboration la plus véridique de l’authentique « paysage intérieur«  ayant constitué et constituant encore, à l’âge adulte, l’enfance, au final inachevable, telle que singulièrement ressentie (et reconnue comme telle par lui) de René de Ceccatty _

auxquels cette mémoire essaie de (et parvient, et réussit, à _ mais est-ce entièrement volontaire ? non ! l’alchimie poétique est bien plus riche, ouverte et complexe ! _) s’accrocher,

Ainsi René écrit-il superbement, et de toute sa foncière honnêteté, et dès la page 36 de son Enfance, dernier chapitre :

« Quelques lieux _ auxquels tenter, alors, au moment de l’écriture, d’arrimer l’effort de sa mémoire _ tiennent _ et secourent _ encore.

Comme les cyprès de la cour _ du petit appartement de René à Montpellier, où il réside quand il vient rendre visite à sa mère (et à son frère Jean) ; ces cyprès tendus tels de longs doigts vers le ciel… _,

comme l’appartement de ma grand-mère maternelle _ à Montpellier aussi (celle-ci est décédée en 1983) _, devant lequel je passe en me rendant aux Violettes _ la maison de retraite où réside sa mère depuis 2011 _,

comme le pavillon de la colline de l’Aiguelongue _ toujours à Montpellier _ où vivait ma grand-mère paternelle _ décédée à Montpellier en 1995 _,

comme

_ et nous voici maintenant ailleurs, dans l’espace comme dans le temps, de l’enfance telle qu’elle s’est effectivement passée et a été intérieurement vécue _

la maison de Brosses en Bourgogne _ non loin de Vézelay _ où j’ai écrit pendant dix ans _ durant les années 80 et 90 _,

comme la Villa Kagurazaka de Tokyô où j’ai séjourné dix-huit mois _ en 1977-78-79 ; et sur un tout autre continent, l’Asie, que l’Afrique et l’Europe de l’enfance objective et intérieurement vécue de René :

« habiter, écrire, ne se feraient désormais que sur le modèle _ et c’est décisif ! _ japonais, face à _ voilà _ la fenêtre donnant _ celle-ci la toute première _ sur un paysage _ offert au regard, ouvert sur des lointains clairs (et potentiellement maritimes), à l’inverse complet du vertige aspirant d’un « gouffre«  noir… _ aéré, aérien, dominé par le ciel, le soleil, la lumière, l’espace nu, qu’il soit urbain ou champêtre« , doit-on bien remarquer et retenir, à la page 37 : cette vue ouverte sur le ciel aidant considérablement l’imageance de l’artiste _,

dans le quartier d’Iidabashi,

comme _ enfin, découvert le plus récemment, en avril 2014 _ les collines d’Oulhaça El Gheraba près de Beni Saf

_ un lieu où vient de, très brièvement, se rendre René ce printemps récent-là (à l’occasion d’une commémoration du poète Jean Senac) en une Algérie où ni lui, René, ni sa mère, n’avaient jusqu’alors jamais porté leurs pas, et dont la rencontre (éblouie : « à demi aveuglé par le contrejour, parmi les ânes et les tombes« , lira-t-on, plus loin, page 382) constitue probablement la clé (découverte presque par hasard, et quasi involontairement, sans préméditation, du moins : une grâce de la vie tardive) de tout (rien moins !..) cet immense livre-recherche qu’est Enfance, dernier chapitre, et de la pacification irénique (pardon du pléonasme !) qui a merveilleusement suivi cette miraculeuse « visite«  algérienne… Les Irène (dont le prénom, grec, signifie « paix« ), aidant à apaiser la douleur des blessures (par flèches reçues) des saint-Sébastien…

Saint-Sébastien soigné par Irène est un sublime tableau du peintre arlésien Trophime Bigot, conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux _,

Et je reprends ici l’énumération des « lieux qui tiennent encore » de la phrase de la page 36 :

« Quelques lieux tiennent encore,

comme les cyprés de la cour,

comme l’appartement de ma grand-mère maternelle devant lequel je passe en me rendant aux Violettes,

comme le pavillon de la colline de l’Aiguelongue où vivait ma grand-mère paternelle,

comme la maison de Brosses, en Bourgogne, où j’ai écrit pendant dix ans,

comme la villa Kagurazaka de Tokyo où j’ai séjourné dix-huit mois, dans le quartier d’Iidabashi,

comme

_ aussi, et tout particulièrement, même si (et alors que), à ce moment encore précoce, page 36, de son récit-enquête, rien encore de spécifique ne vient signaler au lecteur la singularité et l’importance (très grande) de ce lieu-là, pour l’avancée de la conquête du dessin de ce « paysage intérieur«  de son enfance, dont il cherche si fort à dessiner et clarifier les traits ! _

les collines d’Oulhaça El Gheraba, près de Béni Saf,

car maintenant le paysage algérien est venu ajouter _ et très positivement, il faut y insister ! Et c’est même tout bonnement, la clé principale du « paysage intérieur«  découvert in fine, et s’étant élaboré tout au long de l’enquête personnelle, singulière, idiosyncrasique, que constitue aussi ce merveilleux livre… _

son filtre, son « transparent »«  

aux filtres et « transparents » déjà présents, et successifs, rajoutés _ positivement déjà, eux aussi _ au fil des années, séjours et voyages, de la mémoire de René, et de l’écriture inspirée et respirante de ce merveilleux livre.

Car, en effet, de nouveaux lieux, conducteurs, électriques, d’émotions mémorielles de son enfance vécue  _ ou en fournissant, du moins, d’efficients sinon équivalents, du moins analogues ; et même de stupéfiantes nouvelles clés : miraculeusement éclairantes ! _sont venus s’ajouter, et qui, paradoxalement, aident le narrateur de cette quête, René de Ceccatty, à accéder _ quelques magiques « télétransportations«  aidant _,

à travers et en dépit de l’éloignement paradoxal des lieux et des années,

à accéder à la découverte de ce qu’il nomme superbement, pages 101 et 382, son « paysage intérieur » personnel

(page 248, il utilise aussi l’expression de « mon paysage« ),

qui se peaufine et s’améliore ainsi ; et vient de mieux en mieux, de plus en plus précisément et justement, se dessiner, au fil des découvertes mémorielles successivement rafraîchies et des pages successivement rédigées.

De même qu’il use, page 341 ,

de l’expression aussi très significative _ à la fois géographique et mentale : dans l’espace, le temps, la mémoire, et aussi ce que je nomme « l’imageance«  _ de « voyage intérieur« 

pour désigner ce processus d’enquête mémorielle (et d' »imageance« , donc) de son livre ;

et page 382,

de l’expression capitale, cette fois, de « visite intérieure« ,

afin de spécifier, cette fois très singulière, l’apport véritablement unique _ et totalement inouï les heures précédant cette « visite« , qui seulement là va se révéler, en son intimité si chaleureuse, quasi familiale _ de cette rencontre algérienne _ rencontre irénique : pacifiée et heureuse, enfin ! après toutes ces années tourmentées (et même violentes) _ de son « paysage » _ pas seulement un paysage géographique, mais aussi un paysage affectif ; en cette « visite intérieure«  passant par le « cimetière familial«  (page 382) de la famille de Julien (qui n’y est jamais venu), « un petit cimetière qui ne comptait qu’une dizaine de tombes blanches, limitées, chacune, par deux stèles dont l’une portait le nom du défunt en caractère romain et l’autre en arabe«  (page 383), et où repose « Khadra, la mère de Julien«  (page 383) _,

qui est aussi le paysage d’Oulhaça El Gheraba :

« Or, je n’ai éprouvé cette sensation _ voilà _

de visite intérieure _ de ce qui demeurait en lui (à pacifier !) de son « enfance intérieure » qui fut si angoissée…  _

dans aucun des paysages _ revus en y retournant plus tard, par exemple ceux de Tunisie, mais pas seulement eux _

de ma propre enfance » ;

et encore, page 346,

de l’expression de « musée intérieur« ,

employée pour désigner à nouveau _ mais cette fois lui-même se trouvant, et se représentant, en la situation d’écrire, en son petit appartement de Montpellier _ le lieu principal sans doute où se déploie le processus d’enquête mémorielle et d’écriture qui lui est attachée, constitutif de tout ce livre :

« J’édifie _ à Montpellier, donc, et chez lui, dans son petit appartement avec, dans la cour, des cyprès dressés vers le ciel mauve pervenche _

et je meuble

un musée intérieur

ici même » _ et en particulier ce jour (d’hiver) d’écriture, mémoire et imageance-là : parmi les photos, les tableaux, quelques objets et meubles (mais très, très peu, en fait, ont été conservés par René) et les archives familiales, surtout, que René a recueillies et conserve, sans forcément procéder, non plus, à leur dépouillement exhaustif…

Un peu plus haut, en cette même page 346,

René de Ceccatty avait repris cette situation-cadre _ liant fenêtre ouverte sur le ciel, arbres verts, et écriture _ qui constitue comme le cadre-fil rouge du livre _ au fil de ses quelques télétransportations outremer (et outreterre aussi : par exemple vers les forêts denses de la Creuse, ou le Tarn-et-Garonne natal de son père, un paysage riant) _ :

« Je vois par le balcon _ de son petit appartement montpelliérain _ le ciel mauve pervenche de la deuxième moitié de l’hiver, et je confirme que Courbet _ à la différence de Frédéric Bazille _ a manqué cette nuance _ de mauve pervenche ;

cf plus haut mes illustrations de cette nuance de mauve pervenche si bien saisie par le languedocien Bazille, et qu’a manquée, dixit René, le jurassien Courbet (et c’est dans ce même Jura qu’étaient installés, depuis le XVIIe siècle, venus de Vénétie, les ancêtres Pavans de Ceccatty de la branche paternelle de René et de Jean).

L’un des cyprès découpe habilement à contre-jour _ un élément qui revient, et marque le regard _ ses doigts de sorcière dressés vers le soleil dont les rayons déposent sur les rideaux des paillettes insolentes _ sur le mode anomique du clinamen lucrétien _ et des ombres molles _ légèrement mouvantes : « vibrantes, changeantes, palpitantes« , pour reprendre les trois qualificatifs de la page 260.

Et un rectangle de lumière crue sur les carreaux polychromes _ sont-ce les mêmes ou bien en sont-ce d’autres que ceux d’un des (quatre successifs) appartements de Montpellier (peut-être le dernier, aux Marronniers ?) de ses parents ? _ des années 1960 de mon enfance. »

Et juste en suivant la phrase « J’édifie et je meuble un musée intérieur ici même« ,

ceci encore, aux pages 346 et 347 :

« J’ai ouvert les fenêtres _ du petit appartement _ :

un vent tiède anime les reliques _ familiales (photos, paysages peints, de son père, correspondances, journaux intimes de ses parents) que l’appartement recèle et que René conserve précieusement : d’où le choix ici de ce terme de « musée«  _, caresse le carrelage,

fait virevolter élégamment les poussières dans le faisceau du soleil _ à la façon, ici encore, du clinamen de Lucrèce.

Au loin, quelques nuages bas rappellent la menace _ d’orage _ qui pèse sur le miracle _ un terme à souligner : en effet, ils existent et sont toujours fugaces et fragiles : à nous d’apprendre, avec Kairos, à les saisir _ de transparence matinale.

Une petite fille arabe _ qui est-elle ? _ balbutie sur le trottoir en sautillant.

Me revoici _ comme soudain télétransporté ! _ de l’autre côté de la Méditerranée _ en Tunisie ? en Algérie ?

Je m’éloigne des Indes, du Jura, de cette part connue et inconnue d’une ascendance _ côté paternel, ici : celui des Pavans de Ceccatty _ que j’ai en commun avec une petite foule _ de parents, et encore aujourd’hui de cousins. Encore que les branches mortes _ à chaque génération _ n’aient pas manqué« 

_ l’Algérie, elle, se trouvant,

sauf l’épisode paternel de préparation militaire d’Arzew (en 1943-44 : les mois précédant le départ de son père pour les Etats-unis : ses parents se connaissaient depuis l’été 1943, et s’étaient promis l’un à l’autre, mais ils ne se marièrent, à Tunis, qu’en février 1946),

du côté de l’ascendance maternelle ; et cela depuis l’arrière grand-mère Gabrielle qui avait débarqué en Algérie, au Telargh, en 1884 (cf page 34 du livre) ;

mais aussi, nous venons de le voir, du côté d’Oulhaça El Gheraba et de la famille de son ami Julien, même si celui-ci est « né en France« , et n’a pas encore posé un pied en Algérie.

Mais l’Algérie, c’était aussi et surtout le pays de la guerre, et des violences qui y font fait rage dès 1945, et tout le temps de l’enfance de René en Tunisie, à Mégrine (de 1952 à 1958) ; et même a continué de planer sur sa famille la noire ombre portée de ces violences d’Algérie, après leur installation bousculée à Montpellier l’été 1958… 

Émotions mémorielles « intérieures » :

inéchangeables avec quiconque aurait pu au même moment, et en même temps que lui, les vivre : pas même avec son frère Jean.

C’est en effet la singularité de cette « enfance intérieure » qui intéresse très spécifiquement, et exclusivement, René de Ceccatty ; et non ce qu’il peut y avoir de commun avec d’autres, fut-ce avec son frère Jean.

Car ces émotions mémorielles « intérieures » sont de l’ordre de ce qui est singulièrement ressenti _ que ce soit de fait, ou potentiellement, en puissance _, et qui donc ne peut pas être commun ; pas plus qu’objectif, ni objectivable : sinon, peut-être, justement, mais très médiatement alors, en cette matière signifiante très subtile (et génialement conductrice) qu’est le miracle obtenu et réalisé par l’écriture des sensations et émotions personnelles en pareil _ ou de semblable pouvoir _ chef d’œuvre d’art à réaliser…

Un « paysage intérieur« 

qui n’est,

pas davantage que ceux que peignait son père, dans la Creuse,

réalisé ici _ en l’écriture _pour lui non plus, à son tour, directement et immédiatement « sur le motif« 

(et même carrément immergé en ce « motif« ,

comme il le fallait probablement au départ, pour les premières impressions « motivantes » et inspirantes,

pour les paysages _ vraiment peints ensuite seulement, un peu plus loin et un peu plus tard que sur le vif de ce « motif« , en atelier et au calme gagné par ce recul spatial et temporelde son père),

mais seulement et plus tard, médiatement,

d’après _ d’après seulement, et à partir de _ ce « motif« 

_ ce « motif«  premier émouvant et premier moteur, qui, ayant, en tel lieu particulier inspirant, effectivement ému et touché la sensibilité de l’artiste, a continué, par les harmoniques allongées de ses résonances singulières en lui, de provoquer et mouvoir la dynamique du geste d’art qui est venu seulement ensuite, un peu après (et en suite de cela) pour exprimer quelque chose plus ou moins directement issu de ce « motif«  de départ, en quelque œuvre plus ou moins complexe (et jamais une pure et simple copie brute) réalisée :

tel, autrefois, le geste « dansé«  de peindre du père de René, et, comme, il y a peu, le geste aussi, et « dansé« , d’écrire de René, en la lente et riche gestation-maturation de son livre ; gestes dont les traces, les œuvres, peut-être à leur tour, émouvront, plus tard encore, à la lecture, le lecteur du livre, au regard, le regardeur du tableau ou de l’image, à l’écoute, l’écouteur mélomane du disque ou du concert de musique, se mettant à son tour, lui, à « danser«  ; lecteur-regardeur-écouteur qu’à l’occasion, nous pourrons nous trouver, les uns ou les autres, en concordance et résonance vraie avec une œuvre, avoir quelque jour à être : modestement « dansant » à notre tour et dans son prolongement vibrant… _

et toujours avec un minimum de retard, de recul, et au calme (celui du silence vibrant aussi de rumeurs et de lumière d’une chambre-cellule d’écriture ou/et lecture : et si possible avec vue sur le ciel et les nuages, « les merveilleux nuages » baudelairiens…),

avec, en l’œuvre, ce qui va demeurer (et continuer d’agir sur nous) d’un minimum de « recul » de « composition » (ou « mise en scène » _ et ici René de Ceccatty, auteur, s’inspire de l’exemple de la rédaction des trois volumes de mémoires, de son ami Hector Bianciotti, à partir de (et après) son expérience acquise, auparavant, de romancier de fiction _) qui l’éclaire, ce « paysage intérieur » de l’enfance, et le rende, ainsi, un poil plus lisible, mieux ressenti et enfin mieux compris…

Par l’art, toujours à conquérir _ et c’est un processus sans fin : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier au monde« , écrit Montaigne en son essai De la Vanité, III, 9 ; René de Ceccatty le sait bien lui aussi… _, de la littérature et de la poésie.


Le regardeur du paysage peint, comme le lecteur du livre de littérature imprimé, ou comme l’écouteur mélomane de musique enregistrée au disque (ou écoutée au concert), a besoin, pour une vraie et profonde lecture-réception active-imprégnation empathique de l’œuvre de « paysage » rencontrée et abordée sur le terrain _ et cela, en quelque art que ce soit _d’une certaine (haute) qualité de recul, de retard, de silence subtil _ y compris au milieu d’autres _ de sa propre imageance, de sa propre réflexion et de sa propre méditation _ à l’écart le plus possible des mortels clichés qui éliminent les singularités _ ;

il a besoin du plus large spectre de résonances et harmoniques adéquates, lesquelles seules permettent l’accès vrai _ par « télétransportation« , donc : le mot-hapax, à la page 306 de ce merveilleux Enfance, dernier chapitre, me devient familier ! _ à ce qui, via l’œuvre, va, à nous aussi, nous parvenir, par ces étranges transports _ « télétransportations«  donc, pour nous aussi : il y a vraiment quelque chose de magique là-dedans… _ de l’alchimie sensitive des toutes premières impressions _ inspiratrices et mobilisatrices de l’imageance _ vécues et ressenties en première ligne c’est-à-dire éprouvées « sur le motif » premier, originaire et mobilisateur, voire dans quelque pleine et presque totale immergeance en lui : je pense ici à un Cézanne face au (et dans le) paysage s’imposant à lui de la Sainte-Victoire, un peu plus haut que son atelier, et entre les oliviers, au-dessus d’Aix.; comme notre Frédéric Bazille de Montpellier, au Méric… _ par les artistes-auteurs, ayant nécessité déjà elles-mêmes, ces toutes premières « impressions » étranges et mobilisatrices, une certaine qualité de recul et de résonance _ à laisser sonner, ou dissoner _, de leur propre part, à eux _ ne serait-ce que de bien vouloir consentir, eux, à se prêter à elles, de bien vouloir accepter, eux, de les accueillir, elles, en leur étrangèreté anomique singulière, le plus pleinement et justement possible, quand la plupart, au contraire, redoutent et fuient cela ! _ ;

ainsi que d’une opération, par l’artiste, de mise en perspective, ensuite, en l’œuvre se réalisant _ en toute sa matérialité physico-chimique, cette fois _ par laquelle le processus de transfiguration-transmission, maintenant en cette nouvelle étape, passe ; et à laquelle, provisoirement, il aboutit ; en attendant que la « vision » ainsi captée, saisie et notée, en mode « paysage« , ne vienne, à notre tour, nous lecteurs-spectateurs-auditeurs, nous toucher-émouvoir, en quelque sorte en bout de bout de ligne. Et à charge pour nous, encore, d’aider, comme on le peut, à partager cela : avec d’autres, élargissant ainsi, avec rigueur, et sans confusionnisme, le spectre qualitatif des résonances singulières _ c’est du moins ainsi que je le ressens…

Le « défi » de la consonance des âmes s’atteint en effet seulement au prix de la satisfaction des exigeants et subtils réquisits qualitatifs, à chacune des étapes de cette très improbable _ improbable déjà, et au moins, en son étrange impulsion de départ, mais improbable encore à chacune des étapes… _, chaîne d’émotions et gestes (d’art) s’alignant et se mettant d’étape en étape en phase…

Voici in extenso, aux pages 101, 382 et 248 d’Enfance, dernier chapitre,

le détail des phrases des trois références _ cruciales _ à propos de ce « paysage intérieur » de René de Ceccatty,

auxquelles je viens de me rapporter :

_ la première phrase se trouve à la page 101 :

« Le paysage intérieur de l’enfance  _ telle est l’expression capitale ! il s’agit du « paysage«  ressenti, en soi (et singulier), des émotions et sensations _

ne se présente-t-il pas à nous  _ remarquons la prudence et la modestie de la forme interrogative choisie _

comme une langue étrangère,

un chaos onirique _ c’est à la fois très mystérieux et très déroutant et déstabilisant ! _,

qui réclament tous deux voilà ! _

pour être traduits

_ et c’est bien à une telle transposition poétique, avec visée de la plus grande vérité accessible de sensations ressenties, que nous avons ici à faire, afin de nous faire accéder, dans toute leur magie, aux impressions-sensations auxquelles mènent les « télétransportations«  du récit… ;

page 37, René de Ceccatty (grand traducteur, principalement de l’italien et du japonais) parle aussi, à son propos d’auteur, du geste d« accueillir en moi un système de traduction visuelle et intérieure,  fabriqué _ pour ce qui le concerne, lui _ durant mon séjour à Tokyo _ où débutèrent ses travaux de traduction du japonais _ sur la colline de Kagurazaka, dans l’îlot de Fukuromachi, où mon petit appartement allait, par ailleurs, inscrire en moi une forme définitive _ et c’est absolument crucial pour lui ! _ de l’habitation et de l’écriture«  (liés, comme on le voit ici)… _

un curieux mélange _ assurément ! _ 

d’oublis,

de faux sens,

d’à-peu-près

_ et revoici la semblance flottante (cet improbable bricolage de fou !) dont parlent si bien, et Marie-José Mondzain, et Michel Deguy, très fins hellénistes tous deux ; cf la vidéo et le podcast de mes merveilleux entretiens avec eux deux, le 7 novembre 2017 avec Marie-José Mondzain, au Théâtre du Port-de-la-Lune, et le 9 mars 2017 avec Michel Deguy, à la Station Ausone de la librairie Mollat ; qui complètent en beauté mon entretien si riche et magnifique (cela dit en toute humilité et modestie) avec René de Ceccatty au Studio Ausone de la librairie Mollat, le 27 octobre dernier, dont re-voici le lien au podcast _

qui, cahin-caha

_ par un sublime invraisemblable bricolage inspiré on ne sait par quelles improbables conjugaisons, plus ou moins cahotées (!), d’intuitions-inspirations essayées et tentées, avec « diastole et systole«  (Marie-José Mondzain), ou un « admirable tremblement du temps«  (Chateaubriand, puis Gaëtan Picon) ; René de Ceccatty parle, lui (page 260), de « relation vibrante, changeante, palpitante«  des souvenirs entre eux… _,

parviennent _ par quelle paradoxale transmutation ? mais elle advient ! _

à une forme _ seulement un peu étrange, mais étonnamment juste ! _

de vérité _ mais oui ! le résultat de l’œuvre terminale est incommensurable avec les données très parcellaires et fort décousues, et d’abord inertes (car isolées), de départ… _ 

miraculeusement _ et dynamiquement, grâce à ces archi-vivantes mises en connexion _

restituée ?« , page 101 ;

et c’est là rien moins que la clé majeure, si paradoxale soit-elle, mais justement !.,

de toute la poiesis merveilleuse de René de Ceccatty, il faut le souligner !!!

La seconde suite de phrases se trouve à la page 382 :

« Lorsque, conduit par deux amis algériens, Hamir Nacer et Mourad (je ne connaissais le second que depuis la veille), j‘ai découvert les hauts plateaux d’Oulhaça El Gheraba,

il m’a semblé que j’entrais dans _ et c’est à prendre à la lettre : sur le modèle de son père pénétrant le paysage très dense des épaisses forêts de la Creuse ; et s’y immergeant carrément !.. _

un paysage intérieur _ sien, propre _,

un arrière-pays _ et ici, nous retrouvons le mot et l’intuition sublimes d’Yves Bonnefoy ; lire son magique L’Arrière-pays _,

qui réunissait _ fraternellement _   

mon enfance

(qui pourtant n’avait _ en effet ! _ pas connu un tel paysage, puisqu’elle se divisait entre la nudité marine du Nord tunisien, le Languedoc, et les forêts touffues traversées de torrents et éclairées de pâturages montueux du centre de la France _ dans la Creuse, autour de Bourganeuf _)

à d’autres enfances _ d’autres personnes que soi _,

et à une Bourgogne _ aussi : serait-ce celle de la maison du village de Brosses ? mais là René de Ceccatty demeure elliptique et choisit de n’en pas développer les raisons : quelque chose peut-être de l’ordre d’une « plaie« , probablement toujours à vif en lui : comme à l’égard du Japon, ou de la Corée… ; ou bien plutôt, et bien plus positivement, il s’agit plutôt ici de la Bourgogne des « craus » situées du côté du Creusot (dans le département de Saône-et-Loire, où s’étaient installés les parents de son ami Julien)… Il m’aura fallu plusieurs lectures (et mises en relation d’éléments épars dans le livre, et ailleurs) pour m’en rendre compte : « lire, vraiment lire » demande un minimum de patience, continuité et perspicacité empathique !

le prénom « Julien » apparaît à huit reprises, et très disséminées dans le récit :

pages 30, 56, 212, et ces trois fois dans la même expression « mon ami Julien« 

(page 30, à propos d’Oulhaça El Ghera, le « village de l’arrière-pays d’où est originaire la famille de mon ami Julien«  ;

puis page 56, à propos d’une conversation de René avec sa mère, aux Violettes (où celle-ci est entrée en 2011), dans laquelle « nous commentions l’existence des trois enfants de Julien«  ;

et page 212, à propos de l’invincible différence, entre René et son frère Jean, du « regard sur nos expériences partagées«  : « Que dire alors de mon ami Julien et ses dix frères et sœurs ?« … ;

puis page 269, lors de la perte brutale (« qui m’a déchiré« , écrit-il)  de son amie Catherine Lépront, dans l’expression « j’ai pu, en partie, amoindrir le deuil en le vivant avec Julien _ voilà _ près de moi et près d’elle qui l’aimait beaucoup «  : la mort de Catherine Lépront est survenue le 19 août 2012 ; René de Ceccatty venait d’écrire à la phrase qui précède : « La mort de mes amis (Gillles Barbedette, Clarisse Nicoïdski, Elisabeth Gille, Hector Bianciotti) m’a plongé dans un état de stupeur qui prouvait le caractère inattendu de sa violence » ; et à la page précédente, René de Ceccatty avait écrit : « le deuil de l’amour est paradoxalement moins cruel que celui de l’amitié qui repose sur la réciprocité, sur le partage, sur l’échange. Dans le cas d’un amour partagé, la mort du partenaire produit _ il est vrai _ un effet analogue (et sans doute plus désespérant _ encore _) à celui que produit la mort d’un ami avec qui on échangeait analyses, émotions, confidences, rires tentant d’atteindre la vérité. Mais souvent l’amour se vit dans la solitude que la mort de l’autre ne fait que confirmer » : René évoquant ici ce que fut pour lui la mort d’Hervé en octobre 2002… ;

puis à la page 382, au moment de cette renversante « visite intérieure«  à Oulhaça El Gheraba,  avec la bouleversante émotion de « cette hospitalité dont le prénom de Julien avait été le sésame«  magique ! ;

et deux fois encore, à la page suivante, la page 383, toujours lors de la visite à Oulhaça El Gheraba : dans la mention d’abord de « la tombe de Khadra, la mère de Julien« , sur laquelle « nous venions de nous recueillir » dans le « petit cimetière (familial) qui ne comptait qu’une dizaine de tombes blanches, limitées, chacune, par deux stèles dont l’une portait inscrit le nom du défunt en alphabet romain et l’autre en arabe«  ; puis, sept lignes plus bas, dans la mention de « la maison du père de Julien, abandonnée depuis plus d’un demi-siècle«  et « tombée en ruine, dominant la vallée en friche et des flancs rocheux, et, sur la gauche, les contreforts habités du village voisin (Souk El Tenine, à moins que ce ne soit Sidi Rahmoune) » ;

et l’ultime fois, dans le « dernier chapitre« , à la page 423, lors des obsèques de la mère de Jean et René, dans l’expression : « Julien, qui partage ma vie«  : « Jean avait décidé qu’il n’y aurait aucun rituel funèbre autre que les gestes nécessaires à la mise en bière, la fermeture du cercueil et l’inhumation. Il ne voulait aucun autre témoin que nous deux, Julien, qui partage ma vie, et Eilathan, et Laszlo s’il avait pu venir (…) Nous avions dissuadé les autres membres de notre famille d’assister à ce qui n’était pas un cérémonial. Nous voulions l’inhumation crue parce que la mort l’était « 

Voilà donc pour ces huit occurrences, discrètes et disséminées, de ce prénom « sésame«  de « Julien«  au cours des 432 pages de ce si merveilleux Enfance, dernier chapitre… _

 

il m’a semblé que j’entrais dans un paysage intérieur, un arrière-pays ,qui réunissait mon enfance à d’autres enfances

et à une Bourgogne  _ je reprends donc ici l’élan de la phrase _

que je voyais par transparence,

à demi aveuglé par le contre-jour _ algérien de ce si lumineux jour d’avril 2014 _

parmi les ânes et les tombes.

Reçus _ ce mot est capital _ (nous étions quatre, Hamid Nacer, Mourad et Camille, une jeune Ivoirienne)

par des fermiers dont je connaissais _ seulement _ le nom et possédais une adresse imprécise,

et qui, eux, ne me connaissaient pas _ pas du tout _,

nous étions émus très fortement _  

de cette hospitalité _ voilà ! _ 

dont le simple prénom de Julien _ l’ami de René ; et qui, lui-même, Julien, n’était jamais de sa vie venu là ! _

avait été le sésame _ existent donc des sésames, dans nos vies !.. Quelle chance ! _ :

une famille qui ouvrait sa maison _ oui _,

arrêtait le temps _ en un moment très simple et évident d’éternité _

de la journée pour nous,

préparait un repas, 

nous amenait au cimetière familial _ où repose « Khadra, la mère de Julien«  (page 383).

… 

H’mimet _ oncle de Julien _,

sa deuxième femme, sa jeune fille, sa petite-fille, _ les Irène

nous recevaient _ voilà _

comme si nous étions des intimes,

parce que j’avais prononcé _ en sésame, ouvre-toi ! _

le prénom de son neveu _ Julien _

né en France _ et jamais venu, lui, en Algérie.

Or, je n’ai éprouvé cette sensation de visite intérieure  _ une expression capitale ! : une découverte idiosyncrasique interne à sa propre sensibilité, et absolument non programmée, sur le terrain géographique de ce qui semblait lui convenir et surtout l’accueillir de toute éternité, du fait de sa propre histoire personnelle, lentement déroulée et un peu cabossée, au fil des cahots de toutes ces années, et, surtout, de toutes (les heureuses comme les malheureuses) rencontres advenues… _

dans aucun des paysages de ma propre enfance« soit une clé (décisive !) de la « démarche«  d’écriture et d’efforts d’imageance de René de Ceccatty, du moins pour le lecteur un peu attentif que je m’efforce d’être ; je reprends ici volontiers ce terme d’imageance que j’ai forgé pour caractériser ce que Marie-José Mondzain nomme, elle, les « opérations imageantes«  ; et qui convient parfaitement, selon moi, aux « démarches«  d’écriture et mémoire ouvertes (avec apports enrichissants de « transparents«  et « va-et-vients«  divers) de René de Ceccatty… _, page 382 ;

Et la troisième phrase se trouve à la page 248 :

« La mer, la mer.

Près d’elle, j’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence _ à Mégrine, en Tunisie, puis à Montpellier, dans le Languedoc.

A moins de dix kilomètres, accessible en train, à vélo, en voiture.

Le rendez-vous estival (et même hivernal) était inévitable. 

Elle fait à tel point partie de mon paysage _ l’adjectif possessif est donc à souligner _

que lorsque je vois s’étendre un vaste espace blanc par dessus les toits de la ville (à Paris, à Tokyô),

je m’attends  _ voilà !  _

à voir se profiler _ à l’horizon _

la ligne bleue qui la signale cette mer _,

comme

_ et revoilà la semblance (!) de ce processus d’imageance dont je me suis entretenu avec Marie-José Mondzain au Théâtre du Port-de-la-Lune, à Bordeaux, le 7 novembre dernier : cf la passionnante vidéo de cet entretien magnifique ! _,

comme je l’avais vu _ effectivement, cette fois _ apparaître, en me promenant en forêt, dans les monts de Seoraksan, à Sokcho, en Corée. Il s’appelle maintenant, l’hôtel où j’étais allé en 1977, pour les fêtes de fin d’année, le Hanwha Resort Seorak Sorano.

En écrivant ces noms coréens,

je fais resurgir _ car telle est la puissance, mêmee involontaire ici, d’un art vrai _

plus que la ligne bleue de la mer du Japon (entre la Corée et le Japon), que j’ai souvent appelée par erreur mer Intérieure, qui en est une autre, entre les îles de Kyûshû, Shikoku et Honshu.

Ce n’est pas seulement la Méditerranée qui réapparaît,

mais ce séjour coréen très bref « , page 248 ;

que suit encore ce passage, lui aussi essentiel, page 249 :

« Il en est toujours ainsi _ pour nous, pour nos rapports à elle _

de l’enfance.

 

A travers combien de filtres et d’anticipations temporelles (c’est-à-dire de souvenirs ultérieurs)

faut-il passer _ voilà _

pour parvenir _ voilà _

à une zone qui ne sera plus jamais _ mais l’a-t-elle jamais été ? et est-ce rédhibitoire ?.. Non ! Bien au contraire. Même si ce n’est pas à n’importe quelles conditions non plus... _

vierge ?

 

Car que reste-t-il en moi de _ ce qu’avait été pour lui, alors, en cette prime enfance effective, en Tunisie _

la plage de Saint-Germain, de Hammamet,

déjà détrônée _ mais est-ce complètement ? _ par tous les étés passés de l’autre côté, en Languedoc ?

Détrônée aussi par le Pacifique vu à partir de Shichirigahama, la côte de Kamakura, avant Enoshima.

Sans parler des étés plus récents.

En écrivant le mot « transparent« ,

écrit René de Ceccaty, page 36 _ et c’est un passage très important à propos de sa « démarche » générale de méthode _,

je pense _ en auteur _

aux écrans qui se dressent _ avec une ambivalence qui est loin d’être seulement ou surtout négative, comme le redoute un peu trop dans ce passage-ci, me semble-t-il du moins, ce pessimiste rigoureux presque invétéré (mais pas vraiment !) René de Ceccatty _

entre ma mémoire présente et son objet qu’elle invente _ par imageance ouverte (et féconde !) _

plus qu’elle ne se le remémore _ mais qui, paradoxalement, aident, ces « écrans« , ces « transparents« , à réussir à mieux approcher, ressentir (et mieux faire ressentir, aussi) l’enfance vécue pourtant sans et loin d’eux, et bien antérieurement à eux, ces « écrans«  qui se sont, depuis l’enfance vécue, interposés.

Et je sais que désormais il ne faut plus _ idéalement _ espérer faire renaître _ telles qu’ils et elles furent effectivement vécues alors par le très jeune Re-né ! en sa prime enfance _ ces images, ces visages, ces paysages, ces impressions, ces angoisses _ tout spécialement : René demeure presque un anxieux atavique… _, ces attentes, ces déceptions, ces illusions, ces désenchantements _ qu’il lui faudrait, au moins partiellement, conjurer pour être un peu plus et un peu mieux pleinement heureux ; mais il y vient, il y vient : la paix arrive !.. _ de mon enfance,

mais que,

tout au plus,

je recomposerai _ voilà, et même avec bonheur ! _

un tableau

aussi composite _ certes _ qu’une courtepointe,

fait de fragments hétéroclites _ et alors ? c’est bien davantage, ici, un enrichissement qu’une altération-détérioration : bien des choses disparates viennent (ou finissent par) prendre leur place et curieusement s’harmoniser en une vie assez longue et assez cohérente, au final, par-delà cette surprenante, d’abord, mais enrichissante diversité _

et empruntés  _ mais infiniment positivement ! pourvu que soit dans la plus grande justesse de « semblance« …  _

à de multiples expériences _ voilà : le terme d’« expériences » étant à prendre à la lettre et au sérieux : il faut les cultiver ! _

qui se sont intercalées _ pas seulement donc en parasites nocifs et opaques, mais en tremplins au pouvoir magique de vision comme rétrospective… _

entre le passé et moi.

Et ce passé _ tel qu’il avait été vécu, lui : plus pauvrement, dans bien davantage d’ignorance _

n’attendait sans doute

_ mais oui !

et c’est même là l’acquis principal de l’« expérience«  (le titre de l’ultime essai des Essais (III, 13) de Montaigne est justement « De l’expérience« ) de toute une vie vraiment vécue : cf ici Proust,

ou Montaigne, avec sa ludique et très jouissive méthode (de « semblances«  et « télétransportations« ) « à sauts et à gambades » et dans l’interlocution permanente et questionnante avec, via ses livres; comme via les maximes peintes par lui sur les poutres de sa librairie, l’amitié vivante des auteurs disparus, certains depuis presque la nuit des temps (dans l’Antiquité gréco-romaine, principalement) mais aux pensers toujours bien actifs pour lui : à revenir « conférer« , discuter, contester, régulièrement, et avec fermeté, avec lui, au présent de la méditation et de l’écriture, afin de penser avec (et aussi contre) eux, avec toujours un plus de justesse, en affinant les détails (où le diable se cache !) : par rapport à eux, et contre eux, si nécessité s’en faisait ressentir !

Tel saint Jérôme en sa cellule de méditation (vu ici par Jan van Eyck),

Jan van Eyck (about 1395-1441)  Saint Jerome in his Study  Oil on linen paper on panel, about 1435  20.6 x 13.3 cm (panel), 19.9 x 12.5 (painted surface)  Institute of Arts, Michigan, Detroit, USA

Montaigne n’était donc pas sans interlocuteurs de qualité, en sa librairie solitaire… _

Et ce passé n’attendait sans doute

que toutes ces expériences à venir _ tel est le paradoxe à accepter, et auquel il faut faire confiance, en cette vie à venir…  _

qui lui donneraient  _ enfin, parce que convoquées ou reçues avec le plus grand souci de la justesse ! et avec l’« à-propos«  qu’il faut _

son sens,

_ demeuré forcément _ inachevé _ faute d’assez de points de comparaison ; et c’est là le lot de la pauvreté d’expérience de toute enfance (et pas seulement de l’enfance, d’ailleurs) ; « Infans«  : qui ne parle pas encore ; privé de parole et privé de culture… Et il n’y a pas que les enfants qui manquent de culture ; et de points de comparaison un tant soit peu judicieux (cela s’appelle « l’expérience«  se constituant ; pour qui, du moins, a appris à se la bâtir-élever avec un tant soit peu de sagacité) _

au moment où il était _ aphasiquement en quelque sorte, alors : l’infans est celui qui n’a pas encore appris à parler (et élaborer sa perception du réel) ! et, cette incapacité est une forme d’infirmité qu’il faudra absolument tenter de corriger ! Et l’ignorance ne concernant certes pas que les enfants !!! _

vécu«  _ et lequel passé vient enfin (hourrah ! ou alleluhia ! comme on voudra) trouver et achever son sens, voilà, comme ici, en ce sublime (mais oui !) travail d’écriture et de semblance sans cesse s’ajustant qu’est ce merveilleux Enfance, dernier chapitre !

Le résultat positif paradoxal de l’apport de ces quelques « transparents » successifs bricolés et ajointés « cahin-caha« ,

étant que « le paysage d’enfance » est alors, et alors seulement, mieux approché et « visité » que jamais

et enfin _ ou presque _ compris.

Ajointé, ici, à l’effet tellement crucial pour René, des trois syllabes enfin pacifiées _ voilà ! _, par sa visite printanière éblouie à Oulhaça Et Gheraba, du mot « Al-gé-rie«  :

résolvant d’un coup, et pour toujours, l’énigme de ses terribles crises d’angoisse subies au long de sa petite enfance, et au-delà…

On remarque aussi que

le tout début du précédent récit-roman (paru au mois de mars 2012) de René de Ceccatty, Raphaël et Raphaël _ en partie autobiographique pour le dire un peu vite, et pas très exactement _,

entamait très concrètement l’arpentage, par le narrateur-auteur lui-même, de certaines rues de Montpellier _ ce chapitre premier est intitulé « La Promenade«  _

à la recherche de traces _ venant relancer et inspirer sa mémoire _ qui soient encore visibles sur le terrain de cette enfance sienne,

entre juin 1958 _ l’arrivée de René à l’âge de six ans, par avion, à Marignane, en France, ayant quitté, avec sa mère et son frère, la Tunisie ; son père ayant préparé leur accueil à Montpellier dès la fin de l’automne 1957 _

et, disons, septembre 1963 _ qui pourrait rétrospectivement marquer le passage (mais, forcément, c’est plus flou) à quelque pré-adolescence, pubertaire : soit un début de sortie de l’enfance proprement dite ; le narrateur-auteur ayant alors onze ans et demi, et allant entrer en classe de 5ème _ :

« Le continent noir _ sic : c’est par ces mots très forts, voire terribles, que s’ouvre le récit, page de Raphaël et Raphaël _

s’est rouvert _ le phénomène est donc récurrent et impressionnant, tant par sa taille gigantesque que sa couleur très sombre.

Il suffit de peu _ une occasion _

et il faut tout _ pour s’y livrer vraiment et à plein.

Je l’ai voulu, je ne m’en étonne pas.

Tant de détermination à creuser en moi une brèche _ dans le présent pour laisser émerger quelque chose du passé _

qui ne demandait _ elle-même, cette « brèche«  : comment l’interpréter ? Ne serait-ce qu’une pulsion masochiste persistante ? Non ! un appel à la résilience, au contraire… _

qu’à s’élargir et s’approfondir  _ mais pour le meilleur ! dans l’œuvre vraiment accomplie par cet ample et très riche travail de remémoration et d’écriture ! _,

devait bien donner quelques résultats :

ils se sont fait attendre,

mais ils sont là désormais, incontestables.

J’accueille _ afin de les expérimenter et aider à s’épanouir alors et explorer _

de vieilles sensations assoupies :

elles se réveillent _ telle quelque sombre belle-au-bois-dormant_,

elles n’étaient pas mortes, ni parties _ mais attendaient comme en stand-by leur délivrance, leur révélation…

Je suis allé dans cette rue pavillonnaire _ non nommée ici, et que le lecteur curieux que je suis, n’était pas tout à fait parvenu, à lui seul, à identifier : René m’y a aidé _

d’une ville _ Montpellier _

que je n’ai jamais visitée _ pour simplement y avoir tout simplement vécu et habité au quotidien, et n’y revenir que pour des raisons familiales très fortes : venir tenir compagnie à sa mère, surtout : elle vieillit, et partira un peu plus tard, en 2011, en maison de retraite, aux Violettes ; et pas du tout en touriste visiteur visitant…

J’y suis allé un lundi de pluie avortée, de ciel poisseux, d’août _ 2008  _ moite » :

tel est donc le début, page 7, du récit de Raphaël et Raphaël.

Et page 8, très explicitement :

« J’étais trop _ sic _

décidé à visiter _ avec ce que ces mots comportent d’organisé et de méthodique, et d’abord de volontaire ! ; mais aussi d’« intérieur« , pas seulement via la géographie physique… _

mon enfancevoilà donc déjà exprimé alors, cet été 2008, le projet même d’Enfance, dernier chapitre, commencé, donc, d’être spatialement préparé pedibus (avant sa pleine mise en œuvre par l’écriture qui va suivre) en ces journées montpélliéraines d’août orageux 2008, de ce Raphaël et Raphaël (qui paraîtra en mars 2012, aux Éditions Flammarion) ; alors que Enfance, dernier chapitre, achevé courant 2016, paraitra en janvier 2017 aux Éditions Gallimard _

pour qu’elle _ cette enfance elle-même, donc : sponte sua, en quelque sorte ; tels les processus nocturnes de l’Inconscient ! _

me fasse le cadeau d’une visite _ seulement _ inopinée _ et seulement par surprise et hasard, sans disponibilité véritable, non plus pour vraiment la saisir, et explorer vraiment, et comprendre : comprendre ! _,

elle-même « .

Et, en effet, page 9 :

« Je faisais une « démarche«  _ voilà : d’auteur, d’écrivain-explorateur (de sensations anciennes à rafraîchir vraiment !) _

en marchant dans cette lumière orageuse » :

«  »Démarche » est en effet le terme administratif _ la notation est bien sûr pleine d’humour vis-à-vis de soi-même de la part de l’auteur déambulant… _

qui convient à mes raisonnements très volontaristes« ,

vient juste de préciser René de Ceccatty _ le très courageux, en son œuvre comme en sa vie _, page 9, de ce qui s’avère constituer, en ce lundi menaçant du mois d’août 2008,  un tout premier moment de préparation _ voilà _  sérieuse et ouverte de l’enquête beaucoup plus exhaustive que va déployer en une splendide déambulation mémorielle de très vaste et lumineuse ampleur ce merveilleux _ pardon de tant me répéter ! _ Enfance, dernier chapitre

Mais le hasard, la chance _ de quelques rencontres effectives vraiment positives _,  ainsi que la faculté grande ouverte d’imageance de l’auteur écrivant qu’il est aussi, et très conjointement _vont aussi intervenir…

Nous attendons désormais avec beaucoup d’empathie et la patience qui convient : sans précipitation ! _ et nous mesurons aussi l’ampleur de la tâche qui cette fois à nouveau s’ouvre : René de Ceccatty la qualifiera-t-il, une nouvelle fois aujourd’hui, de « continent noir«  ?.. _,

ainsi que de confiance,

la prochaine étape à venir de cette démarche poétique et visionnaire d’investigation probe, vaillante et courageuse

de ce qui avait été, en 2008, qualifié, avec le pessimisme d’un anxieux non encore pacifié, de « continent noir » de la mémoire _ fragmentaire, forcément, en même temps qu’inquiétant _, de son passé,

de la part de l’audacieux explorateur ultra-sensible et ô combien poétique, qu’est René de Ceccatty

de ce passé sien ;

et de son Inconscient ;

ainsi que des incidents des rencontres d’altérité _ certaines bonnes et heureuses, cela s’avère aussi ! _ advenues,

ainsi que cela ne manque pas d’advenir  en toute vie humaine un peu poursuivie et tenue.

Car il n’est pas de vie humaine sans un minimum de rencontres _ cf mon article du printemps 2007, re-publié le 26 octobre 2016 : Pour célébrer la rencontre _ d’au moins quelques autres que soi…

Assisterons-nous à de nouvelles « télétransportations » ?

Nous verrons bien…

Titus Curiosus, ce mardi 12 décembre 2017

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