Archives de la catégorie “Musiques”

Approfondir le piano de Florian Noack via sa discographie, en commençant par ses très beaux Lyapunov…

15avr

La parution du beau CD « Florian Noack – I Wanna Be like You – The Piano Transcriptions » du pianiste Florian Noack (Bruxelles, 15 novembre 1991) _ lire l’article « Madeleines » que lui a consacré Jean-Charles Hoffelé le 5 avril dernier _

est pour moi l’occasion d’un approfondissement du très remarquable travail musical de Florian Noack au travers des 5 très beaux CDs de cet excellent pianiste que je possède à ce jour :

..;

le CD « Lyapunov – Works for Piano vol. 1 » (Ars Produktion ARS 38132, enregistré à Wuppertal au mois de septembre 2012),

le CD  « Lyapunov – Works for Piano vol. 2 » (Ars Produktion ARS 38209, enregistré à Wuppertal au mois de décembre 2015),

le CD « Album d’un voyageur » (La  Dolce Volta LDV 43, enregistré à Liège au mois de décembre 2017),

le CD « Sergei Prokofiev _ visions fugitives » (La  Dolce Volta LDV 74, enregistré à Wuppertal au mois d’avril 2019),

et le CD « Florian Noack – I Wanna Be like You – The Piano Transcriptions » (La Dolce Volta LDV 121, enregistré à Mons au mois de janvier 2023) ;

et qui m’amènent à rechercher les CDs « Transcriptions et Paraphrases » (Ars Produktion ARS 38148) _ lire l’article intitulé « Rentrée à 10 doigts » de Jean-Charles Hoffelé, paru le 14 septembre 2014  _

et « Lyapunov – 12 Études d’exécution transcendante » (La Dolce Volta LDV 90) _ lire l’article intitulé « Paradis » de Jean-Charles Hoffelé, paru le 9 novembre 2021 _,

que j’ai laissés passer à leur parution en 2014 et 2021…

Et je viens de commencer ma « révision » de rattrapage par l’enchanteur CD « Lyapunov – Works for Piano vol. 1 » (Ars Produktion ARS 38132, enregistré à Liège au mois de septembre 2012), consacré à 14 très belles pièces _ chopiniennes ? dont 8 Mazurkas et 3 Valses-Impromptus… _ de Sergei Lyapunov (Iaroslav, 30 novembre 1859 – Paris, 8 novembre 1924) :

écoutez-ici par exemple cette splendide Mazurka n°3 Op. 17 (5′ 32)…

À suivre…

Ce lundi 15 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

De Ravel en Liszt, un voyage mien, somme toute, de redescente, pour le ravélien que je suis…

14avr

Les bien belles sorties discographiques présentes des CDs « Ravel – The Complete Works for Solo Piano Vol. 1 » (Avie Records AV2623) de Vincent Larderet et « Liszt » (Alpha 1036) de Nelson Goerner _ regarder cette passionnante vidéo (de 5′ 09) de présentation de ce CD « Liszt«  par Nelson Goerner lui-même, formidable interprète, ici à son domicile, à Cologny, au bord du Lac Léman… _,

m’ont amené à commander dare-dare à mon disquaire préféré le précédent double album « Liszt- Between Light & Darkness » (Piano Classics PCL10201) de Vincent Larderetn que, en dépit d’un article « Deux nuances de sombre » le lire ici _ de Jean-Charles Hoffelé, paru en date du 26 janvier 2021, je n’avais pas vu passer _ et que d’ailleurs le magasin n’avait jamais eu non plus… _ ;

ce qui a fait que ce même jour, hier samedi 13 avril, j’ai pu me procurer et écouter sur ma platine ces trois CDs Liszt par Vincent Larderet et Nelson Goerner…

Je dois confesser que, à la différence de Jean-Charles Hoffelé qui a beaucoup apprécié ce double album « Liszt- Between Light & Darkness » de Vincent Larderet, je n’y ai hélas pas du tout accroché…

A contrario,

le jeu de Nelson Goerner, éminemment poétique dans les « 3 Sonetti di Petrarca » S. 270 _ écoutez ceci _et sensible et nuancé dans la majestueuse grande « Sonate en Si mineur » S. 178, m’a, lui, en revanche, comblé…

Et rappelé aussi le plaisir éprouvé aux divers CDs Liszt, tout en subtiles nuances, de Francesco Piemontesi cf tout spécialement mon  article « «  en date du 19 septembre 2023,

avec rappels de précédents articles consacrés à ces divers CDs lisztiens de Francesco Piemontesi…

Il n’empêche, le voyage de Ravel en Liszt représente pour moi, très subjectivement, hélas, une forme de redescente musicale, eu égard à mes réticences indurées envers le romantisme _ et son pathos confus souvent, sinon en général ; mais cela dépend aussi, bien sûr, des interprètes et de leurs interprétations : il y a aussi de bienheureuses exceptions !.. _, et surtout ma passion pour la lisibilité-clarté-fluidité du goût français, à son acmé dans Ravel _ en sa filiation assumée avec les Couperin par exemple…

Toute écoute de musique, d’un disque ou d’un concert, a lieu en un moment et un contexte nécéssairement particuliers, qui ainsi, forcément, la relativisent, et qui obligent à revenir, ici ou ailleurs, ré-écouter et l’œuvre et l’interprétation de tel ou tel artiste qui nous en donne une médiation sienne, à laquelle nous-mêmes prêterons une plus ou moins ouverte et juste attention, à cet autre moment-là :

telle est la situation de ce jeu mélomaniaque ouvert à focales croisées et recroisées, indéfiniment in progress

Ce dimanche 14 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Réception ce jour et première audition émerveillée du somptueux nouveau et ravélissime CD du ravélien éminent qu’est Vincent Larderet : « Ravel – The Complete Works for Solo Piano Vol. 1″…

13avr

Réception ce jour du somptueux nouveau CD _ impatiemment attendu de ma part ; cf mon enthousiaste article du 26 avril 2018, « «  consacré à ce musicien hors pair qu’est Vincent Larderet (né en 1976 à Saint-Étienne ; voir cette jolie esquisse de portrait de lui réalisé par le stéphanois, lui aussi, Christian Soleil le 20 décembre 2000, quand Vincent, jeune pianiste, avait à peine 24 ans… ; et regarder surtout cette éloquente vidéo ravélienne, déjà, de 5′ 02, prise en janvier 2014…) ; un article de 2018 dans lequel je rappelais l’immense plaisir pris à ses très marquantes prestations ravéliennes : les CDs « Ravel Orchestral & Virtuoso Piano«  (ARS 38 146, enregistré en novembre 2013), magnifique !, et aussi et peut-être surtout le magistral d’évidence « Ravel / Schmitt Piano Concertos«  (ARS 38 178, enregistré en février 2015, avec l’OSE Symphonic Orchestra dirigé par Daniel Kawka)… _ de Vincent Larderet : « Ravel – The Complete Works for Solo Piano Vol. 1« , le CD Avie Records AV2623,

le premier volume _ avec « Miroirs » M.43 (1904-05), « Jeux d’eau«  M.30 (1901), « Valses nobles et sentimentales » M.61 (1911), « Sonatine » M.40 (1903-05) et « Pavane pour une infante défunte » M.19 (1899)… _ d’une intégrale de la musique pour piano seul de Maurice Ravel, qui comportera  _ « in a first-ever exhaustive set of Ravel’s complete works for solo piano, a landmark collection that will embrace world premieres« , et cela « prepared and recorded from personnal scores annotated by pianist and teacher Vlado Perlemuter during his private study and collaboration with the composer (1927-1929) » ; avec encore cette notable précision-ci : « Through his work with Perlemuter’s student Carlos Cebro, Vincent Larderet is a direct inheritor of Ravel’s approach «  _ pas moins de 4 volumes,

avec de très nombreux inédits _ les Intégrales du Piano seul de Ravel comortant jusqu’ici seulement 2 CDs…

Cette fois, et à nouveau, comme très souvent, c’est l’article du très fin Jean-Charles Hoffelé « Nouveau Ravel« , le 2 avril dernier, qui m’as mis en grand appétit:

NOUVEAU RAVEL

Le verso du disque _ mais oui : je l’ai cité un peu plus haut… _ promet : Vincent Larderet, dont la relecture radicale des Concertos avait fait couler beaucoup d’encre (voir et lire ici l’excellent article « Doublé Ravel » de Jean-Charles Hoffelé, en date du 29 octobre 2015…) s’est engagé dans la première intégrale vraiment complète _ voilà ! _ de l’œuvre pour piano seul de Maurice Ravel, annonçant quatre volumes, ce qui suppose _ en effet _ bon nombre d’inédits.

Il aura eu à cœur de travailler son Ravel sur les partitions _ voilà ! _ de Vlado Perlemuter. La légende dit que des annotations du compositeur y figurent _ en fait, Ravel, l’esprit toujours très vif et acéré, disait bien plus qu’il ne prenait la peine formelle d’écrire... Carlo Cebro, qui avait étudié son Ravel avec Perlemuter _ qui se souvenait de tout ce que lui avait expressément indiqué Ravel _ aura veillé au travail du pianiste sur ce matériel _ voilà, voilà le départ de cet énorme travail de relecture et révision des partitions de Ravel par Vincent Larderet ; cf aussi ce qu’il disait déjà de ces nécessaires révisions des partitions en sa vidéo de janvier 2014 ; et sur ces nécessaires révisions des partitions ravéliennes, mais cette fois orchestrales, cf aussi mon article du 4 avril dernier : « « 

Pour Miroirs, dès Noctuelles, dont le « cravachage » se fait entendre si net jusque dans la brisure du texte, cela tire immédiatement l’oreille _ oui ! La pointe d’hypnose d’Oiseaux tristes reste plus classique, mais réalisée avec une maîtrise des plans sonores que l’on retrouvait dans les Nimbus de Perlemuter _ le double CD NI 7713/4, enregistré à Birmingham en 1973 _, malgré la prise de son hélas façon piscine.

Barque subtile, Alborada sans presser, Vallée des cloches sans traîner, assez gamelan relus ainsi _ oui _, les cinq pièces de Miroirs forcent l’écoute _ oui, oui _, le ton très Fauré, débarrassé de Liszt _ voilà ! _ de Jeux d’eau itou, les Valses, sombres à mesure _ mais oui _, ont un côté Gaspard étrange, et tiennent l’écoute en haleine _ elles aussi _, seule la Sonatine, très mesurée, me perd un rien par son excès de pudeur _ autre trait ravélien, mais de fait davantage de sa personne que de sa musique, toujours vive, franche et acérée ; et pas impressionniste du tout… _ , son tempo en dessous de ce qui s’y pratique depuis Gieseking, mais l’interprète est fidèle en cela _ en effet ! _ aux volontés _ un brin classicisantes, oui, ici _  du compositeur, le Menuet un peu trop marqué, le chasse neige du Final avec pas assez d’orchestre, déception relative qui prélude à une impeccable _ mais oui !Pavane _ écoutez-ici ses 6′ 37. Je suis curieux de la suite _ oh que oui !

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)


L’Œuvre intégrale pour piano, Vol. 1

Miroirs, M. 43
Jeux d’eau, M. 30
Valses nobles et sentimentales, M. 61
Sonatine, M. 40
Pavane pour une Infante défunte, M. 19

Vincent Larderet, piano

Un album du label Avie Records AV2623

Photo à la une : le pianiste Vincent Larderet – Photo : © DR

Le choc de la toute première audition de ce CD de 73′ est puissant, ajoutée au jeu d’une lisibilité-limpidité, intensité et profondeur magnifique de Vincent Larderet, la formidable qualité, il faut le souligner, de la prise de son de l’ingénieur Moritz Helmich, à Brême, du 25 au 27 avril 2023, et cela sur un splendide Grand Piano Steinway & Sons D 597020…

Une lisibilité-limpidité encore plus essentielle évidemmment chez Ravel, au regard vif si net et incisif à la lisière du coupant même parfois, mais sans jamais la moindre brutalité, bien sûr… _, qu’en toute la musique française, dont cette lisibilité constitue une constante donnée de fait absolument fondamentale, et même rédhibitoire…

Un travail donc tout à fait marquant et superbe, absolument passionnant, de ce décidément très éminent ravélien _ au-dessus de bien d’autres… _ qu’est Vincent Larderet :

à suivre, et avec la plus vive impatience…

Chapeau bien bas, l’artiste !!!

Ce samedi 13 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Mathieu Pordoy subtil accompagnateur et chef de chant, ou le pur art du charme (suite)…

12avr

Le récent beau CD « Mozart – R. Strauss – Lieder« , avec Sabine Devieilhe _ Erato 5054197948862, enregistré à l’Opéra de Paris au mois de juillet 2023 (ainsi que le 5 janvier 2024, à Boulogne-Billancourt, pour « Morgen« , avec le violon de Vilde Frang : écoutez-le ici)… _confirme une nouvelle fois, et si besoin encore en était, le très grand talent du pianiste Mathieu Pordoy, comme accompagnateur (ou chef de chant) hyper subtilement attentif : cette fois dans un beau récital, bien composé, de Lieder et Mélodies de Mozart et Richard Strauss…

Sur ce talent amplement confirmé déjà de Mathieu Pordoy, cf mes détaillés articles des 19 décembre 2019 « « ,

21 juin 2023 « « ,

et 22 juin 2023 « « .

Et voici un lien au très précis commentaire intitulé « L’évidence » qu’en a donné le 29 mars dernier sur le site de ForumOpera Charles Sigel…

Sabine Devieilhe : Lieder de Mozart et Richard Strauss

29 mars 2024
L’évidence

En somme c’est Zerbinetta et la Reine de la nuit chantant le lied. Avec tant de facilité apparente, de naturel, d’évidence que, pour un peu, on en oublierait d’admirer…

Réussite parfaite à laquelle concourt à égalité le piano de Mathieu Pordoy, très coloré, jamais lourd, et d’une variété de toucher infinie, partenaire idéal _ oui _ respirant à l’unisson de la voix. Tous deux dans une prise de son magnifique, équilibrée et brillante.

Chez Sabine Devieilhe, c’est peut-être la maîtrise de la ligne qui émerveille d’abord (outre l’intonation d’une justesse évidemment jamais prise en défaut). Ce legato qui ne faiblit jamais et traduit l’immobilité de Die Nacht (Strauss), l’effroi de l’avancée d’une nuit engloutissant toutes choses. Tout cela impliquant une maîtrise, un souffle, un placement de la voix de haute volée. Au seul bénéfice finalement de l’esprit du lied, de cette incertitude blême où est plongé l’auditeur. Le sens du poème est donné in extremis : « O die Nacht, mir bangt, sie stehle Dich mir auchOh, j’ai peur que la nuit t’arrache aussi à moi. »

…Mathieu Pordoy et Sabine Devieilhe © Steve J. Sherman

C’est le premier Strauss de l’album, la plage 2. Je suggère d’écouter juste après le premier des Mozart mélancoliques, la plage 9, l’étonnant An die Einsamkeit (À la solitude). Mélodie ou lied ? On peut en discuter. Plutôt lied, je crois, puisque c’est un état d’âme. Et Mozart y semble, en sol mineur, préfigurer Schubert. Pas de prélude au clavier (Mathieu Pordoy, si délicat, si attentif _ oui, oui). Mozart expose tout de suite la ligne musicale, une mélodie reprise trois fois (en principe quatre, l’une des strophes est ici coupée) sur un texte un peu sentimental (de Johann Timotheus Hermes, romancier à succès) que la musique transfigure. Et puis la transparence du timbre, les ornements légers des reprises, le dépouillement pour ne pas dire l’effacement de l’interprète, le sentiment pur… C’est très beau et tout simplement, oui, évident.

De la même façon, pour revenir à Strauss, Waldseligkeit (Béatitude en forêt) semble en lévitation avec ces notes tenues inépuisables sur un souffle sans fin, ces montées sur les sommets, ces longues paraboles qui semblent s’envoler toujours plus haut avant de redescendre vers le dernier vers (« Da bin ich ganz nur DeinLà je suis tout à toi »). Technique vocale souveraine mise au service de l’expression.

Strauss en 1902 © D.R.

En lévitation

Lévitation, le mot reviendrait naturellement sous la plume pour évoquer l’effet étrange, un peu hypnotique, que crée Meinem Kinde, regard émerveillé porté sur un enfant qui dort. On cherche les explications : est-ce le tempo lentissime, le timbre si limpide, les passages impalpables en kopfstimme (sur Sternlein), l’intensité de certains forte (sur segne, umher, ou Liebe) sans parler des spirales obsédantes du piano ?

Mystères de l’interprétation… Qui se perpétueront dans la plage suivante, le fameux Morgen, ondulant, halluciné, avec ses longues tenues non vibrées, portées par le violon effusif de Vilde Frang, ses silences qui s’allongent, comme certains mots (« die Augen schauen ») s’étirent à l’infini _ écoutez- le ici… L’ineffable va bien à Richard Strauss… Lied extatique sur un poème de John Henry Mackay au sous-texte homosexuel : demain, Morgen, nous serons libres (c’est du moins ce que révèle _ en effet, à la page 12  du livret _ le commentaire de Richard Stokes).

Autre lied illustre, Ständchen (Sérénade), et sa prestesse, sur les guirlandes ondoyantes du piano : le sous-texte (pas tellement caché d’ailleurs) est ici ouvertement érotique _ oui _, jusqu’aux « Wonneschauen » de la fin, des frissons de bonheur au sens dépourvu d’équivoque. La voix se fait aussi légère que celle du rossignol (Die Nachtigall) qui assiste à la scène, tandis qu’une rose en rougit. Version parfaite d’un lied dont Strauss se plaignait déjà qu’il fût galvaudé, mais restitué ici dans toute sa fraîcheur amoureuse.

Sabine Devieilhe © Alice de Sagazan

Virevoltes

On classera aussi au dossier Zerbinetta l’invraisemblable Amor, qui tient du défi permanent et de l’équilibrisme dangereux : coloratures en cascades, trilles en batteries serrées, défilé de notes perchées, des contre-ut à foison …. Si la gageure est de faire croire que c’est facile, elle est tenue, comme en se jouant. De même pour Kling ! aérien et folâtre, qui semble répondre à la petite comédie de Schlagende Herzen (Cœurs battants) où Mozart semble préfigurer les ballades des Romantiques.

Ainsi va ce récital qui batifole entre fantaisie et mélancolie, comme pour attester, si besoin était, de la richesse de la palette de Sabine Devieilhe, et de la cyclothymie de Strauss, sans doute le dernier de ces Romantiques, qui passe incessamment de la virtuosité à la morosité, celle qu’il laisse s’épancher dans le Rosenkavalier, nostalgisant sans fin sur la fuite du temps (dans Winterweihe -Dédicace d’hiver) mais toujours amoureux (Ich schwebe – Je plane).

Érotisme fin-de-siècle

Les mélodies très Modern Style du cycle Mädchenblumen (Fleurs de jeunes filles), écrites en 1889, publiées en 1891, font partie de la première vague composée par Strauss, qui ne s’adonnera à l’exercice qu’épisodiquement. Ces quatre vignettes, sur des poèmes de Félix Dahn, filent la métaphore entre fleurs et petites jeunes filles, avec maintes arrière-pensées d’un érotisme à peine estompé et pas mal de doubles sens transparents. Strauss, faisant mine d’en rougir, écrit à son éditeur Eugen Spitzweg : « J’ai achevé un nouveau volume de lieder, mais ils sont très compliqués et constituent des expériences si curieuses qu’il me semble que je vous rendrais service en les refilant à un autre éditeur… »
Elles ont été enregistrées notamment par Edita Gruberova et Diana Damrau. Sabine Devieilhe les surpasse en aisance et en naturel (un naturel très sophistiqué, bien sûr). Les courbes serpentines et les modulations pastel de Kornblumen (Bleuets), le brio virevoltant de Mohnblumen (Coquelicots), les insinuantes allusions d’Epheu (Lierre) – « Denn sie zählen zu den seltnen Blumen, die nur einmal blühen – Car elles comptent parmi les fleurs qui ne fleurissent qu’une fois »-, l’érotisme torpide de Wasserrose (Nénuphar), sur le piano liquide de Mathieu Pordoy qui semble scintiller dans une lumière matinale… C’est un univers préraphaélite, voluptueux et diaphane dont Sabine Devieilhe varie constamment les couleurs et l’éclairage, aussi attentive au texte qu’à la musique.

Mozart par Joseph Lange © D.R.

Pudeurs mozartiennes

Juste après, La violette de Mozart (Das Veilchen) semblerait bien frêle et bien chaste en comparaison… Écrasée par le pied d’une bergère étourdie… Ce pourrait être une bluette très Hameau de la Reine. Par le simple (?) jeu des harmonies, Mozart lui prête la mélancolie d’une réflexion sur la vie et la mort, très troublante. D’autant plus quand elle s’illumine de la fausse candeur du timbre de Sabine Devieilhe. Une mélodie composée en 1785, l’année des 20e et 21e concertos… C’est Mozart lui-même qui ajouta aux vers de Goethe sa propre conclusion : « Das arme Veilchen ! Es war ein herzige Veilchen – La pauvre violette ! C’était une violette pleine de cœur », prétexte à une fin abrupte qui laisse étonné. Tant d’arrière-plans en 2’30’’…

Moins profonde, Das Traumbild (Vision en rêve) est une gentille romance en mi bémol majeur très semblable à Die Einsamkeit, dont elle n’a peut-être pas la mélancolie. Là encore une phrase musicale revient quatre fois (l’une d’elles coupée aussi). Curieux de penser qu’elle a été composée à Prague le 6 novembre 1787 neuf jours après l’achèvement de Don Giovanni.
De l’été de la même année, An Chloe, n’a elle aussi que l’attrait d’une romance -mais une romance de Mozart, tout de même ! De l’une comme de l’autre Sabine Devieilhe fait de très jolies choses (les vocalises de la coda d’An Chloé sont d’une grâce impalpable _ regardez-et écoutez…). Chapeau bas devant le toucher _ oui _ de Mathieu Pordoy qui touche son piano (un Steinway on suppose) comme il ferait d’un piano-forte, pour ne pas dire un clavicorde _ c’est dire…

Mathieu Pordoy et Sabine Devieilhe © Steve J. Sherman

Mais l’étonnant, c’est que le même jour qu’An Chloé (24 juin 1787) Mozart écrit aussi ce qui passe pour être le premier vrai lied jamais composé, Abendempfindung (Sentiment du soir), point de départ d’une aventure qui ne s’achèvera qu’avec Malven, composé par Strauss à Montreux le 23 novembre 1948 (donc après les Quatre derniers lieder).
Le mot important ici, c’est Empfindung. Méditation morose sur la vie et surtout la mort. Que Sabine Devieilhe effleure comme sans y toucher, le charme de la voix estompant (de façon très mozartienne) la gravité sous l’apparente légèreté. Un bref rallentando suffisant à changer fugitivement le climat _ écoutez-ici…

On n’aura garde d’oublier quelques miniatures au fini parfait, Oiseaux, si tous les ans, une des deux seules mélodies de Mozart en français et Komm, lieber Zither, komm, petite chose écrite pour voix et mandoline, dont le plus étonnant est qu’elle fut composée alors qu’il était tout entier à l’écriture d’Idomeneo.

Enfin on saluera les débuts précoces au disque de Lucien Pichon, qui vient ponctuer l’exquis Das Kinderspiel de Mozart de sa voix de tout petit garçon qui fut à bonne école avant même de naître… et rien n’est plus charmant que le rire de sa mère l’écoutant.

Mathieu Pordoy est toujours subtil, fin et élégant : c’est ce que je désirais souligner…

Bravo !!!!

Ce vendredi 12 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ecouter la tendresse touchante du « Céphale et Procris » (de 1694) d’Elisabeth Jacquet de La Guerre (1665 – 1729), par A Nocte Temporis et Reinoud Van Mechelen…

11avr

La curiosité envers les successeurs de Lully (1632 – 1687) en France et en Europe _ Collasse (1649 – 1709), Desmarest (1661 – 1741), en France, Kusser (1660 – 1727), Fischer (1656 – 1746) _ me porte à prêter attention à la nouvelle réalisation discographique de la tragédie lyrique « Céphale et Procris » _ créée au Théâtre du Palais Royal, à Paris, le 15 mars 1694 _ d’Élisabeth Jacquet de La Guerre (Paris, 17 mars 1665 – Paris, 7 juin 1729)  que vient de nous donner Reinoud van Mechelen (Louvain, 1987) à la tête de son ensemble a nocte temporis et du Chœur de Chambre de Namur,

soit le double CD Château de Versailles Spectacles CVS 119 (n° 21 de sa collection Opéra Français) _ d’une durée de 147′ 15…

En 2018, l’Ensemble Musica Fiorita dirigé par Daniela Dolci nous en avait donné une première réalisation discographique, ORF CD 3033, d’une durée plus réduite, de 117′ 23,

dont je possède le double CD…

Voici le commentaire que donne de cette nouvelle réalisation discographique Cécile Glaenzer ce jour même sur le site de ResMusica : 

Reinoud Van Mechelen dirige Céphale et Procris d’Élisabeth Jacquet de La Guerre

Premier opéra composé par une femme, Céphale et Procris s’inscrit dans l’héritage des tragédies lyriques lullystes. en dirige le premier enregistrement intégral _ voilà. 

En 1694, Élisabeth Jacquet, épouse de l’organiste Marin de La Guerre, jouit déjà d’une belle réputation de musicienne accomplie. Enfant prodige, elle se produisait au clavecin devant le roi, qui la tenait en haute estime. A 22 ans, elle publiait son Premier Livre de pièces de clavecin. Sept ans plus tard, sa tragédie lyrique est créée au théâtre du Palais Royal, mais ne remportera pas le succès espéré. Céphale et Procris restera donc l’unique œuvre lyrique de la compositrice. S’inspirant librement des Métamorphoses d’Ovide, le livret de Duché de Vancy conte les amours malheureux de Céphale et Procris, contrariés par la jalousie de L’Aurore éprise de Céphale. Une fin tragique attend les deux amants, puisque Céphale tue accidentellement sa bien-aimée en voulant atteindre son rival Borée, le dieu des vents.

Après une tournée de cette œuvre en version de concert en janvier 2023 à Bruxelles, Namur et Versailles, Reinoud Van Mechelen dirige ici son ensemble A nocte temporis, tout en assurant le rôle central de Céphale. Déjà enregistré en 2008 par Musica Fiorita _ oui _, cet opéra est donné ici pour la première fois sans coupures, bénéficiant d’un beau travail de reconstitution à partir d’une partition lacunaire _ dont acte. Dès le prologue, on est surpris _ en effet ! _ du parti pris pour la déclamation : une prononciation moderne du français à l’exception du son oi prononcé we ; un choix hybride donc, réalisé avec plus ou moins de bonheur par les interprètes. Dans l’ensemble, la diction des chanteurs n’est pas le point fort de cette interprétation, à quelques exceptions près. La soprano Déborah Cachet est une Procris émouvante et pleine de fraîcheur, mais parfois un peu trop lisse. Le Céphale de Reinoud Van Mechelen est particulièrement expressif, et la tessiture du ténor aigu à la française lui convient fort bien. Le dialogue des malheureux amants dans la scène finale, entrecoupé de grands silences, est un beau moment dramatique _ oui. Cette fin tragique et cette conclusion de l’œuvre tout en pianissimi soulignent l’originalité de la compositrice qui ose ici ce que Lully n’avait jamais tentévoilà. Parmi les rôles principaux, citons la mezzo-soprano Ema Nikolovska dans le rôle explosif de L’Aurore, très engagée dans les scènes de jalousie. Le baryton Lisandro Abadie, au timbre chaleureux, campe un Borée très convaincant. Mais c’est dans les rôles secondaires, dont certains sont confiés à des solistes issus du chœur, que l’on trouve les prestations les plus remarquables. Citons en particulier le ténor Marc Mauillon, à la diction parfaite, dans son interprétation très incarnée de La Jalousie, et Gwendoline Blondeel, parfaite dans le personnage d’Iphis et celui de la Prêtresse.

L’orchestre A nocte temporis offre une belle palette de couleurs et de dynamiques variées ; les danses et les scènes de divertissement sont particulièrement réussies. L’excellent Chœur de chambre de Namur souligne la très belle écriture de la compositrice, comme dans le beau chœur des Suivants de la Volupté à l’acte III, accompagné par le concert des flûtes. Et à l’acte IV, c’est l’impressionnant Chœur des Démons qui se déchaîne dans une scène infernale qui est un des sommets de l’œuvre, et n’est pas sans rappeler les scènes de tempêtes de Lully ou Marais. Il est bien dommage que le mauvais accueil du public de l’époque n’ait pas permis au talent d’Élisabeth Jacquet de La Guerre de nous offrir d’autres tragédies lyriques de cette qualité.

 

Elisabeth Jacquet de La Guerre (1665-1729) : Céphale et Procris, tragédie lyrique en un prologue et cinq actes.

Avec Déborah Cachet, Lore Binon, Ema Nikolovska, Gwendoline Blondeel, Marc Mauillon, Lisandro Abadie, Samuel Namotte. Ensemble A nocte temporis. Reinoud Van Mechelen, direction musicale et haute-contre.

Enregistré à Namur en janvier 2023.

2 CD Versailles Spectacles.

Notice de présentation trilingue. Durée : 147:15

Une réalisation très intéressante, par conséquent, de cette œuvre de tendresse touchante…

En août, à la tête de son ensemble a nocte temporis, l’excellent Reinoud van Mechelen, à la plage 20 de son beau CD « Dumesny haute-contre de Lully« , le CD Alpha 554 _ cf mes articles «  » et « «  des 17 novembre 2019 et 10 janvier 2020 _, nous avait donné le très bel air d’ouverture de l’Acte III de « Céphale et Procris« , « Amour, que sous tes lois cruelles On souffre de maux rigoureux ! » :

écoutez-le ici (2′ 39)…

Ce jeudi 11 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

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