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Le sublime bouquet final de l’Emerson String Quartet, avec Barbara Hannigan (et le piano de Bertrand Chamayou, pour un « Infinite Voyage », le CD Alpha 1000…

23oct

Pour ses adieux, après 47 ans de magnifiques concerts et disques,

l’Emerson String Quartet nous offre, avec le CD Alpha 1000, un somptueux « Infinite Voyage » _ regardez et écoutez cette brève vidéo (de 2′ 36) de présentation… _,

en compagnie de la toujours merveilleuse soprano Barbara Hannigan (accompagnée aussi pour la « Chanson perpétuelle » Op. 37, d’Ernest Chausson, par le pianiste Bertrand Chamayou),

avec un programme idéal et absolument parfait pour eux, constitué _ aussidu Quatuor à cordes Op. 3 d’Alban Berg, du Quatuor à cordes n°2 Op. 10 d’Arnold Schoenberg, et de la peu courue très belle « Melancholie » Op. 13 de Paul Hindemith.

C’est l’article de Jean Lacroix dans Crescendo le 16 octobre dernier qui a accru mon intérêt pour ce marquant CD du Quatuor Emerson :

Le Quatuor Emerson : la fin d’un parcours de près de cinq décennies

LE 16 OCTOBRE 2023 par Jean Lacroix

Infinite Voyage.

Paul Hindemith (1895-1963) : Melancholie op. 13 ;

Alban Berg (1885-1935) : Quatuor à cordes op. 3 ;

Ernest Chausson (1855-1899) : Chanson perpétuelle op. 37 ;

Arnold Schoenberg (1874-1951) : Quatuor à cordes n° 2 en fa dièse mineur op. 10.

Quatuor Emerson ; Barbara Hannigan, soprano ; Bertrand Chamayou, piano.

2022.

Notice en anglais, en français et en allemand. Textes des mélodies en langue originale, avec traductions en deux langues.

72’55’’.

Un CD Alpha 1000.

Toute histoire a une fin, mais dans la vie, chaque fin annonce un nouveau départ, dit un adage populaire, qui peut s’appliquer à la décision du Quatuor Emerson de mettre fin à 47 ans de carrière avec ce dernier enregistrement proposé par Alpha. On a du mal à y croire, tant ses membres sont inscrits dans le paysage de la musique de chambre depuis leur fondation à New York en 1976, avec une équipe stable pendant quatre décennies (Eugene Drucker et Philip Setzer aux violons -ils ont alterné régulièrement leur poste-, Lawrence Dutton à l’alto et David Finckel au violoncelle, remplacé en 2013 par Paul Watkins). Les Emerson, c’est des dizaines d’albums couvrant toute l’histoire du quatuor, de Haydn et Mozart jusqu’à Chostakovitch, en passant par Beethoven, Brahms, Mendelssohn, Debussy, Ravel, Bartók et maints autres, répertoire américain du XXe siècle compris _ et, à sa parution, en 2016, je n’avais pas manqué de me procurer leur coffret de 52 CDs « Complete Recordings on Deutsche Grammophon » 00289 479 5982. C’est aussi une série de créations : Adès, Previn, Rihm, Rorem, Harbison, Schuller… liste non limitative. En 2016, à l’occasion de leur quarantième anniversaire, le label DG avait publié un cube de 52 disques _ le voilà… _ qui retrace leur formidable carrière et fait la démonstration d’un son beau, sculptural et moelleux, comme l’a un jour défini un critique. Nul doute que les mélomanes ne cesseront de se référer encore et encore à leurs multiples interprétations.

Leur histoire commune s’achève donc en ce début d’automne, avec une affiche qui confirme ce que déclare Eugene Drucker dans la notice : Au fil des décennies, nous nous sommes continuellement intéressés au répertoire exigeant et intellectuellement enrichissant de l’école de Vienne _ oui. Mais nous n’avons joué le Deuxième Quatuor de Schoenberg qu’une seule fois, au milieu des années 1980, avant d’y revenir en 2015 pour un concert avec Barbara Hannigan au Festival de Berlin. Depuis lors, chaque fois que nous collaborions, nous nous disions qu’il nous faudrait un jour ou l’autre enregistrer ce chef-d’œuvre. Voilà chose faite _ dont acte. Le présent album, dont le titre, Infinite Voyage, illustre aussi la longue amitié des Emerson avec la soprano canadienne _ Barbara Hannigan, donc _, propose cette partition du Viennois, qui provoqua un scandale lors de sa création dans la cité natale du compositeur en décembre 1908 et dont la caractéristique est l’utilisation de la voix dans les deux derniers mouvements. Nous allons y revenir.

Suivons le programme tel qu’il est proposé. Il s’ouvre par la peu enregistrée Melancholie de Paul Hindemith, quatre lieder que le compositeur dédie à un ami mort au front en 1918, sur des textes tirés du recueil homonyme du poète Christian Morgenstern, traducteur d’Ibsen et de Strindberg, mort de la tuberculose (1871-1914). En moins de quinze minutes, l’auditeur est transporté dans un univers poignant, à la fois ésotérique et mystérieux, au sein duquel les douleurs sont familières, malgré les primevères qui fleurissent, où le tissage de la brume répond à la sombre goutte de la mort (titre du troisième poème) et où la forêt est immobile et silencieuse, entre l’oiseau dont l’œil se voile et la lune qui s’élève avec un chœur d’étoiles. Ces petits bijoux qui égrènent la tristesse et la morosité ont été bien servis par Christiane Oelze et l’Ensemble Villa Musica (MDG, 1995) ou par Barbara Höfling et le Quatuor Helian (NDR/Dreyer Gaido, 2015). Barbara Hannigan, en pleine complicité avec les Emerson, y déploie la sensibilité qu’on lui connait, portée par des cordes qui distillent la science de leur art avec une émotion qui enlace la voix _ oui.

Le Quatuor op. 3 d’Alban Berg, créé à Vienne le 24 avril 1911, est la seule page purement instrumentale que les Emerson se sont ici réservée _ en ce magistral CD conclusif. Quelques jours après la première, le compositeur épouse la jeune femme qu’il aime, Hélène Nakowski, conquise de haute lutte malgré l’opposition du père de l’élue ; le quatuor lui est dédié. Les dissonances de la partition, libérée du système tonal, s’accompagnent d’un lyrisme qui sait se révéler éperdu et d’une sensualité qui s’insinue entre les lignes. Les deux mouvements, traduits par les Emerson avec une effusion contrôlée, à la fois tendre et incisive _ voilà ! _, révèlent dans leur approche toute l’expressivité que Berg y a mise, entre amour pour la bien-aimée et intensité du langage, sans effusion immodérée, mais avec souffle.

La Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson, pour laquelle Bertrand Chamayaou rejoint la soprano et le quatuor, est tragique dans l’évocation de cette femme désespérée que son bien-aimé a délaissée et qui se prépare au suicide. Ce poème à la perfection formelle est extrait du recueil de Charles Cros (1842-1888), Le coffret de santal, dont la version définitive a été publiée en 1879. Il a été proposé en trois versions par Chausson, tout à la fin de sa trop courte existence : avec piano, avec orchestre, ou pour voix, piano et quatuor. Les vers, que le compositeur n’utilise pas dans leur totalité -ce qui leur donne peut-être encore plus de force-, inscrivent la solitude, l’infinie douleur et l’appel de la mort, entre symbolisme et expressionnisme _ voilà. Jessye Norman en a laissé une version bouleversante et inoubliable avec Michel Dalberto et le quatuor de la Philharmonie de Monte Carlo (Erato, 1983). D’autres voix (Andrée Esposito, Brigitte Balleys, Sandrine Piau) ont bien servi cette page dramatique. Dans un registre d’une finesse qui laisse la désespérée peu à peu se diriger vers l’étang où elle va (se) couler, Barbara Hannigan, soutenue par le piano discret de Chamayaou et les cordes chantantes des Emerson, exprime toute la résignation sans issue avec une réelle pudeur.

Le Quatuor n° 2 de Schoenberg, composé entre mars 1907 et juillet 1908, est dédié à son épouse, malgré les difficultés que le couple rencontre alors, Mathilde, sœur de Zemlinsky, ayant, avec le peintre Richard Gerstl (1883-1908), une liaison qui finira par le suicide du jeune artiste. Dans la notice, Nicolas Derny rappelle que des historiens ont parlé pour cette partition d’un quatuor à cinq voix. Le chant, phénomène rare _ en effet _, s’invite en effet dans les deux derniers mouvements, sur des textes du recueil Le Septième anneau (1907) du poète allemand Stefan George (1868-1933), que l’on peut situer dans le mouvement symboliste et qui se présente comme un pont entre le style de la fin du XIXe siècle et le modernisme. C’est le moment où le langage musical de Schoenberg est en pleine mutation et marque sa tendance à passer de la tonalité à la non-tonalité. Si le premier mouvement exprime une forte tension, le scherzo qui suit cite une chanson viennoise dans laquelle presque tous les couplets répètent Alles ist hin (Tout est fichu), ce qui déclencha l’hilarité des premiers auditeurs. On relira à ce sujet ce qu’en dit Alain Poirier dans l’Arnold Schoenberg qu’il a signé conjointement avec Hans Heinz Stuckenschmidt (Fayard, 1993). La spécificité des deux derniers mouvements, lents tous les deux, est donc de leur associer la voix. Stefan George parle de deuil et de douleur, mais aussi d’amour à ôter et de désir de bonheur dans Litanei, puis d’aspiration à la transcendance dans Entrückung (Ravissement), le premier (troisième mouvement) étant construit comme thème et variations, avec des traces postwagnériennes, le second adoptant une liberté de langage dans laquelle la voix semble être attirée vers une autre « planète », celle du passage vers la série des douze sons. Les Emerson en offrent une interprétation toute en décantation et en profondeur, respectueuse de la construction et de la structure. Lorsque la voix de Barbara Hannigan vient s’insérer dans le processus, on se prend à entrer dans un espace qui serait en suspension. C’est à la fois beau et émouvant, L’osmose est totale _ oui _ entre la soprano et les cordes. Une vraie réussite, digne résultat du travail commun des cinq artistes.

Cet ultime album des Emerson, enrichi de jolies photographies en couleurs, est un bel hommage qui leur est rendu et qu’ils se rendent à eux-mêmes. On le thésaurisera _ oui _ comme un précieux cadeau offert aux mélomanes _ voilà. Chaque membre du quatuor va maintenant se diriger vers d’autres voies. Le titre de la notice Au revoir, mais pas adieu, est porteur d’un avenir, où l’on espère encore pouvoir les rencontrer.

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

Un CD absolument superbe !!!

Ce lundi 23 octobre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Encore à nouveau à propos du si beau (et jouissif) « Jouissons de nos beaux ans ! » de Cyrille Dubois et György Vashegyi…

07oct

Encore et toujours à propos du si beau et passionnant récent CD « Jouissons de nos beaux ans ! » de Cyrille Dubois _ et György Vashegyi _

et pour la quatrième fois après mes articles des 20 septembre «  « ,

22 septembre « « ,

et 25 septembre «  » derniers,

ce samedi 7 octobre 2023,

c’est un bel article de Matthieu Roc intitulé « Délicieux récital de Cyrille Dubois dans l’opéra du XVIIIe » qui vient renouveler mon attention sur ce si beau et passionnant CD Aparté AP 319 de Cyrille Dubois et György Vashegyi…

 

Délicieux récital de Cyrille Dubois dans l’opéra du XVIIIe

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En collaboration avec , directeur artistique du Centre de musique baroque de Versailles et , voici un excellent récital qui ouvre une large brèche dans notre méconnaissance du monde de l’opéra du XVIIIᵉ français, dominé par Rameau, mais où fourmille un nombre étonnant de compositeurs de qualité.

C’est une très bonne idée compiler tous ces extraits de dix-huit opéras de dix compositeurs différents _ voilà _ sous la forme d’une grande guirlande lyrique, à la fois variée et d’une très belle unité stylistique _ en effet. Sur les vingt-neuf plages du disque, la moitié est enregistrée pour la première fois _ c’est très juste. Le mélomane découvrira ainsi, entre des extraits connus de Rameau ou de Mondonville, des pièces extraites d’opéras de Royer ou de Dauvergne, dont il connait au moins _ un peu _ les noms _ sinon les œuvres _, mais découvrira en outre des inconnus, comme Grenet, Berton, de Bury, Cardonne… avec des morceaux d’une très belle facture _ absolument. Ouvertures, sarabandes et tambourins, airs élégiaques ou héroïques, lamentos tourmentés, tout se mélange avec bonheur, sans que ne se détache avec trop de netteté ni la supériorité de Rameau, ni la faiblesse éventuelle d’un de ses rivaux _ en effet…

, dans deux extraits des Amours de Tempé, fait preuve d’une richesse mélodique charmante, parente mais non pas imitatrice de Rameau. , dans Zaïde, et Le pouvoir de l’Amour montre un art maîtrisé du rythme et de la mélodie, avec des double-fonds intrigants. Au rayon des inconnus, c’est à que ce disque fait la plus grande part avec six pièces extraites du Triomphe de l’Harmonie, toutes plus heureuses et délicieuses que les autres. Les extraits de Titon et l’Aurore, des Fêtes de Paphos sont excellents, mais ne sont pas des nouveautés, tout comme les divers morceaux de Rameau. Osera-t-on accuser un petit coup de cœur _ c’est moins mon cas… _ pour Cardonne, et son air d’Ovide dans Ovide et Julie, tout à fait ravissant ? C’est peut-être qui parait le moins captivant, avec ce chœur dramatique avec orage venant de Phaétuse, très efficace mais qui semble échappé d’une copie d’Hyppolite et Aricie _ et alors ?.. Peu importe, c’est l’ensemble qui fait mouche, et le plaisir ne faiblit pas _ en effet _ à l’écoute de ce CD bien rempli _ et fort bien composé.

, ténor léger ou même di grazia pour notre époque, endosse pour tous ces airs la perruque du haute-contre de l’époque Louis XV, avec les talents qu’on lui connait et avec le plus grand bonheur _ oui. Sa voix est toujours aussi souple et ductile _ oui _, et il ne fait qu’une bouchée des acrobaties vocales les plus dangereuses dans le registre aigu. Les scènes dramatiques sont portées avec intensité, et les chansons bacchiques avec une joie teintée d’ironie. Surtout _ oui, oui _, son art _ absolument _ remarquable de diseur rend immédiatement intelligible chaque mot, chaque syllabe _ comme ce se doit dans l’art du chant français _, et cela contribue grandement _ mais oui _ au plaisir de l’écouter et de redécouvrir avec lui tous ces petits trésors. Excellents aussi, l’ et le , sous la direction de . C’est lui qui donne à ce florilège baroque la pulsation idoine _ oui _, l’énergie qui fait danser l’ensemble, et qui donne envie de réécouter _ tout cele est très juste _ ce très bon récital-découverte.

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Divers airs, danses et ouvertures extraits des opéras suivants. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Castor et Pollux ; Les Boréades ; Daphnis et Eglé ; Zaïs ; La Guirlande ; Platée. Antoine Dauvergne (1713-1797) : Les Amours de Tempé. Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772) : Les fêtes de Paphos ; Titon et l’Aurore. Pancrace Royer (1703-1755) : Zaïde reine de Grenade ; Le Pouvoir de l’Amour. François Rebel (1701-1775) et François Francœur (1698-1787) : Tarsis et Zélie ; L’Aurore et Céphale. François Lupien Grenet (1700 ?-1753) : Le Triomphe de l’Harmonie. Pierre Montan Berton (1727-1780) : Deucalion et Pyrrha. Bernard de Bury (1720-1785) : Les Caractère de la Folie. Jean-Baptiste Philibert Cardonne (1730-1792 ?) : Ovide et Julie. Pierre Iso (1715 ?-1794 ?) : Phaétuse. Cyrille Dubois, haute-contre ; Orfeo Orchestra ; Purcell Choir ; direction : György Vashegyi. 1 CD Aparté. Enregistré du 15 au 17 novembre 2021 au Kodaly Centre, Pécs, Hongrie. Notice de présentation et textes en français et en anglais. Durée : 78:18

Ce samedi 7 octobre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Toujours à propos du si beau « Jouissons de nos beaux ans ! » de Cyrille Dubois et Györgyi Vashegyi (suite 2)…

25sept

Toujours à propos du si beau « Jouissons de nos beaux ans ! » de Cyrille Dubois et Györgyi Vashegyi,

qui fait briller de superbes feux l’opéra français entre 1728 et 1771 _ cf mes articles «  » du 20 septembre et « «  22 septembre derniers… _,

voici un bel article « Que tout s’enflamme et se réveille ! » de Laurent Bury sur le site Wanderer, en date d’hier 24 septembre,

qui rend justice, à son tour, au beau travail des interprètes de ce CD Aparté AP319 qui nous fait accéder à tout un pan jusqu’ici méconnu du répertoire lyrique français du siècle de Louis XV, contemporain des chefs d’œuvre magnifiques de Jean-Philippe Rameau…

Jouissons de nos beaux ans !
Airs et danses de Rameau, Dauvergne, Mondonville, Royer, Rebel & Francœur, Grenet, Berton, de Bury, Cardonne et Iso.

Cyrille Dubois, haute-contre
Orfeo Orchestra, Purcell Choir
Direction musicale : György Vashegyi.

CD Aparté, AP319, TT 77′

Enregistré du 15 au 17 novembre 2021 au Kodály Centre, Pécs, Hongrie.

On trouvera peut-être trop sobre, trop « classique » la manière dont Gyorgy Vashegyi aborde dans son nouveau disque les contemporains de Rameau ; c’est pourtant avec une véritable éloquence, sans effets superficiels, qu’il a su depuis longtemps s’approprier ce répertoire, ici avec la complicité de Cyrille Dubois, toujours à son affaire dans la musique destinée aux hautes-contre de l’opéra français.

Que de chemin parcouru depuis 1908, lorsque l’Opéra de Paris remontait en grande pompe Hippolyte et Aricie ! Ou même depuis 1952, quand la résurrection des Indes galantes était prétexte à un déploiement de faste grâce auquel la musique « ne gênait pas » les spectateurs ! Et même dans les années 1970–80, alors que la renaissance baroqueuse s’affirmait, qui aurait pu imaginer que l’on jouerait un jour les opéras de Lully et de Rameau, non seulement en France, mais même à l’étranger ? En Europe, du moins, car l’Amérique reste un territoire à conquérir sur ce plan. Alors qu’un certain nombre d’opéras de Rameau comptent désormais plusieurs enregistrements, alors que tous ceux de Lully ont eu droit à leur intégrale, l’heure est venue de s’aventurer _ un peu plus _ loin de ces sentiers aujourd’hui _ mieux _ battus pour donner à entendre des compositeurs nettement plus confidentiels. C’est là que le Centre de musique baroque de Versailles a un rôle à jouer _ oui ! _, à travers des disques comme ce « Jouissons de nos beaux ans », qui vient de paraître.

Puisque Rameau paraît mainstream, l’interprétation historiquement informée peut se tourner vers ceux qui, sans pouvoir prétendre au titre de génie de la musique, ont vu leur talent couronné en leur temps par l’approbation du public. On sait par exemple que Mondonville, violoniste virtuose, a composé pour la scène une poignée d’œuvres intéressantes, et l’Opéra-Comique a récemment présenté son Titon et l’Aurore _ de 1753 _ ; Antoine Dauvergne, dont la connaissance s’est longtemps bornée à son opéra-comique Les Troqueurs, sous prétexte que le livret pouvait sembler préfigurer celui de Così fan tutte, a été révélé comme compositeur de tragédies lyriques grâce à la résurrection de son Hercule mourant par Christophe Rousset en 2011. Mais par-delà ces deux noms, dont on peut soupçonner qu’ils ne sont vraiment familiers que des amateurs de ce répertoire, il existe encore une masse considérable de partitions qui dorment dans les bibliothèques, produites par des auteurs aujourd’hui bien oubliés.

On sait que Pancrace Royer était claveciniste, et c’est sa musique pour le clavier qui a jusqu’ici surtout été enregistrée, à l’exception de son opéra Pyrrhus _ de 1730 _, remonté à Versailles en 2012 et enregistré dans la foulée. Pour autant, était-il l’homme d’une seule tragédie lyrique ? Pas du tout, on l’apprend en écoutant le disque, où figure des extraits de Zaïde, reine de Grenade _ de 1739 _ ou du Pouvoir de l’amour _ de 1743 . Du tandem formé par François Rebel et François Francœur, quelques chanteuses ont eu à cœur d’interpréter certain air magnifique tiré de leur Scanderberg _ de 1735 _ et on dispose d’une intégrale de leur Pyrame et Thisbé _ de 1726 _ : mais qui avait entendu parler de Tarsis et Zélie _ de 1728. Sans parler d’autres compositeurs parfaitement inconnus au bataillon, comme François-Lupien Grenet (une assez large place est accordée à des fragments de son Triomphe de l’Harmonie _ de 1737 _), Pierre Montan Berton _  auteur de Deucalion et Pyrrha, en 1755 _ ou Pierre Iso _ auteur de Phaétuse, en 1759.

Le programme de ce disque couvre une période allant de 1728, soit quelques années avant la création _ en 1733 _ d’Hippolyte et Aricie, jusqu’à 1771, quelques années avant l’arrivée de Gluck à Paris. Autrement dit, une sélection avant tout consacrée aux contemporains de Rameau _ voilà… _, même si la musique n’est évidemment pas restée immobile pendant ces quatre décennies. D’ailleurs, l’air de 1771, extrait d’Ovide et Julie de Jean-Baptiste Philibert Cardonne, semble déjà appartenir à une autre esthétique _ en effet…

C’est donc ici tout un répertoire qui s’éveille _ reprend vie _, toute une théorie de belles endormies qui défilent ici, tirées de leur sommeil. Au terme d’un partenariat de plusieurs années avec le CMBV, György Vashegyi a dirigé et enregistré _ avec un grand succès _ de nombreux ouvrages lyriques du XVIIIe siècle français. Son orchestre Orfeo maîtrise ce répertoire, et l’on a déjà eu l’occasion d’admirer l’adéquation stylistique et linguistique _ mais oui ! _ de son chœur Purcell dans la tragédie lyrique. D’où vient alors cette première impression qu’il manque un petit quelque chose pour satisfaire pleinement l’auditeur ? _ mais pas moi…

Évidemment, il est impossible de créer, pour un disque d’extraits _ voilà _, la même tension dramatique qu’appelle un opéra donné dans son intégralité, mais ce récital semble au premier abord un peu dépourvu de fougue _ pas vraiment : tout dépend bien sûr des styles abordés… Le titre « Jouissons de nos beaux ans », emprunté à un passage des _ merveilleuses _  Boréades, dont l’esprit est aussi celui du chœur de nymphes « Nous jouissons dans nos asiles », tiré du Triomphe de l’Harmonie de Grenet, mais on est ici bien loin du slogan soixante-huitard « Jouissons sans entraves »… Rien de révolutionnaire dans cette interprétation qui paraît trop sage, et l’on se dit d’abord que les feux de l’amour, très présents dans le texte de ces opéras, ne semblent pas avoir vraiment embrasé les artistes _ mais l’amour peut aussi être tendresse…

A moins que notre oreille n’ait en réalité été influencée par d’autres chefs qui n’ont pas hésité, dans leur recherche d’efficacité théâtrale avant tout, à trop accentuer _ possiblement… _ le rythme de certains morceaux. On se pose la question en écoutant le fameux chœur de Platée qui conclut le disque, « Chantons Bacchus, chantons Momus », qu’on a sans doute trop pris l’habitude d’entendre marteler, voire piétiner. Rien de tel ici, car György Vashegyi reste avant tout soucieux d’équilibre et d’élégance _ des traits éminemment français, voilà ! _  : dans ces livrets, « jeunesse » rime avec « tendresse » _ oui ! _, et c’est ce souci de grâce _ oui ! _ que reflète sa direction aux tempos toujours mesurés, qui se refuse à toute frénésie hors de propos _ voilà. Nous ne sommes pas ici à Naples…

Le chef hongrois est parfaitement secondé dans sa démarche par Cyrille Dubois _ parfaitement ! _ qui, sans rien sacrifier de l’ardeur habituelle de son _ parfait ! _ investissement dramatique, déploie tout son art _ magnifique _ de la déclamation dans les passages tourmentés _ écoutez ici le « Impétueux torrents«  (4′ 00) qui ouvre le CD… Le ténor sait se transformer _ mais oui : il a oublié d’être niais… _ pour respecter les exigences de chaque morceau, délicat pour vanter le charme des plaisirs, plus exalté – mais dans les limites du bon goût – pour chanter la victoire de l’amour _ tout cela est très  juste… Le Bacchus qu’il incarne dans deux extraits des Amours de Tempé _ de 1752 _ de Dauvergne n’a rien d’un ivrogne en proie au délire. L’expressionnisme débridé n’aurait pas ici sa place, surtout si l’on songe à la virtuosité _ oui ! _ fréquemment exigée du soliste (ainsi que du chœur), avec les figuralismes qu’inspirent des mots comme « s’envole » ou « s’enflamme ».

Bien sûr _ bien sûr… _, le génie de Rameau reste éclatant, rapproché de ses contemporains moins illustres : il suffit d’écouter pour s’en convaincre l’ouverture de Zaïs, l’admirable « Descente de Polymnie » des Boréades ou même un air comme « Peuples heureux », des Fêtes de Polymnie. La muse de rhétorique est décidément très présente dans ce répertoire, et c’est son éloquence sans emphase _ oui, à la française… _ qui est de mise pour ce disque.

Voilà donc cet article de Laurent Bury…

En mon premier article sur ce CD,

j’avais émis l’hypothèse que le choix des pièces de ce CD de Cyrille Dubois et György Vashegyi devait peut-être un petit quelque chose au riche programme un peu commémoratif si plaisamment composé pour le Festin Royal du Mariage du Comte d’Artois, à Versailles, le 16 novembre 1773, qui, après le CD pionnier en 1993 d’Hugo Reyne et la Suomphonie du Marais qui m’a fait découvrir l’oeuvre musical de François Francoeur, vient d’être idéalement servi par les 80 instrumentistes réunis par Alexis Kossenko pour son très brillant double CD « Simphonie du Festin Royal de Monseigneur le Comte d’Artois – Année 1773 » ; mais à part le nom de François Francoeur dont deux extraits du « Tarsis et Zélis« , de 1728, composé avec son compère de toute leur vie Fançois Rebel, ouvre le programme du CD « Jouissons de nos beaux ans !« ,chant français, 

je me suis rendu compte que ces CDs n’ont en commun que l’Ouverture _ ce chef d’œuvre transcendant ! Écoutez la ici (4′ 43)  _ de « Zaïs » de Rameau,

et des emprunts d’ailleurs différents, d’une part à la « Zaïde, reine de Grenade » de Royer _ un rondeau et une chasse en rondeau, pour le CD d’Alexis Kossenko ; et un air pour les Turcs en rondeau, pour le CD de Cyrille Dubois et György Vashegyi  _, et d’autre part au « Titon et l’Aurore » de Mondonville _ une musette, pour l’un ; et un air de Titon, pour l’autre…

Mais le CD Dubois-Vashegyi nous fait accéder à des extraits d’œuvres de compositeurs français jusqu’ici oubliés tels que François-Lupien Grenet (Paris, 1700 – Lyon, 25 février 1753), Louis-Joseph Francœur (Paris, 8 octobre 1738 – Paris 10 mars 1804), Pierre Iso (ca. 1715 – ca. 1794) et Jean-Baptiste-Philibert Cardonne (26 juin 1730 – après le mois d’août 1792) ;

tandis que le double CD Kossenko, lui, sort des ténèbres de l’oubli, des extraits d’œuvres de René de Galard de Brassac, marquis de Brassac (La Roque, 1698 – Paris, 1771), Joseph-Hyacinthe Ferrand (1709 – 1791), Jean-Claude Trial (Avignon, 13 décembre 1732 – Paris, 3 juin 1771) et Louis Granier (Toulouse, 1725 – Toulouse, 1800)…

Leurs musiques méritent notre écoute…

Ce lundi 25 septembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ecouter enfin l’interprétation du Trio avec Piano de Maurice Ravel par le Trio Hélios en leur CD « D’un matin de printemps »…

20août

Il m’a fallu attendre la journée d’hier samedi 19 août pour recevoir enfin le CD Mirare MIR 544 intitulé « D’un matin de printemps – Saint-Saëns – Ravel – Boulanger » par le Trio Hélios (constitué de Camille Fonteneau, violon, Raphaël Jouan, violoncelle, et Alexis Gournel, piano),

un CD paru en 2021, et enregistré à Caen du 19 au 23 décembre 2020,

dont m’avait découvrir l’existence un article assez laudatif de Jean-Charles Hoffelé, intitulé « Les deux mondes« , publié sur son site Discophilia le 5 juilllet 2023 _ un article rédigé à propos de la toute récente parution d’un nouveau CD du Trio Hélios, le CD « Bohemia » (Mirare MIR 662), consacré cette fois à des Trios de trois compositeurs tchèques : de Vítězslav Novák, le Trio pour piano No. 2 en ré mineur, Op. 27 « Trio quasi una ballata » ; de Zdeněk Fibich, le Trio pour violon, violoncelle et piano en fa mineur ; et de Bedřich Smetana, le Trio avec piano en sol mineur, Op. 15, JB 1:64 ;

mais qui traitait aussi du précédent CD des Hélios, paru en 2021, « D’un matin de printemps – Saint-Saëns – Ravel – Boulanger«  :

« Les Hélios avaient, pour ce qui fut je crois bien leur premier disque _ disait ainsi Jean-Charles Hoffelé _, assemblé un programme tout français autour du Trio de Ravel, le détaillant à loisir, y infusant une poésie de tous les instants qui emportait l’auditeur loin dans les paysages océaniques du Modéré avant de faire danser la poésie épicée du Pantoum en la décorant d’arabesques un peu mauresques. Magnifique version qui ose vraiment interpréter l’œuvre, lui donne des affects, des reliefs, et un art de chanter… », disait Jean-Charles Hoffelé de ce premier CD des Hélios en son article… _ ;

et pour lequel j’avais ce même 5 juillet dernier, à mon tour rédigé sur mon blog « En cherchant bien« , un article, probablement trop prématurément intitulé «  « …

Car cette interprétation du Trio avec Piano en la mineur M. 67 de Maurice Ravel par le Trio Hélios, pâtit passablement de la comparaison _ réalisée par moi ce dimanche 20 août _ avec la transcendante interprétation de ce chef d’œuvre majeur, mais jusqu’ici mal aimé, du compositeur de Ciboure _ l’œuvre a été composée par Ravel l’été 1914 à Saint-Jean-de-Luz _ qu’est ce Trio en la mineur M. 67, par le merveilleux Linos Piano Trio

_ cf mes articles d’hier 19 août « « , et des 13 «  » et 14 juillet «  » derniers…

« Formidablement expressive« , écrivais-je ainsi prématurément le 5 juillet dernier,

mais pas assez nette, ni assez tranchante en sa renversante humble douceur,

comme savait l’être l’écriture musicale, toujours extrêmement précise, en sa tendre et transcendante vigueur _ aux antipodes du flou et du vaporeux… _, sous son humilité discrète première, jamaix spectaculaire ni exhibitionniste, de Maurice Ravel, en son génie singulier…

C’est donc vers le Linos Piano Trio qu’il faut diriger son écoute _ écoutez ici les podcaste des quatre mouvements (Modéré, Pantoum, Passacaille et Final) de l’œuvre interprétés par eux : 1, 2, 3 et 4 _ pour approcher de _ et peut-être accéder à _ la lumière singulière unique, en sa clarté incisive, de Maurice Ravel, en ce singulier si beau Trio avec Piano en la mineur

Ce dimanche 20 août 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pénétrer plus avant dans la passionnante entreprise, par Benjamin Appl et James Baillieu, de leur CD « Forbidden Fruit »

31juil

Dans la continuité de mes deux précédents articles,

celui de l’accroche : « « ,

et celui de l’exploration « « ,

je désire, ce soir, faire-part d’une remarquable présentation, en date du 23 juin dernier, par Beniamin Appl et James Baillieu, de leur projet (et réalisation) du CD « Forbidden Fruit«  _ le CD Alpha 912, enregistré à Lugano du 27 au 30 juillet 2020, et publié le 23 juin 2023 _,

en un passionnant podcast, d’une durée de 22′ 51, enregistré, précisément, le 23 juin dernier, par et pour « Grammophon Classical Music« ,

consistant en un entretien à distance, et par ZOOM,

entre d’une part le journaliste de Grammophon James Jolly _ se trouvant, lui, je suppose à Londres _ 

et d’autre part, Beniamin Appl, en Suisse, et James Bailleul, quelque part au Royaume-Uni…

À écouter bien attentivement et traduire _ au fil des échanges,

on apprendra bien de passionnants détails de cette aventure discographique originale assez singulière,

au résultat musical si jouissif…

Benjamin Appl et James Baillieu : deux artistes de très grande qualité et exigence,

à suivre très attentivement désormais…

Ce lundi 31 juillet 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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