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Un bouquet festif de musiques : de Ravel, Dall’Abaco, etc…

26déc

Simplement pour marquer la festivité de ce jour (de Noël),

un éclatant bouquet (de CDs) de musiques _ de joie :

_ « Trio, Sonate pour violon & violoncelle et Sonate pour violon & piano » de Maurice Ravel, par le Trio Dali (Amandine Savary, piano, Vineta Sareikan violon & Christian-Pierre La Marca, violoncelle)

(CD Fuga libera 547 _ à paraître courant janvier) ;

_ « Les Nuits d’été«  d’Hector Berlioz, « Shéhérazade« , de Maurice Ravel, « Poème de l’amour et de la mer » d’Ernest Chausson, par Janet Baker et le New Philharmonia Orchestra dirigé par Sir John Barbirolli ; et le London Symphony Orchestra, dirigé par André Previn

(au sein d’un coffret EMI de 5 CDs « Janet Baker, The Beloved Mezzo«  EMI 50999 2 08087 2 3) ;

_ « Le Grazie Veneziane _ Musica degli Ospedali«  (« De profundis » de Nicola Antonio Porpora ; « Laudate pueri« , de Johann Adolf Hasse, « Dixit Dominus » de Baldassare Galuppi), par Maria Grazia Schiavo, Emanuela Galli, Soprani ; José Maria Lo Monaco, Alto ; le « Vocal Concert Dresden » et le « Dresdner Instrumental-Concert« , dirigés par Peter Kopp

(CD Carus 83.264) ;

_ « Magnificat«  (et Weihnachtskantate « Die Himmel erzählen die Ehre Gottes« ) de Carl Philipp Emanuel Bach, par Monika Mauch, Soprano, Matthias Rexroth, Altus, Hans Jörg Mammel, Tenore et Gotthold Schwarz, Basso, les »Basler Madrigalisten » et »L’Arpa festante« , dirigés par Fritz Näf

(CD Carus 83.412) ;

_ « Concerti à píù Istrumenti _Opera Sesta«  d’Evaristo Felíce Dall’Abaco, par « Il Tempio Armonico« , Orchestra Barocca di Verona, dirigé par Alberto Rasi (et Davide Monti, premier violon)

(double CD Stradivarius STR 33791 – 2 CD)

_ « The Walsingham Consort Books« , par Susan Hamilton, Soprano & « La Caccia« , dirigés par Patrick Denecker

(CD Ricercar RIC 275)

Dans des genres (et styles) variés…

Le CD Ravel du « Trio Dali »

_ un choix de nom (« Dali« ) assez peu heureux (!)

pour un ensemble si prometteur et déjà à un tel degré d’excellence (musicale) ! : Dali (= « Avida Dollars« , comme l’avait bien percé à jour André Breton !..) n’étant qu’un besogneux faiseur !

aux antipodes de la si haute (impayable, elle !!!) exigence de vérité de Maurice Ravel !!! : « sur les cimes« , lui… _;

le Cd Ravel du « Trio Dali » 

m’a très fortement impressionné

_ accompagné, qui plus est, d’un remarquable livret, sous la plume incisive, et très éclairante (pour le lecteur), de Michel Stockhem, faisant excellemment ressortir le très haut niveau, non seulement d’originalité, mais plus encore de qualité (contrapuntique) de ces trois œuvres (de musique de chambre ; de l’été 1914, pour le « Trio » ; de l’été 1920, pour la « Sonate pour violon & violoncelle » ; et de 1923 à 1927, pour la « Sonate pour violon & piano« ) au sein même de l’œuvre entier ravélien :

Michel Stockhem osant, avec une parfaite justesse (à la page 4 du livret), l’expression d' »un Ravel extrême » ! : Oui !.. C’est absolument de cela qu’il s’agit en ces pièces-là…

Se moquant avec une saine allégresse des « bien-pensances » complaisantes d’un Émile Vuillermoz, se permettant, en 1939 _ Maurice Ravel (« qui ignorait la perfidie« ) n’étant plus là (1875-1937) pour « répondre » à « tant de sollicitude »

_ un mot décidément assez peu heureux ! cf mon article « Pour prolonger la conférence d’hier soir de Fabienne Brugère : penser la “sollicitude” et l’”intime”  » _

et d’avertissements à l’égard des déviances cérébrales et formalistes, un thème à la mode sous bien des régimes _ précise justement le livrettiste _ sous bien des régimes en 1939…« …


« Pourquoi, dira-t-on, aborder ce programme sur un ton polémique ?« , envisage lui-même l’objection Michel Stockhem. Voici sa réponse, éclairante à l’audition de l’interprétation musicale de ces œuvres-là par ces interprètes audacieux (et si justes d’oreille) :

« Dans ces pièces _ de chambre _,

stimulé par _ le contexte historique est toujours éclairant _ Stravinsky, Schoenberg, Debussy, Satie, Bartók, le groupe des Six,

Ravel explore les zones les plus extrêmes de son propre langage ;

le trait y est stylisé d’une plume trempée dans l’acide du jazz,

dans l’aridité du contrepoint

et aux confins de la virtuosité instrumentale

_ cette acuité d’analyse-là du livrettiste est dans la plus parfaite syntonie avec l’intelligence de jeu de ces trois si fins instrumentistes-musiciens en ce remarquable enregistrement au CD ! _ ;

bref,

elles dessinent un portrait d’un Ravel

d’autant plus beau

qu’il est radical » _ comme c’est remarquablement senti !..


Le livrettiste précisant judicieusement encore :

« Il n’est pas inutile de se rendre compte combien Ravel n’avait que faire de la simplicité,

du terroir pour le terroir

ou du champagne facile _ populo ou mondain _ des années folles ;

de parier que cet homme qui refusa la légion d’honneur

aurait sûrement évité Vichy ;

et de contester, fût-ce durement, que des chefs d’œuvre d’une portée aussi grande que la « Sonate pour violon et violoncelle »

_ créée le 6 avril 1922, salle Pleyel, par Hélène Jourdan-Morhange et Maurice Maréchal : cf mon article du 4 juillet 2008 : « Musique d’après la guerre » _

doivent leur sort trop sévère aujourd’hui encore

à de vieux avis autorisés… si peu autorisés

_ tel le cliché induré d’un Emile Vuillermoz, évoqué ici :

nos oreilles décidément ont toujours besoin d’être »ravivées » ;

de se voir ôter, parfois un peu brutalement, leurs encombrants « bouchons de cérumen«  (cf encore mon propre « Musique d’après la guerre« …)…

Aussi a-t-on rarement pu percevoir aussi bien l’incisive modernité de Maurice Ravel que sous les doigts et la sensibilité intelligente de ces trois interprètes

promis au plus brillant avenir musical,

ayant choisi de « s’attaquer » _ c’est tout à fait cela ! _ à ce « Ravel extrême« , « en se concentrant sur la musique de chambre de la maturité » de ce compositeur réellement génial !..

Le CD Ravel du jeune et brillantissime « Trio Ravel » est donc tout bonnement magnifique !

A réserver prudemment chez votre disquaire dès maintenant !

Je passe maintenant au plaisir raffiné _ encore ! _ de la version en studio bien connue, voire célèbre, des « Nuits d’été » de Berlioz/ Gautier, par Janet Baker et John Barbirolli (et le New Philharmonia Orchestra) aux studios d’Abbey Road, d’EMI, à Londres…

Cette version des « Nuits d’été » de Berlioz (enregistrée le 23 août 1967) est une splendeur, par l’incarnation de la poésie (et littéraire, et musicale) par la voix souple et enchanteresse, tout à la fois aérienne et terrestre, de l’extraordinaire Janet Baker ; de ce cycle de mélodies françaises (d’Hector Berlioz sur des poèmes de Théophile Gautier), probablement le chef d’œuvre absolu du genre. Janet Baker y est tout aussi merveilleuse que la très sensuelle, pulpeuse, charnelle, Régine Crespin, dans la version pour « l’île déserte« , elle aussi, avec Ernest Ansermet dirigeant l’Orchestre de la Suisse romande, en septembre 1963…

Je recommande aussi, encore par la même Janet Baker, l’enregistrement live (le 14 mai 1975) avec Carlo Maria Giulini dirigeant le London Philharmonic Orchestra, avec une sublimissime lenteur (CD BBC Legends BBCL 4077-2)…

Tout cela, étant à _ proprement (ou littéralement) _ se pâmer !!! de jouissance musicale ! Rien moins !…

Ensuite, 3 CDs de musiques du XVIIIème siécle :

D’abord _ et c’est sur ce CD-ci que je vais m’attarder _, les « Concerti à píù Istrumenti _Opera Sesta«  d’Evaristo Felíce Dall’Abaco, par « Il Tempio Armonico« , Orchestra Barocca di Verona, dirigé par Alberto Rasi (et avec Davide Monti comme premier violon).

Evaristo Felice Dall’Abaco _ (1675-1742) véronais de naissance, le 12 juillet 1675 : dix ans avant Jean-Sébastien Bach et George-Frédéric Haendel _, fait partie de ces musiciens italiens qui quittèrent l’Italie pour faire carrière au-delà des Alpes, souvent dans des cours allemandes (ou/et à Paris _ la capitale culturelle de l’Europe d’alors ! _ ; ou/et, aussi, à Londres _ la métropole économique, elle !..).


Ainsi Evaristo-Felice devint-il, en 1704, musicien _ violoncelliste _ de la chambre ;

puis Konzertmeister, en 1715,

de l’Électeur de Bavière, en l’occurrence le prince Maximilien-Emmanuel (1662-1726), trente-six ans durant, de 1704 jusqu’à sa retraite de la cour, en 1740 _ avant sa propre mort, à Munich, en 1742…

Deux recueils de concertos précèdent l' »Opera Sesta«  (édité en 1735 à Amsterdam par Michel-Charles Lecène) : les douze « Concerti a quattro, da chiesa« , opus 2 (1708-1712), pour le quatuor à cordes traditionnel avec basse continue, avec deux Concertos de soliste pour violon ; ainsi que les six « Concerti a più istrumenti » opus 5 (ca. 1719) _ « en fait des concertos grossi pour cordes, avec intervention de deux flûtes et d’un hautbois en autant de concertos« , indique le livrettiste Francesco Passadore, à la page 12 du livret de ce CD Stradivarius 33791.

Non seulement Evaristo-Felice Dall’Abaco est un compositeur de très grande qualité _ connu jusqu’ici davantage des instrumentistes que des mélomanes (du fait de la bien étonnante rareté de ses œuvres tant au disque qu’au concert !..) _, mais sa carrière de musicien est, aussi, tout à fait représentative du devenir de bien des musiciens italiens de talent au XVIIIème siècle.

Natif de Vérone,

de même que son prédécesseur illustre parmi les compositeurs baroques italiens pour le violon, Giuseppe Torelli (Vérone, 1658 – Bologne, 1709),

il eut à souffrir de « la part minime occupée par la musique à Vérone« , du fait « avant tout » de « l’absence d’une vie de cour qui aurait pu promouvoir ce type d’activité : Vérone dépendait territorialement de Venise ; et toute sa vie politique et culturelle était soumise à l’autorité de la République lagunaire« , explique bien Salvatore Carchiolo dans le livret du CD des « Sonate op. I et op. III » _ par l’Insieme Strumentale di Roma, sous la direction de Giorgio Sasso, enregistré en avril 2005 ; CD Stradivarius 33740 _ :

« pour les musiciens véronais, l’émigration devenait la seule voie possible« .

Aussi Dall’Abaco va-t-il s’installer en 1696 _ il a vingt-et-un ans _ à Modène. « La vie musicale y jouissait d’une vitalité certaine, en particulier l’école de violon de la cour, qui bénéficiait des largesses et de la protection du duc Francesco II » (un Este)… Cette « école de violon de Modène _ non sans importance dans l’histoire du violon en Italie aux XVIème et XVIIème siècles _ avait eu comme chef de file Marco Uccellini, présent à la cour entre 1642 et 1645. Elle comportait des noms aussi prestigieux que ceux de Giuseppe Colombi, Giovanni Maria Bononcini, Giovanni Batista Vitali, et son fils, Giovanni Antonio Vitali. »

Or « pendant ces années _ 1696-1704 _ passées  _ par Evaristo Felice Dall’Abaco _ à Modène, se trouvait aussi dans cette ville _ et à cette cour _ Jean-Baptiste d’Ambreville, compositeur et violoniste français d’origine, qui avait été attiré à la cour de Francesco II, féru de culture française. » C’est ce compositeur français qui « fut le trait d’union à l’approche par Dall’Abaco du style musical d’outre-Alpes », dégage alors excellemment Salvatore Carchiolo. Mais quoique « à Modène, Dall’Abaco trouva à s’employer lors des grandes manifestations de la cour« , « toutefois » le jeune musicien ne parvint pas à s’y « assurer un emploi stable. C’est sans doute pourquoi il partit en 1704 à Munich à la cour de l’Électeur de Bavière, Maximilien-Emmanuel II, où il obtint _ pour commencer _ un emploi de joueur de violoncelle « da camera« . Il est vraisemblable _ poursuit Salvatore Carchiolo _ que l’introduction de Dall’Abaco au sein de la cour fut facilitée par l’entregent du marquis Scipion Maffei, aristocrate influent, amateur passionné de musique, et librettiste à ses heures (il composa le livret de « La Sfida ninfa » de Vivaldi). » Surtout « Dall’Abaco trouva dans la capitale bavaroise un climat raffiné et musicalement stimulant. La chapelle musicale de la cour de Bavière, issue d’une ancienne tradition, devait sa _ très _ grande réputation à Roland de Lassus. Et c’est le courant italien qui prévaut à la cour à l’arrivée de Dall’Abaco en 1704, d’autant que c’est au compositeur vénitien Pietro Torri qu’est confiée la direction de la musique de chambre. »


« Toutefois les aléas de la politique _ et de la guerre ! _ viennent très bientôt bouleverser la vie _ et la carrière : munichoises _ de Dall’Abaco. Au moment de la guerre de succession d’Espagne, Maximilien-Emmanuel II est allié à la France _ et à Louis XIV.

Après la défaite d’Höchstädt

(ou Blenheim _ le 13 août 1704 : victoire des troupes conjointes du prince Eugène de Savoie et du duc de Malborough sur celles, franco-bavaroises, du maréchal-comte de Tallard et du duc Maximilien-Emmanuel II de Bavière),

l’Electeur est contraint de s’exiler _ d’abord _ à Bruxelles… Une partie de la cour le suit _ dont sa musique _ et Dall’Abaco. C’est le premier d’une longue série d’exils ; cette vie itinérante ne prenant fin qu’à la paix d’Utrecht, signée en 1714.

Pendant son séjour à Bruxelles

_ où naîtra son fils Joseph-Marie-Clément (Bruxelles, 1710- Vérone, 1805), lui aussi compositeur _

en 1705, Dall’Abaco publia son premier recueil instrumental _ de « Sonate da camera » _ chez l’éditeur Roger d’Amsterdam.

En mai 1706, les revers subis par l’armée française contraignirent la cour _ de Maximilien-Emmanuel II _ à s’installer à Mons, dans le Hainaut.


Après la défaite de Malplaquet
_ le 11 septembre 1709 _, Mons doit être évacuée, et Maximilien-Emmanuel II trouve refuge à la cour de France sous la protection _ directe _ de Louis XIV. La cour _ du duc-électeur de Bavière _ se déplacera ensuite à Rambouillet, Paris, Versailles, Meudon, Saint-Cloud et Compiègne.


Le séjour français offrit l’occasion à Dall’Abaco de se familiariser avec les raffinements de la musique française.

La loyauté du musicien à l’égard de l’Électeur sera récompensée à la réinstallation de la cour de Bavière à Munich, en avril 1715. A la réorganisation de l’orchestre de la cour, Dall’Abaco sera _ en effet _ nommé « Maître de concert » ; puis « Conseiller électoral ». (…)

« L’activité de Dall’Abaco  au sein de cette cour électorale se poursuivit au-delà de 1726, l’année de la mort de Maximilien-Emmanuel II » _ sous le règne de son successeur, Karl-Albrecht (1726-1745), jusqu’à sa retraite de la cour, en 1740 ; peu avant de mourir, à Munich, le 12 juillet 1742…


« L’attention réservée par la musicologie à l’œuvre de Dall’Abaco est ancienne« , relève fort justement Salvatore Carchiolo (page 22 de ce même livret du CD Stradivarius 33740) ; ajoutant, un peu naïvement : « cela peut paraître surprenant à première vue _ et seulement « à première vue » ! pourrait-on espérer : qu’on lise donc avec un peu plus de curiosité les partitions ! et qu’on écoute enfin ! la musique elle-même : au concert ! et au disque ! rêvons donc un peu !… _ étant donné qu’il s’agit d’un musicien que l’on joue rarement _ chercher l’erreur !!! _ dans les salles de concert ; et qui n’est pas _ ou guère… _ repris dans l’édition discographique.

Déjà au début du XXème siècle, les musicologues allemands Adolf Sandberger et Hugo Riemann consacraient diverses études et analyses à la musique du compositeur véronais. Riemann, en particulier, le porte au pinacle : selon lui, les œuvres de Dall’Abaco représentent sans doute le type le plus pur et le plus noble de la musique de chambre italienne, arrivé à l’apogée de son développement _ rien moins ! Le musicologue allemand la considère même supérieure en puissance expressive à celle d’Archangelo Corelli _ ce qui n’est tout de même pas peu, dans l’évaluation historiographique de la musique !!! Riemann voit en Dall’Abaco, sinon le créateur, du moins un précurseur de la sonate bi-thématique.

(…)

De fait, « un examen _ un peu attentif _ de l’œuvre de Dall’Abaco révèle _ bien _, encore _ ou enfin ! _ aujourd’hui, d’admirables qualités, soutenues par _ davantage que _ un _ « grand » _ métier ; qualités que Riemann avaient _ si _ justement su déceler dans l’art de la construction de Dall’Abaco. La propension de celui-ci à une disposition structurelle compacte et efficace, s’exprime par une sobre éloquence _ à la française ?.. _ guidée par des critères d’économie _ sobriété _ rhétorique _ du discours musical baroque _ ; et porte en soi des signes évidents d’une fondation encore fortement ancrée _ comme dans le cas d’un Jean-Sébastien Bach, dirais-je… _  dans l’enseignement traditionnel d’une musique poétique » _ = d’authentique poiesis ! Ce point est esthétiquement aussi _ et pas seulement musicologiquement !.. _ très important !

Techniquement,

« la recherche de la cohésion formelle s’exprime dans l’attention particulière portée à l’unité thématique de la composition. » Et cela, « dans le cadre même d’une solide discipline de contrepoint : Dall’Abaco regarde en quelque sorte « en avant » ! Sa musique comporte des traits s’inscrivant dans les développements les plus modernes de la musique instrumentale du dernier baroque. La technique qu’il met au point mérite la plus grande attention : le matériau qu’il utilise dans le développement des mouvements est très souvent fourni par les éléments du thème initial du morceau. Après une première exposition fuguée, il vient « décomposer » le thème initial en ses éléments, fournissant des progressions et des imitations venant guider le développement du thème dans la poursuite du morceau. »


Un autre élément important que note Salvatore Carchiolo, est « le recours, même limité, à des éléments du style français« , notamment « l’adoption occasionnelle de la forme rondeau, et de certains mouvements de danse français (tel le passepied), absents de la sonate « da camera » italienne » ; ou « la tendance à juxtaposer tonalités majeures et mineures à partir de la même tonique (d’après Talbot).

Déjà à Modène, et par le biais des contacts établis grâce à d’Ambreville, Dall’Abaco s’était familiarisé avec un style si différent du style italien que Corelli s’était déclaré bien incapable d’interpréter correctement son exécution. L’empathie de Dall’Abaco avec le style français se renforça, bien sûr, les années que passa en France la cour de Maximilien-Emmanuel (notamment entre 1709 et 1711), durant lesquelles il put connaître au plus près les tendances musicales au jour le jour du goût français. De fait, à partir de son opus 3 _ paru vers 1712-1715 _, l’apport de l’idiome musical français se fait de plus en plus évident et renforcé. La transparence et l’élégance formelle de la musique de Dall’Abaco repoussent un trop grand recours à la pure virtuosité instrumentale. Le violonisme indéniable dont fait preuve le véronais doit beaucoup à la leçon de Corelli, mais il est loin de tendre, comme cela s’avère chez un Vivaldi, vers un dépassement des limites techniques de l’instrument, et d’une amplification de ses ressources de timbres et de couleurs. (…) L’équilibre structurel de la musique de Dall’Abaco _ ainsi que l’a justement noté William S. Newman _ la montre très représentative de la sonate baroque au point d’équilibre de ce que l’on peut qualifier de son classicisme, par sa clarté et la maîtrise du dessin de ses lignes. »

Tout ce long développement historico-musicologique

rien que pour mettre un peu et enfin le projecteur

sur une musique absolument délicieuse !

Que j’ai découverte, dans la plus parfaite naïveté (et ignorance de tout ce contexte ! alors…), lors d’un concert de fin de stage _ auquel j’avai couru assister, par désir d’écouter des amis musiciens, à Barbaste, il y a plus d’une dizaine d’années :

il y avait là, me souviens-je, mon ami flûtiste Philippe Allain-Dupré

(qui, avec Laurence Pottier, flûtiste, elle aussi, m’avaient accompagné à Prague, avec mon « atelier baroque », en 1993 ou 94) ;

Enrico Gatti, si remarquable violoniste (et « chef »), toujours si, à la fois, vivant et probe, en chacune de ses interprétations d’une impeccable justesse de poésie ;

Alfredo Bernardini, parfait, lui aussi ;

peut-être, et même plus que probablement, aussi Pierre Hantaï, le claveciniste prodigieux que tout le monde reconnaît ;

pour le talent desquels, tous, j’ai une immense profonde admiration…

Ce jour-là, à ce concert-de-fin-de-stage-là, dans la petite église tout à côté de Barbaste, j’ai bien imprimé en ma mémoire ce nom de Dell’Abaco ;

et depuis j’ai toujours vivement recherché les moindres témoignages discographiques des œuvres de cet immense compositeur-là ! ; et non sans quelque satisfaction, la plupart des fois…

Je pense ainsi à un _ très bon _ CD de « Concerti«  enregistré en janvier 1998 par l’ensemble Concerto Köln, comportant 4 concerti « a quattro da chiesa » de l’opus 2 ;

3 concerti _ un pour 2 flûtes ; un pour hautbois ; un pour cordes _ de l’opus 5 ;

et 2 concerti pour cordes de l’opus 6 :

il s’agit d’un CD Teldec (dans la collection « Das Alte Werk« ) n° 0639842216623 ;

ainsi qu’aux 2 CDs Stradivarius que j’ai mentionnés plus haut :

celui d’un choix de « Sonate« , des « op. I & III » (STR 33740) ;

et des 6 « Concerti à più Istrumenti _ Opera Quinta » (STR 33746)…


Et voici, aujourd’hui ce superbe double album des 12 « Concerti à píù Istrumenti _Opera Sesta«  d’Evaristo Felíce Dall’Abaco, par « Il Tempio Armonico« , Orchestra Barocca di Verona, dirigé par Alberto Rasi (avec Davide Monti, comme premier violon)…

Pour le reste,

je veux dire le « Magnificat«  (et la Weihnachtskantate « Die Himmel erzählen die Ehre Gottes« ) de Carl Philipp Emanuel Bach, par Monika Mauch, Soprano, Matthias Rexroth, Altus, Hans Jörg Mammel, Tenore et Gotthold Schwarz, Basso, les »Basler Madrigalisten » et »L’Arpa festante« , dirigés par Fritz Näf (CD Carus 83.412)

et « Le Grazie Veneziane _ Musica degli Ospedali«  (« De profundis » de Nicola Antonio Porpora ; « Laudate pueri« , de Johann Adolf Hasse, « Dixit Dominus » de Baldassare Galuppi), par Maria Grazia Schiavo, Emanuela Galli, Soprani ; José Maria Lo Monaco, Alto ; le « Vocal Concert Dresden » et le « Dresdner Instrumental-Concert« , dirigés par Peter Kopp (CD Carus 83.264) ;

ainsi que  « The Walsingham Consort Books« , par Susan Hamilton, Soprano & « La Caccia« , dirigés par Patrick Denecker (CD Ricercar RIC 275),

ils sont, chacun dans leur genre, tout aussi excellents :

Carl-Philipp-Emanuel est un _ on ne peut mieux _ digne rejeton, en « matière » de « génie » (musical), de son auguste père ; et l’interprétation du CD est d’une très, très belle intensité ;

le récital de musiques de style vénitien _ de Porpora, Galuppi et _ du saxon de passage à Venise _ Hasse,

est, lui aussi, d’une extrême qualité _ dans l’odre d’un plaisir « hédoniste » (= vénitien…) ;

quant aux pièces extraites des « Walsingham Consort Books« ,

elles sont d’une remarquable délicatesse…


Une fête !

Titus Curiosus, ce 26 décembre 2008

Post-scriptum (le 27) :

Philippe-Allain Dupré,

à la mémoire duquel j’ai fait appel hier

à propos de ma découverte

_ éblouie ! et je comprends d’autant mieux maintenant pour quelles raisons (d’interprétation, aussi !!!) _

d’une œuvre _ mémorable ! _ de Dall’Abaco

à l’occasion du concert final du stage de perfectionnement d’interprétation baroque à Barbaste,

comble mes desiderata en me rappelant, documents à l’appui, que ce concert

(de fin de stage, auprès de Philippe Humeau, en son fief de Barbaste)

avait été donné deux fois :

le samedi 25 avril 1992, en l’église de Lausseignan _ tout à côté de Barbaste _ ;

puis le mercredi 29 avril, en l’église de Saint-André-de-Cubzac ;

au programme,

outre la Sonata II de l’opus 3 de Dall’Abaco (pour 2 flûtes à bec, flûte traversière, hautbois, 2 violons, basson, violoncelle et 2 clavecins) _ qui m’avait tant impressionné _,

une Canzone à 6 de Giovanni Picchi,

la Cantate « Ô Maria« , de Johann-Hermann Schein,

une Chanson ornée sur le thème de « Vestiva i colli », de Giovanni Battista da Palestrina/Francesco Rognoni,

« La Romanesca«  et la Canzone quarta, à 2 clavecins, d’Antonio Valente et Giovanni Priuli,

des Scherzi, d’Agostino Steffani,

un Quarteto (pour flûte traversière, hautbois, violon et basse continue), de F. Riedel

et un Air de la Cantate 127 de Jean-Sébastien Bach


La soprano _ des pièces chantées _ était Maria-Christina Kiehr ;

et,

notamment pour la sonate de Dall’Abaco _ choisie par Enrico Gatti, me précise Philippe _

les parties de flûtes à bec étaient tenues par Claire Michon et Jean-Marc Andrieu,

celle de flûte traversière, par Philippe Allain-Dupré,

le hautbois,  par Alfredo Bernardini,

les 2 violons, par Odile Edouard et Enrico Gatti,

le basson, par Nicolas Pouyanne,

le violoncelle, par Hendricke Ter Brugge

et les 2 clavecins, par Elisabeth Joyé et Pierre Hantaï _ excusez du peu !..

C’est donc à deux reprises, que j’avais eu le bonheur, ce printemps-là, de la découverte _ somptueuse ! _ de cette pièce si belle,

de ce compositeur de si grande qualité !!! ;

et qui ne m’a jamais déçu, au disque ;

quant au concert,

nous ne disposons pas tous les jours d’un Enrico Gatti, toujours si juste, si chantant, si probe,

pour en être l’inspiré maître d’œuvre..

Bref,

j’ai toujours à l’oreille,

de ce concert (de 1992, donc : il y a seize ans),

le charme puissant d’Evaristo-Felice Dall’Abaco…

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