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L’Amérique pour fuir : dans un mirage de ruines _ un supplément à la poursuite de l’écriture en abyme de Nathalie Léger

15jan

Le Supplément à la vie de Barbara Loden que nous offre, ce début janvier 2012, Nathalie Léger, aux Éditions POL, poursuit le (riche et passionnant : dans l’écriture !) travail de confrontation au réel, mené par l’auteur, déjà magnifiquement, dans L’Exposition

_ cf mon article du 14 juin 2009 (j’avais rencontré Nathalie Léger à l’occasion de sa réception du Prix Lavinal, au Château Lynch-Bages) : Sur la magnifique « Exposition » de Nathalie Léger, Prix Lavinal 2009 : l’exposition de la féminité et l’exhibition (sans douceur, ni charme = sans joie) comme privation de l’intime ; article suivi immédiatement de deux autres, le 15 et le 17 juin : la jubilante lecture des grands livres : apprendre à vivre en lisant « L’Exposition » de Nathalie Léger ; et de la fabrique de l’identité (du soi), sous le versant du genre (féminité, virilité) et de l’intimité (rapports à l’autre) dans le meilleur de la littérature aujourd’hui : « L’Exposition », de Nathalie Léger ; « Zone », de Mathias Enard _,

via l’interrogation sur ce qu’est être aujourd’hui une femme :

avant-hier, au XIXe siècle, la Castiglione _ à partir d’un (simple) article de catalogue d’exposition _ ;

hier, les années soixante, Alma Malone (l’inspiratrice _ re-découverte non sans difficultés (via une longue enquête ! et à rebours de nombreuses réticences…) _ de la Wanda du film de Barbara Loden : le braquage de la banque, à Cleveland, Ohio, eut lieu le 23 septembre 1959, page 90),

et les années soixante-dix, Barbara Loden elle-même, un moment la compagne puis la seconde épouse d’Elia Kazan et la cinéaste (et interprète !) de ce film unique, réalisé en 1970, Wanda ;

ainsi que, aussi, au passage _ même si c’est très discrètement _ la mère de la narratrice, à Cagnes 3000 ;

et enfin la narratrice elle-même de ce dernier opus : celle qui va mener l’enquête jusque sur le territoire de quelques États _ Ohio, Pennsylvanie, Connecticut _ du nord-est des États-Unis,

alors qu’au départ il ne s’agissait que de rédiger une courte notice biographique de la cinéaste et actrice Barbara Loden (1932-1980) :

« Tout se présentait bien. Je ne devais écrire qu’une notice _ pas davantage _ dans un dictionnaire de cinéma. N’y mettez pas trop de cœur, m’avait dit l’éditeur au téléphone _ et plus loin, page 86 : « Je vous en prie, faites-moi une notice, pas un autoportrait, m’a dit l’éditeur«  Cette fois _ après le travail pour le catalogue de l’exposition consacrée à la Castiglione, probablement : qui avait abouti à L’Exposition _ j’étais sûre de moi.

Convaincue _ très scrupuleusement _ que pour _ bien _ écrire peu il fallait en savoir long,

je plongeai dans la chronologie générale des États-Unis, traversai l’histoire de l’autoportrait de l’Antiquité à nos jours, bifurquai vers la sociologie de la femme dans les années 1950 à 1970, compulsai avec entrain des encyclopédies, des dictionnaires et des biographies, accumulai des informations sur le cinéma-vérité, les avant-gardes artistiques, le théâtre à New-York, l’émigration polonaise aux États-unis, engageai de longues recherches sur les mines de charbon (j’ai lu des récits d’exploitation, appris l’organisation des métiers de la houille, recueilli des informations sur les gisements de Pennsylvanie) ; je suis devenue incollable sur l’invention des bigoudis et l’émergence de la pin-up au sortir de la guerre. J’avais le sentiment de maîtriser un énorme chantier dont j’extrairais _ le mot qu’utilise, même si ce n’est pas tout à fait dans le même sens, Pierre Bergounioux en son passionnant toujours Carnet de notes : le troisième volume, 2001-2010 vient de paraître ! Lui, c’est pour noter ce qui lui semble mériter d’être retenu de ses riches lectures _

J’avais le sentiment de maîtriser un énorme chantier dont j’extrairais

une miniature de la modernité réduite à sa plus simple complexité _ l’oxymore est de la plus magnifique perfection de justesse ! _ : une femme _ au départ Barbara Loden, cinéaste (née en 1932 en Caroline du Nord et morte d’un cancer en 1980) _ raconte sa propre histoire à travers celle d’une autre«  _ Wanda ; et plus tard, en amont (dans le réel), Alma Malone (née en 1932 à Abilene ; et qui passera dix années en prison, au State Reformatory for Women, Marysville, Ohio : « entrée le 21 janvier 1960, détenue sous le numéro n° 7988, est sortie le 8 avril 1970, libérée sur parole. ensuite, tout le monde perd sa trace« , page 94), comme finira par le découvrir l’enquêtrice-narratrice de ce Supplément à la vie de Barbara Loden _, pages 13-14…

« Quelle est l’histoire ? m’avait demandé ma mère« , raconte la narratrice, page 14.

« C’est l’histoire d’une femme seule. Ah. L’histoire d’une femme. Oui ? L’histoire d’une femme qui a perdu quelque chose d’important et ne sait pas bien quoi, des enfants, un mari, sa vie, autre chose peut-être encore mais on ne sait pas quoi, une femme qui se sépare de son mari, de ses enfants, qui rompt mais sans violence, sans préméditation, sans désir peut-être même de rompre« , page 15.

« Je m’essayais à toujours plus d’objectivité et de rigueur. Décrire, rien que décrire. L’état des choses saisi en de moindres mots. Barbara. Wanda. S’y tenir. Viser au général et à l’anodin. Mais j’avais beau m’appliquer chaque matin à la saine et bureaucratique impassibilité d’un rédacteur de notice, je me faisais toujours emporter par le sujet, effarée, effondrée de découvrir que tout avait commencé malgré moi et même sans moi _ certes _ dans le désordre et l’imperfection, l’inachèvement prévisible et l’incomplétude programmée« , page 27 : un indice aussi anodin que décisif…

Et aussi, page 50 (d’un récit qui en fait 150),

et juste après ce commentaire à propos de Wanda et son partenaire, Mr Dennis, dans le film :

« Rien entre eux qui puisse se reconnaître aisément : ni convoitise, ni ardeur, ni échange, nulle offrande. Dans la chambre d’hôtel aux murs verts et aux rideaux à fleurs, autour du lit défait par la chaleur et l’incompréhension, s’organise la scène banale _ voilà _ de l’humiliation, de la soumission, de la disparition sans bruit de soi dans l’autre«  _ d’autres métaphores parentes (liquides) apparaîtront plus loin _,

rien que ceci,

et cette fois c’est d’elle-même que parle la narratrice :

« L’homme que j’aimais _ à l’imparfait _ m’avait reproché un jour _ au plus-que-parfait _ ma passivité supposée avec d’autres. C’était dans la cuisine, au moment du petit déjeuner, il m’a dit _ au passé composé _ avoir peur de cette façon propre aux femmes en général et à moi en particulier, pensait-il _ à l’imparfait _, de ne pas savoir ou ne pas vouloir s’opposer au désir encombrant des hommes, de se soumettre follement à leur demande. On dirait qu’il ne sait pas _ au présent, cette fois _ combien il est difficile de dire non, d’affronter la demande de l’autre et de la refuser _ difficile et peut-être inutile. Pourquoi ne sait-il pas _ toujours au présent _ la nécessité parfois impérieuse de se couler _ voilà ! _ dans le désir de l’autre pour mieux s’en échapper ?« , page 50, donc _ ce personnage-ci n’apparaissant plus ensuite dans le récit.

D’autres abandons, et d’autres fuites (ou pas), et poursuites, surviennent (et surviendront) dans le récit,

dont celle-ci, page 43 :

« Ma mère m’a raconté qu’en sortant du tribunal où la séparation d’avec mon père venait d’être prononcée, elle m’a raconté ce jour-là, le jour où nous regardions Wanda sur le petit canapé du salon, qu’elle avait, quittant le tribunal de Grasse, alors qu’elle venait de perdre, sous la violence de ce qui lui avait été infligé, toute coïncidence _ voilà ! _ avec elle-même, ne désirant, pensait-elle, c’est ce qu’elle m’a dit, ne désirant qu’une seule chose : rentrer à la maison, retrouver ses enfants, elle m’a appris ce jour-là qu’elle avait erré des heures durant à Cagnes 3000, puis, la nuit tombée, sur le bord de la mer jusqu’à Nice où elle avait vécu enfant, ne pensant rien, n’éprouvant rien, tombant, le temps passant, dans une tristesse mortelle « 

Suivent alors ces lignes, pages 43-44 :

« Ma mère trouve étrange que je m’intéresse à ce film. Il ne se passe rien, dit-elle en remportant le plateau de notre dîner. Puis, de loin : Je me demande pourquoi tu as le goût des choses tristes« …

La dernière page du récit, page 150

_ « Par en-dessous, elle a regardé la piscine de Cap 3000, ce miracle figuratif qui avait fasciné les visiteurs à l’inauguration du centre commercial, elle a regardé les corps d’enfants plongeant avec une gaieté amortie, elle a regardé les nageurs posés là-haut à la surface, elle les voyait sortir de l’eau, se hissant en raccourci sur l’échelle, le corps tronqué puis vaporisé dans l’air et la lumière, elle en voyait d’autres qui s’élançaient avec véhémence ou résignation comme des spectres effervescents et qui fondaient, fuligineux, dans la noirceur de l’eau, et elle a croisé le regard d’une femme qui nageait lentement au fond, là, si près d’elle, glissant et tâtonnant, scrutant par les hublots immenses comme si elle jetait un œil outre-tombe, regardant, cherchant ce qui était perdu, puis remontant, et revenant, souriant, remontant, fuyant très vite, et revenant«  _,

évoque « la piscine construite sur le toit » du Cap 3000 de Cagnes-sur-mer,

tout-à-côté de Nice,

« dont le fond transparent permettait aux clients du centre commercial de voir les baigneurs » ;

et cela dès « son inauguration, le 21 octobre 1969, le plus grand centre commercial français de l’époque, inspiré du modèle américain, se voulant ultramoderne, comme on disait alors, « futuriste », « une œuvre de visionnaire », disait la presse« , page 42…

« Les États-Unis, c’est l’autre nom du rêve« , page 119 ;

et « les Américains haïssent le mensonge parce qu’ils sont eux-mêmes _ s’échappant : Barbara Loden, par exemple, est d’origine polonaise _ le sujet d’une fiction permanente« , se dit la narratrice, page 111,

lors de sa visite _ très étonnante ! pages 95 à 111, sous la conduite d’un fort savant jeune homme : mais « je n’aime pas les jeunes hommes, je n’aime pas leur fraîcheur, leur raideur ou leur grâce, leur pétulance spermatique, leurs mains d’enfant« , page 95 ; et « je ne voudrais pas mourir en compagnie d’un jeune homme« , page 96, ponctue aussi son récit la narratrice, lors de sa visite-pélerinage de ce très étrange lieu (ruiné) _ du Holy Land de Waterbury (Connecticut), où en juillet 1970 Barbara Loden était allée filmer Wanda Goronsky et Mr Dennis : « un très vieux rêve écroulé« , page 103…

Un livre, sur le rapport au réel, et sa complexité, important !

Une écriture majeure !!!

Titus Curiosus, ce 15 janvier 2012

la traversée du siècle d’un honnête homme (et beau garçon) en quelques fécondes rencontres d’artistes-créateurs en des capitales cosmopolites : le parcours de Peter Adam de Berlin à La Garde-Freinet, via Paris, Rome, New-York et Londres

02mai

Non sans quelques points communs _ nous allons le découvrir… _ avec cet immense livre qu’est « Le Lièvre de Patagonie » de Claude Lanzmann :

une autre traversée _ un peu chahutée _ du siècle en quelques judicieuses rencontres (et un chef d’œuvre cinématographique !),

voici que Peter Adam _ ou Klaus-Peter Adam, un garçon juif allemand, au départ, natif de Berlin en 1929, puis devenu citoyen britannique vers 1965, peu après le décès de sa mère, la battante et admirable Louise, le 6 mai 1965 :

cf page 214 : « j’optai à cette époque pour la nationalité anglaise.

Depuis longtemps j’essayais de me débarrasser du garçon allemand _ qu’il était de naissance : la famille (juive) de son père venait de « Chodzesin, une petite ville de Prusse orientale. Mon arrière grand-père, Jacob Adam, y était né en 1789. Depuis le XVIIIème siècle, sa famille vivait du commerce du drap de laine. Cette activité les avait menés jusqu’en Pologne et en Lituanie« , page 14 ; « du côté de ma mère, les Leppin et les Gurke _ Gurke signifiant « concombre » _, étaient d’un tout autre genre : pauvres, chrétiens, et de souche paysanne« , page 20 _

afin de n’avoir de racines que dans l’imaginaire.« 

Et il poursuit : « Il se produisit mille choses dans ma vie et je possédais une énergie et une curiosité infinies. Je laissais l’univers tourbillonner autour de moi, espérant ne pas m’y noyer

_ le titre original de ce « Mémoires à contre-vent« , traduit par l’auteur lui-même en français en 2009, était, en anglais, en 1995 (pour les Éditions Andre Deutsch, à Londres) : Not drowning, but waving _ an autobiography

Je m’acceptais tel que j’étais, je n’étais gêné ni par mes défauts, ni par mes qualités. J’essayais, comme toujours _ en effet ! _ d’être honnête avec moi-même« 

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

_ mais cet amoureux de longue date de la France

avant même d’y venir séjourner, pour la première fois, en 1950

(cf au chapitre « Alma mater, 1949-1950« , les pages 139 à 146 :

« En 1950, je partis pour la première fois à Paris. Mon ami Klaus Geitel étudiait là-bas et je décidai de lui rendre visite. A Paris, Klaus m’attendait gare du Nord avec deux amis. J’étais tellement excité que j’entendis à peine leurs noms. Le premier, Hans Werner Henze, était un compositeur allemand ; le second, Jean-Pierre Ponelle, un scénographe français«  : mais oui !..) ;

puis, une seconde fois, en 1951, au chapitre suivant, « Mes premiers pas d’intellectuel _ Paris 1950-1953«  :

« A l’automne 1951 _ ayant obtenu « une bourse d’un an du gouvernement français, ainsi qu’une inscription à la Sorbonne« , page 147 _, je débarquais à Paris pour la seconde fois«  :

« J’arrivais au bon moment. Le passé était enfin soldé ou presque. La France de la Quatrième République commençait à se moderniser.  (…) Les gens avaient l’air riche ; ils possédaient un goût inné pour la qualité et le style _ voilà _, doublé d’un sens aigu de la compétition« , page 147 ; « Alors qu’à Berlin, nous avions essayé de construire un nouveau monde, les Français jouaient au ping-pong avec leur héritage culturel, retournant les idées dans tous les sens, juste pour le plaisir. Je me sentis immédiatement chez moi, le lycée de Berlin m’ayant bien préparé à ce perpétuel désir de théoriser et de synthétiser les idées. Les bâtiments de la Sorbonne reflétaient ce même esprit libre et chaotique. Les vieux couloirs sombres fourmillaient d’étudiants bruyants et fougueux. Les murs étaient recouverts de slogans très politiques, culturels ou sexuels, combinant parfois les trois en même temps comme dans celui-ci : « Fais-toi sucer en Russie, Simone ! » », page 148

il avait fait ses études secondaires au lycée français de Berlin, dès 1940, page 58)

mais cet amoureux de longue date de la France,

donc,

y vit désormais, depuis août 1989, à demeure, cela fait vingt-et-un ans

(depuis sa retraite de reporter et réalisateur de la BBC, en août 1989 : car c’est là, à la BBC, que se déroula, en effet, sa « principale«  carrière, du 4 avril 1968, à la cérémonie de départ de sa retraite, en août 1989) :

en son « cabanon«  du Mazet, à La Garde-Freinet, dans les Maures, et non loin de Saint-Tropez

_ Facundo Bo et Peter Adam découvrirent, en effet, cette thébaïde « un matin de 1970«  :

« un petit vallon où des moutons broutaient près des oliviers.

C’était l’endroit dont nous _ Facundo & Peter _ rêvions _ 12 000 mètres carrés isolés du monde et un petit cabanon. Nous l’achetâmes aussitôt.

La Garde-Freinet allait devenir notre port d’attache pour les quarante années à venir« , page 275 _

mais cet amoureux de longue date de la France y vit désormais à demeure,

avec son compagnon Facundo Bo : compagnon depuis leur coup de foudre lors d’un « dîner snob« , en 1968, à Paris ;

cf page 236 : « Durant la réalisation de ce documentaire _ pour la BBC : La maison Christian Dior, en 1968, donc _,

j’eus l’occasion, un soir, d’être invité à un de ces dîners snobs dont les Français raffolent. J’étais assis en face d’un jeune acteur argentin au physique extraordinaire, au type légèrement indien. Comme d’habitude, je parlais beaucoup, faisant de mon mieux pour impressionner. J’avais appris l’art de l’autodéfense et ajouté du cynisme à mon scepticisme naturel. Intrigué par les yeux inquisiteurs de ce garçon, je parlais des souffrances au Biafra _ dont Peter revenait d’y réaliser un reportage particulièrement périlleux (et tragique !) : il en fait le récit aux pages 227 à 232 _, mais également du grand bal de l’Opéra de Paris _ le Bal des petits lits blancs _ auquel j’avais assisté la veille. Je révélais ainsi l’un de mes nombreux paradoxes dont je n’étais pas très fier.

Facundo _ c’était le prénom de ce garçon très beau et gêné _ ne prononça pas un seul mot de la soirée. A la fin, au moment de partir, je lui glissai mon adresse à Londres.

Trois semaines plus tard, je reçus une lettre : « Cher Peter, détruisez cette lettre, je n’ai jamais écrit une telle lettre à personne, mais pendant ces trois dernières semaines, je n’ai pas arrêté de penser à vous et je voulais simplement vous le dire. Je vous prie de m’excuser ». La lettre était signée Facundo Bo.

Trois heures plus tard, je m’envolai pour Paris« 

« Je crois au coup de foudre _ poursuit-il aussitôt, toujours page 236, en commentaire rétrospectif. Pendant les quarante-deux ans à venir _ de 1968, leur rencontre, jusqu’en 2010, où paraissent ces « Mémoires » en traduction française _, Facundo serait la source de beaucoup de mes joies et de mes chagrins _ la maladie de Parkinson de Facundo déclarée « à l’âge de quarante ans« , « l’empêchant petit à petit _ lui acteur brillant de la troupe de théâtre TSE, d’Alfredo Arias _ de monter sur scène« , découvre-t-on, à un coin de page, page 412 ;

cf aussi, le jour de son départ de Londres pour gagner la France, page 440 : « Je ne savais pas alors combien ma nouvelle vie à Paris _ et au Mazet, à La Garde-Freinet _ allait m’apporter de joie d’amour solide et de douleur aussi, liée à la fragilité croissante _ parkinsonienne ! _ de Facundo. Mais jamais je n’ai regretté ma décision«  _ de venir vivre définitivement en France : avec Facundo Personne ne m’a jamais été aussi proche ; et je pense _ écrit-il maintenant en 2009-2010 _ que personne ne le sera jamais. Facundo devint le centre absolu de ma vie«  _ voilà !..  _

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ publié en 1995 à Londres sous le titre de Not drowning but waving _ an autobiography _ de sa traversée _ Berlin, Paris, Rome, New-York, Londres, La Garde-Freinet _ du siècle,

tout à la fois en beau garçon _ ce peut être un atout ; du moins pour commencer, en se faisant « remarquer«  ; car à la longue n’être que le « petit ami de« … s’avère un peu court pour poursuivre et s’établir au moins un peu…

et en honnête homme

et artiste _ filmeur du monde et de la création artistique : ce sera là sa « vocation«  _ probe _ absolument ! et sans compromission aucune :

certains de ses très proches et meilleurs amis se suicideront face à la « détérioration«  (Peter Adam emploie le mot « dégradation« , page 410, en son chapitre « Inventaire« …) de ce monde :

le magnifique « grand reporter«  James Mossman (celui-là même qui l’avait fait engager à la BBC : c’était le 4 avril 1968), le 5 avril 1971 ;

le peintre Keith Vaughan, le 4 novembre 1977… ;

mais encore, page 427 :

« Au travail, le suicide mon collègue Julian Jebb s’ajouta à la longue liste de mes collègues disparus, dont l’esprit toujours en éveil _ pourtant ! _, n’avait pas été capable d’arrêter la course à l’autodestruction _ voilà _ : les grands reporters James Mossman, Robert Vas et Ken Sheppard. Le garçon qui s’occupait de la maison de Tony Richardson à La Garde-Freinet, tua d’abord sa petite amie avant de se donner la mort. La boisson et la solitude durant les longs mois d’hiver au Nid du Duc _ le hameau de la colonie Richardson, l’auteur du film Tom Jones, à La Garde-Freinet _ l’avaient poussé à cet acte terrible, disait-on. La fille de Lawrence Durell, Sappho, se pendit« … Bref, « la mort continuait à jalonner ma route« , remarque Peter, page 427…

« Dans les années quatre-vingt, mon histoire d’amour avec la Grande-Bretagne touchait _ ainsi _ à sa fin. Mme Thatcher n’avait pas encore engagé _ profondément, pas encore _ sa politique absurde et désastreuse _ humainement : Peter Adam ne mâche pas ses mots ! _, mais un nouveau climat social se faisait _ déjà _ sentir, sapant _ durement _ les qualités de ce pays que j’avais tant apprécié. L’Angleterre, comme beaucoup de pays d’ailleurs, entraînée par son désir insatiable et impétueux de richesses, prônait _ maintenant _ l’arrivisme, la ruse, l’avidité comme qualités essentielles. Les inégalités flagrantes, la cruauté des riches, la complaisance des gens au pouvoir et la corruption _ lire ici Paul Krugman… _ devenaient monnaie courante. Je regardais les yuppies, interchangeables avec leurs chemises à rayures, leurs bretelles rouges, leurs manteaux à épaules marquées, leurs BMW, leur arrogance, leurs femmes à sac à mains à chaînes dorées _ on ne disait pas encore le bling-bling… J’observais la nouvelle génération, son appétit féroce, sa frénésie de consommation, son égoïsme impitoyable _ voilà _, et la comparais à ma propre génération qui avait l’espoir chevillé au corps que la vérité et la beauté _ voilà _ finiraient par l’emporter sur les mensonges et la laideur du monde _ quelle belle actualité ! toujours…

Bien sûr cette dégradation _ voilà _ ne se produisit pas en un jour. Ce n’était que le début d’un profond et triste changement qui, hélas, se propageait _ bientôt _ partout«  _ de par notre monde commun, pages 409-410…  _,

voici _ je reprends l’élan de ma phrase _  que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ paru en anglais en 1995, lui _ de la traversée de son siècle :

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme et artiste probe

soucieux de la justesse…

en beau garçon, d’abord _ et le livre est généreusement (et judicieusement) agrémenté de photos de nombreuses personnes rencontrées et narrées _ :

via ses rencontres sexuelles (avant l’amour vrai de Facundo Bo, en 1968, donc : Peter aura alors trente-huit ans _ mais tout cela fort discrètement, et sans le moindre exhibitionnisme, ni a fortiori sensationnalisme ! très loin de là ! Peter Adam a beaucoup de délicatesse et pudeur…) et amicales, plus encore (dont certaines féminines : Hester Chapman et Prunella Clough, à Londres),

celles-ci _ « rencontres« , donc _ vont lui ouvrir bien des portes, bien des « clans«  (ou « réseaux » d’amis :

par exemple, pages 201-202, en débarquant de New-York à Londres,

ce passage-ci, clé ! :

« Parmi les quelques adresses que j’avais _ à Londres, donc, en 1958 _, aucune ne fut plus précieuse et appréciée que celle d’un ami d’Edward Albee _ merci à lui de cette « adresse«  ! de ce « contact«  décisif… _, Patrick Woodcock.

Patrick était le médecin du Gotha artistique londonien _ rien moins ! _ : de Noël Coward à Marlene Dietrich, de Peggy Ashcroft à David Hockney, de Peter Brook à Christopher Isherwood. (…)

Comme à Paris, Rome et New-York _ c’est un point décisif du parcours (et la vie !) de Peter ! _, j’ai eu la chance _ encore faut-il apprendre et à la saisir et plus encore à la cultiver ! et ne pas trop, non plus, la gâcher… _, d’être adopté _ apprécié par, aimé de _ par un clan _ voilà _

pour lequel j’étais _ du moins tout d’abord, au départ :

cela se dissipant cependant assez vite (cf la conclusion plus négative, en 1955, de l’épisode romain et sa « clique« , page 184 : je vais le préciser par le détail un peu plus loin)… _

un objet de curiosité : « Allemand, Juif, non émigré et sorti de l’Allemagne indemne. « How intersting« , disait-on » _ pour commencer, donc ; ici, c’était en 1958, Peter a vingt-neuf ans 

il est aussi très « beau garçon«  (cf les photos généreusement données du livre) ; et éminemment sympathique, plus encore : il a du charisme…

« Patrick était absolument convaincu qu’il était le mieux placé pour tout organiser _ sic _ et décida de me prendre sous son aile _ cela peut effectivement aider… Il m’ouvrit les portes _ voilà ! _ de la vie culturelle _ artistique _ londonienne qui comptait un nombre impressionnant de talents. Tous ses amis « baignaient » _ en effet _ dans l’art, faisaient de la critique de livres ou allaient s’applaudir les uns les autres sur la scène ou à l’écran.« 

Aussi

« la plupart de mes _ nouveaux _ amis _ vrais _ venaient _ -ils _ de son « écurie ».


Avec nombre d’entre eux j’entretenais
_ très bientôt, vite, aussitôt, déjà : c’est un talent ! _ une amitié _ et c’est là l’élément majeur (et de fond !) pour Peter ! _

qui allait s’approfondir _ voilà ! _ au fil des ans : une preuve de leur endurance _ à me supporter, souffrir, et accepter (et aimer)… _ et d’une certaine fidélité _ toujours de la modestie, avec les euphémisations : c’est là une vertu ; Peter n’a pas que des défauts… _ de ma part.

Pour quelqu’un qui vit seul _ pas « en couple« , donc : Peter assume son « célibat« … _,

les amis sont essentiels _ voilà.

Ils m’aidèrent à surmonter _ et durablement, pas à court terme : la dimension temporelle est capitale en ces affaires (existentielles) affectives ! _ mon sentiment _ endémique _ de déracinement _ qui comporte, aussi, il est vrai, l’avantage (non recherché !) du « décalement« , si crucial (pour la vie !), du regard… _,

car je portais en moi _ pour jamais _ des séquelles _ indélébiles, donc _ de mon enfance solitaire _ depuis, au moins, à l’âge de onze ans, le lycée (français, à Berlin, et puis à Züllichau, en Silésie) pour un enfant Juif (bien que ne portant pas l’étoile jaune, Louise, sa mère, étant « aryenne« …) en Allemagne nazie… _ et la nostalgie de mon adolescence _ à la Libération joyeuse, en même temps que pauvre, à partir de 1946… :

un passage assurément important de ce livre, pages 201-202, donc, comme on constate !..)

en beau garçon, d’abord,

via ses rencontres sexuelles et _ surtout, plus encore ! _ amicales

_ je reprends et poursuis maintenant ma phrase _,

celles-ci lui ouvrant bien des portes, bien des « clans » (ou « réseaux » d’amis) :

d’artistes, de créateurs, surtout ! _ c’est là l’élément majeur ! _, dans les diverses capitales que Klaus-Peter (bientôt Peter), va traverser :

Paris,

Rome : Peter devient le compagnon pour un temps, en 1955, d’Enrico Medioli, ami et collaborateur bientôt de Luchino Visconti ;

je m’y attarde un peu, maintenant (j’aime Rome !) :

« Je me rendais souvent à Rome. J’y découvrais un passé splendide. Alors que Paris représentait pour moi l’élégance et le raffinement _ voilà _ international, Rome incarnait _ oui : charnellement _ une grande civilisation ; même le chaos et la pauvreté des rues _ certes _ étaient parés _ oui _ d’une dignité intemporelle _ comme c’est juste ! Tout avait _ le baroque (même borrominien !) est ici mesuré ! sans morbidité : à la Bernin, plutôt… _ des proportions parfaites : les façades ocres baignées par la lumière de l’après-midi _ cf ici les descriptions si justes de mon amie Elisabetta Rasy en son magnifique « Entre nous » ; cf mon article sur son récit autobiographique suivant (« L’Obscure ennemie« ), toujours à Rome : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy« _, les toits avec leurs jardins suspendus, les terrasses des gens riches : tout semblait exprimer la sensualité, la douceur de vivre et le bien-être«  _ on ne saurait mieux dire !, page 181 ;

« Pendant l’un de mes nombreux voyages à Rome, j’avais rencontré Enrico Medioli. Enrico était un ami de Luchino Visconti et allait devenir bientôt l’un de ses plus proches collaborateurs. Avec Suso Cecchi d’Amico, il fut le scénariste de Rocco et ses frères, Sandra, Les Damnés, L’Innocent et Violence et passion.

Enrico incarnait pour moi la perfection : il était blond, aristocrate dans son comportement comme dans son style, grand, élégant, mondain, cultivé et possédait un humour caustique. Il était issu d’une grande famille de Parme et avait souffert de la tuberculose, ce qui ne fit qu’accroître à mes yeux son aura romantique. Il conduisait des voitures de sport et vivait dans un appartement avec terrasse qui surplombait les toits de la cité éternelle.

Il connaissait toutes les personnes qui valaient la peine _ voilà _ d’être connues à Rome.

Autour d’Enrico gravitait la jeunesse dorée. La plupart travaillaient dans le cinéma«  _ soit un medium en pointe :

voilà deux éléments importants dans la « formation«  du jeune Klaus-Peter (qui a alors à peine vingt-cinq ans), on va s’en rendre peu à peu mieux compte… ;

avant d’être plaqué (un peu abruptement !) par Enrico à Cortina d’Ampezzo :

« Enrico avait une énergie contagieuse. Nous allions jusqu’à la plage de Fregene si souvent filmée par Fellini _ dans Huit-et-demi, ou Juliette des esprits, par exemple _, pour déjeuner dans des restaurants que seuls les Romains connaissaient, ou nous dînions dans les établissements huppés de la via Appia. Enrico, qui qualifiait ces endroits de piccole trattorie, molto semplice, était salué par la moitié des clients. Nous prenions l’apéritif chez Bricktop’s et la granita di limone chez Rosati’s _ Piazza del Popolo….

Au fil des mois, l’usure _ cependant _ se fit sentir dans notre couple _ un mot qui sera rarement employé par l’auteur, en ces 443 pages, notons-le au passage. La clique romaine perdait _ pour Klaus-Peter _ son charme _ surtout vaporeux _, comme moi je perdais le mien à leurs yeux _ au pluriel… Je roulai dix-huit heures en voiture de Naples à Cortina d’Ampezzo, où Enrico possédait un chalet, pour apprendre qu’il pouvait juste m’accorder un dîner.

Je compris le message« , page 184…

Avec ce commentaire-ci : « Je revis Enrico quelques années plus tard à Londres où il montait _ comme Luchino Visconti ; ou comme Franco Zeffirelli : les metteurs en scène italiens s’enchantent à mettre leur talent à la disposition de l’opéra _ sa version de La Somnambula à Covent Garden. »

« Comme on perd facilement _ pas seulement de vue ! _ les gens dans la vie ! Pendant un moment, on les voit tout le temps, trois fois par semaine, on les appelle au milieu de la nuit, et puis tout à coup, ils disparaissent. Heureusement j’ai gardé beaucoup de mes relations _ voilà le terme approprié. Plus tard, j’ai eu la chance de revoir certains d’entre eux comme Luchino Visconti, Alberto Moravia, Maria Callas, Giuseppe Pattroni Griffi et Mauro Bolognini, Lila Di Nobili, Franco Zeffirelli et Giorgio Strehler. Cette fois-ci _ nouvelle _ c’était à titre professionnel _ pour des reportages filmés par Peter pour la BBC : entre 1968 et 1989 _ et quelques uns sont même devenus _ à des degrés divers : mais un palier important étant tout de même franchi ! _ des amis.« 

« Comme toujours, je désirais davantage _ relationnellement ; Klaus-Peter se remémore ici sa situation (notamment) affective en 1955 _

et voulais faire de nouvelles découvertes.

Il était temps de passer à autre chose« , pages 184-185 : un passage très important, mine de rien, que ce séjour italo-romain de Klaus-Peter, en 1955… 

mais surtout New-York :

cf le chapitre « America here I come _ 1956-1957« , pages 187 à 211 : venant aux États-Unis surtout pour y améliorer son anglais, Peter y fait la connaissance d’Edward Albee _ « un jeune auteur dramatique« _ et Richard Barr _ »un producteur de théâtre renommé« _, page 193. « Edward et Richard me firent rencontrer _ un terme important ! _ John et Tamara Ennery » _ lui avait été le mari de Tallulah Bankhead ; elle, née Tamara Gergeyeva, avait été l’épouse de Georges Balanchine, au temps des ballets russes de Serge Diaghilev : page 195.

Et enfin Londres, donc :

où Klaus-Peter _ devenu désormais définitivement Peter _ va s’installer, en 1958,

et, non sans difficultés et péripéties, trouver

et un travail qui soit et durable _ enfin : au bout de dix ans cependant ; Peter a commencé par faire ses gammes cinématographiques avec des films publicitaires _ et satisfaisant pour lui _ ce sera à la BBC, en 1968 ;

et pour vingt-deux ans, de 1968 à 1989, à l’âge de sa retraite professionnelle… _,

et _ plus encore ! _ sa vocation de créateur et artiste _ le principal pour lui ! mais il n’en a probablement pas encore vraiment conscience alors… _ :

cf le merveilleux compliment que lui fera Luchino Visconti, en remerciement du documentaire de Peter sur le tournage de Mort à Venise, en 1970 :

« Seul un artiste peut en voir _ = voir vraiment ! : cf le concept d’« acte esthétique » de Baldine Saint-Girons… _ un autre, merci. Amitié, Luchino« , en dédicace à « un très beau livre : Vecchie Immagine di Venezia, vieilles photographies de Venise«  ;

« Il y avait aussi une photo dédicacée : « Pour ta Mort à Venise sur ma Mort à Venise. »

De toute ma carrière _ d’homme d’images filmées _ aucun compliment ne m’a fait un tel plaisir« , page 267 _ :

je veux dire sa « vocation » _ émergeant peu à peu : suite à diverses rencontres, non programmées : par conjonctions de hasard _ de réalisateur de films et reportages culturels, ou plutôt : artistiques (et sur _ à propos… _ d’autres créateurs-artistes, en fait) à la BBC…

voici _ donc : je reprends une fois encore l’élan de ma phrase _

que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

une somptueuse traversée de son siècle _ pas facile pour un garçon juif berlinois ! né en 1929 ! _,

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme

et artiste probe absolument et sans compromission soucieux de la justesse…

J’y viens maintenant…

Ce très grand livre qu’est Mémoires à contre-vent, est construit en trois grandes parties,

autour de la « formation » d’un homme

(et un artiste : Klaus-Peter Adam, devenu par son passage aux États-Unis, en 1956-1957, puis sa vie en Angleterre, de 1958 à 1989 ; et sa naturalisation anglaise, en 1965 : cf page 214, « un sujet de Sa Majesté » ! ; devenu « Peter Adam« , maintenant)

représentatif surtout d’une génération (d’Européens),

ainsi que l’auteur présente cet « essai » d’autobiographie d’abord tout à la fin, pages 438 à 440, de son dernier chapitre, « Le temps des moissons _ 1987-1989« , pour l’édition anglaise, parue en 1995 :

« J’avais l’impression d’avoir vécu plusieurs vies, adopté plusieurs cultures, rêvé et parlé dans plusieurs langues. En même temps j’étais de nulle part, un étranger partout. C’était ce qui me convenait le mieux.

Mon pays natal était un pays imaginaire, fabriqué à partir de souvenirs et d’amis.

Je songeais alors à écrire un livre sur mon enfance et à raconter l’histoire de ce garçon allemand au sang juif qui avait survécu au nazisme.
(…)

Je ne voulais certainement pas me construire une postérité

_ « d’encre et de papier«  : à côté de celle, familiale, de ses neveux, les fils de sa bien aimée sœur jumelle, Renate ;

ou du neveu de Facundo : Marcial di Fonzo Bo, un comédien de grande qualité (auquel, ainsi qu’à Facundo, est dédiée, remarquons-le aussi, cette version française de son autobiographie, Mémoires à contre-vent, page 7).

Je voulais transmettre

non pas mon histoire personnelle,

mais celle de toute une génération _ voilà ! _ marquée par l’Histoire en pleine mutation.

Il y avait eu beaucoup de récits _ écrits et publiés _ sur les bourreaux et les victimes, mais très peu sur la vie quotidienne de gens ordinaires, pris dans le tourbillon de l’Histoire.

Je souhaitais parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal »
_ selon l’expression de Hannah Arendt :

de fait les chapitres « allemands«  (1 à 3 : pages 13 à 88), à Berlin, puis au lycée français mis « à l’abri à la campagne« , en 1943, « à Züllichau, une petite ville de Silésie«  (page 86) ;

et les chapitres « autrichiens« , après que Klaus-Peter, expulsé pour judéité du lycée, début 1944, a rejoint les siens, qui s’étaient réfugiés déjà bien loin de Berlin, « à Tressdorf, dans une vallée perdue de la Carinthie«  (page 86, aussi ;

le premier chapitre « autrichien«  (le chapitre 4 : pages 89 à 104) est joliment intitulé « Intermède pastoral _ 1944-1945« … ;

et le suivant (pages 105 à 116 : « Après-guerre et nouveau départ _ 1945-1946« ) raconte ce qui suit la fin de la guerre et le retour, difficile à Berlin ; jusqu’à ce que le narrateur nomme, au bas de la page 116, « le début de l’après guerre« ) ;

sont des chapitres magnifiques de ces « Mémoires à contre-vent«  sur les conditions de survie des gens ordinaires sous le nazisme… _ ;

Je souhaitais _ donc, je reprends la phrase de Peter Adam… _ parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal » 

et montrer que, malgré tout, le bonheur pouvait survivre _ par résilience, ainsi que Boris Cyrulnik nomme ce processus… _ dans l’épreuve.

Peut-être y avait-il tout de même quelque chose dans cette vie et cette carrière en dents de scie _ voilà : je vais m’y pencher un peu… _ qui méritait d’être préservé » _ et transmis : pages 438-439…

D’autant que

« écrire mes mémoires se révéla _ à l’auteur que va devenir (et se découvrir : par là même !) aussi Peter Adam, à partir de 1990, par ce livre improbable et « ouvert«  de « retour«  sur sa vie… _ passionnant. Cela devenait mon jardin secret, des moments d’évasion _ créatrice ! _ dans un monde de contraintes. (…)

Ma curiosité _ d’analyse, maintenant, comme en actes : par les émissions à concevoir et à réaliser pour la télévision ! entre 1968 et 1989 _ m’avait amené plus loin dans la vie que je ne le pensais _ tout d’abord ; au départ…

La plupart des rencontres ont lieu par hasard. Ce que le désir, les intrigues et la détermination en font _ ensuite : tout un travail et une œuvre ! _ me paraissait plus intéressant que la rencontre elle-même _ advenue, survenue. Il y avait bien évidemment eu des expériences décisives, mais souvent je n’en avais pris conscience qu’après coup. Tout était lié _ ce fut sans doute la découverte la plus surprenante que je fis en écrivant« , page 439 ;

en ce même esprit, Peter a rapporté, page 411, ce mot, « une fois« , de son ami Bruce Chatwin (cf le récit de leur amitié de onze ans, de 1978 au décès de Bruce, le 18 janvier 1989 : aux pages 379 à 384 ; « Ce n’était pas facile d’être ami avec Bruce. Il menait plusieurs vies à la fois et ne permettait pas qu’elles se mélangent ou s’entrecroisent. En société, il était très réservé sur sa vie privée et ne laissait jamais transparaître ses sentiments« , page 380)


Bruce citant Le Portrait de Dorian Gray d’
Oscar Wilde : « Il s’efforçait de rassembler _ lui ; et non sans difficultés dues à tant et tant de hasards d’abord, et à son corps défendant, surtout, subis _ les fils écarlates de sa vie et d’en tisser un dessin«  : unifié, donc, où « tout« , finissant comme par « émerger«  du désordre ou chaos même, vécu par surprise en premier,
vient apparaître en quelque sorte enfin « lié«  et « en place« , « en ordre« , ou presque…

Telle, aussi, une image en un tapis…

Pages 410-411, Peter Adam a aussi écrit, à propos de sa « découverte » de l’écriture :

« Je n’avais jamais écrit de livre _ écrire des scénarios ou des articles _ utilitaires _ n’était pas la même chose _, mais je découvris  rapidement quel plaisir c’était. Rien dans ma vie professionnelle ne m’avait autant stimulé que la relation intime entre l’auteur et sa page, quand tout à coup des mots et des phrases émergent de nulle part«  : c’est la plus stricte vérité !.. Quelle jouissance ainsi rencontrée !

Et un peu différemment, encore,

en l' »épilogue » de 2o09-2010 _ rajouté pour cette « traduction« -« adaptation » française d’un livre qui avait été rédigé presque vingt ans plus tôt : entre 1990 et 1995 ; au moment de sa retraite (de son travail de « documentariste » à la BBC, en 1989) _ :


« En racontant ma vie une fois de plus en une autre langue _ en français, après l’anglais, cette fois _, je me suis découvert une perception du monde qui altérait _ et enrichissait _ la vision _ première _ que j’en avais vingt ans plus tôt _ en 1990. Certains événements n’avaient plus l’importance que je leur accordais en 1995 _ ou en 1989 ou 90… Des amitiés et des rencontres que je croyais emblématiques s’étaient fondues _ depuis lors _ dans l’ombre du temps.

Ainsi raccourci  _ ah! bon ! _ et réédité, Mémoires à contre-vent est un livre nouveau et très différent _ pour Peter le premier _ de Not Drowning, bur Waving.

Notre société et l’ordre du monde _ et nos regards (selon d’autres focalisations : neuves, plus perspicaces : c’est le gain du mûrir…) qui s’ensuivent… _ se sont profondément modifiés durant les vingt dernières années. Des systèmes totalitaires se sont écroulés, mais les droits de l’homme sont _ plus encore _ une vue _ seulement _ de l’esprit. Nous sommes encore bien loin du paradis terrestre où nous pourrions vivre en parfaite liberté, sans conventions hypocrites et libres de tout conformisme _ comme Peter l’a (ou l’avait) longtemps espéré…

Dieu nous est revenu _ de sa mort ! _ à travers deux conceptions qui sont une menace pour notre liberté : le fanatisme dérivé de l’islam et le zèle religieux d’une Amérique conservatrice _ jolie nuance… Dans certaines parties du monde, les bâtiments détruisent _ oui _ le paysage. Ailleurs, la terre _ livrée aux guerres de l’eau _ meurt de soif ; et les famines dues à la sécheresse chassent des populations entières _ émigrant _ de leur pays. Ils mettent leur vie en danger _ de se noyer _ pour traverser les mers à la recherche d’une existence meilleure dans un monde qui les rejette. Utopie mortifère _ combien !

Nous sommes tourmentés de toutes parts : la bêtise du pouvoir, l’imposture des politiques, les démocraties branlantes, la tyrannie des statistiques _ oui, oui, oui, oui ! _, l’omnipotence de la science _ et de ses expertises stipendiées _, l’absence _ veule _ de spiritualité, la fascination _ si niaise ! _ pour les people, cette triste pathologie de la vie moderne fondée sur la culture _ infantilisée _ du _ miséreux _ narcissisme.

Le superficiel règne en maître _ voilà ! Dans un monde obsédé par l’argent, il reste fort peu de place pour la métaphysique _ ou la poésie et le poétique… L’ennui général, très bien repéré par Hannah Arendt et Simone de Beauvoir, est devenu la condition humaine _ quasi générale sur la planète. Voilà pourquoi les gens ont désormais besoin d’être constamment _ et en pure perte _ divertis _ par l’entertainment (régnant à la télévision : même à la BBC ?..).

Il est devenu indispensable d’être joignable partout, à tout moment ; et cela se traduit par des heures de communication stériles _ c’est aimable _ via Internet ou les textos _ quelle sordide dérision !


La langue se banalise, le vocabulaire s’appauvrit ; nous sommes bombardés d’informations
_ et clichés _ ; mais le véritable échange d’idées _ condition de la vraie démocratie, pourtant _ est devenu bien rare. Les rapports épistolaires qui permettaient d’exprimer _ en la « formant«  vraiment _ la profondeur d’une pensée ou d’un sentiment _ plutôt que l’impact brut d’émotions _, ce magnifique plaisir _ certes _ de l’écriture, tombe en désuétude.


Trop de choses se ruent vers l’abîme
_ du nihilisme _ ; et je ne m’en console pas« , page 442…

A contrario, toutefois,

les « artistes » que Peter Adam a « eu le privilège de filmer » (et bien d’autres encore, aussi) « sont la preuve _ vive, vivante ! _ que l’humanité est encore et sera toujours capable de résister _ voilà ! _ à la conspiration _ grégaire _ de la médiocrité«  _ et de ses « statistiques«  ! pages 442-443.

Car « l’art nous donne accès _ en finesse et délicatesse _ à la richesse du monde dans ses dimensions _ qualitatives _ les plus complexes _ et diaprées : jusqu’au sublime…

La vie sans art n’est qu’une source _ minimalement _ tarie.

Seul le travail de l’esprit _ voilà _ peut nous offrir une existence plus vaste _ et libre en l’amplitude de ses mouvements _ que notre bref intermède biologique« , page 443 : bravissimo, M. Peter Adam !!!

La première partie du livre _ soient les chapitre 1 à 6, de la page 13 à la page 134 _ restitue le « terreau » de la génération de ceux qui ont été enfants sous le nazisme _ même si c’est non sans résistance critique dans le cas de la famille Adam, et de la mère, Louise, devenue veuve en 1935.

La seconde partie _ soient les chapitres 7 à 12, de la page 135 à la page 219 _ présente la période d’errances _ avec assez peu de boussoles _ cosmopolites (Paris, Rome, New-York, Londres) et les difficultés _ d’orientation _ de Klaus-Peter, puis Peter, avant de réussir à trouver le « dispositif » professionnel qui lui permettra de devenir véritablement lui-même ; et d’accomplir (en œuvres ! de partages) une « vocation« …

La troisième partie _ soient les chapitres 13 à 33 + l’« épilogue«  ajouté à la version française de la page 221 à la page 443 _ décrit l’éclosion (assez rapide : le chapitre 13 : « Témoin : Berlin, Biafra« , en 1968 et 69) et la maturation-maturité _ sereine _ de l’artiste-témoin :

et de son temps,

et des démarches de création des artistes ses contemporains (et souvent amis, vraiment !),

que sut devenir Peter Adam ;

avant de passer, in fine, à l’écriture _ puis la réécriture ! maintenant… _ du « témoignage » de son propre œuvrer…

Car très vite, dès 1969, « on avait demandé à James Mossman de reprendre la rédaction d’un magazine culturel hebdomadaire, Review, l’émission d’art la plus réputée de la BBC. (…) C’était l’occasion de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Serait-il _ Jim _ capable de briser cette notion élitiste du bon goût qui dominait encore les reportages culturels de la BBC sans tomber dans le piège de la vulgarisation ou des généralisations _ tout Art est initiation à la singularité ! _ simplistes ?

Jim finit par accepter ce poste de rédacteur en chef, à condition que je l’accompagne dans cette aventure. Ce ne fut pas un choix facile, car j’aimais beaucoup les actualités. Je postulai donc pour ce nouveau travail, et fus embauché comme rédacteur en chef de cette émission artistique hebdomadaire.

Je venais de tourner une nouvelle page ; et un autre chapitre de ma vie commençait. J’avais quarante ans« , page 241.

Vont suivre vingt ans (1969-1989) de réalisations de films pour faire connaître _ en donnant à ressentir _ (par la BBC) le sens des créations artistiques modernes et contemporaines _ avec témoignages (= interviews ouvertes…) des créateurs, si possible, et documents audio et visuels à l’appui.

Ainsi _ parmi les projets entrepris et parfois avortés en chemin, ou effectivement réalisés et passés à l’antenne _ :

des émissions sur André Malraux (pages 243 à 245), Rudolf Noureev (245 à 248)

_ avec aussi, un reportage sur « Cuba : Art et révolution _ onze ans après » (249 à 257) _,

« Visconti au travail » pour Mort à Venise (259 à 267), Vladimir Nabokov (269 à 270), Andy Warhol (270 à 273), Doris Lessing (279 à 280), l’hommage, suite à sa mort par suicide, à James Mossman _ « J’intitulai l’émission To be a witness (« Être un témoin« )… _ (280 à 282), Borges (283 à 287)

_ avec, alors, la double décision, page 287, « de rester au département des Arts ; et de me consacrer à des films plus longs«  : c’est-à-dire moins courts ! afin de mieux rendre compte de ce qu’est la créativité singulière d’un artiste…

Hans Werner Henze (289 à 292), Man Ray (292 à 295), « Rêves royaux : Visconti et Louis II de Bavière« , à propos du tournage de Ludwig, le crépuscule des dieux (295 à 298)

_ avec, alors, une série de six émissions, « Eux et nous« , « sur l’art et la culture au sein des six pays fondateurs de la Communauté européenne » (pages 301 à 311) ; ainsi qu’une émission hebdomadaire consacrée au théâtre dans toute l’Europe (313 à 319) _,

« L’Esprit du lieu: la Grèce de Lawrence Durrell » (321 à  325)

_ la publication, en 1987, d’un livre de Peter Adam, « Eileen Gray, a biography » (paru aussi en traduction française, aux Éditions Adam Biro), consacré à son amie « la grande designer Eileen Gray«  qui vécut de 1878 à 1976 (327 à 333) _,

le « nouveau cinéma allemand » de Volker Schlöndorff, Wim Wenders, Werner Herzog, Hans Jürgen Syberberg et Rainer Werner Fassbinder (335 à 340), Jeanne Moreau (340 à 345), « Alexandrie revisitée : l’Égypte de Durrell » (347 à 351), Lillian Hellman et Lotte Lenya (353 à 367), « Diaghilev : une vision personnelle » (369 à 375), Edward Albee, « Un auteur dramatique face au théâtre » (385 à 388), David Hockney (388 à 394), une série consacrée aux « Maîtres de la photographie« , dont André Kertész, Alfred Eisenstaedt, Bill Brandt et Jacques-Henri Lartigue (395 à 407), « Richard Strauss « ressuscité » » (415 à 423) ; une dernière série (de 100 heures) consacrée à « L’Architecture au carrefour« , avec une trentaine d’architecte interviewés, dont I. M. Pei, Richard Rogers, Richard Meier, Norman Foster, Jean Nouvel et Arata Isozaki (page 425), « Gershwin « ressuscité » » (page 133), Buñuel (pages 433 à 434) ; et, pour finir, deux émissions d’une heure consacrées à « l’Art du troisième Reich » (435 à 438)…

Ces Mémoires à contre-vent (aux Éditions de La Différence) : un travail magnifique d’humaniste libre et exigeant !

« Passeur » de la poiesis des artistes ses contemporains les plus authentiques

par l’image filmique de la plus grande qualité ! dans le plus scrupuleux souci de l’intelligence du sens !

Bravo !

Titus Curiosus, ce 2 mai 2010

 

Barack Obama : le réalisme de la probité (ou l' »audace d’espérer ») : une « refondation » _ et peut-être pas pour l’Amérique seulement…

25jan

Un intéressant _ mais aussi (un peu) ambigü ! _ article (de Christophe De Voogd) sur le riche site de NonFiction, le 20 janvier :

« Cicéron « speechwriter » d’Obama ? : l’éloquence revient à la Maison-Blanche« 
[mardi 20 janvier 2009 – 18:00]


lui-même d’après l’article _ important, pionnier ! _ de Charlotte Higgins « The new Cicero« 
(sous-titré : « Barack Obama’s speeches are much admired and endlessly analysed,
but one of their most interesting aspects is the enormous debt they owe to the oratory of the Romans
« )
dans The Guardian du 26 novembre :


Ou : quand l’art oratoire antique aide à comprendre pourquoi _ à éclaircir, cependant : quelle est la position, in fine, de l’auteur de l’article ? _ le nouveau président américain a été élu : une étude en règle du « style obamien » _ un objet d’analyse plus qu’intéressant !!! Tel est, en effet, le « chapeau » de l’article de Christophe De Voogd, sur la page de NonFiction…

Voici donc, tout d’abord, l’article de Christophe De Voogd

_ surligné et « farci », selon ma coutume sur ce blog, de mes commentaires (parfois critiques)

Même si l’adresse inaugurale _ d' »inauguration » de son mandat présidentiel, plutôt ! _ du nouveau président américain ne constitue pas, à première vue

_ surtout pour qui a eu le tort (comme moi-même, aussi) de le suivre en direct traduit en français sur une des chaînes de la télévision française, plutôt que de l’écouter « directement » sur CNN, par exemple (et maintenant sur You Tube) :

et l’anglais de Barack Obama est admirable de netteté comme de force ! si puissante est l' »actio » d’abord de sa voix… _,

son meilleur discours,

elle confirme qu’avec Barack Obama, l’éloquence fait son grand retour à la Maison-Blanche
après des décennies de « communication » et d’appauvrissement du discours présidentiel américain

_ statistiquement analysé par Elvin Lim dans « The Anti-intellectual Presidency« .

De fait, l’arsenal rhétorique d’Obama
_ servi de plus par des qualités (élégance, voix, gestuelle
_ oui ! _) décisives à l’actio  (certes !) de l’orateur _
a de quoi impressionner.


On retrouve, peu ou prou, les mêmes caractéristiques dans tous ses grands discours,
depuis celui de la convention démocrate de 2004 _ le 27 juillet, à Boston ; cf « L’Audace d’espérer » ; qui investissait John Kerry… _, qui a lancé sa carrière nationale,
jusqu’à son Victory speech du 4 novembre _ 2008 _,
en passant par le plaidoyer d’anthologie pour la réconciliation interraciale à Philadelphie en mars dernier _ le 18 mars _
et le discours de Berlin sur les relations États-Unis/Europe en août _ en fait le 24 juillet 2008…

Et même le discours d’investiture du 20 janvier _ 2009 _, nous le verrons, s’intègre parfaitement dans ce « style obamien »,
dont la richesse _ quand « le style, c’est l’homme même » (dixit Buffon en son « Traité du style« ) !.. _ fait du 44ème président des États-Unis un « nouveau Cicéron«  (Charlotte Higgins dans The Guardian du 26 novembre) _ mais pas seulement « en paroles » ; l’enjeu est profond ! intègrant rien moins qu’une « vision » de civilisation…


L’abondance des figures utilisées est un premier signe de cette richesse _ de la pensée, et pas rien que de la forme : une poiesis (et grande !) y est à l’œuvre ! _ : allitérations, anaphores (répétitions initiales d’une phrase à l’autre), antithèses, rythmes ternaires, questions et précautions oratoires, concessions, dialogisme (échange imaginé avec des interlocuteurs absents), ainsi qu’un goût prononcé pour la métonymie, détail qui frappe l’imaginaire _ ou plutôt la pensée même mise en mouvement ! rien des voies pernicieuses des faux fuyants (à impasses…) romantiques ! ou des manœuvres trompeuses des « communiquants » qui florissent de par le monde depuis trop longtemps ! _ bien plus que le concept générique ou l’idée abstraite : pour parler d’écologie, par exemple, point de chiffres, ni de considérations savantes sur le réchauffement climatique, mais une évocation concrète : « tandis que nous parlons, des voitures à Boston et des usines à Beijing font fondre la calotte glaciaire dans l’Arctique, réduisent le littoral sur l’Atlantique, et amènent la sècheresse dans les fermes, du Kansas au Kenya » (discours de Berlin).

Le jeu subtil sur les trois registres aristotéliciens du discours est une autre force du style obamien :

importance de l’ethos, c’est-à-dire du caractère _ ou de l’identité (personnelle et riche des éléments qui la constituent et « composent »), en son « génie » propre (et singulier) _ de l’orateur lui-même, qui aime _ mais sans narcissisme (mal venu, lui !), ni incitation insidieuse à mêler improprement projections (sur) et identifications (à) un autre (malsainement idolâtré) à l’image de soi _ souligner les différentes facettes _ ou sources abondées _ de sa personnalité (à commencer par sa double origine ethnique) ; et recourt de façon systématique au « storytelling » personnel _ aux usages souvent ambigüs et malsains : quand ils ne recherchent que de trompeuses projections faussement identificatives ! sur le modèle des « stars » ; cf le livre d’Edgar Morin : « Les Stars« … _ :

ainsi dans presque tous ses discours, la saga _ est-ce donc de cela qu’il s’y agit ?.. non ! _ de son père kenyan.

Le pathos, le ressort affectif, est l’autre registre majeur d’Obama,
incarné par un appel systématique _ une recette, donc, pour l’auteur de l’article ?.. _ aux valeurs et aux mythologies _ est-ce vraiment le terme adéquat ? non ! _ identitaires : liberté, bonheur, foi, pères fondateurs, etc… _ s’agit-il donc là de « mythes » ? j’espère bien que non !!! ne pas confondre avec les contrefaçons de bien des politiciens et praticiens de la « com' » ; en France, pour commencer… _ ;

là encore le procédé _ le « geste » rhétorique est-il nécessairement un « procédé » : « truqueur » et mensonger ? _ du « storytelling » à fonction métonymique est roi :

ainsi, le 20 janvier, pour évoquer _ superficiellement ?.. _ l’esprit de sacrifice, il met en avant les soldats « morts à Concord, Gettysburg, en Normandie et à Khe Shan » ;

ou, pour illustrer l’indispensable _ pour qui ? serait-ce là quelque trait d’ironie ?.. surtout quand tant d’autres l’estiment fort « dispensable » !.. _ solidarité citoyenne : « C’est la gentillesse de ceux qui accueillent _ ah ! l’hospitalité ! _ un étranger lorsque les digues sont rompues, c’est l’altruisme _ au temps (thatchérien, reaganien, etc…) de l’utilitarisme réaliste (égoïste ; et haineux : pour le concurrent ; ou l’autre, tout-court ! matiné, il est vrai, d’une « larme » _ mesurée, cependant : dosée au plus juste ! _ de « compassionnel »…) _ des travailleurs qui préfèrent _ par « socialisme » ?.. Obama s’en est vu accuser (par McCain)… _ réduire leurs heures de travail _ et les partager ; cf la « loi » (si aisément vilipendée et brocardée par certains) des « 35 heures » !!! chez nous _ plutôt que de voir son ami perdre son emploi » ; etc…

Quant au logos, l’appel à la raison,

il est également présent,

notamment à travers l’utilisation _ cardinale selon Aristote (in sa « Rhétorique« … : un « basique » !..) _ de l’enthymême (ou syllogisme oratoire) fondé sur  l’analogie : « Si nous avons pu créer l’OTAN pour faire plier l’Union soviétique, nous pouvons nous retrouver dans un partenariat nouveau et global pour démanteler les réseaux qui ont frappé à Madrid et à Amman«  (discours de Berlin).

Mais le plus intéressant _ et le plus ingénieux (oui !..) _ se trouve sans doute dans la façon dont Obama mêle les trois registres :

l’émotion est toujours sollicitée dans l’ethos :

ainsi lorsqu’il souligne l’humilité et l’humanité _ vraies _ de ses grands-parents (des deux côtés !) ;

inversement, les passages les plus affectifs sont soigneusement ponctués de connecteurs logiques (« c’est pourquoi« , « donc« ).

L’on est également frappé par la rigueur de la construction de discours souvent très longs,
dont les différents moments sont savamment _ comment le prendre ? _ reliés par des relations d’analogie et des images récurrentes :

« les ponts » _ à construire _ et les « murs » _ à abattre _ (discours de Berlin),

le long « voyage » de l’Amérique (20 janvier) _ ne sont-ce là que « figures de style » ? ou axes et sources vives d’un (grand) projet politique démocratique ? Qu’en pense Christophe De Voogd, l’auteur de cet article ?

Par ailleurs, jouant _ le mot n’est pas, lui non plus, tout à fait sans ambivalence ; si l’on n’est pas un Donald Winnicott ; ou un Noam Chomsky : et voilà, au passage de mon « commentaire », quelqu’un qui serait passionnant à lire sur ce sujet précis-là de la « rhétorique de Barack Obama » (indépendamment de sa contribution vidéo très intéressante ! dans Le Monde du 16 janvier dernier : « Noam Chomsky : regard critique sur l’Amérique« ) _ sur la structure classique de l’exposition (exorde, narration, thèse, péroraison),

Barack Obama sait prendre les libertés du virtuose _ de l’art oratoire ; avec sa « sprezzatura«  ; lire là-dessus la méditation raffinée de cet art (de s’adresser, avec égard, à l’autre) de Baldassare Castiglione : « Le Livre du courtisan » ; en lieux éminemment policés, en effet… _ :

départs in medias res (dans le vif du sujet), digressions nombreuses, et longues exhortations.

Ce dernier trait est aussi typique d’un style fortement marqué par les prédicateurs noirs américains ;

c’est également le cas de la pratique obamienne _ en public, bien sûr : le discours parlé s’adresse aux autres qui y répondent _ du « call and response« ,

illustrée par le fameux « yes we can« , repris en chœur par le public.

N’est-ce pas encore la référence biblique qui inspire le message central du discours de Berlin :

le passage de l’ »ancienne Alliance » de la guerre froide à la « nouvelle Alliance » contre les périls de notre monde ?

Et n’est-ce pas encore elle que l’on retrouve le 20 janvier, dans le slogan _ mais est-ce bien cela (et rien que cela), un « slogan » (manipulateur = persuasif) ? N’est-ce pas, tout au contraire, et on ne peut davantage fondamentalement, le projet fondateur même ? l’axe porteur (!) de toute la politique de Barack Obama ?.. et qui vient de rencontrer la confiance des électeurs le 4 novembre ?.. Attention aux contresens d’interprétation !.. _ de la « refondation de l’Amérique » (« remaking America« ) _ « refondation » : un concept décisif : s’y méprendre serait terrible !.. _, illustrée par la référence répétée _ mais ce n’est pas là pure incantation langagière : thaumaturgique, magicienne ! _ à la fondation du pays, et l’analogie entre deux « hivers d’épreuves« , celui surmonté en son temps par George Washington et celui que nous connaissons aujourd’hui ?

Cette réactivation constante de l’origine _ comme sol de confiance où prendre l’appui puissant de l’action à accomplir _, ce renouvellement du pacte primordial _ voilà l’important : un pacte politique profondément (et authentiquement, lui _ je veux dire pas mensongèrement ; pas « idéologiquement » _ démocratique !!! _, cette relecture des « actes fondateurs », est une thématique centrale _ la source de l’élan ; et le fond de la légitimité ! _ d’Obama. Dans l’aventure biblique du peuple américain, il ne propose rien moins qu’un « Nouveau Testament _ mais laïque (pas « fondamentaliste religieux ») ! _ de la Liberté » _ avec ses conditions effectives _ « à remettre intact aux générations futures« …

A vrai dire, son deuxième speechwriter, aux côtés de Cicéron, pourrait bien être… Jésus-Christ !

On le voit, l’unité d’inspiration _ et la cohérence (de l’élan, donc) _, d’un discours l’autre, est frappante _ mais cette « inspiration »-là n’est pas purement formelle, ou « rhétorique » : de surface ; c’est une poiesis en acte, venant droit d’un fond fécond et profond… Pareille générosité et élégance ne trompent pas : nous voici aux antipodes des cliquetis et scintillements à paillettes des camelots bonimenteurs de boulevards…


Dès lors, l’on peut mesurer précisément les différences entre les discours du candidat et la première allocution _ « d’inauguration » _ du président. Elles tiennent tout simplement au contexte _ en effet !

Contrairement à l’adage,

tout bon discours est en effet un « discours de circonstances«  _ mais oui… : à l’écoute (authentique) de qui le reçoit ; et peut y répondre (ou pas)… quand il s’agit d’un peu plus que de déclencher des réflexes (d’achat, consommation ou vote) !.. Or celles-ci ont changé radicalement.

Désormais doté de la légitimité morale _ et ce n’est pas rien ! surtout comparé à des exemples (d’absence de générosité) ; certains qui nous sont plus proches… _ et de l’autorité légale (sans parler des sondages de rêve !),

Barack Obama n’a plus besoin de développer le registre de l’ethos : les Américains sont convaincus de ses qualités. Lui, qui avait tant développé dans sa campagne le caractère improbable (« unlikely« ) de sa candidature, pour retourner l’argument en sa faveur (n’était-il pas _ lui, Barack Hussein Obama _ aussi improbable que le « rêve américain«  lui-même ?) a désormais _ au fauteuil de Président dans le salon ovale de la Maison-Blanche _ cause gagnée _ mais l’ambition n’est pas, ici, seulement d' »occuper » le poste et « jouir » de sa fonction ; mais bien d’accomplir ce qui a été très clairement proposé ; et qui est, en cette occurrence-ci, de « construire« , et non de « détruire » _ ainsi qu’il l’a très littéralement énoncé : « sachez que vos peuples vous jugeront sur ce que vous pouvez construire, pas détruire » ! _ ; d' »unir » le peuple, et non pas de le « diviser » (pour régner)…

D’où dans le processus d’énonciation,

après une rapide captation de bienveillance _ acquise, elle aussi (la bienveillance), ce jour-là (le 20 janvier 2009) ; et à ce moment (intense)-là (de midi) _,

la quasi-disparition _ déjà auparavant… _ du « je » et l’omniprésence _ authentique, ici ; pas « de majesté » pseudo, ou plutôt de facto, monarchique ! (versaillaise…, dirions-nous, nous, Français !) _ du « nous » : chef incontesté du « we-group » national, le (nouveau) président peut _ de facto et de juris, en même temps ! _ parler au nom de tous _ « en vérité » (en son cas) !..

D’où également la structure beaucoup plus classique _ « attique » ? « ionienne » ? _ de l’ensemble

qui sied à la dignité présidentielle _ désormais : mais la personne qui parle vient-elle, elle-même, de « changer » ? ne s’agit-il pour elle, comme c’est le cas pour bien d’autres, que d’un « job » (de 4 ou 8 ans, pour lui ; de 7 ou 5 ans, pour ces autres-là…) ?..


Demeure pourtant, constante chez Obama, la grande variété des destinataires _ bien réels, en leur variété en effet ! et pas seulement « ciblés » au plus juste… _ du discours :

le peuple américain dans toutes _ oui _ ses composantes bien sûr, « Union » oblige _ mais en quel sens : « oblige » de fait (électoralement ?) ; ou « oblige » de droit ? ; on peut s’interroger sur les arrières-pensées de l’auteur de l’article… ; en tout cas, Barack Obama est un peu mieux placé (que d’autres à un tel poste), par son parcours personnel, non seulement au sein des États-Unis, mais de par le monde, pour un peu moins oublier certains (que ces autres _ carrément exclueurs ! eux !.. _ à de tels postes…) _ ;

mais aussi de nombreux interlocuteurs _ vraiment ! fin de l’uni-latéralisme !.. _ étrangers :

alliés traditionnels _ Barack Obama est remarquable par sa capacité réellement supérieure d' »écouter » ! _,
mais aussi Musulmans auxquels on tend la main ;
dictateurs
de tout poil et terroristes que l’on met en garde.

Demeurent les très nombreux appels à l’action et au devoir (« must« ), que l’on attend d’un homme qui doit « tracer la route » _ métaphore centrale ; qui est donc parfaitement choisie _ en effet !

Demeure aussi _ trait essentiel du bon orateur _ la grande clarté de la thèse et du message (« le monde a changé et nous devons _ pragmatiquement, ici : Obama est un « réaliste » ; mais avec la probité, lui ! _ changer avec lui« _ même si ce n’est pas là la raison première de ce « devoir »-là de changement… _ ) _ ainsi que de la « vision » !..

Demeure enfin cette conviction impressionnante _ de puissance ! _, cette « probité » _ la base (solide) de toute son action ; son sens porteur ; et qui suscite une vraie profonde confiance ! _, à laquelle, nous rappelle Aristote, « le discours emprunte je dirai presque sa plus grande force de persuasion » _ pas seulement de facto.

Et ce point, capital, aurait assurément mérité d’être (bien davantage) développé dans cet article riche d’enseignements de Christophe De Voogd.

* À lire également sur nonfiction.fr :

– Nicole Bacharan : « Les Noirs américains : Des champs de coton à la Maison Blanche » (Panama), par Benoît Thirion.

– Nicole Bacharan : « Le petit livre des élections américaines » (Panama), par Benoît Thirion.

– Sylvie Laurent : « Homérique Amérique » (Seuil), par Alice Béja.

– L’entretien de Sylvie Laurent, par Alice Béja.

– Barack Obama : « De la race en Amérique » (Grasset), par Henri Verdier.

– Barack Obama : « De la race en Amérique » (Grasset), par Balaji Mani.

– Andrew Gelman : « Red state, blue state, rich state, poor state : Why Americans Vote The Way They Do » (Princeton University Press), par Clémentine Gallot.

– L’entretien d’Andrew Gelman, par Clémentine Gallot.

– Justin Vaïsse : « Histoire du néoconservatisme aux États-Unis » (Odile Jacob), par Adrien Degeorges.

Et voici maintenant l’article de départ (du fort intéressant _ et parfois ambigu, voire carrément contestable ! nous l’avons aperçu…) « papier » de Christophe De Voogd dans NonFiction du 20 janvier, donc) :

le travail perspicace et fouillé de Charlotte Higgins, « The new Cicero« , dans The Guardian du 26 novembre :

The new Cicero

D’abord, le « chapeau » de l’article, du Guardian :

Barack Obama’s speeches are much admired and endlessly analysed, but,

says Charlotte Higgins,

one of their most interesting aspects is the enormous debt _ voilà _ they owe to the oratory of the Romans.

Puis l’article lui-même de Charlotte Higgins :

In the run-up to the US presidential election,

the online magazine Slate ran a series of dictionary definitions of « Obamaisms« .

One ran thus :
« Barocrates. An obscure Greek philosopher who pioneered a method of teaching in which sensitive topics are first posed as questions then evaded« 
_ « Barocrates« , par Chris Wilson, le 23 juin 2008, sur Slate…

There were other digs at Barack Obama that alluded to ancient Greece and Rome. When he accepted the Democratic party nomination _ à Denver, le 28 août 2008 _, he did so before a stagey backdrop of doric columns. Republicans said this betrayed delusions of grandeur : this was a temple out of which Obama would emerge like a self-styled Greek god. (Steve Bell also discerned a Romanness in the image, and drew Obama for this paper as a toga-ed emperor.) In fact, the resonance of those pillars was much more complicated than the Republicans would have it. They recalled the White House, which itself summoned up visual echoes of the Roman republic, on whose constitution that of the US is based. They recalled the Lincoln Memorial, before which Martin Luther King delivered his « I have a dream » speech. They recalled the building on which the Lincoln Memorial is based _ the Parthenon. By drawing us symbolically to Athens, we were located at the very birthplace of democracy.

Here’s the thing : to understand the next four years of American politics, you are going to need to understand something of the politics of ancient Greece and Rome.

There have been many controversial aspects to this presidential election, but one thing is uncontroversial : that Obama’s skill as an orator has been one of the most important factors _ perhaps the most important factor _ in his victory. The sheer numbers of people who have heard him speak live set him apart from his rivals _ and, indeed, recall the politics of ancient Athens, where the public speech given to ordinary voters was the motor of politics, and where the art of rhetoric matured alongside democracy.

Obama has bucked the trend of recent presidents _ not excluding Bill Clinton _ for dumbing down speeches. Elvin T. Lim’s book « The Anti-Intellectual Presidency : The Decline of Presidential Rhetoric from George Washington to George W Bush« , submits presidential oratory to statistical analysis. He concludes that 100 years ago speeches were pitched at college reading level. Now they are at 8th grade. Obama’s speeches, by contrast, flatter their audience.

His best speeches are adroit literary creations, rich,

like those doric _ ou plutôt ioniennes, voire corinthiennes ? la distinction n’est pas superficielle… _ columns with allusion,

his turn of phrase consciously evoking lines by Lincoln and King,

by Woody Guthrie and Sam Cooke.

Though he has speechwriters, he does much of the work himself  : Jon Favreau, the 27-year-old who heads Obama’s speechwriting team, has said that his job is like being « Ted Williams’s batting coach« .

James Wood, professor of the practice of literary criticism at Harvard, has already performed a close-reading exercise on the victory speech _ le 4 (ou plutôt 5 novembre, avant l’aube, à Grant Park), à Chicago _ for the New Yorker _ voici cet article : « Victory Speech« , le 17 novembre. Can you imagine the same being done of a George Bush speech ?

More than once, the adjective that has been deployed to describe Obama’s oratorical skill is « Ciceronian« . Cicero, the outstanding Roman politician of the late republic, was certainly the greatest orator of his time, and one of the greatest in history. A fierce defender of the republican constitution, his criticism of Mark Antony _ cf le sublime « Jules Cesar » de Shakespeare (en 1599) ; et le film, magnifique, avec l’interprétation mémorable de Marc-Antoine par Marlon Brando, de Mankiewicz (en 1953) _ got him murdered in 43 before Jesus-Christ _ sur le meurtre de Cicéron, le 7 décembre 43 avant-Jésus-Christ, peu avant d’atteindre le port de Formies, lire la description terrible qu’en donne l’ »Histoire de Rome » de Tite-Live (« Ab Vrbe Condita« , CXX), qui nous a été transmise par Sénèque le Rhéteur (« Suasoriae« , VI, 17)…

During the Roman republic (and in ancient Athens) politics was oratory. In Athens, questions such as whether or not to declare war on an enemy state, were decided by the entire electorate (or however many bothered to turn up) in open debate. Oratory was the supreme political skill, on whose mastery power depended.

Unsurprisingly, then, oratory was highly organised and rigorously analysed. The Greeks and Romans, in short, knew all the rhetorical tricks, and they put a name to most of them.

It turns out that Obama knows them, too.

One of the best known of Cicero’s techniques is his use of series of three to emphasise points : the tricolon. The most enduring example of a Latin tricolon is not Cicero’s, but Caesar’s « Veni, vidi, vici » _ I came, I saw, I conquered. Obama uses tricola freely. Here’s an example : « Tonight, we gather to affirm the greatness of our nation, not because of the height of our skyscrapers, or the power of our military, or the size of our economy … »

In this passage, from the 2004 Democratic convention speech, Obama is also using the technique of « praeteritio«  _ drawing attention to a subject by not discussing it. He is discounting the height of America’s skyscrapers etc, but in so doing reminds us of their importance.


One of my favourites among Obama’s tricks was his use of the phrase « a young preacher from Georgia« , when accepting the Democratic nomination this August ; he did not name Martin Luther King. The term for the technique is « antonomasia ». One example from Cicero is the way he refers to Phoenix, Achilles’ mentor in the Iliad, as « senior magister » _ « the aged teacher« . In both cases, it sets up an intimacy between speaker and audience, the flattering idea that we all know what we are talking about without need for further exposition. It humanises the character _ King was just an ordinary young man, once. Referring to Georgia by name localises the reference _ Obama likes to use the specifics to American place to ground the winged sweep of his rhetoric _ just as in his November 4 speech : « Our campaign … began in the backyards of Des Moines and the living rooms of Concord and the front porches of Charleston« , which, of course, is also another tricolon.

Obama’s favourite tricks of the trade, it appears, are the related anaphora and epiphora.

Anaphora is the repetition of a phrase at the start of a sentence. Again, from November 4 : « It’s the answer told by lines that stretched around schools … It’s the answer spoken by young and old … It’s the answer … »

Epiphora does the same, but at the end of a sentence. From the same speech (yet another tricolon) : « She lives to see them stand out and speak up and reach for the ballot. Yes we can. » The phrase « Yes we can » completes the next five paragraphs.

That « Yes we can » refrain might more readily summon up the call-and-response preaching of the American church than classical rhetoric. And, of course, Obama has been influenced by his time in the congregations of powerfully effective preachers.

But James Davidson, reader in ancient history at the University of Warwick, points out that preaching itself originates in ancient Greece. « The tradition of classical oratory was central to the early church, when rhetoric was one of the most important parts of education. Through sermons, the church captured the rhetorical tradition of the ancients. America has preserved that, particularly in the black church. »

It is not just in the intricacies of speechifying that Obama recalls Cicero.

Like Cicero, Obama is a lawyer.

Like Cicero, Obama is a writer of enormous accomplishment _ « Dreams From My Father«  _ « Les Rêves de mon père » _, Obama’s first book, will surely _ en effet… _ enter the American literary canon _ c’est un chef d’oeuvre !


Like Cicero, Obama is a « novus homo«  _ the Latin phrase means « new man » in the sense of self-made.

Like Cicero, Obama entered politics without family backing (compare Clinton)

or a military record (compare John McCain).

Roman tradition dictated you had both.

The compensatory talent Obama shares with Cicero, says Catherine Steel, professor of classics at the University of Glasgow, is a skill at « setting up a genealogy of forebears _ not biological forebears, but intellectual forebears. For Cicero, it was Licinius Crassus, Scipio Aemilianus and Cato the Elder. For Obama, it is Lincoln, Roosevelt and King. »

Steel also points out how Obama’s oratory conforms to the tripartite ideal laid down by Aristotle,

who stated that good rhetoric should consist of pathos, logos and ethos _ emotion, argument and character.

It is in the projection of ethos that Obama particularly excels.

Take this resounding passage :

« I am the son of a black man from Kenya and a white woman from Kansas. I was raised with the help of a white grandfather who survived a Depression to serve in Patton’s army during World War II and a white grandmother who worked on a bomber assembly line at Fort Leavenworth while he was overseas. I’ve gone to some of the best schools in America and lived in one of the world’s poorest nations. » He manages to convey the sense that not only can he revive the American dream, but that he personally embodies _ actually, in some sense, is (tout à fait !) _ the American dream.

In English, when we use the word « rhetoric« , it is generally preceded by the word « empty« . Rhetoric has a bad reputation _ issue de la tradition socratico- (cf « Gorgias« ) platonicienne.

McCain warned lest an electorate be « deceived by an eloquent but empty call for change« .

Waspishly, (Hillary) Clinton noted, « You campaign in poetry, you govern in prose.« 

The Athenians, too, knew the dangers of a populace’s being swept along _ cf aussi « la République«  de Platon _ by a persuasive, but unscrupulous demagogue (and they invented the word).

And it was the Roman politician Cato _ though it could have been McCain _ who said « Rem tene, verba sequentur« . If you hold on to the facts, the words will follow.

Cicero was well aware of the problem. In his book « On The Orator » _ « De L’orateur«  _, he argues that real eloquence can be acquired only if the speaker has attained the highest state of knowledge _ « otherwise what he says is just an empty and ridiculous swirl of verbiage« .

The true orator _ et pas manipulateur démagogue _ is one whose practice of citizenship _ authentiquement républicaine et démocratique ! _ embodies _ oui : « incarne » et « porte »… _ a civic ideal _ whose rhetoric, far from empty, is the deliberate, rational, careful organiser of ideas and argument _ oui ! _ that propels the state forward _ avec progrès (authentique ; pas dans la langue-de-bois brillamment mise en relief par George Orwell en son « 1984« , en 1948 ; où sont baptisées « réformes » les « casses » et régressions réactionnaires, en tous genres)… safely and wisely.

This is clearly what Obama, too, is aiming to embody : his project
_ oui ! _ is to unite rhetoric, thought and action in a new politics that eschews _ sans tromperie politicienne de bas étage, ici ! _ narrow bipartisanship.
...
Can Obama’s words translate into deeds ?


The presidency of George Bush provided plenty of evidence that a man who has problems with his prepositions
may also struggle to govern well
_ comme c’est excellemment diagnostiqué…

We can only hope _ avec réalisme et pragmatisme _ that Obama’s presidency proves that opposite.

Charlotte Higgins is the author of « It’s All Greek To Me: From Homer to the Hippocratic Oath, How Ancient Greece Has Shaped Our World » (Short Books).

Un passionnant article ; qui nous donne aussi bien à penser
autour des pratiques de « communication »

en France aussi _ tels les Guaino et le staff de l’Elysée, peut-être… _,

par rapport à l’action politique ; et à l’aune de critères de légitimité (et pas seulement légalité) démocratique…

Avec Barack Obama,
le monde vient de changer
et de « réel »
et de « réalisme »,

pouvons-nous raisonnablement penser…

Puissent les citoyens français, eux aussi,
ne pas trop tarder à en prendre assez clairement conscience !
et à mettre leurs actes et leur pratique _ de citoyens d’une démocratie _ en cohérence avec cela,

en conséquence…

C’est en tout au cas un tel espoir

_ « l’audace d’espérer« , a dit Barack Obama à la convention démocrate de Boston le 27 juillet 2004 ; cf aussi son livre : « L’Audace d’espérer«  _

que j’ose personnellement formuler…

Titus Curiosus, ce 25 janvier 2009


Post-scriptum :

Recevant ce matin un envoi d’articles de Marianne Massin _ l’auteur de l’excellent « La Pensée vive » _,

je remarque, en exergue à son article « Enjeux philosophiques d’une approche stylistique de l’œuvre d’art« , ces bien opportunes citations de Proust :

« Le style pour l’écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de techniques mais de vision » _ dans « Le Temps retrouvé » ; à la page 289 de l’édition GF-Flammarion, en 1986, précise la note…

Et : « Quand j’ai écrit un pastiche _ détestable, d’ailleurs _ de Flaubert, je ne m’étais pas demandé si le chant que j’entendais en moi _ l’expression, autour du mot « chant« , est bien intéressante… _ tenait à la répétition des imparfaits ou des participes présents. sans cela je n’aurais jamais pu le transcrire » _ dans « A propos du style de Flaubert« , in « Chroniques« , aux pages 204-205, dans l’édition Gallimard de 1927 …

Soit le cadeau d’une merveilleuse conclusion à l’interrogation et l’analyse de ce que peut bien être le « style obamien«  _ et pas seulement celui de ses discours…

Voici donc la réponse quant à ce qu’est le fond du « style » :

Vision (d’artiste) et élan, à la source (= l’inspiration active) ;

avec, à l’arrivée (après l’œuvre qui les exprime, cette vision et cet élan conjoints),

ce qu' »en fruits », cette vision-élan donne, prodigue : c’est l’affaire, alors, de l' »acte æsthétique«  _ comme le dégage si attentivement, subtilement et justement Baldine Saint-Girons, en son « Acte esthétique« , précisément _ de la « réception » tout active de tous ceux qui vont bien vouloir « s’y exposer » ; et qui doit être éminemment « inspirée », à son tour ; mais l’œuvre y aide, pousse, encourage, en donnant pas mal de son « enthousiasme » (en son éclat, à elle) à qui veut bien jouer si peu que ce soit son jeu (à elle, l’œuvre, donc _ jeu dont l’artiste lui-même n’est qu’un maillon, bienveillant, lui aussi…


Soit une articulation-connexion (ou « rencontre ») si peu probable en sa beauté (de « connexions » tellement aléatoires, donc),

qu’elle peut ressortir aussi du registre _ j’ose le prononcer _ de la grâce

_ mais pas seulement : elle a aussi et d’abord, cette « articulation-connexion »(ou « rencontre ») de choses, de dispositifs (de lieu et de temps), d’actes, de regards de personnes, peu probable ;

elle a aussi et d’abord des conditions éminemment concrètes, éducatives, économiques, culturelles

(celles que dégage l’acuité d’analyse du « Partage du sensible » de Jacques Rancière) _

qui sont bien de l’ordre et de la responsabilité éminentes aussi, quelque part et à quelque moment, du Politique.

Barack Obama semble tout particulièrement sensible à la positivité de ces « connexions sensibles »-là…

C’est une chance _ à ne pas manquer ; mais savoir saisir : tout passe si vite _ et pour l’Amérique ; et pour le monde…

Une dernière (autre) chose encore :

ce matin, toujours,

sur l’excellent site « 24 heures Philo« ,

cet article-ci : « Obama et le réveil d’un peuple«  par Patrice Nganang…

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