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Le passionnant travail du magnifique Michael Spyres sur les amplitudes et l’histoire de la voix de ténor, en son nouveau stupéfiant CD « Contra-Tenor », après son « BariTenor » de 2022…

05mai

Après son déjà passionnant (et déjà stupéfiant !) CD « BariTenor«  _ le CD Erato 019029516664, enregistré à Strasbourg aux mois d’août et octobre 2020, et paru en 2021, avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, sous la direction de Marko Letonja ; cf mes articles des 22 octobre (« « ), 23 octobre (« « ), 24 octobre (« « ) et 15 décembre 2021 (« « )… _,

le magnifique ténor qu’est l’immense Michael Spyres (Mansfield, Missouri, 1979), étend sa passionnante exploration des répertoires _ encore trop mal connus, et confusément répertoriés… _ de la voix de ténor, en ses divers et très larges ambitus,

par un nouveau stupéfiant CD, intitulé de manière un tantinet provocante, cette fois, « Contra-Tenor » _ soit le CD Erato 5054197293467, enregistré à la Villa San Fermo à Lonigo (province de Vicence, en Italie), du 15 au 22 septembre 2022, avec l’Ensemble (baroque bien connu !) Il Pomo d’Oro, dirigé par l’excellentissime Francesco Corti.

Soit, à nouveau, une magistrale réussite musicale.

Qu’on écoute, par exemple, les airs donnés en ces deux vidéos-ci :

en la première, l’air, virtuosissime, « Tu m’involasti un regno », extrait de l' »Antigono » (répété à Lisbonne au mois d’octobre 1755 _ mais non créé alors, à cause du terrible désastre du tremblement de terre de Lisbonne, le 1er novembre !!! _, d’Antonio-Maria Mazzonni (1717 – 1785) _ à comparer avec cette autre prise vidéo (d’une durée de 6’15) pour le même air, à Lisbonne, cette fois, en 2011, avec l’Ensemble Il divino sospiro dirigé par Enrico Onofri… _ ;

et en la seconde, l’air, aussi époustouflant _ de beauté, comme d’interprétation _, « Se il mio paterno adore », extrait du « Siroe » (créé à Rome le 12 janvier 1740), de Gaetano Latilla (1711 – 1788) ;

vidéos d’une durée respectivement de 6’17 et de 6’10.

J’ai réuni ici 5 liens à de bien intéressants articles parus en commentaire de ce tout nouveau CD « Contra-Tenor » de Michael Spyres,

auxquels on pourra accéder par ces liens-ci :

_  de Tim Ashley, sur le site de Gramophone _ sans date _, « Michael Spyres : Contra-Tenor« …

_ de Laurent Bury, sur le site de PremiereLoge-Opera.co, le 21 avril dernier, « Contra-Tenor par Michael Spyres _ et pourtant il chante ! « 

_ de Clément Demeure, sur le site de ForumOpera.com, le 21 avril aussi, « Contra-Tenor, Michael Spyres _ un jalon du chant baroque« 

_ de Pierre Giangiobbe, sur le site de Olyrix, le 22 avril, en suivant, « Michael Spyres, ténor contratenore dans son nouvel album« 

_ de Pierre Degott, sur le site de ResMusica, en date du 28 avril 2023, « Michael Spyres, ténor assoluto« 

Ce qui donne, pour ces articles en français, avec l’ajout de quelques remarques de ma part :

_ pour l’article « Contra-Tenor par Michael Spyres _ et pourtant il chante !  » de Laurent Bury :

Nous ne pouvions pas imaginer, rendant compte de son enregistrement des Nuits d’été, que Michael Spyres, à défaut de devenir soprano, se présenterait ensuite comme « contre-ténor ». Ce n’est évidemment pas ainsi qu’il convient de traduire le titre de son nouveau disque, où il apparaît plutôt sous l’aspect d’une haute-contre à la française _ voilà ! _, mais où il aborde aussi toutes sortes de rôles italiens destinés à cette tessiture qui, ainsi qu’il l’explique, n’existe pas, ou du moins, que nul n’a jamais pu définir très clairement : « la voix la plus virtuose et difficile à classer dans une catégorie spécifique », selon lui.

Ayant abordé l’opera seria mozartien après s’être fait connaître dans le répertoire des premières décennies du XIXe siècle (Rossini, Meyerbeer), Michael Spyres s’amuse depuis quelque temps à brouiller les pistes, et veut nous montrer qu’il peut chanter en baryton aussi bien qu’en ténor. Nouvelle démonstration avec le disque Contra-Tenor, mais cette fois dans le répertoire du XVIIIesiècle, le rôle-titre de Mitridate étant à peu près le seul qu’il a eu l’occasion de servir à la scène (même si on se rappelle une incursion haendélienne dans un Theodora donné en concert et enregistré dans la foulée).

Le programme de ce récital va donc de Lully à Piccinni, deux Italiens ayant connu le succès à Paris (et dans les deux cas sur un livret de Quinault _ en effet ! _, puisque Piccinni reprit pour son Roland _ en 1778 _ le livret que Lully avait utilisé un siècle auparavant _ en 1685 _), et s’il inclut un compositeur né en France – Rameau – et quelques Allemands déracinés – Haendel, Hasse, Gluck –, il faut bien reconnaître _ oui _ que, en ce CD Contra-Tenor les Italiens d’Italie se taillent la part du lion.

De Lully, il aurait sans doute été possible _ oui ! _ de trouver un véritable air, comme celui de Renaud dans Armide, par exemple, plutôt que cette minute et demie de déclamation extraite de Persée sur laquelle s’ouvre le disque _ peut-être en suivant l’exemple de Rockwell Blake en son CD « Airs d’Opéras français« , pour EMI, en 1994. Et entre ce Persée de 1682 et la Naïs de Rameau en 1749, n’y avait-il donc aucun compositeur français qui mérite d’être enregistré par le « Contra-Tenor », lui qui chante si admirablement notre langue ? _ la remarque est en effet très judicieuse…

Tous les Italiens du XVIIIe siècle défilent, y compris le trop rare Galuppi, et d’encore moins fréquentés, comme Gaetano Latilla ou Antonio Maria Mazzoni, qui offrent à Michael Spyres d’excellentes occasions _ mais oui ! _ de déployer son agilité vocale dans des arias exigeant non seulement une maîtrise du chant rapide et orné, mais imposant aussi d’impressionnants _ certes _ sauts d’octave, nouvelle preuve de l’étendue de son registre, lorsqu’il aligne d’impressionnants suraigus et de soudaines descentes dans le grave, sans jamais perdre de vue _ et c’est bien là le principal _ l’expressivité de ces pages (il parvient même à proposer une version personnelle d’un air aussi rabâché que « J’ai perdu mon Eurydice »).

Non content de vouloir aborder Wagner, le ténor américain réussit – en studio, en attendant la scène – à s’imposer dans des répertoires aux exigences tout autres. Quant à Il Pomo d’Oro, on savait l’ensemble familier de la musique italienne, mais on le découvre très à son aise aussi _ oui ! _ dans l’opéra français, avec une noble passacaille de Persée.

_ pour l’article « Contra-Tenor, Michael Spyres _ un jalon du chant baroque » de Clément Demeure :

Un jalon du chant baroque

En 2011, l’agent de Michael Spyres publiait sur YouTube « Tu m’involasti un regno », air de bravoure d’Antigono où l’on découvrait un ténor casse-cou aux moyens exceptionnels, sans doute le premier à rendre pleinement justice à ce genre de partition _ oui. Douze ans plus tard, désormais vedette internationale, l’Américain revient enfin à ce premier belcanto pour lequel il est idéalement taillé _ en effet, et cela sur tous les plans…

Et c’est un disque qui fera date _ sans nul doute. Dans son ambition comme dans sa composition, le programme renvoie à de multiples références. À Spyres lui-même pour commencer, d’Antigono _ de Mazzoni _ au Mitridate _ de Mozart _ dont il s’est fait la spécialité. Écho aussi au précédent Baritenor : avec Contra-Tenor, le chanteur opte encore malicieusement _ oui… Michael a aussi beaucoup d’esprit ! _ pour un terme adjacent, comme pour tourner autour _ oui, en creusant et déployant… _ de la catégorie « ténor » et railler la rigidité du Fach, ce système de registres vocaux qu’il ne cesse de dynamiter _ et c’est là un point en effet tout à fait important pour l’intelligence d’une telle démarche de la part de Michael Spyres… Il faut voir sa mine réjouie _ oui _ dans divers montages kitsch rappelant _ mais oui ; c’est fort bien vu… _ les facéties d’une certaine Bartoli. Un modèle assurément, tant l’Italienne a contribué à l’aggiornamento du chant baroque et joué _ oui _ avec les tessitures _ voilà... Restait à faire pour les ténors ce que Bartoli et d’autres ont réussi pour Bordoni, Farinelli et consorts… Entreprise bien peu tentée, surtout encore en combinant les répertoires français et italien1.

Comme toujours, Spyres entend ne rien s’interdire, et montrer qu’il peut exceller partout. En se confrontant à diverses références, ici au mythique album français de Rockwell Blake (comportant, et en ouverture de ce CD de Rockwell Blake, en 1994,  le même « En butte aux fureurs de l’orage »), là aux intégrales récentes de Vinci ou Porpora chez Decca. S’il se « contente » de tenir tête à Blake, dont la virtuosité jubilatoire est d’une netteté inégalable _ en dépit d’un timbre de voix plus contestable, lui _, Spyres surpasse nettement sa concurrence _ oui ! Jetons un voile pudique sur les infortunés chargés de ressusciter l’Achille in Sciro de Sarro à Martina Franca et Naples ; saluons l’autorité de Spyres dans « Si sgomenti », dont la tessiture grave gênait Juan Sancho, ou chez Vivaldi dans un air où la voix de Topi Lehtipuu se tassait ; oublions enfin tous ces ténors « baroques » essoufflés par les graves et les écarts épuisants de Bajazet. Autre clin d’œil du programme, l’extrait d’Arminio de Hasse répond crânement à Rodolfo Celletti qui, dans sa célèbre Histoire du bel canto (1983), y voyait « un des airs exigeant le plus de virtuosité qui aient été écrits pour cette voix [le ténor] ».

C’est peu dire _ oui ! _ que Spyres se montre à la hauteur de ses ambitions. Conformément au principe du belcanto, la voix est homogène et bien assise dans le médium _ oui _, enjambe les intervalles sans effort apparent _ oui, et c’est absolument nécessaire… _ et dispense à l’envi _ et jubilation, oui _ trilles et vocalises. Il se permet _ aussi de réjouissantes _ incartades et nuances des tréfonds du grave au suraigu. Manière de remettre les pendules à l’heure : le primo tenore d’opera seria n’est ni un évangéliste façon Bach, ni un ténor di grazia censément « mozartien » _ c’est fort juste ! Le programme parcourt chronologiquement _ oui _ l’évolution des styles et des vocalités entre France et Italie. Résolument sombre dans les airs de Vivaldi (transposition d’un air pour castrat), Haendel et Vinci, évocations des baryténors Borosini (1695 – 1747) et Pinacci (1695 – 1750) _ des noms à retenir _, Spyres se montre plus prodigue d’aigus à partir du galant « Nocchier che mai non vide » de Porpora. À compter des années 1730, le primo tenore se hisse au rang de premier antagoniste _ voilà… _ dans des emplois stéréotypés de pères et hommes de pouvoir inquiets aux passions chaotiques. Véhicules idéaux pour une nouvelle génération de ténors capables de rivaliser _ c’est cela, sur la scène _ avec les castrats et divas dans l’extravagance d’ambitus étirés et la complexité des vocalises _ oui _ : Spyres convoque les mânes de monstres vocaux comme Amorevoli (1716 – 1798) (Sarro et Hasse, image ci-dessus), Babbi (1708 – 1768) (Mazzoni et Latilla) et Ettore (1740 – 1771) (Mozart).

Même si rien dans le programme n’est routinier, seules trois pages sont de vraies premières mondiales. « Solcar pensa un mar sicuro » de Hasse (Arminio, 1745) tisse une parabole maritime sur d’ondoyantes dentelles de trilles, tandis que Galuppi (Alessandro nell’Indie, 1755) distille son charme mélodique habituel dans un air sensible « Vi trofeo d’un alma imbelle » où l’aigu doit être sollicité sans brusquerie jusqu’au contre-ut. Mais le clou du spectacle, c’est _ très probablement _ l’allegro « Se il mio paterno amore » du Siroe de Gaetano Latilla (1740). Multiples plongeons du la3 au ré2, descentes dans le registre de basse jusqu’au sol1, entêtantes vocalises et roulades déferlantes, tout est exécuté avec une autorité _ et plénitude, oui _ qui laisse bouche bée. En revanche, si l’on comprend _ et combien !!! _ que Spyres ait souhaité laisser une gravure « propre » _ oui _ de l’air spectaculaire « Tu m’involasti un regno » de Mazzoni qui a contribué à le faire connaître – roulade sur trois octaves incluse –, le doublon était moins nécessaire pour « Se di lauri » _ du Mitridate de Mozart _, que l’on préfère dans l’intégrale Minkowski gravée seulement deux mois plus tard.

L’Américain était moins attendu dans la tragédie lyrique _ française… Le hiatus stylistique est manifeste, mais les récitals romantiques associent souvent Donizetti et Gounod, Massenet et Verdi sans que personne n’y trouve à redire : l’idée de confronter les genres au siècle précédent se défend. Dans le français clair et éloquent _ superbissime ! _ qu’on lui connaît, Spyres relève le défi de tessitures nettement plus élevées, avec des allègements bienvenus dans les trois ariettes de réjouissance choisies qui, de Lully à Piccinni, trahissent un goût croissant pour la vocalise. En virtuosité pure _ mais est-ce là l’essentiel ? non… _, l’Américain surclasse Reinoud van Mechelen, qui conserve néanmoins notre faveur dans ce répertoire et rend lui aussi de très beaux hommages à ses devanciers (Dusmeny, Jéliote et bientôt _ nous l’attendons impatiemment _ Legros). L’unique déploration proposée (« J’ai perdu mon Eurydice » de 1774) est ce qui convainc le moins _ mais cela se discute… Pour autant, cela ne signifie pas _ certes ! et ce serait là très déplorablement bien réducteur… _ que l’album, indéniablement démonstratif, ne vaut que pour ses tours de force. Une fois passée la stupéfaction initiale, on goûte _ et combien !!! _ la finesse _ merveilleuse _ d’un interprète qui sait _ et comment ! _ ce qu’il chante, varie les couleurs, sculpte le verbe sans confondre _ jamais _ déclamation et aboiement _ cette déclamation si fondamentale dans tout l’art musical français _, et ne néglige _ en effet _ aucune nuance dramatique. Ajoutons à cela des variations excitantes et de bon goût _ toujours : cela aussi étant absolument nécessaire _, dans les reprises da capo.

Il Pomo d’oro _ une fois encore, et comme à chaque fois, à son niveau d’excellence… _, dirigé par _ le toujours parfaitFrancesco Corti, étonne tout autant _ mais oui _ que le soliste par son adéquation aux différents styles, par exemple _ mais c’est le seul morceau purement instrumental du CD _ la passacaille de Persée. Les tempi sont justes, la technique est sans faille, et si l’orchestre laisse _ mais oui _  la star briller, il contribue également à hausser ces versions au-dessus des concurrentes, en tout cas pour le versant italien. Et à faire de cet album un nouvel étalon _ voilà !!!! _ dans l’interprétation de l’opera seria.

  1. En 1970, Peter Schreier avait proposé un disque baroque (Italienische Belcanto-Arien), et en 1993 Ernesto Palacio avait gravé Re ed Eroi di Pietro Metastasio sous la baguette de Tamás Pá. S’il faut rendre hommage à leurs efforts précurseurs, le style – surtout à l’orchestre – et la timidité technique en font surtout des documents. D’autres ténors ont depuis conçu des récitals consacrés à Haendel et parfois Vivaldi, voire des programmes franchement originaux ou ambitieux. L’album Gluck fort réussi de Daniel Behle (2014), qui mêle aussi airs pour haute-contre et opera seria, est celui qui se rapproche le plus du projet de Michael Spyres. L’Allemand compte d’ailleurs continuer sur ce terrain cette année à Bayreuth (Kings of bravura).

_ pour l’article « Michael Spyres, ténor contratenore dans son nouvel album » de Pierre Giangiobbe :

Après BariTénor, Michael Spyres continue d’explorer _ oui, et c’est passionnant ! _ les frontières de sa tessiture _ voilà _ et passe “de la cave au grenier” avec son nouveau disque Contra-Tenore, replongeant pour s’élever vers le répertoire baroque pour voix masculine aiguë, en compagnie de l’orchestre Il Pomo d’Oro dirigé par Francesco Corti pour un disque Erato-Warner Classics.

Le précédent album questionnait la frontière grave _ voilà _ entre ténor et baryton, celui en fait de même pour la frontière aiguë _ oui ! _, et il le fait de la même manière, avec une forme de flou artistique aussi. Si le choix de répertoire est bien délimité (ce nouveau projet remonte au baroque, et s’arrête donc là où le précédent album commençait), le titre du disque et le propos du livret _ extrêmement intéressant en ses analyses détaillées, il faut le souligner _ posent une série de questions _ oui ! _ jouant sur les termes et les strates historiques. Le « contra-tenore » n’est en effet pas _ oui, oui !!!  _ le « contre-ténor » d’aujourd’hui, celui qui a succédé au castrat, mais veut au contraire désigner le ténor qui, à l’époque baroque, rivalisait justement _ sur la scène _ avec les castrats. Comme le rappelle le livret, ces ténors pouvaient déjà être désignés par toute une série _ non codée, et pour cause : chaque chanteur faisait (et osait !) avec ses propres moyens… _ d’appellation : ténor-basse, baritenore, contre-ténor et haute-contre, ou encore taille. Michael Spyres, continue donc _ voilà _ son exploration _ passionnante _ de ces déclinaisons en s’intéressant ici au spectre aigu, le « contre » pouvant aussi bien définir le haute-contre à la française que le contre-ténor italien, mais pas _ en effet ! _ le contre-ténor à la voix de fausset.

Et finalement, c’est encore une autre voix que le chanteur vise et qu’il met en avant : celle du « tenore assoluto » dont la tessiture balaye l’ambitus allant du bariténor au contre-alto (voix grave féminine), un terme qui est depuis devenu le surnom superlatif d’Enrico Caruso, « Tenore Assoluto« , rajoutant encore à la confusion.

Michael Spyres vise donc le contra-tenore-assoluto-barocco _ si l’on veut… _ en prêtant sa voix à l’étendue spectaculaire _ certes, mais jamais forcée au final… _ aux rôles composés par Lully, Haendel, Rameau et plus tardivement Gluck et Mozart (et le disque fait également découvrir quelques morceaux de Johann Adolf Hasse, Baldassare Galuppi ou Gaetano Latilla, enregistrés pour la première fois).

Cet album est un hommage à l’habileté technique _ mais pas seulement ! Ce serait là terriblement réducteur ! _ de l’interprète. Trilles, mordants, fioritures sont au rendez-vous, exécutés avec souplesse _ et naturel, comme il se doit… _, d’une voix toujours projetée avec l’éclat d’un vibrato sémillant. Michael Spyres s’illustre autant dans les pyrotechnies vocales du répertoire italien que dans le raffinement sobre _ nécessairement : un art de la délicatesse, jamais forcée… _ du grand style français. Sa prononciation est _ parfaitement _ soignée dans ces deux langues. Naviguant entre les registres, il déploie tantôt un grave satiné « barytonant », voire « basso » large et profond, tantôt un aigu fulgurant. Plusieurs morceaux l’amènent dans l’extrême-aigu sur la cadence (jusqu’au contre-fa, voire au-delà). La voix s’affine sans basculer en falsetto _ en effet _ et reste nettement _ oui _ timbrée.

Les musiciens de l’orchestre Il Pomo d’Oro mettent toute leur expertise _ très grande _ du répertoire baroque au service notamment des pièces oubliées, déployant une riche palette sonore emportée par un pupitre de cordes particulièrement vif et endiablé (sans oublier les nuances _ capitales _ données par la direction précise _ et justissime _ du chef et claveciniste _ excellent, chaque fois !Francesco Corti, qui confère à cette musique tout son caractère vivant et aérien) _ absolument : beaucoup de fluidité et de vie…

De quoi, au final, se laisser emporter _ sans la moindre réticence, jamais _ par la virtuosité absolue _ mais pas gratuite, ni capricieuse : Michael Spyres n’est pas Cecilia Bartoli… _ de cette musique, qui justement déborde _ avec esprit _ tous les cadres, toutes les cases et appellations : en vers et contre-ténors.

_ pour l’article de Pierre Degott « Michael Spyres, ténor assoluto » :

Dans un programme riche et éclectique, se livre à une nouvelle démonstration de virtuosité et de versatilité _ mais jamais gratuites ni capricieuses. Un récital qui fera date _ oui _, et qu’on rangera à côté _ et sans l’y amalgamer _ des plus grandes réussites récentes de tous nos contreténors préférés.

Est-il ténor, baryton, baryténor, haute-contre, Heldentenor, maintenant contra-ténor ? se pose décidément beaucoup de questions, pour le plus grand bonheur de ses auditeurs _ en effet _ qui n’auront aucun mal à se faire leur propre avis. Si l’album intitulé Baritenor avait moyennement convaincu _ pas moi : j’en suis enthousiaste _ , cet album consacré aux grands airs baroques devrait, lui, rallier tous les suffrages. Le choix du programme, tout d’abord, qui de Lully à Mozart couvre l’exploration de la tessiture de ténor sur toute la période baroque, devrait satisfaire tous les amateurs de musique ancienne. Un air par compositeur, de quoi ravir les admirateurs de musique italienne comme de musique française _ bien distincts cependant. Le projet de Michael Spyres est visiblement de convaincre qu’à côté de la voix de castrat, le ténor baroque avait lui aussi _ mais oui ! _ son mot à dire, même s’il est vrai que la tessiture de cette voix n’était pas aussi nettement définie _ en effet _ qu’elle l’est devenue plus tard au XIXᵉ siècle. Le haute-contre à la française de Lully et de Rameau, convenons-en, a peu à voir _ en effet !!! _ avec le ténor barytonnant de Haendel, illustré ici par le Bajazet de Tamerlano. Ce personnage évolue en effet dans une tessiture relativement grave qui a permis encore récemment à Plácido Domingo, ténor alors redevenu baryton, de se tailler un beau succès dans le rôle….

 

Dans les deux types de tessiture, Michael Spyres se montre souverain _ oui _, même si l’on se permettra de préférer ses couleurs vocales dans le haut-médium de la voix. Son extension dans le grave, si elle commande le respect, n’a pas la même qualité de timbre que la partie plus élevée de l’instrument. On n’en apprécie pas moins les variations dans les notes basses de certains airs, dont le « Se il moi paterno amore » du Siroe, re di Persia, enregistré en première mondiale. Dans toutes les plages réunies sur cet album, lesquelles feront entendre quelques tubes du baroque et du classicisme naissant comme des nouveautés absolues _ les deux _, Spyres se montre un technicien hors pair _ mais pas seulement, et loin de là : un merveilleux artiste lucide aussi… La voix est homogène sur tous les registres, des extrêmes graves aux extrêmes aiguës, et enjambe les intervalles les plus folles sans la moindre difficulté _ quelle suprême fluidité… Elle offre tout au long du programme, et sans le moindre effort, trilles, mordants et vocalises, s’autorisant des incartades _ mais jamais folles _ autant dans le suraigu que dans les tréfonds du registre de basse. Le spectaculaire « Tu m’involasti un regno » extrait de l’Antigono de Mazzoni fait entendre une vocalise sur rien moins que trois octaves. Cerise sur le gâteau, Spyres sait également dire un texte et son interprétation de « J’ai perdu mon Eurydice », dans un excellent français, est une des plus émouvantes qu’on ait pu entendre ces dernières années _ mais oui ; et en quel admirable français !

Un tour de force vocal, donc, qui rappelle que virtuosité technique et expressivité _ voilà _ ne sont en rien incompatibles. On aura rarement été autant convaincu par un récital d’airs baroques, autant pour la variété des airs sélectionnés que par la maîtrise de la technique vocale et par celle de l’art de la diction _ oui !!! _ et de l’interprétation _ admirable. Il Pomo d’oro, dirigé ici par , est un ensemble instrumental aujourd’hui bien connu _ pour sa régulière excellence !! Tout comme le soliste, il montre sa parfaite adéquation _ oui _ aux différents styles _ très divers _ représentés sur ce programme à l’éclectisme rare _ oui _ pour un enregistrement estampillé « baroque ». Sa contribution _ voilà _ au succès de l’entreprise se doit d’être dûment signalée.

Contra-tenor.

Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : « Cessons de redouter » et Passacaille extraits de Persée.

Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : « E il soffrirete … Empio per farti guerra » extrait de Tamerlano.

Antonio Vivaldi (1678-1741) : « Cada pur sul capo audace » extrait de Artabano, re de’ Parti.

Leonardo Vinci (1690-1730) : « Si sgomenti alle sue pene » extrait de Catone in Utica.

Nicola Porpora (1686-1768) : « Nocchier, che mai non vide » extrait de Germanico in Germania.

Domenico Sarro (1679-1744) : « Fra l’ombre un lampo solo » extrait de Achille in Sciro.

Baldassare Galuppi (1706-1785) : « Vil trofeo d’un alma imbelle » extrait de Alessandro nell’Indie.

Gaetano Latilla (1711-1768) : « Se il mio paterno amore » extrait de Siroe, re di Persia.

Johann Adolf Hasse (1699-1783) : « Solcar pensa un mar sicuro » extrait de Arminio.

Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : « Cessez de ravager la Terre » extrait de Naïs.

Antonio Maria Mazzoni (1717-1785) : « Tu m’involasti un regno » extrait de Antigono.

Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : « J’ai perdu mon Eurydice » extrait de Orphée et Eurydice.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : « Se di lauri » extrait de Mitridate, re di Ponto.

Niccolò Piccinni (1728-1800) : « En butte aux fureurs de l’orage » extrait de Roland.

Michael Spyres, ténor ;

Il Pomo d’oro, direction : Francesco Corti.

1 CD Erato.

Enregistré du 15 au 22 septembre 2020 à la Villa San Fermo de Lonigo (Italie).

Notice de présentation en anglais, français et allemand.

Durée : 72:54

 

Voilà pour ces articles annotés.

Le CD enfile ses 14 airs dans l’ordre _ presque, à une exception près : les airs de Vivaldi (en 1716) et de Haendel (en 1724), intervertis dans l’ordre du CD, pour une raison qui m’échappe… _ strictement chronologique de leur création (ou composition, pour l’air de Mazzoni qui n’a pu être créé à Lisbonne à cause des destructions du terrible tremblement de terre, alors que l’opéra « Antigono » était en répétitions..) :

_ 1682, pour l’air extrait de « Persée » de Lully, créé à Paris le 18 avril 1682

_ 1716, pour l’air extrait d' »Artabano, re de’ Parti » de Vivaldi, créé à Venise le 18 janvier 1716

_ 1724, pour l’air extrait de « Tamerlano » de Haendel, créé à Londres le 31 octobre 1724

_ 1728, pour l’air extrait de « Catone in Utica » de Vinci, créé à Rome le 19 janvier 1728

_ 1732, pour l’air extrait de « Germanico in Germania » de Porpora, créé à Rome en févrierl 1732

_ 1737, pour l’air extrait d' »Achille in Sciro » de Domenico Sarro, créé à Naples le 4 novembre 1737

_ 1738, pour l’air extrait d' »Alessandro nell’Indie » de Galuppi, créé à Mantoue le 14 janvier 1738

_ 1740, pour l’air extrait de « Siroe, re di Persia » de Gaetano Latilla, créé à Rome  le 12 janvier 1740

_ 1745, pour l’air extrait d' »Arminio » de Hasse, créé à Dresde, le 7 octobre 1745

_ 1749, pour l’air extrait de « Nais » de Rameau, créé à Paris le22 avril 1749

_ 1755, pour l’air extrait d' »Antigono » d’Antonio-Maria Mazzoni, répété, mais non créé, à Lisbonne en octobre 1755

_ 1762, pour l’air extrait d' »Orphée et Eurydice » de Gluck, créé à Paris le 5 octobre 1762

_ 1772, pour l’air extrait de « Mitridate, re di Ponto » de Mozart, créé à Milan le 26 décembre 1772

_ 1778, pour l’air extrait de « Roland » de Piccinni, créé à Paris le 27 janvier 1778.

Un CD indispensable.

Ce vendredi 5 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

A propos de prochaines parutions discographiques ramistes, et autres, d’oeuvres créées à l’Académie royale de Musique, à Paris, en 1723, 1735, 1751 et 1752…

29oct

Mes échanges de courriels mélomaniaques, avec divers amis mélomaniaques eux aussi,

portent des fruits.

Ainsi voici mon récent envoi de ce jour :

Merci, cher P., de ces bonnes nouvelles ramistes (et autres…) ;

et je retiens, bien sûr, et note sur mon carnet, ces CDs à venir :

l’ « Acante et Céphise », de Jean-Philippe Rameau (Dijon, 25 septembre 1783 – Paris, 12 septembre 1764), une pastorale héroïque créée à l’Académie royale de Musique, à Paris, le 18 novembre 1751,

par Alexis Kossenko _ qui paraîtra le 5 novembre prochain, chez Erato _,

ainsi que le CD « Legros haute-contre de Gluck » _ Joseph Legros, Monampteuil, 7 septembre 1739 – La Rochelle, 20 décembre 1793 / Christoph Willibald Gluck, Erasbach, 12 juillet 1714 – Vienne, 15 novembre 1787 _, par Reinoud Van Mechelen, décidément passionnant (et magnifique !) :

un CD qui, consacré cette fois à Joseph Legros (haute-contre principalement de Gluck), viendra s’ajouter aux passionnants CDs Alpha 554 et Alpha 753 que Reinoud Van Mechelen a consacrés (en août 2018, et septembre 2020) à Louis Dumesny _ du côté de Montauban, vers 1635 – entre 1702 et 1715… _, haute-contre principalement de Lully _ Florence, 28 novembre 1632 – Paris, 22 mars 1687 _, et à Pierre Jelyotte _ Lasseube, 13 avril 1713 – Estos, 11 septembre 1797 _, haute-contre principalement de Rameau _ Dijon, 25 septembre 1683 – Paris, 12 septembre 1764.

Mais connaître _ et admirer ! _ aussi quelques airs magnifiques d’œuvres marquantes, voire chefs d’œuvre, de compositeurs contemporains des grands Lully, Rameau, Gluck, mais un peu moins retenus, eux, de la postérité,

est mieux que bienvenu pour enrichir et densifier avec justesse la culture musicale de l’honnête homme d’aujourd’hui… 

Parmi mes grands coups de cœur discographiques récents,

d’une part, le CD « Amazone  » (Erato 0190295065843) de Léa Désandré

_ dont j’ai eu pour élève le père, P. Désandré, à Bordeaux en 1979 (!) : le 20 octobre dernier, nous avons eu le plaisir de converser un moment au téléphone… _,

avec, notamment, de très beaux airs d’André-Cardinal Destouches (extraits de sa « Marthésie, première reine des Amazones », de 1699, à Fontainebleau)

et Anne Danican Philidor (extraits de sa mascarade « Les Amazones », de 1700, à Marly)

_ cf mes articles L’éclatant CD « Amazone » de Léa Désandré, Thomas Dunford, et Jupiter : la plénitude d’une splendide voix (de mezzo-soprano) et la révélation d’un répertoire français (et italien) magnifique, à redécouvrir vraiment ; ou la magie d’un CD… ,

puis Le très enthousiasmant CD « Amazone » de Léa Désandré et l’Ensemble Jupiter chroniqué par ResMusica , dans lesquels je rectifie certaines erreurs du livret du CD_

Les airs italiens extraits des 2 « Mitilene, regina delle Amazoni »,

celle du florentin Giovanni Bonaventura Viviani _ Florence, 15 juillet 1638 – Pistoia, décembre 1692 _, créée à Parme (et donnée ensuite aussi à Naples) en 1681,

et celle du napolitain Giuseppe De Bottis _ 1678 – 1753 _, créée à Naples en 1707,

sont eux aussi splendides… ;

ainsi que, d’autre part, le CD « Baritenor » (Erato 0190295156664) de Michael Spyres,

dont le travail, tant de recherche que d’interprétation, m’a passionné ;

et auquel j’ai consacré une série d’articles :

_ Le travail de composition du programme du CD « Baritenor » par Michael Spyres, eu égard à l’histoire de l’opéra et des chanteurs, entre 1781 et 1937 : l’intelligence de la dynamique souple des voix, de Michael Spyres… ;

_ La richesse des impressions éprouvées en écoutant en boucle le programme très varié du si beau « Baritenor » de l’admirable Michael Spyres ;

_ Ce qu’on peut apprendre aussi du précédent récital d’airs d’opéra de Michael Spyres, « Espoir », en 2017

Michael Spyres est un chanteur exceptionnel ;

et Léa Désandré a désormais cessé d’être seulement « prometteuse » : elle est dès maintenant magnifiquement accomplie.

Elle aussi nous réserve d’excellentes surprises, je n’en doute absolument pas : elle sort vraiment du lot des chanteurs de maintenant ;

et n’a plus rien à faire de quelque parrainage _ Cecilia Bartoli, Véronique Gens, etc. _ que ce soit…

Je suis aussi bien d’accord avec toi pour très vivement souhaiter des enregistrements intégraux, enfin, de ces œuvres vraiment majeures du si beau répertoire français du XVIIIe siècle, à côté des œuvres flamboyantes _ et assez bien servies au disque… _ de notre génial Rameau,

que sont

_ le ballet héroïque « Les Fêtes grecques et romaines », de François Colin de Blamont (Versailles, 22 novembre 1690 – Versailles, 14 février 1760), une œuvre créée à l’Académie Royale de Musique, à Paris, le 13 juillet 1723 ;

_ la tragédie en musique « Scanderberg », de François Rebel (Paris, 19 juin 1701 – Paris, 7 novembre 1775) et François Francœur (Paris, 8 septembre 1698 – Paris, 5 août 1787), une œuvre créée à l’Académie Royale de Musique, à Paris, le 27 octobre 1735 ;

_ le ballet héroïque « Les Amours de Tempé », d’Antoine Dauvergne (Moulins, 3 octobre 1713 – Lyon, 11 février 1797), une œuvre créée à l’Académie Royale de Musique, à Paris, le 7 novembre 1752…

Quelles scandaleuses absences discographiques il y a là !..

Même si la production discographique, comme sur la scène, d’un opéra revient assurément cher…

Et si, peut-être, le public en mesure de l’apprécier, ne cesse de se réduire, et assez vite, comme une peau de chagrin…

Il n’est que de voir aussi, en aval, la réduction drastique de la plupart des rayons de CDs de classique…

Même si, très heureusement, le rayon-musique de la grande librairie Mollat à Bordeaux, résiste, pour le moment, à cette bien triste « nanisation »,

avec des vendeurs cultivés et ultra-compétents…

Bien à toi, cher P.,

et à suivre…

Francis, à Bordeaux

Voilà,

une petite actualité de la meilleure production discographique,

tant immédiatement présente, qu’à venir prochainement…

Ce vendredi 29 octobre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ce qu’on peut apprendre aussi du précédent récital d’airs d’opéra de Michael Spyres, « Espoir », en 2017

25oct

Le précédent récital d’airs d’opéra de Michael Spyres, en 2017, pour le label Opera Rara, s’intitulait « Espoir«  _ ORR 251 _,

et était exclusivement réservé au répertoire d’opéra d’un des plus grands ténors de la première moitié du XIXe siècle : Gilbert-Louis Duprez (Paris, 6 décembre 1806 – Paris, 23 septembre 1896), qui arrêta brutalement sa carrière en 1849.

Dans une remarquable interview, en date du 24 janvier 2017, par François Lesueur, pour concertclassic.com, intitulée « Celui qui perd sa voix, c’est qu’il l’a cherché » _ un entretien à croiser avec celui, très remarquable aussi, avec Emmanuelle Giuliani, paru, un an et demi plus tard, dans La Croix du 4 octobre 2018 ; je le donne aussi ci-dessous _,

Michael Spyres revenait de façon précise et très intéressante sur sa formation de chanteur, en assez grande partie _ et volontairement, il l’explique… _ autodidacte, à partir de ses vingt ans, en 1999 _ il est né à Mansfield, une petite ville du Missouri, le 12 avril 1979 _ ;

ainsi que sur son parcours professionnel de chanteur, disposant d’une voix atypique _ casse-tête des classifications de voix jusqu’ici autorisées.. _, pour laquelle il s’est résolu, in fine, à forger ce néologisme de « baritenor« …

Et, ce 24 janvier 2017,

Michael Spyres situait, en ce parcours professionnel sien, la venue imminente, deux semaines plus tard _ la deuxième semaine du mois de février 2017, par conséquent _, des séances d’enregistrement _ au Stoller Hall de la Chetham’s School of Music, à Manchester, indique le livret de ce CD que j’ai sous les yeux _ de ce CD encore à venir (« Espoir« ), pour Opera Rara, consacré à une anthologie choisie par lui du répertoire créé, en Italie et en France, par Gilbert-Louis-Duprez, ténor :

il s’agit d’airs extraits des opéras

Othello de Rossini, créé en version française à Paris en 1844 ;

Rosmonda d’Inghilterra, de Donizetti, créé à Florence le 27 février 1834 _ en italien _  ;

Guido et Ginévra, d’Halévy, créé à Paris le 5 mars 1838 ;

Jérusalem, de Verdi, créé à Paris le 26 novembre 1847 ;

Dom Sébastien, de Donizetti, créé à Paris le 13 novembre 1843 ;

Le Lac des fées, d’Auber, créé à Paris le 1er avril 1839 ;

Benvenuto Cellini, de Berlioz, créé à Paris le 10 septembre 1838 ;

La Favorite, de Donizetti, créé à Paris le 2 décembre 1840 ;

La Reine de Chypre, de Donizetti, créé à Naples le 18 janvier 1844 ;

et Lucia di Lammermoor, de Donizetti, créé à Naples le 26 septembree 1835 _ en italien…

J’y joins ici,

du Donizetti des Martyrs (créé à Paris, toujours avec Duprez, le 10 avril 1840),

la vidéo de l’air « Oui, j’irai dans les temples« ,

en un enregistrement de Michael Spyres du 4 novembre 2014, au Royal Festival Hall de Londres, avec l’Orchestre of the Age of Enlightenment, sous l’excellente direction de Jonathan Cohen, pour Opera Rara… 


Voici donc ce bien intéressant entretien de Michael Spyres avec François Lesueur,

en date du 24 janvier 2017 :

FRANÇOIS LESUEUR
Michael SPYRES
Michael Spyres ne ressemble à aucun autre : jovial et immédiatement sympathique _ oui ! _, il répond avec naturel et franchise aux questions, volubile, drôle, n’hésitant pas à donner de la voix pour vous montrer l’étendue de son registre. Sérieux et cultivé _ en effet _ dès qu’il s’agit de parler de musique, ce natif _ le 12 avril 1979 _ de _ la petite ville de _ Mansfield dans le Missouri _ au cœur du Middle West des États-Unis _, reconnaît que le chemin vers le succès a été long, et qu’en autodidacte, il a dû quitter son pays où son type de voix _ trop atypique _ n’aurait jamais été compris. Aujourd’hui fêté pour ses prouesses vocales et son extraordinaire versatilité _ et c’est ici une qualité, et non pas un défaut _, il est de passage à Paris pour débuter dans Don José auprès de la première Carmen de Marie-Nicole Lemieux, les 31 janvier et 2 février _ 2017 _ au Théâtre des Champs-Elysées. Place à un chanteur _ plutôt _ hors normes.

La dernière fois que nous vous avons entendu à Paris, c’était en novembre dernier _ 2016 _, dans Ermione de Rossini au TCE, où vous allez bientôt chanter votre premier Don José. Entre le rôle de Pirro et celui de Don José, il y a un monde, que vous êtes l’un des rares chanteurs à pouvoir relier _ voilà… _  aujourd’hui. Quel type de ténor êtes-vous donc ?
Michael SPYRES : (Rires …) Je fais partie de la catégorie des « baritenore », comme l’était au XIXème siècle Andrea Nozzari _ Vertova, 27 février 1776 – Naples, 12 décembre 1832 . Un de mes amis a procédé à une batterie de tests sur ma voix lorsque j’étais à l’Université, et après les avoir étudiés de près, comparés sous différents aspects scientifiques ; il en a déduit que ma voix était celle d’un baryton à l’aigu développé, mais pas celle d’un simple ténor, car le spectre de mon instrument n’est pas le même.


Je suis donc baritenore, car je chante des rôles qui mélangent des éléments, ou des zones qui appartiennent aux deux catégories, ce que beaucoup de gens ont du mal à comprendre. La plupart du temps j’entends dire que je ne devrais pas aborder tel ou tel emploi, mais si on regarde ce que les chanteurs des années cinquante inscrivaient _ de fait _ à leur répertoire, on se rend bien compte que les voix _ voilà _ ont considérablement changé ! Pour ce qui me concerne, j’ai entendu tout et son contraire, et même les plus fameux professeurs que j’ai pu rencontrer m’ont asséné des choses tellement contradictoires, que j’ai bien pensé un moment ne jamais y arriver.


L’important est donc de bien connaître son instrument et d’acquérir une technique suffisamment sûre pour être capable de savoir très précisément ce qui est bon pour sa voix. Une des difficultés que j’aie rencontrée est celle liée à la hauteur de la voix : comme j’avais des aigus on me disait que j’étais ténor, mais vous entendez bien que je n’ai absolument pas une voix haut perchée, elle est au contraire basse. Le premier air que j’ai travaillé a été celui du « Catalogue » de Leporello (que Michael Spyres s’empresse de chanter : « Madamina, il catalogo è questo » …) qui n’a pas été écrit pour un ténor que je sache…

le contes d'hoffmann liceu 2013
​…
Dans Les Contes d’Hoffmann en 2013 au Liceu de Barcelone © michaelspyres.com
Est-il exact que cette incertitude vous a poussé à étudier seul pendant plusieurs années pour façonner votre technique autour de deux axes : Rossini et Mozart ? Pour quelles raisons ?


M.S. : Oui c’est exact. Lorsque mon professeur a dû partir pour New York _ en 2000 _, je me suis retrouvé seul et son départ a été déterminant, d’autant qu’il m’avait dit qu’au fond j’étais « un ténor paresseux ! ». Comme il ne pouvait plus m’aider et m’avait lancé cette pique, j’ai pris la décision de travailler seul ma technique en écoutant beaucoup d’enregistrements du passé, en véritable autodidacte. J’ai donc pris le temps d’écouter les autres et me suis découvert un talent insoupçonné, en entendant un jour un célèbre imitateur américain. Je me suis rapidement amusé à contrefaire ma voix comme lui, m’imaginant capable de faire du doublage de cartoons. Aussi amusant que cela puisse paraître, cette initiation, ce travail particulier, m’a conduit vers Alfredo de La Traviata ; je pouvais donc faire comme ce grand professionnel, imiter, passer d’une voix, d’un timbre à l’autre, sans difficulté ; et cela m’a ramené vers le chant.


J’ai donc essayé à cette époque d’étudier mes premières partitions d’opéra pour ténors. Je dois vous dire qu’entre 21 et 23 ans _ entre 2000 et 2002 _ j‘ai beaucoup chanté sans pour autant monter sur scène. J’ai travaillé pour payer mes études, car j’avais quitté mes parents, et je me revois encore conduire des grues à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, tout en chantant à tue-tête : c’était très drôle. Puis, je suis retourné un moment dans le giron familial où j’ai pu profiter du piano pour m’accompagner et m’enregistrer quotidiennement afin de suivre mes progrès. J’ai ainsi pu comprendre qu’elle était ma voix en la comparant à celle de ma sœur Erica, qui chante aujourd’hui des comédies musicales à Broadway et ailleurs, et à celle de mon frère Sean qui est un ténor fantastique avec lequel j’ai d’ailleurs gravé Otello de Rossini (Naxos). Il faut vous dire que toute ma famille est musicienne, mes parents chantent, jouent divers instruments et enseignent. Je leur dois énormément car ils ont toujours fait preuve de patience et cru en moi. Grâce à eux, j’ai pu très tôt intégrer différents chœurs, en tant que ténor, ce qui m’a permis d’être en contact avec la musique et de travailler en groupe.

Pourquoi avez-vous choisi de vous rendre en Europe ? Est-ce parce que les Etats-Unis n’étaient pas en mesure de comprendre votre instrument ?

M.S. : Absolument. Vers 22 ans _ en 2001 _ j’ai passé des auditions à Philadelphie, New York et Chicago, sans succès ; on ne me comprenait pas et certains professeurs de renom m’ont même conseillé de chanter Puccini et Verdi. Vous imaginez, si jeune, cela aurait été un carnage ! J’étais désemparé et en colère, ce qui m’a poussé à partir en Europe pour apprendre des langues, ce que je n’aurais pas pu faire convenablement en restant en Amérique. J’ai été retenu à Vienne sur audition et mon passé de choriste s’est révélé très précieux. J’ai pu partir en tournée, travailler et découvrir le monde.
Vous savez lorsque l’on vit dans le fin fond des Etats-Unis, se rendre à New York représente déjà un long voyage… Mes parents m’ont laissé faire, car ils avaient confiance en moi et en ma bonne étoile ; j’ai profité de cette chance et l’Europe m’a sauvée. J’ai également pu intégrer le Conservatoire de Vienne, tout en étudiant des rôles avec des coachs et en me produisant enfin sur scène. D’audition en audition, j’ai réussi à me faire connaître et surtout à me faire accepter, car il faut du temps pour se construire et construire une voix comme la mienne. Ces cinq années de formation _ à Vienne _ m’ont été utiles, mes premiers emplois rossiniens m’aidant à prouver que je pouvais aussi chanter Mozart.

Un de vos premiers succès a d’ailleurs été Tamino à Berlin en 2008, suivi quelques mois plus tard par Otello de Rossini à Bad Wildbad. Vous avez pourtant en quelques années interprété un nombre considérable de rôles extrêmement variés. N’y avait-il pas un risque de vous abîmer la voix ?

M.S. : J’ai en effet chanté énormément de rôles différents à cette époque ; c’est intéressant car beaucoup de gens ne comprennent pas la technique et ce qu’elle permet d’obtenir. Comme je vous le disais, nous sommes les plus habilités, car nous connaissons notre instrument mieux que personne. Cette connaissance intime nous permet d’accepter ou de refuser un rôle. A l’exception de quelques œuvres contemporaines qui font appel au cri et peuvent s’avérer dangereuses, aucun répertoire ne peut ruiner une voix bien préparée. Si un chanteur abîme son instrument c’est qu’il l’a brutalisé en forçant dessus, sinon c’est impossible.
L’artiste connaît mieux que quiconque sa propre voix et de nos jours les « spécialistes » confondent un peu tout et se trompent sur les chanteurs. Je le répète très sérieusement, celui qui perd sa voix, c’est qu’il l’a cherché : écouter les chanteurs wagnériens des années trente, aucun ne hurlaient, tous chantaient de manière extrêmement contrôlée, nuancée et lyrique _ voilà !

L’autre rencontre importante est celle que vous avez faite avec l’opéra français dont vous appréciez l’écriture et les couleurs : La muette de Portici, Guillaume Tell, Le pré aux clercs, Faust, Les contes d’Hoffmann, Les Martyrset tant d’autres ; là aussi votre répertoire est vaste. Ne craignez-vous pas de brouiller les pistes auprès du public ?

M.S. : Je vois ce que vous voulez dire… Mais le public doit essayer de nous comprendre et accepter ce que l’on réalise ; je fais attention à Verdi et à Puccini parce que tout le monde pense qu’avec des kilos en trop un artiste est en mesure de chanter correctement tous les rôles qu’ils ont composés. Pour moi, les registres contrastés ne me sont pas interdits, je n’ai peur ni des intervalles, ni des écarts, ni des aigus, car j’ai habitué ma voix, travaillé Rossini avant de me diriger vers Mozart, ai pris mon temps, sans brusquer mon instrument et aujourd’hui les répertoires qui semblent opposés ne me posent aucun problème. Nous devons également éduquer les mélomanes à écouter Halévy, Auber pour qu’ils acceptent d’entendre Carmen autrement que chantée par des voix de stentors.

Vous êtes aujourd’hui réputé et attendu pour votre virtuosité, vos graves profonds et vos aigus stratosphériques qui vous permettent des sauts d’octave vertigineux. Après Andrea Nozzari et Adolphe Nourrit vous allez ressusciter cette année _ce mois de février 2017 _ Gilbert Duprez avec un nouvel album gravé pour Opera Rara. Pouvez-vous nous parler de ce projet et des particularités de ce célèbre interprète ?

M.S. : Oui, dans deux semaines _ la deuxième semaine de février _ je serai en studio _ à Manchester. Duprez était un chanteur extraordinaire, sans doute le plus révolutionnaire parmi les trois que vous avez cités, celui qui a modifié la technique vocale en profondeur ; il a changé la perception qu’avait avant lui le public, sans pour autant être parfaitement compris ; il était célèbre en son temps pour son « ut de poitrine », mais si vous regardez bien les partitions, cette note était écrite avant qu’il ne la rende fameuse. Lui, l’a simplement transcendée, car il était plus porté que ses prédécesseurs sur la technique, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir une carrière assez brève.


De nos jours, nous avons accès à tous les disques, à une grande quantité de témoignages du passé, et n’avons qu’à faire notre marché, en essayant ce que d’autres avant nous ont mis des années à élaborer, ce qui était impossible au XVIIIème et au XIXème siècles où tout s’inventait. Les orchestres étaient moins puissants aussi, et l’acoustique n’était pas la même. Tout a changé et s’est accéléré depuis les années soixante ; on veut plus de son et on fait moins attention à la technique. Caruso lui aussi a été mal compris en son temps, si vous l’écoutez attentivement sur disque vous vous rendez compte de la qualité de sa technique, de son chant jamais forcé et de son style hérité des règles du bel canto.


Duprez est très intéressant, car il a lutté pour apporter les bases d’une nouvelle ère. Connu pour son ut de poitrine, il a pourtant veillé à chanter peu de rôles dramatiques : il était un ténor lyrique, interprétait Auber, auteur léger comme Boieldieu et Donizetti :  « Ange si pur » de La Favorite était un de ses chevaux de bataille, ce qui nous montre bien que l’on est loin de Samson et Dalila. J’espère pouvoir faire comprendre quel styliste il était en proposant un panorama des œuvres qu’il a créées. Benvenuto Cellini a été le rôle le plus lourd qu’il ait été amené à chanter. Berlioz était fan de cet artiste. J’ai choisi d’interpréter plusieurs œuvres inédites telles que Le lac des fées d’Auber (1839), Guido et Ginevra de Halévy (1838) et l’air d’entrée d’Otello de Rossini dans sa version française, donnée à Paris aux Italiens : ce sera une première. Nous avons fait de nombreuses recherches pour préparer ce programme. Auber est mon compositeur préféré _ et c’est bien sûr à retenir ! _ et ce qu’il a écrit pour Nourrit est magnifique ; on connaît moins son travail pour Duprez, pourtant superbe, dont l’héritage été utilisé par Wagner.


Je dois également enregistrer dans quelques semaines Les Troyens de Berlioz (pour Warner à l’Auditorium de Strasbourg) ; c’est une année incroyable pour moi, plus insensée encore que la précédente.

Marie-Nicole Lemieux, partenaire de Michael Spyres les 31 janvier et 2 février 2017 au Théâtre des Champs-Elysées © Denis Rouvre
Quand on est habitué comme vous à faire se soulever le public de son siège avec des airs à vocalises, qu’est-ce que vous apporte un rôle comme Don José ?
M.S. : Je ne fais pas de distinction entre Rossini, Berlioz, Bizet ou Puccini : lorsque je chante La Bohème par exemple, je mets autant de soin à toucher l’auditeur, car je pense toujours à celui ou à celle qui découvrira peut-être l’opéra pour la première fois ; et qu’il s’agisse d’un air à vocalises ou d’un duo d’amour, je dois veiller au phrasé, aux couleurs, aux nuances pour faire passer le message et susciter l’émotion.

Chanter Don José pour la première fois représente un beau défi, surtout à Paris ; et je ne peux m’empêcher de penser que cet ouvrage a été créé Salle Favart, dans une salle de petite taille, et qu’il s’agit d’un opéra-comique composé avec de nombreux dialogues parlés, depuis longtemps coupés. Je dois lutter contre ces préjugés et faire de mon mieux.

Je reviens toujours à la partition, à la dynamique, au respect des moments calmes et à ceux plus dramatique, même si j’adore Nicolaï Gedda, un modèle pour moi, le plus grand Don José. Je serai capable de devenir fou si ma mère était mourante et que l’on m’empêchait d’aller la retrouver.
© michaelspyres.com
Pouvez-vous me dire comment vous avez conçu le programme de votre concert en hommage à Méhul que vous devez donner à Londres, le 10 février, en compagnie de Jonathan Cohen à la tête de l’Orchestra of the Age of Enlightenment, un rendez-vous initié par le Palazzetto Bru Zane ?
M.S. : Les membres du Palazzetto Bru Zane m’ont parlé de ce projet il y a deux ans, car Méhul est _ hélas _ méconnu et peu enregistré, alors qu’il a été  le premier à changer les choses en France, et mérite à ce titre d’être réhabilité ; certes il y avait eu Lully et Rameau qui ont écrit de belles pages, mais pas de partitions révolutionnaires. Lui a composé des œuvres magnifiques sur des thèmes humains où la mythologie n’était plus souveraine, tout en apportant du drame sur la scène. L’équipe du Palazzetto a donc fait des recherches poussées pour trouver des œuvres rares et significatives. Je suis donc heureux de chanter Méhul (Mélidore et Phrosine, Uthal, Une folie, Euphrosine et Coradin), mais aussi Fidelio _ de Beethoven _, car le public là non plus ne comprend pas pourquoi on peut aborder Florestan avec une voix plus légère.

La tradition veut que les ténors soient puissants, mais Anton Dermota était parfait et n’avait pas une voix si large. Le 1er air est très technique bien sûr, mais on peut le chanter avec moins de muscle et faire comprendre que Méhul a influencé Beethoven, ce que l’on a tendance à oublier.

Méhul est un grand compositeur qui a révolutionné la musique doucement, à la différence de Berlioz. Auber en écrivant La muette de Portici a apporté tant de choses, comme après lui Rossini, le plus français des compositeurs italiens, et Berlioz. Ce trio _ Auber, Rossini, Berlioz _ a changé l’histoire de la musique et du style français. Meyerbeer aussi, bien sûr, mais ses premiers opéras sont un hommage à Rossini.

D’autres projets qui vous tiennent à cœur ?……M.S. : L’an prochain je dois interpréter Benvenuto Cellini en concert à Carnegie Hall avec Gardiner ; et en France ma prochaine prise de rôle aura lieu au Palais Garnier, où je donnerai mon premier Tito dans La clemenza de Mozart (en novembre-décembre 2017 ndlr). Ah !, j’oubliais ma participation au Festival Berlioz l’été prochain, avec La damnation de Faust également dirigée par Gardiner…….

Propos recueillis le 24 janvier 2017 et traduits de l’anglais par François Lesueur.

Toujours sur ce CD « Espoir » de 2017,
on pourra lire le très intéressant compte-rendu qu’en faisait Stéphane Lelièvre le 20 avril 2018, pour Olyrix, en un article intitulé « Michael Spyres : Espoir fait revivre le légendaire Gilbert Duprez » :

Michael Spyres : Espoir fait revivre le légendaire Gilbert Duprez

Le 20/04/2018 Par Stéphane Lelièvre
Avant son récital très attendu du 4 mai à l’Opéra Comique, Ôlyrix fait le point sur l’art de Michael Spyres en rendant compte de son CD Espoir, gravé chez Opera Rara en hommage au légendaire Gilbert Duprez.

Au-delà des titres d’albums ou de concert (Maria Cecilia Bartoli à la mémoire de Malibran, Arias for Rubini de Juan Diego Florez, Écho de Joyce El-Khoury en hommage à Juliette Dorus-Gras, A tribute to Gilbert Duprez de John Osborn), il est sans doute parfaitement vain de chercher à reconnaître dans tel ou tel chanteur d’aujourd’hui la voix, la technique et le style d’une des gloires des temps passés, tant_ certes _ les voix, les techniques et les styles ont changé, ne serait-ce qu’entre l’aube des enregistrements audio et le début de notre siècle. En revanche, composer un programme avec certains titres appartenant au répertoire d’un même chanteur, et chantés par lui au cours d’une période précisément délimitée dans le temps, peut s’avérer _ tout à fait _ intéressant. C’est l’option retenue par Michael Spyres pour ce récital regroupant des pages tirées d’œuvres interprétées _ et le plus souvent, même, créées _ par le ténor Gilbert Duprez (1806-1896) au cours de la décennie 1835-1845. Nous pouvons ainsi nous faire une idée _ voilà  _ des moyens qui devaient être ceux de Duprez dans les années 1840, peut-être les plus glorieuses de sa carrière, avant un rapide déclin qui lui fera quitter la scène vers 1850. Mais nous pouvons également mettre en perspective plusieurs pages tirées d’œuvres qui faisaient les beaux soirs des mélomanes parisiens en ces années-là : après avoir perfectionné sa technique en Italie (où il séjourna et travailla à partir de 1828, et où il se lia avec Donizetti), Duprez revint effectivement en France en 1837 pour y interpréter entre autres rôles ceux gravés par Michael Spyres dans le présent CD – à l’exception de l’air d’Enrico tiré de Rosmonda d’Inghilterra qu’il créa à Florence en 1834.

Le premier intérêt de ce CD réside donc dans le choix des pages enregistrées (qui, heureusement, ne recoupent pas complètement celles gravées par John Osborn dans un enregistrement lui aussi dédié à Duprez : A tribute to Gilbert Duprez, paru chez Delos) : elles permettent, à côté d’airs bien connus du lyricophile (Benvenuto Cellini, La Favorite, Lucia di Lammermoor), d’en entendre d’autres plus rares (Jérusalem de Verdi, La Reine de Chypre d’Halévy), voire inconnus, tel celui du Lac des fées d’Auber, créé en 1839. Cet opéra s’inscrit dans la lignée des œuvres mettant en scène ondines et sirènes (Undine de Hoffmann, Les Fées du Rhin d’Offenbach, Rusalka de Dvořák, Goplana de Żeleński, Sadko de Rimski-Korsakov), dont il semble être l’un des premiers représentants. Il reçut en son temps un accueil très négatif de la critique, et l’air enregistré par Michael Spyres, même s’il ne permet pas, évidemment, de préjuger de la qualité de l’œuvre complète, ne présente un intérêt musical que très relatif : on y entend, certes, un coloris orchestral délicat, mais la mélodie est très peu inspirée, et entachée par ailleurs de problèmes de prosodie ou d’accentuations malvenues : ainsi le désagréable hiatus « Fée immortelle » est-il d’autant plus gênant qu’il est répété plusieurs fois ; et quelle curieuse idée, dans le syntagme « Fille des airs » d’avoir mis l’accent sur le mot « des » et de l’avoir surligné par un aigu ! En revanche, la scène de Gérard, dans La Reine de Chypre, est une belle découverte ; et surtout, les extraits de Guido et Ginévra (toujours d’Halévy) donnent vraiment envie d’en entendre plus. L’air de Guido à l’acte III est fort beau (difficile également avec ses aigus « à attraper » et à insérer dans le chant sans en briser la ligne), et surtout, le duo Guido/Ginévra de l’acte IV s’avère d’un dramatisme puissant.

Spyres s’est entouré d’un orchestre de qualité (The Hallé), d’un chef précis et concerné (Carlo Rizzi), mais aussi de Joyce El-Khoury pour lui donner la réplique (même si le timbre de la soprano libano-canadienne, peu phonogénique _ en effet _, fait entendre certaines duretés et certaines couleurs métalliques beaucoup moins prégnantes en live). Il aurait pu également solliciter un chœur : il aurait ainsi pu effectuer l’indispensable reprise de la page finale de Lucia, qu’il ne chante ici qu’une fois, agrémentée d’un aigu extrapolé (« Teco ascenda il tuo fedel ») qui devrait ne se faire entendre, précisément, que dans le cadre d’un da capo. Il aurait également pu conserver la grande scène de Gaston dans le Jérusalem de Verdi, l’une des pages pour ténor les plus extraordinaires jamais écrites par le compositeur ! D’autant que Michael Spyres délivre une magnifique interprétation de la première partie de cette scène, poignante entre toutes lorsqu’on l’entend dans son intégralité – l’équivalent de la scène d’Amneris face aux juges de Radamès au quatrième acte d’Aida.

Interprétant le même répertoire que son (excellent) collègue John Osborn, Michael Spyres dispose d’un timbre plus clair, moins nasal, et d’une prononciation de l’italien ou du français quasi parfaite _ oui. Même les nombreux « ui » (pierre d’achoppement de presque tous les chanteurs étrangers !) dont est émaillé le premier air de l’Otello de Rossini version française (« puis », « suis-je », « conduisant ») sont impeccables. Seul le « R » final de « dernier » dans « C’est mon dernier souhait », répété plusieurs fois, aurait pu être corrigé. Michael Spyres se présente avec cet air en tant que baryténor rossinien _ voilà _, assumant crânement grave abyssal et puissant aigu. Les vocalises sont d’une grande précision sans que le ténor recoure pour autant au staccato, désagréable lorsqu’il est systématique et trop accentué.

Michael Spyres pare son chant de mille nuances _ oui _, toujours au service de l’interprétation et de la caractérisation du personnage _ en effet. Les changements de couleurs, le chant sur le souffle, le recours au chant piano sont autant de procédés permettant de faire de certaines phrases de vrais moments d’émotion _ oui ! _ : tendresse éplorée du « Je reviendrai pour dire encore » (Guido et Ginévra), émotion de « Mon dernier jour me sera doux » (Jérusalem), désespoir de « Tu n’as donc pu fléchir le sort » (Guido et Ginévra). Parfaitement maître d’une voix souple et ductile, il aurait toutefois pu chanter certains aigus en voix mixte (on pense notamment aux aigus difficiles du bel air de Guido « Quand paraîtra la pâle aurore ») et user ici ou là d’un chant piano ou pianissimo, par exemple pour la reprise d’ « Ange si pur » (La Favorite), ou dans l’attaque du « Seul sur la terre » de Dom Sébastien.

Son contrôle de l’émission vaut à l’auditeur quelques splendides diminuendi _ oui _ (dans Rosmonda d’Inghilterra, ou encore dans Lucia, juste avant le dernier « Rispetta almen le ceneri »), tandis que son exemplaire contrôle du souffle lui permet de chanter le dernier « Ah ! Que ne suis-je un pauvre pasteur ! » (Benvenuto Cellini) d’un trait, là où d’autres (et non des moindres) segmentent la phrase en trois morceaux.

C’est peu de dire que le public attend Michael Spyres avec impatience pour son concert du 4 mai prochain _ 2018 _ à l’Opéra Comique, dans un programme entièrement français dont le détail vient d’être dévoilé !

Et pour éclairer la parcours très original courageusement entrepris (dès ses 20 ans, en 1999) et assumé tout le long, depuis, par Michael Spyres,
je joins à nouveau ici le très remarquable entretien, lui aussi,
de Michael Spyres avec Emmanuelle Giuliani, paru dans La Croix le 4 octobre 2018 :

Entretien avec Michael Spyres

Afin de préparer un portrait, à paraître dans La Croix (publié ce vendredi 5 octobre, veille de la représentation, samedi 6, de Fidelio au Théâtre des Champs-Élysées, où le ténor américain incarne Florestan), j’ai eu la chance de recueillir cet entretien avec Michael Spyres.

Il est long mais si éclairant _ oui ! _ sur la personnalité et l’engagement _ magnifique _ de ce formidable artiste _ oui ! _ que je vous le propose dans son intégralité.

Non sans remercier chaleureusement ma collègue Célestine Albert qui en a assuré la traduction, bien mieux que je ne l’aurais fait.

Bonne lecture et à très bientôt !

 Vous interprétez prochainement à Paris le rôle de Florestan dans Fidelio de Beethoven. Comment abordez-ce personnage ? Comment le décrire musicalement et psychologiquement ? Quelle sont les difficultés du rôle.

Michael Spyres : Je pense que la meilleure façon d’aborder le personnage de Florestan est de le faire à travers le prisme des Lumières. Il faut comprendre la densité et la profondeur des personnages typiques de cette période _ voilà, c’est capital. L’allégorie de la grotte de Platon est très présente dans le livret et l’on doit voir Florestan comme l’incarnation de l’injustice _ subie _ ou, en des termes qui correspondent davantage à la philosophie jungienne, de l’animal piégé dans une forme humaine.

Le personnage de Florestan représente la condition humaine, et la lutte intérieure qu’un homme éprouve dans sa quête d’espoir et de liberté. Beethoven, comme Mozart avant lui, était bien conscient de ces mythes ancrés dans la tradition maçonnique _ en effet _ (il n’y a certes toujours pas de preuve irréfutable que Beethoven ait été lui-même Franc-maçon, mais il avait de nombreux amis qui l’étaient). En fait, le parcours et la dualité de Florestan et Leonore sont à mettre en parallèle avec ceux de Pamina et Tamino, dans la Flûte enchantée. L’objectif _ commun à ces deux œuvres _ est de réaliser que nous devons œuvrer ensemble à trouver une harmonie intérieure, au sein du monde physique. Nous devons tous aspirer à être justes et courageux, afin de donner un sens à ce monde _ voilà. Tous les personnages et thèmes évoqués mettent en perspective les désirs du public de l’époque de se libérer de gouvernements tyranniques.

Face à l’étendue de ces sujets, je dirais que la plus grande difficulté dans l’interprétation du rôle de Florestan est de rester dans la technique, et de ne pas se laisser emporter par l’émotion _ le pathos _ en chantant…

 Votre répertoire est extrêmement vaste. Est-ce important pour vous de chanter des œuvres si variées, de Mozart à Gounod en passant par Berlioz ? Comment abordez-vous un nouveau personnage ? Y en a-t-il que vous savez que vous allez abandonner avec l’évolution de votre voix ? Est-ce difficile ?

Michael Spyres : C’est amusant que vous me demandiez cela, car j’ai fait énormément de recherche sur les répertoires des chanteurs passés. Florestan sera mon 77e rôle dans, au total, 70 opéras différents. Placido Domingo est le seul ténor contemporain ayant interprété plus de rôles que moi, et j’ai bon espoir de rattraper son total de 150 rôles ! Je ne dis pas cela pour me vanter, mais plutôt pour que les gens prennent conscience qu’il n’est pas si rare qu’un chanteur ait une carrière aussi variée que la mienne, même au XXe siècle. Si l’on s’intéresse aux grands ténors du passé, tels que Jean de Reszke, Mario Tiberini, Manuel Garcia, Giovanni David ou, le plus grand d’entre tous, son père Giacomo David _ Presezzo, 1750 – Bergame, 1830 _, on constate à quel point les répertoires de ces chanteurs légendaires étaient vastes. Leur carrière est devenue pour moi une réelle obsession _ voilà. Si eux l’avaient fait, j’en étais capable aussi.

Au fil de mon parcours, j’ai appris quelque chose d’absolument essentiel _ voilà _, que peu de gens _ surtout ceux qui font carrière de chanteurs _ ont la chance d’intégrer : la voix et la technique ont besoin de ces variations pour rester performantes, ne pas devenir rigides. Je dois avouer qu’il est de plus en plus difficile de maintenir certains rôles à mon répertoire, comme les Rossini les plus légers, mais je chanterai toujours du Rossini et du Mozart, tout en continuant, dans les années à venir, à m’essayer aux répertoires plus lourds : Verdi, Wagner et le grand opéra français.

Au Met à la fin des années 1800, De Reszke chantait Roméo, Tristan et Almaviva dans la même semaine, ce qui nous semble insensé aujourd’hui. Très peu de personnes sont prêtes à sortir de leur zone de confort, mais c’est pourtant précisément ce qui m’a permis d’acquérir l’expérience et la technique qui en découle _ voilà _, pour survivre _ et épanouir ! _ dans cette folle profession !

De plus en plus, vous devenez un grand interprète de l’opéra français _ en effet ! Est-ce un répertoire que vous aimez particulièrement ? Pourquoi ? Et comment avez-vous travaillé votre diction pour parvenir à ce point de perfection ? 

Michael Spyres :J’aime le répertoire français dans toute sa splendeur. La musique et les sujets abordés _ Michael Spyres ne les sépare pas ! _ sont d’un génie inégalé _ voilà ! Les idéaux fondamentaux de la Renaissance et de la Révolution sont au cœur même du Grand Opéra français, et il n’y a pas de forme d’art plus élevée qu’une pièce comme Les Troyens de Berlioz.

J’ai grandi en pensant que j’aimais l’opéra italien, puisque c’est l’une des seules formes d’opéra populaire aux Etats-Unis. Mais dès que j’ai commencé à étudier l’opéra sérieusement, le style français a pris possession de mon cœur et mon âme. Si les grandes questions de la vie vous importent et que vous lui cherchez un sens, comment ne pas être en admiration face aux accomplissements de la France, depuis l’époque Baroque et jusqu’au XXe siècle ? La France était le centre névralgique de tous les idéaux occidentaux et il n’est pas étonnant que Rossini, Donizetti, Meyerbeer et Verdi soient tous allés chercher leur liberté artistique en France.

Quant à mes capacités linguistiques en Français, je suis totalement autodidacte. J’ai toujours été assez entêté, mais je crois aussi que, comparé à d’autres, j’ai un don pour imiter les sons parfaitement, parce que je suis obsédé par la conception même des sons. Pour tout vous avouer, mon objectif dans la vie était de devenir doubleur de dessins animés, et c’est d’ailleurs ainsi que je me suis mis au chant. Honnêtement, le français est la langue que j’ai eu le plus de mal à maîtriser à cause de  son incroyable manque de logique en termes de voyelles ! Ce n’est pas du tout une critique, mais tout comme avec l’anglais, il est très difficile pour une personne dont le français n’est pas la langue maternelle d’en maîtriser toutes les exceptions…

Quelle est votre relation avec votre voix ? Est-ce toujours une amie, devez-vous parfois lutter avec elle? Devez-vous penser à la ménager ou au contraire à repousser ses limites ?

Michael Spyres :Je peux sincèrement dire que ma vie est le chant. J’ai commencé à chanter avant même de savoir parler. Je viens d’une famille qui vit en musique, dans laquelle chaque personnes sait chanter et a toujours chanté. Ma mère et mon père étaient tous deux professeurs de chant et nous chantions en famille à chaque mariage, enterrement, ou événement de notre enfance. Ma sœur est aujourd’hui à Broadway et mon frère et moi tenons la compagnie d’opéra de notre ville natale. Ma femme _ Tara Stafford _ est également chanteuse et, en avril dernier, nous avons produit ma version et traduction de Die Zauberflöte. Ma femme chantait la Reine de la nuit, ma mère s’est chargée des costumes, mon père a fabriqué le décor et mon frère interprétait Tamino, en plus d’être assistant metteur en scène. Comme vous pouvez le constater, je ne suis jamais seul dans mon voyage musical, et je peux toujours compter sur ma famille lorsque j’ai besoin d’aide.

Je crois qu’il est nécessaire de repousser ses limites en tant que chanteur pour comprendre son instrument. J’ai le sentiment que très peu de personnes explorent réellement leur voix et, du coup, très peu savent la maîtriser. J’ai eu la chance d’avoir assez tôt deux professeurs de musique en l’espace de trois ans. Ils m’ont appris les bases d’une bonne technique lyrique, mais j’ai abandonné les études à 21 ans _ en 2000 _ pour prendre une direction radicale. J’ai constaté que la seule façon pour moi de prendre le contrôle de ma vie et de réussir dans le monde de l’opéra était d’apprendre de mon côté _ par moi-même _ à contrôler cet instrument qui est en moi. Le chemin pour devenir ténor a été long et plein d’épreuves mais, finalement, le chant doit être un accord organique entre vous et votre voix, sans influence extérieure. Les professeurs et livres de technique ont un rôle inestimable mais, si vous n’avez pas une confiance absolue dans vos propres axiomes et votre structure, vous êtes voué à l’échec.

Il y a peu de ténors, c’est une voix qui fascine le public et on imagine que vous subissez une grande pression de la part du monde musical. Comment y résistez-vous ? Comment refusez-vous les propositions qui ne vous conviennent pas ou ne vous plaisent pas ?

Michael Spyres : Pour être tout à fait honnête, je n’arrive pas vraiment à dire non, et c’est quelque chose que j’essaye d’apprendre avec l’âge. L’an dernier, je suis arrivé à un stade de ma carrière assez crucial, parce qu’ il y a dix ans, je m’étais fixé comme objectif  d’explorer un maximum de répertoires, et je m’épanouis dans les « challenges ». Mais j’ai été confronté à mes limites physiques et au vieillissement. Au cours de la saison 2017-2018, j’ai joué dans 8 productions, fait 7 concerts dans 8 pays différents, et j’ai fini par devoir, pour la première fois, annuler un concert et une représentation parce que j’étais malade. Au cours de cette dernière année, mes opportunités de carrière ont vraiment pris un tournant, et je suis dans la position merveilleuse de pouvoir choisir ou décliner une proposition.

La plupart des gens considèrent que le chanteur est seul responsable de son parcours, mais vers 20 ans _ en 1999 _, j’ai constaté que l’image que l’on se fait de sa propre voix n’est pas forcément celle que se font les autres. L’une des principales raisons qui m’a poussé à varier autant mon répertoire venait aussi du constat que chaque pays avait sa propre opinion de ma voix. J’ai découvert que, pour réussir, il fallait trouver un compromis entre ce que vous voulez faire et les besoins de l’industrie et du marché musicaux. Je fais partie d’un groupe très restreint de chanteurs qui peuvent dire non. Mais le plus important dans ma prise de décision est de savoir si le rôle me correspond _ voilà _ et s’il fait _ vraiment _ évoluer ma carrière.

Je n’ai que récemment atteint un niveau qui me permet de choisir un rôle. Je me demande alors : « cette œuvre a-t-elle une bonne raison d’exister ? » La plupart des gens n’aiment pas l’avouer, mais de nombreux opéras ont été composés simplement dans une recherche de profit ou par pur narcissisme, et, de ce fait, me semblent n’avoir guère ou même aucune de raison _ solide _ d’être interprétés.

Je ne me prononce pas sur les différentes productions, intellectuelles ou non, mais je suis vraiment heureux de pouvoir désormais choisir sans avoir à dire oui à tout. Je veux aller de l’avant, et je consacre ma carrière à promouvoir les opéras les plus bouleversants et les plus importants, ceux qui ont été composés pour élever l’humanité à un plus haut niveau de conscience en nous forçant à l’introspection et à l’éveil de notre esprit.

Quels sont les interprètes actuels ou passés, chanteurs ou instrumentistes (ou même comédiens, écrivains, peintres…) qui vous inspirent et enrichissent votre propre travail d’artiste ?

Michael Spyres : La liste est longue, mais je dirais que les personnes qui m’ont le plus influencé sont, toutes catégories confondues : Wassily Kandinsky, Francisco Goya, René Magritte, Hieronymus Bosch, Michael Cheval, Norman Rockwell, Harry Clarke, Thomas Hart Benton, Jan Saudek, Hundertwasser, Alphonse Mucha, Jordan Peterson, Jonathan Haidt, Thomas Sowell, Michio Kaku, Stephen Pinker, Camille Paglia, Mario Lanza, Nicolai Gedda, Roger Miller, Nick Drake, Tom Waits, Air, Andrew Bird, Harry Nilsson, Kishi Bashi, Sleepwalkers, J Roddy Walston and the Business, Vulfpeck, Maria Bamford, Hans Teeuwen, Norm Macdonald, Reggie Watts, Thaddeus Strassberger,  Le Shlemil Theatre, John Eliot Gardiner, Wes Anderson, Terry Gilliam, Alejandro Jodorowsky, Rossini, Berlioz, et surtout, ma famille.

Comment avez-vous décidé de consacrer votre vie au chant ? Avez-vous parfois douté ? Comment, aux Etats-Unis, la musique classique (et, plus particulièrement l’opéra) est-elle considérée dans la société ? Est-ce un art populaire ou au contraire plutôt élitiste ?

Michael Spyres : Comme je vous le disais, la musique coule dans les veines de ma famille, mais je ne me suis mis à envisager cette carrière qu’à 21 ans _ en 2000. Mon rêve était de devenir le futur Mel Blanc (la voix qui doublait tous les dessins animés d’antan) et d’entrer dans ce milieu de l’animation, si possible en devenant acteur pour Les Simpson. Après une période de réflexion, j’ai compris que si je ne tentais pas une carrière dans la musique et plus particulièrement, l’opéra, je le regretterais.

Je suis l’homonyme de mon oncle Michael. Son rêve était de devenir chanteur d’opéra, mais il est décédé d’un cancer de la gorge à l’âge de 38 ans, alors que je n’étais qu’un bébé. J’ai grandi dans l’ombre de cette histoire, en sentant que mon destin était au moins d’essayer d’embrasser la carrière qu’il n’avait jamais pu avoir.

Bien-sûr, j’ai eu des doutes, toute ma « vingtaine » _ entre 1999 et 2009, donc _ a été remplie de doutes… Mais quand j’ai eu trente ans _ en 2009 _, j’ai su avec certitude que je pouvais faire carrière dans l’opéra.

La musique classique, et l’opéra en particulier, sont considérés comme une forme d’art élitiste aux Etats-Unis, mais cette perception est en train de changer avec les plus jeunes générations qui découvrent la joie et les messages profonds véhiculés par la musique. Mais soyons honnêtes, l’opéra et la musique classique ont, en effet, toujours été une forme d’art élitiste, tout simplement parce qu’il faut beaucoup d’argent et de temps aux artistes pour arriver au niveau de compétence nécessaire à cette profession. Pour réussir quelque chose d’aussi beau que le classique ou l’opéra, l’élitisme est et a toujours été une force. Même si je pense que tout le monde peut apprécier cet art, il reste dominé par un petit groupe d’artistes et de philanthropes.

Je peux dire toutefois que l’opéra et la musique classique me semblent bien plus démocratiques aux Etats-Unis qu’en Europe où une grande partie du budget est subventionné par l’Etat. Chez nous, les gens sont très fiers d’apporter leur soutien et nos budgets sont presque entièrement financés par des personnes privées.

Êtes-vous engagé sur le plan social, éducatif, voire politique ? Être un artiste donne-t-il selon vous des responsabilités dans la société ?

Michael Spyres :Je suis très investi dans le monde des arts, et je crois de tout mon cœur qu’il est de notre devoir en tant qu’artistes d’enseigner et de donner son temps à la communauté et à la société au sens large. L’enseignement est aussi dans mon ADN, puisque tous les membres de ma famille ont été professeurs à un moment ou un autre.

J’ai, en outre, la chance de pouvoir changer la vie de beaucoup de personnes à travers mon rôle de directeur artistique de la compagnie d’opéra de ma ville natale : l’opéra régional de Springfield _ tout proche de la petite ville natale, Mansfield, de Michael Spyres. Mon frère, ma mère et moi avons réalisé des projets ensemble, ils ont notamment écrit deux opéras pour enfants. Nous avons tourné dans les écoles les plus pauvres de notre région avec ces deux créations originales et, à travers l’opéra, nous avons réussi à transmettre des leçons importantes sur la vérité et la responsabilité.

Je crois que beaucoup d’artistes oublient qu’il est de leur devoir de mettre en lumière certains problèmes de la société. Éduquer le public au sens large est primordial. Mon père, comme professeur de musique, m’a appris que cet art était une forme de méta-éducation et qu’à travers elle, on pouvait enseigner une grande variété de sujets. Avec une simple chanson, vous pouvez apprendre une langue, des maths, de la géographie, de la sociologie, de la philosophie… La musique est un point d’entrée vers la compréhension de l’humanité _ voilà ! _ et, en tant qu’artistes, nous sommes en possession d’un outil de transmission très puissant, qui connecte les gens.

Lorsque vous voyagez pour vos concerts, avez-vous le sentiment que, depuis l’élection de Donald Trump, l’Amérique est vue différemment dans le monde ?

Michael Spyres : Je suis sûr que certaines personnes perçoivent désormais les Etats-Unis différemment, mais cela n’a jamais été un problème pour moi. Ayant vécu 17 ans en Europe, dans six pays différents, j’ai pu voir des aspects à la fois merveilleux et terribles dans chacun d’entre eux, y compris le mien.

Mais j’ai fini par comprendre qu’il ne fallait pas s’attarder sur les effets que la pensée ou la projection collective d’une nation toute entière peuvent avoir sur vous. Je crois en la souveraineté individuelle et à l’éveil intellectuel _ soit l’idéal kantien d’autonomie de la personne… _ et j’essaye de vivre et d’avancer en fonction de cela.

L’un des plus beaux moments de ma vie a été de chanter en duo avec ma femme à Moscou, à un moment où la relation avec les Etats-Unis était assez compliquée… Après le concert, deux hommes sont venus nous parler dans un anglais parfait pour nous dire à quel point cela les avait touchés de m’entendre chanter dans leur langue natale et combien ils pensaient que notre concert avait apaisé les tensions. Certaines personnes se sont mises à pleurer lorsque j’ai chanté « Kuda, kuda… » dans Eugène Oneguin, et il n’y a pas de sentiment plus grand, ni de façon plus douce, d’apaiser les mœurs que par la musique.

J’ai l’impression que, trop souvent, les gens se laissent dominer par des tendances naturelles « tribales », mais un grand air ou lied peut transcender tout cela, et aider au bien commun de l’humanité, dans la lutte, la joie, le deuil ou l’amour.

En dehors du chant, quelles sont les arts ou les activités qui vous sont nécessaires, qui nourrissent votre esprit et votre émotion ? Comment parvenez-vous à garder votre équilibre de vie avec un métier si exigeant et si prenant ?

Michael Spyres : J’ai très peu de hobbies parce que ma vie est principalement partagée entre ma carrière de chanteur, ma compagnie d’opéra et mon rôle de père. Je joue de la guitare et du piano quand j’en ai l’occasion, chez moi, et j’aime emmener mes fils explorer les bois de notre ferme. Mais honnêtement, quand je ne travaille pas, je passe une grande partie de mon temps à lire des livres de philosophie, de psychologie, d’économie et de sciences.

Quant à la recherche d’un certain équilibre, c’est vraiment le défi le plus difficile à mes yeux, parce que lorsque vous adorez votre job et que vous aimez travailler autant que moi, vous devez constamment vous forcer à faire des pauses. Le fait d’avoir mes deux fils et ma femme m’aide à rester ancré dans la réalité, et je dirais que le plus dur avec cet emploi du temps de plus en plus chargé est de trouver l’équilibre entre mon t,emps de travail et ma famille.

J’ai beaucoup de chance d’avoir cette carrière, et je n’ai pas encore trouvé beaucoup d’aspects négatifs liés au succès, outre la pression grandissante que je m’impose pour me donner à 100%. J’ai eu beaucoup d’emplois différents dans ma vie, gardien, jardinier, professeur, serveur, ouvrier du bâtiment, et je suis vraiment heureux de pouvoir gagner ma vie en rendant les gens heureux… Qu’y a-t-il de plus gratifiant ?

Une nouvelle saison musicale commence, vous préparez bien sûr les prochaines… quels sont les projets mais aussi les envies qui vous tiennent le plus à cœur : nouveaux rôles, nouveaux chefs, metteurs en scène ou partenaires, nouveaux pays ? 

Michael Spyres : Comme l’an passé, je suis incroyablement pris, mais j’ai évidemment hâte de jouer dans Fidelio, et ensuite, de retourner au Carnegie Hall avec John Eliot Gardiner. En octobre, je ferai mes débuts au Concertgebouw d’Amsterdam et juste après, j’interprèterai mon premier récital avec Mathieu Porduoy, à Bordeaux. Au début de l’année 2019, je jouerai pour la première fois au Teatro Carlo Felice de Gênes à l’occasion d’un récital avec ma chère amie Jessica Pratt, puis je me rendrai au Wiener Staatsoper !

Après Vienne, je ferai mes débuts à Genève, aux côtés de ma collègue Marina Rebeka, pour une Le Pirate de Bellini que nous enregistrerons également. En avril, j’aurai le privilège de jouer le fameux rôle de Chapelou dans la production de Michel Fau du Postillon de Longjumeau, qui sera présenté pour la première fois depuis 1894 à l’Opéra-Comique. Fin avril, j’aurai la chance de réaliser un nouveau rêve en m’associant avec de fantastiques collègues, Joyce Didonato et John Nelson, dans l’interprétation et l’enregistrement pour Erato de mon rôle préféré : Faust dans La Damnation de Faust, de Berlioz.

En mai 2019, je reviens une fois de plus à Paris en tant que soliste du Lelio de Berlioz, avec François Xavier-Roth. Je ferai également mes débuts en tant que Pollione dans Norma de Bellini, et le mois sera marqué par mon retour à l’Opernhaus de Zurich. Entre ces deux performances, je retournerai à l’Oper Frankfurt dans le cadre d’une tournée en récital. Je terminerai la saison en jouant le rôle principal dans l’opéra épique Fervaal, de Vincent D’Indy, au Festival de Radio France Occitanie, à Montpellier.

Souhaitez-moi bonne chance et… une bonne santé !

Emmanuelle Giuliani

Voilà.

En ce magnifique parcours de chanteur de Michael Spyres,

qui sait trouver ses voix _ et ses rôles de personnages à interpréter, que ce soit sur la scène, ou au disque _,

le CD « Espoir« , centré, en 2017, sur la carrière et les rôles d’un seul chanteur, Gilbert-Louis Duprez, a constitué ainsi un très intéressant jalon,

anticipant sur le plus large, merveilleux et éclatant « Baritenor« , anthologique de rôles très divers d’entre 1781 (pour Idomeneo) et 1937 (pour Carmina Burana),

le récital se concluant par l’air, de toute beauté, et sublimement interprété, « Glück, das mir verblieb« , de Die tote Stadt, de Korngold, en 1920…

en cette année 2021…

Et du splendide art d’interprétation, si subtil et délicat, de Michael Spyres,

je suis très impatient de suivre attentivement les suites…

Ce lundi 25 octobre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

La richesse des impressions éprouvées en écoutant en boucle le programme très varié du si beau « Baritenor » de l’admirable Michael Spyres

24oct

En écoutant en boucle le magnifique « Baritenor » de Michael Spyres, au programme d’airs d’opéra si varié,

je suis aussi très sensible à la variété des impressions ressenties à la réception de l’interprétation superlative, par Michael Spyres, de ces airs étonnamment divers,

réunis ici par lui _ il signe et assume entièrement ce programme _ en échantillon significatif (de 84′ 30) de la qualité de la palette dont dispose à ce jour ce chanteur…

D’abord, je découvre en ce CD des airs extraits d’œuvres qui m’étaient restées jusqu’ici

ou bien inconnues _ en partie faute d’enregistrements existants !!! _,

tel, par exemple l' »Ariodant » de Méhul (de 1799, à Paris), ou  l' »Hamlet » d’Ambroise Thomas (de 1868, à Paris), soient des œuvres dont j’ignorais tout simplement l’existence ;

ou bien demeurées étrangères à ma curiosité,

tel, par exemple, le « Pagliacci » de Leoncavallo (de 1892, à Milan) _ n’ayant personnellement qu’assez peu d’attraits, a priori du moins, envers le mouvement et les œuvres du vérisme _, ou « La Vestale » de Spontini (de 1807, à Paris) _ sans que je sois en mesure d’en donner quelque raison, sinon que pour le genre même de l’opéra, aux œuvres si nombreuses, j’ai moins d’attraits que pour, par exemple la musique de chambre, les œuvres pour piano, la musique baroque en toute sa diversité, ou pour la mélodie et le lied…

Si j’énumère les opéras à des représentations desquels j’ai déjà assisté _ principalement au Grand Théâtre de Bordeaux _, et dont je possède, aussi, au moins un enregistrement discographique,

cela donne la liste suivante :

_ Idomeneo

_ Le Nozze di Figaro 

_ Don Giovanni

_ Il Barbiere di Siviglia

_ La fille du régiment

_ Il Trovatore

_ Les Contes d’Hoffmann

_ Lohengrin

Et je peux y ajouter les opéras à des représentations desquels je n’ai pas assisté au théâtre, mais dont je possède au moins un enregistrement discographique :

_ La Vestale _ au sein d’un coffret « Maria Callas » de 42 CDs d’enregistrements intégraux de 20 opéras _

_ Otello, de Rossini _ compositeur que j’apprécie tout particulièrement… _

_ Die Lustige Witwe _ probablement parce que ma mère adorait en chanter au moins un air… _

_ L’Heure espagnole _ j’aime énormément Ravel, auquel je m’intéresse beaucoup… _

_  Carmina Burana _ un tube (à archiver…), en dépit de l’exécrable réputation de son compositeur… _

_ du Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam (de 1836, à Paris), je connais bien sûr l’archi-célèbre air de Chapelou ; par exemple chanté par l’excellent Nicolaï Gedda

Quant à Die tote Stadt d’Eric Wolfgang Korngold (de 1920, à Hambourg)

je persiste à regretter _ beaucoup _ de ne pas en posséder d’enregistrement discographique _ simplement faute d’avoir réussi jusqu’ici à en trouver un… _alors même que je collectionne les CDs d’enregistrements d’œuvres _ très diverses _ d’Eric Wolfgang Korngold, qui ne m’ont jamais déçu…

Mais, plus encore, ce qui, et très intensément, me frappe,

c’est l’extraordinaire qualité d’incarnation des personnages chantés en ces airs extraits d’opéras si divers, par Michael Spyres ;

et qui me touche si fortement en ces écoutes répétées de cet exceptionnel CD…

Bien sûr, isoler un air de l’opéra dont il fait partie, a quelque chose d’abstrait et d’artificiel :

tout air ne prenant vraiment la plénitude de son sens que par son insertion, en quelque sorte naturelle, dans l’intrigue dramatique de l’œuvre déroulée en son entier ; 

ainsi que par l’intelligence, aussi et surtout, des moindres nuances du personnage qu’incarne le chanteur ;

ainsi ce qui m’a frappé et totalement charmé

_ cf mes articles consécutifs à celui (avec un lien à la vidéo) du 8 aout dernier : … :

celui du 14 août :  ;

celui du 15 : … ;

mais surtout celui du 18 août :  _

à la vision-écoute de la retransmission du merveilleux Don Giovanni (de 1787, à Prague)donné à Salzbourg cet été 2021, avec la direction musicale de Teodor Currentzis, et dans lequel Michael Spyres incarnait _ en dépit d’un costume qui aurait ridiculisé n’importe quel acteur-chanteur, autre que Michael Spyres ! _ un absolument merveilleux Don Ottavio,

c’est cette qualité exceptionnelle de l’intelligence tant dramatique (en plénitude d’accord avec le génie de Da Ponte) que musicale (en symbiose parfaite avec le génie musical opératique de Mozart !) de Michael Spyres…

Et justement ce qui touche ici encore à l’extraordinaire et au superlatif,

mais cette fois non pas sur la scène comme à Salzbourg,

mais en un CD tel que ce merveilleux récital d’airs intitulé « Baritone« ,

c’est la qualité véritablement exceptionnelle d’interprétation-incarnation, tant dramatique que musicale _ indissociablement, les deux ! _ de chacun, sans exception, des rôles pourtant si divers, tels que ceux, ici, en ce récital,

d’Idomeneo (de l’Idomeneo de Mozart, de 1781, à Munich),

le comte Almaviva (des Nozze di Figaro de Mozart, de 1786, à Vienne),

Don Giovanni (du Don Giovanni de Mozart, de 1787, à Prague),

Edgard (de l’Ariodant de Méhul, de 1799, à Paris),

Licinius (de La Vestale de Spontini, de 1807, à Paris),

Figaro (du Barbiere di Siviglia de Rossini, de 1816, à Rome),

Otello (de l’Otello de Rossini, de 1816, à Naples),

Chapelou (du Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam, de 1836, à Paris),

Tonio (de La Fille du régiment de Donizetti, de 1840, à Paris),

le comte di Luna (d’ Il Trovatore de Verdi, de 1853, à Rome),

Hamlet (de l’ Hamlet d’Ambroise Thomas, de 1868, à Paris),

Hoffmann (des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, créés en 1881, à Paris),

Lohengrin (du Lohengrin de Wagner, de 1850, à Weimar),

Tonio (du Pagliacci de Leoncavallo, de 1892, à Milan),

Danilo (de Die lustige Witwe de Franz Lehar, de 1905, à Vienne),

Ramiro (de L’Heure espagnole de Ravel, de 1911, à Paris),

le baryton de Carmina Burana (de Carl Orff, en 1937, à Francfort)

et Paul (de Die tote Stadt de Korngold, de 1920, à Hambourg),

par l’admirable Michael Spyres,

dont on ne sait ce qui doit être le plus admiré

de sa parfaite intelligence dramatique de chacun de ces  personnages qu’il incarne si magnifiquement,

ou de sa merveilleuse exceptionnelle musicalité, chaque fois, en la très grande diversité de ces airs qu’il nous donne…

C’est qu’existe aussi un génie de l’interprétation !

Pour joindre ici quelques appréciations un peu plus plus personnelles _ sinon subjectives _,

je dois dire la singularité de mon intense émotion plus particulièrement devant les véritablement sublimes (!!!) interprétations des trois derniers airs de ce programme, déjà eux-mêmes très différents, et qui sortent du domaine de confort, jusqu’ici, de Michael Spyres,

extraits d’œuvres _ L’Heure espagnole de Ravel (il s’agit du très original air « Voilà ce que j’appelle une femmme charmante« ), Die Tote Stadt de Korngold (il s’agit de l’air sublime « Glück, das mir verblieb« ) et Carmina Burana de Carl Orff (il s’agit de l’air superbement donné ici « Dies nox et omnia«  ; soient des œuvres de 1911, 1920 et 1937)… _

du XXe siècle, que Michael Spyres aborde pour la première fois au disque :

de belles perspectives d’interprétation s’ouvrent ainsi à lui, en sa quarantaine pleinement épanouie de chanteur…

Mais aussi,

je dois dire ma grande émotion devant l’extraordinaire douceur, enivrante, de son interprétation de l’air très beau de Lohengrin « Aux bords lointains« , que Michael Spyres a tout spécialement choisi d’interpréter ici en français _ Wagner a longtemps très grandement plu en France… _ ;

de même que devant son interprétation si délicate, de l’air de Tonio « Si puo ? Signore, Signori ! » du pourtant vériste Pagliacci (de 1892) de Leoncavallo :

Michael Spyres me donnant ainsi envie de découvrir cet opéra...

Et pour ce qui concerne l’interprétation des airs d’Edgard « Ô Dieux ! Ecoutez ma prière« , de l’Ariodant de Méhul (de 1799),

et d’Hamlet « Ô vin, dissipe la tristesse« , de l’Hamlet d’Ambroise Thomas (de 1868),

ils donnent grand désir d’entendre et écouter enfin ces opéras en entier ; des opéras français dont n’existe pas encore hélas d’enregistrement discographique pour ce qui concerne l’Ariodant de Méhul ; et assez peu, pour ce qui concerne le Hamlet d’Ambroise Thomas… ;

de même que, l’interprétation par Michael Spyres du grand air de Licinius « Qu’ai-je vu ! Quels apprêts !« , de La Vestale, de Spontini (de 1807), m’incite à écouter enfin cet opéra qui dormait jusqu’ici dans ma discothèque…

Pour ne rien dire de l’interprétation merveilleusement enlevée _ et déjà célèbre _ de Michael Spyres du bien connu air de Chapelou, « Mes amis, écoutez l’histoire« , du Postillon de Lonjumeau, d’Adolphe Adam (de 1836) ;

un DVD de la mise en scène de l’excellent Michel Fau, avec le Chapelou de Michael Spyres, est désormais disponible : voici l’extrait vidéo de cet air, dans cette mise en scène de Michel Fau, avec Michael Spyres sur scène, en Chapelou…

Mais nous savons bien que Michael Spyres est comme un poisson dans l’eau dans l’entièreté du répertoire français _ ici de Méhul (en 1799) à Ravel (en 1911)… _, qui lui va comme un gant… 

Chapeau bas, Monsieur Spyres…

Et au final,

nous savons bien qu’un récital discographique d’airs d’opéra choisis, ne constitue qu’une petite fenêtre _ ou une carte postale adressée à un plus large public potentiel que celui des salles d’opéra _ ouvrant sur ce qui est vraiment l’essentiel de son activité pour le chanteur :

ses performances, avec des partenaires et un orchestre, en des opéras entiers, sur la scène, et face au public présent ce soir-là…

Et ici je renvoie, en exemple, et par la magnifique vidéo, au fluidissime et lumineux Don Giovanni , donné cet été 2021 à Salzbourg, sous la direction du magicien Teodor Currentzis…

Ce dimanche 24 octobre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le flamboyant CD « Baritenor » du parfait Michael Spyres, admirable en son exploration des registres de voix entre ténor et baryton…

22oct

En quelque sorte en suite de mon article du samedi 16 octobre dernier :

et pour commencer,

avant d’apporter un commentaire plus singulier,

je désire enrichir de remarques en quelque sorte « complémentaires« _ en vert _, l’article (chronique d’album) très riche et très juste qu’Elodie Martinez vient de consacrer _ sur Opera Online _ à son écoute du merveilleux travail _ incroyablement varié _ de Michael Spyres

en son merveilleux CD « Baritenor » (Erato 0190295156664)…

Voici donc, cet article,

agrémenté de mes farcissures personnelles (en vert) :

Chronique d’album : « Baritenor », de Michael Spyres

Xl_baritenor………Avec son dernier disque chez Erato (Warner Classics _ 0190295156664 _), Baritenor, Michael Spyres s’attaque à ce registre particulier _ de voix _ aux côtés de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg dirigé par Marko Letonja. En regroupant dix-huit airs et quinze compositeurs s’étendant sur trois siècles d’opéras italiens, français et allemands _ de Idomeneo, de Mozart, créé à Munich le 29 janvier 1781, à Carmina Burana, de Carl Orff, créé à Francfort le 8 août 1937 _, l’artiste offre un enregistrement anthologique _ très large et varié _ dans lequel sa voix exceptionnelle _ vraiment ! _ enchante _ oui ! _ et se teinte de mille couleurs _ voilà… _, comme peut-être seul _ probablement… _  Michael Spyres peut le faire aujourd’hui….

Il faut dire qu’il n’est pas donné à tout le monde _ certes _ de pouvoir faire _ ainsi _ l’écart entre les registres de ténor et de baryton. Mais qu’est-ce qu’un baryténor ? C’est justement la question posée _ et excellemment traitée _ dans le livret, et à laquelle le principal intéressé répond en plusieurs _ au nombre de 5 _ pages, expliquant notamment qu’il est « d’avis que le baryténor est un phénomène oublié, qui depuis que l’opéra existe se cache à la vue de tous au sein de différents ouvrages ». Il retrace _ superbement _ l’histoire de cette voix ample et malléable depuis le XVIIIe siècle _ depuis le baryton-martin de Jean-Blaise Martin (Paris 24 février 1728 – Ternand, 27 octobre 1837) _, démontrant qu’il existe une tradition _ cachée, et méconnue _ de baryténor dans les partitions qui s’est malheureusement étiolée avec le temps. Le terme convient pourtant fort bien à Michael Spyres, d’abord baryton, ayant souhaité devenir ténor après avoir découvert à 21 ans _ en 2000 : Michael Spyres est né en 1979 _ Chris Merritt et Bruce Ford. Il lui aura « fallu cinq ans, à raison de quatre à six heures de travail quotidien, pour y parvenir » _ en 2005 _, selon ses mots lors d’une interview pour France Musique.

Après des années à chercher sa voix de ténor, il est aujourd’hui l’une des voix les plus saisissantes du moment _ voilà : qu’on écoute ce CD ; mais qu’on écoute aussi sa superlative interprétation du Don Ottavio (ténor superlatif !) du Don Giovanni de Mozart à Salzbourg, cet été, sous la direction de Teodor Currentzis ; cf, entre plusieurs autres articles que j’ai consacrés à  Michael Spyres, mon article (avec un lien à la vidéo de l’intégralité de l’extraordinaire spectacle de ce Don Giovanni de Salzbourg 2021 !) du 10 août 2021 : … ; ou celui du 18 août suivant :  _, capable de graves impressionnants pour un ténor, mais aussi d’atteindre des aigus habituellement inaccessibles à un baryton _ mais la performance de Michaël Spyres est bien loin de se réduire à de pures prouesses techniques vocales ; son génie, si fin et délicat de l’interprétation-incarnation des personnages des opéras, est encore plus profond… Difficile dès lors de ne pas être conquis _ certes ! _ par un _ tel merveilleux _ disque, soulignant l’impressionnant _ oui _ ambitus _ un critère quantitatif _ du chanteur et ses infinies _ exceptionnelles _ nuances _ qualitatives, surtout ; et là est bien le principal… D’autant que le programme est riche _ oui _ et _ très _ réjouissant, mais aussi _ parfaitement _  pédagogue _ absolument : Michael Spyres ayant le plus grand souci de la justesse d’intelligence d’écoute du public, à la scène comme au disque… Baritenor s’ouvre ainsi par « Fuor del mar », de l’Idomeneo de Mozart _ rôle créé à Munich le 29 janvier 1781, pour la première de cet Idomeneo de Mozart, par l’immense ténor Anton Raaf (1714 – 1797) _, et sa musique vive capte instantanément l’auditeur : Michael Spyres a cette capacité de raconter _ excellemment _ ce qu’il chante _ oui ! _, de transmettre la psychologie et l’histoire de la partition _ voilà. Le disque poursuit avec un extrait des Noces de Figaro, « Hai gia vinta la causa », plus sombre dans la partition du personnage _ du comte Almaviva _, tandis que l’air de Don Giovanni « Deh, vieni alla finestra », lui aussi superbement interprété, se révèle charmant et charmeur _ deux rôles pour baryton… Retour au registre de ténor avec « Ô Dieux ! écoutez ma prière » de _ l’Edgard de _ l’Ariodant de Méhul _ créé le 11 octobre 1799, à Paris, avec Jean-Pierre Solié dans le rôle d’Edgard _, enregistré _ ici _ en première mondiale _ en effet, l’édition discographique est loin d’exploiter toute la richesse du grand patrimoine musical français… Il s’agit également de la première incursion _ en ce CD ; mais pas dans la discographie de Michael Spyres ; cf par exemple ses magnifiques Troyens (en 2017) et Damnation de Faust (en 2019), de Berlioz, avec John Nelson, toujours pour Erato… _ de l’artiste _ qu’est Michael Spyres _ dans le registre français qu’il sert à merveille _ oui ! _ et où il excelle _ vraiment ! _ : la diction _ si fondamentale pour tout le chant français… _ est superbe _ absolument ! Les élans musicaux _ oui _ sont ici comme des vagues déferlantes et viennent happer l’auditeur, tandis que le cœur est saisi de pitié. Cette perfection de la diction se retrouve dans tout le disque _ oui _, et notamment dans la _ bouleversante _ version française de Lohengrin et de son « Aux abords lointains ».

Le « Largo al factotum » (le podcast a une durée de 5′ 13) de Figaro (Le Barbier de Séville) est particulièrement savoureux _ oui _  : jouant avec les multiples couleurs de sa voix _ ici en registre de baryton _, Michael Spyres l’ensoleille, l’assombrit, lui confère une palette chromatique époustouflante _ voilà ! _, et s’amuse à prendre des voix différentes. Le jeu et l’interprétation transpirent _ avec grâce _ à chaque seconde, pour rendre l’air particulièrement vivant _ comme il convient parfaitement au personnage de Figaro...

L’impression de saisir un tableau en cours d’exécution se retrouve également dans les _ superbes et marquants _ extraits d’Otello _ de Rossini : créé le 4 décembre 1816, à Naples, avec le grand ténor Andrea Nozzari (1776 – 1832) dans le rôle d’Otello _ qui permettent d’entendre aussi en second plan le Iago de Sangbae Choï, mais aussi le chœur de l’Opéra national du Rhin, qui intervient à plusieurs reprises dans le disque, comme « Mes amis, écoutez l’histoire » (Le Postillon de Lonjumeau _ créé à Paris le 13 octobre 1836, avec Jean-Baptiste Chollet (1798 – 1892), ici ténor, dans le rôle de Chapelou _), « Pour mon âme » (qui suit « Ah mes amis, quel jour de fête ! », de La Fille du régiment _ créé à Paris le 11 mars 1840, avec le ténor Mécène Marié de l’Isle (1811 – 1879) dans le rôle de Tonio  _) ou encore « Va pour Kleinzach ! » (Les Contes d’Hoffmann _ créé à Paris le 10 février 1881 _). À la fois puissant et homogène, le chœur offre ainsi un beau répondant au baryténor, qui poursuit son voyage dans ce large registre. Si l’on apprécie les rôles aujourd’hui traditionnellement proposés aux barytons, le registre de ténor n’est pas en reste avec « Mes amis, écoutez l’histoire » qui déploie des aigus sans cassure entre les graves et les mediums. Quant à la couleur solaire et mordorée de l’extrait de La Fille du régiment, elle gomme _ mais oui _ l’impression d’effort que l’on ressent parfois dans la montée en force _ que n’avait pas réussie Marié de l’Isle le soir de la création, le 11 mars 1840… _, et elle convoque les souvenirs de certaines des plus grandes voix désormais immortelles.

Son Hoffmann prend une couleur ombragée, noire, et noble, avant que son Lohengrin français ne s’engouffre dans le romantisme wagnérien. La langue allemande est aussi présente avec « O Vaterland du machst bei tag »… « Da geh ich zu Maxim » (La Veuve joyeuse) et clôture _ avec une extraordinaire intensité _ le disque avec « Glück, das mir verblieb » (La Ville morte _ créée à Hambourg le 4 décembre 1920, avec le ténor Richard Schubert (1885 – 1959) dans le rôle de Paul _). Là aussi, la voix caméléon de Michael Spyres lui permet de briller _ merveilleusement ! _ et de s’inscrire comme une évidence _ absolument ; quel artiste !!!

Le livret permet non seulement de découvrir les mots de Michael Spyres, d’en apprendre davantage sur ce qu’est un baryténor et l’histoire de ce type de voix _ et c’est tout à fait passionnant ! _, mais il offre aussi les textes traduits des airs – non pas dans leur ordre d’écoute, mais en les regroupant par langue (à l’exception de « Voilà ce que j’appelle une femme charmante » _ de L’Heure espagnole, de Maurice Ravel _ intercalé entre deux textes allemands, ce qui semble être une erreur). Un système de couleur, à la fois simple et ingénieux _ en blanc, pour la voix de ténor, et en bleu, pour la voix de baryton _, permet par ailleurs _ en effet _ d’identifier quels airs relèvent de la tessiture de baryton ou de ténor.

Un mot enfin sur l’Orchestre philharmonique de Strasbourg _ déjà présent pour les superbes enregistrements discographiques de Michael Spyres des Troyens et de La Damnation de Faust, de Berlioz : sous la direction de John Nelson, en 2017 et 2019… _ qui donne le meilleur de lui-même sous la baguette de Marko Letonja, parvenant à suivre toutes les couleurs _ somptueuses : voilà… _ du soliste. Avec une dextérité sans faille, l’ensemble instrumental propose des nuances tout aussi changeantes que peut l’être la voix de Michael Spyres, et devient un formidable compagnon de jeu _ le mot est très juste _ pour le baryténor.

A noter qu’un concert « Baritenor » sera notamment donné le 5 novembre 2021 à la salle Érasme du Palais des congrès et de la musique de Strasbourg, puis au Théâtre des Champs-Elysées le 19 mai 2022. De quoi prendre plaisir à (re)découvrir en direct depuis la salle, à la fois ce programme, cette voix et surtout cet artiste _ tout à fait, en effet _  impressionnant.

Elodie Martinez

À suivre :

je compte ainsi revenir un peu plus précisément sur l’historique des divers chanteurs _ et divers rôles interprétés _ sur les exemples-jalons desquels s’appuie, en ce CD, Michael Spyres, en son passionnant parcours anthologique, d’entre 1781 (la création d’Idoménée, à Munich) et 1937 (Carmina Burana, à Francfort), de l’ambitus magnifique _ plus encore qualitativement, par ses nuances, que quantitativement, par son étendue… _ de cette voix jusqu’ici encore mal identifiée, de « baritenor« ,

que lui sait, ici, si magnifiquement incarner par son très subtil _ à la fois très délicat et très puissant _ art…

Et en toute modestie, un art exemplaire…

Un travail _ et pas seulement discographique… _ qui fait incontestablement date.

Ce vendredi 22 octobre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

P. s :

Voir aussi ce petit article _ que j’ai essayé de traduire en un français un peu moins macaronique et un peu plus intelligible que l’original, probablement italien… _ abordant la caractérisation et l’historique de cette voix de « baritenor » (en France « taille) » :


baritenor (ou ténor, baryton ou, en France, Taille)

Est le type de voix de ténor couramment employée dans les œuvres du Baroque des XVIIe et XVIIIe siècles, et qui est demeuré sur la scène jusqu’aux premières décennies du XIXe siècle.

TRAITS

BARITENORI CÉLÈBRES

BIBLIOGRAPHIE

  • Rodolfo Celletti, Histoire du bel canto, Discanto Editions, Fiesole, 1983 passim
  • Salvatore Caruselli (ed) Grande encyclopédie de l’opéra, Longanesi Périodiques C. S.p.A., Rome, à nomen ( «  », « Contenu baryton »)
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