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Le « désir-monde » du désir face à ses pièges : Clément Rosset à la rescousse des élans de Daniel Mendelsohn et de Régine Robin

18fév

La double lecture des puissants « L’Étreinte fugitive » de Daniel Mendelsohn et « Mégapolis _ les derniers pas du flâneur«  de Régine Robin, continue de me travailler ;

et m’amène à (continuer à) creuser un peu plus loin ou plus avant  _ et ici même, sur ce clavier, ce blog et cet écran _ la question des conditions du désir ;

je veux dire

la situation du désir,

avec ses divers tenants et aboutissants _ à l’infini, en fait… _

face aux pouvoirs auxquels immanquablement ce désir-ci, ou désir-là, a à se heurter,

par ce qu’il vient, en son bougé même (forcément…), « gêner » et « déranger », pour les autres (rarement complètement indifférents à ce jeu-là ; et donc « neutres »…) ;

comme, aussi, et en même temps, nécessairement, face aux propres efforts de soi-même (ou « Moi«  ?) pour « faire avec » lui ;

lui = lui, le désir (venant nous traverser de son mouvement, de sa flèche : d’où l’image d’un « Eros archer« …) ;

« faire avec » lui, le désir, donc,

en sa réalité toute matérielle filante, échappante, traversante

(et renversante, à commencer par les corps ; et pour commencer le sien ! ;

sinon foudroyante, même, parfois… : le mot même de « désir », on a fini par s’en re-souvevenir, a rapport aux astres _ « sidera » _ ; aux étoiles, « filantes » donc ; avec leur terriblement puissante « attractivité »…),

menant toujours (et poïétiquement !) plus loin et plus avant _ plus outre… _ qu’au (prosaïque = « po-pote » !) « ici et maintenant » (de nos habitudes installées = tendant à la simple répétition…) ;

et « faire avec » lui, toujours, le désir, toujours en quelque façon difficilement nommable (ou « Ça«  ?) et repérable, nonobstant son incroyable obstination, une fois, du moins, qu’on l’a identifié, reconnu (et nommé ! baptisé !), qu’on s’est, si peu que ce soit, « familiarisé »

_ mais est-ce jamais tout à fait réellement (et vraiment !) le cas : une « familiarisation » ?.. _

avec lui ;

et qu’on a, si peu que ce soit, aussi, « consenti » à sa réalité (de désir désirant),

et qu’on lui confère alors, par là même, par cette prise en considération (ou « considération » tout court _ cf toujours l’étymologie !!! _) un minimum de légitimité, au moins personnelle

_ ce qui n’advient peut-être pas dans le cas du « refoulement » (inconscient, ne pas le perdre de vue ; et pas pré-conscient ! il « résiste » à la prise de conscience ; et suscite bien des dénégations…) au cours de ce que Freud identifie comme « névrose » ; et demeure fort répandu ; pour se référer à la taxinomie feudienne..

Daniel Mendelsohn comme Régine Robin ont une filiation, en amont, est-européenne :

à Bolechov, en Galicie (arrondissement de Stanislavov _ qui fut en Pologne, puis en Autriche, puis en Pologne, puis en URSS, et maintenant en Ukraine), pour le premier (cf « Les Disparus« ) ;

à Mínsk Mazowiecki _ apprend-on très incidemment et sans autre précision au détour (très anodin) d’une page (314) du chapitre « Rivadavia y rincón : secret de famille », qui sert de conclusion à la « Quatrième partie : Buenos-Aires _ la ville de l’outre-Europe »  de « Mégapolis » _, en Mazovie, la province même de Varsovie, en Pologne, pour la seconde : c’est le 21 juillet 1942 que furent raflés les Juifs de cette ville, pour être exterminés « à Treblinka« , page 314, donc.

Pour l’un comme pour l’autre, et sans que jamais cela soit dit, pouvoir échapper à la nasse est vital ;

vital à leur respiration quotidienne la plus élémentaire même ;

et constitutif de leur « être-au-monde » fondamental…


Le souffle qui parcourt si magnifiquement ces livres

est ainsi le vent (porteur et fécond) de la liberté !


L’un comme l’autre, Daniel Mendelsohn comme Régine Robin, sont perpétuellement des « décalés »,

détestant tous les ghettos, tous les enfermements, tous les pièges

_ peut-être y compris familiaux ; du moins trop étroitement familialistes…

Même si, et il faut bien le noter, Régine Robin dédie « Mégapolis« , page 7, à sa « petite-fille Rebeccah, future flâneuse de Londres » ;

« Mégapolis« , ou, très montaniennement (cf le merveilleux avis « Au lecteur » à l’ouverture des « Essais« ), « la ville comme autobiographie«  _ le dernier mot de sa présentation de son livre, page 28 (et pudiquement retiré de la citation de ce paragraphe, en quatrième de couverture :

cf mon article « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« ) ;

et même si Daniel Mendelsohn adore sa famille, et tout particulièrement ses trois frères, Andrew, Matthew, Eric, et sa sœur, Jennifer _ à la page 643 des « Disparus« , au moment des remerciements, il a des mots particulièrement merveilleux, que j’ai à cœur de citer in extenso ici même :

« Un livre qu’il a fallu cinq ans _ et plus, en fait _ pour achever, n’aurait pas pu être écrit sans le soutien et l’encouragement de nombreuses personnes ; et c’est un grand plaisir pour moi que de témoigner ma gratitude envers ceux qui le méritent tant« , commence-t-il.

Et tout de suite : « Ce livre est un livre consacré à ma famille ; et ma plus grande dette, à tous égards _ merci d’être né ! et d’avoir été élevé, éduqué, et aimé ! _, est et a toujours été vis-à-vis de ma famille :

tout d’abord et surtout vis-à-vis de mes parents, Marlène et Jay Mendelsohn, qui ont encouragé les enthousiasmes bizarres de mon enfance (« la table d’Athéna » ; les excursions photographiques au cimetière) ; et qui, depuis lors, ont dépensé sans compter _ ce point est capital : la générosité ; l’amour (sans fond) et à perte ! _ leur temps _ oui !!! donner de son temps à qui on aime… _, leurs souvenirs et bien d’autres choses encore pour moi ;


puis, vis-à-vis de mes frères et de ma sœur, et leurs épouses et époux, qui ont été, comme ces pages l’ont montré, non seulement des supporters enthousiastes, mais aussi des participants actifs et constants du projet Bolechow : Andrew Mendelsohn et Virginia Shea ; Matt Mendelsohn et Maya Vastardis ; Eric Mendelsohn ; Jennifer Mendelsohn et Greg Abel _ leurs noms sont cités in extenso.


Il serait toutefois injuste de ne pas souligner ma gratitude profonde _ toute particulière, ici _ envers Matt _ l’auteur de la plupart des nombreuses photos qui composent aussi « Les Disparus » _, dans la mesure où il a collaboré pleinement à ce projet, du début jusqu’à la fin _ et continue ! en ses « suites… : cf les expositions des photos de Matt Mendelsohn, accompagnant les présentations des « Disparus » par son frère Daniel, de par le monde, comme au Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffrioy l’Asnier, à Paris, par exemple… _ ; le récit _ = « a search« , une quête tout autant qu’une enquête ! _ conté dans ce livre doit tout autant à lui qu’à moi ; et pas seulement parce que tant de pages de ce livre donnent la preuve de son talent _ de regardeur (et saisisseur d’images) _ extraordinaire.

Si je dis qu’il a une façon magnifique de voir les choses, je fais référence à quelque chose de plus que son œil de photographe professionnel ; au bout du compte, sa profonde humanité _ le mot va (et considérablement !) loin : « bien faire l’homme« , dit notre Montaigne, quand tant le font si vilainement… (= non « non-inhumainement » !..) ; et il s’agit ici de la « profonde humanité » de Matt _ s’est inscrite dans les mots _ du livre : ceux, en aval, de Daniel _ autant que dans les images _ de Matt lui-même… Parmi tout ce que j’ai trouvé au cours de ma quête, il _ Matt ! _ est le plus grand trésor«  : quel hommage !

et compte-tenu de ces considérants-là,

nos deux auteurs, Régine Robin et Daniel Mendelsohn, sont des chercheurs (et au plus concret de leur propre existence _ et œuvre, si étroitement mêlée à elle ; comme cela se doit) de liberté ; c’est-à-dire de l’épanouissement de la puissance humaine de chacun, pour reprendre l’analyse la plus riche et la plus juste de ce qu’est la liberté, je veux dire celle de Spinoza dans l' »l’Ethique« ….

Avec le critère décisif _ qui s’éprouve (et pas sur commande ! pas instrumentalement !) _ de la joie…


Aussi, voudrais-je mettre en regard de la finesse (et justesse) de leurs analyses _ tant dans « L’Étreinte fugitive » et « Les Disparus« , pour lui, que dans « Mégapolis » et  » « Berlin chantiers« , pour elle,

la très belle analyse du désir _ et aussi de la joie (et de l’amour) _ que propose le très fin (et toujours bref, aussi !) _ Clément Rosset,

dans un bien beau (et si juste, comme toujours !) récent texte de 30 pages en tout et pour tout ;

+ un « Avant-Propos » de même pas deux pleines pages… qui n’est ni plus ni moins que le récit de ce « rêve«  effectué, si j’ose ainsi le qualifier, « dans la nuit du 30 au 31 mai 2007 »  qu’évoque le titre de ce petit essai _ page 7 ;

et « l’écrit qui (le) suit » n’étant, en sa teneur, « que le strict développement (sic) de ce plan _ à toute vitesse brossé dans le rêve _, quelque chose comme son passage à l’acte«  ;

avec, à peine encore, cette ultime infra-précision concernant cet « écrit«  : « Il n’est ainsi que la simple réalisation d’un rêve _ de philosophe _ ; revu et développé certes mais ni revu ni tronqué« 

_ soit comment l’inspiration philosophique, chère Marianne Massin (auteur d’un « La Pensée vive _ essai sur l’inspiration philosophique« ), peut advenir jusque dans l’activité nocturne du rêve au cours du sommeil !.. _ ;

il s’agit de

« La Nuit de mai« , paru le 14 février 2008, aux Éditions de Minuit…


Je me permets d’en retenir ceci :


D’abord cette parole (de « conseil » _ de « quelqu’un » ! _ à propos d’« une conférence sur « le désir »«  que Clément Rosset pense devoir (« il me faut«  !) « prononcer dans l’après-midi«  même, à Nice ; je reproduis in extenso le passage de la page 8 :

« Or voici que quelqu’un (que je n’identifie pas dans le rêve, mais à qui je me sens très redevable dans la réalité) me prend à l’écart pour me dire : « C’est pourtant bien simple. Il suffit de montrer que le désir est quelque chose de très compliqué, ou plutôt de très complexe _ c’est beaucoup mieux, en effet ! On ne désire jamais quelque chose _ d’unique, séparé d’un contexte _, mais une pluralité _ en quelque sorte « ouverte »… _ de choses.

Evoquez en passant Deleuze

et concluez avec Balzac.

Le début ? Eh bien, il n’y a qu’à parler du « Combray » de Proust, de la petite madeleine. »

Pour la référence au « Combray » de Proust _ une Bible, en effet ! _, voici la source vive, donnée page 13 :

« Comme dans ce jeu où les Japonais _ cf une très belle scène du film « Domicile conjugal » de François Truffaut _, s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque là indistincts qui, à peine y sont-ils trempés, s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables ;

de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du jardin de Monsieur Swann _ « Combray » constitue le (grand !) chapitre d’ouverture de « Du côté de chez Swann » _, et les nymphéas de la Vivonne,

et les bonnes gens du village et leurs petits logis _ tout se précipite et accourt _ et tout Combray et ses environs,

tout cela qui prend forme et solidité,

est sorti,

ville et jardins, de ma tasse de thé«  _ page 13 de « La Nuit de mai« …

Clément Rosset commente : « Autrement dit Combray n’est pas en soi, ou à lui seul, un objet _ séparé, individualisé et, statiquement, coupé du reste _ de joie ou un sujet de désir (en l’occurrence rétroactif, comme il advient toujours chez Proust), mais la somme _ et même le produit, la multiplication proliférante et féconde _ des joies et des désirs connotés par l’enfance de Proust _ ou plutôt « Marcel » seulement, le narrateur de la « Recherche » ; et pas directement, du moins, l’auteur, Proustà Combray. (…) Je suggère qu’un objet d’amour n’est jamais _ pour qui le ressent et l’éprouve, cet « ob-jet«  _ seul _ statiquement, en quelque sorte ; et figé… _ mais toujours accompagné (…) d’un ensemble de facteurs favorables _ dynamiques, dynamisant _ qui le favorisent _ en son statut même d’objet désiré _ et lui tiennent lieu, comme pour un mets réussi _ c’est-à-dire véritablement « appétissant »  et « réjouissant » _, d’excellente et nécessaire _ oui ! _ garniture«  _ comme la dynamique des guirlandes des notes bien mal nomméees « d’accompagnement« , et de leur jeu, surtout, improvisé, dans l’interprétation de la musique baroque, ou dans le jazz, ou dans tout vrai concert euphorisant ; et pas seulement dans les cadences dont je parlai hier à propos de celles de l’éblouissant Martin Fröst dans les œuvres concertantes pour clarinette solo (virtuose) de Weber, à propos de la vertu charmeuse de l' »élégance »…


Le propos de Clément Rosset _ page 15 _ sera donc de formuler « les raisons pour lesquelles un bonheur, s’il est seul, est moins une marque de joie qu’un symptôme dépressif » _ cf du même Rosset : « Route de nuit _ Episodes cliniques« 

« A mes yeux _ précise alors Clément Rosset _ la joie parfaite (que j’ai appelée « force majeure« ) ne se contente pas d’un accompagnement idoine _ et refermé sur lui ; clos ; sécurisé ! garanti à tous égards (y compris contractuels) !!! _ mais exige _ eh oui ! _ un accompagnement plus général _ et festif, s’il vous plaît ! _, englobant l’approbation de toutes les choses dont on peut avoir l’expérience » _ cf Montaigne, ce maître ès joie, au final de l’essai « bouquet-final » lui-même des « Essais« , « De l’expérience« , Livre III, chapitre 13 : « Pour moi donc, j’aime la vie et la cultive _ activité capitale ! sinon, on « perd«  son temps !.. en laissant « couler et échapper«  sa vie… _ telle qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer. (…) On fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser _ pour quelque détail qui déplaît _ de refuser son don, l’annuler et défigurer. Tout bon, il a fait tout bon. » Ce que Georg-Friedrich Händel traduit, au final magnifique (peut-être le sommet de tout l’œuvre haendelien) de l’acte II de son « Jephtah« , en 1752, par ces paroles puissantes de l’immense chœur : « Wathever is, is right. » Et que Nietzsche nomme l’épreuve (cruciale) de « l’éternel retour (du même) »..

« Etre amoureux, continue Rosset, signifie qu’on est amoureux de tout, comme l’exprime si bien _ oui !!! l’expression est magnifique ! _ un amant dans une pièce du dramaturge latin Trabea : « Je suis joyeux de toutes les joies » _ « omnibus laetitiis laetum » », page 15.


Plus loin, page 18 :  » Ce que j’ai dit jusqu’ici de la joie peut naturellement se dire aussi du désir, pour cette raison _ que je me permets de partager pleinement ! _ que joie et désir sont des termes complémentaires qui frisent l’identité. L’homme joyeux désire (et à la limite désire tout) ; le triste ne désire guère (et dans les cas de tristesse aiguë, c’est-à-dire de dépression, ne désire _ carrément _ rien). L’amour étant la forme la plus intense du désir _ oui ! _, La Fontaine _ que je pense connaître un peu pour avoir avec un peu de soin construit la majeure partie du programme du CD « Un portrait musical de Jean de La Fontaine« , en 1995 (paru chez EMI en mars 1996, par La Simphonie du Marais, dirigée par Hugo Reyne) ; et écrit le texte du livret de présentation de ce beau programme _ ;


La Fontaine _ un des sommets de l’Art français... _ résume en quelques mots l’identité du désir et de la joie lorsqu’il écrit, au début des « Animaux malades de la peste » : « Plus d’amour, partant, plus de joie ».«  Et « de même que la joie ne saurait surgir _ oui ! à l’occasion d’un seul motif _ qui lui a donné de son mouvement (ascendant : jusqu’à atteindre le plan _ a-temporel, lui _ de l’éternité) _, le désir ne peut naître _ sourdre _ que s’il vise, non un seul objet _ et c’est tout ! _, mais un objet auréolé _ dynamiquement, en quelque sorte _ d’autres occasions _ sourcières _ de plaisir _ ou plutôt « joie«  (…) Ce qui doit finir, surtout lorsqu’il doit incessamment finir, n’a jamais eu aucun goût. Cioran le répète sous une forme ou une autre : ce qui doit finir est déjà fini. Nul n’a jamais désiré quoi que ce soit, si ce quelque chose n’est pas répétable à merci, au moins en imagination, et moyennant _ aussi, en effet ! _ quelques variations, comme le dit Leibniz dans la « Théodicée« , qui contient curieusement une première version du retour éternel nietzschéen : « Je crois qu’il se trouverait peu de personnes qui ne fussent contentes, à l’article de la mort, de reprendre la vie, à condition de repasser par la même valeur des biens et des maux, pourvu que ce ne fût point par la même espèce : on se contenterait de varier sans exiger une meilleure condition que celle où l’on avait été ». »

Ce que Clément Rosset commente ainsi, page 20 : « Autrement dit, l’accomplissement d’un désir n’a de sens que s’il est accompagné de la perspective _ ouverte ! _ de mille autres accomplissements du désir.« 

Car « en réalité l’objet désirable n’est désiré que si l’accompagne la perspective _ dynamisante _, même fugace _ et c’est son jeu qui nous charme ; même au prix de déceptions répétées _, d’une multitude d’autres objets désirables _ eux aussi _ ; que dans la mesure où il est mobile ; où il ne tient pas en place _ l’enfer, c’est l’immobilité d’un huis-clos : généralisant l’horreur (médusante) du pratico-inerte sartrien !  _, tel un vif-argent.

Le désir est
_ très freudiennement, même si Clément Rosset ne l’aborde pas ainsi ici _ dans le déplacement ; lequel Clément Rosset préfère se référer, page 21, au « De natura rerum » de Lucrèce : « Vénus est « vulgivaga » _ au vers 1071 _ : c’est une vagabonde qui saute sans cesse d’un lieu à l’autre.« 


C’est que « sans ce que j’appellerai le combustible _ adjuvant dynamiseur conditionnant et entretenant le feu _ du désir, c’est-à-dire tout un mélange d’autres désirs et de raisons de désirer _ soit tout un monde !!! ; où tout élément renvoie, d’une façon ou de mille autres, à mille autres éléments ayant un semblable pouvoir (kaléidoscopique !) _, le désir _ plombé ! _ ne décolle pas« , page 27…« Or, ce combustible est précisément ce qui fait totalement défaut au déprimé. Il perçoit bien qu’une prise de taille s’offre à lui. Pourtant il n’en a, à strictement dire, rien à faire : parce que cette prise, « isolée », n’aura ni témoin ni observateur _ ni rebondissement éventuel, ni jeu d’ouverture _, tel un spectacle merveilleux qui n’aurait pas de public. A quoi bon ?  : c’est l’éternelle rengaine du dépressif« , page 27 aussi…

Voilà ce jeu ouvert (et joyeux) du désir qui plaît aussi tant à Daniel Mendelsohn, qu’à Régine Robin, en leurs villes ouvertes… Même si le désir peut, à l’inverse, être menacé de danse de Saint-Guy…

Un monde a certes besoin d’ouvertures et de perspectives de rebonds _ et de filiations, en aval (et pas seulement en amont), ainsi que de vraies œuvres ;

mais il a besoin aussi de sujets ayant du répondant, avec une capacité vraie de converser (autre que mécanique _ cf les répondeurs automatisés…) _ pas seulement de (beaux) mannequins (avec lunettes noires Armani, ou autres : mettre ici tous les noms _ interchangeables _ qu’on voudra ; et en I, et en A…) ;

il a besoin, pour être un « monde » réel (et pas rien que virtuel), d’amitiés et d’amours vraies entre des sujets qui en soient eux aussi vraiment, en leurs principaux actes, du moins ; et pas de commodes objets _ ou pures silhouettes, ou sacs de son _ qu’on pourra systématiquement « éluder » (un clou chassant l’autre…) ;

avec de vraies confiances ; et constances ; et fidélités…

On y discerne aussi tout ce qui distingue la vraie plasticité _ qu’analyse la philosophe Catherine Malabou, par exemple dans « Que faire de notre cerveau ? » _ ; de ce l’on cherche à tout prix à nous fourguer sous la scie prétexte de « flexibilité » managériale…


Et il me semble que tout cela se lit aussi dans les dangers que soulignent, sans les négliger, à « bien » les lire, ces œuvres profondes et importantes (et éminemment cultivées…) de Daniel Mendelsohn _ « L’Étreinte fugitive » et « Les Disparus » _ et de Régine Robin _ « Berlin chantiers » et « Mégapolis« …

Titus Curiosus, ce 18 févier 2009

De l’élégance : l’oeuvre de clarinette de Carl Maria von Weber (par Martin Fröst) ; et l’oeuvre de portraits d’Antoon Van Dyck

17fév

En ces temps un peu rudes, et passablement chahutés, avec bien de la vulgarité dans les manières,

je propose deux petites cures de touche d’élégance : l’une, plastique (picturale) ; l’autre musicale _ même si les œuvres dont il s’agit sont d’époques dissemblables.

Il s’agira, d’une part, de l’interprétation éblouissante du clarinettiste Martin Fröst, avec, merveilleusement au diapason, le Tapiola Sinfonietta, dirigé de façon particulièrement sensible, juste et vivante, par Jean-Jacques Kantorow, des deux « Concertos pour clarinette« , opus 73 & opus 74 ; du « Concertino pour clarinette & orchestre« , opus 26 ; ainsi que d’une adaptation pour orchestre à cordes _ par les soins de Jean-Jacques Kantorow _ du « Quintette pour clarinette et quatuor à cordes«  opus 34, de Carl Maria von Weber (Eutin, près de Lübeck, 18 novembre 1786 – Londres, 5 juin 1826) _ en un sublime CD BIS-SACD-1523 « Weber Clarinet Concertos & Quintet«  ;

et d’autre part du livre-catalogue de l’exposition qui vient de s’achever au Musée Jacquemart-André (du 8 octobre 2008 au 25 janvier 2009) « Portraits d’Antoon Van Dyck » (Anvers, 22 mars 1599 – Londres, 9 décembre 1641) : « Antoon Van Dyck  _ Portraits« , sous la direction d’Alexis Merle du Bourg, publié par le Fonds Mercator…

C’est à l’occasion de la parution d’un nouveau CD de l’excellent clarinettiste suédois Martin Fröst, dans l’excellent catalogue _ suédois aussi _ Bis, je veux dire le CD « Crusell Clarinet Concertos« , avec le Gothenburg Symphony Orchestra, dirigé par Okko Kamu,

que j’ai passé en revue les CDs en ma possession de ce clarinettiste _ sur le dessus du panier desquels je place aussi  le CD (de chambre, cette fois) « Brahms Clarinet Sonatas & Trio« , par Martin Fröst, donc et Roland Pöntinen, au piano, et Torleif Thedéen au violoncelle : une splendeur aussi ! _,

que j’ai rencontré l’enchantement de ces interprétations-ci de ces œuvres-là de Weber

_ composées en 1811 pour le « Concertino » et les deux « Concertos« , et de 1811 à 1815 pour le « Quintette » ;

et toutes dédiées au « premier clarinettiste de Sa Majesté le Roi de Bavière« , l’exceptionnel Heinrich Baermann (1784-1847).

Par exemple, l’Allgemeine Musikalische Zeitung d’octobre 1819 déclare :

« Monsieur Baermann joue avec infiniment de délicatesse et de grâce ; la suavité de son piano et le decrescendo opéré en retenant le son lui gagnent le cœur des dames« …

Quant à Weber, voici ce que lui-même écrivait à son interprète de prédilection à l’occasion de sa fête, la Saint Henri, le 15 juillet de cette année 1811 :

« Les souhaits se bousculent en moi

comme fenouil, comme cumin et coriandre,

Je ne sais par quoi commencer,

Je suis , pour ainsi dire, troublé par l’émotion.
Je vous souhaite avant tout une langue diabolique,

A laquelle se rattachent des poumons infatigables,

Les lèvres, aussi durables que le cuir,

Les doigts aussi souples que les ressorts d’une horloge 

(…)

Munich, le quinze juillet

Le nom du saint du jour du génie de la clarinette. »

« Depuis que j’ai composé le « Concertino » pour Baermann _ créé à Munich le 5 avril 1811 _, tout l’orchestre est emballé ; et veut avoir des « Concertos » de moi« , écrit Weber le 30 avril…

Le livrettiste du CD, Jean-Pascal Vachon, écrit :

« Le premier « Concerto pour clarinette », opus 73, achevé dès le 17 mai 1811, sera créé le 13 juin à Munich ; alors que le second, opus 74, sera créé le 25 novembre, toujours à Munich _ et, toujours, bien sûr, par Baermann, son dédicataire _ ; et, selon le compositeur, joué « divinement » par ce même Baermann. Le compositeur et le soliste présenteront également ces concertos à Prague et à Berlin« …

Tous ces qualificatifs s’appliquent à la performance ici de Martin Fröst, porté à une incandescence (juste !) _ jusque dans les trois cadences improvisées (magnifiques !!!) à l’enregistrement par le clarinettiste dans les trois œuvres concertantes ! _ par toute la troupe des musiciens du Tapiola Sinfonietta, dirigée par un Jean-Jacques Kantorow tout pareillement « divinement » inspiré !!!

Une merveille dont on ne se lasse pas ! Un charme fou ! La légèreté vive dans la profondeur _ des débuts (encore mozartiens…) du romantisme _ de la grâce… Et je ne dirai rien de la réussite de l’adaptation concertante du « Quintette » par Jean-Jacques Kantorow, captant le génie de Weber même à la source, en quelque sorte…

A côté, les œuvres de Crusell paraissent bien moins inspirées ; et l’interprétation des chefs d’œuvre de Mozart demeure, hélas, cette fois-là, plates… Il faut un tel rassemblement d’énergies et de grâces pour se hisser, lors de l’interprétation, à l’improvisation du créateur aux instants (bénis des Dieux) de la composition _ et de leur écriture, alors _ sans rien dire des cadences à, si possible, improviser au concert, pour le virtuose soliste…Tout doit se mettre au diapason du génie qui dicta la coulée de l’œuvre… Et les auditeurs, aussi, forcément : il leur faut, à eux aussi, une sorte d’ascèse : d’abord en s’efforçant de se couper des bruits toujours trop dissonants _ du moins pour cette grâce-là _ du monde alentour ; ensuite, ce que Baldine Saint-Girons nomme « l’acte æsthétique« …

Quant au choix, au sein de « l’œuvre de portraits » d’Antoon Van Dyck, réuni par l’exposition du Musée Jacquemart-André ; et que présente le livre-catalogue « Antoon Van Dyck  _ Portraits« ,

quelle joie promise celui-ci rend-il au centuple !!!

Cet œuvre (de portraits) d’Anton Van Dyck _ celle d’un homme jeune (sa création, commencée à l’âge de dix-sept ans, en 1616, à Anvers, sera fauchée par la mort en pleine gloire, à la cour de Londres, en 1641 _ est, en effet, contemporain de l’éclosion de la musique baroque, elle-même témoin de l’avènement (progressif, au sortir des guerres de religion) de l’individu, appelé à devenir singulier, brillant et virtuose : artiste…

Ce n’est donc pas pour rien que cette exposition-ci, à Jacquemart-André _ peut se permettre de se concentrer sur le seul « œuvre de portraits » de Van Dyck, au service

et du roi Charles Ier Stuart d’Angleterre ;

et d’une aristocratie _ flamande, gênoise, anglaise _ plus ou moins de vieille souche (jusque, carrément, des « parvenus » que Van Dyck présente en « grands seigneurs » : par exemple l’époustouflant  « Portrait de Philippe Le Roy« , en 1630 (de la « Wallace Collection », à Londres) ; ou le « Portrait d’homme« du « Museu Calixte Gulbenkian », à Lisbonne ;

comme, aussi _ et sans façons _ d’amis peintres : tel le double, merveilleux de vie, « Portrait de Lucas et Cornelis de Wael« , de la « Pinacoteca Capitolina », à Rome…

Me touche tout particulièrement beaucoup, aussi, l’extrême délicatesse du « Portrait de profil de la reine Henriette-Marie« , du « Memphis Brooks Museum of Arts »…

Même si je regrette _ en bordelais que je suis… _ de ne pas avoir trouvé ici le « Portrait de la reine Marie de Médicis » au (bref) moment anversois (4 septembre-16 octobre 1631) de son exil-déchéance, un des joyaux du Musée des Beaux-Arts de Bordeaux…


En son précis et subtil texte de présentation « Du portrait vandyckien » _ aux pages 25 à 41, Alexis Merle du Bourg, commissaire de cette exposition, met l’accent _ voici l’intitulé de ses « chapitres » : « animation et expressivité » et « ennoblissement des modèles et exaltation de la noblesse » _ ;

met l’accent sur l’art de la sprezzatura de Van Dyck :

à propos du sublime « Portrait de Charles Ier « à la chasse », du Louvre, il commente :

« Au sommet de son art, Van Dyck seul parvient à réaliser, à ce degré, la combinaison d‘éthoi contradictoires :

la conscience de la permanence de l’être ; et celle de la fugacité du moment ;

la grandeur ; et la nonchalance ;

la majesté ; et la sprezzatura, cette aisance désinvolte qui résulte du sentiment de sa propre supériorité, dont Baldassar Castiglione, dans son « Livre du courtisan » (1528), l’un des ouvrages les plus influents de la période moderne, fait procéder la grâce.

La notion de sprezzatura, attitude éminemment aristocratique qui caractérise les modèles de Van Dyck vaut aussi pour toute sa peinture qui ne sent jamais l’effort, alors même que l’on sait qu’elle lui en réclama beaucoup. C’est dans l’union des contraires _ l’oxymore, décidément comme principe clef de l’âge dit « baroque » _ qu’il apparaît insurpassé » _ sublime.

On pourra comparer le choix des œuvres de cette exposition ; ainsi que celui d’illustrations complémentaires de ce livre-catalogue « Antoon Van Dyck  _ Portraits » ;

avec celui _ impressionnant en sa richesse _ du beau livre « Antoine van Dyck 1599-1641« , sous la direction de Christopher Brown et Hans Vlieghe, à l’occasion de l’exposition de même titre au « Koninklijk Museum voor Schone Kunsten » d’Anvers (15 mai – 15 août 1999) et à la « Royal Academy of Arts » de londres (11 septembre – 10 décembre 1999), publié aux Éditions Le Ludion & Flammarion :

la grâce de Van Dyck _ artiste majeur  _ est irrésistible…

Titus Curiosus, ce 17 février 2009

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