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Première lecture de « K comme Kolonie _ Kafka et la décolonisation de l’imaginaire » de Marie-José Mondzain

30juin

Je viens d’achever ma toute première lecture

du dernier ouvrage paru de Marie-José Mondzain, K comme Kolonie _ la décolonisation de l’imaginaire,

paru le 21 février 2020 aux Éditions La Fabrique.

Marie-José Mondzain s’est faite la lectrice très attentive de plusieurs ouvrages de Franz Kafka

(Prague, 3 juillet 1883 – Kierling, 3 juin 1924),

dont, prioritairement, La Colonie pénitentiaire ;

mais aussi L’Amérique, Les Recherches d’un chien ;

ainsi, bien sûr, que le Journal.

Et cela, dans la perspective d’une _ d’autant plus implacable que sournoise et assez peu consciente _ guerre des images

(c’est-à-dire rien moins qu’une guerre des représentations, et par tout un chacun, du réel)

concernant,

au-delà des phénomènes de représentation tenant à la colonisation et à la décolonisation _ particulièrement en Afrique _,

le regard sur autrui

(ainsi que sur soi-même _ et toute personne ! _)

dans le quotidien même des relations de travail et de commerce en ce régime capitaliste

dont le déploiement le plus visible et spectaculaire se déroulait aux États-Unis.

D’où le grand intérêt poïétique, au sein de l’aventure d’écriture de Franz Kafka,

du récit (inachevé) intitulé (a posteriori, et posthume) L’Amérique, dans le travail de l’œuvre de Kafka, l’année 1914,

juste avant l’écriture, achevée, elle, de La Colonie pénitentiaire, en 1914 aussi.

Á suivre !

Ce mardi 30 juin 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le défi de la conquête de l’autonomie temporelle (personnelle comme collective) : la juste croisade de Christophe Bouton à l’heure du « temps de l’urgence » et de sa mondialisation

25avr

C’est avec un vif enthousiasme que j’ai la profonde joie de chroniquer ici  le très beau travail de Christophe Bouton, en son riche et combien magnifiquement juste ! essai Le Temps de l’urgence

qui paraît ce mois d’avril aux Éditions Le Bord de l’eau, dans la très intéressante collection Diagnostics _ cf déjà le très remarquable État de vigilance _ critique de la banalité sécuritaire, de Michaël Foessel, chroniqué dans mon article du 22 avril 2010 : Le courage de « faire monde » (face à la banalisation esseulante du tout sécuritaire) : un très beau travail d’anthropologie à incidences politiques de Michaël Foessel…  _, que dirigent Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc.

Christophe Bouton _ homme tranquille, calme et riche de quiétude, au quotidien, dans la vie _ est un philosophe très probe, très précis, ordonné et très clair _ l’analyse de l’Histoire ainsi que celle du Temps constituent la focalisation principale de son œuvre de philosophe _, qui entreprend en ce travail-ci, et d’abord sur le terrain sien de l’analyse philosophique des concepts et des problèmes

_ mais pas exclusivement : « in medias res », pour commencer (pages 7 à 16) ; ainsi que sur le terrain des sciences sociales aussi (aux pages suivantes de son Introduction, « L’Urgence comme fait social total« , « Mise en perspective historique et géographique » et « La Confusion entre l’urgence et la vitesse« , pages 16 à 37 ; puis en un très riche premier chapitre « Extension du domaine de l’urgence« , à ras de ce nous offre l’actualité récente des médias et des sciences sociales, pages 39 à 115) : au point de m’inciter à aller regarder d’un peu près dans les livres qu’il cite assez abondamment de Nicole Aubert, Le Culte de l’urgence, et Gilles Finchelstein, La Dictature de l’urgence : mais leur défaut est de manquer (et même gravement !) de soubassement conceptuel philosophique ! Ce que dit Nicole Aubert de l’« éternité«  est tout simplement consternant ! ; et la focale de Gilles Finchelstein est celle d’un pamphlet politique un peu trop circonstanciel, un peu daté par le contexte de la campagne présidentielle, qui présida à son écriture, en 2012, et visant la (caricaturale, il est vrai) pratique sarkozyenne du pouvoir et des médias… Alors on mesure combien est précieuse et même indispensable la profondeur de champ du regard conceptuel philosophique… _,

qui entreprend, donc,

d’oser envisager des « remèdes » _ concrets et qui soient efficaces ! et pas seulement individuels (ou plutôt personnels), mais aussi collectifs, c’est-à-dire, et à la fois, politiques et juridiques, mais aussi économiques : et cela, à l’échelle tant nationale qu’européenne, pour ce qui nous concerne, nous Français ; mais aussi (et surtout) mondiale, à l’heure de la mondialisation des procédures capitalistes ! _ à la « maladie de l’urgence« 

qui ne cesse, depuis la décennie des années 90 du siècle dernier _ déjà ! _, de répandre, à la plus large échelle et grande vitesse (et accélération) qui soit en une spirale-maëlstrom qui s’auto-alimente et s’auto-accélère elle-même (= un méga-vortex !), l’urgence a « vocation à la mondialisation«  _, ses considérables « dégâts » ;

avec, même, cette très haute perspective, page 245, en ouverture de son chapitre 4 « Arrêt d’urgence ! » :

« On peut même se demander si la mondialisation du capitalisme ne va pas entraîner la mondialisation de l’urgence. Que faire _ demande-t-il donc ! _ pour enrayer ce processus ?.. »

_ le très remarquable chapitre 2, pages 117 à 187, s’intitule « Les Dégâts de l’urgence » ; et ceux-ci sont magnifiquement analysés, ainsi que « la nouvelle barbarie«  (selon une expression empruntée à l’Humain, trop humain, de Nietzsche), qui caractérise leur effet systémique ;

à propos de « l’inquiétude moderne« ,

cf ce que déjà disait Locke de l’« uneasiness » (= mal à l’aise, malaise !) ;

et Christophe Bouton ne manque pas de citer, page 197, ce mot crucialissime (!) de Locke en train de fonder le libéralisme en cette fin du XVIIe siècle : « L’inquiétude (uneasiness) est le principal, pour ne pas dire le seul aiguillon qui excite l’industrie et l’activité des hommes« , dans la fameuse traduction en français de Coste, celle-là même que reprit Leibniz pour l’écriture de ses Nouveaux essais sur l’entendement humain ; Locke nous livre ici rien moins que le malin génie (de marketing !!! : faire désirer, et à perpétuité, ce dont la victime éprouve l’absence-privation comme une souffrance ; et cela sans jamais combler vraiment, par quelque jouissance enfin suffisante !..) à la base de l’ingéniosité capitaliste en train de mettre alors en place ses dispositifs… ;

et qu’est donc l’« urgence » se mondialisant d’aujourd’hui,

sinon cette « uneasiness«  même, considérablement (!) augmentée et accélérée,

par laquelle il s’agissait, déjà alors, de « mobiliser«  à faire travailler et à faire acheter (au-delà d’un simple « consommer«  ou satisfaire des besoins, selon la logique de l’« utile«  : ce n’est d’ailleurs toujours là que le leurre et la « figure de proue«  de ce qui devient carrément une « mobilisation infinie«  ; celle-là même de ce « temps de l’urgence«  généralisée, totale (voire totalitaire…) d’aujourd’hui dont parle Peter Sloterdijk, en sa Critique de cinétique politique : cf page 115…) les malheureux « esclaves«  de cette nouvelle « aliénation ?.. ;

« le comble de l’aliénation temporelle » étant désormais « cette privation totale _ le mot est prononcé ! _ de temps libre et de liberté dans l’usage du temps. L’individu voit son temps quadrillé, compressé, saturé par des tâches multiples (ce qu’on peut appeler la polychronie) au point que le peu de temps disponible qui lui reste ne lui sert qu’à dormir pour tenir bon« , pages 34-35 (et Christophe Bouton d’annoncer alors : « S’agissant de l’origine de l’urgence, on mettra la focale sur le domaine où elle semble la plus intense, l’économie« , page 35…) ;

 

« l’urgence est un esclavage moderne« , conclut page 187 Christophe Bouton sa réflexion du chapitre 2 « Les dégâts de l’urgence« , avec à l’appui un autre mot décisif de Nietzsche : « celui qui de sa journée, n’a pas deux tiers _ vraiment ! _ à soi est un esclave, qu’il soit au demeurant ce qu’il voudra : homme d’État, marchand, fonctionnaire, savant« …) ;

et encore, page 181, cette autre réflexion de Nietzsche (au moment de son séjour à Sorrente, et deux siècles après Locke, dans une optique diamétralement opposée !!!) : « cette agitation s’accroît tellement que la haute culture _ nécessairement ouverte et créatrice ! _ n’a plus le temps de mûrir _ voilà ! _ ses fruits ; c’est comme si les saisons se succédaient trop rapidement. Faute de quiétude, notre civilisation aboutit à une nouvelle barbarie » ; nous y sommes !..

Au final de ce travail passionnant qu’est ce Temps de l’urgence,

il s’avère que ce sont les conditions mêmes les plus concrètes et effectives de la liberté,

dans les activités de travail

comme dans les activités de loisirs,

que cherche à distinguer, mettre en valeur et surtout promouvoir le plus concrètement possible, dans les actes et dans les œuvres tant personnelles que collectives,

l’analyse très précise et superbement ciselée de Christophe Bouton ici.

Et il appert alors que l’alternative à l' »urgence« 

pressante et stressante _ jusqu’au burn-out ;

sur le burn-out, lire le remarquable et magnifique travail de Pascal Chabot, Global burn-out, paru au mois de janvier dernier ; le phénomène du « burn-out » apparaît cité sept fois dans l’essai de Christophe Bouton, aux pages 21, 65, 126, 130, 244, 278 et 291… _


est bel est bien le « loisir«  _ vrai, et sa vraie respiration : « le loisir comme libre modulation des tempos«  par la personne, en artiste de son existence, sa vie, page 34 ;

soit « le loisir, à égale distance de l’urgence et de l’oisiveté« , page 297 ; Christophe Bouton poursuit : « Écoutons Montaigne : « Je hais à quasi pareille mesure une oisiveté croupie et endormie comme embesognement épineux et pénible. L’un me pince, l’autre m’assoupit »«  ; ce même Montaigne (avec quel art des verbes !) de : « Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors… » ;

« le loisir est à comprendre comme un libre usage du temps tout au long du temps quotidien et du temps de la vie » (page 285) ; c’est-à-dire à la fois dans l’activité du travail et dans l’activité du temps libre ;

car, de fait et fondamentalement, « la liberté ne peut être comprise qu’à la lumière du temps _ c’est-à-dire de la modulation la plus souple qui soit, par la personne active, de ses usages. Elle nomme la capacité de l’individu à pouvoir _ très effectivement _ décider, se frayer un chemin _ d’actes et d’œuvres, in concreto _ dans l’arborescence _ ouverte et riche _ de ses possibilités futures« , page 144… ;

et cela, pour, s’y épanouissant dans ses réalisations pleines, éprouver cette joie qui témoigne (Spinoza le montre et l’analyse) que, au sein même du temps, s’éprouve aussi la plénitude inaltérable d’une dimension d’éternité (sur laquelle nul temps à venir n’aura de prise, pour l’amoindrir, la briser, la détruire… L’éternité est l’autre même du temps ; mais elle ne s’éprouve, pour nous humains, que dans le temps ; et dans la gratitude de la vie : dans le temps juste ! musicalement juste !!! même si probablement « il faut (aussi) porter du chaos en soi pour donner naissance à une (telle) étoile dansante«  _,

Et il appert alors que l’alternative à l' »urgence » pressante et stressante

est bel est bien le « loisir« ,

comme Christophe Bouton le démontre parfaitement dans sa superbe Conclusion, Éloge du loisir, pages 283 à 298.

La base en est que « réhabiliter le loisir,

c’est promouvoir, à rebours de l’urgence,

l’idée d’une liberté _ à conquérir et bricoler dans le faire : c’est un art délicat et extraordinairement riche ! _ par rapport au temps« , page 285.

« Il s’agit de penser un libre usage du temps

dans l’activité professionnelle

et dans les loisirs ;

un temps libre pendant le travail _ par exemple « décompresser le temps, assouplir le carcan temporel, freiner la course à la productivité dans l’organisation _ offerte et subie _ du travail« , page 248 _

et en dehors du travail _ à l’envers complet des « industries culturelles » (de crétinisation par le seul divertissement fun) si justement dénoncées par Theodor Adorno, Max Horkheimer et les philosophes de l’École de Francfort.

Le loisir est un temps plus libre,

dans son usage et sa modulation, page 294 _ moduler (c’est un terme musical) est très important…

À terme,

le « loisir au sens de libre usage du temps (…) n’est pas un amusement, un simple passe-temps pour intellectuels _ par exemple… _, il n’est rien moins qu’une des conditions _ sine qua non ! _ de la démocratie et, plus généralement, de la civilisation » _ rien moins ; et c’est tout simplement essentiel ! _, pages 295-296.

Parce que « le loisir est le temps de la réflexion et de la création« ,

car « pour créer des œuvres,

pour les découvrir également _ cf ici, sur l’activité que comporte nécessairement  une vraie « réception » (= pleinement active elle-même, même si cela comporte bien des degrés…), et pas une « consommation » passive et endormie, de ces œuvres : en cette modalité du vivre, importante elle aussi, « dormir«  sa vie est toujours une décidément terriblement mortifère (et assez difficilement rattrapable : on s’y laisse entraîner…) « aliénation » et « barbarie » ! ;

cf là-dessus les magnifiques L’acte esthétique de mon amie Baldine Saint-Girons, et Homo spectator, de mon amie Marie-José Mondzain : deux livres majeurs ! _,

il faut pouvoir disposer de temps

et pouvoir en user librement«  _ les deux : quantitativement et qualitativement ! Et pas l’un sans l’autre !

Sans la liberté vraie de l’usage du temps, il n’y a très vite que vide et gouffre de néant de sens (même si c’est massivement partagé !) ; et que ce soit dans l’ordre du travail comme dans celui du « temps libre » : le sens de ce qu’est « faire » pour un humain, se perd et s’épuise, bercé par le train-train trompeur de la répétition nihiliste des habitudes, dans le forçage massivement subi de la propagande des « besoins« , de l’« utile«  et de ce qui s’auto-proclame « consommation« , voire « civilisation d’abondance » (et « des loisirs«  !) ; et dans la ritournelle endormeuse du cliquetis des roues des wagons sur les rails répétés à perte de vue des habitudes (confortables ou pas) installées ;

sur l’habitude, et a contrario de ce que j’en dit là, un commentaire très intéressant, pages 139 à 142, du livre de Bruce Bégout La Découverte du quotidien _,

est-il précisé page 296.


Et « on peut appeler « tempérance »

_ oui : c’est en effet tout un art (et très effectif )du « tempérer« -moduler. Et la musique et l’art du musicien nous en font ressentir la réalisation ; d’où l’importance vitale de l’aisthesis. ; cf ici les travaux de Jacques Rancière, par exemple dans le passionnant entretien (avec Laurent Jeanpierre et Dork Zabunyan) récapitulatif de son parcours de penser-chercher qu’est La Méthode de l’inégalité ; mais aussi et d’abord dans Aisthesis _ scènes du régime esthétique de l’art _

cette capacité

_ personnelle : à construire peu à peu acte par acte, œuvre par œuvre, en son « expérience » ; se référant à « deux catégories empruntées à l’historien Reinhart Koselleck« , Christophe Bouton indique, page 143 : « tout individu possède, de part et d’autre de son présent _ et lui donnant, les deux, de la perspective… _, un « champ d’expérience » et un « horizon d’attente »… » élargissant considérablement l’espace et la respiration du vécu de ce présent, non seulement « s’ouvrant«  ainsi, mais enrichi de considérable consistance ; ce qui vient s’éprouver dans le déploiement du « créer« … ; cf là-dessus le très beau livre de Jean-Louis Chrétien, La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation _

à bien user de son temps

et à vivre « à propos »« 

_ ici Christophe Bouton cite le fondamental chapitre 13, De l’expérience, du livre III des Essais ; mais sans se référer au merveilleux commentaire des expressions « passe-temps » et « passer le temps » : « J’ai un dictionnaire tout à part moy… » ;

Montaigne disant alors de la vie (et de ce qu’elle offre très généreusement à vivre) : « Nous l’a Nature mise en main, garnie de telles circonstances et si favorables, que nous n’avons à nous plaindre qu’à nous _ voilà ! _ si elle nous presse _ avec, désormais, la pression de ce qui est en passe de devenir le « fait total«  de l’urgence organisée socio-économiquement, tant dans le travail que les loisirs de masse, dans le capitalisme ultra-libéral mondialisé… _ et nous échappe inutilement » ; Montaigne citant alors le Sénèque magnifique (!) de la Lettre 11 (à Lucilius) : « La vie de l’insensé est ingrate, elle est trouble ; elle s’emporte _ dans l’inconsistance _ vers l’avenir tout entière » ;

et Montaigne de conclure ce sublime passage : « Pour moi donc, j’aime la vie et la cultive _ c’est le mot important ! car est bien là tout l’art de vivre « vraiment«  !.. _ telle qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer. (…) J’accepte de bon cœur, et reconnaissant _ Montaigne entonne un chant de gratitude ! _, ce que Nature a fait pour moi, et m’en agrée et m’en loue. On _ = les ingrats qui se laissent emporter dans l’inconsistance de l’urgence factice généralisée _ a fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser son don, l’annuler et défigurer _ voilà ! Tout bon, il a fait tout bon«  ; à chacun d’identifier les responsabilités de ses stress ; et d’ y répondre en conséquence : par la modulation souple (= créatrice !) de ses actes !.. ;

là-dessus, se référer au concept magnifique de « plasticité » superbement analysé par Catherine Malabou, en son La Plasticité au soir de l’écriture _ dialectique, destruction, déconstruction _,

afin de « trouver pour chaque situation le temps juste,

le bon tempo » _ et c’est bien de la musique du vivre (pleinement) qu’il s’agit là ! _, page 297.


On comprend que cette « tempérance » _ comme art du tempo, du temps juste ! _,

assez difficile déjà à conquérir personnellement _ c’est un art subtil et délicat : tout musical… ;

cf la sublime invocation à Apollon et aux Muses au final si poétique des Essais de Montaigne ; mais aussi selon Socrate, in Gorgias 482b… _,

soit aussi chasse gardée socio-économique,

et même assez jalousement :

« la tempérance, un luxe réservé à quelques uns ?« , page 297

_ la liberté des autres en agaçant plus d’un ! Sadisme et masochisme faisant partie intégrante des pulsions humaines, eux aussi sont à tempérer : personnellement, d’une part, mais aussi socialement ; et il arrive que certains, décomplexés, ici se déchaînent…

D’où les ultimes mots _ courageux et de grande ambition socio-politique : pour ce qui est de « trouver des répliques, des résistances à l’urgence« , ainsi qu’il a été dit page 248… _

de l’essai de Christophe Bouton, pages 297-298 :

« Tant que la course à la productivité

ne sera pas _ tant soit peu _ freinée et contrôlée

par des politiques menées aux niveaux national

et international _ et là n’est certes pas le plus facile à inciter et obtenir, dans un régime de concurrence généralisée et exacerbée !.. _,

tant que des contre-normes juridiques _ de droit effectif _

_ cf ici les beaux travaux de Mireille Delmas-Marty, par exemple son tout récent Résister, responsabiliser, anticiper ; ceux d’Alain Supiot, dont L’esprit de Philadelphie _ la justice sociale face au marché total est cité page 280 ; et ceux de Jean Garapon, dont Le Gardien des promesses _ Justice et démocratie est cité page 168… _

ne seront pas opposées à la norme _ de fait _ de l’urgence

_ et Christophe Bouton vient de proposer une panoplie de mesures très précises et concrètes de « résistance«  effective à cette très envahissante « norme de l’urgence«  ;

les quatre « attitudes qui semblent devoir être évitées » et très positivement contrées (en une stratégie de remèdes précis et concrets se voulant aussi justes qu’efficaces), étant, telles que cernées à la page 245, « catastrophisme, banalisation, psychologisation, fatalisme«  ;


pour les remèdes positifs que propose Christophe Bouton,

outre la préventive dénonciation d’« Impasses » dans lesquelles ne pas se fourvoyer, ni s’empêtrer (pages 250 à 258),

ainsi qu’une très opportune démarche de « Démystification«  (pages 258 à 265), avec ses trois rubriques

_ « vraie ou fausse urgence«  (pages 259 à 261, et en trois temps de questionnement méthodique à se proposer : 1) « la question de l’origine de l’urgence«  ; 2) « la question de la menace et de ses effets potentiels«  et 3), « la question de la finalité de l’urgence« ) afin de démêler le vrai du faux en matière d’urgence ;

_ « le Slow Time«  (pages 261 à 264), tel un mouvement commençant à se déployer ;

_ et « l’éducation comme rempart contre l’urgence«  (pages 264-265) un dispositif crucial afin de contrer la « discipline«  de l’urgence : ainsi « l’éducation qui ne laisse pas assez de place à la créativité _ et la formule est encore beaucoup trop timide ! Il faut enseigner les voies libres de la création : artistique, d’abord !.. _ devient une institution de la séquestration, qui fabrique des sujets dociles« , peut-on y lire ;

et pour ma part, l’enseignant (à philosopher !) que je demeure viscéralement, continue de se scandaliser que ce ne sont pas les plus intelligents et les plus créatifs de ses meilleurs élèves qui ont été les mieux reconnus in fine par le cursus des Études français ; ce qui souligne à mes yeux l’inintelligence et l’infécondité que notre pays et notre culture en récoltent aujourd’hui ! ; l’hyper-lucidité de Paul Valéry s’en désolait et révoltait déjà dans les années trente… Cf mon article du 26 août 2010 à propos de la brillante et très riche biographie de Paul Valéry par Michel Jarrety : Vie de Paul Valéry : Idéal d’Art et économie du quotidien _ un exemple… Fin de l’incise… ;

 

on se reportera surtout au sous-chapitre des « Solutions politiques et juridiques » (pages 266 à 281) qui termine le chapitre 4 « Arrêt d’urgence ! » (pages 245 à 281),

avec ses quatre étapes : « la réduction du temps de travail » (pages 268-269), « le droit à la déconnexion » (pages 270 à 276), « pénaliser l’urgence organisationnelle«  (pages 276 à 278) et « réformer le capitalisme » (pages 278 à 281)… ; et c’est bien là-dessus que paraît devoir se focaliser le débat de fond majeur _,

« Tant que la course à la productivité ne sera pas freinée et contrôlée par des politiques menées aux niveaux national et international, tant que des contre-normes juridiques ne seront pas opposées à la norme de l’urgence _ je reprends l’élan de ma phrase _,

 

la reconquête _ ou conquête, plus simplement : a-t-elle donc déjà, jadis, été atteinte ?.. Nul âge d’or n’est perceptible dans le rétroviseur de l’Histoire… _

de l’autonomie temporelle _ des personnes humaines _

sera _ autant personnellement que collectivement, les deux ; et que ce soit dans les conditions (socio-économiques, d’abord) de travail, ou dans les conditions (socio-économiques, elles aussi, ainsi qu’idéologiques) des loisirs, telles qu’elles se présentent massivement proposées (et « proposées«  demeure un euphémisme !) ; et surtout dans les usages enfin libres, parce que libérés (de ce qui, travail et loisirs sans vrai « loisir« , les « presse«  et oppresse ; gare ici aux impostures (et à La Fabrique des imposteurs…) cherchant à nous faire prendre des vessies pour des lanternes…), que nous devons apprendre, geste à geste, œuvre à œuvre, à faire de nos actes ! en de vraies œuvres… _

difficile autant que rare« …

Pour conclure,

je voudrais citer (en la résumant un peu) la superbe conclusion (de l’état des lieux de la situation aujourd’hui) du chapitre « Les dégâts de l’urgence« , pages 186-187, qui met fort bien l’accent sur l’importance de trouver des « solutions accessibles » (page 36) contre « l’emprise de l’urgence » (page 37) :

« En premier lieu, l’urgence (…) se révèle souvent contreproductive. (…) Elle fait naître du désœuvrement dans et et en dehors du travail. (…) Elle engendre une sclérose, une rigidification de l’existence. Elle n’est (…) qu’une mobilité factice.

Le deuxième critère pour disqualifier l’urgence est celui des conditions de la vie bonne. (…) L’urgence permanente (…) sape les conditions d’une vie bonne parce qu’elle s’attaque à la structure même du temps de l’individu à tous ses niveaux : temps quotidien, temps de la vie, temps de l’Histoire. Le temps de l’urgence est un temps de détresse. (…) Être dans une telle détresse, ce n’est pas seulement manquer de ressources temporelles pour mener à bien ses projets ; c’est vivre dans un temps dont le présent est dérobé, le passé déraciné et l’avenir atrophié.

(…) Un troisième type de normativité pour évaluer l’urgence (…) fait appel à (des) notions comme l’œuvre ou la liberté. Toute urgence implique une limitation plus ou moins grande de liberté, qui va de l’interdiction de choisir ses gestes sur une chaîne de montage à l’impossibilité de choisir le sens de sa vie. La liberté, entendue dans un sens temporel, consiste à être, dans certaines limites, maître de son temps. (…) L’urgence est un esclavage moderne (…), une aliénation d’un genre nouveau. L’emploi du temps, le rythme de travail, l’organisation des projets, échappent de plus en plus au contrôle des intéressés. (…) L’urgence est la négation du temps à soi. Elle est comme telle source de frustration, mais il n’est pas sûr qu’on s’en rende toujours compte, car elle est aussi (…) la négation du temps de la réflexion sur soi«  _ ce de quoi ne manque pas se réjouir le« dernier homme » du nihilisme de la modernité, dans le (plus que jamais d’actualité !) lucidissime et indispensable (!) Prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra, rédigé par Nietzsche en 1883, il y a cent aujourd’hui trente ans…


Alors vivent les remèdes contre cette destruction-là !

Le Temps de l’urgence est un livre de salubrité publique !


Titus Curiosus, ce 25 avril 2013

 

Penser le post-néolibéralisme : prolégomènes socio-économico-politiques, par Christian Laval

18avr

Mercredi dernier, 14 avril 2010, Christian Laval était l’hôte de la Société de Philosophie de Bordeaux et de la librairie Mollat, dans les salons Albert-Mollat, copieusement remplis _ et avec une très remarquable qualité d’attention de la part de l’assistance _, pour la cinquième et dernière conférence de la saison 2009-2010 de notre Société.

Le « sujet«  _ déterminé en accord avec Barbara Stiegler, en charge de la présidence _ en était « Néolibéralisme et économie de la connaissance«  : le podcast de cette conférence, particulièrement clair, alerte et passionnant, dure 60 minutes…

C’est la lecture de La Nouvelle raison du monde _ essai sur la société libérale de Pierre Dardot et Christian Laval, aux Éditions de La Découverte ;

ainsi que les applications de ses dispositifs, plus spécifiquement, aux sphères de l’enseignement et de la recherche _ soient les domaines (et institutions) de la constitution et de la diffusion de la connaissance _ ;

qui a (et ont) incité Barbara Stiegler à inviter Christian Laval à éclairer le public sur les enjeux culturels _ et civilisationnels ! _ de ce bouleversement majeur, d’ampleur considérable ! qui affecte et les rapports sociaux et la conception de la subjectivité même, selon les intuitions lumineuses de Michel Foucault, en ses dernières leçons au Collège de France :

Le Gouvernement de soi et des autres _ Cours au Collège de France. 1982-1983

Le courage de la vérité _ Le Gouvernement de soi et des autres Cours au Collège de France. 1984 (de février à mars) ;

Michel Foucault meurt le 25 juin 1984…

Voici, déjà _ farci de quelques précisions de mon cru _, la fort éclairante quatrième de couverture de La Nouvelle raison du monde _ essai sur la société libérale :

« Après la crise financière de 2007-2008, il est devenu banal de dénoncer l’absurdité _ ravageuse _ d’un marché omniscient, omnipotent et autorégulateur. Cet ouvrage montre cependant que, loin de relever d’une pure «folie», ce chaos procède d’une rationalité dont l’action est souterraine, diffuse et globale _ d’ampleur considérable et à l’échelle de la planète. Cette rationalité, qui est la raison _ la ligne de force (de fait), comme la justification (de droit revendiqué, au moins…) _ du capitalisme contemporain, est le néolibéralisme lui-même _ voilà.

Explorant sa genèse doctrinale _ dans l’histoire des idées de l’Occident depuis les XVIIème et XVIIIème siècles, en Angleterre et en Écosse, pour commencer… _ et les circonstances politiques et économiques de son déploiement _ depuis l’arrivée au pouvoir (politique) des équipes soutenant Margaret Thatcher et Ronald Reagan, tout d’abord _, les auteurs lèvent les nombreux malentendus qui l’entourent : le néolibéralisme n’est ni un retour au libéralisme classique _ celui développé à partir des thèses de John Locke et d’Adam Smith _ ni la restauration d’un capitalisme «pur» qui refermerait la longue parenthèse keynésienne.

Commettre ce contresens, c’est ne pas comprendre _ bien dangereusement… _ ce qu’il y a précisément de nouveau _ voilà ; et de probablement irréversible, du fait de son ampleur et de sa vitesse de mise en œuvre : considérables _ dans le néolibéralisme _ qu’il faut donc, et urgemment, correctement penser : si l’on veut le contrer !..

Son originalité _ voilà ! _ tient plutôt d’un retournement que d’un retour : «Loin de voir dans le marché une donnée naturelle _ idéologiquement _ qui limiterait l’action de l’État, il se fixe pour objectif _ on ne peut plus pragmatique _ de construire le marché _ voilà ! sur ces questions (de naturel et artificiel), on se rapportera avec profit à l’ouvrage essentiel de Clément Rosset L’Anti-nature_ et de faire de l’entreprise le modèle _ structurel _ du gouvernement des sujets» _ comme l’a révélé l’intuition lumineuse de Michel Foucault dès le début de la décennie 80… Par des voies multiples, le néolibéralisme s’est imposé _ de fait, tout particulièrement en la première décennie du XXIème siècle ! _ comme la nouvelle raison du monde, qui fait de la concurrence _ voilà _ la norme universelle _ et exclusive ! _ des conduites ; et ne laisse intacte _ totalitairement, par là ! _ aucune sphère de l’existence humaine, individuelle ou collective _ voilà qui déborde considérablement du seul champ de l’économie !

Cette logique normative _ détruisant, tel Attila, tous ses obstacles _ érode jusqu’à la conception classique de la démocratie _ ce qui n’est tout de même pas rien ; particulièrement en France… Elle introduit des formes inédites d’assujettissement _ des personnes : voilà ! _ qui constituent, pour ceux qui la contestent, un défi politique et intellectuel inédit _ tant théorique, à penser, que pratique, à combattre et surmonter, donc…

Seule l’intelligence _ à construire _ de cette rationalité _ à démonter en sa mécanique (tant destructive que constructive) _ permettra de lui opposer _ avec quelques chances de succès _ une véritable résistance et d’ouvrir un autre avenir » _ civilisationnel, lui : là-dessus, se reporter au plus que jamais d’actualité L’Institution imaginaire de la société, de l’excellent Cornelius Castoriadis…

Ce que personnellement je retire de la conférence de Christian Laval mercredi soir dernier,

c’est l’urgence _ tant pratique que théorique _ d’une anthropologie faisant le point _ up to date _ sur ce qui est là détruit, par ce néo-libéralisme ; et sur ce qu’il faut aider et à préserver et à développer, a contrario de la misérable _ davantage encore que pauvre, réduite, simpliste : paresseuse ! et dépourvue d’imagination qualitative ! _ « employabilité« , en les hommes…

Un des paradoxes de la situation présente _ avec l’extension rapide et difficilement résistible, par sa massivité, de ce néo-libéralisme _

étant l’hostilité des inspirateurs de ce néo-libéralisme, Hayek et von Mises, à la logique de la planification ! ainsi que leur éloge de l’ignorance (de tout ce qui peut être jugé inutile) !…

D’où l’expression de « prolégomènes«  du titre de cet article.

Par là,

faire le point sur les racines du pragmatisme utilitariste :

chez un Jeremy Bentham, pour commencer ; mais aussi chez un Friedrich Hayek et un Ludwig von Mises ; et un Théodore Schultz et un Gary Baker ;

afin d’éclairer ses actuelles applications à l’échelle _ cruciale pour nous, Français, notamment, parmi les autres membres de l’Union européenne _ des directives européennes ;

ou dans un rapport _ « d’orientation sur l’université et la culture«  _ de Jean-Pierre Jouyet et Maurice Lévy à destination de Nicolas Sarkozy _ en 2008 ; mais ne pas oublier non plus que Jean-Pierre Jouyet faisait partie des « conseillers«  de Ségolène Royal en 2006-2007… _,

est plus qu’utile : nécessaire !

Au nom du réalisme de l’efficacité, de la raison de la rentabilité économique (= maximiser les gains en diminuant le plus possible les coûts

_ mais « coût«  pour qui ? qui tire, ici, les marrons du feu ? et qui brûle (= est brûlé) ? et est passé par « profits et pertes« , en ce drolatique jeu de bonneteau ?.. quid d’une expression telle que « ressources humaines«  ?.. hommes-moyens, mais pour quelles fins, donc ?.. et de qui ?.. _ ),

c’est à la fois l’ensemble des relations (de convivialité, d’affection, de reconnaissance : au-delà des critères de l’intérêt !!!) de chacun aux autres _ cf ici mon article du 11 novembre 2008 « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » à propos du judicieux travail de Michaël Foessel La Privation de l’intime ! _ ;

sans compter, aussi, la solidarité, la fraternité, la générosité, l’amitié ou l’amour vrais!

ainsi que le statut de l’identité même _ terriblement appauvri ! survivre, consommer, s’enrichir, individuellement (et égoïstement)… : sans désirs vrais, ni sentiments ! _ de la personne

qui se voit attaqué, réduit, détruit !

Et pour quels misérables _ bling-bling (selon un misérable standing)… _ « profits » ?..

Il y a là matière à résister, en faveur d’un sujet « humain » vraiment actif et créateur de perspectives ouvertes et généreuses de vraie vie !..

Jeudi 15 avril dernier _ le lendemain même de la conférence de Christian Laval _,

en une double page de Libération, dans la rubrique « Économie » (pages 14-15),

un significatif article générique _ signé Catherine Maussion _, intitulé « Internet en toile de fonds« , et sous-titré « Les jeunes grands patrons français du web se réunissent (et s’affrontent) pour investir dans les start-up«  ;

accompagné de trois portraits de fondateurs de « fonds » :

Pierre Kosciusko-Morizet (un des 3 patrons du fonds Isai Developpement _ et patron de Price-Minister) : « Le credo du coach« ,

Marc Simoncini (fondateur-patron du fonds Jaina Capital _ et créateur de Meetic) : « Le concret avant tout« ,

& Xavier Niel (fondateur-patron du fonds Kima Ventures _ et patron de Free) : « La mise à tout va« .


La fonction de ces fonds :

aider _ financièrement (et de leurs conseils avisés) _ à « faire émerger des géants européens » d’Internet.

« Avec la crise, les fonds sont devenus beaucoup plus frileux ; il y a un trou dans la chaîne de financement« , confie Simoncini.

« Ces nouveaux investisseurs de la Toile joueraient donc sur la prise de risques assumée. « Ce qui manque en France _ ajoute Marie-Christine Levet (Jaina) _, c’est l’argent pour l’amorçage« … « Nous, on en a bavé, il faut aider les jeunes« .

« De là à en faire des philanthropes du Net ? Les fonds ne veulent pas du virtuel. Mais du retour. Isai veut rendre deux à trois fois leur mise aux investisseurs au bout de huit ans. « L’idée, c’est d’accompagner les boîtes, puis les revendre », dit-on à Jaina Capital _ avec plus-value ; mais cela va sans dire… Avant de recommencer ailleurs«  :

telle est la conclusion de la présentation de Catherine Maussion, page 14 de Libération.

Et Xavier Niel, in « La mise à tout va« , interrogé et présenté par Catherine Maussion :

« Niel guette des « projets simples » qu’il prend au sortir du nid et dans lesquels il mettra « des petits tickets », entre 5 000 et 150 000 Euros. A un rythme affolant : un investissement par semaine pour faire germer _ voilà _ une centaine de petits business. Niel se défend d’être« dans la recherche du profit immédiat ». La preuve : « On fait dix trucs bancals et on est content à la fin quand il y en a un qui marche ». Sur45 à 50 dossiers « faits » avant Kima Ventures, il recense 15 à 20 sociétés qui « bougent encore » ; 15 à 20 qui ont sombré ; 15 à 20 qui continuent doucement leur chemin. « Je ne suis pas sûr d’avoir gagné de l’argent » _ c’est de l’ordre du jeu… Sauf avec Deezer _ toutefois. « Un carton », souffle-t-il. Un retour sur investissement multiplié » par 40 ou 50″… »… Bingo !

Voilà l’illustration même de la logique _ ludico-financière : à vide !.. _ d' »innovation » du néo-libéralisme : en matière de recherche _ et création d’entreprises, ici.

En matière d’enseignement, la norme est celle de la « compétence« , mise en valeur strictement comme « employabilité«  _ pression des coûts et de la rentabilité « obligeant«  !

Et en ce qui concerne « la valeur économique«  des services et des produits, « la valeur d’usage n’est que le support de la valeur d’échange« , a dit en son exposé Christian Laval.

Quel sens y a-t-il à réduire tant d’existences humaines,

et même tant de compétences possibles _ combien de Mozart seront ainsi assassinés ? mais en anglais, « marketable skill«  désigne plus crûment un « savoir-faire négociable sur le marché«  : une « employabilité«  _,

à de si mesquins et avares calculs ?..

Qui en « profite » ? Au secours !!!

André Malraux rapporte ce mot _ bien intéressant _ de Staline à De Gaulle : « A la fin, c’est la mort qui gagne«  ; il suffirait, ainsi, de sur-vivre un peu plus longtemps que ses victimes. Soit la logique du crime des mafieux…

Ou encore : « Après nous le déluge !« … Sans responsabilité ; à l’heure de « Crime et châtiment« …

Une autre conception du vivre, du faire _ voire créer _ et du vivre-ensemble, plus fraternelle _ car les dégâts sociaux de la concurrence généralisée sont terribles ! _, doit être pensée et proposée, face à cette dévastation vide qui se répand…

Penser (et construire) le post-néolibéralisme : voilà la tâche…

A condition que les politiques alternatives (socio-démocrates, par exemple…) ne « se rendent » pas, comme elles l’ont fait depuis bientôt trente ans, à cette logique « réaliste« 

_ « There is no alternative » : les autres font ainsi… Un des grands maux de notre pauvre Europe… _

de la « modernité » marchandisée…

Un Jean-Pierre Jouyet est passé directement de l’équipe de Ségolène Royal en 2006-2007, au gouvernement nommé par Nicolas Sarkozy ;

c’est Lionel Jospin qui a mis en place la loi (de gouvernementabilité) Lolf _ loi organique relative aux lois de finances _ en France, le premier août 2001 ;

et que dire des Tony Blair et Gerhard Schröder ?.. _ et de leurs pantouflages au sortir du gouvernement ?..

Il y a du pain sur la planche… Au travail !

Pour se donner un supplément de « cœur à l’ouvrage« ,

on peut reprendre la devise (à panache) de Charles le Téméraire (1433-1477),

reprise déjà par Guillaume Ier d’Orange-Nassau (1533-1584 ; dont Turenne _ 1611-1675 _ est un des petits-fils) :

« Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer« … 

Titus Curiosus, ce 18 avril 2010 

Pour une « économie de la contribution » : diagnostic et pharmacopée « anti-Viagra » (de l' »économie de la culture ») du docteur Stiegler

26oct

Vendredi dernier, à 10 h, au Conseil Régional d’Aquitaine, dans le cadre d' »ateliers » :

« le numérique et la créativité en région« ,

était organisé un « débat » :

« La créativité et l’innovation au cœur de la relation homme / territoire dans un monde numérique« , avec les interventions des philosophes Bernard Stiegler et Heinz Wismann, avec Hervé Le Guyader pour « modérateur« …

Une initiative pratique a priori (du moins…) utile, prometteuse, féconde ; et mieux que bienvenue :

de première urgence ! :

tant il est positif que le terrain (plus ou moins institutionnel) des « entrepreneurs« 

(« producteurs » _ « créateurs » ou « exploitants » : à y regarder d’un peu près, de l’Art et de la Culture : ici, je sens sur mes épaules comme un souffle d’ironie d’un Michel Deguy… : encore faut-il s’entendre sur les justes qualifications…)

comme celui des « décideurs«  (politiques) _ en sinon « locomotives de l’action« , du moins en « boosters » d’appoint, mais vitaux, à l’ère de la concurrence (mondialisée) acharnée « sur le terrain«  (régional, en l’occurrence)… _

bénéficie du diagnostic et des pistes (éclairants !) que proposent les philosophes les mieux informés et réfléchissants d’aujourd’hui…

Une aubaine…

C’est en curiosus (et ami de Bernard Stiegler ;

cf mon article du 31 mai dernier sur la conférence de Bernard Stiegler au Festival « Philosophia » de Saint-Émilion : « Très fortes conférences d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler à propos de ce qu’est « faire monde » à l’excellent festival « Philosophia » de Saint-Emilion« …)

que _ non « institutionnel« , que je suis, de facto _ j’accours à cette « rencontre«  ;

toujours en appétit _ personnel ! _ de la plus performante lucidité qui soit

pour toujours tenter d’un peu mieux (et de ma place ; et à mon échelle ! _ d’individu…) comprendre ce qui se passe présentement, ce qui se trame, dans le secret des flux (et tourbillons agités) humains les plus opérationnels dans le monde d’aujourd’hui :

j’essaie de « faire«  _ de ma place et à mon échelle, donc _ « le philosophe«  ;

et depuis le 3 juillet 2008, sur mon blog « En cherchant bien » _ ou « Les Carnets d’un curieux » : c’est son titre alternatif… _, je le partage (un peu) aussi (!) par l’écriture avec d’éventuels lecteurs un tant soit peu patients, en plus d’être, eux aussi, un tant soit peu curieux :

car il faut, certes, arriver à « suivre » le flux (un peu contourné, sinon réellement « labyrinthique« …), en son élan _ porteur, je voudrais croire … _ de mes circonlocutions,

ô « indiligents lecteurs »

(cf ici l' »Adresse » _ « Au lecteur«  _ inaugurale sublime des « Essais » du génialissime Montaigne, en 1581, à l’ouverture de la modernité philosophique :

l’article d’ouverture de ce blog annonçait la couleur ; on peut s’y reporter ; j’y suis _ de tempérament obstiné, ou têtu : par quelques ascendances bretonnes et basquaises, peut-être ; en plus d’être gascon ; et voisin de Montaigne, par mon enfance des côteaux surplombant la Dordogne… _ absolument fidèle)…

J’en viens au fait de la teneur de l’intervention (diagnostic + pharmacopée !) de Bernard Stiegler _ en « médecin consultant« , en quelque sorte... _ au Conseil Régional ce vendredi dernier 23 octobre

(cf aussi l’article de Bernard Stiegler : « Le Mépris« , sur le site « Culture Action Europe » du « Forum Européen pour les Arts et le Patrimoine« …) 

L’analyse du « modèle » de l »économie créative » au « menu » de cette rencontre organisée par le Conseil Régional d’Aquitaine a été proposée, dès 2001-2002, par John Howkins et Richard Florida (cf « Economie créative. Une introduction« , paru aux Éditions Mollat, en février 2009) :

cf John Howkins : « The Creative Economy« , 2001, Allen Lane ;

et Richard Florida : « The Rise of the Creative Class. And How It’s Transforming Work, Leisure and Everyday Life« , 2002, Basic Books ; et « Cities and the Creative Class« , 2005, Routledge…

Bernard Stiegler se déclare « en profond désaccord » avec ce modèle tout bonnement ségrégationniste d' »économie créative » du début des années 2000 ;

et selon lui les « pôles de compétitivité« , les « creative clusters » proposés par ces auteurs tels que Florida et Howkins ne sont que des « clusters Viagra » destinés à tenter de « relever » un peu l’énergie démotivée d’un modèle consumériste moribond _ et cela dès les années 80 ;

soit « remédier » à la « débandade » par défaut de désir du « consommateur« , en « dépression » chronique carabinée…

Un « psycho-pouvoir« , relevant le « bio-pouvoir » détecté et analysé par Michel Foucault dans la décennie 80,

vise au « contrôle de la vie de nos âmes » par une « destruction de la formation de l’attention« … 

« La crise économique » se trouve ainsi « devant nous« , souligne Bernard Stiegler ;

et se caractérise par « une perte de savoir généralisée » (soit, au sens étymologique, et selon Marx comme selon Adam Smith, une « prolétarisation« ) ;

une « crétinisation généralisée« , dit-il…


Aussi importe-t-il, sinon d’arrêter ce processus (peut-être « inarrêtable« ),

du moins, au moins, de le « penser » ;

et de le « retourner« , peut-être, vers (et pour) d’autres objectifs…

Aussi Bernard Stiegler propose-t-il d’abandonner les catégorisées usées  de « technologies de l’information et de la communication« , au profit de celles de « technologies cognitives et _ surtout ! _ culturelles » ;

avec pour résultats du déploiement des premières, une « paralysie de l’intellect« , « notamment politique« …

Et d’évoquer son expérience personnelle, au Centre Pompidou, de l’évolution vers un « consumérisme culturel » qu’il qualifie d' »effrayant » ;

avec l’obsession d' »augmenter les flux » des « visiteurs«  de passage, quand les œuvres demandent d’abord qu’on leur consacre du temps _ et un « dialogue«  : un tant soit peu serein… _ : « le temps de l’amour des œuvres« , précisément ! On ne peut pas aimer à la va-vite…


D’où l’urgente réhabilitation (et « renaissance«  : Bernard Stiegler embrayant ici sur les analyses éclairantes de Heinz Wismann) de l »amateur » et de l' »amatorat« .

En lieu et place d’une « consommation« , passive (et clonée) qui « consume« ,

aider au passage à une « économie«  _ active et pleinement créatrice _ de la contribution » !..


Toute technique est _ ainsi que l’a montré Jacques Derrida, d’abord en sa « Pharmacie de Platon«  _ un « pharmakon« , ambivalent : selon la dose, le médicament-drogue qui soigne devient un poison qui tue ! les pharmaciens ne distribuent donc les « médicaments » que selon ce que prescrivent, avec l’autorité certifiée de leur savoir, les médecins ;

sinon, ils ne sont plus que des « dealers« …

L' »amateur » (d’Art et de culture) qui se forme à l’expérience _ toujours et nécessairement, pour être vraiment « authentique« , singulière _ des œuvres et à l’épreuve d’échanges continus (et critiques) de « jugements de goût » avec d’autres témoignant peu à peu de leur propre compétence en cette matière complexe, infiniment fine et subtile, et prenant du temps,

est celui qui parvient à « porter au comble une intensité«  _ de joie, ajouterais-je… _ qui, sinon, « se perd dans le flux des choses substituables » ;

cela pouvant aussi passer, et nécessairement _ cf André Leroi-Gourhan : « Le Geste et la parole » ; et Sylvain Auroux : « La révolution technologique de la grammatisation. Introduction à l’histoire des sciences du langage« , paru en 1994, aux Éditions Pierre Mardaga… _, par certains artefacts…

Adressant le lendemain un courriel à Bernard Stiegler que je n’avais matériellement pas pu « saluer » après son intervention en séance publique,

 De :   Titus Curiosus

Objet : Intervention au Conseil Régional d’Aquitaine
Date : 24 octobre 2009 07:23:13 HAEC
À :   Bernard Stiegler

voici ce que je lui déclarais :

La séance d’hier au Conseil Régional m’a évoqué « L’Invitation » de Claude Simon…

Je suis un peu effrayé de, je crains, l’inefficacité de ces raouts
(même si on peut rêver qu’une petite graine d’une « piste » lancée là pourrait germer…) ;

il est pourtant tellement nécessaire
que certains « décideurs » comprennent un peu mieux
et agissent autrement…

Les intermédiaires de la culture
sont redoutables…

Bien de la surdité et de la veulerie régnaient comiquement, pensais-je pendant le « buffet« …
Là, je me remémorais le rire ravageur du Thomas Bernhard narrateur des « Arbres à abattre« 
_ dont le sous-titre est : « une irritation« 

J’admire votre énergie…

Bien à vous,

Titus Curiosus

Voilà.
Les enjeux sont si cruciaux…

Titus Curiosus, ce 26 octobre 2009


Post-scriptum :

voici l’intégralité de l’article de Bernard Stiegler « Le Mépris » cité plus haut ; et farci de quelques commentaires miens, en plus des gras que j’y dépose ;

il résume bien le sens de l’intervention-contribution de Bernard Stiegler au Conseil Régional d’Aquitaine vendredi dernier vers 11 heures… :

« L’Union Européenne et sa Commission subissent à nouveau l’affront d’un scrutin qui les désavoue _ calamiteux comme jamais, comme si la « construction de l’Europe » ne pouvait que conduire à la destruction de la vie démocratique qu’elle prétend incarner _ certes ! quelle tragédie pour nous tous que cette « destruction de la vie démocratique«  !!! _, et produire amertume et défiance des Européens _ en effet, de facto _ vis à vis de ce qu’ils ne reconnaissent donc pas _ certes ! _ comme l’Europe _ son « idée« , son « idéal régulateur« , dirait un Kant… ; cf, justement, de mon ami François Jullien, son tout récent « L’Invention de l’idéal et le destin de l’Europe«  _, mais, tout au contraire, comme l’organisation de son discrédit _ voilà ! est-ce aussi là une part (au moins…) de son « destin«  ?.. _, sur le plan intérieur aussi bien que sur le plan international _ et se résignent à subir, passivement…


Or, après l’effondrement du consumérisme fordiste _ un fait crucial _, advenu au cours de la crise de 2008 _ le krach financier et bancaire d’octobre 2008 _, il est évident que la coopération européenne est plus urgente que jamais pour contribuer à inventer _ oui ! cf « L’Institution imaginaire de la société« , cette œuvre visionnaire et indispensable du grand Cornelius Castoriadis _, particulièrement avec l’Amérique et l’Asie, un nouveau modèle industriel _ oui ! et plus fécond ! _ capable de surmonter la situation proprement catastrophique dans laquelle ce qu’il faut appeler « le règne de la bêtise systémique«  _ magnifique formulation d’une lucidité confondante ! hélas… _ a plongé l’humanité toute entière _ voilà ! Ce nouveau modèle industriel doit inventer un « nouveau mode de vie« , c’est à dire une « nouvelle culture«  _ authentiquement démocratique : pour accoucher du meilleur de l’humanité ; au lieu du pire, pour les profits (financiers et de pouvoir) mesquins et minables de très peu, comme c’est le cas de la « pente » prise aujourd’hui…

La « bêtise systémique » que cette « nouvelle culture » doit dès maintenant combattre _ voici la tâche sollicitant les ardeurs plus rationnelles ! _ a été engendrée et imposée par l’hégémonie du marketing _ oui ; cf sa théorisation par Edward Bernays (neveu de Siegmund Freud, expatrié aux États-Unis ; et créateur du marketing) : « Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie« , dès 1928… _, dont les industries dites « culturelles«  _ sic, en effet ! c’est une auto-proclamation de leur part !.. il s’agit le plus souvent, et à échelle « mondialisée« , d’« industries de l’entertainment«  (!) _ auront été le bras séculier _ redoutablement efficace… _ : totalement soumises aux impératifs consuméristes, celles-ci auront lentement mais sûrement détruit la _ réelle  et vraie ! _ culture _ et, en cela, systématisé le règne de la bêtise _ par la « crétinisation » de masse des esprits ; cf aussi Dany-Robert Dufour : « L’Art de réduire les têtes«  _ en obnubilant les esprits _ oui ; par une opération de focalisation d’immense envergure… _ et en discréditant les institutions en charge de les élever _ à commencer par l’école ; cf ici le « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » de Bernard Stiegler lui-même. Dans ce contexte, ce que l’on appelle depuis Malraux la « démocratisation de la culture » s’est renversé et décomposé en « consumérisme culturel«  _ voilà !

Or, le modèle consumériste est mort _ ou moribond : tel est le diagnostic que pose et porte Bernard Stiegler _, et le « consumérisme culturel » avec lui _ s’il est vrai qu’il était fondé sur l’opposition fonctionnelle des producteurs _ vendeurs _ et des consommateurs _ acheteurs… Avec le fordisme, et avec les grandes industries de la métallurgie qui le mirent en œuvre, et qui dominèrent grâce à lui le XXè siècle, s’effondrent aussi les « industries culturelles » qui imposèrent à la culture _ au sens que critique de sa verve (et alacrité) le grand Michel Deguy ! cf son très beau et si juste « Le Sens de la visite » (aux Éditions Stock, en 2006 : une merveille !) _ la fonction d’organiser _ fort méthodiquement _ la consommation _ tout en détruisant les publics _ amateurs-amoureux singuliers : authentiquement « cultivés« , eux ; cf ici les magnifiques travaux de mes amies Marie-José Mondzain, « Homo spectator« , et Baldine Saint-Girons, « L’Acte esthétique » : indispensables !!! _ des œuvres, transformés _ ces dits « publics«  _ en audiences _ voilà : mesurées, comptabilisés, par le très précieux « audimat«  Il est triste que Michel Piccoli, dont le personnage « méprisé » incarne précisément cette question dans _ le film de Jean-Luc Godard, en 1963 _ « Le Mépris » _ d’après le roman éponyme d’Alberto Moravia « Le Mépris« , paru, lui, en 1954… _, en ait eu si peu conscience _ lui, Juliette Greco et quelques autres qui auront bien « profité » de ce système : « bien« , c’est à dire avec art _ l’accroche de cette allusion m’échappant pour le moment…

Depuis quatre ans maintenant, « Ars Industrialis«  _ qu’anime Bernard Stiegler ; et qui me fit l’honneur de publier, en avril 2007, mon article « Pour célébrer la rencontre« , en appendice à une présentation de « De la Démocratie participative _ fondements et limites » de Bernard Stiegler et Marc Crépon… _ affirme que ce modèle _ consumériste _, qui suscite tant de mépris, n’est plus soutenable, et qu’une autre organisation de l’économie industrielle est possible :

celle que nous appelons « l’économie de la contribution«  _ expression et concept à retenir ! à une époque où le terme « impôt » a été vilainement substitué à celui de « contribution« _, fondée sur les caractéristiques des réseaux et technologies numériques, où le couple fonctionnel production/consommation  _ ainsi que cet autre couple fonctionnel : vente/achat ?.. _ n’est plus pertinent. Le contributeur _ actif-effectif _, qui n’est ni un consommateur ni un producteur, met en œuvre des technologies cognitives et culturelles qui forment ensemble des technologies de l’esprit.

De toute évidence, le nouveau milieu social, de plus en plus pénétré par ces technologies, fait pour le moment apparaître et proliférer surtout des modèles hyperconsuméristes, addictifs _ cf « Addict » d’Avital Ronell… _, extrêmement mimétiques _ à rebours de l’originalité, voire « génialité«  vraies… _, que le marketing organise très systématiquement _ les algorithmes de l’hypertechnologie y aidant _ ; et dont il exploite les possibilités inouïes de contrôle comportemental individualisé et de manipulation des groupes _ d’utilisateurs dont est activée une hyper-passivité « réflexe«  Autrement dit, les réseaux numériques, les technologies culturelles qui s’y développent et les pratiques sociales qui s’y inventent sont porteuses _ a priori ! _ de possibilités radicalement alternatives _ et en lutte _ :

_ l’une est ce qui rend possible l’invention de relations économiques et industrielles fondées sur l’investissement _ possiblement enthousiaste _ personnel et collectif ; « l’intelligence partagée » ; et la formation de nouveaux espaces et de nouveaux temps critiques _ un point crucial ! _ soutenus par une politique industrielle des technologies de l’esprit qui doit être avant tout une politique culturelle, associant très largement les artistes, les écrivains, les penseurs et les scientifiques _ acteurs ; et « authentiques » (pas « imposteurs » : ce point-ci étant de mon fait !..) ; dont le « génie«  œuvre effectivement

_ l’autre vise _ a contrario _ à étouffer dans l’œuf _ c’est plus sûr ! ne pas laisser s’établir d’autres réseaux, d’autres flux, des habitudes de pratiques concurrentes ! _ les possibilités inédites que les technologies culturelles ouvrent _ vraiment : en une véritable liberté créatrice ; et pas du tout seulement illusoire… _ à un nouvel âge de la vie de l’esprit _ en ce début de XXIème siècle _, et à augmenter _ au contraire ! _ le pouvoir de contrôle _ oui _ comportemental, d’instrumentalisation _ voilà ! _ des artistes, écrivains, penseurs et scientifiques _ réduits à des objets et images (voire à des marques) _, et d’hyperconsumérisation de la culture _ elle-même : en touts cas de ses ersatz, ou de certaines de ses « retombées » seulement ; coupées des élans vrais, « créateurs« , eux (d’œuvres), mobilisateurs d’attention aigüe et d’enthousiasmes autrement « porteurs«  (et inspirants)… _, en aggravant encore la « bêtise systémique » _ malgré la catastrophe économique à laquelle celle-ci a _ pourtant _ déjà conduit le monde en 2008.

Il ne fait pas de doute que l’Union Européenne _ sous laquelle de ses « espèces » ?.. la Commission ? le Parlement ? les chefs d’État se mettant d’accord lors de « sommets«  ?.. _ n’a pas choisi la première possibilité, même si rien ne prouve qu’elle aura choisi la seconde : l’Union est un organisme complexe _ certes _ que peuvent traverser des conflits _ des tensions, des jeux non joués entièrement tous à l’avance… Mais il est certain que son absence de clarté _ certes ! cf sa porosité aux lobbies _ en ce domaine comme en tant d’autres aura contribué à son échec électoral _ à quoi fait précisément allusion Bernard Stiegler ici ?.. à l’augmentation galopante de l’abstention des électeurs aux « votations«  ?.. Car chacun sait aujourd’hui, délibérément ou intuitivement, dans l’Europe comme dans le monde entier, que faute d’un sursaut de l’intelligence collective _ « solidaire« , forcément : embarquée sur un même et unique bateau : la « nef des fous«  ?.. _, l’avenir du monde entier est compromis à brève échéance _ mais s’en soucie-t-il, ce « chacun«  qui « sait« , pour autant ?… cf le mot fameux (rapporté) de la Pompadour à Louis XV : « après nous, le déluge«  ; le mot aurait été prononcé, en manière de consolation au roi, le soir de la nouvelle de la défaite face à la Prusse, le 5 novembre 1757, à RossbachEt tout le monde _ des acteurs « vrais«  de la culture « authentique«  ?.. _ attend _ pour le reste, relire toujours le portrait du « dernier homme » du « discours du Surhumain » du superbe de lucidité « Prologue » d’« Ainsi parlait Zarathoustra _ un livre pour tous et pour personne » de Nietzsche (la précision est cruciale) : sur la pente savonneuse du nihilisme où s’entraîne l’humanité… _ que l’Europe _ celle de tous les Européens ? _ joue enfin le rôle que sa puissance économique et culturelle _ doublement ? _ lui impose _ en droit ; sinon en fait : ainsi, la démocratie se donne-t-elle, ne serait-ce que sur le plan politique, les dirigeants qu’elle « mérite » ? afin d’encourager le meilleur des œuvres possibles de cette « Europe«  ; de ces « Européens«  ?.. Cf ici le si pertinent « Qu’est-ce que le mérite ? » (aux Éditions Bourin), de mon autre ami lucidissime, lui aussi, Yves Michaud…

Jamais la question de l’alternative _ Hic Rhodus, hic saltus ! _ ouverte par la numérisation n’aura été _ réellement _ posée dans ce dont on nous parle _ voire « abreuve«  _ sous les noms _ flambants _ d’ »industrie de la connaissance« , de « société de savoir« , de « bataille de l’intelligence » et d’ »économie créative«  : autant de discours qui semblent plus vouloir conjurer par des incantations _ hélas : quand les mots se substituent aux choses ; ou l’ère (se poursuivant…) des « conduites magiques« _ la réalité _ carnassière _ du « capitalisme cognitif », également appelé « culturel », qui produit pour le moment exactement le contraire _ certes ! _ de la connaissance, du savoir ou de la création, que mettre un terme au « règne _ bien effectif, lui ; et auto-satisfait : à la Monsieur Homais… _ de la bêtise«  _ mais bien masqué par la panoplie ultra habile de tous les faux-semblants de la démagogie ! combien de victoires électorales a t-elle, celle-ci, la démagogie, ainsi, à mettre à l’actif de son « tableau de chasse » ?.. _, dont ces discours participent eux-mêmes très souvent de la façon la plus directe _ en effet : la propagande de l’idéologie est d’autant plus efficace qu’inaperçue : en douceur et rires allègres de connivence…

Et pas une seule fois la question de cette alternative n’aura été évoquée dans le cadre de  « l’année européenne de l’innovation et de la créativité » voulue en 2009 par le président de la Commission européenne _ brillamment réélu : M. José Manuel Durão-Barroso ; pose-t-il jamais les vraies questions de fond ?.. Que veut dire ici « créativité » ? Il ne fait pas de doute que, rapproché du mot « innovation« , il fait référence aux concepts de creative economy et de creative class, avancés par John Howkins et Richard Florida en 2001 et en 2002 respectivement. Les thèses de Florida et Howkins émergent sur le fond d’une théorie managériale _ voilà _ de la créativité qui est elle-même une version de la théorie _ managériale ? _ de l’innovation. Sa spécificité consiste à poser que la source de l’innovation est la créativité des individus.

Toute la théorie de l’innovation a été pensée dans le cadre consumériste _ d’une économie du taux de profit de la vente (sur un marché). Cependant, tandis qu’elle aboutissait au concept d’ »économie créative« , se développaient _ aussi, à côté _ les nouvelles pratiques qui ne correspondent plus à ce modèle consumériste fondé sur la grégarisation _ voilà ! cf la litanie rigolarde des « nous«  des « derniers hommes«  clignant des yeux d’autosatisfaction, du « Zarathoustra«  de Nietzsche… _ de l’individu _ se pensant même (= se figurant, se croyant, se leurrant : illusoirement !) « original« , en la « singularité » apparente de sa « conscience de lui-même » distincte, certes, de sa « conscience des autres«  : chacun comme une île… _, mais sur la « contribution«  _ à des échanges de réciprocité et mutualité, éventuellement _ qui met en valeur la singularité _ réelle et « vraie« , elle : mais bel et bien « à constituer«  dynamiquement, « découvrir« , « faire émerger«  en des actes, en des œuvres effectivement réalisées ; pas avant ! _ de l’individu _ ou plutôt de la personne _ dans un modèle collaboratif, c’est à dire intrinsèquement social _ avec des exemples désormais connus tel Wikipédia, le monde open source et le modèle des creative commons, ce qui constitue le vrai sujet de ce que l’on appellera non pas l’économie créative, mais la « société contributive« .

L’absence totale de vision et de compréhension de ces enjeux _ au profit de l’abandon à la « main aveugle » du marché, livré seulement à l’alea du jeu de ses forces… _ est l’un des nombreux facteurs d’échec _ actuel _ de l’Union européenne. Celle-ci ne vivra, c’est à dire qu’elle ne saura unir _ voilà _ les pays et les populations qui la composent, que le jour où elle prouvera _ aux Européens citoyens : la chose est encore bien difficile à faire advenir… qui, seulement, la veut ?.. _ qu’elle a une vision d’avenir. Cette « année de l’innovation et de la créativité » aurait dû être consacrée à orienter _ car tel est là le pouvoir du politique _ le processus de numérisation en cours, qui affecte toutes les dimensions de la vie psychique et sociale, vers la mise en œuvre d’une nouvelle politique industrielle, mettant la culture et l’esprit _ actifs _ au cœur de son déploiement, comme « économie de la contribution« , contre le consumérisme, et en premier lieu, contre le consumérisme _ dit, bien improprement : c’est une tromperie considérable ! Cf Michel Deguy… _ « culturel » _ afin d’inventer un nouvel âge industriel fondé sur l’économie d’une valeur plus précieuse que toute autre : l’intelligence, au sens où le XVIIIème siècle la met au fondement de la sociabilité sous toutes ses formes, sensibles aussi bien qu’intellectives _ à l’inverse de la crétinisation, donc…

Il n’en aura rien été _ cette année 2009-ci, du moins… Et c’est pourquoi le monde culturel européen _ en l’espèce des personnes le « constituant«  par leur activité vraiment « œuvrante«  (et pas par les à-côté people !..)… _ ne se sera pas plus _ activement _ mobilisé que les peuples de l’Union dans l’exercice démocratique _ de « votation », lui… _ qui leur était proposé. Il n’est cependant jamais trop tard _ ah ! l’Histoire n’est pas à sens unique… C’est pourquoi nous appelons _ voici… _ les artistes, les écrivains, les penseurs et les scientifiques de toute l’Europe à se mobiliser en se rassemblant à Bruxelles avant la fin de cette année pour que la culture soit _ enfin !

… 

on connaît la « pensée » (apocryphe ! seulement… : il s’agit d’un désormais célèbre hoax !) que Hélène Ahrweiler prêta, au conditionnel de l’idéel, seulement, donc, à Jean Monnet : « si c’était à refaire, je commencerais par la culture… » ; mais l’Histoire ne se refait pas !!! : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture, pourrait s’écrier Jean Monnet s’il revenait parmi nous« , s’était précisément exprimée madame Ahrweiler, en un discours public pour une cérémonie d’ouverture des « États généraux des Etudiants Européens« , dans la décennie 80… : on mesure excellemment là toute la fonction, en toutes ses ambivalences, justement, de l’« idéal«  ;

fonction (et ambivalences) à laquelle (et auxquelles) vient de consacrer une très significative étude François Jullien : « L’Invention de l’idéal et le destin de l’Europe » ; en confrontation avec le « penser«  dynamisant chinois

(cf du même François Jullien le récent aussi « Les Transformations silencieuses«  ; ainsi que « La Propension des choses : pour une histoire de l’efficacité en Chine« )_

pour que la culture soit mise _ réellement ; grâce à des décisions d’engagement économique des Politiques _ au cœur du projet de l’Union européenne de demain, et au service d’une renaissance _ « concept » parfaitement analysé et commenté, à excellent escient, par Heinz Wismann lors de sa propre intervention au Conseil Régional d’Aquitaine, vendredi dernier 23 octobre, au matin _ de la société industrielle _ dont l’Europe des Lumières fut le berceau  historique.

Bernard Stiegler

Un sujet passionnant en un livre apparemment bâclé : du devenir des villes au sein du devenir capitalistique

04jan

Bonne année !

Et pour la commencer en fanfare,

voici une excellente critique : « Villes à l’heure du capitalisme« , par Cynthia Ghorra-Gobin,
sur l’excellent site laviedesidees.com

susceptible de vous intéresser à des titres divers,

à propos du livre a priori extrêmement alléchant (par son sujet !) :

« Paradis infernaux. Les villes hallucinées du néo-capitalisme« 

(traduction française de Étienne Dobenesque et Laure Manceau, postface de Éric Hazan),

sous la direction de Mike Davis & Daniel B. Monk,

collection Penser/Croiser, aux Éditions Les Prairies ordinaires, paru en octobre 2008.

Villes à l’heure du capitalisme global
par Cynthia Ghorra-Gobin
[02-01-2009]

Domaine : Société
Mots-clés : inégalités | mondialisation | ville | urbanisme | richesse | néo-capitalisme

Des centres commerciaux géants,

des villes privées au milieu du désert ou de l’océan ?

Telles sont les fantasmagories urbaines et architecturales du néo-capitalisme.

Et l’ouvrage dirigé par Mike Davis et Daniel Monk en propose une analyse, critique et parodique, à travers le portrait de 11 villes…

Ce recueil collectif qui rassemble 15 auteurs se donne pour objectif de décrire et de dénoncer ouvertement les maux qui affectent les villes à l’heure du néo-capitalisme, comme l’indiquent clairement l’introduction et le titre. L’objectif n’est pas vraiment étonnant pour le lecteur familier des travaux de Mike Davis ; qui, depuis la publication de son bestseller sur Los Angeles, « City of quartz : Los Angeles, capitale du futur«  [1], adopte régulièrement ce ton sarcastique à l’égard de la logique dominante du profit. A priori, il n’a pas tort. Cette fois-ci, il met en scène 11 villes : deux villes de l’Amérique latine (Managua et Medellin), deux de l’Afrique (Le Caire et Johannesburg), deux du Moyen-Orient (Arg-e-Jadid et Dubaï), trois en l’Asie (Kaboul, Pékin, Hong-kong) et deux en l’Europe (Paris, Budapest).

Les États-Unis figurent bien entendu dans le premier chapitre, mais l’auteur ne traite pas d’une ville en particulier. Il se propose tout simplement de dénoncer deux produits de la production immobilière, le centre commercial et le centre résidentiel fermé, « shopping mall » et « gated community » _ deux phénomènes extrêmement intéressants (et significatifs) !!! _ , en se référant de manière explicite à deux États, le Minnesota et l’Arizona.

Le « Mall of America » (localisé dans la métropole de Minneapolis/Saint-Paul _ je m’y étais intéressé particulièrement à l’occasion de la « direction » d’un travail scolaire il y a quelques années, déjà…) _ et les « gated-retirement communities » (lotissements fermés pour retraités dont l’État de l’Arizona est certainement le plus représentatif) font ainsi l’objet de violentes critiques, ce qui a priori n’a rien d’innovant dans la mesure où l’on dispose déjà de travaux de grande envergure sur ces objets.

Après la lecture de ce premier chapitre centré sur deux produits immobiliers américains, on s’attend à ce que les auteurs présentant les autres villes poursuivent la réflexion en mettant en scène le transfert de ces deux modèles « made in America » ; qui, pour la majorité des habitants de la planète, sont bien des éléments du « rêve américain« . Pas du tout. En fait, la critique porte principalement sur les « mondes de rêve de la consommation » dans différentes villes, comme Paris, Hong Kong et Dubai (pour se limiter à quelques noms) ; et parfois de leur alliance avec les régimes politiques et les stratégies militaires (Arj-e Jadid, Pékin, Dubaï, Kaboul) ; mais toute allusion à l’ »American Way of Life » est inexistante. Étrange. Seuls les riches qui traversent en « dieux tout-puissants les jardins cauchemardesques de leurs désirs les plus secrets » sont véritablement remis en cause…

Quant à l’allusion intéressante faite dès l’introduction à l’égard de l’avènement des paradis fiscaux, corollaires de cette nouvelle phase du capitalisme, le lecteur s’attend alors à retrouver quelques pages ou chapitres analysant le régime des paradis fiscaux ; ou du moins décrivant les mécanismes de fonctionnement. Il n’en est rien. Seul le chapitre 2 intitulé « Utopies flottantes » aborde la thématique du paradis fiscal, en se limitant en fait à une présentation du site Internet, un simple prétexte pour dénoncer l’idéologie libertaire. Une visite du site permet en effet de se rendre compte qu’il s’agit tout simplement d’un groupe d’individus imaginant faire le tour du monde sur un navire. Les cartes du site qui donnent une idée du trajet à travers les continents sont drôles et amusantes.

La plupart des chapitres à l’image de ceux sur Dubaï ou Pékin s’organisent à partir d’une description de l’aéroport, du signalement de la présence d’hôtels et de voitures de luxe, de parcs à thèmes ou de centres commerciaux avant de prendre le temps de décrire les méga-projets en cours de réalisation (« Palm Jumeirah » à Dubaï) susceptibles de devenir de méga-enclaves pour riches en quête de la privatisation de la sécurité. De grands noms d’architectes sont ainsi cités, parfois assortis de quelques chiffres soulignant les investissements pharaoniques du secteur immobilier. Il est ici et là question de la faible rémunération de la main d’œuvre locale, ou encore issue de l’immigration (à Dubaï comme à Pékin) qui rassemblent des individus obligés de se soumettre pour survivre ; ou encore des droits que s’octroient les États pour confisquer les terrains tout en prônant l’intérêt général. À Pékin, un million d’habitants a été expulsé des vieux quartiers pour laisser place à des tours. Le chapitre sur Hong Kong se limite à décrire le lotissement fermé de « Palm Springs » qui, d’après l’auteur, a représenté la solution miracle pour combler la lacune identitaire des riches qui en refusant d’opter pour l’identité chinoise et l’identité britannique, ont préféré un style de vie issu du « supermarché culturel mondial« . Quant à l’article sur Johannesburg, il évoque la question de l’eau, après avoir insisté sur le legs de l’apartheid, sans pour autant souligner les véritables enjeux de pouvoirs au sein de la ville.

Au sein de ce recueil, l’article sur Le Caire s’avère être le seul qui repose sur une documentation sérieuse et qui ne se limite pas à la description de mégaprojets [2]. Toutefois l’analyse de Timothy Mitchell se présente plus comme une étude de cas de la politique menée par le FMI dans les années 1990 _ à l’apogée du fameux « consensus de Washington » _ qu’il n’aborde véritablement la thématique urbaine. Il est certes question du projet immobilier « Dreamland » _ réalisé non loin de la pyramide de Gizeh et s’inspirant d’images de lotissements fermés américains _, mais la critique porte plus sur les organismes internationaux, l’État américain et l’État égyptien. À différentes reprises, l’auteur rappelle que l’Égypte est un pays où seuls 5% de la population peuvent se retrouver dans la catégorie « classe moyenne » ; et où par ailleurs le poids de l’économie informelle dans l’économie nationale est considérable. Critique ou parodie ?


Face à cet ouvrage qui se veut une critique du capitalisme globalisé au travers d’un panorama de 11 villes,

le lecteur ne peut que ressentir une ambivalence à l’égard des éditeurs et des auteurs.

A priori, l’objectif annoncé dans l’introduction correspond bien aux intentions des sciences sociales,

qui ont toujours eu pour mission de rendre compte des processus économiques, sociaux et culturels,

de les expliquer et de les critiquer en mettant en évidence les inégalités sociales et les mécanismes d’exclusion.

Mais le statut de ce recueil s’apparente en fait à une simple parodie des travaux de sciences sociales.

Il en emprunte bien a priori le style et la tonalité,

mais le travail de recherche qui consiste

à rassembler documents relevant de sources différentes, données chiffrées ;

et à recueillir le point de vue et les représentations des acteurs au travers d’entretiens auprès des autorités politiques, des acteurs économiques, ou encore des populations concernées ;

est pratiquement inexistant (en dehors du chapitre sur l’Égypte).

Les textes reposent sur des informations que tout internaute peut retrouver aisément dans les multiples websites qu’offre Internet ;

et ne donnent pas plus d’information que ce que les médias quotidiens (offline et online) proposent.

Les auteurs usent certes des références savantes, en citant souvent des propos tenus par Adam Smith, Karl Marx ou encore Bourdieu (« seul chercheur ayant critiqué avec éloquence le néocapitalisme« ) ; ou en faisant référence à des films classiques, comme « Metropolis » de Fritz Lang ou encore « Blade Runner » ; mais ils ne sont là que pour donner une touche glamour de type marxiste au chapitre.

Le lecteur est alors envahi par l’étrange impression de se retrouver une fois de plus dans l’univers de l’apparence et de la consommation ; que l’on cherche par ailleurs à dénoncer. Quel décalage avec les travaux des sciences sociales reposant sur l’analyse marxiste qui chez nous ont jalonné les années 1960 et 1970 !

« Paradis infernaux » se présente comme un récit s’inscrivant plus dans le genre urbanophobe que dans l’analyse à proprement parler. Ce genre n’est pas étranger au personnage de Mike Davis, mais il était jusqu’ici relativement bien dissimulé comme dans son premier ouvrage dénonçant tout autant le capitalisme industriel que les modes de vie des « bourgeois » de LA au XXe siècle.

Il est vrai que Davis est américain ;

et que la civilisation américaine n’a jamais vraiment privilégié la ville comme « berceau de la civilisation«  ;

et qu’elle a choisi d’ancrer la démocratie dans les valeurs du monde rural.

À l’heure de l’industrialisation et de ses corollaires, l’urbanisation et l’immigration,

elle fut la première à valoriser la « banlieue«  _ ou le « rurbain » _ comme lieu privilégié de la famille américaine

parce qu’en mesure de véhiculer un sentiment d’appartenance à un lieu

tout en étant proche de la nature,

à l’image de la petite ville.

« Paradis infernaux » présente un sérieux lien de parenté avec les propos tenus au lendemain de la première guerre mondiale par le philosophe allemand Oswald Spengler

associant la grande ville et la métropole au symptôme du déclin des civilisations (et notamment de l’Occident).

L’influence de Spengler fut sérieusement éclipsée par la suite, en raison de nouveaux travaux adoptant un point de vue différent,

comme ceux de Georg Simmel _ qui m’intéressent tout particulièrement ! tels : « les Grandes villes et la vie de l’esprit » ; « Philosophie de la modernité » ; « La Tragédie de la culture » ; etc… _

qui privilégia la figure de la métropole comme le signe de l’avènement de la modernité.

En se déplaçant d’une ville à une autre (ou encore d’un site web à un autre), le lecteur circule dans un univers de stéréotypes (ex. la drogue à Kaboul) relevant de la science-fiction, sans pour autant que cela ne soit dit de manière explicite par les deux éditeurs de l’ouvrage revêtant l’habit des sciences sociales.

Aussi face à ce constat,

on ne peut que s’interroger sur les politiques menées par les maisons d’éditions _ question que je me suis posée, il n’y a pas plus longtemps que le 31 décembre dernier, à propos des politiques d’édition discographique musicale _ pour traduire les ouvrages étrangers.

Pourquoi avoir choisi « Paradis infernaux« , alors que de remarquables études sont publiées par des chercheurs américains (et autres) travaillant sur les mutations des villes à l’heure de la globalisation, tout en adoptant une posture critique ?

Les plus courageux d’entre eux n’hésitent pas à mettre l’accent sur la dynamique du transnationalisme comme facteur d’une complexité accrue de la ville,

parallèlement à une prise de conscience des individus dans leurs capacités d’interconnexion avec d’autres individus en temps réel, et à agir ensemble indépendamment de toute localisation géographique [3]. Le transnationalisme se présentant comme une question majeure et un véritable défi pour la démocratie et pour les pouvoirs politiques à l’heure de la globalisation.


par Cynthia Ghorra-Gobin [02-01-2009]

Notes
[1] « City of Quartz : Excavating the Future in LA« , Vintage, 1992. Cet ouvrage a été publié en français par la Découverte en 1997.
[2] Le chapitre sur Le Caire inclut 54 pages et plus de 112 notes de bas de pages donnant ainsi au lecteur de nombreuses références.
[3] Consulter à ce sujet l’introduction ainsi que les entrées « ville« , « ville globale« , « village global« , « métropolisation » et « globalisation » du « Dictionnaire des mondialisations« , paru aux Éditions Armand Colin, en octobre 2006.


A mon envoi de cet article de laviedesidees.com

l’éclairé Rufis Oeconomicus n’a pas tardé à répondre ceci :


De :   Rufus Œconomicus

Objet : re: Une remarque critique d’une critiquable elle-même critique de néo-urbanisations
Date : 3 janvier 2009 18:32:26 HNEC
À :   Titus  Curiosus

Salut,
Meilleurs vœux.
La critique du bouquin s/d. de M. Davis et alii que tu viens de m’envoyer est peu engageante.

Je l’ai lue rapidement mais pour résumer :

Péché majeur : superficialité.

Péché mineur : saupoudrage de marxisme lyophilisé.

C’est dommage, car je garde un très bon souvenir de son « City of quartz« , ouvrage qui mêle habilement sciences sociales et histoire de Los Angeles (du Sud de la Californie en fait) avec un souffle littéraire certain.

Si tu ne l’as pas déjà lu, je t’engage à le faire…
Amicalement.

Rufus

La (vraie) ville, ce sont de (vraies) rues, de (vraies) places, avec de (vrais) cafés, des lieux

_ et des moments : disposer d’un (vrai) temps de… ;

c’est-à-dire d’un temps qui soit

et à soi,

et, en même temps (!) à donner

à d’autres

que soi (qui soient, eux aussi, ces « autres », encore, eux aussi, des « soi »… ; et pas des ombres ou des zombies ; ou de purs et simplifiés corps, réduits à rien que du pornographique !) _ ;

des lieux, donc,

de (vraies) rencontres _ paroles, échanges, débats (animés !) _ ;

comme en ces villes méditerranéennes

_ Athènes, avec son agora ; Rome, avec son forum (et sa Piazza Navona ! et celle de la Rotonda, devant le Panthéon !..) ; et Sienne, avec sa Piazza del Campo (convexe et en pente : affriolante !) où se déroule deux fois l’an, le 2 juillet et le 16 août, le Palio ; et Salamanque, Santiago de Compostela, Saint-Sébastien/Donostia, avec leurs si vivants paseos ; etc... _

où naquit,

et vit encore, une (vraie) civilisation ;

avec de (vrais) passants

qui se parlent (vraiment)…

Même si Diogène, déjà,

avec sa lanterne allumée en plein jour,

cherchait _ en vain ?… et sans (trop) rire… _ rien qu’un

(seul, premier… ; et vrai)

homme…

Titus Curiosus, ce 4 janvier 2009

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