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Trois (belles !) curiosités musicales _ dont une au splendide catalogue Alpha : les chansons de Gustave Nadaud, par Arnaud Marzorati

27avr

En rafale,

voici trois (très belles !) « curiosités » musicales discographiques :

1) la première est à mettre au compte du splendide _ voire époustouflant ! cette saison 2010 ; cf mon article du 14 mars 2010 : « Alpha, éditeur de la “présence” (au disque) de la musique : François Lazarevitch et Yves Rechsteiner, entre Céline Frisch et Benjamin Alard _ un catalogue de merveilles !«  _ catalogue Alpha :

il s’agit du CD Alpha 160,

une nouvelle pépite de ce sourcier assez prodigieux qu’est Jean-Paul Combet :

soit le récital La Bouche et l’oreille, composé de 17 chansons, de Gustave Nadaud (1820-1893),

auteur-compositeur _ à la fois ! _ de ces petites merveilles,

qu’a su dénicher ce musicien magnifique _ je veux dire bien plus qu’un magnifique interprète-chanteur _ qu’est Arnaud Marzorati, baryton.

Celui-ci explore, en effet, très méthodiquement, depuis une dizaine d’années, le répertoire _ un peu trop en déshérence, ces derniers temps, hélas ! de quoi nous privons-nous, aussi stupidement !?! _ de la chanson française :

depuis son premier CD pour Alpha (je veux dire en tant qu’initiateur de projet _ de concert ou de disque _ ; pas en tant qu’interprète pour divers chefs…),

le CD Alpha 075 (enregistré en 2004) de chansons de Jacques Prévert (1900-1977) & Joseph Kosma (1905-1969) : Et puis après… ;

puis, le CD Alpha 111 (enregistré en 2006) de cantates françaises de Jean-Baptiste Stuck (1680-1755) : Tyrannique empire… ;

et aussi  le CD Alpha 131 (enregistré en 2007) de chansons de Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) : Le Pape musulman & autres chansons

Et maintenant voici que ce CD La Bouche et l’oreille de 17 chansons (paroles & musique, s’il vous plaît !) de Gustave Nadaud

est une réussite absolue

qui nous donne à écouter et jouir de tout un (grand) art de la chanson _ davantage pour des concerts privés, dans des salons un peu (mais pas trop !) encanaillés : avec juste ce qu’il faut d’esprit !, que pour des cafés-concerts, ou des concerts publics immenses… _ ;

et quand Gustave Nadaud se dit lui-même « modéré« ,

cela donne la mesure de ce qui pouvait alors se dire, ou plutôt se chanter ! et avec quelle poésie !

d’un art qui sait être « populaire » sans être ni vulgaire, ni populiste ! et raffiné, plein d’esprit _ français, justement !

Arnaud Marzorati nous offre tout cela avec précision, subtilité et liberté, tout à la fois,

jubilatoirement accompagné qu’il est _ comme au concert ! _ de musiciens (Daniel Isoir, au piano ; Stéphanie Paulet, au violon ; Alexandre Chabod, à la clarinette ; et Paul Carlioz au violoncelle) qui savent servir ce genre (entre deux, mais avec la liberté de ses audaces !) et ce répertoire…

Combien la chanson _ et la langue, le français parlé ! _ ont « perdu » _ en finesse comme en force de percussion ! _ depuis ce temps :

en gros celui du second empire et de la troisième république !

Quel plaisir d’écouter cette langue-là servie ainsi !!!


Qu’on en juge avec la chanson d’ouverture de ce récital, « La Vie moderne« , composée en 1857 :

« Vois-tu, là-bas, le tourbillon,

Qui, dans sa course échevelée,

Trace ce flamboyant sillon

A travers mont, plaine et vallée ?

Flamme et fumée, éclat et bruit,

S’éteindront sans laisser de traces :

Sais-tu quel est le char qui fuit ?

C’est ton existence qui passe !


Oui, le temps a doublé son cours,

L’humanité se précipite

Tous les chemins deviennent courts ;

L’océan n’a plus de limites.

La vie était longue autrefois ;

Sur la pente elle est entraînée ;

Nous vivons plus en un seul mois

Que nos aïeux dans une année.


La nature avait des poisons :

Le génie humain les révèle ;

Il arrache aux vieux horizons

Une perspective nouvelle.

Il a d’invisibles moteurs,

Des agents subtils, des essences

Qui savent calmer nos douleurs

Et décupler nos jouissances.

Les fleurs n’ont plus besoin d’été ;

Les fruits n’attendent plus l’automne ;

Ce que le sol n’a pas porté,

L’industrie active le donne.

Nous avons fait de nos loisirs

La mer et le ciel tributaires ;

Nos appétits et nos plaisirs

Épuisent les deux hémisphères.


Mais à peine respirons-nous

Dans cette course haletante ;

La vapeur nous emporte tous

Debout sur la machine ardente.

L’essieu se fatigue et se rompt,

Usé, vaincu par la distance ;

Ainsi bientôt se briseront

Les ressorts de notre existence.

L’aiguille avance ; soyons prêts !

Nous mourrons vieillis avant l’âge ;

Nos fils nous suivront de plus près

Dans le vertigineux voyage.

Ils auront la vie, à leur tour,

Plus rapide encore et meilleure ;

Ce que nous usons dans un jour,

Ils l’épuiseront dans une heure.

Ô le terrible enseignement !

Songes-y, l’instant est suprême.

Où trouveras-tu le moment

De te recueillir en toi-même ?

Beau voyageur, tu vas partir :

As-tu pris soin de bien vivre,

Ou le temps de te repentir ?

Le convoi passe, il faut le suivre !


Vois-tu, là-bas, le tourbillon« …


C’est superbe ! Une « vanité » à la Paul Virilio !

Bravo les artistes !

Et bravo l’éditeur (d’Alpha : Jean-Paul Combet _ il accomplit

(« monacalement« , dit Christophe Huss, en lui rendant, lui aussi hommage ! ;

soit, replacé dans le contexte de l’article de Christophe Huss :

« Il est clair qu’Harmonia Mundi a été ces cinq dernières années le phare de l’édition phonographique classique, l’éditeur qui a offert de beaux produits et des révélations artistiques dans de nombreux domaines

(cette considération n’enlève rien au génie de Jordi Savall sur Alia Vox,

au travail monacal d’Alpha _ voilà ! « monacal« , concerne la solitude, la rigueur, la vertu, presque l’austérité ; sinon la sainteté !.. _,

aux explorations de CPO

et à la constance de Bis)…« ,

disait-il en chroniquant un concerto pour clarinette de Mozart pas terrible, produit par Harmonia Mundi USA ;

et situant ainsi ce qui se fait actuellement de mieux, artistiquement, sur le marché de l’édition discographique !..)

il (= Jean-Paul Combet) accomplit un travail rare et magnifique ;

et cette saison-ci, tout particulièrement, est quasi sans déchets !)…

Mes deux autres satisfactions de « curiosité » concernent, elles, la période (des Arts ; de la musique) dite « baroque » : mais en des versions, toutes deux _ même si très diversement ! _ toutes de finesse et de subtilité.


2) D’abord, un rare _ par les pièces choisies ! d’abord… _ CD de musique de luth française au tournant des XVII & XVIII èmes siècles :

le CD Manuscrit Vaudry de Saizenay, interprété par Claire Antonini (CD AS Productions ASM 004)

d’après un des deux manuscrits conservés à la Bibliothèque municipale de Besançon (en l’occurrence le premier des deux : cote 279.152, très exactement !), de la main et du choix de Jean Etienne Vaudry de Saizenay, seigneur de Saizenay et Poupet, en Franche-Comté (non loin de Salins).

Né le 26 septembre 1678 à Saizenay, ce conseiller au Parlement de Besançon (de 1704 à 1725, date à laquelle il résigna sa charge) _ et qui mourut à Besançon le 21 juillet 1742 _, prit, pendant ses études à Paris, des leçons des maîtres luthistes Guillaume Jacquesson et Robert de Visée.


« Il entreprit alors de noter les nombreuses pièces de luth et de théorbe qu’il avait pu recueillir, souvent même auprès de ses maîtres ou de quelques uns des plus célèbres luthistes de son temps« , nous apprend, page 6, l’excellente notice du livret de ce CD, sous la plume plus qu’experte (!) de notre Claude Chauvel bordelais !.. Et « la rédaction de ses deux livres _ les seuls de sa main qui nous soient parvenus _ s’est poursuivie pendant plusieurs années, comme en témoigne la diversité stylistique du répertoire consigné« , pages 6-7.

Mais « alors que les luthistes du XVIIème siècle ont bien souvent une vision rétrospective _ et presque mélancolique _ de leur répertoire, Vaudry, sans ignorer la tradition des Gaultier et de Du Fault, fait une large place aux œuvres de ses proches contemporains Du But le Fils, Mouton et Gallot«  _ apparaissent ainsi, aussi, les noms de Emond (noté aussi « Aymond« , ou « Hémon« ), Du Pré (dit « d’Angleterre« ), Jacquesson ; ainsi que de Hardel (le claveciniste)…  De même que « pour son instrument, il n’hésite pas à transcrire : Lully, Marin Marais, Forqueray, Couperin, les pièces de théorbe et de guitare de Visée, Corelli, voire des chansons et autres vaudevilles à la mode«  _ soit le tout-venant de ce que pratiquait alors au quotidien un luthiste : interprète pour son plaisir, et celui de ses proches…

Aussi « son livre, rédigé d’une main uniforme (excepté les premières pièces), abonde (-t-il) en détail techniques (doigtés, tenues) et en signes d’interprétation (agréments, harpégements, séparations). Source unique _ voilà ! _ pour de nombreuses pièces, il en corrige parfois le texte ou précise les attributions. »  Avec cette conséquence notable que « la meilleure connaissance que nous avons aujourd’hui du répertoire du luth en France, au XVIIème siècle, doit beaucoup _ voilà _ à la passion _ musicienne autant que musicale : elles étaient alors confondues pour l’essentiel ! la musique se pratiquait plus qu’elle ne s’écoutait seulement… _ de Vaudry, autant qu’à sa diligence.« 

Ainsi « sa seule bibliothèque musicale, riche de publications les plus récentes _ alors : « contemporaines«  (de lui), dirions-nous maintenant _, prouve suffisamment le goût et l’éclectisme du personnage.«  Et « on déplorera, malheureusement, la disparition _ provisoire ? _ de trois autres manuscrits de luth qui figuraient dans la collection » ; « et, on le présume, quelques livres gravés, dont ceux pour la guitare de Robert de Visée« , page 7 du livret.

Tout un monde pour nous est ainsi restitué ! en ce récital de ce disque, sous les doigts fins, habiles et poétiques de Claire Antonini, sur un luth à 11 chœurs (un instrument réalisé par Paul Thomson, à Bristol, en 1997)…

Nous qui avons découvert aussi, naguère, en Jean de La Fontaine, un admirateur éperdu de cette musique si merveilleusement poétique : cf par exemple son éloquente (contre le trop « bruyant » et pas assez poétique nouveau genre musical qu’était le très ambitieux, lui, opéra de Lully…) « Épître à Monsieur de Nyert« 

(et mon texte pour le livret du CD « Jean de La Fontaine : un portrait musical« , par la Simphonie du Marais et Hugo Reyne : CD EMI 7243 5 45229 2 5, en 1996 ; CD dont j’avais composé le programme avec Hugo Reyne :

pour évoquer musicalement cette incisive et nostalgique, tout à la fois, « Épître à Monsieur de Nyert » _ dans laquelle le poète, amoureux fou de musique (et authentique initiateur de la critique de réception musicale ! La Fontaine fonde cette « esthétique«  : cela ne se sait pas assez ! même de la part de ce lafontainien éminent qu’est Marx Fumaroli : cf son Le poète et le roi _ La Fontaine en son siècle, paru en 1997) citait, mêlant les instruments et les genres :

« Boesset, Gaultier, Hémon, Chambonnières, La Barre,

Tout cela seul déplaît, et n’a plus rien de rare ;

On laisse là Du But, et Lambert et Camus ;

On ne veut plus qu’Alceste, ou Thésée, ou Cadmus« _

Avait été choisie alors la courante « L’Immortelle » du Vieux Gaultier, Ennemond,

qu’interprète magiquement, au théorbe, Vincent Dumestre, en ce disque enregistré l’été 1995 en l’abbatiale de Saint-Michel-en-Thiérache : j’y étais…)…

De même que nous avons découvert, aussi, et exploré, plus avant, ce goût, ou plutôt cette passion, pour cette musique,

aujourd’hui si méconnue _ mais que nous rendent les interprètes ! quand on va les écouter ! au concert comme au disque ! _,

dans les lettres « chantantes » si savoureuses de Madame de Sévigné à sa fille : toutes deux pratiquaient (plus que passionnément : à la folie !) la musique, et l’une, le chant, l’autre, la danse…


Enfin,

3) un CD d’une virtuosité époustouflante au service de la poésie de la musique

_ si rayonnante ! à conseiller d’urgence aux neurasthéniques ! _ :

l’interprétation par le génial flûtiste à bec Maurice Steger (et The English Concert, dirigé par Laurence Cummings, du clavecin…)

de versions orchestrées par Francesco-Xavero Geminiani,

et avec des agréments (virtuosissimes !) « of severall Eminent Masters« ,

tels que les Signori Cateni & Valentini, Pietro Castrucci, Christopher Petz, ou Jacques Paisible, tous présents alors à Londres,

des Sonates opus V d’Archangelo Corelli,

telles qu’elles eurent un succès fou (et durable : tout au long du XVIIIème siècle !) à Londres et en Angleterre, et tout le Royaume-Uni !

Le CD Harmonia Mundi Mr. Corelli in London _ Recorder Concertos ; La Follia (after Corelli’s op.5) CD HMU 907523,

par Maurice Steger, The English Concert & Laurence Cummings,

est ainsi une merveille de plaisir fou : rare !

Peut-être ce CD va-t-il même parvenir à détrôner la « merveille des merveilles » qu’est le double CD des Partitas (Clavier-Übung-I) de Jean-Sébastien Bach, par l’extraordinaire Benjamin Alard, l’album Alpha 157,

qui ne quitte pas ma platine depuis plus d’un mois

_ non plus que celle de Vincent, du rayon Musique de la librairie Mollat,

ainsi qu’il me l’a confié ;

et je ne crois pas trahir là un secret ! Il le fait largement partager !..

Un CD de pur bonheur ! A passer sans se lasser en boucle…


Titus Curiosus, ce 27 avril 2010

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