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Sur un lapsus (« Espérance »/ »Responsabilité ») : le chantier (versus le naufrage) de la démocratie, selon Michaël Foessel

23jan

Pour revenir _ brièvement ! _

à la brillante conférence de Michaël Foessel de mardi 18 janvier dernier dans les Salons Albert-Mollat,

et la quatrième de la saison 2010 – 2011 de la Société de Philosophie de Bordeaux :

« Les Nouveaux modèles sécuritaires : vers une cosmopolitique de la peur ?« 

dont voici un lien pour l’écouter _ elle dure 65 minutes _,

je relèverai simplement un _ infime _ lapsus

commis _ et à deux reprises… _ par l’excellent Michaël Foessel analysant (et discutant ! très finement et justement !!!), en sa très incisive _ il nous y a habitués ! _ conférence, le travail philosophique de Hans Jonas (1903 – 1993) _ lapsus que nul dans la salle n’a alors relevé… _ :

Michaël Foessel a en effet évoqué l’opus _ probablement _ majeur _ au moins en ses échos (sinon effets…) politico-civilisationnels dans les années qui ont suivi, de par le monde : ce fut le moment du déploiement thatchero-reaganien de l’ultra-libéralisme ! Et nous y sommes toujours !.. _ de Hans Jonas,

en 1979

(sous-titré « une éthique pour la civilisation technologique » ; et paru en traduction française en 1990),

Le Principe Responsabilité,

en le nommant _ deux fois, donc : on mesure d’autant l’enjeu, pour lui, de l’« espérance«  : face à ce qui vient trop (et pas assez à bon escient !) décourager ! sous couvert de « prudence«  et de « précautions«  raisonnablement multipliées… _,

du titre de l’opus que Jonas entreprenait, précisément, de contrecarrer (!),

celui _ vaste ! _ de Ernst Bloch (1885 – 1977),

Le Principe Espérance

(sous-titré, lui, « les images-souhaits de l’instant exaucé«  ; et dont les trois volumes avaient paru entre 1954 et 1959 ; la traduction française, elle, étant _ hélas ! _ bien plus tardive : 1976, 1982 et 1991…).

Sur ce débat _ espérance versus responsabilité (ou précaution) ; ou progrès versus conservation _ plus que jamais crucial-là, en cette seconde décennie _ nôtre _ du XXIème siècle,

et l’anticipant en quelque sorte _ ou peut-être : à chacun d’en juger… _ de toute sa puissance _ géniale ! _ de conception (!),

on se reportera avec le plus grand profit

au livre majeur, aussi, de l’immense Cornelius Castoriadis (1922 – 1997) :

L’Institution imaginaire de la société,

paru, lui, en 1975 ! Mais oui…


C’est ce débat-là :

civilisationnel :

face aux avancées

socio-économiquement « globalisées« , géo-politiquement « mondialisées«  _ là où (et quand) la planète qu’habitent les hommes, paradoxalement, de plus en plus rapidement et largement, sinon profondément (?), s’« émonde«  _,

face aux

assez difficilement résistibles, en apparence tout du moins,

massives

avancées

de la désespérance bling-bling (c’est là le leurre fun, voire clownesque _ cf le cirque d’un Berlusconi en Italie…) cupido-nihiliste…

C’est ce débat-là, civilisationnel, donc,

qu’il faut _ ici philosophiquement _ impérieusement re-prendre,

re-travailler,

à nouveaux frais ;

et c’est à cette tâche que me semble précisément s’attacher

_ et combien excellemment ! : avec une particulière finesse d’analyse de l’historicité des représentations-conceptions et plus encore concepts (à critiquer, certains, et créer et mettre en œuvre, d’autres) _,

Michaël Foessel,

à partir des enjeux cosmo-politiques :

à sauver

_ avec courage ! _

de l’émondement

dans lequel on les efface, ces enjeux cosmo-politiques

_ et vide, peu à peu de pouvoir et de sens, les institutions qui tâchaient (peut-être) de servir (concrètement) leurs valeurs

régulatrices…


Ce que marquaient,

discrètement,

en l’avant-prospect _ cf mon article précédent : “Faire monde” face à l’angoisse du tout sécuritaire : la nécessaire anthropologie politique de Michaël Foessel _ de Michaël Foessel à sa conférence

_ je le relis rapidement : « Comment expliquer que l’affaiblissement des modèles de justice s’accompagne de la montée en puissance des politiques sécuritaires ? Assiste-t-on aujourd’hui à un retour inattendu des États-nations et de leur souveraineté, comme semble l’indiquer le durcissement des politiques d’immigration ? Pourquoi la mondialisation libérale ne s’accompagne-t-elle pas d’une référence à un droit cosmopolitique ? On montrera que le « monde » de la mondialisation se définit avant tout par la conscience du risque et la généralisation des peurs : un monde que l’on cherche seulement à préserver est aussi un monde que l’on a renoncé à transformer. Ce renoncement pourrait bien être un écueil pour la démocratie«  _,

et à propos de ce «  »monde »(-ci) de la mondialisation« ,

ce que marquaient, donc,

les expressions conclusives suivantes mises, plus haut, en gras _ :

« Un monde

que l’on cherche seulement à préserver

_ précautionneusement : à la Hans Jonas, si l’on veut… _

est aussi un monde

que l’on a renoncé _ piteusement _ à transformer« 

_ faire « progresser«  : ce à quoi travaillaient aussi, en commençant par leurs analyses philosophiques,

et un Ernst Bloch,

et un Cornelius Castoriadis !..

Et _ sans démesurément le souligner-surligner (jusqu’à l’usage du discret conditionnel…) _ :

« Ce renoncement

pourrait bien être

un écueil _ voilà ! _

pour la démocratie« …

Démocratie dont le concept pratique

est, en effet _ sous peine de « naufrage«  :

cf le livre de Hans Blumenberg : Naufrage avec spectateur, sur lequel s’est penché Michaël Foessel en son État de vigilance _,

à re-prendre,

par les citoyens que nous sommes (encore : un peu ; pour combien de temps ?..)


Et sur ce terrain-là,

c’est bien du devenir de la chair vivante _ à « raviver«  quand elle décline et se meurt, est moribonde… _

des institutions _ politico-civilisationnelles les plus concrètes _ mêmes

qu’il s’agit…

_ cf l’éclairage qu’en donnait déjà le livre, classique (il est paru en 1977), de Michel Crozier et Erhard Friedberg : L’Acteur et le système


D’où les espoirs _ même imprécis et ténus ; et toujours, toujours : sans fin, sur la sellette… _

qu’ont pu susciter

et suscitent, à nouveau, ici et là, de par la planète _ devenue « globalisée«  _,

par exemple,

l’élection, hier, d’un Obama,

ou la révolte présente _ courageuse ; et elle se poursuit… _, aujourd’hui, du peuple tunisien…

Faut-il, ou pas, raisonner

sur tout cela

en terme _ ou couleur _ de « catastrophe » ?

Michaël m’a recommandé le livre, très lucide, en effet, dans l’analyse des complexités à vivre _ et auxquelles « survivre« , aussi _,

de Pierre Zaoui : La Traversée des catastrophes,

dont le sous-titre _ ce livre-ci se plaçant, lui, à l’échelle de l’éthique de la personne, cette fois _ est : « Philosophie pour le meilleur et pour le pire«  :

outre l’introduction (« Vivre au dehors _ Idées pour la constitution d’une éthique athée« )

et la conclusion (« La Fin du pire ?« ),

j’en ai lu, depuis mercredi, les chapitres IV (« Quelle tuile ! Sur l’événement amoureux« ),

V (« Heureux qui comme David (Se faire son petit bonheur juif« )

et VI (« Des grands et des petits bouleversements« )

_ je lirai ensuite les chapitres I, II & III : sur la maladie, la mort, le deuil et la perte…

Le démêlage est en effet excellent ;

et pas catastrophiste du tout !!!

Titus Curiosus, le 23 janvier 2011

Post-scriptum :

mardi prochain, 25 janvier, à 18 heures,

dans la salle du rez-de-chaussée de la Librairie Mollat, au 91 de la rue Porte-Dijeaux,

à Bordeaux,

Baldine Saint-Girons

présentera son passionnant travail (et œuvre) d’Esthétique,

via, notamment, ses trois très remarquables récents livres :

L’Acte esthétique, aux Éditions Klincksieck ;

Le Pouvoir esthétique, aux Éditions Manucius ;

et La Pietà de Viterbe _ Une double invention de Michel-Ange et de Sebastiano del Piombo, aux Éditions Passages d’encre…

en dialogue avec Francis Lippa…

Le courage de « faire monde » (face à la banalisation esseulante du tout sécuritaire) : un très beau travail d’anthropologie à incidences politiques de Michaël Foessel

22avr

Comme pour poursuivre le questionnement (et l’analyse !) sur les manières de résister _ intelligemment et efficacement ! _ aux ravages civilisationnels de l’étroitesse utilitariste _ dictatoriale ! subrepticement totalitaire ! _ du néolibéralisme

_ cf mon article précédent « Penser le post-néolibéralisme : prolégomènes socio-économico-politiques, par Christian Laval«  à propos de la conférence de Christian Laval « Néolibéralisme et économie de l’éducation« , mercredi dernier à la librairie Mollat _,

voici que paraît ce mois d’avril 2010, sous la plume de l’excellent Michaël Foessel _ l’auteur du lucidissime, déjà, La Privation de l’intime, aux Éditions du Seuil en 2008 : le sous-titre en était : « mises en scènes politiques des sentiments«  : un travail déjà très important et magnifique !.. _ un passionnant et très riche (en 155 pages alertes, nourries et incisives !) État de Vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire,

aux Éditions Le Bord de l’eau (sises _ après Latresne… _ à Lormont, sur les bords de la Garonne…),

et dans une collection, « Diagnostics« , que dirigent nos judicieux collègues bordelais Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc…

L’ouverture d’esprit ainsi que le champ d’analyse _ et de culture :

principalement philosophique : de Hobbes, excellemment « fouillé«  (entre Le Citoyen et Léviathan), à Hannah Arendt (La Crise de la culture) ou Hans Blumenberg (Naufrage avec spectateur, paru en traduction française aux Éditions de L’Arche en 1994) et Wendy Brown (Les Murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique), ainsi que, et surtout, les dernières leçons au Collège de France de Michel Foucault (par exemple Naissance de la biopolitique, ou L’Herméneutique du sujet ; et aussi La Gouvernementalité, en 1978, disponible in Dits et écrits…) ;

mais pas seulement : cf, par exemple, la mise à profit par Michaël Foessel du tout récent et important travail de la juriste Mireille Delmas-Marty : Libertés et sureté dans un monde dangereux ; ou de celui du Prix Nobel d’économie Amartya Sen, in le rapport de l’ONU paru en 2003 La Sécurité humaine maintenant…) _

l’ouverture d’esprit ainsi que le champ d’analyse

de Michaël Foessel, n’ont, Dieu merci !, rien d’étroit ; ni de mesquin, d’avare 

Non plus que sa sollicitude _ passablement inquiète (sinon « vigilante«  !..), sans être excessivement dramatisée, voire hystérisée, cependant : à la différence des rhétoriques (sécuritaires) excellemment mises en lumière et critiquées ici, en leur banalisation même, à renfort quotidien, laminant, de medias et de communiquants, d’un « catastrophisme«  très complaisamment et non innocemment surjoué, lui !.. _

non plus que sa sollicitude, donc,

à l’égard de la santé de la démocratie et du « vivre ensemble » en notre histoire collective (sociale, économique, politique) désormais globalisée _ d’où l’expression du titre de cet article : « faire monde » !

La quatrième de couverture de État de Vigilance _ Critique de la banalité
sécuritaire
énonce ceci (avec mes farcissures ! si l’on veut bien…) :

« Nous vivons sous le règne de l’évidence _ à la fois matraquée par les medias et les divers pouvoirs ; mais aussi largement assimilée (et partagée) par bien des individus (je n’ose dire « citoyens« , tant ils se dépolitisent et « s’esseulent« …), qui y adhérent, donc, en nos démocraties… _ sécuritaire. Des réformes pénales _ telle « la loi sur la « rétention de sûreté » adoptée par le Parlement français en février 2008 » (cf page 51)… _ aux sommets climatiques en passant par les mesures de santé : l’impératif _ normé _ de précaution a envahi nos existences. Mais de quoi désirons-nous tant _ voilà la dimension anthropologique fondamentale que dégage magnifiquement le travail d’analyse, ici, de Michaël Foessel _ nous prémunir ? Pourquoi la sécurité produit-elle _ de fait, sinon de droit, en ces moments-ci de notre histoire contemporaine… _ de la légitimité _ socialement, du moins _ ? Et que disons-nous lorsque nous parlons _ ainsi que le relève aussi Mireille Delmas-Marty _ d’un monde « dangereux » ?

Le maître mot de cette nouvelle perception du réel est « vigilance » _ à laquelle sont expressément et en permanence « invités« , en leur plus grande « liberté«  (d’individus), et au nom du plus élémentaire « bon sens« , les membres de nos sociétés, au nom de leurs plus élémentaires (toujours : nous sommes là et demeurons dans le plus strict « basique«  ! du moins, apparemment !..), au nom de leurs plus élémentaires intérêts : « vitaux«  !.. Rien de plus « rationnel« , en conséquence !!!

L’état _ permanent : sans cesse (obligeamment !) rappelé : on s’y installe et on le réactive d’instant en instant le plus possible… _ de vigilance s’impose _ ainsi : avec la plus simple (et douce) des évidences ! « naturellement« , bien sûr ! _ aux individus non moins qu’aux institutions : il désigne l’obligation _ bien comprise ; mais non juridique ! _ de demeurer sur ses gardes _ apeuré _ et d’envisager le présent _ en permanence, donc _ à l’aune des menaces _ de tous ordres, et fort divers : Michaël Foessel en analyse quelques unes ; ainsi que l’effet (incisif) de leur conglomérat (pourtant composite : en réciproques contagions)… _ qui pèsent sur lui.

Cette éthique de la mobilisation _ apeurée, donc _ permanente _ voilà : à coup d’« alarmes«  et de « conseils de précaution«  (préventifs et réitérés) des plus aimable : du type « à bon entendeur, salut !«  _ est d’abord celle du marché _ tiens donc ! mais rien n’est gratuit en ce bas monde : tout a un « coût« , n’est-ce pas ?.. : la première évidence, et normative, est donc, par là, marchande ! _, et ce livre montre le lien entre la banalité sécuritaire et le néolibéralisme _ c’est là le point capital. Abandonnant le thème _ bien connu, lui ; et assez bien balisé _ de la « surveillance généralisée », il propose _ plus profondément et plus originalement _ une analyse des subjectivités vigilantes _ apeurées contemporaines : ce sont elles les acteurs-fantassins du premier « front«  On découvre la complicité _ politico-économico-sociétale _ secrète entre des États qui rognent _ oui ! en leur forme d’« État libéral-autoritaire«  : analysé dans le chapitre 1 du livre : « L’État libéral-autoritaire« , pages 27 à 55 : une analyse décisive !!! _ sur la démocratie _ voilà ! et l’enjeu est de taille !!! _ et des citoyens qui aiment _ voilà _ de moins en moins _ en effet _ leur liberté _ eh ! oui ! au profit du fantasme de leur « confort«  désiré, mis à mal (par toutes ces « inquiétudes«  !), mais encore moins satisfait ainsi : de plus en plus rabroué !!! au contraire…

L’équilibre (par définition instable : la dynamique de ce dispositif est conçue et voulue ainsi ! en spirale vertigineuse) des pratiques et de discours (rhétoriques) et de pouvoir bien effectif, lui (avec espèces bien sonnantes et bien trébuchantes à la clé !), des communiquants amplement mis à contribution et des détenteurs du pouvoir politique (ainsi qu’économique : mais ils sont en très étroite connexion, collusion) en direction du « public«  (des individus : chacun esseulé dans sa peur) ciblé se situe et se maintient (et cherche à s’installer et durer) en ce schéma mouvant et émouvant (affolant…) : dans la limite, à bien calculer-mesurer, elle, du supportable… Les élections et les sondages d’opinion (d’abord) en fournissant d’utiles indicateurs pour les pilotes décideurs et acteurs « à la manœuvre« 

L’État libéral-autoritaire produit _ ainsi _ des sujets _ assujettis, tout autant que s’assujettisant (d’abord, ou ensuite, ou en couple : comme on préfèrera), ainsi « manœuvrés«  en leurs affects dominants… _ et des peurs qui lui sont adéquats. C’est à cette identité nouvelle entre gouvernants et gouvernés qu’il faut apprendre à résister« 

_ par là, l’intention de ce livre-ci de Michaël Foessel rejoint le souci (de démocratie vraie !) qui animait aussi Christian Laval en sa conférence de mercredi dernier : Néolibéralisme et économie de la connaissance ; ou en son livre avec Pierre Dardot : La Nouvelle raison du monde

Personnellement, j’ai beaucoup apprécié le passage d’analyse de la curiosité, pages 127 à 131 d’État de Vigilance _ à l’ouverture du chapitre 4 et dernier, intitulé « Cosmopolitique de la peur ? » (et explorant de manière très judicieuse « l’hypothèse d’une historicité de la peur«  : l’expression se trouve page 123) _ à partir d’une lecture fine de l’article « Curiosité«   de Voltaire dans l’Encyclopédie : à contrepied de l’interprétation par Lucrèce, au Livre II de De la nature des choses, de ce qui va devenir, à partir de lui, le topos du « naufrage avec spectateur« …

« Aussi longtemps que la sécurité a été une caractéristique de la sagesse et non une garantie politique, la peur était définie comme une faute imputable à l’ignorance. Dans la célèbre ouverture du livre II de son poème, Lucrèce présente ainsi le plaisir qu’il peut y avoir à se sentir en sécurité lorsque tout, autour de soi, s’effondre :

« Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense,

d’observer du rivage le dur effort d’autrui,

non que le tourment soit jamais un doux plaisir

mais il nous plaît de voir à quoi nous échappons. »

Le sage jouit de savoir que sa position n’est pas menacée. Devant le spectacle de la tempête, il ne ressent pas de peur, précisément parce que sa sagesse est ataraxie, tranquillité et constance de l’âme. Il n’y a rien dans ce sentiment du spectateur face à la violence des flots qui ressemble à la « pitié » des modernes : le philosophe antique n’éprouve aucune émotion à contempler les malheurs d’autrui. La pitié est une passion démocratique _ en effet ! _, puisqu’elle suppose l’égalité entre celui qui souffre et le témoin de sa souffrance.

A l’inverse, Lucrèce chante ici la hauteur _ d’âme _ du sage _ épicurien, matérialiste _ qui sait qu’il n’existe pas de Providence _ rien que le jeu de la nécessité et du hasard, avec le clinamen _, et que la colère des Dieux ne peut pas s’abattre sur la Terre. Le philosophe est préparé à l’agitation du monde parce que son savoir le prémunit _ en son âme : en ses affects _ des désordres _ du réel des choses _ qui se laissent expliquer par le mouvement nécessaire des atomes. Son rapport contre la peur est de nature scientifique, construit avec la théorie d’Épicure.

Hans Blumenberg _ en son Naufrage avec spectateur _ a montré que l’histoire de cette image _ du naufrage avec spectateur »  » _ était aussi celle des rapports entre la raison _ voilà : en ses diverses acceptions : plus ou moins calculantes ; plus ou moins utilitaristes… _ et ce qui, dans le monde, est inquiétant. « Le naufrage, en tant qu’il a été surmonté, est la figure d’une expérience philosophique inaugurale » _ écrit Blumenberg, page 15 de ce livre (paru aux Éditions de l’Arche en 1994). La force de cette métaphore réside dans l’opposition entre la terre ferme (où l’homme établit ses institutions _ à peu près stables _ et fonde ses savoirs _ avec une visée de constance _) et la mer comme « sphère de l’imprévisible ». L’élément liquide symbolise le danger puisqu’il échappe aux prévisions, en sorte que le voyage en pleine mer permet de penser la condition humaine dans ce qu’elle a d’effrayant _ dans l’augmentation du risque de mortalité effective. Dans tous les cas, surmonter l’expérience du naufrage suppose de le « voir » du rivage, et de ne pas craindre pour sa vie _ ainsi qu’on l’a évoqué plus haut _ ce fut pages 89 à 91 _, ce sera encore le modèle de Kant dans son analyse du sublime

_ au § 28, Ak V, 261-263 de la Critique de la faculté de juger :

« il importe à Kant que le sublime soit autre chose qu’une épreuve du désastre pour que le déchaînement de la nature devienne l’occasion d’une prise de conscience d’une faculté qui, en l’homme, excède toute nature : sa liberté« , page 90 d’État de Vigilance.

Et Michaël Foessel poursuit alors : « A l’abri de la violence qu’il contemple, le sujet découvre en lui « un pouvoir d’une toute autre sorte, qui (lui) donne le courage de (se) mesurer avec l’apparente toute-puissance de la nature« . La liberté est cette faculté qui situe l’homme à la marge _ voilà ! _ du monde, en sorte qu’il n’a rien à craindre des tumultes naturels. Mais pour que le sujet puisse s’apercevoir _ voilà encore ! _ de sa liberté, il faut qu’il se sente en sécurité et que sa peur ne se transforme pas en angoisse«  _ une distinction cruciale, que Michaël Foessel reprendra plus loin, page 143, à partir de la distinction qu’en fait Heidegger.

Et pour montrer, page 145, avec Paolo Virno, en sa Grammaire de la multitude _ pour une analyse des formes de vie contemporaines, que « la ligne de partage entre peur et angoisse, crainte relative et crainte absolue, c’est précisément ce qui a disparu«  ; et que « c’est plutôt à l’« être au monde » dans son indétermination _ la plus vague qui soit : « Qu’est-ce que j’peux faire ? j’sais pas quoi faire…« , chantonnait en ritournelle la Marianne (confuse…) du Ferdinand de Pierrot le fou, de Godard, sur l’Île de Porquerolles, en 1965 _, c’est-à-dire à la pure et simple exposition à ce qui risque _ voilà _ d’advenir ou de disparaître _ les deux unilatéralement négativement… _, que renvoient les peurs angoissées _ voilà leur réalité et identité (hyper-confuses !) clairement déterminée ! _ du présent.« 

Avec cette précision décisive encore, toujours page 145 : « Les discours de la « catastrophe », une notion qui tend à se généraliser bien au-delà des phénomènes naturels, enveloppent nos craintes d’une aura de fin du monde. Apocalypse sans dévoilement _ et pour cause ! en une (hegelienne) « nuit où toutes les vaches sont noires«  _, la catastrophe devient la figure du mal sous toutes ses formes _ mêlées, emmêlées _ : injustice, souffrance et faute. Les théories de la « sécurité globale » se fondent précisément sur la généralisation _ indéfinie autant qu’infinie _ de ce modèle à toutes les formes d’insécurité, comme s’il n’y avait d’autre moyen d’envisager la résistance du réel qu’à l’aune de son possible effondrement« _ tout fond « cède« … : aux pages 145-146 ;

Michaël Foessel ne se réfère pas aux analyses de Jean-Pierre Dupuy ; par exemple Pour un catastrophisme éclairé

Fin ici de l’incise ouverte avec la référence au « sentiment de sécurité«  comme condition de l’expérience du « sentiment de sublime«  selon Kant ; et les remarques adjacentes sur l’opportunité de la distinction « peur« /« angoisse«  ; et le « catastrophisme« … Et retour aux remarques sur la « curiosité«  et la démarcation de Voltaire par rapport à Lucrèce, aux pages 125 à 128 du chapitre « Cosmopolitique de la peur ?« 

« C’est dans la modernité que l’on procède à une réinterprétation radicale de la métaphore du « naufrage avec spectateur » ; donc du statut anthropologique de la peur«  _ soit le centre de ce livre décidément important qu’est État de Vigilance _ Critique de la banalitésécuritairePour les penseurs des Lumières, il n’est plus question de valoriser la distance indifférente du spectateur, car celle-ci suppose une quiétude qui ressemble trop _ par son statisme, son inertie ; et son anesthésie doucereuse _ à la mort. Désormais, la vie est perçue comme ce qui reste _ bienheureusement ! _ en mouvement _ vital ! pardon de la redondance ! _ grâce à ce qui risque de lui être fatal : le danger devient une dimension positive _ dynamisante _ de l’expérience«  _ se construisant pour sa sauvegarde nécessaire : page 126. « En conséquence, il faut réhabiliter les passions qui, d’une manière ou d’une autre, ont toujours été la source _ nourricière, féconde, fertile _ de ce qui s’est fait de grand dans le monde«  ; et donc « il faut désormais s’intéresser à ce qui se passe sur le bateau afin d’éviter qu’un naufrage se reproduise _ le réel étant répétitif jusque dans ses accidents les plus rares (= un peu moins fréquents, seulement…) : commencent alors à prospérer les statistiques (par exemple dans la Prusse de Frédéric II) : Kant ne manque pas de le remarquer en ouverture de son article crucial Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, en 1784…

« C’est pourquoi Voltaire réinterprète l’image du naufrage avec spectateur dans l’article « Curiosité » de l’Encyclopédie » : « C’est à mon avis la curiosité seule qui fait courir sur le rivage pour voir un vaisseau que la tempête va submerger ! »

Le sentiment de sécurité du sage est contredit par un affect universel : le désir de savoir de quoi il retourne dans les catastrophes. Pour Lucrèce, un naufrage n’est jamais que le résultat d’un mécanisme naturel qui affectait par hasard les hommes. Pour l’éviter, il convenait donc surtout de ne pas prendre la mer _ liquide et mobile : éviter le risque de ce danger ; voire le fuir : en s’abstenant de courir le risque : « mieux vaut changer ses désirs que l’ordre du monde« , hésitait (et balançait…) encore un Descartes (avec un plus entreprenant « devenir comme maître et possesseur de la Nature« , en 1637 (en son « Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences« )… _, et de demeurer sur la terre ferme _ solide et davantage stable _ décrite par la physique épicurienne. A l’inverse, le penseur des Lumières s’intéresse aux naufrages parce qu’ils atteignent ce qu’il y a de plus noble _ voire héroïque _ en l’homme : son désir _ faustien (cf tout ce qui bouge entre le Faust de Christopher Marlowe en 1594, pour ne rien dire de celui de l’écrit anonyme Historia von D. Johann Fausten, publié par l’éditeur Johann Spies, en 1587, et le Faust de Goethe…) _ de dépasser ses limites en apprivoisant _ = « s’en rendre comme maître et possesseur« , dit, à la suite d’un Galilée (« la Nature est écrite en langage mathématique« ), un Descartes, en 1637, donc : les dates ont de l’importance… _ la nature. Dès lors, il faudra se demander comment prendre la mer (c’est-à-dire civiliser le monde _ sinon le coloniser et mettre en « exploitation«  _), sans courir de risques inutiles _ le pragmatisme utilitariste a de bien beaux jours devant lui ; pages 127-128…

Quel est le rapport entre cette valorisation de la curiosité _ à ce moment des Lumières et de l’Encyclopédie _ et l’histoire de la peur ?

Avant les Lumières, Hobbes est le premier _ ou parmi les premiers : cf un Bacon… _ philosophe à réhabiliter la curiosité contre sa condamnation chrétienne. (…) La curiosité n’est rien de plus que « le désir de savoir pourquoi et comment » _ énonce Hobbes dans Léviathan, au chapitre VI. (…) Être curieux, c’est être amoureux _ oui _ de la connaissance des causes : l’homme doit à cette passion _ voilà _ toute sa science et ses plus hautes œuvres de culture. La curiosité est donc l’opérateur _ tel un clinamen de très large amplitude et fécond _ de la différence humaine«  _ par rapport au reste du vivant (et du règne animal) : moins « déployé« 

Et « pourquoi cette réhabilitation de la curiosité est-elle en même temps _ dans l’œuvre de Hobbes _ une valorisation de la peur ?« , page 129.

« Pour les penseurs de la modernité (…), le désir de savoir qui mène le spectateur sur le rivage et l’incite à analyser les causes du désastre s’explique, tout comme la peur _ voilà ! _ par un rapport inquiet au futur.

« C’est l’inquiétude des temps à venir » qui « conduit les hommes à s’interroger sur les causes des choses » _ énonce Hobbes dans Léviathan, au chapitre XI. La curiosité n’est une passion aussi vivace _ c’est aussi une affaire de degrés _ que parce que les êtres humains se trouvent dans l’ignorance de l’avenir, et cherchent par tous les moyens à remédier _ = prendre des mesures préventives tout autant efficientes qu’efficaces (soit prévoir & pourvoir ! pragmatiquement ! _ à leurs craintes«  _ on pourrait citer aussi, ici, le très significatif chapitre XXV du Prince de Machiavel ; avec la double métaphore de la crue catastrophique (faute, aux hommes, d’avoir ni rien prévu, ni rien pourvu !) du fleuve et des « digues et chaussées«  (à concevoir & réaliser) qui, si elles n’empêchent pas la-dite crue d’advenir et se produire, évitent du moins ses effets ravageurs catastrophiques sur les hommes et leurs biens institués ou construits : en les « sauvant«  de la destruction. A cet égard, la « précaution«  (active et efficiente) est plus « moderne«  que la simple « fuite«  (passive) à laquelle recouraient les Anciens…

 

C’est alors que Michaël Foessel compare (et confronte) les peurs contemporaines aux peurs modernes ; et la place changeante qu’y prend, tout particulièrement, en chacune, le remède politique de l’État ; ainsi que ce qu’il qualifie, page 131, de « l’histoire de la rationalisation _ calculante _ de la peur« …

Avec la modernité de Hobbes, « au moment où elle devient raisonnable, la peur acquiert le statut de passion politique _ quand se construisent les États-Nations de la modernité. La banalité sécuritaire se fonde _ alors _ sur cette équivalence entre une peur _ citoyenne _ qui cherche à se dépasser dans la tranquillité _ d’une part _ et _ d’autre part _ un État qui répond _ voilà ! _ à cette exigence par les moyens de la souveraineté » _ voilà !

« Mais qu’en est-il de cette équivalence aujourd’hui ?«  _ en cette première décennie de notre XXIème siècle, page 132.

Les dix-sept pages qui suivent vont y répondre :

et selon « l’hypothèse«  d’« une dépolitisation de la peur » _ dans le cadre oxymorique (à déchiffrer !) des « États libéraux-autoritaires« _ ; c’est elle « qui explique pour une part _ au moins _ les évolutions sécuritaires auxquelles nous assistons« … 

Michaël Foessel alors résume les trois apports du modèle moderne (hobbesien) _ soient :

« passion du calcul rationnel,

rappel à la finitude,

affect qui ne peut se dépasser que dans l’institution :

voilà les trois principales caractéristiques qui font de la peur un sentiment politique à l’intérieur de l’anthropologie classique«  _, afin d’y confronter ce qui se passe à notre époque :

« ce modèle est-il encore le nôtre ?« , demande-t-il, page 136. 

« Il semble que les peurs actuelles empruntent surtout au premier élément : la vigilance prônée dans les sociétés néolibérales est un appel constant à évaluer les risques _ voilà ! _ pour les intégrer à un calcul _ de plus en plus strictement utilitaire _ en termes de coûts et de bénéfices«  _ faisant devenir chacun et tous et en permanence des comptables de leur existence (réduite à cela) !!!

« Il est déjà moins sûr que la peur fonctionne encore comme un correctif à la démesure _ ah ! ah ! la cupidité du profit, de l’appât du gain (d’argent) n’ayant guère, déjà et en effet, de « mesure«  Les mesures sécuritaires _ en effet _ s’inscrivent dans un projet qui est celui de la maîtrise aboutie _ voilà ! _ du monde _ dont les hommes, s’agitant sans cesse _, comme si des technologies électroniques devaient tendanciellement se substituer aux évaluations humaines _ subjectives : par l’exercice personnel du juger… _ de la menace.« 

Et Michaël Foessel de commenter excellemment : « Ainsi qu’on le voit avec la biométrie, le rêve _ un terme qui doit toujours nous alerter ! _ sécuritaire est un rêve d’abolition de la contingence _ voilà l’horreur : le « rêve«  d’une vie enfin sans « jeu«  ! sans la marge d’incertitude d’une « création » éventuelle (= indéterminée, forcément) de notre part ; ce que Kant nomme aussi « liberté » du « génie«  ; ou qui, aussi et encore, est la poiesis _ dans lequel les identités individuelles sont réduites _ voilà ; et drastiquement : telle une implacable peau de chagrin… _ à des paramètres constants et infalsifiables _ une réification (= choséification) de l’homme ! La crainte (…) est _ alors _ plutôt le titre d’un nouveau fantasme de perfection : celui d’un monde régulé _ tel un lit de Procuste ! on y coupe ce qui dépasse _ par des informations dont il n’est plus permis de douter puisqu’elles ont été avalisées par la science _ et ses experts patentés ! en fait l’illusion mensongère (et ici servile et stipendiée !) du scientisme… La peur n’est rationnelle que si elle fait parvenir ceux qui l’éprouvent à un plus haut degré de perception _ pré-formatée _ du réel _ pré-sélectionné et bureaucratiquement breveté, ainsi, par quelques officines monopolistiques !

Mais les peurs actuelles peuvent plutôt être interprétées comme des angoisses _ sans contour ni objets identifiables : re-voilà ce concept crucial _ face au réel _ méconnu, lui, en sa diversité et spécificité qualitative : hors numérisation et comptabilité ! _ et à ce qu’il comporte de hasards _ bel et bien objectifs ! lire ici Augustin Cournot ; ou Marcel Conche : l’excellent L’Aléatoire (paru aux PUF en 1999)… _ et d’incertitudes » _ ludiques et glorieuses… Aux pages 136-137…

« Mais c’est surtout sur le dernier point, celui qui associe la peur et l’institution de la souveraineté, qu’il nous faut admettre ne plus vivre dans un monde hobbesien.« 

Car « la peur qu’éprouvent les sujets à l’égard des institutions est différente de la crainte raisonnable éprouvée face au Souverain«  _ énoncée et décrite dans Léviathan. « Dans un monde globalisé, les craintes _ désormais _ sont transnationales : c’est pourquoi les frontières classiques ne sont plus perçues _ par les individus _ comme des protections suffisantes« 

Et « des peurs contemporaines, on peut dire qu’elles sont « socialisées » en ce sens qu’elles renvoient à des attitudes _ larges et floues : voilà _ plus qu’à des actes illégaux _ spécifiés. Les citoyens ne sont donc pas seulement tenus de craindre les appareils étatiques de contrainte, ils doivent d’abord être vigilants face à _ tout _ ce qui, dans leur environnement immédiat _ infiniment ouvert et mobile _, les met _ subjectivement _ en danger« , pages 137-138.


Avec ce résultat que « le bénéfice de la peur politique, qui est de permettre aux individus de s’abandonner à _ la douceur presque insensible d’ _ une certaine confiance mutuelle _ oui : cette « civilité«  (« pacifique ») était l’objectif politique escompté, au final, du modèle d’État hobbesien _, est alors perdu au bénéfice d’une défiance _ rogue et perpétuellement malheureuse ; plus qu’intranquille : perpétuellement sur le bord de verser dans l’humeur querelleuse et agressive _ généralisée« , page 139. 

Avec aussi ce résultat, terrible : « les peurs d’aujourd’hui isolent _ voilà _ les individus parce qu’elles ne désignent pas un « autre » comme danger, mais se défient _ et fondamentalementdu réel social même _ en son entièreté. Les murs contemporains _ ceux qu’analyse Wendy Brown en son très remarquable Les Murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique _ montrent _ cruellement, en leur réalisme ! _ que la peur n’est plus à l’origine d’un désir communautaire _ celui de « faire monde« , ou « société«  _, mais qu’elle est une invitation à faire sécession _ voilà ! en une « forteresse assiégée«  isolée du reste par ses barbacanes, fossés et douves… _ d’un monde jugé globalement pathogène«  _ (= toxique) : page 139…

Par là, « le modèle de l’aversion _ et de la fuite : mais jusqu’où ?.. _ semble plus adéquat _ en notre aujourd’hui d’« apeurement«  généralisé… _ que celui de la peur classique pour aborder les refus du présent« , en déduit Michaël Foessel, page 142.

Avec cette conséquence éminemment pratique que « confronté à un marché et à des risques qui ne connaissent plus de frontières, les souverainetés étatiques blessées _ et qui demeurent encore _ ne peuvent répondre autrement que sur un mode _ c’est à bien relever ! _ à la fois métaphorique _ ou magique ! d’où les palinodies d’incantations… _ et réactif au désir de monde clos qui anime la peur _ = l’angoisse, en fait… A force de discours _ et pas seulement ceux des communiquants et publicitaires, et autres propagandistes stipendiés _ qui affirment que le danger est partout puisqu’il est le monde lui-même _ voilà ! _, la peur a perdu _ et c’est un comble ! _ sa vertu de circonspection. N’étant plus en mesure de distinguer _ ni évaluer, ou mesurer, non plus ! _ le menaçant de l’inoffensif, elle tend à envisager _ fantasmatiquement _ toute chose _ à l’infini, continument ! _ comme un danger en puissance« , page 143. « Les peurs contemporaines ne font plus monde«  _ par là même : en un « esseulement«  (anti-social) proprement affolant…


Et « l’angoisse advient dans l’effondrement de ces significations _ qui furent jadis familières _ lorsque plus rien ne répond à nos attentes _ devenues seulement mécaniques et réflexes _ ou ne s’inscrit dans un horizon maîtrisé _ mécaniquement, aussi _ par nos actes«  _ selon quelque chose dont Kafka semble avoir, avec beaucoup, beaucoup d’humour, lui, exprimé très lucidement quelque chose…

D’où « les discours de la catastrophe » contemporains… Et « dans les politiques de la catastrophe _ qui se déploient si complaisamment _, il n’y a plus de différence de nature entre un monde qui menace de disparaître à cause de l’insouciance des hommes et une vie qui déraille » _ carrément ; page 146.

Certes « une catastrophe possède des remèdes, mais ceux-ci _ massifs, forcément… _ empruntent toutes leurs procédures à la science _ calculante, ainsi qu’à la techno-science (son compère), à partir de probabilités envisageables selon des moyennes… _ et aux mesures préventives _ techniques, mécaniques et automatisées _ qu’elle permet d’anticiper.

Sciences du climat, mais aussi du comportement, du crime, de la gestion des risques sanitaires et de la conduite _ envisageable, grosso modo, statistiquement… : le raisonnement se fait sur des ensembles, des masses, des foules ; et pas sur des singularités : non ciblables… _ des hommes _ coucou ! les revoilà ! _ : autant d’édifices théoriques qui figent l’avenir _ on en frémit ! tels des papillons promis (et condamnés) au filet, au formol et à l’épingle qui les immobilise pour l’éternité ! _ dans les prédictions _ ou prévisions ? imparables ?.. _ qui en sont faites.


Il faut _ très concrètement _ que la catastrophe _ massive !!! donc… _ soit un horizon _ incitatif suffisant ! pour les individus comme pour les gouvernants, par l’incommensurabilité de son caractère épouvantable ! sinon, on demeure insouciant ; et imprévoyant ! anesthésié qu’on est par le désir de confort et de routine ordinaire… _ pour que le monde et les vies deviennent prévisibles _ ceux qui contrôlent et calculent en étant à ce compte-là seulement, rassurés ! On ne maintient pas _ voilà ! _ les citoyens et les gouvernants dans la prévoyance active pour les lendemains si ceux-ci ne sont pas menacés _ rien moins que _ du pire. En sorte que les discours de la catastrophe ont tout de la prophétie autoréalisatrice : ils suscitent les peurs angoissées auxquelles ils proposent _ bien fort _ d’apporter une solution« , page 146.


Et « cette circularité _ voilà : auto-alimentatrice du système _ entre la peur angoissée _ sans objet nettement déterminé _ et la vigilance productive qu’elle induit _ voilà _ ne se limite nullement aux rapports entre les individus et les États. On n’expliquerait pas, sinon, qu’elle ait pu investir les vies jusque dans leur intimité _ mais oui ! _, réduisant toujours les espaces de quiétude. La peur incertaine _ angoissée, kafkaïenne… _ s’est transformée en élément _ productif _ de mobilisation permanente _ d’où la polysémie du titre de l’ouvrage : « État de vigilance«  : dont le sens, aussi, d’un état perpétué en permanence d’attention inquiète, voire stressée, des individus ; en plus de l’« État libéral-autoritaire« , adjuvant (et complice : bras séculier !) de l’économie néolibérale… _ dans un système global, que faute de mieux, nous appelons « néolibéralisme » _ voilà !

La vigilance ne serait jamais devenue un _ tel _ ethos majoritaire _ et continuant de se répandre _ si les trois dernières décennies _ après la fin des « trois glorieuses«  et la première grande crise du pétrole, en 1974… _ n’avaient pas été celles de l’introduction des horaires flexibles _ la flexibilité tuant la plasticité ; cf les excellents ouvrages là-dessus de Catherine Malabou… _, de l’affaiblissement des garanties liées au contrat de travail ; et de la sous-traitance à des entrepreneurs indépendants et socialement fragilisés«  _ en effet ! voilà des procédures empiriques diablement efficaces sur le terrain pour créer, multiplier et entretenir l’anxiété…


Et « le « management par la terreur » _ oui ! _ fait système _ lui aussi : par le haut ! _ avec ce réel angoissé _ oui ! _ où le fait de se sentir nulle part « chez soi » _ une barbarie ! _ est considéré _ managérialement ! Michaël Foessel cite ici une déclaration en ce sens de Andrew Grove, ancien PDG d’Intel : « la peur de la compétition, la peur de la faillite, la peur de se tromper et la peur de perdre sont des facteurs de motivation efficaces«  _ comme une vertu cardinale« , page 147 _ au bénéfice d’une nomenklatura, qui, elle, de fait, sait fort bien s’en exempter : cf les « retraites automatiques« , « parachutes dorés«  et « autres primes extravagantes« , précise Michaël Foessel, pages 147-148…

Le résultat étant que « dans les sociétés libérales, la majorité des individus est _ et de plus en plus : à moins qu’on ne s’emploie à y mettre fin !.. à inverser le processus ! _ soumise à une variabilité permanente _ dite « flexibilité«  : le contraire de la « plasticité«  artiste ; et des démarches souples et ouvertes à l’accident de l’imprévisibilité du « génie«  _ des formes de vie _ Michaël Foessel reprend ici l’expression de Paolo Virno ; cf aussi son Opportunisme, cynisme et peur _ ambivalence du désenchantement_ qui favorise l’apparition des craintes angoissées« , page 148. « Étrange procédure que celle dont on attend _ les néolibéraux ! du moins… _ qu’elle produise de la stabilité psychologique et sociale _ systémiques : une induration de l’habitus… _ par l’exacerbation des inquiétudes » _ des individus (pire que stressés)…

Et Michaël Foessel de conclure son chapitre « Cosmopolitique de la peur ? » :

« Dans tous les cas, il nous faut renoncer à nos espoirs _ sic ! _ dans une cosmopolitique de la peur _ pour reprendre le concept kantien… : soit la perspective d’un tel affect qui « ferait monde«  ! pour la collectivité des humains que nous sommes… Le cosmopolitisme n’est possible que là où _ décidément _ il y a des institutions et là où il y a un monde _ se faisant par nos coopérations effectives et lucidement confiantes (de vraies personnes sujets, et non réduites au statut d’objets) :

on aura depuis longtemps compris combien j’applaudis à ce « diagnostic«  de Michaël Foessel _ pour reprendre le titre (au pluriel : « diagnostics« ) de cette « collection » du « Bord de l’eau« , que dirigent Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc !


Or, les peurs angoissées sont solitaires et acosmiques
_ hélas ! _ : elles n’ont pas d’autre horizon que celui de la catastrophe » _ et font mourir les individus (isolés, s’isolant les uns des autres, désocialisés ; et sans œuvres !) de mille morts avant la mort biologique définitive… Ce ne sont pas là des vies vraiment « humaines » ! mais « inhumaines » ! barbares !

« Mais _ et ce sont les mots de Michaël Foessel en sa conclusion, page 155 _, entre l’audace _ téméraire _ de l’aventurier et la prudence _ calculante, comptable _ de l’entrepreneur _ ainsi, aussi, que la lâcheté (veule) devant la peur ; ou la soumission (maladive) à l’angoisse _, il y a le courage de l’action qui se mesure _ sans opération de calcul comptable, cette fois ! et joyeusement ! _ à l’imprévisibilité _ ludique _ du monde. Cette vertu collective _ et pas seulement personnelle et individuelle, par là ; mais civique (et civilisatrice !) _ est nécessaire pour que nos désirs politiques _ authentiquement démocratiques : à rebours des populismes démagogiques (bonimenteurs) menteurs ! _ osent à nouveau se dire dans un autre langage que celui _ apeuré et apeurant, avare et mesquin, aveuglément cupide ! _ de la sécurité _ soit le langage de la liberté créatrice d’œuvres authentiquement (= qualitativement !) « humaines« 

Un défi exaltant…

Existent d’autres régimes d’attention _ ou « vigilance« , avec d’autres rythmes… _que cette mesquinerie réductrice utilitariste néolibérale « coincée » ! D’autres désirs que de sur-vivre (soi, tout seul) biologiquement, et à tout prix ! Ou seulement s’enrichir _ gagner plus ! _ !.. Quelle pauvreté d’âme ! Quelle bassesse ! Quelle porcherie que cette cupidité exclusive !

Une attention un peu plus généreuse (et ludique _ jouer…) à l’altérité amicale (ou l’altérité amoureuse _ il y a aussi l’altérité des œuvres) ; et non inamicale _ Michaël Foessel cite aussi à très bon escient Carl Schmitt, et cela à plusieurs reprises _ ou concurrentielle !

Quelles terribles restrictions (et appauvrissements _ qualitatifs ! _) de l’humanité voyons-nous se déployer sous nos yeux avec cette économie politique néolibérale conquérante, exclusive, totalitaire ! en plus du ridicule infantile de son exhibitionnisme bling-bling !..

C’est cette anthropologie joyeuse-là qu’il vaudrait mieux, ensemble, en une démocratie ouverte, réaliser, joyeusement, souplement, et les uns avec _ et pas contre _ les autres…

Aider à advenir et s’épanouir une humanité mieux « humaine » !..

Titus Curiosus, ce 22 avril 2010

Post-scriptum :

Avec un cran supplémentaire de recul,

je dirai que la pertinence de l’analyse de l’état contemporain de l’État

(ainsi que du Droit : ici la réflexion de Michaël Foessel s’inscrit dans la démarche d’analyse lucidement riche d’un Antoine Garapon, comme dans celle de Mireille Delmas-Marty)

me paraît tout particulièrement redevable à la démarche de Michel Foucault _ en ses leçons au Collège de France, tout spécialement : leçons dont la lucidité fut sans doute en quelque sorte « accélérée«  par le sentiment de l’urgence de ce qui lui restait de temps, terriblement « compté« , à « vivre«  ! _ quant à l’historicité et des réalités et des concepts _ ensemble : ils font couple ! _ afin de les penser et comprendre :

à l’exemple _ encourageant ! _ de ce qu’une Wendy Brown retire de la méthode foucaldienne.

Soit un refus de la « substantialisation«  _ le terme est employé au moins à deux reprises dans le livre _ des concepts, de même qu’une critique reculée des « thèmes«  _ ce terme aussi revient à plusieurs reprises : les deux font partie de l’épistémologie critique foesselienne, en quelque sorte… La compréhension du réel, en son historicité même, requiert donc une telle mise en perspective à la fois cultivée et critique. 

C’est ainsi que la philosophie de l’État, ainsi que l’anthropologie _ classiques, toutes deux, en philosophie politique _ d’un Thomas Hobbes, doivent être relues et corrigées afin de comprendre ce qui change, ce qui mue, ce qui devient autre et se transforme à travers l’usage (faussement similaire) des mots, des expressions, des concepts, même, pour « suivre » et saisir vraiment ce qui « devient » (et mue) dans l’Histoire :

ici, en l’occurrence, comprendre « l’État libéral-autoritaire » et les « peurs angoissées » contemporains.

Comment la peur est « utilisée » autrement aujourd’hui qu’hier par un État _ avec ses appendices idéologiques _ qui, lui non plus, n’est plus le même ; et selon des affects qui eux-mêmes ont « bougé« . Et qu’il importe absolument de comprendre, en ce « bougé » même, pour mieux saisir le sens de ce qui advient maintenant ; et mieux agir au service d’un « humain » qui lui-même change (et se trouve « malmené » !)…

Ce qui _ nous _ impose _ aussi _ d’autres modalités d’action, notamment politiques, au service des valeurs d’épanouissement des humains : au lieu d’une « guerre _ même sous d’autres formes _ de chacun contre tous« .

Voilà comment Michaël Foessel, en son travail d’analyse philosophique, en ses livres publiés, comme en son travail d’articles dans la revue Esprit, au courant des mois et des années, nous offre un travail au service de l’épanouissement de l’humain…

Et d’un « faire monde » courageux : les deux étant liés…

Grand merci à ces contributions !!! Elles sont importantes !

C’est aussi une mission _ d’une certaine importance ! en effet… _ du philosophe _ faisant ce que sa démarche (d’intelligence comme d’action : en intense corrélation…) lui permet d’effectivement faire _ que de s’inscrire, avec son effort d’intelligence critique du réel, dans une démarche d’aide à la lucidité de la cité _ et des citoyens : tant qu’il en demeure, du moins ; mais le pire (ou la « catastrophe« ) n’est pas toujours le plus sûr, heureusement, peut-être !..

Le souffle de la philosophe sur le monde : un appel fort de Thérèse Delpech (dans le Monde)

22nov

« Le déclin de l’Occident » : un texte fort de la philosophe Thérèse Delpech, ce matin sur le site du Monde ; et qui nous rappelle l’urgente nécessité de telles « mises en perspective«  _ civilisationnelles _, dans un univers médiatique atomisé en misérables micro-considérations, équivalant à un épais brouillard, par son insistant, répété, obstiné rideau de fumée, au fil des jours… et pour quels misérables profits de si peu nombreux (qui, de plus, se croient très malins : « après nous, le déluge ! » ; ou « la France… ton café fout le camp !« , dirent, en leur temps, rapporte-t-on, deux des maîtresses de Louis XV) ?!..

Voici l’article,

assorti, selon ma coutume, de quelque farcissures de mon cru : en forme d’amorce de « dialogue« 


« Le déclin de l’Occident« , par Thérèse Delpech

LE MONDE | 21.11.09 | 13h40  •  Mis à jour le 21.11.09 | 13h40

Le « thème«  _ oui ! et ce n’est pas une problématique ; cf le distinguo nécessaire (!) d’Elie During en sa conférence au CAPC le 7 avril 2009 (cf mon article) _ du « déclin de l’Occident » est utilisé de plus en plus fréquemment _ idéologiquement !.. _ par ceux qui cultivent à son égard ressentiment, désir de revanche, ou franche hostilité : c’est le cas de la Russie, dont tous les Occidentaux cultivés intègrent pourtant le génie artistique dans le patrimoine occidental ; de la Chine, qui attend son moment historique avec une impatience qu’elle a du mal à dissimuler ; ou du régime de Téhéran, dépositaire autoproclamé d’une mission d’expansion de l’islam dans le monde.

Quels que soient les arguments _ idéologiques ? pertinents ? _ utilisés par ces pays _ ou leurs dirigeants _, ils méritent qu’on leur fasse au moins une concession _ de « réalisme » ! _ : ils disposent pour étayer leur thèse de solides appuis ; et notamment de la répugnance croissante du monde occidental _ lui-même… _, États-Unis compris, à continuer d’être des sujets de l’Histoire _ ou la tentation du repli du soi (et son estomac) : et c’est cette situation-ci qui irrite l’auteur de l’article ; jusqu’à l’amener à prendre la plume (ou le clavier)…

En revanche, ces adversaires ignorent une chose aussi importante que ce qu’ils comprennent : le déclin est un des plus grands « thèmes » _ voilà : mais un « thème«  suffit-il à faire une « problématique«  ?.. _ de la culture occidentale, depuis le récit d’Hésiode « Les Travaux et les Jours » à l’orée de la civilisation grecque, jusqu’à l’ouvrage, médiocre celui-ci, mais beaucoup plus connu, d’Oswald Spengler au début du XXe siècle, « Le Déclin de l’Occident« .

Le fil du déclin court dans notre histoire comme un refrain lancinant _ quelles fonctions a donc la ritournelle ? (cf ce concept deleuzien : La ritournelle) _, qui n’est nullement lié à l’horreur du changement, dont le monde occidental a au contraire considérablement accéléré le rythme, mais à une véritable obsession _ à interroger ! et dans ses diverses « versions« _, qui est celle de la chute. Ce n’est pas simplement un héritage judéo-chrétien : avant la chute des mauvais anges du christianisme, il y avait déjà, dans la mythologie grecque, celle des Titans. Dans les deux cas, les héritiers de ces histoires conservent la mémoire d’une irrémédiable _ voilà ! _ perte.

Les versions philosophiques ou littéraires de ce « thème«  _ oui, oui _ sont innombrables : le « Timée » de Platon comprend le récit d’un temps circulaire où il n’est mis fin à la dégénérescence progressive de la création qu’avec l’intervention divine _ démiurgique. Avant Platon, Socrate avait dénoncé un des signes du déclin de la pensée avec la montée des sophistes _ Thrasymaque (dans « La République« ) ou Calliclès (dans « Gorgias« ) _ qui s’intéressaient beaucoup plus à la puissance qu’à la vérité _ un débat toujours, toujours crucial ! Au début du XVIIe siècle, John Milton donne de la lutte des anges une version si terrible dans « Le Paradis perdu » que Bernard Brodie choisira d’en retenir le récit pour introduire un de ses livres sur la bombe atomique.

A peu près au même moment, Miguel de Cervantès consacre son œuvre la plus importante à la nostalgie du monde de la chevalerie : la triste figure de Don Quichotte exprime la tristesse d’un homme qui ne peut pas vivre dans un monde où l’héroïsme et les aventures n’ont plus de place que dans l’imagination _ dévoyée de l’action efficace : cf là-dessus le beau livre de Marthe Robert : « L’Ancien et le nouveau«  Quand l’illusion est devenue impossible à soutenir, il meurt de mélancolie _ oui ! _ sous le regard désespéré de son fidèle Sancho, prêt à reprendre seul les folles entreprises de son maître.

Douze ans avant « Le Déclin de l’Occident » (1918-1922) de Spengler, Andrei Biely donne _ dans son grand « Petersbourg« _ une version beaucoup plus puissante de l’incendie qui commence à saisir le « monde d’hier « _ cf aussi celui, magnifique aussi (!), juste un peu plus tard, de Stefan Zweig_ au début du XXe siècle : « Les événements commencent ici leur ébullition. Toute la Russie est en feu. Ce feu se répand partout. Les angoisses de l’âme et la tristesse des individus ont fusionné avec le deuil national pour produire une horreur écarlate singulière. »

En somme, comme le disait Jacques Bainville, « tout a toujours très mal marché ». Les avenirs radieux, les lendemains qui chantent, ne sont que des épiphénomènes dans la culture occidentale, qui finissent d’ailleurs le plus souvent de façon catastrophique, ce dont témoigne amplement le XXe siècle. Comme quoi le pessimisme peut avoir du bon _ voilà ! C’est un avertissement _ une alerte ! à bons entendeurs, salut ! _ que peu de grands esprits _ voilà ! _ ont négligé _ mais les grands esprits se sentent comme de plus en plus esseulés, par les temps qui courent…

Même les auteurs dont on cite à tort et à travers les propos enthousiastes sur l’Histoire en ont souvent conservé précieusement une solide dose. Emmanuel Kant, par exemple, dont on vante volontiers le projet de paix perpétuelle, sans doute parce qu’il n’a jamais été aussi utopique et perdu dans le brouillard, affirmait _ en sa « Religion dans les limites de la simple raison« , en 1793 _  qu' »avec le bois tordu de l’humanité, on ne saurait rien façonner de droit« .

C’est une conclusion que les Européens ne sont jamais tout à fait parvenus à faire partager aux Américains, dont l’Eden semble manquer d’un acteur essentiel : le serpent. Cette absence est, si l’on peut se permettre cette expression, particulièrement frappante _ hélas ! _ dans l’administration Obama, qui ouvre les bras à tous vents, sans craindre les tempêtes ou même les mauvais courants d’air à l’abord de l’hiver. Le président américain devrait relire Herman Melville _ à commencer par l’immense  « Moby Dick«  _, qui, pour avoir de solides racines écossaises, n’en est pas moins un des plus grands écrivains que l’Amérique ait produit.

Certes, il y a dans le « thème » _ mou _ du déclin un risque évident : le découragement face à toute entreprise humaine, voire, ce qui est pire, une forme de complaisance _ oui : masochiste _ dans la chute, qui est, précisément, l’attitude du personnage de Jean-Baptiste Clamence dans l’œuvre de Camus qui porte ce nom _ en 1956. Tout le monde est coupable dans un monde où la chute est la règle et la rédemption un leurre. Il n’y a plus ni valeurs, ni hiérarchie, ni jugement possibles. La différence entre le meurtrier et sa victime est une affaire de perspective, comme l’est celle qui sépare le « bon » du « mauvais » gouvernement dont une _ justement _ célèbre fresque _ d’Ambrogio Lorenzetti, au Palazzo Publico _ de Sienne a représenté les caractéristiques. On peut se vautrer dans le déclin _ public et privé _ comme d’autres dans la fange et y trouver un certain confort : les choses sont ainsi, pourquoi s’en faire ?

Mais la force _ voilà _ du « thème«  _ en ce qu’il comporte, tout de même, de « problématique » ; et à cette condition sine qua non _ est celle du retour sur soi et de la réflexivité, qui permet de mesurer les erreurs, les fautes, et de porter un jugement sur l’engourdissement éthique _ expression importante ! à un moment de tétanisation face à la marée des corruptions (politico-économiques particulièrement) _ où le monde est plongé _ pour agir alors et dès lors en cette connaissance de cause-là ! Les peuples qui refusent de se pencher sur leur passé n’atteindront jamais la maturité historique. A bon entendeur, salut ! _ voilà !

Il y a là une vraie supériorité _ ah ! ce serait la bonne nouvelle de cette intervention, ici, de Thérèse Delpech ! _ des pays occidentaux, qui ont passé des décennies à tenter de comprendre l’abîme _ voilà ! _ dans lequel ils ont plongé, sur la Chine et la Russie, qui auraient pourtant matière à réflexion _ sans doute !.. Les Européens _ et sans (ridicule !) autosatisfaction ! _ ont, encore aujourd’hui _ mais pour combien de temps ? et lesquels d’entre eux ? Peut-on (jamais !) généraliser ?.. _, conscience de se trouver « au milieu des débris d’une grande tempête », comme l’écrivait Balzac _ dans l’« Envers de l’Histoire contemporaine« , en 1848… _ des rescapés de la Révolution française. Il suffit pour en témoigner de suivre la production cinématographique allemande _ ainsi que sa littérature, aussi ! Ou l’accueil fait (à Berlin) à un Imre Kertész, l’auteur du sublime terrible « Liquidation« 

La réflexion et le souvenir seuls peuvent donner la force _ voilà l’enjeu ! _ de reconnaître dans la violence et la désorientation _ un concept important, lui aussi…de l’époque _ oui : tel est le réel qui interroge !.. _ le prélude potentiel de nouvelles catastrophes _ soit ce qui nous menace tous bel et bien !.. Ils constituent même _ oui ! _ le premier pas _ voilà ! _ pour tenter _ par un sursaut sur soi (de nous tous ? ou seulement des dirigeants ?..) _ de les éviter. Si les massacres passés sont des sujets tabous, comment condamner _ au lieu de se lier les mains ! _ ceux du présent ? Si les liens de Pékin avec le régime de Pol Pot sont censurés _ oui _ au moment du procès des Khmers rouges, si le nombre des victimes de la révolution culturelle ne fait l’objet d’aucun travail sérieux _ oui _ en Chine, si les archives du goulag ou de la guerre en Tchétchénie doivent être protégées _ oui _ des autorités russes, que penser de l’attitude de ces pays _ maintenant _ à l’égard de massacres à venir ? _ certes !!! qui donc le remarque et s’en soucie réellement ??? Qu’est donc ? et où se situe ? le véritable « réalisme » ???

Certes, le retour sur soi, pour être nécessaire, n’est pas suffisant _ non plus : en effet !.. Le monde occidental doit encore affronter _ on ne peut plus activement… _ d’épineux problèmes : la disparition progressive des grandes questions qui ont agité l’esprit _ public : que devient-il, celui-ci ?.. où (dans quels marécages ou quels sables) est-il donc en train de s’évanouir et perdre ?.. qu’en est-il, même, des « démocraties« , aujourd’hui ?.. _ au profit des « puzzles » ou des « minuties » _ oui ! _ dénoncées par Karl Popper dès 1945 _ dans « La Société ouverte et ses ennemis«  _ traduit un rétrécissement _ suicidaire _ de la vie intellectuelle _ oui ! _ au moment précis où la possibilité d’éclairer _ voilà ! _ de nouveaux horizons a considérablement augmenté avec les moyens _ encore faut-il savoir au service de quelles finalités (ou ambitions) on (!) choisit de les placer, ces moyens-là !.. _ de communication contemporains ; la revanche du sacré _ sur le laïque _, avec un retour fracassant de la religion sous des formes violentes et destructrices _ se fanatisant… _, renvoie au vide spirituel _ le nihilisme (!!!) que dénonce la lucidité extrême de Nietzsche ; relire toujours le « Prologue » lucidissime d’« Ainsi parlait Zarathoustra«  _ de nos sociétés : elle ne rencontre d’ailleurs aucune autre réponse que celle des armes _ tristement faible « ultima ratio regum«  Le travail _ de problématisation, d’abord : à l’encontre des vains seuls « thèmes«  _ est à peine engagé sur ces sujets en Occident. Mais le don _ qui le donne ? qui le construit ? _ du souvenir _ cela s’élabore et se construit sérieusement : c’est aussi la tâche (et l’honneur !) du « métier«  d’historien _ est pour les peuples comme pour les individus le début _ déjà _ de la cure psychique. D’où l’intérêt _ somme toute ! et en pratique… _ du « thème » du déclin _ surtout s’il est correctement « problématisé » !..

Pour conclure donc, ce « thème » _ que vient « relancer » ici, avec brio, Thérèse Delpech… _ n’a pas pour fonction _ voilà la perspective foncièrement « pratique« , donc, de Thérèse Delpech ici… _ d’entretenir une culture crépusculaire _ mélancolique… _ ou d’annoncer sans trop de réflexion _ hélas : médiatiquement… _ l’avènement de l’Asie sur la scène mondiale. De quoi parle-t-on au juste en évoquant un ensemble géographique aussi disparate ? Et qui peut dire ce que cet avènement nous réserverait ? L’avenir nous paraîtrait moins profondément déstructuré _ voilà ! _ si nous tirions _ vraiment ! _ les conséquences _ on ne peut plus effectives _ d’une vérité toute simple : le seul moyen de participer _ oui ! _ à la réalisation _ oui ! _ d’un monde _ géo-politico-économique… _ plus stable _ n’est-ce qu’un euphémisme ? _ est d’en avoir _ d’abord ; et si peu que ce soit _ une idée _ puis, qu’elle soit, si possible, un peu « juste« 

Ceux qui disposent des meilleurs outils pour la produire _ cette « idée » d’un « monde plus stable«  : n’est-ce donc là qu’une expression euphémisée ?.. _ sont aussi ceux qui ont la conscience la plus aiguë _ oui _ du caractère tragique de l’histoire _ certes : avis à certains idéalistes américains ??? et affairistes à (fort) courte vue européens ??? Les grandes catastrophes du XXe siècle font partie _ oui ! _ de notre héritage. Nous sommes des êtres du déclin et du gouffre qui ont soif de renaissance et de salut _ qu’entend donc Nietzsche par le mouvement même du « surhumain » ? sinon cela même ?.. Beaucoup de peuples pourraient _ et devraient ; ou doivent… _ se reconnaître dans ce miroir _ et se donner peut-être aussi des dirigeants (à commencer par des chefs d’État ! ou de ce qui en reste… cf notre malingre « Europe« …) en cohérence avec cette lucidité-là!.. Que de chemin (politique et géo-politique, en particulier ; mais aussi dans l’organisation même du travail et de la société ; et de la vie des Arts et de la culture !) à faire !..

Thérèse Delpech


Politologue et philosophe, chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et membre du conseil de direction de l’Institut international d’études stratégiques (IISS), Thérèse Delpech a notamment écrit chez Grasset « L’Ensauvagement » (2005), « Le Grand Perturbateur : réflexions sur la question iranienne » (2007), et publiera en 2010 « Variations sur l’irrationnel« . ……

 

Une alerte essentielle :

merci !

Madame Thérèse Delpech…

Titus Curiosus, ce 22 novembre 2009

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