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Et écouter aussi la rayonnante musique religieuse de Georg Muffat (1653 – 1704) : le CD « Missa In Labore Requies a 24″, du Banquet Céleste & La guilde des Mercenaires, dirigés par Damien Guillon…

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L’œuvre instrumental magnifique (!!!) de Georg Muffat (Megève, 1er juin 1653 – Passau, 23 février 1704) est splendide  _ par exemple l’« Armonico Tributo« , de 1682 ; cf mon article « «  du 9 avril 2022… _,

et relativement bien servi jusqu’ici par la discographie…

Le volet religieux de son œuvre est, lui, un peu moins bien connu, et un peu moins couru par les interprètes,

même si l’on compte tout de même 3 précédentes interprétations discographiques de cette splendide messe salzbourgeoise « In Labore Requies » (composée pour le prince-évêque Maximilian Gandolph von Kuenburg entre 1678 et  1687) de Georg Muffat :

_ celle, jubilatoire et solaire _ écouter ici les 51′ 34 du podcast de ce lumineux CD… _, parue en 1999, du CD « H.I. Biber Litaniae Sancto Joseph – G. Muffat Missa In Labore Requies » Harmonia Mundi HMC 901667, par Konrad Junghänel dirigeant le Concentus Cölln et le Concerto Palatino _ enregistré en l’abbaye de Melk (Autriche) au mois de mai 1998…

_ celle, plus solennelle, parue en 2014, du CD « Georg Muffat – Missa in labore requies » Pan Classics PC 10301, par Gunar Letzbor dirigeant les St Florianer Sängerknaben et Ars Antiqua Austria _ enregistré en la cathédrale de Gurk (Autriche) du 19 au 22 août 2013…

_ celle, assez solennelle aussi, parue en 2016, du CD « Georg Muffat Missa In Labore Requies » Audite 97.539, par Johann Strobl dirigeant la Cappella Murensis et Les Cornets Noirs _ enregistré en l’église abbatiale de Muri (Suisse) du 2 au 5 août 2015…

D’où la sortie bienvenue du beau CD « Missa In Labore Requies«  _ le CD Château de Versailles Spectacles CVS 106 _, de Damien Guillon dirigeant son Ensemble Le Banquet Céleste, ainsi que celui d’Adrien Mabire, La Guilde des Mercenaires _ l’enregistrement a eu lieu en la chapelle royale du château de Versailles du 26 au 29 novembre 2022…

Sur cette nouvelle réalisation discographique de la « Missa » de Muffat,

voir par exemple l’article « De Salzbourg à Versailles, les fastes de la Messe de Muffat« , de Cécile Glaenzer, paru le 3 décembre dernier, 2023, sur le site de ResMusica :

De Salzbourg à Versailles, les fastes de la Messe de Muffat

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Sous la direction de Damien Guillon, Le Banquet Céleste et La Guilde des Mercenairess’associent pour faire résonner les cinq chœurs de la Missa in labores requies de Georg Muffat sous les ors de la chapelle royale de Versailles.

Écrite en 1690 _ ou plutôt très probablement pour le prince-évêque Maximilian Gandolph von Kuenburg, décédé le 3 mars 1687… _ pour la cathédrale de Salzbourg, haut lieu de la Contre-Réforme catholique du Saint-Empire, cette messe monumentale _ oui _ devait subjuguer les sens des auditeurs. Le faste déployé est inédit en Autriche : vingt-quatre voix réparties en deux chœurs vocaux et trois chœurs instrumentaux, dans une spatialisation que permettaient les quatre tribunes de la croisée du transept, selon la polychoralité développée à Venise à la fin de la Renaissance. Il s’agit là d’un véritable monument musical élevé à la gloire de l’Église catholique. Et qui mieux que Muffat _ voir cependant aussi la « Missa Salisburgensis«  de Heinrich Ignaz Franz Biber (1644 –  1704), composée peut-être, celle-là, vers 1680... _ pouvait mener cette entreprise, lui qui, après ses années de formation auprès de Lully à Paris, avait complété son apprentissage à Rome auprès de Corelli ? Musicien européen par excellence _ en effet _, Muffat réalise la synthèse des styles français et italiens, et son éclectisme fait de lui le meilleur avocat des goûts réunis _ ou du moins un de ses plus brillants et émouvants représentants…

Pour restituer cette grande fresque musicale, Le Banquet Céleste de Damien Guillon et La Guilde des Mercenaires du cornettiste Adrien Mabire ont réuni leurs effectifs, faisant dialoguer petit et grand chœurs vocaux, ensemble de cordes et deux chœurs de vents, reliés entre eux par un continuo fourni. Les contrastes d’écriture sont permanents, et l’alternance entre les différents chœurs en un très virtuose jeu d’échanges donne une grande légèreté à cet ensemble pourtant monumental. Les épisodes chantés par les solistes alternent avec les sections en tutti pour coller au plus près du texte, avec une inventivité remarquable. Dans un _ excellent _ texte de présentation très riche, Peter Wollny décrit très justement « une étourdissante mosaïque d’images sonores variées ». Muffat se révèle être en effet un subtil coloriste. Le Crucifixus du Credo _ regarder ici la vidéo du « Ressurexit«  _ est un moment particulièrement poignant : d’abord un dialogue de trois solistes à l’expressivité parfaite, puis les trompettes en sourdine pour accompagner le Passus, où il nous semble ressentir physiquement la mise au tombeau.

Deux _ superbes ! _ intermèdes instrumentaux ponctuent la messe : une Sonate à 13 pour cuivres de Stadlmayer, avec de beaux effets d’écho, et une Canzone de Valentini jouée à l’orgue par Jean-Luc Ho. Surprise : le livret nous annonce une sonate de Schmelzer qui _ hélas ! _ n’apparait pas au programme _ en effet ! Quitte à avoir une pièce d’orgue à la place, on aurait aimé entendre une des superbes toccatas de l’Apparatus musico-organisticus de Muffat _ publié en 1690 ; un chef d’œuvre, oui !.. Écouter ici le podcast du magistral double CD « Georg Muffat – Apparatus Musico-Organisticus 1690«  de Michael Radulescu (Bucarest, 19 juin 1943 – Vienne, 23 décembre 2023), le CD Ars Musici AM 1108-2, enregistré à la Michaelskirsche de Vienne du 25 au 28 mai 1989 et paru en 1994 : un enregistrement superbe, et qui m’avait marqué, d’une musique magistrale ! En guise d’offertoire, Damien Guillon nous propose un Dixit Dominus de Biber (1644 – 1704), qui fut le rival de Muffat (1653 – 1704) à Salzbourg _ en 1690, ayant quitté Salzbourg, Georg Muffat devient le maître de chapelle de Johann-Philipp von Lamberg, à Passau, en Bavière, où Muffat décèdera le 23 février 1704… Tout au long de ce programme, les interprètes font preuve d’une belle sensibilité et d’une grande virtuosité. Répondant aux cornets et aux trombones, les trompettes naturelles aux attaques précises nous offrent leurs couleurs cuivrées qui donnent beaucoup de relief aux chœurs vocaux magnifiquement timbrés. Le résultat est d’une superbe plénitude sonore _ oui _, dont Damien Guillon et Adrien Mabire nous disent très justement qu’elle rappelle « le grand plenum d’un orgue ». Reste la question de la spatialisation : comment rendre au disque ces effets propres à la polychoralité ? Il faut à l’auditeur un peu d’imagination, porté par la magnificence de la musique. Et pour cela, le choix de la monumentalité de la chapelle royale était le bon.

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Georg Muffat (1653-1704) : Missa in labore requies.

Giovanni Valentini (ca. 1582-1649) : Canzon.

Johann Stadlmayr (ca. 1575-1648) : Sonata a 13.

Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) : Dixit Dominus.

Le Banquet Céleste, direction : Damien Guillon ; La Guilde des Mercenaires, direction : Adrien Mabire.

1 CD Château de Versailles Spectacles. Enregistré en novembre 2022 à la chapelle royale de Versailles.

Notice de présentation en français, anglais et allemand.

Durée : 58:53

Muffat est un merveilleux compositeur !

Ce mardi 16 janvier 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Découvrir le charme envoûtant de l’oeuvre du compositeur Carlos Patiño (Santa Maria del Campo Rus, 1600 – Madrid, 1675)

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C’est un pur hasard qui m’a mis en contact, par l’écoute, avec une œuvre de Carlos Patiño (Santa Maria del Campo Rus, 1600 – Madrid, 1675), qui défilait sur la platine de mon disquaire ultra-compétent préféré,

issue du CD « Carlos Patiño Musica vocal en castellano« , par La Grande Chapelle, sous la direction d’Albert Recasens, soit le CD Lauda LAU 023.

Et immédiatement je suis tombé sous le charme envoûtant de cette musique,

d’un compositeur, ce Carlos Patiño, qui m’était demeuré jusqu’ici inconnu.

Alors que ma discothèque personnelle comptait jusqu’alors 5 CDs (dont deux doubles) de cet ensemble La Grande Chapelle dirigé par ce chef Albert Recasens :

les CDs LAU 004 (« Jose de Nebra Visperas de Confesores« ),

LAU 012 (« La Fiesta de Pascua en Piazza Navona Tomas Luis de Victoria« ),

LAU 013 (« Alonso Lobo Misas « Prudentes virgines » « Beata Dei genitrix »),

LAU 017 (« Pedro Ruimonte en Bruselas Musica en la corte de los archiduques Alberto e Isabel Clara Eugenia« )

et LAU 018 (« Antonio Soler Obra vocal en latin« ).

Albert Recasens Barbera, né à Cambrils (Tarragone) en 1967, a fondé l’ensemble La Grande Chapelle en 2005, et en est devenu le directeur musical en 2007 ;

de même qu’il a fondé son remarquable label de disques, Lauda _ dont voici un lien à la discographie (23 CDs à ce jour depuis 2005).

Ainsi que nous l’apprend l’excellente notice du livret du CD « Carlos Patiño Musica musica sacra para la corte » (notice intitulée « « Le David de ce Goliath » : Carlos Patiño à la Chapelle royale de Philippe IV« ),

Carlos Patiño « devint en 1634 le premier maître de chapelle non franco-flamand à la cour des Habsbourg espagnols. (…) Le tournant décisif de sa carrière eut lieu au début de 1634 quand il fut promu maître de la Chapelle royale de Philippe IV après la retraite de Maestro Capitan«  _ Mateo Romero ou Mathieu Rosmarin (vers 1575 – 1647).

« Dans ses compositions en latin, Patiño a recherché un équilibre personnel entre les styles dominants _ de tradition franco-flamande _ de la Chapelle royale et la tradition cathédrale dont il provenait : dans son écriture coexistent l’échange homophonique entre plusieurs chœurs à la façon de Philippe Rogier  (1561 – 1596) et de Capitan, avec un intérêt accru pour l’usage du contrepoint« .

Lire aussi la chronique de ce CD par Cécile Glaenzer, sur le site de ResMusica, intitulée « Carlos Patiño : la dévotion au siècle d’or espagnol » :

Carlos Patiño : la dévotion au Siècle d’Or espagnol

Après un premier CD consacré par la Grande Chapelle aux grandes pièces polychorales de Carlos Patiño, Albert Recasens nous offre ici en première mondiale un enregistrement de musiques plus intimes du Maître de chapelle de Philippe IV.

Né avec le siècle dans la province de Cuenca, Carlos Patiño connut une longue et brillante carrière au service de la cour d’Espagne à Madrid. Ses pièces de dévotion basées sur des poèmes en castillan sont de deux sortes : tonos humanos, d’inspiration profane, et tonos divinos (ou villancicos). La plupart sont à quatre voix chantées et basse continue. Ce qui frappe d’entrée, c’est l’absence de voix graves _ en effet _ : trois sopranos, un alto, un ténor, pas de basse. La structure de ces pièces est toujours la même : une forme strophique où alternent refrains et couplets. Le refrain se caractérise par un rythme syncopé qui est la signature de Patiño. Remarquable est la relation intime de la musique avec les affects exprimés par le texte poétique. Ces pièces de dévotion présentent un versant inhabituel de la musique religieuse du XVIIIᵉ siècle espagnol, dont on connait surtout les grandes compositions polyphoniques _ d’inspiration franco-flamande.

Les voix de la Grande Chapelle en petit effectif sont magnifiquement ciselées et expressives _ oui ! _, et offrent une pâte sonore d’une belle homogénéité. Les trois sopranos (Jone Martinez, Aurora Peña et Lorena Garcia) sont particulièrement remarquables. Le seul tono humano à trois voix du programme, No duermas, no, est une berceuse pleine de contrastes et de ruptures rythmiques, typiques de l’écriture de Patiño. Trois intermèdes instrumentaux sont empruntés au répertoire de Lucas Ruiz de Ribayaz et d’Andrea Falconieri, et permettent d’entendre les continuistes en solistes, successivement à la harpe double et à la vihuela de arco (proche de la viole de gambe).

Le livret est abondamment illustré et documenté, et permet de mieux appréhender le travail de restitution d’Albert Recasens, le directeur musical de l’ensemble. Grâce à la présence de l’intégralité des textes, on peut apprécier la parfaite adéquation _ voilà _ entre musique et poésie.

Musica vocal en castellano.

Carlos Patiño (1600-1675).

La Grande Chapelle, direction : Albert Recasens.

1 CD Lauda.

Enregistré à Tolède en octobre 2021.

Notice de présentation en espagnol, anglais, français et allemand.

Durée : 55:24

En tout cas,

dès ce CD « Carlos Patiño Musica vocal en castellano » (Lauda LAU 023) _ cf ici la vidéo de l’admirable interprétation de « Pensamiento, no présumas«  (4′ 10)… _,

le charme très prenant de l’art de Carlos Patiño opère bien à vif…

Ce samedi 1er juillet 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Benjamin Alard « dans la lumière de Bach », ou l’art tout à fait humble de la très simple et pure spontanéité : un passionnant entretien d’un merveilleux interprète ouvert, intelligent et honnête…

29jan

En quelque sorte en complément à mon article enthousiaste du 21 janvier dernier «  » à propos de la réalisation enchanteresse en concert à Madrid (et à l’enregistrement live qui en a été fait en CD _ le CD Marchvivo MV 007 _),

le site ResMusica vient de publier, le 25 janvier dernier, un passionnant entretien de Cécile Glaenzer avec Benjamin Alard, très simplement intitulé « Rencontre avec Benjamin Alard : dans la lumière de Bach« , à propos, surtout, de son extraordinairement belle entreprise discographique en cours d’interprétation _ magistrale et hyper-vivante !!! _ de tout l’œuvre pour claviers _ au pluriel : clavecins, orgues, clavicordes, etc.  _ de Johann-Sebastian Bach…

Voici donc ce très bel entretien _ avec quelques farcissures miennes, en vert _ :

Rencontre avec Benjamin Alard, dans la lumière de Bach

Depuis 2019, l’organiste et claveciniste Benjamin Alard s’est lancé dans ce qui représente un véritable Graal pour beaucoup de musiciens : l’enregistrement de l’intégrale de l’œuvre pour clavier _ au pluriel, donc ! _ de Johann Sebastian Bach. Sept volumes _ chacun de plusieurs CDs ! _ d’une collection qui devrait en comprendre dix-sept sont déjà parus. La grande originalité de cette entreprise est qu’elle fait alterner les trois instruments à clavier pour lesquels Bach a écrit : l’orgue, le clavecin et le clavicorde.

ResMusica : Comment se construit un tel projet? Aviez-vous une idée de l’ensemble au départ, ou empruntez-vous des chemins de traverse ?

Benjamin Alard : Il y a d’abord eu un projet en 2010 avec le label Alpha, _ et Jean-Paul Combet _ qui a commencé avec l’enregistrement de la Clavier-Übung I et II, et qui devait être _ voilà ! _ une intégrale des œuvres pour clavier de Bach éditées à son époque. Mais ce projet n’est pas allé au-delà de ces deux premiers volumes. Après une période d’interruption, je me suis alors tourné vers un programme qui suivrait une trame chronologique autour des dates-clefs de la vie de Bach. Ce projet a peu à peu évolué, passant de quatorze volumes prévus à dix-sept volumes de trois ou quatre CD _ chacun, voilà. Ce qui a guidé mes choix, c’est à la fois la chronologie de la vie de Bach et les références _ aussi _ aux compositeurs antérieurs qui ont pu l’influencer. Il me semblait important de me laisser guider par les évènements marquants de sa biographie : perte des êtres chers, rencontres, naissances, éducation de son fils aîné … C’est ainsi que dans les premiers volumes, on entend des musiques de Buxtehude, Pachelbel, Grigny, Frescobaldi et beaucoup d’autres, pour comprendre ce qui fait le lit musical de ses jeunes années _ et c’est assurément important. Et plus il avance dans sa vie, plus il va développer un style qui lui est propre.

« Cela prend du temps de réussir à s’affirmer complétement et d’être suffisamment libre pour oser des choses »

RM : La question du choix des instruments est particulièrement passionnante _ évidemment _ pour ce répertoire. Les chemins de traverse, cela peut être la rencontre avec un instrument auquel vous n’aviez pas pensé a priori. 

BA : Oui, c’est très juste. Par exemple, je n’avais pas imaginé enregistrer le clavierorganum (instrument qui réunit un orgue et un clavecin sur le même clavier). C’est une rencontre avec cet instrument si particulier à l’occasion d’un concert à la Cité de la Musique qui m’a fait découvrir la richesse de ce mélange de timbres pour la polyphonie, puisqu’on peut à la fois tenir les sons (orgue) et les rendre très clairs (clavecin). On ne sait pas si Bach a joué ce type d’instrument, mais ça m’est apparu très intéressant. Bien sûr, c’est un risque d’emprunter des chemins aussi inhabituels, mais c’est aussi ce qui fait la force d’une rencontre avec un instrument _ oui ! Et j’ai la chance que le label Harmonia Mundi me suive dans ces expérimentations. Il y a eu aussi le clavecin à pédalier et, dans le prochain volume, le clavicorde à pédalier, une autre véritable rencontre. Je voulais surtout éviter de faire une intégrale « encyclopédique » ; ce qui m’importe est d’apporter une écoute différente, et aussi de contextualiser les œuvres _ voilà. Il faut se rappeler qu’à l’époque de Bach, l’orgue n’était pas utilisé aussi souvent, il fallait la présence d’un souffleur, c’était un luxe exceptionnel. Donc, la fréquentation des instruments domestiques _ oui ! _ comme le clavecin ou le clavicorde munis de pédalier était primordiale. Rappelons nous aussi que ces œuvres n’étaient pas faites pour être entendues en concert _ oui. Le concert, c’est comme la fréquentation d’un musée, les œuvres y sont décontextualisées.

RM : Avez-vous une totale liberté dans le choix des instruments?

BA : Oui, je me sens très libre dans cette aventure. Le dialogue avec la maison de disques est très important pour la question des instruments. Harmonia Mundi me fait confiance _ c’est bien. Par exemple, pour l’enregistrement du Clavier bien tempéré, la rencontre avec l’extraordinaire clavecin Haas, qui est un peu comme un véritable orchestre, avec des possibilités de registrations si nombreuses, cela permet une nouvelle approche des Préludes et Fugues. Je dois beaucoup à la rencontre avec les instruments, les facteurs et aussi les lieux _ oui. C’est un gros risque, parce que parfois je n’avais pas prévu d’enregistrer une pièce de cette façon, et il me faut changer des choses en fonction de l’instrument.

RM : Vous aviez déjà enregistré plusieurs disques consacrés à JS Bach il y a plus de dix ans, en particulier les sonates en trio et la Clavier-Übung dont on a parlé. Avez-vous évolué dans votre approche ?

BA : Oui, bien sûr. En ce qui concerne les sonates en trio que j’avais enregistrées à l’orgue, je les ai jouées ici sur le clavecin à pédalier ou le clavicorde à pédalier, ça donne forcément autre chose. En ce qui concerne les registrations à l’orgue, on ne sait pas vraiment comment on registrait à l’époque _ voilà. Tout est basé sur le « bon goût » et le choix de l’interprète. Pour les Partitas et le Concerto italien, j’avais enregistré un clavecin d’Anthony Sidey dont je n’avais pas utilisé toutes les possibilités à l’époque, en particulier un jeu de nasal dont je n’avais pas osé me servir. Cela prend du temps _ certes ! _ de réussir à s’affirmer complétement et d’être suffisamment libre pour oser des choses _ et pareille simplicité de franchise fait très plaisir à constater... Je pense qu’avec ce projet j’avance dans les découvertes, je mûris _ bien sûr ! Et c’est très bien !


RM : On vous imagine volontiers comme un musicien nomade, allant à la découverte d’instruments rares. Comment cette familiarité avec Bach oriente-t-elle le choix de vos programmes de concerts?

BA : Souvent, on me demande de ne faire que ça. J’essaie toujours d’associer Bach à autre chose _ bravo ! _, de susciter des rapprochements. Bach fascine, mais il peut être complexe à écouter pour le public, et il peut être intéressant de faire entendre autre chose avant pour aider l’écoute _ oui _ et permettre de contextualiser _ voilà, voilà ! _ les œuvres de Bach et les rendre plus faciles à entendre. A ce propos, je voudrais évoquer la question de l’enregistrement. Aujourd’hui, beaucoup de concerts sont enregistrés, soit pour être archivés, soit pour se retrouver en ligne. C’est parfois difficile d’accepter ça. Il y a deux ans _ le 1er février 2020, à Madrid _, j’ai joué en concert un programme consacré à la famille Couperin, concert enregistré ; on m’a demandé par la suite d’éditer un disque avec cet enregistrement et, après l’avoir réécouté, j’ai accepté _ merci ! et l’enregistrement est mafnifique _ et ce disque va sortir prochainement _ il est sorti ; cf mon article du 21 janvier, cité plus haut. Le rapport à l’enregistrement a énormément changé aujourd’hui où tout le monde peut s’enregistrer facilement. Qu’on soit d’accord ou non, il y a un changement qui est maintenant bien établi. Ce projet m’a permis de complètement changer mon rapport à l’enregistrement.

« Ce n’est pas un problème de laisser certaines imperfections, c’est la vie, ça laisse une plus grande sincérité musicale »

RM : De quelle façon?

BA : Avant, à l’époque de mes premiers disques, il y avait le directeur artistique qui avait une empreinte forte sur l’enregistrement. Pour un disque, on disposait en gros d’une semaine d’enregistrement, c’était très confortable, il suffisait de faire confiance au directeur artistique. Peu à peu, pour des raisons principalement économiques _ de plus en plus pesantes et pressantes _, le directeur artistique et l’ingénieur du son sont devenus une seule et même personne, et la démarche est devenue plus analytique : on faisait une première prise, on écoutait, on discutait, on recommençait, on détaillait beaucoup. Aujourd’hui, lorsque je réentends mes disques d’il y a dix ans, comme la Clavier-Übung, je leur trouve ce côté analytique, moins spontané. J’ai laissé reposer tout ça, je n’ai plus enregistré que des disques en live _ voilà. Et quand il a été question de reprendre le projet d’intégrale, les conditions avaient beaucoup changé, je me suis retrouvé avec une semaine d’enregistrement pour trois ou quatre disques ! On a dû travailler vite, et j’ai expérimenté de nouvelles méthodes, comme d’enregistrer avec un casque sur les oreilles, ce qui m’a permis de me diviser en deux, d’avoir une oreille extérieure en même temps que le musicien s’exprime. On gagne beaucoup de temps. Cette manière de m’approprier ainsi le travail d’enregistrement _ voilà _, en parfait accord avec Alban Moraud (le preneur de son), permet de bien avancer. Cela demande un travail préparatoire colossal, mais on enregistre six disques en deux semaines _ mazette ! Et le résultat qui en ressort est plus vivant, plus spontané _ c’est très bien ! _, moins aseptisé. On corrige moins de détails, et l’ensemble gagne en patine. Plus on corrige, plus on risque de déstabiliser l’ensemble. Ce n’est pas un problème de laisser certaines imperfections, c’est la vie _ exactement ! _, ça laisse une plus grande sincérité musicale _ oui. C’est comme une photographie argentique où un petit défaut donne une âme à la photo alors que le numérique, avec sa définition trop parfaite, risque d’enlaidir parce qu’on découvre ce que l’œil ne voit pas _ excellente comparaison.

RM : Le dernier volume paru remet les chorals de l’Orgelbüchlein en situation : des préludes de choral qui introduisent la version chantée des textes luthériens. Comment avez-vous conçu ce programme original ?

BA: Ce travail a été initié avec Marine Fribourg il y a quelques années à Arques-la-Bataille, avec les chorals du Catéchisme. Pour l’Orgelbüchlein, il s’agit pour le compositeur de montrer ce qu’on peut faire à partir d’un choral, mais ça reste des préludes de chorals _ voilà _ destinés _ tout simplement, et très fonctionnellement… _ à introduire le chant d’assemblée. Il me paraissait donc important de connecter _ mais oui ! _ ces chorals avec la version chantée. Le chant du choral est au cœur _ mais oui _ de la foi luthérienne. J’ai choisi d’improviser l’accompagnement pour garder la spontanéité _ excellent ! _, et d’enchaîner le prélude et sa version chantée, comme au culte _ voilà. Après une première session avec l’ensemble Bergamasque, je me suis dit qu’il était indispensable de faire aussi appel à des voix d’enfants, comme c’était le cas à l’époque, et nous avons fait ce travail avec les enfants de la maîtrise de Notre-Dame. C’est très intéressant, parce que c’est l’orgue _ voilà _ qui donne l’impulsion _ c’est-à-dire l’élan de l’enthousiasme. Il y a eu un beau travail d’Alban Moraud pour reconstituer le son d’une assemblée, et c’est très réussi.

RM : Vous êtes pratiquement à la moitié du projet. Comment imaginez-vous la suite ?

BA : Avec le même appétit musical  _bravo ! _ que depuis le début ! Et en me laissant surprendre _ mais oui : accueillir ce qui vient et survient. Par exemple, je ne m’attendais pas à ce que le clavicorde apparaisse aussi tôt dans le déroulement de l’intégrale, c’est un peu la faute des mois de confinement _ forçant à la pratique la plus intime de la musique… Pour la suite, il y aura peut-être _ qui sait ? _ des instruments inattendus, utilisés de manière inattendue. Dans les prochains volumes, il y aura un chanteur pour une cantate en italien. Et puis la première version _ Wow ! _  du cinquième concerto brandebourgeois. J’espère pouvoir associer au projet des œuvres de musique de chambre _ mais oui _ et de petites cantates _ comme cela se pratiquait quasi au quotidien dans le cercle familial des Bach... _, pour montrer l’influence _ qui en résultait _ sur la musique de clavier. Avant tout, c’est l’écoute qui me guide. Je ne veux pas tout décider à l’avance _ bravissimo !!!

Crédit photographique : © Bernard Martinez

 

Un superbe entretien

avec un musicien magnifique, merveilleux, parfaitement honnête, ainsi que très intelligent…

Déjà accompli. Et c’est loin d’être fini…

Immense merci !

Ce dimanche 29 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Une absolument splendide « Psyche » de Matthew Locke, par Sébastien Daucé et son Ensemble Correspondances

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L’assez récent CD « Psyche » de Matthew Locke par Sébastien Daucé à la tête de son _ toujours _ très remarquable Ensemble Correspondances,

est une enchanteresse réussite.

M’en avaient déjà prévenu les articles,

le 23 septembre dernier, de Jean-Charles Hoffelé « Restauration et Restauration » sur son site Discophilia ;

et, le 30 octobre dernier, de Cécile Glaenzer « Psyche de Locke, des rives de la Seine à celles de la Tamise« , sur le site Discophilia.

 Et puis voici, en date d’hier 19 décembre, l’article « La Psyche de Matthew Locke, l’opéra emblématique de la Restauration anglaise » de Jean Lacrois sur le site Crescendo.

Voici donc ces 3 recensions _ avec mes farcissures _ de ce superbe très réjouissant double CD :

RESTAURATION ET RESTAURATION

La musique de Draghi est perdue, part probablement considérable de ce « dramatic opera in five acts » qui sacra l’apogée du nouveau style musical florissant avec la Restauration entreprise par Charles II. Foin du puritanisme _ cromwellien _, les théâtres rouvraient, les musiciens s’émancipaient des rigueurs de la morale, le plaisir et la licence reprenaient possession des planches _ le roi Charles II (1630 – 1685) était une digne petit-fils du Vert-galant, son grand-père maternel, Henri IV… Matthew Locke (Exeter, 1621 – Londres, 1677) sera le parangon de cette renaissance des plaisirs _ oui ! _, partageant la mise en musique de la pièce de Shadwell avec un confrère italien _ Giovanni-Battista Draghi (Rimini, 1640 – Londrres, 1708) _, pratique courante qu’il avait déjà mise en œuvre dans son Cupid and Death où la plume de Christopher Gibbons avait pris sa part.

Si le spectacle de Psyché se veut anglais, ses sources dramatiques sont françaises, Molière, puis Molière vu par Quinault pour la Psyché de Lully _ représentée pour la première fois le 19 avril 1678 à l’Académie royale de musique, à Paris _, et jusque dans sa musique transparaissent des couleurs versaillaises, ce que Sebastien Daucé et sa brillante troupe suggèrent _ superbement…

Puisque les portées de Draghi ont disparu, ils iront chercher un peu d’ultra-montain dans le Lamento de la Psyché de Lully, choix logique et éclairant. Ailleurs, tout sera pris au bord de la Tamise, danses d’anonymes pleines de caractère, les cahiers de musique instrumentale de Locke augmentant considérablement les parties vocales que Philip Pickett assemblaient sur un seul disque pour L’Oiseau-Lyre en 1994 _ je viens de le ré-écouter : l’interprétation manque beaucoup du relief et des vives couleurs que savent y mettre Sébastien Daucé et son excellent Ensemble Correspondances ! _, les paysageant de brèves pièces instrumentales de Draghi fatalement exogènes à Psyché. Seul avantage de la version pionnière, un anglais plus naturel _ mais c’est bien mince…

Revisité ainsi dans de vastes largeurs _ certes _, l’ouvrage prend toute l’ampleur d’un opéra en cinq actes inspiré par la tragédie lyrique, mais dont la structure est infiniment plus libre, annonçant l’univers de haute fantaisie des Masques, rendant à Psyché son caractère pionnier où John Blow (Newarck-on-Trent, 1649 – Londres, 1708) et Henry Purcell (Londres, 1659 – Londres, 1695) tremperont leurs plumes de théâtre _ en effet ! Et, pour moi, ce moment des rois Stuart de la Restauration offre le plus sublime moment de la musique anglaise…

La reconstitution est fastueuse _ oui : vraiment !!! _, vraie restauration qui permet de prendre la mesure de cette œuvre _ en effet _ magnifique. L’élan, les inventions, les caractères, la grâce _ oui _ des musiques de Locke trouvent dans le regard tendre et brillant que leur adressent Sébastien Daucé et ses amis, un souffle, une éloquence, une poésie qui ne voudront plus vous faire quitter ses enchantements _ voilà le mot le plus juste qui soit !

Allez, maintenant Cupid and Death, qui depuis l’ancienne proposition madrigalesque d’Anthony Rooley espère retrouver un tel théâtre.

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LE DISQUE DU JOUR

Matthew Locke (1621-1677)
Psyché. The English Opera

Caroline Weynants, soprano (Première Furie, Première Nymphe, Premier amant Élyséen)
Caroline Bardot, soprano (Seconde Furie, Première Femme, Seconde Nymphe, Trosième amant Élyséen)
Deborah Cachet, soprano (Seconde Femme, Troisième Furie, Proserpine, Deuxième amant Élyséen)
Lieselot de Wilde, soprano (Vénus, Seconde Furie)
Lucile Richardot, mezzo-soprano (Le grand Prêtre, Une femme affligée, Dieu de la Rivière, Quatrième Furie)
David Tricou, contre-ténor (Premier Cyclope, Premier Chanteur, Cinquième Démon)
Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor (Second Chanteur, Troisième Démon, Apollon)
Marc Mauillon, ténor (Second Homme, Troisième Cyclope, Mars, Sixième Démon)
Antonin Rondepierre, ténor (Premier Homme affligé, Praesul, Premier Chanteur)
Davy Cornillot, ténor (Second Chanteur, Quatrième Démon)
Nicolas Brooymans, basse (Pan, Premier Homme, Deuxième Homme affligé, Quatrième Cyclope, Pluton)
Renaud Bres, basse (Jalousie, Deuxième Cyclope, Deuxième Démon)
Étienne Bazola, basse (Vulcain, Premier Démon, Bacchus)

Ensemble Correspondances
Sébastien Daucé, direction

Un album de 2 CD du label harmonia mundi HMM 905325.26

Photo à la une : le chef Sébastien Daucé – Photo : © DR

Puis :

Psyche de Locke, des rives de la Seine à celles de la Tamise

Une nouvelle fois, Sébastien Daucé fait oeuvre de découvreur, en reconstituant _ oui _ la partition de Psyche Matthew Locke : un opéra emblématique de la Restauration anglaise.

L’opéra anglais de la fin du XVIIᵉ siècle est une forme hybride unissant musique et dialogues parlés. Il doit beaucoup à l’influence des tragédies-lyriques et des comédies-ballets de Lully, appréciées par le roi Charles II pendant son exil à la cour de France _ oui. La Psyché de Lully en 1671 connut un succès dont l’écho dépassa les frontières. C’est le roi lui-même qui commande sur ce thème ce qui sera le premier opéra anglais, sollicitant Shadwell pour le livret, Locke et Draghi pour la musique, ce dernier se voyant confier la musique des danses. Malheureusement, l’édition de 1675 qui nous est parvenue ne comprend que la musique de Locke, celle de Draghi semble perdue. Sébastien Daucé est allé puiser dans la musique instrumentale de Locke et dans un recueil de danses anonymes de l’époque pour compléter les lacunes de la partition originale _ voilà _ et ainsi reconstruire une nouvelle Psyché dans son intégralité musicale _ oui.

Si la Psyche anglaise emprunte à la musique de Lully et au texte de Molière/Quinault/Corneille presque littéralement traduit, elle comporte _ aussi _ des éléments typiquement britanniques : grounds, pompes martiales, hymnes, et surtout scènes grotesques qui rapprochent le semi-opéra du théâtre shakespearien _ oui. Un mélange de tragédie antique et de féérie baroque _ oui. Si on rajoutait à l’œuvre les textes parlés qui lui appartiennent, le spectacle en cinq actes durerait près d’une demi-journée… Les nombreuses didascalies du livret d’accompagnement permettent d’imaginer toute la magnificence des représentations, de palais en forêts, de jardins féériques en grottes infernales. Et l’absence de Psyché parmi les rôles chantés (elle fait partie des personnages dont le rôle est exclusivement parlé) et son omniprésence dans l’histoire font de l’héroïne une autre Arlésienne. A la fin du second acte, le chef a choisi d’ajouter en guise d’intermède la Plainte italienne (de 10′ 53) extraite de la Psyché de Lully, pour faire écho au magnifique quatuor des Amants désespérés qui la précède. Dans le rôle de la Femme affligée, la voix incomparable de Lucile Richardot y fait merveille _ oui.

Sébastien Daucé a réuni pour cet enregistrement une distribution vocale éblouissante _ mais oui ! _, la fine fleur de l’opéra baroque, déjà convoquée pour le _ sublime CD du _ Ballet Royal de la Nuit : Caroline Weynants, Deborah Cachet, Caroline Bardot, Lucile Richardot, Étienne Bazola, Nicolas Brooymans, Marc Mauillon, Paul-Antoine Bénos-Djian … il faudrait les citer tous tant ils sont remarquables et d’une diction irréprochable. La truculence des voix de basses dans les intermèdes comiques ou guerriers, la souplesse des pupitres aigus, la théâtralité assumée par tous font de cette interprétation un modèle du genre _ oui. Deux voix sont à mettre en exergue pour leur belle maîtrise d’un ambitus exceptionnellement étendu : celle du ténor Marc Mauillon qui incarne le dieu Mars et un Homme désespéré, et celle de Lucile Richardot (successivement Grand Prêtre, Femme affligée, Dieu de la rivière et Furie) qui passe avec l’aisance qu’on lui connait du grave chaleureux aux aigus solaires. L’orchestre et le continuo font preuve d’une très grande variété dans la dynamique _ oui _, pour rendre toute l’inventivité et la rythmique de cette écriture riche _ en effet _ en surprises. Une œuvre dont on découvre de nouvelles richesses à chaque réécoute _ absolument ! Et que l’on rêve de voir un jour sur scène avec tous les fastes qui l’accompagnent.

Matthew Locke (1621-1677) / Giovanni Battista Draghi (c. 1640 – enterré en 1708) :

Psyche, opéra dramatique en 5 actes.

Livret de Thomas Shadwell d’après Molière, Quinault, Corneille et Lully (Psyché).

Lucile Richardot, mezzo-soprano ; Marc Mauillon, ténor ; Nicolas Brooymans, basse ; Renaud Bres, basse ; Caroline Weynants, soprano ; Caroline Bardot, soprano ; Lieselot de Wilde, soprano ; Deborah Cachet, soprano ; Antonin Rondepierre, ténor ; Étienne Bazola, basse ; David Tricou, contre-ténor ; Davy Cornillot, ténor ; Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor ;

Ensemble Correspondances ;

Sébastien Daucé : orgue, clavecin et direction.

2 CD Harmonia Mundi. Enregistrés à St Omer en juillet et août 2020.

Livret français/anglais.

Durée totale : 1h47’

 …

Et puis celle de tout juste hier :

La Psyche de Matthew Locke, l’opéra emblématique de la Restauration anglaise

LE 19 DÉCEMBRE 2022 par Jean Lacroix

Matthew Locke (c. 1621-1677) :

Psyche, opéra dramatique en cinq actes.

Caroline Weynants, Caroline Bardot, Lieselot de Wilde et Deborah Cachet, sopranos ; Lucile Richardot, mezzo-soprano ; et Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténors ; Marc Mauillon, Antonin Rondepierre et Davy Cornillot, ténors ; Etienne Bazola, Nicolas Brooymans et Renaud Bres, basses ;

Ensemble Correspondances, direction Sébastien Daucé.

2022. Notice en français et en anglais. Livret complet en anglais, didascalies comprises, avec traduction française. 107.00. Un album de deux CD Harmonia Mundi HMM 905325.26.

Le futur Charles II (1630-1685), cousin germain de Louis XIV et fils du Roi Charles Ier, décapité en janvier 1649, est battu par Cromwell, qui va établir un Commonwealth républicain d’Angleterre, et est contraint de fuir son pays. Après des années passées en France et dans les Pays-Bas espagnols, Charles II récupère son trône en 1660 _ voilà _, deux ans après la mort de Cromwell. Une ère nouvelle commence : après des années d’interdiction puritaine des représentations théâtrales, les salles de spectacles londoniennes purent enfin reprendre leurs activités, précise la musicologue Katherina Lindekens dans sa notice. Cette Restauration va avoir un effet bénéfique, avec l’émergence d’une nouvelle forme de drame musical hybride -appelée plus tard « dramatick opera »- qui allait devenir le genre dominant à Londres jusqu’à la fin du siècle. Malgré l’une ou l’autre tentative timide, des réticences à adopter la forme d’un opéra totalement chanté subsistent. La Psyche de Matthew Locke, créée à Londres le 27 février 1675, sera donc un compromis, chant et parole y étant mêlés.

Lors de son séjour en France, Charles II a été baigné dans _ et enchanté de _  l’atmosphère de la culture musicale du ballet de cour et de la comédie-ballet. Cela l’incite à mettre en place en Angleterre un ensemble instrumental, à inviter des compositeurs français _ en effet nombreux à y venir... _ et à envoyer à Paris le comédien shakespearien et auteur Thomas Betterton (c. 1635-1710) qui y a probablement vu, en 1671, les représentations de la tragédie-ballet Psyché de Lully, sur un texte de Molière, Corneille et Philippe Quinault. Le même sujet va faire le bonheur de Matthew Locke, devenu compositeur du Roi Charles II à la Restauration et déjà auteur de musiques de scène ou pour le théâtre, dont des masques, ainsi que d’anthems ou de chants sacrés. Sa Psyche sera sa dernière grande partition avant sa mort _ au mois d’août 1677. Le dramaturge Thomas Shadwell (c. 1642-1692) est chargé de la traduction du livret qui a servi à Lully, travail qui l’inspire et qu’’il accomplit presqu’à l’identique de l’original. La musique est confiée à Locke et à Giovanni Battista Draghi (c. 1640-1708), d’origine italienne, établi dans les années 1660 en Angleterre, où il passera le reste de son existence.

Mais, comme l’explique Sébastien Daucé, lorsque le livret, très détaillé en indications diverses, et une partition sont publiés en 1675, la partie musicale qui revient à Draghi ne s’y trouve pas. Elle est hélas, de ce fait, définitivement perdue _ oui. On lira la réflexion de Daucé quant aux solutions adoptées pour la présente reconstitution, la musique de Draghi ayant été remplacée par des pages de Locke et d’anonymes du temps. Un extrait de dix minutes de la Psyché de Lully, la « plainte italienne », a par ailleurs été ajouté comme intermède à la fin de la scène 2 de l’Acte II, en guise d’hommage au favori du Roi Soleil. Le texte de la partie chantée, qui est, répétons-le, une traduction presque littérale du livret destiné à Lully, est intégralement reproduit ici, l’éditeur ayant choisi d’y ajouter en italiques les didascalies et compléments qui résument la partie théâtrale. Une initiative des plus judicieuses, que l’on salue comme elle le mérite, car elle laisse libre cours à l’imagination. Le résultat est d’une homogénéité remarquable, et l’intensité est au rendez-vous _ oui ! _ pour un peu moins de deux heures de bonheur musical et vocal _ oui. L’intrigue est connue. Elle est tirée des Métamorphoses d’Apulée (L’Âne d’or) et date du IIe siècle avant notre ère. La déesse Vénus est jalouse de la beauté de la princesse Psyche et envoie Eros pour lui trouver un époux, mais le messager en tombe amoureux. Des épreuves vont être soumises à Psyche qui sera en fin de compte admise parmi les dieux et unie à son amant. Dans ce contexte, il y a de la magnificence _ oui _, des moments voués aux palais, forêts, jardins féeriques ou grottes infernales, avec un concert de danses subtiles et raffinées, mais aussi rustiques, de couleurs séduisantes et de rythmes qui se révèlent dynamiques ou languissants _ voilà. Le tout servi par une instrumentation imaginative, riche en trouvailles quant aux violons, violes, sacqueboutes et autres luth, harpe, flûtes, hautbois ou percussion _ absolument. Un feu d’artifice de nuances distillées par un Ensemble Correspondances en grande forme, mené avec vigueur et fougue par Sébastien Daucé, dont l’investissement comme chef rejoint celui qu’il a mis pour mener à bien ce projet dont il peut être fier _ tout cela est d’une partaite justesse.

Le riche plateau vocal fait appel à treize chanteurs. Récitatifs et airs se succèdent avec bonheur au milieu des interventions instrumentales. Les chanteurs, dont on appréciera l’excellence globale de la prononciation anglaise, endossent plusieurs rôles, mais il n’y a pas de Psyche, celle-ci étant à l’origine un rôle parlé. Il faudrait détailler toutes les présences de ces voix, toujours en situation. Epinglons celles de Nicolas Brooymans, sensible dans l’hymne à la beauté de Psyche au début de l’Acte I, de Lucile Richardot qui, dans l’air Let’s to Apollo’s Altar now repair (Acte II, scène 1), atteste d’un sens absolu de l’éloquence et de la déclamation, d’Antonin Rondepierre, vaillant dans l’Acte III (Great God of War), ou de Marc Mauillon dans un air de contemplation (Behold the God) de l’Acte V. Mais tout le monde est à sa place (délicate Deborah Cachet, distinguée Lieselotte de Wilde, subtile Caroline Bardot…), avec une hauteur de style et une joie de chanter _ oui ! _ exploitées dans les ensembles accomplis qui parsèment l’opéra. On ne manquera pas de souligner à quel point l’intermède italien de la Psyché de Lully par lequel Daucé a choisi de conclure l’Acte II (Lucile Richardot, Antonin Rondepierre et Nicolas Brooymans) trouve une place dramatique et glorieuse. L’œuvre s’achève dans une sorte d’ivresse par All joy to this Celestial Pair, les chœurs, impeccables, et les instrumentistes se lançant dans un irrésistible éloge des pouvoirs de l’Amour et de la Beauté _ oui.

Les mélomanes qui ont acquis _ je l’ai fait _ en 1995 la production, sous étiquette de L’Oiseau-Lyre, du New London Consort dirigé par Philip Pickett, avec un plateau vocal de qualité, en ont gardé un _ assez _ beau souvenir. Ils seront transportés cette fois _ oui !!! _ par le haut niveau de la nouvelle gravure, captée avec soin dans la chapelle des Jésuites de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, en juillet et août 2022. C’est un enregistrement à marquer d’une pierre blanche, qui rend justice à ce qu’il faut considérer comme le premier opéra anglais digne de ce nom.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

Et de fait à l’écoute intégrale des 107′ de ce double CD Harmonia Munsi HMM 905325-26 de Sébastien Daucé et son Ensemble Correspondances,

un extrême plaisir est bien au rendez-vous !

Ce mardi 20 décembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Reinoud Van Mechelen toujours excellent dans les très délicates « Brunettes » du tournant entre XVIIe et XVIIIe siècles : un bijou !

10août

Après ses très brillants CDs « Dumesny, haute-contre de Lully » _ soit le CD Alpha 554 ; cf mon article «  » du 10 janvier 2020… _

et « Jeliote, haute-contre de Rameau«  _ soit le CD Alpha 753 ; cf mon article «  » du 18 octobre 2021… _,

le magnifique et toujours parfait ténor Reinoud Van Mechelen vient nous gratifier maintenant d’un très réussi petit bijou de CD, avec son « Oh, ma belle brunette« , soit le CD Alpha 833, paru le 27 mai dernier ;

dont témoigne, par exemple, le très juste article, ce jour sur le site de ResMusica, « Galanteries champêtres par Reinoud Van Mechelen« , de Cécile Glaenzer :

Galanteries champêtres par Reinoud van Mechelen

Le ténor belge et son ensemble A nocte temporis aiment à défricher des répertoires méconnus. Ils nous offrent ici un _ excellent ! _ florilège de brunettes anonymes et autres airs galants.

« Brunette : petite chanson tendre, d’un goût naturel et délicat » nous apprend le dictionnaire Littré. Ces airs à une, deux ou trois voix et basse continue sur un sujet champêtre et galant furent très populaires en France au tournant des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. L’éditeur Ballard en publie trois tomes _ en 1703, 1704 et 1711 _ sous le titre Brunetes ou petits airs tendres, et c’est à cette source que Reinoud van Mechelen est allé puiser _ oui _ le programme _ des airs _ du présent enregistrement. Il y ajoute de joyeux « airs à boire » _ au nombre de 3 : de Jacques Cochereau (en 1714), Joseph Valette de Montigny (en 1713) et Monsieur de la Feronnerie (en 17169) _ et des intermèdes instrumentaux de Marais, Hotteterre, Visée, Couperin, Dandrieu et Pignolet de Montéclair. Un programme tout en délicatesse et élégance _ voilà ! _, illustration du raffinement à la française _ tout à fait _, où la voix souple et expressive du ténor _ oui… _ fait merveille _ en ce très délicat répertoire : on ne saurait mieux dire. La diction est parfaite _ comme c’est absolument nécessaire, en effet ! et c’est rédhibitoire … _ et le texte reste toujours lisible _ voilà ! _, même dans les reprises ornementées, tout droit venues de l’art de l’air de cour. Preuve de la ductilité de sa voix, le ténor se fait _ aussi, mais oui… _ haute-contre dans les reprises de « Tu ne dois pas, jeune Lisette » chantées à l’octave aigüe. On se souvient _ et comment ! _ que les derniers enregistrements de Reinoud van Mechelen étaient consacrés au répertoire des contre-ténors Louis Gaulard Dumesny et Pierre de Jélyotte.

Les airs instrumentaux choisis _ en appoint _ répondent parfaitement _ oui _ aux pièces vocales, et font beaucoup _ aussi _ pour l’attrait de ce programme. Trois pièces de viole de Marin Marais permettent d’apprécier la belle musicalité de Myriam Rignol. Le traverso d’Anna Besson tient une place importante tout au long du programme, et lui confère beaucoup de poésie, en dialogue avec la voix. Elle nous propose aussi une intervention bienvenue sur la musette de cour, instrument des évocations champêtres par excellence _ en effet. Le théorbe de Simon Linné et le clavecin de Loris Barrucand réalisent un continuo subtil et des intermèdes tout en délicatesse _ le terme est on ne peut plus adéquat. Au milieu de tous ces airs tendres, on appréciera la simplicité de deux comptines chantées a capella: « Sur le bord de la Seine » et le truculent « Il étoit un Espagnol » qui apporte sa dose d’humour dans un programme parfois _ presque _ un peu trop langoureux.

Œuvres de Jacques Cochereau (1680?-1734), Marin Marais (1656-1728), Jacques-Martin Hotteterre (1673-1763), Robert de Visée (1650-1725), Joseph Valette de Montigny (1665-1738), François Couperin (1668-1733), Jean-François Dandrieu (1682-1738), Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737).

Ensemble A nocte temporis : Anna Besson, traverso ; Myriam Rignol, viole de gambe ; Simon Linné, théorbe ; Loris Barrucand, clavecin ; Reinoud van Mechelen, ténor et direction.

1 CD Alpha. Enregistré en février 2021 à Sint Truiden (Belgique).

Textes de présentation en français, anglais et allemand.

Durée : 71:09

Un parfait très délicat bijou…

Ce mercredi 10 août 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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