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Le mystère de l’espace toujours vivant des sanctuaires désertés : les approches, dans Venise, de l’alpha et omega des choses, par Jean-Paul Kauffmann en son « Venise à double tour » (II)

21juin

En ouverture du chapitre 31,

à la page 212 de son Venise à double tour,

Jean-Paul Kauffmann,

« avant les fêtes de Noël » _ il s’est installé à Venise, dans un appartement de l’île de la Giudecca qui a vue sur le Canal et les Zattere (de Dorsoduro, en face) au début de l’automne (« En ce début d’automne, l’air est doux, la lumière, comme toujours ici, sensuelle et indéfinissable, une brillance si délicate et charnelle _ voilà : les deux _ que, pour se tirer d’affaire _ afin de bien la caractériser _, on ne peut que s’en rapporter aux couleurs des grands peintres de Venise, en particulier Véronèse, même si son opulent jaune soleil tirant sur le safran est sans doute moins notoire que son vert« , page 42) _,

fait un utile point des avancées et impasses de sa démarche de se faire ouvrir les églises fermées de Venise _ à la recherche (du moins au départ) patiente, obstinée, méthodique de « la peinture qui miroitait dans la pénombre » qui l’avait fortement impressionné lors de son bref tout premier passage (plutôt que séjour) à Venise l’été 1968 (ou 69) ; soit presque cinquante ans auparavant !, « l’image disparue : une peinture qui miroite » (page 19), « je me vois contemplant un mur dans la pénombre… La peinture qui l’illumine…«  (page 29), ayant donné lieu à cette étrangement forte impression d’alors (qui continue toujours de venir l’intriguer : « Pourquoi avais-je ressenti cette impression d’étrangeté, de douceur ?« , page 29), qu’il aimerait retrouver et pouvoir-vérifier, probablement en quelque église vénitienne un peu obscure. Et comme jusqu’ici il n’est parvenu à la dénicher en aucune des multiples églises explorées lors de ses nombreux, pourtant, séjours à Venise depuis (« les séjours se sont succédé _ entre 1968 ou 69 et 1985 _ puis accélérés après ma libération en 1988. Et cette église, ce palais que je ne réussissais pas à retrouver…« , page 29), « le chasseur«  en venu à l’idée que cette église parcourue du regard il y a cinquante ans, en 1968 ou 69, doit probablement être, maintenant, fermée au public ; et qu’il s’agit donc pour lui de réussir à se la faire ouvrir ! voilà le défi (de déverrouillage) on ne peut plus concret auquel Jean-Paul Kauffmann se propose de répondre en ce présent séjour prolongé le temps qu’il faudra, cette fois, pour une très systématique recherche dans les moindres églises fermées de Venise (au nombre apparemment d’une quarantaine) ; le temps qu’il faudra, donc, pour retrouver « la fameuse peinture qui brillait dans la pénombre lors du premier voyage«  (page 327) _ ;

un point qui nous aide bien, nous aussi, ses lecteurs, à nous repérer _ une bonne carte, bien précise, de Venise pouvant elle aussi venir à notre secours ! _ dans son périple de recherche (et découvertes progressives) ;

et qu’il reverra et complètera en l’Épilogue _ important en sa brièveté de cinq pages _ du livre, aux pages 323 à 327 :

« Voici un point _ page 212, donc, au chapitre 31 (le livre en comporte 45, avec, aussi, un Épilogue) _ de la situation avant les fêtes de Noël.

Combien d’églises se sont ouvertes ? _ en ces trois mois écoulés depuis le début de l’automne… Une seule, San Lorenzo _ dans le sestier de Castello _, et encore par hasard _ et regardée pas plus de trois minutes, cette fois-là du moins.

Une fausse église fermée puisqu’il lui arrive d’être parfois ouverte _, Santa Maria della Visitazione _ dans le sestier de Dorsoduro, sur les Zattere.

Une, entredéverrouillée et _ définitivement _ inaccessible, Sant’Anna _ dans le sestier de Castello.

En attente : San Benetto sestier de San Marco _, San Fantin _ sestier de San Marco, aussi, face à la Fenice _ et Spirito Santo _ sestier de Dorsoduro, sur les Zattere, elle aussi. Ces trois-là dépendent du bon vouloir du Grand Vicaire _ Don Gianmatteo Caputo, un des deux préfaciers de Venise mariale _ Guide artistique et spirituel, de Noëlle Dedeyan. Il tarde à donner son feu vert _ nous apprendrons quarante pages et six chapitres plus loin, au chapitre 37, pages 255-256, que « le portier suprême a fait savoir que la visite _ promise par lui-même _ des trois églises n’était pas possible. Il se défile en sous-entendant qu’il n’a pas fait de promesse formelle. Sa secrétaire allègue un « planning de folie » pour les fêtes de Noël. Et après Noël ? a demandé Alma. Silence embarrassé au bout du fil. Sua Grandezza a, semble-t-il, tourné la page. (…) C’est un coup dur. A quelques semaines du départ dont je n’ai pas encore fixé la date _ mais le départ de Venise sera, bientôt, heureusement pas mal repoussé _, force est de constater que le chasseur que je suis _ voilà _ ne dispose plus que deux hypothétiques cartouches (Santa Maria del Pianto et les Terese). Je suis sur le point de revenir bredouille »

_ pour ce qui concerne Santa Maria del Pianto, l’espoir provient de la promesse reçue lors du concert de Noël à la salle des Anges, « l’auditorium vaste et lumineux qui fait partie de la Scuola Grande de San Marco, devenue _ désormais _ l’hôpital civil de Venise. (…) Pendant la pause _ de ce concert dit de Noël _, je suis présenté à l’un des grands pontes de l’hôpital dont m’avait parlé Alma. Aussitôt je devine l’homme d’action, sociable et concret, cherchant _ lui _ à résoudre dans l’immédiat les problèmes qui se présentent sans se perdre _ lui _ dans le méandre de ces mesquineries qu’autorise le pouvoir. On lui a vaguement raconté mon histoire. Il ne tergiverse pas. Sans poser de questions, il donne aussitôt son autorisation _ voilà ! _ pour la visite de Santa Maria del Pianto, le sanctuaire mystérieux au milieu d’un jardin, permission accordée très rarement, me précisera sa collaboratrice tout aussi avenante«  ;

 

et pour les Terese, dans le sestier de Dorsoduro, l’espoir vient de ce que vient tout juste d’apprendre (aux pages 253-254 du chapitre précédent, le chapitre 36) à Jean-Paul Kauffmann « le Cerf blanc« , Alessandro Gaggiato : ce dernier s’est en effet fait ouvrir, et il y a relativement assez peu de temps, les Terese grâce au curé de l’église voisine : « il a obtenu la permission grâce au curé de l’église voisine, San Nicolò dei Mendicanti, « un homme excellent ». (…) C’était une journée grise et pluvieuse de mars. Néanmoins l’église recevait des fenêtres une belle lumière égale. (…)

_ Pensez-vous que le curé de San Nicolò me donnerait la permission d’y entrer ?

Il _ Alessando Gaggiuta, le Cerf blanc _ ménage un très long temps de pause. Pour le coup, j’ai l’impression qu’un ange passe.

_ Je vais le lui demander. Je pense que c’est possible« .

Fin ici de l’incise à propos de ces « deux hypothétiques cartouches«  d’espoir du « chasseur » (d’églises closes à déverrouiller), pour reprendre la métaphore de la page 256.

Incertitude quant à l’IRE _ l’Istituto Di Ricovero E Di Educazione de Venise _, l’organisation qui détient les clés des Penitenti _ dans le sestier de Cannaregio _ ainsi que de l’Ospedaletto _ sestier de Castello _ et des Zitelle _ sestier de Dorsoduro, dans l’île de la Giudecca. Jean-Paul Kauffmann a en effet obtenu, par Alma, un assez prometteur contact à l’IRE, celui d’Agata Brusegan, conservatrice des archives à l’IRE ; mais les déceptions lui ont appris à demeurer jusqu’au bout méfiant… 

Vagues espérances _ mêmes remarques que pour l’IRE _ pour l’hôpital civil de Venise qui a la haute main _ lui _ sur Santa Maria del Pianto _ sestier de Castello _ et Mendicanti _ même chose : les deux sanctuaires se trouvant au sein du vaste domaine de l’hôpital civil de Venise (l’ancienne Scuola di San Marco, qui jouxte Zanipolo) ; mais je viens d’y faire allusion.

Inutile de s’étendre sur les cas d’autres sanctuaires cadenassés devant lesquels je passe régulièrement… Ceux-là sont des causes désespérées. Ils me mortifient. Je dois les oublier. Je les cite néanmoins pour mémoire et par masochisme _ à ce stade, du moins, de la recherche. Les Terese _ sestier de Dorsoduro _, Sant’Andrea della Zirada _ sestier de Santa Croce _, Sant’Aponal _ sestier de San Polo _, Misericordia _ sestier de Cannaregio _, Sant’Agnese _ sestier de Dorsoduro _, Catecumeni _ sestier de Dorsoduro, aussi _, Eremite _ sestier de Dorsoduro, encore _, Santa Giustina _ sestier de Castello _, etc.

Ajoutant encore :

« Une mention particulière doit être faite pour la Giudecca _ l’île sur laquelle réside à Venise notre « chasseur«  _ avec Santa Croce et Santi Cosmo e Damiano, ces deux édifices qui ponctuent ma promenade de début de soirée. Ils me font rêver. Curieusement, leur fréquentation assidue ne crée chez moi _ à l’inverse des autres _ aucun sentiment de frustration« .

Sur ces huit églises fermées que vient de passer en revue, page 212, le « chasseur« , sans compter la visite chanceuse _ à venir un peu plus tard _ de Santi Cosma e Damiano (elle sera narrée au chapitre 36, aux pages 262 à 266), l’obstiné chercheur réussira à en faire ouvrir six deux de cette liste lui demeureront closes : Sant’Andrea della Zirada et Sant’Aponal ; de même que les trois promises sans tenir sa parole par le Grand Vicaire : San Benetto, San Fantin et Spirito Santo ; pour ce qui concerne Santa Croce, on s’attachera au paradoxal profit que tirera de son cas pourtant négatif l’Épilogue, page 326…

Cependant, nous déclarera-t-il, triomphant, dans l’Épilogue, à la page 323,

« J’ai finalement _ considérablement _ prolongé _ bien au-delà de ce Noël, donc _ mon séjour _ vénitien. Par recoupements _ de contacts positifs _, par chance, obstination aussi _ forcément _, beaucoup d’églises se sont _ en effet, par la suite _ ouvertes _ Jean-Paul Kauffmann nous faisant grâce du détail (trop anecdotique probablement, et surtout répétitif, désormais ; et qui deviendrait fastidieux) des circonstances de ces peu espérées, un moment difficile, ouvertures. (…) Je ne résiste pas au plaisir de nommer ici _ mais c’est aussi un plaisir pour nous, lecteurs (et arpenteurs tenaces des calli de Venise), que de partager avec lui la connaissance de ses réussites finales ! _ les sanctuaires où j’ai pu pénétrer » _ et ce n’est probablement, non plus, pas tout à fait pour rien que tout cela advient sous les auspices du patronage du vénéré Casanova (dont le nom est prononcé à huit reprises, aux pages 15, 317 et 318), en plus de celui de Lacan, amoureux fidèle, lui aussi, de Venise : « Casanova n’était pas un saint, mais certainement un homme selon mon cœur. Ce n’était pas tant le don Juan libertin qui m’importait que le « grand vivant » (Cendrars), l’homme supérieurement libre, toujours gai, dépourvu de tout sentiment de culpabilité. Sa devise, « Sequere deum » (Suis ton dieu), n’était pas si éloignée du « Ne pas céder sur son désir » de Lacan« , page 318 _ :

« Les Penitentiles Zitelle, Ospedaletto, San Marziale _ non mentionné jusqu’ici, situé dans le sestier de Cannaregio _, Santa Maria Mater Domini _ non plus, dans le sestier de Santa Croce _, Santa Caterina _ non plus, dans le sestier de Cannareggio _, San Giovanni Evangelisti _ non plus, dans le sestier de San Polo _, Sant’Agnese, San Girolamo _ non plus, dans le sestier de Cannareggio _, Santa Giustina, Cappuccine _ non plus, dans le sestier de Cannaregio lui aussi _, Eremite, Santa Maria della Misericordia, Santa Margherita _ non plus, dans le sestier de Dorsoduro _, Catecumeni, San Gallo _ non plus, dans le sestier de San Marco _, Maddalena _ non plus, dans le sestier de Cannaregio _, San Gioacchino _ non plus, dans le sestier de Castello _ et Soccorso«  _ non plus, dans le sestier de Dorsoduro. Pour ma part, je les situe sur mon plan détaillé de Venise…

Dans mon article d’avant-hier _  _,

j’ai commencé à cerner ce qu’apprend _ étape après étape, station après station de son aventure courageuse de visites si difficiles à obtenir _ à découvrir _ d’assez divers, et surtout par sérendipité ! _ Jean-Paul Kauffmann en jetant un œil dans ses premières églises fermées _ ou supposées telles par lui _, Santa Maria della Visitazione (au chapitre 10, pages 73-74, dans le sestier de Dorsoduro), Sant’Anna (au chapitre 18, pages 126 à 128, dans le sestier de Castello), et San Lorenzo (au chapitre 21, surtout, aux pages 144 à 153, puis au chapitre 44, aux pages 306 à 311, dans le sestier de Castello aussi ;

la réflexion sur cette perception _ de plus en plus pointue et incisive _ de l’espace intime ecclésial _ en la gamme des présents états, fort divers, de ces monuments _ se poursuivant et développant, pour le cas d’espèce _ important ! c’est un tournant de l’aventure ! et quatre chapitres lui sont consacrés en suivant (21, 22, 23 et 24), avant encore un autre, le chapitre 44 (aux pages 306 à 315) _ de San Lorenzo, aux trois chapitres suivants ce chapitre 21, les chapitres 22, 23 et 24, aux pages 154 à 169) ;

et elle concerne une très fine analyse de la perception de l’espace intérieur et le dispositif _ avec  ce qui en reste (ou pas) _ de cette église ;

et des autres églises aussi, à partir de cette prise de conscience-là, à San Lorenzo.

Les deux découvertes suivantes du « chasseur » seront San Lazzaro dei Mendicanti (au chapitre 32, pages 226 à 228) ; et Santa Maria del Pianto (au chapitre 41, pages 282 à 292) : les deux églises faisant partie du même domaine de l’hôpital public, l’ancienne Scuola di San Marco, dans le sestier de Castello. Les remarques concernant chacune des deux, ainsi que leur violent contraste, sont à la fois précises et bien développées : le chapitre 41 concernant Santa Maria del Pianto marquant à son tour un des temps forts de la méditation subtile et perspicace de l’enquête.

Avec aussi, entretemps, au chapitre 38 et aux pages 262 à 266, un coup d’œil par surprise jeté en catimini, et en se faisant surprendre, aux Santi Cosma e Damiano (dans l’île de la Giudecca) _ caractérisant un des devenirs présents (non religieux : de ré-affectation) de ces églises fermées.


Le dernier grand moment de la « chasse« , prend place au tout dernier chapitre _ et c’est un climax ; juste avant le point final, et conséquent, en sa relative brièveté (cinq pages: 323 à 327), de l’Épilogue _, le chapitre 45, aux pages 316 à 322, qui concerne l’accès _ acrobatique _ aux Terese, et leur visite _ dans le sestier de Dorsoduro, juste en face de San Nicolò dei Mendicanti, dont le curé « homme excellent«  que connaît Alessandro Gaggiato, possède la décisive clé ; cf le très beau récit de l’ouverture de la (sublime !) porte des Terese, à la page 319.


Quant à l’Épilogue, aux pages 323 à 327, outre le palmarès des églises réputées fermées que le « chasseur » est parvenu à visiter, il fait un sort important, bien que bref, à quatre cas _ spéciaux et paradoxaux _ d’école _ trois cas positifs (quant à l’objectif de réussir à y pénétrer ; mais qui révèleront, chacun des trois, un « manque« , un « défaut« , différent chaque fois ; et suscitant au final de la frustration malgré la pénétration réussie du sanctuaire) et un cas négatif, mais dont la leçon indirecte se révèlera, elle, a contrario, étrangement positive, en cet ultime cas, celui, impénétré, de Santa Croce (dans l’île de la Giudecca) ; cas qui suffira à l’auteur à considérer qu’il ne lui est plus nécessaire de poursuivre l’enquête à Venise ; lui signifiant très clairement que le tour de la question fondamentale a maintenant été réalisé.

Il s’agit ici des cas des Penitenti (page 324-325, dans le sestier de Cannaregio),

de la Misericordia (page 325, dans le sestier de Cannaregio aussi)

et du Soccorso (pages 325-326, dans le sestier de Dorsoduro ;

ainsi que de Santa Croce (page 326, dans le sestier de Dorsoduro, dans l’île de la Giudecca).



Et, comme tout à fait incidemment, la toute dernière page, la page 327 de l’Épilogue, viendra aussi nous apprendre, in extremis _ mais sans s’y attarder du tout ! _quelle était cette « peinture qui miroitait » l’été 1968 (ou 69) ; ainsi que sa localisation effective ; et ce n’était pas une église !

De même que le lieu _ splendide ! éblouissant ! _ de sa contemplation _ pas forcément aisée, désormais, pour le publicn’a rien, non plus, d’une pénombre obscure…

Comme quoi…

Mais l’auteur s’abstient là du moindre commentaire _ ce Mac Guffin (appât de tant d’années de séjours vénitiens renouvelés depuis 1968, et surtout 1988) se révélant avoir été in fine bien plus fécond que ce qu’il promettait, en ce qu’il a permis d’apporter de bien plus profond encore que l’expérimentation d’une seconde confrontation à l’objet désiré au départ, aux yeux du « chasseur« …

Nous laissant bien, à nous lecteurs, le soin de former seuls le nôtre, de commentaire _ peut-être lacanien… à cette connaissance révélée in extremis, à la toute dernière page, de la factualité de cette localisation _ tiepolienne : mais en 1968, le nom de Tiepolo ne disait encore rien au bien jeune encore Jean-Paul Kauffmann… Il faut probablement les péripéties un peu complexes d’une assez longue vie (à rebondissements) pour étoffer et muscler une un peu consistante (et surtout vraie) expérience personnelle (et culturelle).

Mais si Jean-Paul Kauffmann s’était trop vite rendu compte de cette localisation de « la peinture qui miroitait »c’est de toute cette riche enquête-méditation _ à horizon métaphysique quant à « l’alpha et l’omega«  des choses _ sur les espaces encore vivants _ et capables de résilience _ ou déjà moribonds, des églises fermées vénitiennes, que nous aurions été, après l’auteur, nous aussi, ses lecteurs, privés (et frustrés) :

la longue errance de départ, et trente année durant _ 1988 – 2018 _ prolongée, dans Venise, de ce désirant passionné et masochiste _ pour la plus humaine (désirante) cause qui soit : casanovienne… _ qu’est Jean-Paul Kauffmann

a donc eu, in fine, beaucoup de bon ;

dont la superbe aventure de ce livre, Venise à double touraux Éditions des Équateurs…

Et nous lui en savons gré…

Ce vendredi 21 juin 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Qui donc est la tante Bibi des lettres de Maurice Ravel à Marie Gaudin ? Voici la réponse…

01juin

Poursuivant plus que jamais, ce samedi 1er juin, mes recherches

sur les cousinages cibouro-luziens de Maurice Ravel,

voici que,

après mes découvertes _ déjà surprenantes _

de l’existence des trois sœurs cibouriennes Delouart toutes les trois nommées Marie Delouart,

filles de Gratien Delouart et Sabine Laxague

_ j’ai un moment résisté à reconnaître qu’il s’agissait bien là de trois personnes distinctes

possédant le même nom... _,

puis de l’existence des deux sœurs luziennes nommées toutes les deux Marie Etcheverry,

filles de la seconde Marie Delouart et Jean Etcheverry

_ je suis venu un peu plus vite à reconnaître le fait _,

puis, tout récemment _ le 25 mai dernier, il y a juste une semaine _,

du faire-part de décès (daté du 9 juillet 1932) de Marianne Imatz  _ née à Saint-Jean-de-Luz le 28 octobre 1845, et décédée à Saint-Jean-de-Luz le 9 juillet 1932 _,

l’épouse-veuve de Dominique Hiriart,

me révélant le maillon qui manquait encore entre les ascendants cibouriens Delouart-Etcheverry et les descendants luziens Hiriart-Gaudin _ c’est-à-dire la personne même de Dominique Hiriart, comme étant et le fils de la première Marie Etcheverry-Hiriart (née de la seconde Marie Delouart), en remontant en l’amont du temps ; et le père de Magdeleine Hiriart-Gaudin (la mère à venir du second Edmond Gaudin), en descendant en l’aval des années ; et il fallait absolument pouvoir relier effectivement tout cela : l’aval avec l’amont _,

voici que je viens de découvrir aussi, cet après-midi,

grâce au faire-part de Remerciements (daté du lundi 23 novembre 1936, et publié par la Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-de-Luz)

consécutif aux obsèques, à Saint-Jean-de-Luz _ le jour précis du décès n’y est pas indiqué… _, de Madame Edmond Gaudin _ née Annette Bibal, le 29 avril 1845, à Saint-Jean-de-Luz _,

faire-part que voici,

qui était bien, en fait, la _ mystérieuse _ « Tante Bibi« 

des lettres _ en octobre 1921, août 1930 et janvier 1933 _ de Maurice Ravel à Marie Gaudin ! :

Mademoiselle Marie GAUDIN ;

Monsieur et Madame Henri COURTEAULT ;

Mademoiselle BIBAL ;

Madame Charles GAUDIN ;

Monsieur et Madame Edmond GAUDIN :

Monsieur et Madame Pierre COURTEAULT ;

Mademoiselle Annie COURTEAULT ;

Parents et alliés ;

Remercient bien sincèrement toutes les personnes qui leur ont fait l’honneur d’assister aux obsèques de

Madame Edmond GAUDIN.

Précisons ici qui est qui

en ce très éclairant faire-part :


Mademoiselle Marie GAUDIN (Saint-Jean-de-Luz, 3 mars 1879 – Saint-Jean-de-Luz, 8 décembre 1976)

est la fille aînée survivante de la défunte,

Madame Edmond Gaudin, née Annette Bibal (Saint-Jean-de-Luz, 29 avril 1845 – Saint-Jean-de-Luz, novembre 1936),

et la grande amie (luzienne) _ avec sa sœur Jane (parisienne, elle) : voir ci-après _ de Maurice Ravel ;

Madame Henri COURTEAULT

est Jane Gaudin (Saint-Jean-de-Luz, 1er octobre 1880 – Paris 17e, 28 mars 1979), épouse _ à Saint-Jean-de-Luz le 22 avril 1908 ; et veuve à venir, l’année qui suit : le 2 novembre 1937 _ de Henri Courteault,

et, sœur cadette de la précédente, l’autre fille survivante de la défunte ;

de même que Monsieur Henri COURTEAULT (Pau, 26 août 1869 – Saint-Jean-de-Luz, 2 novembre 1937)

Henri Courteault, frère de Paul Courteault, couronna sa brillante carrière d’archiviste aux Archives Nationales, à Paris, au poste de Directeur, de 1929 à 1936) _

est le gendre _ unique _ de la défunte ;

Mademoiselle BIBAL _ dont j’ignorais jusqu’ici l’existence _

est la sœur cadette _ ici sans prénom _ de la défunte, Annette Bibal-Gaudin

_ celle-ci et Annette sont en effet les deux filles survivantes des enfants de Pierre Bibal (Saint-Jean-de-Luz, 5 septembre 1810 – Saint-Jean-de-Luz, 12 septembre 1855) et son épouse Victoire Dupous (Saint-Jean-de-Luz, 9 juin 1822 – ?  _ j’ignore la date de son décès _) ; Pierre Bibal, maître au cabotage, et Victoire Dupous, qui se sont mariés à Saint-Jean-de-Luz le 26 avril 1843, eurent de nombreux enfants (au moins huit), tous nés à Saint-Jean-de-Luz et dont pas mal sont décédés précocement : Jean-Baptiste (1844 – Rochefort, 18 février 1871, matelot) ; Annette (29 avril 1845 – novembre 1936, l’épouse, puis veuve, en 1920, du premier Edmond Gaudin) ; Pascal (1846 ou 47 – ? _ j’ignore la date de son décès : avant 1910 _, le peintre, mari de Dorotea Iburuzqueta, et père du peintre François-Ignace Bibal) ; Marie (1847) ; Léon-Pierre (1849 – 28 avril 1884, peintre lui aussi) ; Justine (1850 – 31 mars 1854) ; Marie (1852 – 13 septembre 1855) ; Marie-Martine (1853 – 15 octobre 1870) ;

j’ignore le rang (et l’année de naissance : 1851 ? 1854 ? 1855 ?) de cette demoiselle Bibal (et « Tante Bibi« ), la seconde et maintenant ultime survivante, en ce mois de novembre 1936, au sein de cette très resserrée fratrie des enfants Bibal-Dupous… _ ;

soit _ et voici l’énigme résolue ! _ la fameuse « Tante Bibi«  _ son prénom n’est pas indiqué ici : elle doit être très âgée (née au plus tard, en 1855, elle a donc autour de 81 ans ; et peut-être est-elle à traiter avec des pincettes : en conclusion de sa lettre à Marie Gaudin, du 20 octobre 1921, Maurice Ravel n’écrit-il pas ceci :

« Je vous embrasse goxoki _ tendrement, en basquetoutes les trois _ Marie Gaudin (née en 1879), la destinataire de cette lettre ; puis la mère de Marie, Annette Bibal-Gaudin (née en 1845) ; et enfin sa nièce Annie Courteault (née en 1913), qui vivent toutes les trois à Saint-Jean-de-Luz : Annie est en effet élève au cours Sainte-Odile à Saint-Jean-de-Luz… _, ainsi que la tante Bibi, si elle s’y prête » (= se laisse embrasser !)… _

que ne manquait pas de saluer, chaque fois un peu malicieusement, dans ses lettres à son amie Marie Gaudin _ cf outre cette lettre du 20 octobre 1921 (page 764 de la Correspondance), celles du 15 août 1930 (page 1250) et du 3 janvier 1933 (page 1300) ; ainsi que les remarques là-dessus en mon article du 27 mars 2019 : _, Maurice Ravel

_ et que j’avais pris, à tort, pour la tante _ certes côté Bibal, et non pas côté Gaudin, ni encore moins côté Ravel-Billac ! _ Dorotea Ibuzurqueta-Bibal, l’épouse de Pascal Bibal, et donc la belle-sœur d’Annette : j’ignore les dates des décès de Pascal Bibal (peintre important, pourtant !) et Dorotea Iburuzqueta-Bibal ; de même que j’ignore celle du décès de cette vieille demoiselle Bibal _ ; mais en un cas comme celui de la belle-sœur Dorotea Iburuzqueta-Bibal, le faire part aurait dit « Madame Bibal« , ou « Madame Pascal Bibal« , ou « Madame veuve Bibal« , et pas « Mademoiselle Bibal« , comme c’est mentionné ici ! ; cette formulation-ci est donc décisive !

et celle-ci pouvait encore moins (!!) être la tante Billac, la chère « tante Gachucha«  de Maurice, née le 15 mai 1824, et décédée avant 1916 (cf la lettre à Marie Gaudin du 20 septembre 1916, page 537 de la Correspondance, qui parle d’elle au passé : l’imparfait) : quel âge aurait donc atteint la tante Gachucha Billac en 1921, 1930 et 1933 ?! : 97 ans, 106 ans, 109 ans… Que ne s’en est-on donc pas rendu compte !

Fin de l’incise.

Et je reprends le commentaire-identification des personnes présentes sur ce faire-part de Remerciements consécutif aux obsèques de novembre 1936… _ ;

Madame Charles GAUDIN

veuve du fils aîné de la défunte, Charles Gaudin (Saint-Jean-de-Luz, 19 novembre 1875 – disparu dans le fleuve Congo, 13 septembre 1910)

est Magdeleine Hiriart-Gaudin (Saint-Jean-de-Luz, 11 mars 1875 – Saint-Jean-de-Luz, 15 juin 1968),

la bru _ unique _ de la défunte ;

Monsieur Edmond GAUDIN (Saint-Jean-de Luz, 3 octobre 1903 – Saint-Jean-de Luz, 28 décembre 1988),

fils _ unique _ de Charles Gaudin, l’aîné (Saint-Jean-de-Luz, 1875 – Bimbo, fleuve Congo, 1910) des enfants de la défunte,

et de son épouse Magdeleine Hiriart-Gaudin (Saint-Jean-de-Luz, 1875 – Saint-Jean-de-Luz, 1968)

est le premier petit-fils de la défunte ;

et Madame Edmond GAUDIN est Angela Rossi-Gaudin (Trivia, en Ligurie, 12 septembre 1905 – Saint-Jean-de-Luz, 18 décembre 1999), l’épouse _ en 1935 _ de celui-ci 

Monsieur Pierre COURTEAULT (Paris 17e, 21 avril 1910 – Ascain, 15 décembre 2006),

fils de Jane Gaudin et son époux Henri Courteault,

est le second petit-fils de la défunte ;

et Madame Pierre COURTEAULT, née Jeannine Mérigeault (Chamalières, 8 septembre 1917), est l’épouse, à Paris 3e, le 15 juillet 1936, de celui-ci

et Mademoiselle Annie COURTEAULT (Paris 17e, 26 septembre 1913 – Saint-Jean-de-Luz, 21 août 1994)

est la petite-fille _ unique _ de la défunte

_ Maurice Ravel ne manquait jamais de lui faire des cadeaux à l’occasion de fêtes telles que Noël, le jour de l’an, ou son anniversaire. Et le 2 mai 1947, à Neuilly-sur-Seine, Annie Courteault épousera Monsieur Edouard Vidal. Je remarque aussi, au passage, que c’est à Saint-Jean-de-Luz que décèdera Annie Courteault le 21 août 1994…


Avancer dans la recherche

demande de la constance, persévérance et patience,

ainsi qu’un minimum de chance _ et sérendipité _ dans la quête de documents,

ou de témoignages…

Mais on ne trouvera rien

si on se décide pas à se mettre à chercher !!!

avec un bon angle et une bonne envergure de prise…

Et une intuition juste _ et féconde à terme… _  de départ…


Ce samedi 1er juin 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

En avant-première à la présentation par Philippe Sands de son « Retour à Lemberg »

23mar

En avant-première à la présentation, mercredi prochain 28 mars à la Station Ausone, à 18 heures, par Philippe Sands,

de son Retour à Lemberg paru le 23 août dernier aux Editions Albin Michel,

voici, pour nous mettre en appétit une interview de l’auteur, enregistrée aux Journées du Livre d’Histoire de Blois _ par l’excellent Jean-Marc Bourlard : et cette brève interview de 4′ de Philippe Sands à Blois (pour la librairie Mollat), est tout simplement la meilleure de toutes celles que j’ai pu visionner jusqu’ici  !!! Rien que çà ! _,

qui présente rapidement _ et excellemment, j’insiste ! _ les données et les cheminements _ à incroyables rebondissements (car bien peu probables, au départ ; et c’est là qu’il faut vraiment beaucoup de flair aussi, à la curiosité et à la confiance en les chances de réussite de sa démarche, au chercheur-enquêteur, en plus, forcément, aussi, d’un minimum de chance !!! en la patience et obstination de sa très déterminée recherche…) ;

à incroyables, donc, rebondissements : oui, car il faut compter aussi (avec un fier optimisme !) avec les assez inespérés au départ coups de pousse, à l’occasion, de la merveilleuse sérendipité (et du divin Kairos : pour oser et savoir saisir, sur l’instant et à la volée, ce qui va être croisé, très vite, et pour jamais…) ;

cf mon article du 3 mars 2014 sur ce facteur indispensable à la réussite de toute enquête :  »,

à partir du très remarquable livre de Sylvie Catellin : Sérendipité : du conte au concept (aux Éditions du Seuil, paru le 9 janvier 2014)…

Et toutes ces qualités-là,

Philippe Sands les possède merveilleusement et à un degré rare !!! _

de sa passionnante merveilleuse enquête de six années (2010-2016),

de son livre : 

Or, il se trouve que cette ville de Lemberg – Lwow – Lviv

est aussi celle où vivait la famille Sprecher,

c’est-à-dire la famille des ascendants maternels _ à commencer par Sara Sprecher (1860 – 1937) : mon arrière grand-mère _ de ma propre grand-mère paternelle Fryderyka…

Voici aussi un lien vers la remarquable vidéo (de 43 ‘) de l’émission d’Arte « 28 minutes », qui lui a été consacrée le 24 janvier dernier.

Un livre aussi merveilleux qu’extraordinaire : d’une humanité rare !

Ce vendredi 23 mars 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

le « continent Durosoir » livre de nouvelles merveilles : fabuleuse « Jouvence » (CD Alpha 164) !!!

29juil

Après une série d’œuvres de Musique pour violon & piano

(= le CD Alpha 105 _ paru en 2006),

et le coup de tonnerre des trois chefs d’œuvre (somptueux !!! et faisant date dans l’histoire de la musique française ! qu’on se le dise et qu’on se le chante !!! de par le monde entier !) des trois quatuors à cordes de 1919-1920, 1922 et 1934

(= le CD Alpha 125 Quatuors à cordes _ paru en 2008 ; cf mon article on ne peut plus significatif (!) du 4 juillet 2008 : Musique d’après la guerre !),

voici que le « continent Durosoir« 

(= l’œuvre musical de Lucien Durosoir, composé en quelques 46 opus, entre février 1919, à sa démobilisation de la Grande Guerre (passée plus de quatre ans durant, et sans discontinuer, en première ligne, sur le front des tranchées : à Verdun-Douaumont, à Craonne, à Neuville-Saint Vaast), et 1950)

s’enrichit pour nous, mélomanes, de sept nouvelles merveilles

mises ainsi à la disposition de notre jubilation !

Le programme de ce troisième CD Durosoir est encadré par deux chefs d’œuvre de très amples dimensions (20’55, pour la Fantaisie (Jouvence) ; 24’35 pour le Quintette pour piano et cordes) :

_ d’une part, et en ouverture, une Fantaisie (pour violon principal, d’une part, et octuor : deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, cor et harpe, d’autre part) intitulée Jouvence, en référence _ mais non sans ironie musicale… _ à un poème de José-Maria de Heredia, le second des Conquérants, dans Les Trophées ; l’œuvre est de 1921…

_ d’autre part, en final, le Quintette pour piano et cordes en Fa Majeur ; l’œuvre _ merveilleusement trépidante de vie ! _ est de 1925…

Je remarque au passage le contraste entre,

d’une part, une forme libre _ et Lucien Durosoir s’y adonne à cœur-joie ! _, la « fantaisie » ; et qui plus est « pour violon principal et octuor » : une formule éminemment singulière ! ainsi qu’un instrumentarium lui-même peu couru pour un octuor (deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, flûte, cor et harpe) ! pour ce qui concerne cette pièce merveilleusement colorée et puissante _ et ludique ! c’est du secret de la vraie (!) jeunesse qu’il s’agit ! _ qu’est Jouvence ;

et, d’autre part, un genre bien reconnu, lui, par la tradition de musique de chambre _ mais, ici encore, interprété avec une joie malicieusement ludique ô combien souveraine ! la note (très, très discrètement !) jazzy du piano apportant une touche qui se situerait quelque part, mais bien plus malicieusement, entre Chostakovitch et Bartok : c’est tout dire !!! _ : le quintette pour piano et cordes…

_ les cinq autres œuvres _ ramassées, elles, denses, mais toujours sans la moindre lourdeur : élégance ! élégance de la justesse ! à la française… en leur brièveté (couperinienne ?) _ de ce CD Alpha 164 sont toutes destinées à des combinaisons pas trop fréquentées _ d’où des univers chaque fois pleinement singuliers ! même si rapidement dessinés, effleurés… _ de deux instruments _ peut-être, même si aucune de ces pièces n’est de forme « sonate« , dans l’esprit (si ce n’est qu’il s’agit là de « fantaisies«  : de formes libres !) de la série envisagée par Debussy (et demeurée hélas ! inachevée) de six sonates (pour divers instruments) : n’ont été réalisées que celle pour violoncelle et piano, en 1915, celle pour flûte, alto et harpe, en 1915, aussi, et celle pour violon et piano, composée entre octobre 1916 et avril 1917… Debussy est mort le 25 mars 1918.

Dans ses lettres à sa mère de la période de la guerre, en mars 1918 _ Lucien se trouve au colombier de Suippes (dans la Marne, non loin d’Epernay) avec André Caplet _, il adresse ceci à sa mère demeurant à Vincennes : « Je t’envoie une invitation pour le 8, audition de la SMI _ la Société de Musique Indépendante (1910-1935) _ ; c’est Caplet qui a reçu cela. Le concert est à 3 heures : c’est pratique ; programme superbe et intéressant. La sonate piano et violon de Debussy, par Yvonne Astruc et madame Fourgeaud-Groulez, Ombres de Florent Schmitt, pièces de piano par Loyonnet, et un quintette pour cordes et harpe de Ingelbrecht, et cinq mélodies de Caplet. Un programme magnifique, outre que tu entendras la sonate de Debussy ; je serais heureux de connaître ton impression. Je te prierai même de me l’envoyer, car je travaillerai _ voilà ! _ cette œuvre avec Caplet« .., pages 193-194 de Deux musiciens dans la Grande Guerre, recueil de « Lettres du front«  de Lucien Durosoir à sa mère et des « Carnets de guerre«  de Maurice Maréchal..  .

Voici ces cinq pièces :

à l’exception de Caprice (pour violoncelle et harpe ; et dédiée en 1921 à son camarade Maurice Maréchal « en souvenir de Géricourt (hiver 1916-1917)« )

et de Berceuse (pour flûte et piano : composée pendant les derniers moments de Louise Durosoir, l’automne 1934 _ celle-ci mourut au mois de décembre _ et que Lucien Durosoir qualifia de « Berceuse funèbre » quand il la « reprit » et « améliora« , en février 1950, pour son Chant élégiaque, en mémoire de Ginette Neveu, pour violon et piano, cette fois),

dont les titres correspondent à des genres musicaux _ ainsi Frescobaldi donne-t-il à ses douze Capricci pour l’orgue (en 1624) un style fugué, avec des mouvements vifs exigeant « du feu«  dans leur exécution ; quant à la berceuse, Lucien joue assez fréquemment au front la Berceuse de Gabriel Fauré : par exemple, avec André Caplet, les 17 et 22 novembre 1915 (cf les pages 145 et 147 de Deux musiciens dans la Grande Guerre) ; de même que Lucien Durosoir a baptisé Berceuse une de ses cinq Aquarelles (pour violon et piano ; la pièce étant aussi transcrite pour violoncelle et piano) en 1920 : la berceuse a une vertu consolatrice… _,

les trois autres pièces à deux instruments

font référence, elles, à des poèmes :

_ de Leconte de Lisle (il s’agit de la strophe 4 du second poème des Poèmes antiques, Prière védique pour les morts _ le premier poème, Sûrya, étant un hymne védique _, quasi à l’ouverture du recueil _ paru en 1852),

pour Incantation bouddhique (pour cor anglais et piano, en 1946) : sous la forme d’un exergue inscrit en tête de la partition ;

et plus directement, par leur titre même reproduisant (sans expressément l’indiquer, toutefois : cela pouvant ne pas se remarquer…) le titre d’un poème :

_ de José-Maria de Heredia (le poème Vitrail est le premier de la série intitulée « Le Moyen-Âge et la Renaissance » dans Les Trophées _ parus en 1893),

pour Vitrail (pour alto et piano, en 1934) ;

_ et de Gabriel Dufau (pour son recueil Au Vent des Landes _ paru à l’Imprimerie d’Editions d’Art à Montpellier, en 1914 : le Docteur Gabriel Dufau, landais, fut maire de Léon, proche de l’océan, là où se jette le courant d’Huchet _),

pour Au Vent des Landes (pour flûte et piano, en 1935)…

Ces trois pièces sont ainsi immédiatement _ et musicalement ! _ mémorielles pour leur compositeur…

Lucien Durosoir

_ l’homme est né à Boulogne sur Seine le 6 décembre 1878 et est mort le 5 décembre 1955 à Bélus, non loin de Peyrehorade, au pays d’Orthe, à l’extrémité sud-ouest (et surplombante, sur son éminence assez proche du confluent de l’Adour et des Gaves réunis) de la Chalosse, dans le département des Landes, où Lucien Durosoir a résidé depuis son installation là (en ce que son fils et sa belle fille nomment « son ermitage«  !), en 1927 : la vue s’étend au loin sur la chaîne des Pyrénées ; et l’air comme le climat devaient être suffisamment salubres pour la santé désormais fragile de sa mère, Louise, qui y vécut ses sept dernières années… _,

le compositeur,

est né, lui, à la composition musicale (aboutie) en 1919 !

alors qu’il était devenu violoniste (virtuose) dès l’âge de vingt ans, soit en 1899 :

« sa vie le mena, dès l’âge de vingt ans, dans les itinérances d’une carrière de soliste international« , rencontrant un brillant succès notamment sur les scènes les mieux en vue d’Europe centrale et orientale : à Berlin, à Vienne, à Moscou ; où Lucien Durosoir fit resplendir la plus récente musique française d’alors (Saint-Saëns, Lalo, Widor, Bruneau) ; par exemple, c’est lui, Lucien Durosoir, qui assura la création viennoise de la Sonate en la majeur pour violon et piano de Gabriel Fauré, en 1910 ;

de même qu’en France, Lucien Durosoir assura, en février 1903, la création du Concerto pour violon et orchestre de Brahms, à la salle Humbert de Romans : il avait été l’élève du dédicataire même (en 1878) de ce concerto, l’immense Josef Joachim (1831-1907) !

Au cours de son premier concert à la salle Pleyel, le 7 avril 1899, Lucien Durosoir a donné en première audition française le Concerto de Niels Gade ; de même que, en mai 1901, il donne, pour la première fois en France, le Concerto pour violon de Richard Strauss !..

le compositeur _ donc, je reprends l’élan de ma phrase _

est né, lui, à la composition musicale (aboutie) en 1919 ! avec son premier quatuor à cordes, en fa mineur _ cf le CD Alpha 125, par le Quatuor Diotima…

Et le travail d’analyse musicale avec André Caplet, trois années pleines durant (du 16 octobre 1915 au 15 octobre 1918, très précisément !), sur le front

_ et parmi même les bombardements :

cf ce témoignage de Lucien en une lettre (d’août 1916) à sa mère sur les conditions de son travail d’analyse musicale avec André Caplet sur le front, dans le secteur des Éparges et de Rupt (au sud-est de Verdun), alors : « Caplet a reçu hier douze études de Debussy. Pendant que nous étions en train de les lire, il est tombé à moins de cinquante mètres de notre ferme sept obus qui n’ont blessé personne, et qui n’ont rien détruit. Il y a eu un moment de stupeur (…). C’est un petit incident« , page 171 de Deux musiciens dans la Grande Guerre… ;

cf aussi en février précédent (1916), ces autres incidents-ci, à Cappy (dans la Somme), cette fois :

« Aujourd’hui, la journée est assez calme, nous avons toujours nos petits bombardements quotidiens, c’est-à-dire une centaine d’obus qui tombent sur Cappy. Nous vivons en partie dans les caves. Le piano du lieutenant Poumier est en miettes ; il est accordé pour toujours« , page 158 ;

et encore, en une autre lettre à sa mère quelques jours plus tard :

« La maison que j’occupais à Cappy a été rasée par un obus. Mon violon et celui de Dumant ont été engloutis, car ce dernier depuis trois semaines en avait fait venir un. Nous avons déblayé par la suite, le violon de Dumant est en miettes, le mien par le plus grand des hasards n’a absolument rien. Quelle chance ! (…) Je venais de sortir il n’y avait pas cinq minutes, appelé par le médecin pour prendre le commandement de trois équipes de brancardiers. C’est une chance. Je n’ai pas voulu t’écrire cela de suite, de peur de te tourmenter ; maintenant que nous sommes relevés, cela n’a plus d’importance. J’ai de la veine« , page 160 : il n’y a donc pas eu que le piano de Poumier, de détruit ; et pas que le violon de Lucien, de sauvé ! en cet « incident« -là, de bombardement d’obus, à Cappy (entre Albert et Péronne)… _,


Et le travail assidu d’analyse musicale avec André Caplet, trois années pleines durant, sur le front,

y est pour pas mal !..

_ sur ce « passage« , crucial, d’instrumentiste (-interprète de musique) à compositeur (-créateur même de l’œuvre de musique !) de Lucien Durosoir,

j’aurai à revenir bien plus précisément ! cette affaire-ci est passionnante !

cf sur ce point de la relation décisive de Lucien Durosoir (en gestation de « compositeur« …) avec André Caplet en tant que compositeur confirmé déjà lui-même ; même si Caplet est alors, à ce moment (de la guerre), surtout célèbre comme « directeur de musique«  : à l’Opéra de Boston, dont il revient au printemps de 1914 ; et que lui-même _ ainsi que Lucien _, se consacrera à la « composition«  surtout après la guerre : de 1919 à sa mort, le 22 avril 1925… :


André Caplet et

Claude Debussy

De retour de Boston début 1914 et nommé chef de l’orchestre de l’Opéra de Paris et, bien qu’exempté du service militaire, André Caplet s’engage au moment de la déclaration de la Guerre.

De tempérament « malingre » (selon l’adjectif de Lucien, qui en esquisse un premier portrait à sa mère, page 141 de Deux musiciens dans la Grande Guerre :

« Il est sergent, on va lui trouver un filon _ si peu que ce soit protecteur, sur le front ! _, d’autant plus qu’il est malingre. il fait partie de ces renforts douteux _ sur le front, donc, à cette date d’octobre 1915 _ que nous recevons maintenant. Il faut vraiment avoir besoin d’hommes pour prendre des gens comme lui« , commente Lucien l’arrivée d’André Caplet sur le front de l’Artois, à Beaudricourt, dans le Pas-de-Calais, le 17 octobre 1915…)

et gazé, sa santé au retour des quatre années de guerre, l’empêchant de continuer sa carrière de chef d’orchestre,

André Caplet se retire en Normandie, se marie, a un fils, Pierre (né le 20 octobre 1920) et consacre son activité musicale d’une part à l’orchestration (La boîte à joujoux, Jet d’eau ou Clair de lune de son ami disparule 25 mars 1918, d’un cancer _ Claude Debussy, par exemple) et d’autre part, et surtout, à la composition personnelle avec une dominante religieuse (Messe à trois voix, La Part à Dieu ou Le Miroir de Jésus : Mystères du Rosaire…)…

cf sur ce point de la relation décisive de Lucien Durosoir (en gestation de « compositeur« …) avec André Caplet « compositeur«  confirmé déjà lui-même _ je reprends ma phrase _,

cf, donc, cette analyse très éclairante de Luc et Georgie Durosoir : « Lucien Durosoir et André Caplet passèrent ensemble ces années terribles

_ trois ans jours pour jour, même, très exactement : de l’arrivée au départ de Caplet du front (où demeura Lucien jusqu’à la fin des hostilités, le 11 novembre 1918 : Lucien se trouvant alors non loin de Gand, en Belgique) :

soit, et très précisément,

du 16 octobre 1915 (arrivée de Caplet à Beaudricourt, sur le front de l’Artois

cf la lettre du 17 octobre 1915 :

« Il est arrivé hier matin, dans un nouveau renfort _ afin d’« organiser le quatuor » que « le colonel (Viennot ; ou Valzi ?) voudrait que je forme« , page 140 _, André Caplet, le prix de Rome, chef d’orchestre bien connu qui dirigeait à Boston depuis plusieurs années la saison d’opéra (…) Il jouerait de l’alto dans le quatuor ; inutile de dire qu’il serait intéressant comme musicien _ interprète, d’abord ; mais plus encore analyste, compositeur ! Il paraît fort timide, il faut dire qu’il était désorienté de se retrouver au front, c’est la première fois qu’il y venait« , pages 140-141 de Deux musiciens dans la Grande Guerre… )

au 15 octobre 1918 (départ de Caplet, des avancées des troupes sur l’Yser

_ cf ici la lettre de ce 15 octobre 1918 de Lucien à sa mère, page 209 :

« Est parvenue une nouvelle qui m’a causé, ainsi qu’à Caplet _ tous deux préposés au service de transmission colombophile _, une grosse émotion. Est arrivée une note du Grand Quartier général qui envoie Caplet à Chaumont comme directeur de l’Ecole technique américaine de musique militaire. (…) Ce matin, après avoir trié toutes ses affaires, j’ai conduit Caplet jusqu’à une auto qui devait l’emmener jusqu’à Calais _ le théâtre des hostilités s’est déplacé, lui, depuis quelques jours ce mois d’octobre 18, plus au nord, au « pays de la gueuse Lambic«  (expression in la lettre du 30 septembre, page 208) : en Belgique !..

Ce n’est pas sans émotion que nous nous sommes séparés, après deux _ ou trois ? octobre 1915 – octobre 1918 ! _ ans de vie commune et de tous les instants _ un élément capital : et pas seulement pour le devenir musical (de compositeur) de Lucien ; pour celui d’André Caplet aussi (même bref, hélas !) : il se consacre lui aussi à la composition désormais !.. Je ne puis oublier tous les bons moments de musique _ plus encore d’analyse et de composition que de répétitions et d’exécutions de musique ! _ et les mille souvenirs qui s’attachent aux lieux parcourus ensemble dans cette vie misérable et pittoresque _ dans les tranchées et sous les obus à proximité immédiate du front ! Et tout particulièrement le séjour fécond, cette année 1918, au colombier de Suippes… Caplet aussi était fort ému.

Me voici donc le dernier survivant de l’ancien groupe musical, car Mayer _ Pierre Mayer : violoniste, intégré plus tardivement au « groupe« , lui _ est toujours au CID. Mais de l’ancien groupe, Caplet _ qui y jouait de l’alto _, Lemoine _ second violon _, Maréchal _ violoncelle _, Magne _ piano _, Cloëz _ piano ; ce dernier donne aussi des leçons d’harmonie à Lucien (note de la page 237) _ sont maintenant partis. J’avoue que je vais me trouver bien isolé _ intellectuellement, disons… _, car, de tous ceux qui m’entourent et qui sont certes de bons camarades, il n’y avait que Caplet avec lequel je pouvais causer de choses élevées _ de l’ordre de l’art ! _ et avec lequel je sympathisais » _ et faisais de la musique ! Pages 209-210 de Deux musiciens dans la Grande Guerre

Le 3 janvier 1915, à propos du « port de médailles bénites«  évoqué dans des cartes de vœux reçues (et jugées par Lucien « bêtes et ridicules« ), Lucien confiait à sa mère : « Il est évident que s’il est heureux pour l’homme de posséder un large sentiment religieux dans la grande acception du mot

_ les références culturelles (spirituelles) de Lucien ne sont pas (à la différence d’un André Caplet) « religieuses«  au sens étroit du terme ; ou « chrétiennes« , si l’on préfère, comme c’est le cas de l’inspiration de Caplet ; mais plutôt philosophiques en l’espèce d’un paganisme (panthéiste) puissamment présent chez les Tragiques grecs (et Eschyle plus encore que Sophocle) et les Stoïciens : d’où le goût très fort chevillé à l’âme de Lucien, et toute sa vie, pour l’« élévation«  d’inspiration d’un Leconte de Lisle et des poètes parnassiens ; puis, autour du tournant du siècle, des romanistes : Jean Moréas, en l’occurrence, ou un Raymond de La Tailhède, en ses références poétiques de toute sa vie… _,

il est non moins évident que je considère comme faiblesse d’esprit _ voilà _ le port de médailles bénites et autres objets pris plus ou moins comme fétiches ; il y a là un sentiment puéril et mesquin dont il faut _ en stoïcien ! _ se défendre. J’excuse beaucoup les gens (esprits ordinaires) de donner dans de pareils travers, mais je considère que l’esprit élevé et large que je suis _ voilà : et sans forfanterie _ n’a pas besoin de pareilles choses pour se soutenir. L’idéal élevé que je soutiens en ce moment _ mais pas seulement alors ! _ se suffit à lui-même. Certes, mon sort est entre les mains de Dieu _ ou d’Anankhé _, il suffit d’un obus pour trancher la question, mais le port d’une médaille quelconque ne peut rien faire à la chose, ce serait trop facile. Laissons cette illusion _ superstitieuse _ à ceux qu’elle berce _ je relève le terme : sa fonction est thérapeutique… _ ; tant mieux, ils puisent là une force ; mais moi je n’ai pas besoin de cette force-là, je la possède en moi-même. (…) Haut les esprits et les cœurs, mais pas de mesquineries, évidemment«  (pages 70-71) ;

et le 5 : « Je te remercie d’avoir fait brûler un cierge pour moi, mais je ne verrai certainement pas avec plaisir une évolution trop grande _ on note le délicat de la nuance (et de l’appel, en l’élégance de l’impersonnalité indéfinie de son expression…) _ vers ce que je considère comme le contraire d’un esprit large, trouvant en lui-même et en l’idéal de sa vie _ ce sont là des points d’appui majeurs ! pour pénétrer l’idiosyncrasie de Lucien Durosoir ! _ l’élément nécessaire au soutien. Aie confiance, chère maman, aie confiance !«  (page 72); fin de l’incise sur l’« élévation«  revendiquée comme « nécessaire » de l’esprit….

cf cette analyse très éclairante de Luc et Georgie Durosoir : « Lucien Durosoir et André Caplet passèrent ensemble ces années terribles _ je reprends le fil de ma phrase et de la citation _,

et leur amitié se scella aussi bien dans les tranchées _ sous le déluge des balles et des obus _ que dans les positions de repli _ un peu tant soit peu moins exposées… _ où ils faisaient de la musique _ de diverses manières : en en jouant (et devant divers publics : notamment le cercle du général Mangin ; ou d’autres officiers supérieurs mélomanes : le colonel Viennot, le colonel Valzi ; etc.) ; mais, plus encore et surtout, en travaillant assidument l’analyse de partitions ; et en s’intéressant au travail même de la composition (y compris en la pratique d’exercices…). L’idée de composer s’affirme _ voilà ! _ de plus en plus fortement dans l’esprit de Lucien Durosoir _ elle fait son chemin…

Songeant à la fin de la guerre, il écrit, le 12 septembre 1916 : « Je commencerai la composition afin de m’habituer à manier les formes plus libres _ la notation est d’importance ! voilà un axe de priorité de Lucien ! _, et je donnerai, j’en suis persuadé, des fruits mûrs » «  _ même si Lucien n’a jamais cessé d’y songer, depuis sa formation musicale, au sein du Conservatoire, comme en dehors (il s’en fait renvoyer par le directeur, Ambroise Thomas), notamment auprès de Charles Tournemire ! avec lequel il continuera de travailler : Lucien n’est tiède ni en ses rejets, ni en ses fidélités… _

..

Revenir de la guerre n’est pas, pour Lucien Durosoir, un simple retour au pays _ et au domicile familial de Vincennes. Dans le délabrement économique, mental et physique de nations dont presque toute la jeunesse a été fauchée _ cette Guerre fut rien moins que le premier suicide collectif de l’Europe ; cf le livre lumineux de Stefan Zweig Le Monde d’hier _ souvenirs d’un Européen… ; ou ceux, tout aussi passionnants, d’André Suarès… _, quelle place un violoniste, auparavant de renommée internationale _ tout spécialement en Europe centrale et orientale : bouleversée et ruinée par la défaite, pour l’Allemagne ; dépecée pour l’ancienne Autriche-Hongrie ; ou chamboulée et claquemurée sur soi par la révolution d’octobre, pour la Russie _, peut-il retrouver ? Faut-il totalement renoncer _ au profit de la composition (et de l’œuvre à mener de compositeur) : et Lucien Durosoir s’y adonne intensément ces années 1919-1920 : naissent ces deux années-là rien moins que le premier quatuor à cordes (en fa mineur), le Poème pour violon et alto avec orchestre (deux œuvres, toutes deux, de grande dimension !) et les 5 Aquarelles pour violon et piano ; et l’année 1921, Lucien s’attelle, outre au Caprice pour violoncelle et harpe, qu’il dédie à son ami des tranchées, le magnifique violoncelliste, Maurice Maréchal (« en souvenir de Géricourt (hiver 1916-1917)« , spécifie la dédicace), à la jubilatoirement merveilleuse Fantaisie Jouvence (« Fantaisie pour violon principal et octuor« ) ; à la grande Sonate Le Lis pour violon et piano ;  ainsi qu’au second quatuor à cordes (en ré mineur), de très grande ampleur, ces trois œuvres-là : Lucien disposait-il de beaucoup de temps pour travailler aussi, outre cela, son violon, et surtout se soucier de contacts à des fins d’engagements à des concerts (d’orchestre) où se produire (en soliste) ?..  _ à la carrière de virtuose ? Faut-il consacrer à la « remise à niveau » du concertiste les deux années de travail _ techniquement _ indispensables ? Quel public retrouver _ peut-il être inchangé ? certes, non… _, pour celui qui se faisait acclamer dans l’Europe germanique et centrale, qui avait perfectionné, à vingt ans, son art de l’interprétation auprès des deux plus grands maîtres allemands du violon : Josef Joachim et Hugo Heermann ? _ la France nouvelle a plutôt la tête, elle, à se divertir, en ces Années qui seront bientôt dites folles… Et ce n’est pas vers cela qu’incline le penchant du « génie«  de Lucien Durosoir… 

Lorsque lui parvient une offre du Boston Symphony Orchestra, en 1921 _ Pierre Monteux, qui le dirige alors, remodèle de fond en comble l’orchestre _, il entrevoit _ comme il y avait pensé _ une nouvelle vie, une renaissance de violoniste (le poste offert est celui de premier violon solo de l’orchestre). L’accident qui rend sa mère impotente en décide autrement : cette fois-ci, il ne partira pas _ mais c’est lui qui prend la décision ! dans l’instant !

C’est ainsi qu’il décida de _ préférer se consacrer à _ réaliser un rêve, souvent caressé pendant la guerre, durant les longues heures de compagnonnage _ de trois années au quotidien : et d’un travail assidu et passionné _ avec le compositeur André Caplet : composer _ voilà ! Durant ses études, il avait travaillé le contrepoint avec Charles Tournemire et l’écriture avec Eugène Cools, répétiteur d’André Gédalge _ André Gédalge dont un des mots d’ordre (musical !) était « ni littérature, ni peinture«  : une piste de recherche à creuser… Puis, pendant les premiers mois de l’année 1918, dans l’inconfort du pigeonnier de Suippes où il était l’adjoint du sergent colombophile Caplet

_ Lucien obtient une place de colombophile en octobre 1917 et devient le second du sergent Caplet dans cette fonction (page 188 de Deux musiciens dans la Grande Guerre) ; en novembre, il écrit à sa mère (page 189) : « Ne t’inquiète pas de l’après-guerre : certainement je travaillerai la composition (voilà ! pour le compositeur qu’il va, en effet _ et même exclusivement ! _, devenir !) ; mais, au point de vue violoniste (= instrumentiste), je n’aurai besoin de personne et me pousserai bien moi-même ; mais pour cela je ne resterai pas en France. L’Amérique sera là qui nous (sic) offrira d’énormes possibilités (cf Pierre Monteux ! qui obtient d’y accompagner une tournée des Ballets russes en 1916 ; et y séjournera très activement jusqu’en 1924 ; il finira par se faire naturaliser américain en 1942…) ; il serait idiot de ne pas aller au-devant«  : Lucien avait bien du recul !!!..

Ensuite, Durosoir et Caplet se trouvent au colombier de Suippes en mars 1918 : « nous n’avons jamais été aussi bien » _ pour travailler la musique… (page 193) ;

même si, un peu plus tard, le 5 juin 1918 : « C’est demain _ 6 juin _ que j’aurai trente-neuf ans et demi. La quarantaine pointe donc ; c’est un cap _ voilà ! _ pour les hommes ; c’est en général le moment où l’on dételle _ des fantaisies, voire folies, de la jeunesse _ et où on se range _ en la maturité épanouie… Pour moi, je n’ai pas à me ranger, car je ne me suis guère dérangé _ voilà ! Ce qui est le plus triste, c’est de constater que l’âge vient, et que l’on n’a pu rien réaliser ou à peu près _ tiens donc ! _ de ses rêves de jeunesse _ le mot est là ! Il est vrai que, au fond, nous vivons pour nous, de la vie intérieure _ voilà ! ce point est décisif, en Lucien ! _, et si l’on a conscience d’avoir fait des progrès moraux, la vie n’est pas perdue _ le temps de l’œuvre va en effet venir pour Lucien ! qui reprend et récapitulera alors qui était demeuré jusqu’ici, disjoint et épars, seulement virtuel : et avec quel élan, quelle joie, quelle force !.. Nous retrouverons plus tard ces acquisitions«  _ quelle magnifique lucidité prospective ! la vocation du créateur s’exprime là ! _, page 199… _,

il avait multiplié, sous la houlette du Prix de Rome, les essais et exercices _ voilà ! C’est donc fort de cette lente maturation _ voilà le processus en germination ! _ de ses idées _ sur un terreau ancien ! et déjà excellemment « préparé«  : Lucien Durosoir est inlassablement curieux ! et a une très haute idée de l’Art !.. _, qu’il entreprend, durant l’année 1919, ses premières compositions : en deux ans (1919 et 1920), il produit plusieurs œuvres pour violon et piano (Cinq Aquarelles), un 1er quatuor à cordes et le Poème pour violon et alto avec accompagnement d’orchestre.

Fin de la référence à l’impact de la relation avec André Caplet-compositeur _ lui aussi va y consacrer les six dernières années de sa vie trop courte (Le Havre, 23 novembre 1878 – Neuilly-sur-Seine, 22 avril 1925), en travaillant surtout chez lui, en Normandie… _

sur le devenir-compositeur de Lucien Durosoir _ je creuserai la chose, passionnante !, plus tard !

Je reviens au CD Alpha 164 (Jouvence) et à son immense apport musical !

Au-delà de la poésie (musicale !) puissante (et combien inventive ! variée et mobile : jamais répétitive ni attendue _ peut-être une leçon que Caplet lui a transmise de Debussy…) des cinq pièces pour deux instruments que sont Caprice (pour violoncelle et harpe, en 1921), Berceuse (pour flûte et piano, en 1934), Incantation bouddhique (pour cor anglais et piano, en 1946), Vitrail (pour alto et piano, en 1934) et Au Vent des Landes (pour flûte et piano, en 1936),

et fine, et toujours élégante,

en ces pièces assez brèves _ de 8’37 pour Caprice à 3’52 pour Au Vent des Landes _ qui jamais ne sauraient si peu que ce soit peser, en dépit de leur composante indéniable, aussi, de gravité, telle l’ombre portée d’une inguérissable tragédie survécue _ apparentant par là le compositeur Lucien Durosoir, au-delà, bien sûr, des styles (lui est très intimement et puissamment français !), à un Béla Bartók et à un Dimitri Chostakovitch, sur les œuvres desquels son œuvre si éminemment originale et singulière, peut sembler aussi, en certains de ses si riches aspects et diaprures, comme anticiper !..

c’est le tissu complexe, chatoyant de la diaprure _ ce mot me revient ! décidément… _ tout en souplesse _ mobile _ de ses richesses et finesses multiples,

des grandes pièces que sont la Fantaisie Jouvence (de 20’55, en 1921) et le Quintette pour piano et cordes (de 24’35, en 1925),

et la force et la vie _ et l’humour aussi : il a quelque chose du rire de Voltaire ! _ de leur flux, et de leurs impulsions et rebonds,

qui ravissent et emportent la jubilation de l’auditeur,

par la richesse et la densité, toujours élégante et sans lourdeur, jamais, de ces œuvres si vivantes !

Aussi suis-je particulièrement impatient de tendre l’oreille (et le cœur) aux autres pièces de grande ampleur _ et permettant un déploiement sur une base contrapuntique _ de Lucien Durosoir :

je veux dire les pièces symphoniques ;

et j’entends plus précisément par là

_ le Poème pour violon et alto avec orchestre, composé en 1920 : inspiré par Le Centaure de Maurice de Guérin _ écrit en 1835-36, et paru, posthume, en 1840 _ ;

_ Dejanira, étude symphonique, composée en 1923 : d’après Les Trachiniennes de Sophocle _ en une traduction de Leconte de Lisle, parue en 1877 _ ;

_ Le Balcon, poème symphonique pour basse solo, cordes vocales et cordes instrumentales, composé en 1924 : sur Le Balcon des Fleurs du mal de Baudelaire _ le recueil est paru en 1857 _ ;

_ Funérailles, suite pour grand orchestre, composée en 1927-30 : à partir de poèmes de Jean Moréas extraits de son recueil Les Cantilènes _ paru en 1886 _ ;

_ Suite pour flûte et petit orchestre, composée en 1931.

Oui, je découvre avec de plus en plus d’évidence

que le génie _ singulier et universel ! _ de Lucien Durosoir se déploie le mieux

_ avec toute l’amplitude (généreuse tout autant que formidablement exigeante, comme il se doit, pour son auteur !) dont il a besoin _
dans la diaprure et le tissage riche et généreusement fourni _ à la fois pétri et contrapointé en géniale souplesse et bondissements et rebonds _ des pièces complexes :

dans l’entremêlement _ contrapuntique : somptueux ! et avec quelles couleurs ! _ des voix dont il tire (= subsume !) ses lignes (claires) de force, au sein de ce tissu ô combien riche, vivant, à la fois mobile et cohérent _ splendidement ! _

et d’une ampleur de temps, aussi, qui lui est nécessaire _ et à rebours du formalisme : jamais de pures et simples reprises ! on retrouve peut-être ici quelque chose de l’esprit musical d’un Jean-Marie Leclair (1697-1764), qu’aimait tout spécialement Lucien… _ : dépassant les 20 minutes…

Avec une nécessité de qualité d’écoute équivalente, en quelque sorte (quasi immédiatement jubilatoire !), de la part de l’auditeur, qui doit avec confiance (et très vite jubilation, donc !) s’y plonger, s’y laisser prendre et surprendre,
face à la richesse de densité de tissu et de vie de pareils chefs d’œuvre, si parfaitement inventifs et originaux en leur singularité !!!
Quelle évidence très vite alors

_ et j’en ai d’autres témoignages que celui de ma propre écoute !

Au passage, la notion de « berceuse » me paraît importante dans la genèse _ et l’historicité (après la Grande Guerre)… _ du travail de composition de Lucien Durosoir :
outre le titre d’une des Aquarelles de 1920,
et celui de la « Berceuse funèbre » de 1934 (ainsi que lui-même la qualifie en la « reprenant » et « enrichissant« , ainsi qu’il le dit, en 1950 dans le Chant élégiaque en mémoire de Ginette Neveu),
la thématique de la « berceuse » est assez souvent présente dans les poèmes, déjà, ayant inspiré d’autres œuvres (musicales, elles) de Lucien Durosoir,
notamment ceux de Jean Moréas :
« dorloter« , est-il dit dans Oisillon bleu (extrait des Syrtes, en 1884), à la source de la pièce homonyme de Durosoir en 1927 (cf le CD Alpha 125) ;
« Voix qui revenez, bercez-nous« , est-il dit dans « Les Cantilènes » (en 1886) qui ont inspiré l’important Funérailles en 1927-30 _ « à la mémoire des soldats de la Grande Guerre« , indique la dédicace…
Idem pour le A un enfant de Raymond de La Tailhède (dont la réunion des poèmes a paru en 1926), pour la pièce homonyme de Durosoir, en 1930 : « Si, lorsque tu rêves, tu vois le ciel doré, si tu vois cette mer, aux heures de douleur, tes douleurs seront brèves. Quand la vie aura fait ton esprit plus amer, tu te rappelleras ces fantômes magiques, pour t’endormir au souvenir de leurs musiques« …
Cf aussi l’Incantation bouddhique de 1945…

Il y a là une des fonctions _ consolatrice : en surmontant ! « Haut les esprits et cœurs !«  dit-il à sa mère le 3 janvier 1915 ; afin de prévenir toute pente vers quelque apitoiement !.. _ de l’Art, et de la musique, me semble-t-il, pour Lucien Durosoir,
jusque dans la grandeur de sa force de composition
_ ni doloriste, ni tiède, ni mièvre : aux antipodes de tout cela !

La dimension de « grandeur » (voire de sublime ! _ mais sans le moindre pathos ! _ en une « élévation » évidente !) y étant ô combien prégnante, mais en toute lucidité, et sans la moindre vanité !

Par ce qu’elle réussit à surmonter et à ordonner jusque dans le tragique des vies qui passent et, parfois, ne donnent pas leurs fruits :

par son style !

c’est-à-dire la noblesse toute probe (et vraie !) de sa retenue et de sa simplicité _ et élégance, ainsi qu’humour _ au sein de la vie et du flux de la complexité vibrillonnante ! _ rien de simplificateur en cette transmutation, bien sûr !

http://durosoir.megep.pagesperso-orange.fr/images/portrait_lucien.gif

Lucien Durosoir,

dessin à la mine de plomb

par Jean Coraboeuf _ 1914.

C’est aussi l’homme Lucien Durosoir, qui transparaît ainsi  _ mais sans expressionnisme seulement débridé ; ni « brutisme« , si j’ose le dire ainsi _ dans cette œuvre si riche (= généreuse !), et si maîtrisée _ par la qualité de patience et de maturation à l’égard du passage du temps ! en la vie… _ en la noblesse du flux qu’elle transcende.

Et si je puis ajouter une note plus personnelle,
je dois dire que je me sens plus que pleinement en accord avec cette esthétique ! J’en jubile !

Un dernier mot pour saluer le goût de l’initiateur singulier de l’édition discographique de l’œuvre-Durosoir :

je veux dire Jean-Paul Combet, le créateur d’Alpha,

qui nous donne là _ lui aussi généreusement _ à écouter, au disque,

mieux qu’un  jalon majeur de la musique française au XXème siècle ! mieux qu’un égal d’un Debussy et d’un Ravel !

je veux dire

un génie musical de l’humanité.

Merci, Jean-Paul,

d’avoir su si bien écouter, en sa fondamentale pudeur, la demande de reconnaissance musicale (de compositeur) post mortem

de Lucien Durosoir lui-même,

via les voix d’abord de son fils, Luc, et de sa belle-fille, Georgie Durosoir !

Désormais, le chant d’un musicien génial est en passe d’atteindre et toucher toutes les oreilles et tous les cœurs et esprits

des mélomanes

de par la planète !


C’est dire mon impatience d’écouter les opus Durosoir qui vont suivre…
Et je crois savoir que l’opus discographique n°4 est d’ores et déjà enregistré !

Vive le chant si puissant et singulier de Lucien Durosoir !

Ce CD Alpha 164 Jouvence est une pure merveille !

Durosoir, ou le secret de la jeunesse transcendée

en sa dimension, sensible musicalement, d’éternité !

Voilà ce que nous révèle en sa générosité assumée Jouvence !

Titus Curiosus, le 29 juillet 2010

Post-scriptum :

comme pour les CDs Alpha 105 Musique pour violon & piano

et Alpha 125 Quatuors à cordes,

la notice par Georgie Durosoir du livret de ce CD Alpha 164 Jouvence

est un enchantement de finesse, précision et justesse…

Le suicide d’une philosophe : de la valeur de vérité (et de justice) dans le marigot des (petits) accommodements d’intérêts (3)

16nov

Ou de l’urgence de davantage philosopher _ en pratique _, en France, en particulier (mais ailleurs aussi),

d’après un excellent article

_ en suivant : c’est le numéro 4 d’une série, avec indication : « (à suivre)« … _

d’un Yves Michaud en pleine forme, sur son blog « Traverses« , réactivé, sur le site de Libération :

toujours à propos du « suicide d’une philosophe« , qui enseignait à l’Université de Brest :

« un suicide dans les règles (4) : sur la chance morale » ; soit

http://traverses.blogs.liberation.fr/yves_michaud/2008/11/un-suicide-da-1.html

L’analyse-réflexion d’Yves Michaud ici porte « sur la chance morale » ; et ses liens avec la différence entre la responsabilité et la culpabilité (morales) ;

en s’éclairant de la différence conceptuelle

élaborée par « notamment la regrettée Susan Hurley _ 1954 – 2007 _ dans son livre « Justice, Luck and Knowledge« )« ,

entre autres philosophes qui « ont introduit une distinction entre chance fine (thin luck) et chance épaisse (thick luck). Je sais, ma traduction n’est pas bonne, mais je ne trouve pas mieux« , indique Yves Michaud.

Qui précise aussi :

« Cette notion de chance morale est bien gênante.

Même si elle a toujours été présente à la réflexion, elle n’a été analysée et examinée en profondeur que depuis une vingtaine d’années. Les deux premiers auteurs à avoir abordé le sujet sont Bernard Williams dans son livre « Moral Luck« , traduit en français sous le titre un peu aplati de « La fortune morale »

_ en 1994, aux PUF _,

et Thomas Nagel dans son livre « Mortal Questions«  dont la traduction française

_ « Questions mortelles« , paru en traduction française, aux PUF, aussi, en 1983 _

n’est plus disponible.

Il ressort de ces analyses au moins deux choses pour ce qui nous intéresse ici.

D’une part, la place de la chance dans nos actions est bien plus importante que nous le croyons (voir la manière dont Nagel énumère les types de chance) ; et donc la notion de chance morale n’est pas si scandaleuse qu’elle en a l’air.

D’autre part surtout, il est probablement plus coûteux de se débarrasser de la notion que de l’accepter _ avec les conséquences que cela implique pour le jugement moral puisque cela donne ces  «non responsables qui sont quand même coupables». »

Sur le premier point, Yves Michaud constate :

« Pour ce qui est de l’omniprésence de la chance dans nos actions, il faut probablement en revenir d’une conception trop «contrôleuse», trop confiante, ou insouciante des actions. Nous faisons ce que nous voulons, oui, mais… quand nous y arrivons, quand ça marche, quand ça ne rate pas, et surtout quand ça ne tourne pas à la catastrophe.

Ce qui ne nous autorise nullement à bien faire et laisser courir, tout au contraire, mais implique que nous agissions avec précaution ; et surtout que nous soyons prêts à assumer moralement les conséquences involontaires. Agir, c’est

_ presque toujours, le plus souvent, parmi (ou « dans ») le jeu (des éléments fluctuants, plus ou moins incertains) du réel _

prendre des risques.

Du point de vue de la responsabilité sociale, les systèmes assuranciels sont là pour nous «couvrir» : nous partageons ainsi

_ le point mérite (toute) notre attention : il est tout à la fois juridique ; mais aussi social, et politique ; en plus d’être « pécuniaire » ; ou « financier »… _

la chance et la malchance.

Du point de vue moral, il nous faut _ impérativement ? pragmatiquement ? faire preuve de soin et de prudence dans l’action.

Quant à leurs conséquences, il n’y a pas d’«assureurs moraux» _ juste des ouvertures de parapluie _, des petites ou grosses lâchetés

_ à moins que nous n’assumions courageusement et «répondions» de nos actes

au lieu de nous «défausser». »

« Quant à se débarrasser de la chance morale, c’est une autre affaire puisqu’il nous faudrait nier purement et simplement qu’il y ait quoi que ce soit de tel« , continue Yves Michaud ;

qui parvient, un peu plus loin,

après avoir bien précisé la différence entre les deux concepts de « thin » et « thick » « luck« ,

à ce constat :

« Une analyse de la chance «épaisse» fait toujours intervenir une réflexion approfondie sur le contrôle, le choix, la liberté, la coopération _ je note tout spécialement ce facteur _ dans les actions. Elle demande de quoi étaient maîtres les gens _ en leur pouvoir même de décision, ici « statutaire » _ qui ont décidé, de quoi ils n’étaient pas maîtres, de quoi ils étaient maîtres seulement partiellement.« 


Ce qui aboutit à :

« De fil en aiguille il y a des chances (c’est le cas de le dire) qu’ils apparaissent maîtres de bien plus qu’ils ne veulent bien le dire, au moins «en creux»,

en termes des omissions, lacunes et abstentions de leurs comportements »

_ et pas seulement de leur agir effectif positif : en l’occurrence une signature « dûment » estampillée de tous cachets ad hoc

Ce qui amène la conclusion :

« La meilleure ou moins mauvaise _ à tout (ou presque) bien « balancer »… _ solution

est au fond d’admettre que tout acteur doit endosser les conséquences même involontaires de ses actions.« 

Avec ce commentaire :

« Qu’y puis-je cependant si la réalité éthique (eh oui, il y en a une !) ne se plie pas à nos désirs de vivre heureusement irresponsables ?

J’attends que l’on demande aux tribunaux de trancher ces questions authentiquement philosophiques.

Tout comme celle de la sollicitude dont je parlerai pour finir

parce qu’il est quand même fort de café que ceux qui parlent de sollicitude,

et pas pour la récuser,

ne la pratiquent pas…

(à suivre) »

Intéressant,

tant socialement que moralement,

sur la « situation » éthique (« actuelle ») de certaines tendances de mœurs de nos sociétés « modernes »…

Et à méditer,

déjà,

quand nous plaçons solennellement,

et dans les règles du Droit et des constitutions,

notre bulletin de vote dans une urne,

et cautionnons indirectement, ou pas, tel et tel « état » de ces mœurs…

Titus Curiosus, ce 16 novembre 2008 

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