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Les exercices spirituels de Jean Clair : la piété envers la Terre Natale ; et la figure de Marcel Arland…

28juil

Si j’ai commencé à éclairer _ un peu _ ce que signifie le concept d' »exercice (spirituel) de piété » pour Jean Clair

en ses « Écrits intimes« 

en mon article d’hier ,

il me faut bien sûr préciser ce concept sien de « piété » ;

ainsi que le choix de l’expression de « Terre Natale » pour le titre de ce nouveau volume de la série de ses écrits intimes,

ainsi que pour celui, aussi, d’un chapitre, le chapitre V, aux pages 77 à 113.

Piété : le sentiment qui fait reconnaître et accomplir tous les devoirs _ de reconnaissance et gratitude, actions de grâce… _ envers les dieux, les parents, la patrie, etc, auxquels nous sommes redevables de soins _ et d’abord de la vie _, avec tendresse et respect.

L’expression de « Terre Natale« , elle, est directement empruntée à Marcel Arland (Varennes-sur-Amance, Haute-Marne, 5 juillet 1899 – Saint-Sauveur-sur-École, Seine-et-Marne, 12 janvier 1986), qui en fit le titre d’un récit autobiographique, Terre natale, en 1938 _ on notera au passage que la réunion de communes à laquelle participa Varennes-sur-Amance, prit ce même nom de Terre Natale entre le 1er juillet 1972 et le 31 décembre 2011 ; de même que prit aussi ce nom le canton, disparu en tant qu’entité administrative en 2015 : c’était pour honorer Marcel Arland, enfant de ce pays. On remarquera aussi que le terme de « Terre«  fait partie du titre de plusieurs autres œuvres de Marcel Arland : Terres étrangères (en 1923), Sur une terre menacée (en 1941) et Terres de France (posthume) ; sans compter un Zélie dans le désert (en 1944).

Sur l’œuvre _ peu courue ces derniers temps, et c’est un euphémisme… _ de Marcel Arland, ceci :

cet article de Michel Crépu : « Et Marcel Arland, au fait ? » (1-10-2015) ;

Et de cet article je me permets de retenir ceci :  » Nous sommes penchés sur le livre _ ici le roman d’Arland (en 1929) L’Ordre _ comme le personnage à sa fenêtre : « Le soir était calme. Au bas du jardin brûlaient des rameaux d’asperge desséchés ». Cela n’a l’air de rien et c’est merveilleux : le jardin, les flammes, les rameaux d’asperge, le soir calme – et l’on pourrait en citer beaucoup d’autres. Même Chardonne, maître incontesté du moment lumineux semble un bouseux à côté d’une telle douceur _ une qualité singulière de douceur : voilà ce qui caractérise l’art d’écrire de Marcel Arland, pour Jean Clair aussi.

C’est peut-être ce qui coûte aujourd’hui si cher à Arland, d’avoir su écrire les ténèbres de l’intimité humaine _ oui  _ sans se départir du calme où les choses se déposent en profondeur. On réclame aujourd’hui du message à corps et à cri. Chez Arland, musique, finesse, art consommé de faire monter la tension jusqu’au terme ultime où les choses se redéchirent à nouveau selon la vieille loi humaine« … ;

à compléter par cela, toujours de Michel Crépu, sur son blog, la semaine qui suivait :

« Arland ou Céline » (le 8-10-2015)…

Dont je retiens ceci :

« Tout est silencieuses _ musicales _ tensions, montée en puissance de l’impossible, déchirement, apaisement, recommencement à nouveau de la tension. On en sort rincé, comme du dedans d’une fournaise provinciale, sans bruit mais non sans parole. (…) Tout est silencieuses tensions, montée en puissance de l’impossible, déchirement, apaisement, recommencement à nouveau de la tension. On en sort rincé _ c’est dire ! _, comme du dedans d’une fournaise provinciale, sans bruit mais non sans parole« …

Et encore cela :

cet article de Victoire Diethelm : « Présence du biographique chez Marcel Arland _ lecture croisée de Il faut de tout pour faire un monde et de Terre natale » : « Mais qui est Marcel Arland ? » (août 2018)


Outre le titre même du chapitre V, donné à la page 77

_ un chapitre terrible sur le déracinement de ses parents (de leur campagne à la banlieue parisienne, à la fin des années trente) _,

l’expression _ arlandienne _ de « Terre natale« 

me semble n’apparaître que quatre fois,

la première fois à la page 108 (du chapitre V, « Terre natale« ) :

« La terre et ceux qui l’habitent, produits pareils d’une histoire qui faisait que j’étais chez moi _ en la maison où avaient vécu ses parents, en Mayenne, avant sa naissance (le 20 octobre 1940, probablement à Pantin). Terre natale, maison natale » ;

et les trois autres fois à la page 398 (du chapitre XXIV, « La Terre vaine« ), à propos des expressions « Terres vaines et vagues« , « Terre gaste« , « Paese Guasto« , « The Waste Land » présentes dès le second verset de la Genèse, dans le récit des aventures de Perceval le Gallois de Chrétien de Troyes (1130 – 1191), L’Enfer de Dante (1265 – 1321) _ au chapitre XIV, vers 94 à 96 _, Le Médecin de campagne de Balzac (1799 – 1850), ou The Waste Land de T. S. Eliot (1888 – 1965), qu’a relevées et reliées entre elles la magnifique érudition de Jean Clair :

« Je rêve, je divague autour de ces terres mythiques, qui vont de la Genèse à la Comédie de Dante, et du pays du Roi Méhaigné décrit par Chrétien de Troyes au gros bourg florissant du médecin de Balzac. Mais c’est toujours une même vérité _ voilà ! et terrible… _ qui se dit : en ignorant son nom, si l’on oublie son identité _ son lignage, ses racines, son histoire _, on perd aussi la terre natale qui est inscrite dans les frontières _ celle où peut reprendre force le géant Atlas en son combat à mort avec Héraklès. Ou bien est-ce la perte de la terre natale, avec ses règles et ses lois, ses limites et ses enclos, qui provoque la venue de la terre dévastée, stérile, solitaire.

Si je ne peux plus _ c’est là la conséquence _ m’offrir l’ _ indispensable _ hospitalité _ à rattacher à la toute première ligne, capitale, du récit, page 15 : « J’ai fini par me refuser l’hospitalité. Personne n’est là où je suis« , au chapitre I, « L’Intrus« … C’est là la situation d’état d’apesanteur (au sortir d’un coma) du puissant livre L’État d’apesanteur d’Andrzej Kusniewicz (paru en traduction française en 1979) _, me reconnaître, me souvenir de ma présence en moi, et m’y réconforter, me souvenir de mon nom paternel _ Régnier _, devenu étranger à moi-même, c’est _ voici la cause _  que je ne peux plus habiter la terre natale dont ne me restent _ épars, perdus _ que des souvenirs informes, ni reconnaître miens les paysages et les humains que j’ai ensuite aimés _ un fil impérativement à renouer…

L’errance ou _ telle est la dure alternative _ l’orance

_ cf l’expression quasi similaire à la page 387 : « L’errance contre l’orance« .

Cette dernière expression à la suite des phrases : « On a rempli les musées à mesure qu’on vidait les églises _ lieux de l’orance. Mais le sanctuaire est un lieu qui a un sens, ordonné qu’il est à l’horizontale comme à la verticale, par des objets, statues ou peintures, disposés selon leur destination, chacun ayant sa valeur et son sens, du portail où sont les saints à l’autel où sont les dieux, du niveau où sont célébrés les Évangiles à celui où l’on remémore les Épîtres : un espace plein où rien n’est interchangeable _ voilà _, ne se soustrait ni ne s’ajoute, un parcours qui a son début et sa fin.

Le musée et la collection, eux _ lieux de l’errance _, ne nous livrent jamais que des matériaux errants, indifférents _ interchangeables et chaotiques _ qui ont perdu leur destination, leur pouvoir et leur sens _ soit le constat rétrospectif assez terrible d’une vie passée comme Conservateur du Patrimoine. Sans attache et sans fin _ parce que sans fil conducteur de sens. L’errance contre l’orance« 

La dénomination ou _ alternative parente _ la disparition » 

cf l’expression quasi similaire à la page 106, parce que la disparition (d’un vrai sujet) est bien la conséquence de la dénumération (des matricules) : « La dénumération substituée à la dénomination« .

À la suite des phrases : « Tout aussi silencieusement et doucement qu’ils avaient quitté leur village, ils _ les paysans de Mayenne ou du Morvan (cf La Tourterelle et le Chat-huant _ Journal 2007-2008), déracinés de l’exode rural, que furent les parents de Jean Clair _ quittèrent _ à nouveau _ ces nouveaux quartiers _ de la banlieue parisienne, tels Le-Pré-Saint-Gervais ou Pantin _ presque neufs encore, devenus bientôt des « zones de non-droit ». « La Seine », le nom du département, était entretemps devenue « le 9.3″, un matricule. La dénumération substituée à la dénomination, une habitude des camps » _ du contrôle bureaucratique (chiffré) du nazisme, avec son obsession (comptable) criminelle des chiffres à réaliser, mois par mois, d’annihilation-exterminationation.

Quant au nom et à la personne même de Marcel Arland, ils apparaissent _ nommément _ deux fois :

à la page 93 (au chapitre V, Terre Natale) :

« Est-ce tout à fait le hasard qui fit que ce sont deux fils de paysans qui m’accueillirent _ en 1962, pour son récit Les Chemins détournés _ chez mon éditeur _ Gallimard _ et m’en ouvrirent grandes les portes ? C’était Brice Parain _ 1897 – 1971 _, fils de paysans briards, et Marcel Arland _ 1899 – 1986 _, descendu de son plateau de Langres. Tous deux avaient été des premiers à connaître cette mutation de leurs origines. Parain, premier petit Français à être nommé Conseiller culturel dans la jeune Union soviétique _ en 1925 _, y apporterait sa curiosité, mais aussi une lucidité _ oui _ que les descendants des bourgeois, de Sartre à Aragon, n’auraient pas » ;

et à la page 384 (au chapitre XXIII, La Débâcle) :

« Un jour que j’évoquais devant lui le Francinet écrit par Mme Fouillée, la Lavalloise _ 1833 – 1923 _, qui avait précédé son Tour de la France, et dans lequel mon père avait aussi appris à lire, Arland se mit soudain, à voix basse, à réciter la chanson que chante le jeune ouvrier en faisant tourner dans la nuit son moulin à broyer l’indigo :

Je suis l’enfant de la misère

Et le dur travail est ma loi

Je suis seul, ma tâche est austère,

Triste est mon cœur, lourd mon effroi…

Il s’était arrêté, cherchant ses mots et, après un instant, c’est tous deux que nous reprîmes d’une même voix :

… Le riche, dit-on, est mon frère ;

Mon frère pense-t-il à moi ?

On cite encore un peu Le Tour de la France par deux enfants _ publié en 1877, sous le pseudonyme de G. Bruno (en hommage au philosophe brûlé vif sur le Campo dei Fiori, le 17 février 1600). Mais qui a jamais lu Francinet ? _ publié en 1869. (…) Le second, plus pénétrant, trame un récit autour de ce qui semble déjà la lutte des classes, entre le petit pauvre en blouse d’ouvrier qui s’épuise la nuit à tourner son moulin et Aimée, la riche petite fille du patron, vêtue de robes blanches.


Tout un continent disparu, comme s’était englouti quarante ans plus tôt le monde paysan »…


De Marcel Arland,

les critiques les mieux avisés, tel Michel Crépu, mettent l’accent sur sa singulière douceur, voire tendresse.

Je veux retenir ici quelques occurrences de cela, dans le texte de Jean Clair :

Page 27, au chapitre I, L’Intrus :

« Quelle autre religion a montré _ dans les « plus belles Maternités peintes au Quattrocento«  _ plus de tendresse que cette religion où l’Enfant, dans le même geste, se présente comme la victime et le sauveur ? »…

Page 62, au chapitre III, Les Nocturnes :

« La peinture figurative est une peinture croyante. Je ne me console pas de sa disparition, pas plus que je ne console de la disparition d’une religion qui, pendant quelques siècles, avait su par sa tendresse colorer notre vie« …

Puis page 65 :

« Le rêve est revenance et révélation _ pour Jean Clair, comme pour Hélène Cixous ou René de Ceccatty ; cf mes entretiens chez Mollat : avec Jean Clair, le 20 mai 2011 ; avec René de Ceccatty, le 27 octobre 2017  ; avec Hélène Cixous, le 23 mai 2019… Moins je souhaite, par paresse ou par inaction, rencontrer mes contemporains dans la suite des jours, et plus mes rêves se remplissent de figures et deviennent des salons où l’on s’entretient _ voilà _ avec douceur. Ce dont le quotidien m’a privé, la nuit me le redonne« …

Pages 253-254-255, au chapitre XV, La Coquille d’or :

« Au fil des siècles, à mesure que l’imagerie cruelle du Très-Haut et de son Trône de Grâce reculait dans l’imagination des fidèles qui n’y comprenaient rien, c’est l’imagerie de deux corps ployés l’un sur l’autre, une jeune victime et sa mère douloureuse et penchée sur lui, qui s’était peu à peu imposée, souvent dressée au milieu des autels _ comme on le voit sur la photo de l’autel de Notre-Dame postérieure à l’incendie, qui sert de bandeau au livre… _, dans la nef des églises, une image de l’espérance et de son infinie compassion, la Pietà  _ et non pas celle du Père anthropophage _, qui avait fait du christianisme une religion remplie d’une tendresse que nulle autre religion n’a jamais possédée.

(…) Pourquoi son élection ? C’est que l’image de la pietà, née dans les cercles mystiques rhénans, et particulièrement dans les couvents de femmes, à la fin du XIVe siècle, le Christ une fois déposé de la croix et allongé, tétanisé par la mort, sur le giron de sa Mère, est l’une des plus troublantes et des plus bouleversantes que cet art de la visibilité que l’art d’Occident a été, ait produite. C’est dans l’épaisseur du temps, l’image de l’enfant nouveau-né, que la mère tenait de la même façon, et qui voyait en lui déjà le destin s’accomplir. Mélancolique ou douloureuse, elle triomphe de la douleur et de la mort. Mais c’est l’art qui la représente qui a ce pouvoir _ effectif, sensible _ de consoler _ voilà _, l’art qui peut sauver le monde disait Dostoïevski. Dans la mesure où il peut rendre sensible _ physiquement ressenti _ ce sentiment de la pietà, qui veut dire à la fois pitié et piété, douleur partagée et compassion, respect de l’autre jusque dans la mort.

Le monde actuel semble ignorer la pitié _ et tout autant la piété. Et l’art contemporain _ adepte du trash _ est plutôt un art de la dérision, du sarcasme et de la laideur _ diabolique. La compassion, forme de la Pietà, cette capacité à souffrir avec l’autre, mais aussi à trouver une rédemption dans l’expression artistique, n’est plus guère de ce monde. Ou bien ? « …

Pages 329-330-331, au chapitre XIX, Athènes et Jérusalem :

« Le Céramique, à la périphérie d’Athènes. De chaque côté du chemin des colonnes, des cippes s’élèvent, les fûts d’une nécropole. En marbre blanc, les stèles, par des formes et des inscriptions, rappellent la vie de ceux qu’on a enterrés là. (…)

Ampharète, Kadymaque, Zosime, Sybiris, Plotis, Eutikos… Des noms aux sonorités étranges, pleines de voyelles, de labiales, d’occlusives, des souffles comme pour mieux rappeler d’entre les morts celle ou celui qui n’est plus. A-t-on jamais, avec une telle tendresse dans le navrement, célébré la présence de la personne, la naissance et la célébration de la figure humaine que bientôt, une religion nouvelle, le christianisme, va se donner pour idéal de célébrer et de sauver ?

(…) Rien de triste à se promener dans ce chemin fait de tombeaux. Il ne s’agit plus de la mort mais, avant le christianisme, d’une Dormition, où les disparus reposent. Le Céramique est comme un grand dortoir « …

Pages 335-336-337, au chapitre XX, Le Banquet :

« Une part de ma vie, effacée, me revenait avec un sentiment étrange de vérité _ de présence. La maladie _ puisque telle est, même si c’est extrêmement discrètement, la situation de base de cet entier récit _, en me délivrant du poids de mon corps, m’avait donné accès à des régions _ autrefois, il y a longtempss, vécues _ depuis longtemps désertes mais qui restaient aussi dessinées, aussi distinctes que si je les avais habitées la veille. L’immobilité forcée du corps et l’effet subtil des drogues me faisaient regagner _ en pensée _ une vie _ de sensualité _ à laquelle j’avais tourné le dos, et qui se rappelait à moi _ ainsi confiné et peut-être même alité _ avec une insistance et une douceur confondantes.

(…) C’est des positions successives et sans arrêt modifiées de mon corps endolori que renaissaient ici l’une après l’autre, nées du même privilège dont avait joui le premier homme, la forme et la pression des êtres que j’avais _ sensuellement _ aimés. Non pas une Ève unique, mais plusieurs, et finalement toute une compagnie, un ballet, une ronde _ un platonicien banquet…

(…) C’était des êtres, des personnes, des femmes.

(…) Des figures infiniment chères, beaucoup que j’avais sans doute injustement oubliées ou reléguées dans des recoins, et que le rêve me poussait à convier _ présentement _ pour revivre avec elles des moments perdus« …


Et page 339 :

« Parmi ces femmes, l’une m’était revenue en dernier, et ce par quoi elle reprenait possession de mes sens, ce n’était pas son visage, son allure, ni son corps, c’était, immatérielle, sa voix.

Elle avait toujours eu pour moi, à tout moment du jour et de la nuit, des mots presque enfantins, des refrains, qui étaient aussi des bonheurs d’expression, inattendus, surprenants, et ceux qui me rêvenaient, de quelle profondeur venaient-ils où ils auraient dû depuis longtemps s’abîmer, avec une infinie douceur, résonnant dans le vide, maintenant que, morte, elle n’était plus là pour les prononcer.

Alors que je peine à retrouver son visage, c’est dans ces adresses un peu naïves que je découvre la part durable de ce qu’elle fut. Personne avant elle n’avait eu pour moi cette invention des mots et des adjectifs, cette aisance à confier sa tendresse. Pied-noir italienne, elle parlait pataouète, un patois algérois appelant immédiatement au geste, au baiser ou à la caresse.

Sa voix, c’était donc là la qualité la plus précieuse de son être, des inflexions sonores« …


Et aussi pages 363-364, au chapitre XXII, L’Assassin :

« Entendu à la radio, pour définir l’identité française (…). La France est « un art de vivre ».

Tant d’efforts, tant de morts et de guerres, de fatigues, pour finir sur un traité d’esthétique… L’hédonisme _ auto-complaisant, narcissique _nous a conduits à l’opposé des vieux artes moriendi, les arts du bien mourir d’autrefois, du Sterbenkunst, de toutes les ressources d’une religion infiniment tendre, l’expression de sa valeur la plus haute, qu’on appelait la piété. Elle a donné naissance à des chefs d’œuvre que nous ne regardons plus guère dans les églises et dans les musées sinon avec indifférence ou stupéfaction, pas trop sûrs pourtant qu’il ne s’agit là que d’un « art de vivre ».

Les musées ne sont guère que des conservatoires des espèces disparues, qu’il s’agisse d’insectes, d’animaux, de plantes ou d’œuvres d’art.

D’ailleurs, ils sont aujourd’hui’hui pleins, comme des décharges, ils débordent, ils ne peuvent plus rien recueillir _ et sans recueillement. On ne sait plus trop comment ordonner, ni disposer les objets. On invente de nouveaux classements, à vocation dite « universelle », qui relèvent plutôt de la confusion des antiquailles.

Et pour leur succéder, les villes elles-mêmes, comme si elles avaient oublié pourquoi elles avaient été autrefois bâties, et ne sachant plus trop pourquoi elles existent, ici et là perdues sur la planète, ont commencé à se transformer sinon en musées, du moins en monuments nationaux d’un passé ignoré. Venise, Barcelone, Paris, Prague, Amsterdam… des parcs à thème que viennent parcourir à petits pas des foules distraites _ sans assise : peu aptes à regarder vraiment _, les mêmes qui parcouraient autrefois le Louvre, les Offices, le Prado, sans trop savoir _ mortelle ignorance _ à quoi ces pierres dressées ont pu jadis servir.

Dégradation des lieux, du génie des lieux, comme on a dégradé Dreyfus sur la place publique… » _ dégradation (mercantile) d’humanité vraie des personnes…

Ce dimanche 28 juillet 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le rêve d' »intersections fécondes » entre journalisme et philosophie : le Libé des Philosophes (et sa manifestation à Bordeaux)

04déc

En ouverture du numéro de Libération du jeudi 2 décembre

_ le jour du gros accès de tempête de neige, notamment à Bordeaux où se rencontraient, réunis par le quotidien Libération, philosophes, journalistes… et même politiques !.. : le thème fédérateur étant « la philosophie dans la cité« , et les rencontres s’intitulant « Penser l’actualité« , « La Justice gagnerait-elle à philosopher ?« , « Peut-on réduire les inégalités ?« , « Aide, entraide et fraternité : penser la solidarité« , « Délinquance : déni ou délit de culture ?« , « Quelle ville laisser à nos enfants ?«  et, in fine, « La cité idéale, ou l’utopie réalisable«  _,

et sous le très judicieux titre d’Intersections fécondes,

Michel Serres _ tel un Leibniz « revenu«  cette fois en corsaire gascon : en vadrouille malicieuse (plutôt que course sauvage…) dans le paysage en voie de mondialisation du bal des monades… _ résumait excellemment

le pari _ renouvelé cette année-ci encore : ce 2 décembre, donc ! et réussi ! _ de Robert Maggiori,

le responsable de la rubrique Philosophie de ce quotidien,

et maître d’œuvre de ce concept de « Libé des philosophes » :

Depuis qu’a été inventé le Libé des philosophes,

nous n’avons cessé de réfléchir sur les bénéfices de cette rencontre

entre journalisme et philosophie.

Elle produit plusieurs courts-circuits _ voilà ce qui peut se révéler fructueux pour le penser, (souvent un peu) trop ensommeillé en ses (un peu trop) molles habitudes…

D’abord un temps long _ celui du penser, en sa salubre intempestivité méditative ! Nietzsche osant ici la figure de la « rumination« _ y coupe la rapidité _ le plus souvent éphémère _ du jour,

et peut lui apporter des aliments _ c’est déjà çà… _ inattendus.

Heureusement,

l’éclair momentané _ quand il est tant soit peu surprenant ! du moins… _ de l’actualité

réveille _ voilà ! à l’instant du choc de cette rencontre (électrique)… _ une mémoire _ un peu trop souvent un peu trop _ prête _ encline _ à s’assoupir.

On dirait un long fleuve tranquille enflammé soudain _ de lumière _ par les cascades d’un torrent _ venant enfin, et opportunément, la secouer, cette mémoire alluviale plus ou moins limoneuse un peu trop installée…

De plus,

le philosophe creuse _ voilà ! malignement… _ alors que le journaliste _ pressé par son rédacteur en chef et l’attente au jour le jour du lectorat _ galope _ un peu trop éperdument…

Alors le vertical coupe l’horizontal _ avec fécondité.

On dirait un carrefour _ tels l’Agora d’Athènes, le Forum de Rome, ou la place du marché de n’importe quel bourg zarathoustréen-nietzschéen... _

et tout le monde sait que les rassemblements intéressants _ possiblement féconds, donc… _

ont lieu

en cette place _ qui s’y prête ;

cf Kant : « Penserions nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ?..«  (in son manifeste contre la censure : La Religion dans les limites de la simple raison : un must !..

Enfin,

la philosophie vole _ cf Corneille : « Va, cours, vole ; et nous venge !« , in Le Cid_ et plane parfois _ un peu trop, en se laissant aller vagabonder (et se perdre) au hasard des courants d’air porteurs : combien ne manquent pas de le lui reprocher (et parfois à raison !!! )… _

alors que l’actualité a le souci _ professionnellement vital _ de garder les pieds sur terre _ même si pas forcément les mains dans le pétrin (voire le goudron)…

La seconde force _ bienheureusement, en effet ! _ la première _ sans les ailes de géant de l’albatros baudelairien _

à atterrir.

On dirait un aéroport _ hyper-affairé, que ce lieu d’atterrissages impromptus…

Confluent,

place de l’étoile,

piste d’envol ou de retour,

voilà les trois intersections fécondes

que Robert Maggiori inventa _ bel (et plus encore : juste !) hommage ! _

pour le Libé des philosophes.

Voyons alors

ce que personnellement j’y ai le plus goûteusement

glané,

pour ma (propre) gouverne…

D’abord, ce qui m’a le plus touché

et marqué _ c’est une merveille (de pensée) rare !, en plus de poésie ! que cet article tout de discrétion (et humilité) ! _ puissamment,

se trouve à la rubrique

_ peu en vue, certes : il fallait assurément aller la dénicher ; elle se cachait sous ce titre magnifiquement actuel ce jour-là (de même qu’éternellement, aussi !) de Partie de neige ; soit le titre même du sublime recueil de poèmes de 1968 (et paru posthume) de Paul Celan : Partie de neige, aux Éditions du Seuil, en allemand et dans la très belle traduction de Jean-Pierre Lefèbvre !.. _

de la météo

_ qui l’eût dit ?..

La page est même indiquée très exactement : « Jeux-Météo«  ;

sur la partie (gauche) des « Jeux« ,

le philosophe Marc de Launay commente ainsi une partie d’échecs,

empruntée au 70e championnat d’Italie, en 2010 (entre les joueurs Brunello et Rombaldini)… :

« Il en va des échecs comme du langage. (…) Ceux qui continueront à jouer (…) auront plaisir à jouer comme on a plaisir à converser (…). Savoir limité le nombre des combinaisons qu’offrent les lettres d’un alphabet et la grammaire d’une langue

n’a jamais rendu muet _ certes ! Le jeu sérieux n’est pas ignorant de l’ambition conceptuelle, il taquine l’infini en le sachant illusoire ; il éduque l’esprit à la rigueur des métaphores en révélant une pluralité de combinaisons face à telle disposition générale :

belle propédeutique à l’appréciation des innovations qui miment l’issue possible hors d’une situation jugée désespérée, mais qu’une raison étrangère nous révèle riche d’une ressource.

Comme une parole inouïe dissipe des académismes et fait briller les cristaux d’une nouvelle syntaxe.

Une fois jouées toutes les combinaisons, l’histoire des joueurs et du jeu ne sera pas sans avenir« ... :

comme c’est superbe aussi !.. _,

à la rubrique de la météo, donc,

et sous la plume _ de poète comme de philosophe ! _ de Martin Rueff

_ dont j’ai fait personnellement la connaissance (je consulte mon agenda) le mardi 8 décembre 2009, lors de sa conférence (très belle : il y convoquait la saison de l’Hiver de Poussin !) pour notre Société de Philosophie de Bordeaux : c’était sur le sujet de Rousseau : le pas et l’abîme, autour de sa lecture de la fiction (comme philosophie, aussi !) de Julie, ou La Nouvelle Héloïse ; puis au cours du repas (toujours très convivial) qui a suivi la conférence ; et surtout par la lecture de son magistral travail sur la poésie et la poétique de Michel Deguy, Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel _ ; cf mon article sur ce magistral ouvrage, en date du 23 décembre 2009 : la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff

Martin est revenu ensuite à Bordeaux, le mercredi 12 mai (toujours mon agenda ! pour ne pas complètement perdre le fil des jours qui défilent ; et y raccrocher un peu des efforts, facilités ensuite à partir de ces menus amers-là, de la mémoire qui risquait de se noyer, sans repères…) afin de présenter, et avec Michel Deguy, dans les salons Albert-Mollat, ce grand livre, et important pour mieux comprendre ce qui change (en fait de différence et identité, donc !!!) en ces siècles : le XXème comme le XXIème…

Cf mon article sur cette conférence-là, cette fois : De Troie en flammes à la nouvelle Rome : l’admirable “How to read” les poèmes de Michel Deguy de Martin Rueff _ ou surmonter l’abominable détresse du désamour de la langue

En son propre Partie de neige,

à la page 21 du Libé des philosophes du jeudi 2 décembre (enneigé à Bordeaux et toute sa région !

je me suis trouvé sur la route _ heureusement presque tout uniment droite ! _ vers 7h, 7h15, dans des bourrasques ô combien drues de neige, droit devant, le regard mangé par ce que tentaient de percer de la nuit, ainsi ouatée de ces rafales hyper-serrées de flocons, les phares de ma voiture, essayant de gommer le plus possible les pirouettes du verglas, sur le sol, si jamais j’avais à tourner si peu que ce soit le volant, trop brusquement ralentir ou accélérer, pour ne rien dire de freiner, aux ronds-points drastiquement piégeux de la route, heureusement assez peu embouteillée à cette heure : j’étais parti très tôt exprès : à 6h 30 ; les flocons commençaient juste de tomber, en légère voilette de tulle, alors, sur Bordeaux)…

Martin ne fait pas référence explicitement à Paul Celan (non plus qu’à son recueil de poèmes écrits en 1968 : ni l’un, ni l’autre ne sont nommément cités !) _ sinon par le seul titre de son article quant au temps qu’il faisait, ou pouvait faire, ce jour-là, 2 décembre 2010, en France :

comment prendre alors le vocable de « Partie«  (de neige) ? A chacun d’essayer sa (ou ses) propositions (s)… Le poème (vrai) est toujours, dès ses signifiants mêmes, polysémique, flottant, ouvert, en sa battue, pourtant nette, forcément, des cartes de ce qui s’y inscrit, à prononcer… _,

mais Martin, donc,

faisait beaucoup mieux que cela :

lui, pensait la neige ;

et ce qu’elle peut induire, aussi _ en redoublement du penser _ de pensée (alors métaphysique !),

par exemple pour quelques philosophes :

ici, ce seront _ ainsi qu’il les indique ou les nomme, nommément, si j’osais dire _ :

les philosophes de la « théorie des climats » du XVIIIe siècle, Socrate (in Le Banquet), Spinoza, Sénèque, Kant (en l’esthétique transcendantale de la Critique de la raison pure), Lévinas (in De l’existence à l’existant) ;

auxquels Martin mêle aussi, aimablement _ quant à aider aussi un peu au figurer du lecteur ! lire étant aussi se figurer… _ une kyrielle de peintres (de la neige) :

« Beerstraaten, Van der Neer, Isaac van Ostade,

mais aussi Goya ou Courbet« ,

et Turner ;

ainsi qu’un _ unique à être nommément nommé ! Mallarmé et Chrétien de Troyes (et Celan !) n’étant, eux, qu’évoqués… _ poète,

Guillaume de Salluste Du Bartas ;

ainsi :

« Turner peint la neige comme au premier jour de la Semaine de Du Bartas :

« avant tout, matière, forme et lieu »…« .

Et Martin de le commenter alors ainsi :

« Neige grand ouvert sur l’ouvert » ;

pour conclure, au final,

après un paragraphe consacré à Kant

et un autre à Lévinas :

« Neige, nuit blanche. Et ce qui sera sans lumière, il nous faudra

_ ce « nous«  en ce défi prometteur, pourvoyeur peut-être,

en cette situation de mission, de devoir (vital ?),

pourvoyeur

de courage… _

le perpétuer« …


Voici donc

_ je le recopie manuellement : et je m’en réimprègne encore un peu plus (ou un peu mieux) en le ré-écrivant ainsi mot à mot sur le clavier… _

l’article Partie de neige, par Martin Rueff,

en la rubrique Météo du Jeudi 2,

sur deux colonnes de la partie droite de la page 21,

en encadrant, en son centre _ hexagonalement _, une carte de France des prévisions météorologiques de ce jour…

Autant la grammaire des énoncés météorologiques (« il pleut« , « il vente« ) a pu pousser les philosophes à réfléchir en métaphysiciens sur l’ontologie _ voilà ! _ des événements et sur les chaînes _ principalement, voire exclusivement, mécaniques ?.. _ de causalité qu’ils impliquent, (à la fois sur la cause de ces événements et sur l’inscription de ces événements dans la vie des hommes _ on pense à la « théorie des climats » des philosophes du XVIIIe siècle avec leurs causes sans cesse _ répétitivement ? cf ici l’humour de Hume… _ renaissantes), autant l’expérience de la neige a offert un motif de prédilection à ceux qui étaient enclins à méditer sur l’endurance _ hivernale : en « l’hiver de notre mécontentement«  _ des hommes. Si l’on admet le partage _ stoïque _ de ce qui dépend de nous et de ce qui n’en dépend pas, et si l’on reconnaît que la balance est inégale entre l’un et l’autre, il faut supporter la neige comme le faisait Socrate « qui marchait pied nus sur la glace plus aisément que les autres avec leurs chaussures, et les soldats le regardaient de travers croyant qu’il les bravait«  (Le Banquet, 220a).

Est-ce tout pourtant ? Regardons-la, cette neige qui vient _ indépendamment de nous, comme nous étouffer, asphyxier, en noyant, bientôt, tout…

Il y a une beauté de la neige comme état _ reposé, ensuite, en ses couches alors horizontalement déposées, étalées, comme majestueusement tranquilles _ de la matière, dans le double spectacle de sa chute (elle est alors rideau _ enduré _ qui voltige, pétales soufflés, mur blanc effilé, tempête au parvis des épousailles, _ mallarméennes _ « tasses de neige à la lune ravie« ) et de sa surface _ déposée, donc, et demeurant longtemps… _ de trop grande clarté _ épiderme, drap, écran, visage exposé, facies totius universi (Spinoza retrouve la formule de Sénèque), support/ surface, ligne blanche d’horizon, horizon blanc de dunes. Le chevalier _ cf l’imaginaire (si vivant !) de Jean Giono dans l’aveuglante blancheur neigeuse alpine de deux ou trois hivers d’Un Roi sans divertissement, du côté de Mens et de Chichiliane : à partir du poème si fascinant de Chrétien de Troyes… _  cherche la trace de sang _ de l’oie agressée _ : un trou, une crête, une crevasse pour ne pas céder au vertige du même _ tel étant le chiffre affolant de l’angoisse. La neige, univocité étale, est pureté purifiante ou pureté étalée _ rêve d’effacement, offrande écartée au soleil, condition de la lumière aveuglante, miroitante ; et d’elle plus que de tout autre spectacle il faudrait dire : c’est la mort d’un soleil blanchi qu’on ne peut regarder en face. Ou peut-être comme l’espace pur désorienté _ aussi ! pour notre perte… _ : le fond comme figure, la figure comme fond, ni droite ni gauche, tout le profond venu à sa surface blanche ; et parfois tes yeux _ même ! _ sont débordés face à l’immensité absente qui dure ; ni béance du chaos, ni confusion à vide _ cependant : et la nuance est capitale… _, la neige…

_ en sa magie lancinante d’étrangeté poïétique

en fusion…

On rappellera que certains peintres se rendirent célèbres par leurs effets _ d’éclats assourdissants _ de neige : Beerstraaten, Van der Neer, Isaac van Ostade, mais aussi Goya ou Courbet. Turner peint la neige comme au premier jour de la Semaine de Du Bartas : « avant tout, matière, forme et lieu« .

Neige : grand ouvert sur l’ouvert

_ pour qui s’y affronte, d’abord par le regard (sempiternellement étonné, chaque fois…),

en son vivant ici une fois encore défié

Mais une méditation sur la neige ne devrait rien ignorer non plus de ce que l’esprit humain y investit : l’image offerte à la méditation métaphysique du blanc de néant

_ autre défi (« métaphysique« , donc, et ainsi…) de l’esprit, qui s’agite…

La neige constitue une de ces images sans motif où le fond est _ ou devient _ tout _ voilà… On se souvient que « l’exposition métaphysique de l’espace » dans l’esthétique transcendantale de la Critique de la raison pure repose sur une thèse simple : la représentation de l’espace ne peut pas être déduite de l’expérience. Il faudrait qu’elle soit posée comme fondement : « L’espace est une représentation nécessaire, a priori, qui sert de fondement à toutes les intuitions externes. » Et Kant poursuit : « On ne peut jamais se représenter qu’il n’y ait point d’espace, quoiqu’on puisse bien penser qu’il ne s’y trouve pas d’objets. » La neige offrirait l’image de l’espace comme tel dans sa pureté transcendantale _ la neige comme spectacle pur de l’espace, comme exposé métaphysique.

Mais il y a plus encore : une chose est de dire que la neige est un spectacle métaphysique, autre chose est d’affirmer qu’elle permet l’intuition de la métaphysique elle-même _ l’image de la différence ontologique

_ en sa différance (mouvante) même, s’offrant à nous défier, pour peu, du moins, que nous consentions à y opposer (et soutenir, tant soit peu, aussi…) un penser singulier…

Neige : offrande pure _ voilà _ du il y a _ oui ! _, de cet il y a d’avant _ prénatalement ? aussi… _ tout objet _ allégorie pure de l’être comme fable du néant, image du cri _ munchien ? à l’abattoir ?.. _, comme symbole du silence _ advenant, voire advenu, murant… _, temps suspendu et temps qui passe, qui passe suspendu. Analogue à la nuit noire que veille l’inutile insomnie, la neige offre _ oui _ le fait nu _ voilà : et il s’impose… _ de la présence : il y a présence _ du vivant

dont le souffle tremble, respire, bat.

Lévinas écrit dans De l’existence à l’existant : « Le fait universel de l’il y a, qui embrasse et les choses et la conscience » ; et il serait important d’appliquer à la neige les évocations de l’insomnie qu’il propose : « Il n’y a plus de dehors, ni de dedans », « ce retour de la présence dans l’absence ne se fait pas dans des instants distincts, comme un flux et un reflux. Le rythme manque _ voici la clé ! _ à l’il y a, comme la perspective aux points grouillants de l’obscurité« . Lévinas précisera : « On ne peut dire non plus que c’est _ tout à fait, non plus : en effet… _ le néant _ absolu _, bien qu’il n’y ait rien« .


Neige, nuit blanche. Et ce qui sera sans lumière, il nous faudra _ nous ! c’est là un « nous«  plus ou moins ouvert… _ le perpétuer _ en son abondance sourcière, probablement…

Sourcière de vie…



Martin Rueff,

poète et philosophe, enseigne à l’université de Genève.

(A publié dernièrement) La fin de Superman dans (la revue) Grumeaux, en novembre 2010.

Je vais poursuivre mon compte-rendu _ partiel et partial, on le ressent… _ de ce riche et très intéressant Libé des Philosophes de jeudi dernier, avant-hier,

par deux articles aisément accessibles, eux, sur le Net,

et qui m’ont aussi bien, bien intéressé

_ en plus qu’il s’agit, là aussi, d’articles d’amis… _ :

celui, très fouillé et passionnant d’aperçus très riches, très justes _ ainsi que très beaux (mais oui !!! à la fois ! d’un seul tenant !) _,

de Fabienne Brugère,

Les Missions des Lumières _ Diderot philosophe en Pléiade,

lisible sur papier aux pages II et III du Cahier Livres :

il est consacré au volume Œuvres philosophiques de Denis Diderot,

publié sous la direction de Michel Delon, avec la collaboration de Barbara de Negroni, dans la Bibliothèque de la Pléïade, aux Éditions Gallimard… ;

et celui, toujours aussi incisivement piquant et lucidissime (!!!) _ et toujours aussi réjouissant ! _

d’Yves Michaud,

Les Pinçon-Charlot : Gold Gotha,

en la rubrique Pourquoi ça marche , à la page XVIII du cahier Livres :

il est consacré à l’ouvrage de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : Le Président des Riches _ Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy,

aux Éditions Zones…

J’y ajouterai encore un ultime petit commentaire

de l’article de synthèse

paru dans le Libération du lendemain, hier vendredi 3 décembre, à la page 5,

et sous la plume de Vincent Barros :

A Bordeaux, «Libération» fait passer l’oral de philo

et sous-titré : Réflexion. Echos du forum «la Philosophie dans la cité», qui s’est tenu hier dans la capitale girondine.

Cela,

en mon article juste à suivre celui-ci,

donc…


Titus Curiosus, le 4 décembre 2010

Post-scriptum :

De Paul Celan,

et traduit par Jean-Pierre Lefèbvre, à la page 23 de Partie de neige, aux Éditions du Seuil,

ce poème-ci

(et qui donne son titre à tout le recueil) :

PARTIE DE NEIGE, droit cabrée jusqu’à la fin,

dans le vent ascendant, devant

les cabanes à jamais défenêtrées :


faire ricocher des rêves plats

sur la

glace striée ;


dégager au pic

les ombres de mots, les empiler par toises

tout autour du fer

dans le trou d’eau.

De Guillaume de Salluste du Bartas (Montfort, 1584 -Mauvezin, 1590),

à la page 3 de sa Sepmaine (1581), en l’édition d’Yvonne Bellanger

de la Société des Textes Français Modernes,

ce passage (du Premier Jour : les vers 25 à 30

_ d’un poème qui en son entier compte 6494 vers) :


Or donc avant tout temps, matière, forme et lieu,

Dieu tout en tout estoit, et tout estoit en Dieu,

Incompris, infini, immuable, impassible,

Tout-Esprit, tout-lumière, immortel, invisible,

Pur, sage, juste et bon. Dieu seul regnoit en paix :

Dieu de soy-mesme estoit et l’hoste et le palais.

Et, de Stéphane Mallarmé :


Las de l’amer repos où ma paresse offense
Une gloire pour qui jadis j’ai fui l’enfance
Adorable des bois de roses sous l’azur
Naturel, et plus las sept fois du pacte dur
De creuser par veillée une fosse nouvelle
Dans le terrain avare et froid de ma cervelle,
Fossoyeur sans pitié pour la stérilité,
— Que dire à cette Aurore, ô Rêves, visité
Par les roses, quand, peur de ses roses livides,
Le vaste cimetière unira les trous vides ? —
Je veux délaisser l’Art vorace d’un pays
Cruel, et, souriant aux reproches vieillis
Que me font mes amis, le passé, le génie,
Et ma lampe qui sait pourtant mon agonie,
Imiter le Chinois au cœur limpide et fin
De qui l’extase pure est de peindre la fin
Sur ses tasses de neige à la lune ravie
D’une bizarre fleur qui parfume sa vie
Transparente, la fleur qu’il a sentie, enfant,
Au filigrane bleu de l’âme se greffant.
Et, la mort telle avec le seul rêve du sage,
Serein, je vais choisir un jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d’azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de trois grands cils d’émeraude, roseaux.

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