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Une réponse à un article critique envers Call me by your name…

14mar

En surfant sur le net,

j’ai fini par pêcher enfin un article critique à l’encontre du film de Luca Guadagnino Call me by your name,

sous la plume d’un nommé Vincent Raymond, et publié simultanément dans divers Petit Bulletin

(de Lyon, de Grenoble, de Saint-Etienne),

le 27 février dernier.

Le voici,

d’abord tel quel,

sans la moindre farcissure de ma part :


CIAO BELLO
WTF ? à l’italienne : « Call Me By Your Name« 

de Luca Guadagnino (Fr-It-E-U-Br, 2h11) avec Armie Hammer, Timothée Chalamet, Michael Stuhlbarg…

par VINCENT RAYMOND
MARDI 27 FÉVRIER 2018

Italie, dans la moiteur de l’été 1983. Elio traîne ses 17 ans entre son piano, ses doctes échanges avec ses parents, et un flirt avec Marzia. L’arrivée du nouveau doctorant de son père, Oliver, le met étrangement en émoi. D’abord distant, celui-ci se montre aussi sensible à ses appâts…

Cette roublardise de moine copiste, aux forts relents de Maurice, Chambre avec vue ou Mort à Venise entre autres films avec éphèbes torse nu et/ou James Ivory au générique et/ou Italie vrombissante de cigales, a beaucoup fait parler d’elle dans tous les festivals où elle a été distillée depuis un an — même Hugh Jackman a succombé à son charme.

Ah, c’est sûr que Luca Guadagnino ne lésine pas sur les clichés pour fédérer dans un même élan les publics quadra-quinqua (indécrottables nostalgiques, toujours ravis qu’on leur rappelle leur adolescence) et gays (jamais contre une idylle entre deux beaux gosses, dont un façon Ruppert Everett blond) ; au point que ressortir du film sans avoir Love My Way des Psychedelic Furs gravé dans le crâne, ni le désir d’un bain de minuit en mini-short relève de l’exploit. Mais que de superficialité, que de prétextes et d’auto-contemplation satisfaite pour diluer un argument de court-métrage !

Car la romance entre Elio et Oliver se révèle assez ordinaire. Cette première amourette d’ado ne se heurte à aucune impossibilité extérieure : au contraire, la famille intello et libérale d’Elio considère avec bienveillance leur relation. Et si la séparation est vécue comme un immense dramuscule par ce petit égoïste, c’est qu’il s’agit de la seule écharde dans sa vie douillette.

Donnant parfois l’impression de vouloir contrefaire jusqu’au vertige et au moindre costume l’époque de narration, Guadagnino laisse planer un doute un peu malsain sur des marques affectant le corps d’Oliver — une allusion au sida, qui commençait alors sa terrible hécatombe ? — et se montre surtout bien plus timoré que les cinéastes d’il y a trente ans (notamment Belocchio dans Le Diable au corps) au moment de filmer les étreintes charnelles. Trop poli, Call Me By Your Name est long et morne comme une méridienne sans bain.

Et maintenant, le voici farci de mes commentaires :

D’abord, ce titre avec abréviation (pour initiés seulement !) :

CIAO BELLO
WTF ? à l’italienne : « Call Me By Your Name« 

Que peut donc signifier cette abréviation, WTF ?

WTF : abréviation de what the fuck,

équivalent argotique de what,

utilisé dans les discussions électroniques instantanées (une nuance d’exaspération, ou plus généralement d’émotion, y est ajoutée par the fuck).

WTF is this?! Putain, c’est quoi ?!

 

What The Fuck ? : une manière assez grossière d’exprimer son incrédulité, notamment sur Internet ;

en français, la vulgarité de l’expression anglaise disparaît ; et WTF signifie Mais c’est du grand n’importe quoi ! 

Dont acte !

Italie, dans la moiteur de l’été 1983. Elio traîne ses 17 ans entre son piano, ses doctes échanges avec ses parents _ universitaires _, et un flirt avec Marzia _ sa petite voisine. L’arrivée du nouveau doctorant _ américain, âgé de 24 ans _ de son père, Oliver, le met étrangement _ vraiment ? _ en émoi. D’abord distant, celui-ci se montre aussi _ un peu plus tard _ sensible à ses appâts _ si l’on peut dire : j’y suis personnellement peu sensible…

Cette roublardise de moine copiste _ de la part du réalisateur Luca Guadagnino, ainsi qualifié de madré copieur ! _, aux forts relents de Maurice, Chambre avec vue ou Mort à Venise entre autres films _ Retour à Howards end, aussi ! _ avec éphèbes torse nu _ mais Timothée Chalamet, s’il est bien très souvent, en effet, torse nu et en short, ici, a peu de choses de la plastique d’un éphèbe… _, et/ou James Ivory au générique, et/ou Italie vrombissante de cigales _ quelle gratuite ironie ! Pour ma part, je suis demeuré sourd aux prétendues cigales du film… _, a beaucoup fait parler d’elle _ = le buzz _ dans tous les festivals où elle a été distillée _ avec habileté apéritive ? _ depuis un an — même Hugh Jackman _ une référence pour l’auteur de l’article ! _ a succombé à son charme.

Ah, c’est sûr que Luca Guadagnino ne lésine pas sur les clichés _ mais parler et penser procède, et très nécessairement d’abord, chez l’in-fans, de la langue commune, et donc de ses clichés reçus et partagés ! La tâche noble de la parole effective (cf Noam Chomsky, par exemple en ses Réflexions sur le langage) est de s’extraire, en ses phrases inventées, de ces usages d’abord, en effet, stéréotypés, et d’apprendre peu à peu à parler (et penser) de façon si possible un peu plus plus originale (et critique, et même, et surtout, auto-critique !!!) que par ces stéréotypes et clichés, et peut-être enfin, in fine (mais le processus est infini…) par soi-même ; sur les conditions très concrètes de la liberté de penser (et contre la censure), cf l’indispensable et très beau Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? du grand Emmanuel Kant  : « Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? « , nous apprend, en effet, Kant… _ pour fédérer dans un même élan les publics quadra-quinqua (indécrottables nostalgiques, toujours ravis _ c’est à voir ! _  qu’on leur rappelle leur adolescence _ sauf que Luca Guadagnino a précisément choisi d’éliminer le principe de la voix-off, trop porté sur la nostalgie du passé, à ses yeux, et pas assez présent au présent (du présent présentisme !) ; le principe de cette voix-off qui se souvient, était en effet celui qui avait été choisi en son adaptation première par James Ivory, fidèle en cela à la démarche même du Je me souviens d’André Aciman en son roman ; d’où le clash survenu entre Luca Guadagnino et James Ivory en mai 2016 ; James Ivory dont le nom n’est demeuré au générique du film que dans la perspective (couronnée de succès !) d’une récompense pour le film aux Oscars, qui n’avaient pas su jusqu’ici honorer le nom de James Ivory, maintenant âgé de 90 ans… _) et gays (jamais contre une idylle entre deux beaux gosses _ ah ! cette affreuse expression-cliché ! _, dont un façon Ruppert Everett blond _ Armie Hammer, en l’occurrence : quelle négation de son pourtant très remarquable talent d’acteur ! à comparer, en l’élégante retenue de son incarnation du personnage complexe d’Oliver, avec l’extraversion californienne (!) de ses interviews _) ; au point que ressortir du film sans avoir Love My Way des Psychedelic Furs gravé dans le crâne _ à la première vision du film, ce serait tout de même un exploit ! la scène (impressionnante certes !!! cf mes articles des 10 et 13 mars, dans lesquels j’ai, par deux fois, intégré cette magnifique séquence de danse d’Oliver : «  et « ) dure en effet à peine 44′ … _, ni le désir d’un bain de minuit en mini-short _ à ce point ??? Quel extraordinaire impact a donc ce film ici vilipendé, sur un spectateur aussi mécontent et ronchon que l’auteur de cet article ! _, relève de l’exploit _ mais  c’est là rendre un bien bel hommage à l’hyper-efficacité professionnelle de la « roublardise«  du réalisateur et des producteurs de ce film. Mais que de superficialitécependant le très fort impact du film sur ses spectateurs, de même que celui du profondément émouvant troublant jeu des acteurs, ainsi que celui du fini du travail de tous ceux qui (chef opérateur en tête !) ont participé à la réalisation, à la suite de Luca Guadagnino, le maître d’œuvre final de Crema, contredit fortement cette ronchonneuse opinion !!! _, que de prétextes _ à quoi donc ? à de traîtresses manipulations de la sensibilité des spectateurs du film ? _ et d’auto-contemplation satisfaite _ satisfaite de quoi ? des complaisances pulsionnelles homoérotiques des réalisateur-producteurs ? _, pour diluer un argument _ mince et pauvre : mais artistiquement importe seul ce qui en résulte : le produit achevé !.. _ de court-métrage !

Car la romance _ pour qualifier les épanchements d’un premier amour, à 17 ans… _ entre Elio et Oliver, se révèle assez ordinaire _ et alors ? quid de la « romance«  de Tristan et Yseult ? de la « romance«  de Roméo et Juliette ? ou de la « romance«  de Pelléas et Mélisande ? Et cela, en leurs diverses et multiples reprises et ré-interprétations… C’est, in fine, seul le style propre de l’œuvre qui importe ! Cette première amourette d’ado _ quel mépris ! _ ne se heurte à aucune impossibilité extérieure _ et alors ? En matière d’« impossibilités« , il en est d’aussi puissantes intériorisées ; telle, ici, et à un certain degré, l’impossibilité d’Oliver de prolonger sa liaison d’un été italien avec Elio, par la persistance de son choix d’épouser la femme à lui promise, avec la pression de ses parents, aux Etats-Unis… _ : au contraire, la famille intello et libérale d’Elio considère avec bienveillance _ mais sans en rien manifester _ leur relation. Et si la séparation est vécue comme un immense dramuscule _ quel oxymore ! le film est (et se veut) l’expression du vécu de l’adolescent : qui peut, de l’extérieur et en surplomb, s’en moquer ?.. _ par ce petit égoïste _ là, c’est carrément injuste ! En dépit de l’égocentrislme normal de tout adolescent (voire de quiconque, du moins au départ de tout vécu), Elio demeure extrêmement attentif à (et très curieux de) l’altérité des autres ; cf par exemple sa belle réponse à la belle réaction de sa petite amie Marzia quand elle comprend que c’est bien Oliver que désire surtout (et aime vraiment) Elio, et pas elle… _, c’est qu’il s’agit de la seule écharde _ superficielle !!! _ dans sa vie douillette _ d’enfant de bobos privilégiés ; mais une blessure d’amour est-elle jamais superficielle, risible, méprisable ?.. De quelle indifférente et froide hauteur se permettre d’en juger ainsi ?..

Donnant parfois l’impression de vouloir contrefaire _ pourquoi injurier la simple probité de la réalisation ? _ jusqu’au vertige et au moindre costume _ et alors ?.. La fidélité de la reconstitution des décors, des costumes, du climat musical de 1983, tout cela participe, au delà de sa parfaite simple probité artistique (et d’abord artisanale), du puissant charme du film… _ l’époque de narration, Guadagnino laisse planer un doute _ vraiment ? _ un peu malsain sur des marques affectant le corps d’Oliver — une allusion au sida, qui commençait alors _ à vérifier plus précisément: quand se répandit vraiment la prise de conscience du phénomène du sida ?.. Dès 1983 ? _ sa terrible hécatombe ? — et se montre surtout bien plus timoré _ ah ! telle était donc l’attente principale de ce critique, et la probable raison principale de ses ronchonneries… _ que les cinéastes d’il y a trente ans (notamment Bellocchio dans Le Diable au corps) au moment de filmer les étreintes charnelles _ mais tel n’est pas l’objectif de notre film ; la fougue des désirs n’a pas du tout besoin de surlignages surchargés, telle l’image de la fellation dans le film provocateur (et chercheur de scandale) de Marco Bellochio en 1986. Trop poli _ pour être honnête ? mais non ! _, Call Me By Your Name est long et morne _ Non ! Certes pas ! _ comme une méridienne sans bain _ seulement pour un ronchon bien décidé à s’y ennuyer ; et plus encore à chercher à se faire mousser si peu que ce soit en  déversant ainsi un peu trop à bon compte de l’encre de sa bile sur le film…

Ce mercredi 14 mars 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pour poursuivre le questionnement sur ce qu’est ou n’est pas la virilité…

19fév

Ce jour, un intéressant article dans Sud-Ouest _ publié le 19/02/2018 à 15h 33, et mis à jour à 15h 47 par Haude Rivoal, Doctorante en sociologie, Université Paris VIII, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) _ qui aide un peu à poursuivre le questionnement sur ce qu’est ou n’est pas la virilité :

Assistons-nous vraiment au déclin du mythe de la virilité ? 

Le voici : 

Dans une société obsédée par la performance, l’usage de la virilité ne cesse de se réinventer et de se transformer pour favoriser la légitimation d’une masculinité hégémonique aux formes renouvelées.

The Conversation

Fin 2017, la philosophe Olivia Gazalé s’intéressait au mythe de la virilité dans un livre Le Mythe de la virilité : un piège pour les deux sexes paru chez Robert Laffont. Elle y retrace de manière précise et détaillée les constructions sociales et culturelles liées aux injonctions qui pèsent sur les hommes, comme les historiens Alain Corbin, Jean‑Jacques Courtine et Georges Vigarelo s’y étaient intéressés en 2013 à travers les trois tomes de l’Histoire de la virilité. L’originalité du propos de la philosophe est de montrer que les hommes auraient tout à perdre de la domination masculine et tout à gagner de la déconstruction des assignations sexuées qui pèsent sur eux (comme sur les femmes).

Si on peut se réjouir que paraisse cette stimulante réflexion sur le sujet, on sera plus circonspect sur la conclusion de la philosophe quant au déclin d’un « système viriarcal » qui serait pris à son propre piège. Si la virilité comme modèle normatif nourrit certes un certain malaise et certaines interrogations, on peut aussi penser que dans une société obsédée par la performance, l’usage de la virilité ne cesse de se réinventer et de se transformer pour favoriser la légitimation d’une masculinité hégémonique sous des formes renouvelées.

La virilité, entre fascination et répulsion

Partons d’une définition simple : la virilité est un idéal. Un idéal de perfection, de performance et de courage qui passe autant par des démonstrations corporelles que par des démonstrations verbales d’autorité et de pouvoir. La virilité est porteuse d’un imaginaire qui fascine par sa manière de pousser aux limites certaines qualités attendues d’un homme. Le cinéma et la littérature regorgent de l’exploitation de ces mythes virils (Indiana Jones, Rocky, Terminator), mais aussi de leur caricature, nous rappelant que les figures les plus viriles ne sont pas nécessairement les plus désirables.

En 2006, Riad Sattouf crée le désormais célèbre Pascal Brutal, « l’homme le plus viril du monde ». Le monde dans lequel vit ce héros est un univers imaginaire où Alain Madelin est président de la République, où le centre de Paris est interdit d’accès aux pauvres et où la Bretagne est indépendante.

À travers les cinq tomes de la série, on découvre un personnage sans cesse poussé par ses pulsions. Adidas Torsion 1992 visés aux pieds, gourmette en argent clinquante au poignet et petit bouc parfaitement taillé, Pascal Brutal est un fervent adepte de la baston et de la moto à grande vitesse. La musculation qu’il pratique assidûment lui offre un physique avantageux qui lui permet d’aligner les conquêtes féminines (et masculines). Pascal Brutal est particulièrement à l’aise dans un environnement populaire duquel il est issu (il est le fruit d’une union entre une ancienne teufeuse et un punk à chien) autant que dans les sphères dirigeantes à qui il arrive de prêter main-forte. Même s’il ne possède pas le QI d’un astronaute, Pascal Brutal sait s’imposer. Rien n’y personne ne lui résiste. « La virilité, c’est mon métier » déclare-t-il. Mais derrière les facéties surréalistes du héros, Riad Sattouf dessine l’époque d’un trait à la fois provocateur et malin, démontrant avec brio par l’absurde, démolissant par le ridicule et la démesure les codes sociaux d’une société ultra-libérale où seuls les plus forts s’imposent, un monde dans lequel l’intelligence ne paie plus et où l’image prime sur les idées.

Si la caricature fonctionne ici si bien, c’est que les formes de virilisme incarnées par le héros ne correspondent plus à ce qui est attendu d’un comportement masculin dans le fonctionnement actuel de la société. La représentation culturelle et médiatique d’une virilité excessive sert souvent (et malheureusement de manière beaucoup plus sérieuse) la stigmatisation des classes populaires (les jeunes de banlieue, les rappeurs ou encore certains groupes ouvriers comme les dockers décrits par Michel Pigenet dans son ouvrage Le Syndicalisme docker depuis 1945), tandis qu’au sein des classes supérieures, cette représentation prend généralement la forme d’une fascination teintée d’inquiétude (en particulier dans certaines professions comme chez les traders ou encore chez les leaders politiques). Donald Trump représente de manière exemplaire cette figure d’une masculinité ostentatoire, entre hétérosexualité conquérante et excès de violence.

Le fait que les propos et les actes de l’actuel président des États-Unis apparaissent à ce point en décalage avec l’époque témoigne d’un fonctionnement que l’on pensait dépassé. Les soupçons récurrents sur la santé mentale de Donald Trump témoignent bien du fait que cette virilité est jugée comme extra-ordinaire et donc dangereuse, précisément parce qu’elle semble ne pas pouvoir être maîtrisée. À l’inverse, certains leaders politiques n’hésitent pas à revendiquer une masculinité plus « inclusive », compatible avec une exigence d’égalité entre les hommes et les femmes, la défense du droit des homosexuels, l’expression des émotions, etc.

On pense aux larmes de Justin Trudeau lors de son discours d’excuse envers la communauté homosexuelle ou encore à l’attention portée aux droits des femmes par Barack Obama, à contre-courant de la masculinité des angry white men décrit par le sociologue Michael Kimmel, qui ont conduit aux portes de la Maison Blanche un président à leur image. _ cf le livre Trump, la revanche de l’homme blanc, de Marie-Cécile Naves.

Dans ce sens, il ne faut pas sous-estimer la résistance des groupes conservateurs menacés par cette « dévirilisation » de la société et/ou le regret qu’expriment certains (ou certaines) d’une disparition de la figure virile comme Emmanuel Macron a pu en faire l’objet durant la campagne présidentielle (soupçon quant à sa capacité à diriger l’armée faute de service militaire réalisé ou rumeurs relatives à son orientation sexuelle). Pour autant, l’élection de l’actuel Président français ne doit pas nous leurrer et cette apparente « neutralisation » ne signifie pas qu’hommes et femmes occupent des places égales, ni que la virilité ait perdu de sa valeur symbolique dans les coulisses du pouvoir.

« Les habits neuf de la domination masculine »

Quand bien même la masculinité hégémonique se serait elle débarrassée de ses oripeaux les plus visibles, l’obsession pour la preuve virile n’a pas disparue. Dans une société « féminisée » où la virilité, tenue pour suspecte, aurait disparu et empêcherait les hommes d’« oser l’autorité », l’injonction du magazine Nouveau Management nous donne les clés pour être « un chef assumé », un vrai : « fermeté, écoute et empathie ».`

Comme l’analyse Serge Rabier en s’intéressant à la figure d’Emmanuel Macron, son leadership tiendrait dans son « audace stratégique, un sens aigu des opportunités, un courage affirmé dans la prise de risque, une ardeur et une ténacité sans failles, une croyance insolente en son destin, une combinaison entre la fougue de jeunesse et une maturité sage… toutes qualités mobilisées vers un seul objectif : la conquête et la pratique volontaire du pouvoir ».

À des formes plus traditionnelles de commandement succède donc l’autorité conquise dans l’aptitude à se contrôler, à surmonter les épreuves, à faire preuve de tempérance et d’endurance, à être maître de soi-même et de son destin. Comme le souligne le sociologue Alain Ehrenberg _ dans La Fatigue d’être soi _ , les individus évoluant dans une société « où la norme n’est plus fondée sur la culpabilité et la discipline mais sur la responsabilité et l’initiative individuelle » autrement dit, dans une société où chacun est amené à devenir entrepreneur de soi, assurer son leadership ne passe plus par les voies traditionnelle de la virilité – le corps masculin dont elle a été si souvent l’emblème – mais par un usage toujours plus fin de l’autorité et du pouvoir, dans un savant mélange de savoir-faire et de savoir-être.

C’est notamment un des résultats de la passionnante enquête Alpha mâle de l’anthropologue Mélanie Gourarier sur la communauté des séducteurs de rue où l’on comprend que l’idéal viril qui gouverne les hommes ne se définit pas seulement dans la démonstration de sa puissance que par la hantise de l’impuissance. Dans cette virilité « en creux », « l’idée est de se gouverner soi-même pour mieux gouverner les autres » précise-t-elle.

C’est donc dans une forme plus individuelle de disqualification du féminin et d’autres formes de masculinités (des masculinités jugées trop viriles ou trop efféminées) que la masculinité hégémonique se renouvelle. Dans les positions socialement valorisées (chez les cadres par exemple), cette masculinité se construit en effet par le biais d’une désolidarisation de groupes masculins dont les pratiques virilistes apparaissent comme démodées. En 1993, le sociologue François de Singly soulignait déjà dans un article Les Habits neufs de la domination masculine paru dans la revue Esprit que l’apparente « neutralisation » de la société s’était « opérée sur le dos des milieux populaires » dont la masculinité est régulièrement dévaluée et stigmatisée.

Dans ce sens, on peut penser qu’aujourd’hui, ce ne sont pas les injonctions qui pèsent sur ces « leaders » qui diffèrent (quête d’excellence et de performance) mais la manière dont les hommes se distinguent au sein de cette compétition. En effet, on en attend pas moins des hommes dans l’exercice du pouvoir, on en attend différemment. La référence identitaire à la virilité dans l’accession au pouvoir n’a donc pas disparu, elle s’est modifiée. Aussi ne faut-il pas se réjouir trop vite des transformations du masculin mais s’intéresser aux conditions dans lesquelles les hommes (et les femmes) répondent aux injonctions sexuées et sociales. Si la figure du pouvoir change de forme en s’incarnant dans une masculinité plus « inclusive », elle n’implique pas nécessairement plus d’égalité. Ainsi, plutôt que de se focaliser sur les pratiques virilistes dont les médias sont si friands, on aurait tout intérêt à détourner le regard vers les nouvelles formes de domination, plus pernicieuses à détecter.


A méditer !



Ce lundi 19 février 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

La très touchante magie poétique des expos « A boire et à manger » et « A table ! » à la galerie Arrêt sur l’Image de Nathalie Lamire-Fabre à Bordeaux

09fév

Le jeudi 11 janvier 2018 dernier,

eut lieu à la passionnante galerie Arrêt sur l’Image, que dirige, 45 Cours du Médoc, à Bordeaux, Nathalie Lamire-Fabre,

le vernissage de la double _ très poétique _ exposition suivante, qui se tiendra du 11 janvier au 24 février 2018 :

A BOIRE ET A MANGER

&

A TABLE !


Photographies de Bernard Plossu

&

Photographies trouvées _ mais oui ; et rassemblées par cette phénoménale collectionneuse qu’est, à Liège, Véronique Marit _ de la collection Véronique Marit


Depuis plus de quarante ans,

Bernard Plossu parcourt le monde, son 50mm _ quasi en permanence _ en bandoulière,

et partage ses images _ infiniment _ poétiques dans des dizaines _ le chiffre est encore faible _ de livres _ plus _fascinants _ les uns que les autres ; et de formats et épaisseurs très divers ; et quelques uns en couleur (Couleur Fresson)…

Cette fois-ci,

avec cette exposition A boire et à manger,

il dévoile un aspect plus inattendu de sa personnalité, mais qui est aussi un des grands plaisirs du voyage, celui de la découverte d’une autre culture _ c’est en effet surtout cela qui l’intéresse, et à l’infini ; davantage que la gourmandise culinaire proprement dite : Bernard est en effet un sobre, plutôt frugal _ à travers sa cuisine.

Son amie de toujours Claude Deloffre, auteur de  livres de cuisine et de voyages, l’accompagne dans ce livre de partages _ voilà ! _ qu’elle  parsème de recettes inattendues.

A table ! dévoile une nouvelle sélection de photographies de l’impressionnante _ en effet ! _ collection privée _ à Liège _ de Véronique Marit.

« C’est tout le _ XXéme _ siècle qui défile _ en effet _ d’image en image _ magnifiquement repérées et choisies par ce regard affuté et superbement exigeant (et lui-même ultra-gourmand !!! ) de la collectionneuse _, de mutation en mutation, la vie change de fond en comble, mais ce qui reste immuable _ voilà qui demanderait probablement un peu plus de circonspection, aujourd’hui ; et c’est bien là-dessus que, justement, Nicolas Magie s’interroge… _, c’est l’appétit » _ des Français, quand ils sont vraiment à table _,

 écrit Paul Fournel, en un extrait de l’Avant-propos au livre.

Les photographies tirées de deux ouvrages – A BOIRE ET A MANGERA TABLE ! – s’inscrivant dans la _ passionnante ! _ collection LES CARNETS,

une collection – mise au point _ c’est à noter ! _ avec Bernard Plossu lui-même – qui se propose de revisiter _ avec la plus grande attention _ les archives d’un photographe ou d’un collectionneur

et d’en extraire des séries thématiques : voilà ! _ aux EDITIONS YELLOW NOW _ dirigées, à Liège, par l’excellent Guy Jungblut.

Et hier, jeudi 8 février,

le chef _ du fameux Saint-James, à BouliacNicolas Magie,

et moi-même, philosophe (et ami de Bernard Plossu), Francis Lippa,

avons été conviés par l’hôtesse magnifique de ce lieu d’art si vivant _ et très ouvert _ à Bordeaux, Nathalie Lamire-Fabre,

à venir présenter ces deux très belles expositions de photographies

à la caméra de FR3 Aquitaine,

en répondant aux très pertinentes questions de Candice Olivari.


En voici donc, ici, le résultat filmé

tel qu’il a été monté et présenté ce vendredi à 13 heures par FR3 Aquitaine

en cette un peu évocatrice séquence de presque deux minutes

_ qui demeure, après montage, du très long moment passé à nous filmer en train de regarder vraiment les photos, et dire quelques mots de nos impressions, sur le champ.


Notre visite attentive _ avec la loupe quand besoin était _ de ces deux expositions _ de photos parfois de très petit format : en particulier pour les photos anciennes réunies par Véronique Marit ! _ a  été _ vraiment _ passionnante,

le regard expert, infiniment sensible et extrêmement précis _ et merveilleusement sympathique, je dois y insister… _ de Nicolas Magie étant particulièrement bienvenu,

en soulignant la dimension conviviale (et souriante, ravie, heuresse) de tout repas _ y compris ceux pris au restaurant ! face aux plaisirs attendus, par les convives rassemblés autour de la nappe, de la gourmandise à venir…

La nappe blanche : une zone ultra-sensible et envoutante de convivialité festive…

Cela s’avérant aussi _ et même alors sans nappe blanche réunissante ! _

dans les photos prises bien loin de la France, ou de son cher bassin méditerranéen, par Bernard Plossu,

jusque dans le sauvage grand Ouest américain

_ la thématique n’étant plus alors celle d’« A table !« ,

mais, un peu plus largement, et en une dynamique tout aussi électrisante d’appétits, « A boire et à manger« .

La curiosité amène le spectateur de l’exposition,

mis en situation de dialogue serein avec l’image,

à s’interroger un peu plus avant _ que ce qu’offre la seule surface immédiatement apparente de cette image _,

d’abord sur le moment et sur le lieu où fut prise la photo ;

mais aussi, et par un rappel improvisé _ là immédiatement, à la seconde et sur le champ _ de sa propre expérience, à creuser, pour comparaison, un peu plus loin, sa propre imageance…

_ j’emprunte ce concept d’imageance à mon amie (LA philosophe de l’image !) Marie-José Mondzain ;

cf la vidéo de mon entretien avec elle le 7 novembre ternier au Théâtre du Port-de-la Lune.

Bernard Plossu, quant à lui, répugne,

et cela, tant sur la page du livre que sur la cimaise du lieu d’exposition,

à légender ses photos

_ il faudra donc, tant au lecteur qu’au spectateur de l’expo, se reporter aux notes de fin du livre et au catalogue de l’exposition, quand ce dernier existe, pour satisfaire sa curiosité spatio-temporelle quant à l’origine circonstancielle (anecdotique ?) de la prise de la photo _,

de façon à amener le regard ici et maintenant du spectateur

à se concentrer exclusivement sur ce que vient lui offrir, hic et nunc,

par ce seul face à face _ exclusif de tout ce qui pourrait en détourner matériellement _ avec l’image présentée :

la photo,

en sa singularité spatiale mais aussi temporelle, poétique, tout spécialement

_ en la quotidienneté même, voire surtout ! de la situation ainsi saisie par le regard et le geste du photographe, en sa plénitude et richesse profuse de significations,

et non en quelque événement tant soit peu exceptionnel, extraordinaire, ou seulement pittoresque… :

là réside la différence que j’ai soulignée en mon commentaire bricolé audible au film, entre l’idiosyncrasie de Bernard Plossu, et le classique et presque trop connu « instant décisif«  d’Henri Cartier Bresson… _,

et à trouver en lui-même (c’est-à-dire en sa propre imageance _ suscitée et mise en mouvement par l’émotion _ de regardeur)

avec quoi faire dialoguer celle-ci,

de manière on ne peut plus ouverte _ amusée, ludique, joyeuse : en un minimum d’empathie et sympathie… _,

au lieu de se disperser et engluer _ et se perdre _ dans la lecture _ pré-mâchée, et stéréotypée _ des cartouches,

et se raccrocher trop facilement et paresseusement à quelque cliché concernant le lieu ou le moment

ainsi trop vite _ par pur réflexe courant les rues _ identifiés…

L’imageance sollicitée et gentiment provoquée, par l’éblouissement attendri ou amusé de l’image

devant elle-même, et à son tour, poétiquement vagabonder et danser, flotter, se déplacer par ses propres ressources :

au singulier de sa singularité ….

Bref, il s’agit pour le photographe

donnant à regarder ainsi ses photos

d’engager

qui croise ses images

à un dialogue ludique et poétique d’émotions et d’imageances,

entre sa propre imageance de photographe à l’instant de la saisie de cette vue-ci,

et l’imageance ouverte _ elle-même, à son tour, ludique et poétique _, du regardeur, ici et maintenant.

Soit un échange généreux d’instants d’éternité

empruntés à ce que vient offrir la trame même du temps

de nos vies respectives.


Ce vendredi 9 février 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pour prolonger l’aperçu sur l’œuvre _ immense _ du grand Bernard Plossu,

se reporter encore à mes précédents articles de fond _ et avec images _ sur ce blog,

celui du 27 janvier 2010 : L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre « Plossu Cinéma » » 

et celui du 16 février 2014 : « la justesse ludique d’un photographe « à l’air libre » : Bernard Plossu en deux entretiens, « L’Abstraction invisible », avec Christophe Berthoud ; et la conversation avec Francis Lippa, dans les salons Albert-Mollat, le 31 janvier 2014

ainsi qu’au podcast de mon très riche et détaillé entretien du 31 janvier 2014 avec Bernard Plossu dans les salons Albert-Mollat,

à l’occasion de la présentation de son très éclairant _ sur tout son parcours de photographe depuis sa jeunesse _ livre d’entretiens avec Christophe Berthoud, L’Abstraction invisible.

Régine Robin, formidable exploratrice des méga-villes en mouvement : le cas-malaise de Paris

26mar

Régine Robin, merveilleuse marcheuse des très grandes villes,

après son magnifique Berlin Chantiers _ Essai sur les passés fragiles, en 2001,

et après son grandiose Mégapolis _ les derniers pas du flâneur, en 2009  _ cf notre article du 16 février 2009 : Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin _,

nous livre aujourd’hui un passionnant Mal de Paris :

tous trois aux Éditions Stock, et dans la superbe collection Un ordre d’idées, de Nicole Lapierre.

En l’entretien chaleureux  _ le podcast dure 50′ _ que Francis Lippa a eu avec Régine Robin au 91 de la rue Porte-Dijeaux sur ce Mal de Paris, le 10 mars dernier,

la conversation alerte met l’accent sur le corsetage _ un peu trop asphyxiant _ de l’imaginaire parisien dominant,

à la fois dans un temps (celui du Paris haussmannien du XIXe siècle) et un espace (celui du Paris maintenu à l’intérieur du cercle difficilement franchissable du Périphérique !) tous deux un peu trop confinés,

et faisant triompher les clichés

tant des nouveaux habitants (ceux de la gentrification de la capitale, et, maintenant aussi, de sa proche banlieue ! Paris a beaucoup chassé en banlieue les Parisiens les moins fortunés…),

que des touristes internationaux qui viennent y passer (et y consommer) quelques heures, au cours de leurs circuits.

L’anecdote, lors de l’entretien, des musiciens de rue roms payés à enchaîner sempiternellement, à tel coin de rue, la scie du _ pourtant merveilleux _ Padam, padam d’Edith Piaf, afin de renforcer le grain de la _ fausse, devenue frelatée _ couleur locale _ type Amélie Poulain, ou Midnight in Paris _du quartier, où ces malheureux sont contraints d’officier sans relâche afin de gagner (un peu) ainsi leur vie… Décidément la scie en boucle a de beaux jours devant elle…

L’île _ Fluctuat nec mergitur… _ ainsi repliée sur elle-même ainsi que sur un déjà lointain passé mythifié, apparente par là même ce Paris corseté _ tant imaginairement (dans les désirs de ceux qui viennent le goûter) que physiquement ! par la muraille un peu trop étanche du Périphérique… _ à la Venise formatée et se vidant de ses Vénitiens _ ils ne sont désormais plus que 60 000 à y résider à l’année, face aux dizaines de milliers de touristes qui viennent chaque jour se repaître ad nauseam de leurs clichés figés ! _ que la lucidité de Régis Debray mettait si justement en lumière dans son bien vif Contre Venise… C’est la muséification-touristification mortifère de Venise que dénonçait là cet amoureux vrai de Venise.

Sur ce phénomène,

cf ma série d’articles sur Arpenter Venise, à partir du 26 août 2012 : Ré-arpenter Venise : le défi du labyrinthe (involutif) infini de la belle cité lagunaire

C’est à dessein que je mets l’accent davantage sur l’aspect « malaise » que sur celui de l’affection teintée de nostalgie _ mais pas seulement : Régine Robin, en demi-américaine qu’elle est (montréalaise) adore surtout ce qui remue, bouge et change _ du mot « Mal » dans l’expression « le mal de Paris« , en employant l’expression « le cas-malaise de Paris » dans le titre de cet article…

Car dans l’ambiguïté voulue de ce titre choisi en commun par l’auteure et son éditeur pour ce livre, Le Mal de Paris,

je perçois tout ce qu’a de regret cette nord-américaine (de Montréal, en effet, où elle vit l’été ; alors qu’elle choisit de vivre l’hiver à Paris, et en Europe : depuis son appartement du XIVe arrondissement, rue du commandant René Mouchotte _ mais Régine Robin est aussi une grande amoureuse de New-York et de Buenos-Aires !),

de ce que Paris _ son Paris de vraie parisienne : elle est née à Ménilmontant-Bellevillene connaît pas assez _ trop corseté que Paris se trouve et se laisse entrainer en son imaginaire… _ la mobilité juvénile joyeuse des mégapoles s’assumant fièrement _ et quasi innocemment _ comme telles,

comme le font New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos-Aires, mais aussi Londres ou Berlin.

C’est ce courage _ américain en quelque sorte _ que Régine Robin rêve de voir Paris oser assumer enfin,

plutôt que de se laisser enliser dans la fossilisation _ muséification _ des seules _ trop petites, provinciales… _ gentrification et touristification : par d’autres…

Régine Robin continue d’être une vraie parisienne, en les divers quartiers où elle a vécu,

mais aussi envisage toujours de vivre…

Voilà un entretien bien vivant

et un livre plus encore,

en même temps que très riche de la perspicacité chantante de ses aperçus empathiques (à la fois excellemment informés _ admiration ! _ autant qu’infiniment poétiques _ dans ses promenades gourmandes et boulimiques, comme dans ses lectures d’une merveilleuse ouverture et variété, toujours, les unes comme les autres, jubilatoirement exploratrices autant qu’aventureuses, parmi le lacis de l’énorme maquis urbain en permanente expansion continue, malgré le corsetage… _) sur la vie vraie de Paris, en son vivant renouvellement, et des Parisiens qui savent y vivre au quotidien et au présent…


Le défi qui se pose à Paris _ comme, aussi, à d’autres villes, dont Bordeaux… _

est de savoir se donner vraiment,

par une imageance un peu plus féconde que la seule imagination (carrée et très étroitement formatée) des gestionnaires qui ne savent faire leur priorité que de la comptabilité à profit résolument quantitatif des tiroirs-caisses… _ cf L’Institution imaginaire de la société, de Cornelius Castoriadis _,

un présent et un avenir beaucoup plus ouverts et bien plus vivants (et mélangés)…

Titus Curiosus, ce 26 mars 2014

L’apprentissage (à corps défendant) de l' »art d’aimer » à l’ère de l’injonction sexuelle et du couple : l’éclairage parfait du film d’Emmanuel Mouret

18avr

Le nouvel opus cinématographique d’Emmanuel Mouret, L’Art d’aimer _ paru ce mois d’avril en DVD _ est un régal _ infini ! la multiplication des visionnages du DVD ne faisant que l’amplifier-intensifier ! _ de justesse quant à la lucidité hyper-fine et délicate sur nos mœurs affectives (et sexuelles), à partir d’un regard de comédie _ celui (de cinéaste) d’Emmanuel Mouret : quelque part entre François Truffaut et Woody Allen, ou Marivaux et Feydeau, ou Musset et Pagnol… _ infiniment délicat sur un échantillon (assez varié) de bobos des beaux quartiers parisiens, et sur une palette suffisamment large d’âges _ allant des jeunes gens sincères (ou innocents) et libres, le très beau jeune couple Vanessa et William (qu’interprètent les radieux sur l’écran Élodie Navarre et Gaspard Ulliel) aux quadra-quinquagénaires au tournant de la ménopause et du démon de midi, le couple d’Emmanuelle, c’est elle qui est en crise, et de Paul, c’est lui qui sait rattraper la tentation des dérapages pulsionnels de sa compagne (qu’interprètent très finement aussi Ariane Ascaride et Philippe Magnan) _, idéalement interprétés par la crème des meilleurs acteurs français du moment, avec, en tête, les stupéfiants de vérité (!!!) Laurent Stocker (« de la Comédie-Française« …) et Julie Depardieu ; et c’est autour de la rencontre à rebondissements _ et dans de répétitifs tragi-comiques « noirs » _ de leurs deux personnages de célibataires contrits et tout à fait honnêtes, l’un et l’autre, Boris et Isabelle, qu’est construit l’écheveau de l’intrigue _ sans la moindre graisse, ni temps-mort : le montage est cette fois encore d’une habileté et élégance diaboliques ! _ du scénario.

Avec en contrepoint malicieux, le comique à épisodes _ les séquences 2, 4, 6 et 8 ont pour panneaux : 2 : « Le désir est inconstant comme les herbes dans le vent » ; 4 : « Patience«  ; 6 : « Patience, patience » ; et 8 : « Patience, mais pas trop«  _

de la difficultueuse conjonction sexuelle (voire sentimentale _ cf l’ultime parole naïvissime de la délicieuse voisine, dans la librairie de Boris, Passage Verdeau ; il ne faut pas la manquer, dans sa brièveté : « Je cherche un livre sur la complexité des sentiments ») en instance d’advenir (ou pas !) d’Achille _ « à ce moment célibataire« , dit-il… et de son un peu compliquée mais tout à fait adorable voisine _ nous ne connaîtrons pas son prénom _, qu’interprètent à la perfection l’élégant (et un peu décontenancé pour ce qui est de son personnage, Achille, mais il y a de quoi…) François Cluzet _ ici en un rôle à la Cary Grant _ et la toujours plus-que-parfaite _ en le comique de sa totale imprévisibilité ; et elle est, et à chaque fois, absolument épatante ! d’un Mouret à l’autre… _ Frédérique Bel…

L’intrigue de ce qui deviendra _ en l’ultime séquence, la numéro 9 : précédée du panneau : « Souvent les yeux nous mènent vers l’amour, parfois ils nous trompent »… : le concept d’art (d’aimer) devenant ici fort problématique…la rencontre _ elle-même à rebondissements avec « noirs » répétitifs, la série des uns (à l’hôtel), étant on ne peut plus volontaire, mais le tout dernier (chez Zoé et Jérémie), une panne d’électricité, pas… _ de ces deux célibataires (en attente-souffrance d’amour, mais parfaitement honnêtes !) que sont Isabelle et Boris

est précédée d’une sorte d’avant-séquence

_ appelons-la la séquence 0 : elle est annoncée par le panneau « Il n’y a pas d’amour sans musique«  _

sur un compositeur, Laurent _ qu’interprète le lumineusement beau, mais bientôt, et très vite, mélancolique, Stanislas Mehrar : un peu trop rare à l’écran… _, qui « rêvait d’entendre un jour » cette sorte de « musique particulière« qui « se produit » « au moment où l’on devient amoureux » (alors que, lui, Laurent, va mourir prématurément) :

« Il attendait cela _ nous révèle une voix-off, celle de Philippe Torreton, qui commentera tout le long de l’intrigue les péripéties (ainsi que l’enchaînement elliptique) des découvertes-explorations (et déconvenues, aussi, parfois) de l’amour des divers protagonistes, entre (et parmi) lez zébrures des divers désirs-pulsions… _ avec une grande impatience. Il n’avait jusqu’alors entendu que des bribes : deux-trois notes avec Annabel, et à peine plus avec Elisabeth. Son obsession _ car cela allait jusque là ! pour l’artiste créateur, il est vrai, qu’il était… _ était telle qu’il essayait d’imaginer _ mais pas complètement à partir de rien, cependant… _ cette musique lorsqu’il composait. Chose étrange, ceux qui écoutaient ses œuvres, étaient heureux de reconnaître en elles quelque chose qu’ils avaient connu _ une grâce qui s’imposait ? et qu’il fallait reconnaître ? et remercier ? _ lorsqu’ils étaient tombés amoureux, mais que lui n’avait toujours pas _ frontalement et assez clairement _ connu. Elles étaient nombreuses à se succéder dans ses bras. Et de toutes ses forces à chaque fois il désirait _ en vain : la grâce ne se convoque pas ! _ les aimer. Il espérait ; mais rien… Jamais la moindre mélodie _ un peu substantielle _ ne se fit entendre. Jamais il ne sut de qui son cœur avait été amoureux« … _ comme si le travail de création artistique parvenait un peu parfois à donner quelque apparence de forme à ce qui sinon demeurera flou et vague, et même inaperçu, et non vraiment ressenti : ou les aventures de l’aisthesis (par-dessus l’esthésique !) dans les Arts… D’où le demande, plus tard, de Boris, de « recommencer«  afin de tenter de dissiper un peu le « flou«  qu’impose le choc de l’excès de « nouveauté de la situation« 

La première séquence

_ appelons-la la séquence 1 ; elle est annoncée par ce panneau : « Il ne faut pas refuser ce que l’on nous offre«  ; nous découvrirons qu’elle se combinera, in fine, avec une séquence ultérieure, la séquence 3, avec Amélie et son ami Boris (ainsi que le mari d’Amélie, Ludovic ; le titre du panneau introducteur en sera : « Il est difficile de donner comme on le voudrait« …) ; pour aboutir, les principaux protagonistes de la 1 (Isabelle, Zoé, Jérémie) et de la 3 (Boris, Amélie, Ludovic) se réunissant,

pour aboutir, donc, au climax de la séquence finale (et la plus longue du film : 24 minutes, sur un total de 80), la séquence 9, précédée, quant à elle, du panneau : « Souvent les yeux nous mènent vers l’amour, parfois ils nous trompent« …  _

la première séquence, donc,

débute sur le déroulé d’un rêve _ qui se révélera en quelque sorte comme prémonitoire _ d’Isabelle (interprétée, donc, par la magnifique de justesse, toute en délicatesse d’innocence, Julie Depardieu), dans lequel (rêve) une amie, la très pétillante et volontariste Zoé (qu’interprète avec beaucoup de présence l’excellente Pascale Arbillot) lui récite avec la conviction de la plus parfaite évidence le B-A-BA de la doxa contemporaine (depuis Wilhelm Reich : La Fonction de l’orgasme…) sur le topos de la sexualité !, dès qu’elle apprend l’abstinence sexuelle prolongée d’Isabelle :

« Quoi ? Ça fait un an que tu n’as pas fait l’amour ? » ; « Tu devrais être dans une des phases les plus actives de ta vie. Un an, à ton âge, ça correspond à cinq ans dans le calendrier de la vie sexuelle » ; « sans compter que c’est très important pour la santé. Toutes les études démontrent qu’une sexualité accomplie fortifie notre organisme, notre cerveau, les humeurs » ; « C’est presque une question d’hygiène« 

Isabelle a beau lui rétorquer : « C’est quand même pas de ma faute si je ne tombe pas amoureuse !« ,

Zoé conseille à son amie : « en attendant, tu pourrais faire quelques petites rencontres pour te faire un petit peu du bien !..

Mais Isabelle : « Je n’y arrive pas, je suis trop timide ! Et puis, rencontrer quelqu’un uniquement dans ce but-là, moi, ça me met mal à l’aise« …

Et alors, toujours dans ce rêve détaillé d’Isabelle, Zoé de lui conseiller ceci :

« Et pourquoi tu ne demanderais pas à un ami ? » ; car « de nos jours, beaucoup d’hommes et de femmes pratiquent l’amitié sexuelle. Ça a beaucoup d’avantages !.. »

Et Zoé d’oser même envisager le principe suivant : « Idéalement, si le monde était mieux fait, il faudrait que l’on partage nos hommes avec nos copines célibataires » ; « je suis sérieuse : je suis pour le partage et la redistribution des richesses ; on paie bien des impôts à la communauté afin d’aider les plus pauvres… » ; « alors pourquoi on ne prêterait pas son compagnon à celles qui en sont démunis ?..« .

Et à l’objection d’Isabelle : « Mais faire l’amour n’est quand même pas faire un geste comme les autres !« ,

l’hyper-réaliste Zoé de répondre : « Si l’on regarde les choses en face, il ne s’agit que d’un massage qui ne se fait pas qu’avec les mains. Rien de plus, rien de moins ! On n’a pas besoin d’être amoureuse d’un kinésithérapeute pour qu’il nous fasse un massage !..« 

Et Zoé alors, toujours en ce rêve d’Isabelle, de généreusement proposer les services _ amicaux ! _ de son propre compagnon Jérémie à son amie célibataire en manque de relation sexuelle : « S’il couche avec toi pour te faire du bien, non seulement je ne serai pas jalouse, mais en plus je serai fière de lui !« …

Et le rêve d’Isabelle se conclut sur l’image du très gentil Jérémie _ interprété par le très charmant Michaël Cohen, apprécié dans le précédent Un Baiser, s’il vous plaît ! _ faisant pénétrer, pour ce simplement amical service, Isabelle dans sa chambre, chez lui et Zoé, pendant que Zoé s’éclipse pour aller passer ce moment au cinéma : « Bon ! A tout à l’heure. Je rentre à 21 heures. Tu veux rester dîner avec nous ?« …

Fin du rêve d’Isabelle.

La voix-off alors poursuit : « Bien qu’il n’existait aucun secret entre les deux amies _ Isabelle et Zoé, donc _, Isabelle nous a confié son rêve _ c’est donc que ce rêve a continué de la travailler… Cependant il arriva quelque chose de très troublant » : la réalisation de la proposition de Zoé de « prêter » les services (de massage corporel) de Jérémie à l’amie célibataire Isabelle, « restée un an sans faire l’amour« , comme le dit Zoé.

Ce que la voix-off commente : « Isabelle écoutait son amie, troublée par ses paroles, mais surtout troublée de voir son rêve qui se déroulait sous ses yeux » ; et « discrètement Isabelle se pinça : non, ça n’était pas un rêve !« …

Zoé en effet se mit à dire : « On peut faire du bien à quelqu’un même si on est amoureux d’une autre personne. C’est ça la bonté, la générosité ; l’amitié en quelque sorte« … Et surtout : « Eh bien, moi, si Jérémie acceptait de te faire un peu du bien, j’en serais tout à fait contente. Je serais même fière de lui ! Et si je le lui demandais ?« , Zoé de proposer carrément alors…

Et aux réticences répétées d’Isabelle : « Mais ça ne va pas ! Mais tu plaisantes ! Mais c’est gênant. C’est gênant pour moi. Mais ça ne se fait pas !« , Zoé de répliquer : « Et pourquoi ça ne se ferait pas ? On est libres, non ? » « Essaye ! « …

Mais Isabelle ne peut s’y résoudre.

Et la voix-off de conclure alors ce premier épisode _ et cette séquence 1 _ de l’aventure d’Isabelle : « Elles n’en parlèrent plus jamais. Isabelle ne sut jamais si elle avait eu tort ou raison de refuser » cette proposition des services de Jérémie par Zoé…

A la séquence 3 _ intitulée « Il est difficile de donner comme on voudrait«  _, nous faisons la connaissance d’Amélie (épouse bon chic bon genre de Ludovic) et de son ami Boris.

Boris : _ « Ça va ? Tu as l’air bizarre. On dirait que quelque chose ne va pas….« 

Amélie : _ « Non, non, je t’assure que tout va bien« … « C’est juste… que je me pose des questions… sur moi… » « Il y a que je ne suis pas satisfaite de moi« …

« Apparemment, tout va bien : je suis en couple ; je n’ai pas à m’inquiéter pour mon avenir professionnel ; j’ai des amis ; je suis en bonne santé. Et pourtant il me manque quelque chose : j’ai l’impression que ma vie manque de sens.

Que je vis trop égoïstement.

J’aimerais être plus généreuse ; j’aimerais donner. Donner aux autres. Apporter quelque chose« …

De fait Ludovic _ son mari : centré sur sa carrière d’homme d’affaires (interprété joliment, avec la distance de l’ennui qui convient au personnage, par Louis-Do de Lencquesaing) _ manifeste bien peu de désirs (à commencer par charnels) à l’égard de son épouse, nous nous en rendrons compte à plusieurs reprises, même si Amélie, elle, n’y prête pas vraiment attention : elle est une épouse _ bourgeoise bon chic, bon genre, donc ; et sans enfants _ du genre soumise… »En tout cas, si tu as quelque chose à me demander, quoi que ce soit, surtout tu n’hésites pas. Même si ça te paraît trop« , continue de proposer à son ami Boris la gentille Amélie…

Or, il se trouve que le parfait discret ami qu’est Boris a bel et bien (!) quelque chose _ et pas de petite importance ! _ à demander à sa vieille amie Amélie ; mais « c’est trop ! je ne peux te demander ça !« …
Amélie : _ « Mais non, au contraire, moi je veux que ce soit trop ! Je veux que ce soit énorme ! que ce soit démesuré !« …

Alors Boris finit par accepter de se lancer : « Eh bien ! voilà : bien que tu sois mon amie, je ne suis pas indifférent à une autre dimension _ qu’amicale ! _ de ta personne. J’ai pour toi une attirance qui ne fait que grandir d’années en années« …

_ « Mais quel genre d’attirance ? », Amélie ne voit décidément pas…

_ « Des rêves, des fantasmes…

Des pulsions !« , finit-il par lâcher.

_ « Mais pourquoi ne m’en avais-tu jamais parlé ?« 

_ « Je ne voulais pas que tu le prennes mal. Puis aussi vis-à-vis de Ludovic.« 

_ « Je ne vois vraiment pas quel genre de service je peux te rendre…« , poursuit la décidément hyper-godiche Amélie.

_ « Eh bien, peut-être que tu peux m’aider à y voir plus clair. Parfois je me demande si je ne suis pas amoureux de toi ! Et le problème est que ça a un effet négatif sur mes relations amoureuses. Mon esprit ne peut pas s’empêcher de se dire qu’avec toi ce doit être mieux qu’avec les autres filles…« 

_ « Mais non !« 

_ « C’est ce que je me tue _ à petit feu _ à me dire…« 

_ « Mais qu’est-ce que je peux faire ?« , continue à errer la godiche Amélie…

Et ici Boris lui saute littéralement dessus !

_ « Non, non, Boris !« 

_ « C’est juste pour que je sache !« 

_ « Boris, je ne serai jamais à la hauteur de tes fantasmes !« 

Et avec un ultime accès de grande bonne volonté, Amélie ajoute : « Je voudrais bien pour que tu vois… ; mais je ne peux pas vis-à-vis de Ludovic… »

Et l’échange va se conclure piteusement de leurs parts respectives :

_ « Je suis désolé !« 

_ Non, c’est moi !« 

_ « Non, c’est moi qui suis désolé« .

Match nul sur toute la ligne, de personnes (trop) bien élevées : 0 à 0…


Suivent alors,

avec la poursuite des péripéties à rebondissements de la difficultueuse rencontre sexuelle (ou/et affective ?) d’Achille et de son imprévisible voisine (elle : « Je ne sais pas encore si je suis amoureuse » ; « Pour moi, c’est important d’être sûre que je suis amoureuse avant d’aller plus loin… » ; lui : « Mais peut-être que vous l’êtes, mais n’en avez pas encore conscience. En faisant l’amour, ça va vous aider à vous en rendre compte ! » ; elle : « Ah ! en fait vous voyez ça comme un test ! » ; « Faire l’amour pour faire l’amour, ce n’est pas vraiment ma façon de penser. Pour moi, c’est quelque chose de sacré ! » ; lui : « Mais justement, c’est parce que c’est sacré qu’il faut le célébrer : il faut voir ça comme une cérémonie où on rend hommage à la nature… Hein ?! Mais oui, vous savez le désir pousse en nous comme les feuilles à un arbre… » ; elle : « Mais c’est joli ce que vous venez de dire !« , et elle le note sur son carnet ! ; lui : « Vous dites que vous aimez tout ce qui est naturel, et quand la nature s’exprime en nous, vous la refusez ! Mais enfin, nous n’y pouvons rien… C’est la nature qui est comme ça. Ce sont tous les atomes qui sont en nous qui s’attirent« … ; après un dernier embarras encore, il l’embrassera et elle finira par se laisser entraîner vers la chambre…), soient les séquences 4, 6 et 8,

suivent deux séquences sur la capacité d’un amour vrai

_ celui de Vanessa (envers William) et celui, réciproque et concomittant, d’Emmanuelle et Paul : la voix-off nous les a cités en exemples, avec celui de Zoé (envers Jérémie), lors de la séquence 0 (« Il n’y a pas d’amour sans musique«  !), de « ce moment où l’on devient amoureux » « se produit une musique particulière » !!!  _

à survivre aux pulsions adultères,

suivies ou pas (ou guère…) d’effectuation :

_ dans le cas d’Emmanuelle (en la séquence 5 : « Sans danger, le désir est moins vif« ), il n’y aura pas besoin (ou du moins guère) de passage à l’acte de sa part à elle, Emmanuelle : « la liberté qu’il _ Paul _ lui avait offerte, l’avait enchaînée à lui : l’attirance qu’elle avait pour tous les hommes ne faisait que raviver et intensifier le désir de Paul. Si bien qu’elle trouvait en lui tous les hommes qu’elle désirait« , en sa crise du démon de midi… ;

_ dans le cas de Vanessa, puis de William (en la séquence 7 : « Arrangez-vous pour que les infidélités soient ignorées« ), il y aura bien effectuation, mais expérimentale, en quelque sorte, au nom du principe _ ils sont jeunes… _ (ou doxa…) de « se parler librement et de ne jamais empiéter sur la liberté de chacun » ; « il faut aimer la liberté de l’autre et ne pas la craindre. La peur, c’est le repli ; et on s’était promis de ne pas vivre le repli« , ainsi que l’énonce William ; qui dit encore qu' »on ne grandit qu’à travers les épreuves et les expériences »  et « je n’ai pas envie qu’on soit un couple qui ait peur des expériences. Je n’ai pas envie qu’un jour tu m’en fasses le reproche » : le bilan de ces deux expériences d’adultère _ « simple et léger«  ; sans amour, ni lendemain : « tu me plais bien, voilà tout !« , dit Vanessa à l’assez quelconque Louis ; qui « a tellement de désir pour moi que ça me donne envie, tu comprends ?« , avait-elle confié à son compagnon William, en batifolant avec lui en forêt… _

le bilan de ces deux expériences d’adultère parallèles, un même vendredi soir, de Vanessa (avec son collègue de travail Louis, en partance le lendemain pour le Brésil) et de William (avec une très jeune stagiaire devant très vite rejoindre sa ville d’Angoulême) se révélant plus que piteux : _ « Tu m’as manqué ! » ; _ « Toi aussi !« . Et sur ce, fin de la séquence 7.

La séquence 9 (« Souvent les yeux nous mènent vers l’amour ; parfois ils nous trompent« ) est donc celle où se rejoignent d’une part la solitude célibataire d’Isabelle (issue de la séquence 1 : « Il ne faut pas refuser ce qu’on nous offre« ) et l’affaire du pressant désir d’adultère de Boris, avec une Amélie qui veut bien lui faire plaisir, mais sans que cela affecte son propre couple (dans la séquence 3 : « Il est difficile de donner comme on le voudrait »), ni sa propre pudeur…

Boris, à Amélie : _ « Ah, au fait, tu sais, c’est fini avec Marie. » _ « Vous vous êtes séparés ? » _ « Oui, ce week-end. » _ « Mais pourtant tu t’entendais bien avec elle... » _ « Oui, mais sans plus. Disons que ce n’était pas magique ! » _ voilà ce qu’opère l’amour vrai…

Mais Amélie : _ « Ton désir pour moi doit cesser ! C’est mauvais pour notre amitié.« 

Boris : « Je sais ; mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Je n’y peux rien !« 

..

Afin de vaincre sa propre (très forte !) pudeur et de se prêter ( le moins possible !) à une séance (unique) d’adultère expérimental (« pour voir » ! puisqu’elle lui avait promis de faire acte de générosité !) avec son ami Boris, Amélie accepte de se livrer une heure à lui en une chambre d’hôtel, mais à l’expresse double condition du noir absolu dans la chambre et du silence absolu entre les deux corps ainsi (pour que Boris sache…) réunis…

Et c’est là que l’intrigue de départ finit par se nouer, avec la rencontre d’Amélie et de son amie Isabelle, perdue de vue depuis pas mal de temps ; et à laquelle elle demande tout à trac de bien vouloir, elle, Isabelle, célibataire, de prendre la place promise par elle, Amélie, à son ami masculin, dans la plus stricte confidentialité des divers protagonistes.

Je n’en dirai pas plus :

non seulement Judith Godrèche, en Amélie, fait preuve de virtuosité jubilatoire au second degré pour les spectateurs très amusés que nous en sommes ! dans le rôle de l’hyper-godiche faiseuse de catastrophe _ à l’instar du personnage qu’interprétait tout aussi virtuosement Virginie Ledoyen dans Un Baiser, s’il vous plaît ! : Emmanuel Mouret adore ces situations de prodige d’abîme de sottise !… Et nous aussi !!! _,

mais le jeu de Laurent Stocker, Boris (_ « Comment l’as-tu trouvée ? » _  « Insignifiante, pas du tout mon type. A vrai dire même elle est limite antipathique« …), comme celui de Julie Depardieu, Isabelle (_ « C’est pas du tout mon genre ! J’aime pas du tout ce qu’il dégage physiquement ! Et puis ses goûts littéraires _ Boris et Isabelle sont tous deux libraires ! _ me semblent vraiment douteux !« ),

sont prodigieux de subtilité et justesse : dans le camaïeu ultra-fin de la palette des gestes et des regards, du plus hagard au plus jouissif retenu, puisqu’ils n’échangeront avant la chute finale que deux mots ; c’est la voix-off qui parle :

« Quant à  Isabelle et Boris, ils se croisèrent une fois, lors d’un anniversaire, celui de Zoé.

_ « Salut ! » _ « Salut !«  _ et ils se font une bise apparemment on ne peut plus conventionnelle

Ce furent les seules paroles qu’ils échangèrent durant toute la soirée. Qu’auraient-ils pu se dire ?« .. _ certes !

Et ici, clap de FIN !

Alors, sur le fond des choses, qu’en est-il de cet « art d’aimer » qu’essaie de nous montrer, dans cette succession rapide, légère et ultra-fine d’épisodes, ce film passionnant d’Emmanuel Mouret ?

Qu’en est-il de cette petite musique _ de grâce ! _ qui « se produit« , survient et surgit, « quand on devient amoureux« ,

et que le beau compositeur, Laurent, mort bien trop prématurément (!), « attendait« , et « jusqu’à l’obsesssion« , « avec grande impatience »,

au point « qu’il essayait d’imaginer cette musique lorsqu’il composait » ?

Et cela, à partir des quelques « bribes » « qu’il avait jusqu’alors entendues« , avec une Annabel et avec une Élisabeth ; mais qu’il « n’avait toujours pas connue » vraiment, au moment de sa mort, sous la forme d’une belle et vraie « mélodie » déployée ?

Puisque, « et de toute ses forces, à chaque fois, il désirait aimer, il espérait ; mais rien : jamais la moindre mélodie ne se fit entendre » ;

« et qu’il ne sut jamais de qui son cœur avait été amoureux »

C’est donc que lui, Laurent, l’artiste musicien, n’était pas parvenu à prendre tout à fait vraiment conscience d’un tel amour, si tant est qu’un tel réel amour avait de facto dépassé, en son cas, le stade de ce qui ne peut produire, et ne produit, que « des bribes » de musique »…

C’est un tel amour-là, et qui donne à entendre cette vraie mélodie-là, qu’attendait aussi, et très honnêtement, Isabelle, en sa situation d’abstinence sexuelle (« ce n’est tout de même pas de ma faute si je ne tombe pas amoureuse ?!« ) ;

ou encore la délicieusement hyper-spontanée mais aussi prudente à la fois (« Je ne sais pas encore si je suis amoureuse« , et « pour moi, c’est important d’être sûre d’être amoureuse avant d’aller plus loin » : « je préfère savoir avant« …) affriolante voisine d’Achille.

La question qui se pose alors est : comment le savoir ? l’apprendre ? le découvrir ? en prendre conscience ? et enfin vraie connaissance ?

En faisant déjà l’amour, comme le propose le vieux dragueur habile Achille ?

En « recommençant ! » la séance d’amour dans le noir à l’hôtel, comme le (re-)demande Boris ?..

..

C’est un peu une quadrature de cercle ; comme le révèle la succession désopilante des épisodes entre Achille et son adorable voisine (« Patience« , « Patience, patience« , « Patience, mais pas trop« ) : on avance dans le noir et au juger, dans cet appartement pourtant si blanc !

C’est en cela que si « art d’aimer » il y a, il ne s’agit certainement pas de recettes, ni de technique, mais de l’apprentissage d’un je ne sais quoi qui ne s’apprend _  et que peu à peu _ qu’à son corps défendant, et jamais par pure et simple imitation de modèle, ou copie…

Ce que révèlent magnifiquement en ce film si juste (!) les approches _ sur le mode de la comédie : ou comment un vieux dragueur (auquel on ne la fait pas…), peut tomber vraiment amoureux ! _ d’Achille et de son adorable affriolante voisine, d’une part ; et les expériences de jouissance dans le noir de Boris et Isabelle !!! _ sur un mode davantage tragi-comique : eux sont beaucoup plus sérieux ! sinon même austères ; mais ils apprennent vite aussi à se décoincer et exulter !!! la jubilation (à laquelle la caméra nous donne in extremis à assister) du très discret (dans un coin sombre…) feu d’artifices (mais les vrais amoureux sont toujours seuls au monde !) de la scène finale, est absolument superbe !!! _ d’autre part…

Et c’est cela qu’ignorera probablement à tout jamais la gentille Amélie, pourtant satisfaite d’être « en couple« , ou encore son affairé et bien distrait Ludovic de mari : le miracle de la grâce de la rencontre vraie n’ayant pas eu lieu pour eux…

Mais c’est aussi ce qu’ont connu _ et la musique qui l’accompagne… _ et Zoé, et Vanessa, et Emmanuelle et Paul, comme il nous est signalé par la voix-off de Philippe Torreton en ouverture du film ;

et qui préservera l’amour vrai de Vanessa et William, quand ils se seront exposés à des « expériences » hors amour vrai ;

de même que l’amour vrai d’Emmanuelle et l’admirable Paul, quand ils s’exposeront au passage du démon de midi d’Emmanuelle…


Comme quoi, en amour _ mais seulement quand amour vrai il y a ; et pas rien qu’ersatz ou qu’illusion d’amour ! il faut avoir croisé, et su cueillir, puis appris à cultiver, et à deux (!), en sa fraîcheur toujours renouvelée (!), cette grâce improbable de l’advenue effective (!), et sans contrefaçon, de la rencontre vraie ! _,

c’est seulement à son corps défendant (et au corps défendant de l’autre : amant et aimé) qu’on se livre

_ en toute « innocence des sens«  : Nietzsche sait en parler ; par exemple dans le chapitre De la chasteté, au livre premier d’Ainsi parlait Zarathoustra _

à l’apprentissage lent et patient (et riche de surprises renouvelées) du connaître ; cela n’a certes rien d’un savoir inné _ parce qu’il n’existe nul savoir inné ! _ : il faut nécessairement passer par cet apprentissage patient, patient, mais jusqu’à un certain point seulement : « pas trop » ! non plus… ; à corps défendant seulement , donc !!! _ et le sien, et celui de l’autre, l’aimé qui vous aime…

En acceptant effectivement de donner, et en toute innocence, de sa personne ; à corps perdu…

Comme le figurent dans le film déjà Achille et sa voisine quand ils commencent _ et c’est peu à peu : progressivement, et même par paliers ! ou épisodes… _ à se livrer innocemment vraiment, enfin, l’un à l’autre, de plus en plus (et de mieux en mieux) démunis, c’est-à-dire se dépouillant peu à peu de leurs anciennes certitudes, en commençant à s’en dénuder _ en tous les sens, et sans impudeur ! _ pour se donner, par amour _ seulement ! _, à l’autre…

_ sur cette dénudation, ce beau passage-ci vers le final du quatrième et dernier épisode (à rebondissements) de la rencontre-approches complexes entre le dragueur expérimenté, mais désorienté ici, Achille, et son affriolante voisine :

Ils viennent de s’embrasser et ont commencé de se dénuder.

Elle : _ « On n’avait pas dit qu’on ne faisait que s’embrasser ? »

Lui : _ « Ça n’empêche pas de se dénuder… »

Elle : _ « Non, se dénuder, c’est aller trop loin !.. »

Lui : _ « Pourquoi ? »

Elle : _ « Parce que ! Ça me donne trop envie !..  »

Lui : _ « Mais enfin ! quand je vous embrasse, ça ne vous donne pas envie ?.. »

Elle : _ « Si ! Mais si en plus on se met à se dénuder, moi, je perds tous mes moyens de résister… »

Lui : _ « Moi aussi, je perds tous mes moyens… Moi, j’ai envie de vous ! Si vous saviez comme j’ai envie de vous… Je n’en peux plus !.. »

Et il la réembrasse… Fin de l’incise sur le moment de début de dénudation entre Achille et son adorable voisine…

On comprend que cela, toujours quelque peu affolant, puisse de fait réclamer, de chacun et de tous, un minimum, non seulement de courage, mais aussi d’assurance, qui se forgera pour chacun peu à peu, avec un minimum de chance…

Et comme le figurent encore plus magnifiquement _ c’est-à-dire davantage tragi-comiquement, eux : ils sont sérieux ! sinon austères… _ au final de la séquence terminale du film, les admirables regards et gestes et postures de ces amoureux seuls-au-monde _ c’est à prendre à la lettre _ que sont, s’étant enfin trouvés et connus (dans le noir ! et à répétitions !), Boris et Isabelle (hors du souci _ social, surtout pour le regard des autres ; pas vraiment authentique, donc… _, eux, d' »être en couple » ; et d’être vus des autres…).

Et Laurent Stocker et Julie Depardieu sont ici exceptionnels de talent !

Et ce processus de connaissance progressive _ de l’autre comme de soi, dans l’épaisseur soyeuse, voire voluptueuse, de la relation amoureuse vraie : il y faut cette grâce ! _ n’a pas non plus de fin, non plus qu’elle ne connaît d’épuisement du désir-appétit de cette connaissance, de cet amour : infinis et inépuisables les deux…

Car telle est cette « complexité des sentiments » vrais, sur laquelle l’adorable affriolante voisine d’Achille cherche _ in fine de ce qui nous est montré dans le film de son (ou leur, désormais) histoire _ aussi à se renseigner en un livre (L’art d’aimer d’Ovide ?.. ou peut-être les sublimissimes Lettres de la religieuse portugaise de Guilleragues ?..) en requérant du libraire Boris quelque conseil avisé de lecture…

Comme dans le théâtre de Marivaux, la moindre inflexion de voix, ou de geste, sans compter le poids du moindre silence, réclame du spectateur de ce très impressionnant _ par la finesse de sa profonde subtile vérité ! _ film d’Emmanuel Mouret qu’est L’Art d’aimer, une hyper-attention, afin de ne rien laisser échapper : tout va si vite, dans l’élégance de cet art subtil et doucement léger de la comédie de mœurs, sans répétitions, ni effets surlignés appuyés…

Et bien sûr, à mille lieues de la plus bénigne vulgarité, comme du moindre trash sadique violent _ nul revolver ici…

Et enfin rien que l’art _ éblouissant (!) _ de dialoguiste d’Emmanuel Mouret

mérite de passer à la postérité,

et ses répliques d’être apprises par cœur !!!

Titus Curiosus, ce 18 avril 2012

 

 

 

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