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Le très intéressant entretien de Jeanne Guien, avec Pierre Crétois, à propos de son « Le Consumérisme à travers ses objets », à la Station Ausone, en présence d’une assistance très concernée

12jan

Ce jeudi 12 janvier 2023,

vient d’être mise en ligne la vidéo (de 59′ 36) du remarquable entretien de Jeanne Guien avec Pierre Crétois, président de notre Société de Philosophie de Bordeaux, à propos de son « Le Consumérisme à travers ses objets : gobelets, vitrines, mouchoirs, smartphones et déodorants« , paru aux Éditions divergences au mois de novembre 2021 ;

un entretien très clair et animé qui s’est tenu lundi dernier 9 janvier à la Station Ausone, en présence d’une assistance nombreuse et particulièrement attentive _ et tout à fait concernée… _

pour la seconde conférence de la saison 2022 – 2023 de notre Société de Philosophie de Bordeaux ;

Un entretien très vivant, riche de précisions importantes

sur des questions contemporaines absolument passionnantes

suscitant un très vif intérêt d’un public particulièrement réceptif.

Ce jeudi 12 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

La casse de l’école (et des humanités) : le regard de Martha Nussbaum dans « Les émotions démocratiques »

16sept

Dans son Les Émotions démocratiques _ comment former le citoyen du XXIe siècle ?,

la philosophe américaine Martha Nussbaum nous propose l’expertise très fine de son expérience des enjeux d’enseignement (et pédagogies ad hoc) aux États-Unis, mais aussi en Inde,

pour porter la lumière sur les liens (très étroits !) existant,

très fondamentalement,

entre formation du citoyen d’une authentique _ et pas simili ! à la mode des populistes haussant la voix et poussant de hauts cris !!! ils ne manquent pas d’air !.. _ démocratie _ à rebours des casses populistes, au service des menées des ultra-libéraux en faveur de la réduction des individus à des réflexes (les plus rapides possible !) à des compulsions d’achat (selon ce qui est (très vite, et le plus possible sans réflexion critique) estimé utile et agréable) primaires… _

et enseignement et pédagogie de la complexité : à destination de tout un chacun s’initiant à l’intelligence du réel, c’est-à-dire, un peu plus précisément, le monde, les autres, les œuvres les mieux humaines…

Et cela, à l’heure de la casse à laquelle se livrent de par le monde, et tout spécialement en France, les serviteurs serviles (et grassement stipendiés ! eux, « ils le valent bien » !) de l’anti-démocratie

au service des réducteurs de tête très efficaces du grand commerce _ cf l’excellent L’Art de réduire les têtes _ sur la nouvelle servitude de l’homme libéré, à l’ère du capitalisme total, de Dany-Robert Dufour _,

à rebours de l’entreprise d’initiation à la compréhension un peu subtile (et vraie !) de la complexité du réel et de l’attention aux autres (que soi et ses petits intérêts bien égoïstes) :

que permet, seule, l’imprégnation _ suivie : avec le temps et les moyens d’attention nécessaires que cela, forcément, implique ! _ aux œuvres,

scientifiques et technologiques, déjà _ non réduites à l’exposé des résumés de quelques résultats : lire ici tout l’œuvre d’Edgar Morin, et les tomes successifs de sa Méthode _,

mais plus encore artistiques et littéraires :

selon une logique (tellement plus subtile !) du qualitatif,

et pas seulement du (misérablement réducteur !) quantitatif.

Logique du qualitatif (des humanités !) seule apte à nous faire accéder à la compréhension des autres (ô frères humains !)…

Voici la quatrième de couverture de ces Émotions démocratiques _ comment former le citoyen du XXIe siècle ?… :

Une crise silencieuse frappe _ et sape grièvement ! au fil du défilé des jours (et de la crétinisation médiatique (et fun) qui l’accompagne) _ aujourd’hui les démocraties du monde. L’éducation se plie aux exigences du marché de l’emploi, de la rentabilité et de la performance, délaissant la littérature, l’histoire, la philosophie et les arts : les humanités. Pour Martha Nussbaum, l’une des plus grandes philosophes américaines, celles-ci ne sont ni un vestige du passé ni un supplément d’âme pour happy few.

Dans ce manifeste original et argumenté, Martha Nussbaum montre comment les humanités nous font accéder à la culture des émotions, à l’« imagination narrative ». C’est grâce à l’empathie que nous sommes capables de nous mettre à la place d’autrui, de nous identifier au « faible » au lieu de le stigmatiser, de développer de la compassion et du respect en lieu et place de l’agressivité et de la peur qui naissent inévitablement de la vulnérabilité, et de défendre l’intérêt commun.

Ce n’est pas à coup de débats d’idées abstraites que s’imposeront l’égalité et la liberté C’est en formant, par le biais des « émotions démocratiques », le citoyen du XXIe siècle.

Selon une démarche assez bien partagée outre-Atlantique, et qui mêle exposé des expériences personnelles singulières de l’auteur _ en particulier aux Êtats-Unis et en Inde _, et analyse théorique et factuelle à dimension d’universalité,

le livre de Martha Nussbaum éclaire excellemment ainsi les enjeux de fond de démocratie et culture des activités tant des créateurs eux-mêmes _ en la puissance effective de leur imaginer se construisant _, que des formateurs des nouvelles générations, afin de donner plein sens à ce qu’est, pour tout homme, une existence vraiment humaine,

et pas simplement une vie réduite à acheter des produits et services de bien peu de valeur, là où cherchent à s’imposer ce qui veut se faire passer pour le très pragmatiquent utile et le très pragmatiquement agréable

Cet article-ci s’inscrit donc, en cette rentrée scolaire (et universitaire), dans la continuité de mon article du 3 septembre : Face à la déculturation : (re-)penser l’école pour apprendre à apprendre à penser (et « bien faire l’homme » !) , sur ces mêmes enjeux civilisationnels !

Et il y a urgence !…


Titus Curiosus, ce 16 septembre 2011

 

Face à la déculturation : (re-)penser l’école pour apprendre à apprendre à penser (et « bien faire l’homme » !)

03sept

Nicolas Truong, en son (toujours passionnant et plus que nécessaire !) Théâtre des Idées d’Avignon,

nous offre un superbe entretien _ justissime ! _ sur les fondamentaux _ tant pratiques que théoriques _ de l’école (plus que jamais à re-penser, et plus encore urgemment ! _ tout retard, et toute régression, ont ici des effets très rapidement catastrophiques, à l’échelle du renouvellement (pas seulement biologique de la reproduction génétique !!!) des générations _ à remettre (au plus vite ! contre les démagogues populistes auxquelles sont livrées maintenant _ ici en France comme presque partout aujourd’hui dans le monde, ultra-libéralisme (plus idéologie du « moderne«  et de l’efficacité hyper-pragmatique et rentable de l’« utile« ) aidant… _ les clés des pouvoirs de lÉtat !) sur les pieds d’un chantier enfin « debout » : la tête en haut !

donné sur le site (et la page-papier) du Monde : Contre l’idéologie de la compétence, l’éducation doit apprendre à penser

Ce très important entretien entre Marcel Gauchet et Philippe Meirieu répondant aux questions de Nicolas Truong

s’est construit et déployé lors d’un échange qui s’est déroulé le 13 juillet, dans le cadre du Théâtre des idées, cycle de rencontres intellectuelles du Festival d’Avignon.

Dans quelle mesure l’évolution de nos sociétés ébranle-t-elle les conditions de possibilité de l’entreprise éducative ?

Marcel Gauchet : Nous sommes en proie à une erreur de diagnostic : on demande à l’école de résoudre par des moyens pédagogiques des problèmes civilisationnels _ voilà le fond de la chose et l’enjeu importantissime ! _ résultant du mouvement même de nos sociétés, et on s’étonne qu’elle n’y parvienne pas _ envisagée rien que techniquement et technocratiquement, et à elle seule… Quelles sont ces transformations collectives _ socio-politico-économico- civilisationnelles _ qui aujourd’hui posent à la tâche éducative des défis entièrement nouveaux ? Ils concernent au moins quatre fronts : les rapports entre la famille et l’école, le sens des savoirs, le statut de l’autorité, la place de l’école dans la société.

A priori, famille et école ont la même visée d’élever les enfants : la famille éduque, l’école instruit, disait-on jadis. En pratique, les choses sont devenues bien plus compliquées.

Aujourd’hui, la famille _ et les individus (officiellement, mais très à la marge !, « parents d’élèves«  !) moins que jamais « sujets«  de leurs existences, tant individuelles que collective, en dépit de ce qui s’auto-baptise assez cyniquement « démocratie«  ! _tend à se défausser sur l’école, censée à la fois éduquer et instruire. Jadis pilier de la collectivité, la famille s’est privatisée _ rongée par le mercantilisme sur ce qui pouvait rester d’« âme«  ! _, elle repose désormais sur le rapport personnel et affectif _ mal (névrotiquement !) sur-investi ! _ entre des êtres à leur bénéfice intime exclusif _ cf encore ici le beau livre si lucide de Michaël Foessel : La Privation de l’intime. La tâche éducative est difficile à intégrer à ce cadre visant à l’épanouissement affectif des personnes _ à distinguer des mirages de l’hédonisme de l’agréable.

Philippe Meirieu : Nous vivons, pour la première fois, dans une société où l’immense majorité des enfants qui viennent au monde sont des enfants désirés _ névrotiquement sur-investis trop souvent : de même que « le couple » (cf l’expression « mon couple » !!!). Cela entraîne un renversement radical : jadis, la famille « faisait des enfants », aujourd’hui, c’est l’enfant qui fait _ et le plus souvent mal : cf l’inflation galopante des recompositions inchoatives _ la famille. En venant _ trop mécaniquement : c’est si facile de procréer ! _ combler notre désir _ confondu (hélas ! avec le « besoin« , trop souvent ; pour ne pas dire le « caprice«  d’adultes demeurés infantiles… _, l’enfant a changé de statut et est devenu notre maître _ bonjour les dégâts ! Il n’y a plus d’adultes ! _ : nous ne pouvons rien _ modèle consumériste aidant _ lui refuser, au risque de devenir de « mauvais parents »… _ le tsunami du principe de plaisir emportant les malheureuses (non hédonistes !) digues du principe de réalité !!!

Ce phénomène a été enrôlé _ très fructueusement  ; cf le Propaganda, dès les années vingt aux États-Unis, d’Edward Bernays, neveu de Siegmund Freud, demeuré lui à Vienne… : le modèle de ce qui allait devenir les recettes du marketing efficace et juteux ! _ par le libéralisme marchand : la société de consommation met, en effet, à notre disposition une infinité de gadgets que nous n’avons qu’à acheter pour satisfaire _ pas vraiment : le processus est bel et bien, de facto, une vis sans fin de frustrations : Locke (le fondateur de la pensée « libérale« ) avait déjà parfaitement analysé le mécanisme de cette machine « à profits » à mettre en place (par ce qui allait devenir le capitalisme)… _ les caprices de notre progéniture _cf ici les travaux parfaitement lucides de Dany-Robert Dufour ; à paraître : L’Individu qui vient après le libéralisme

Cette conjonction entre un phénomène démographique et l’émergence du caprice mondialisé _ bravo pour l’expression ! _, dans une économie qui fait de la pulsion d’achat _ bravo encore ! _ la matrice du comportement humain, ébranle les configurations traditionnelles du système scolaire.

Dans quelle mesure le face-à-face pédagogique est-il bouleversé par cette nouvelle donne ?

Ph. M. : Pour avoir enseigné récemment en CM2 après une interruption de plusieurs années, je n’ai pas tant été frappé par la baisse du niveau que par l’extraordinaire difficulté à contenir _ voilà ! _ une classe qui s’apparente à une cocotte-minute _ inchoative…

Dans l’ensemble, les élèves ne sont pas violents ou agressifs, mais ils ne tiennent pas en place. Le professeur doit passer son temps à tenter de construire ou de rétablir un cadre structurant _ on ne saurait mieux dire. Il est souvent acculé à pratiquer une « pédagogie de garçon de café », courant de l’un à l’autre _ comme c’est réaliste _ pour répéter individuellement _ et dans l’espace comme dans le temps : avec des mémoires infantiles devenues celles de poissons rouges ! _ une consigne pourtant donnée collectivement, calmant les uns, remettant les autres au travail.

Il est vampirisé _  oui ! quelle énergie devoir rassembler pour réussir à y résister ! Il faut être en forme olympique ! _ par une demande permanente d’interlocution individuée. Il s’épuise à faire baisser la tension pour obtenir l’attention _ -concentration : base de tout travail et de toute œuvre ; que de pathologies avérées ici ! Dans le monde du zapping et de la communication « en temps réel », avec une surenchère permanente des effets qui sollicite la réaction pulsionnelle immédiate _ cf ici les travaux de l’ami Bernard Stiegler _ , il devient de plus en plus difficile de « faire l’école ». Beaucoup de collègues buttent au quotidien sur l’impossibilité de procéder à ce que Gabriel Madinier définissait comme l’expression même de l’intelligence, « l’inversion de la dispersion » _ c’est parfaitement exprimé ; cf ici, sur cette attention-concentration, l’entretien de Danièle Sallenave (à propos de son La Vie éclaircie) avec Francis Lippa, le 23 mai dernier dans les salons Albert-Mollat ; cf aussi mon article sur ce livre : Les rencontres heureuses et la vitalité généreuse d’une attentive vraie, Danièle Sallenave : l’état (= bilan provisoire) de sa « Vie éclaircie » _ somptueuse lumière d’un livre majeur !).

Dès lors que certains parents n’élèvent plus leurs enfants dans le souci du collectif, mais en vue de leur épanouissement personnel, faut-il déplorer que la culture ne soit plus une valeur partagée en Europe et comment faire en sorte qu’elle retrouve sa centralité ?

M. G. : Le savoir et la culture étaient posés comme les instruments permettant d’accéder à la pleine humanité _ voilà : bien sûr, elle se construit ; et sa destruction (ou régression) se nomme « la barbarie«  _, dans un continuum allant de la simple civilité à la compréhension du monde dans lequel nous vivons _ c’est très clair et justissime ! C’est ce qui nourrissait l’idéal du citoyen démocratique. Ils ont perdu ce statut. Ils sont réduits à un rôle utilitaire (ou distractif) _ ah ! les délices de l’entertainment !

L’idée d’humanité s’est dissociée _ tragiquement : nous en avons sous les yeux (et quotidiennement !) de tristes exemplaires !!! _ de l’idée de culture. Nous n’avons pas besoin _ comme si le besoin (animal) était le criterium de l’« exister » humainement ! Qu’en penserait un Aristote ? _ d’elle pour exister. Nous sommes submergés par une vague de privatisation qui nous enjoint de vivre _ hédonistement, mais en consommant des biens (et services) dits « culturels«  : à acheter… _ pour nous-mêmes et, surtout, de ne pas perdre notre temps _ il est si précieux : « Time is money » ; et « jouissons sans entraves !«  _ à chercher à comprendre ce qui nous environne _ vivent les moutons de Panurge !

Derrière le slogan _ de l’ultra-libéralisme _ apparemment libertaire « faites ce que vous voulez ! » _ là-dessus, lire et relire toujours Gorgias de Platon, et son portrait de Calliclès ! l’ultra-capricieux ! _, il y a un postulat nihiliste _ parfaitement !!! _ : il ne sert à rien de savoir, aucune maîtrise du monde n’est possible. Contentez-vous de ce qui est nécessaire pour faire tourner la boutique _ ou, en sa version moderniste : « gérer«  ! _, et pour le reste _ puisque « vous le valez (si) bien«  ! _, occupez-vous de vous ! _ lire aussi le portrait du « dernier homme«  de Nietzsche dans le sublimissime Prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra !..

L’école est prise dans ce grand mouvement de déculturation _ voilà ! _ et de désintellectualisation _ aussi ! vivent la panse et le nombril, l’estomac et les intestins ! cf quelques remarques bien senties là-dessus de Jean Clair, à propos du symptomatique trash intestino-stomachal dans l’art contemporain, in L’Hiver de la culture  _de nos sociétés qui ne lui rend pas la tâche facile _ y résister ! Les élèves ne font que le répercuter avec leur objection lancinante _ pseudo-utilitariste _ : à quoi ça sert ? Car c’est le grand paradoxe de nos sociétés qui se veulent _ mais seulement idéologiquement ! hélas… _ des « sociétés de la connaissance » : elles ont perdu de vue la fonction véritable _ de vrai bonheur par une vraie libération (véritablement épanouissante : lire ici Spinoza…) ; ainsi que sa dynamique ! _ de la connaissance.

C’est pourquoi nous avons l’impression d’une société sans pilote _ en tout cas sans pilote sage : pas de ces caricatures de petits chefs ne songeant qu’à la jouissance sadique du pouvoir (de s’en mettre _ eux et leurs proches _ plein les poches !). Il n’y a plus de tête pour essayer de comprendre ce qui se passe : on réagit, on gère, on s’adapte. Ce dont nous avons besoin _ et collectivement (dans une vraie république, dans des États qui soient vraiment restaurés en de plus vraies « démocraties«  ; lire et relire ici Alain !), et individuellement (c’est-à-dire personnellement : en vrais « sujets«  (du moins si peu que ce soit) de nos existences, au lieu de n’être que des marionnettes pour des comptables statisticiens calculant leurs profits… _ , c’est de retrouver le sens _ aussi désintéressé et passionné _ des savoirs et de la culture.

Est-ce à dire que l’autorité du savoir et de la culture ne va plus de soi, classe difficile ou pas ? Et comment peut-on la réinventer ?

M. G. : L’autoritarisme est mort, le problème de l’autorité commence ! Le modèle de l’autorité a longtemps été véhiculé par la religion (puisque les mystères de la foi vous échappent, remettez-vous en au clergé) et par l’armée (chercher à comprendre, c’est déjà désobéir) _ ce à quoi se sont opposé les Lumières : « Sape audere ! » signifie  « Ose juger !, te servir de ton propre entendement !«  Ces formes d’imposition sans discussion _ que refusait le démon de Socrate : et qui valut à ce dernier la mort par la cigüe… cf l’Apologie de Socrate _ se sont écroulées, et c’est tant mieux ! Mais il faut bien constater qu’une fois qu’on les a mises à bas, la question de l’autorité se repose à nouveaux frais _ face aux opinions toutes faites et autres conformismes massifs et intimidants. Pourquoi cette question est-elle si importante à l’école ? _ lire ici Condorcet, sur les conditions de la démocratie en une république ; puis Jules Ferry, et Alain…

Tout simplement parce que l’école n’a pas d’autre moyen d’action que l’autorité _ de l’intelligence et de l’affectivité saine : « autorité«  entendue comme le contraire de la violence _ : l’emploi de la force y est exclu et aucune contrainte institutionnelle n’obligera jamais quelqu’un à apprendre _ to learn. La capacité de convaincre _ et non de persuader _ de l’enseignant dans sa classe repose sur la confiance _ intelligente (et donc toujours sujette à discussion et débat, y compris entre soi et soi, eu égard à l’autorité idéale de la raison universelle) : à distinguer de la crédulité, aveugle et niaise (voire fanatique) _ qui lui est faite en fonction du mandat qui lui est conféré _ avec la légitimité d’une légalité saine : ici encore, trop de rebuts aujourd’hui… _ par la société et garanti par l’institution _ quand celle-ci est vraiment fiable, et non fruit de l’intrigue. Nous sommes là pour l’appuyer dans ce qui est une mission collective _ en effet.

Or ce pacte est aujourd’hui _ surtout par des ignares et des aigris bourrés de ressentiments en tous genres… _ remis en question. Les enseignants en sont réduits à leur seul charisme _ sans lui, en effet, pas d’issue… Ils travaillent sans filet et sans mandat institutionnel clair. La société n’est plus derrière eux, à commencer par leur administration _ quand celle-ci cède aux pressions et à la lâcheté… C’est ce qui aboutit à la crise de l’autorité à l’école : les enseignants sont là au nom d’une collectivité qui ne reconnaît pas le rôle qu’ils exercent.

Ph. M. : L’autorité est en crise parce qu’elle est individuée et qu’elle n’est plus soutenue _ cf Michel Crozier : L’Acteur et le système _ par une promesse sociale partagée _ d’où la montée des ressentiments (absurdes)… Le professeur tenait son autorité _ d’abord _ de son institution. Aujourd’hui, il ne la tient plus que de lui. L’école garantissait _ aussi _ que l’autorité du professeur était promesse de réussite _ différée, mais réelle _ pour celui qui s’y soumettait.

Aujourd’hui, la promesse scolaire est éventée et le « travaille et tu réussiras » ne fait plus recette. L’école, qui était une institution, est devenue un service _ voici : et si celui-ci s’achetait (sur-le-champ et sans efforts de soi de la part de l’adolescent), cela conviendrait encore davantage ! _ : les échanges y sont régis par les _ seuls : tristement pauvres ! _ calculs d’intérêts à court terme _ le diplôme comme viatique pour un travail… Le pacte de confiance entre l’institution scolaire et les parents est rompu. Ces derniers considèrent souvent l’école comme un marché dans lequel ils cherchent le meilleur rapport qualité/prix _ tel est pour eux la donne ; et le plus tôt le résultat est atteint, leur sera à eux aussi le mieux…

Le défi qui s’ensuit est double. Nous devons d’abord réinstitutionnaliser l’école jusque dans son architecture. Si les lycées napoléoniens ont si bien fonctionné, c’est qu’à mi-chemin entre la caserne et le couvent, ils alliaient l’ordre et la méditation _ voilà ! Réinstitutionnaliser l’école, c’est y aménager des situations susceptibles de susciter les postures mentales _ absolument : et en prenant en compte leur dimension temporelle ; leur suivi… _ du travail intellectuel.

Il est essentiel d’y scander _ clairement _ l’espace et le temps, d’y structurer des collectifs, d’y instituer des rituels _ oui ; et vraiment joyeux ! _ capables de supporter l’attention et d’engager l’intention _ profonde et enthousiaste si possible : dans la joie de l’effort et de la curiosité _ d’apprendre…

Nous devons ensuite, contre le savoir immédiat et utilitaire _ mécanique ! _, contre toutes les dérives de la « pédagogie bancaire » _ excellente expression encore ! _, reconquérir le plaisir _ généreux _ de l’accès à l’œuvre _ ceci est capital !!! en la richesse de sa nécessaire complexité… La mission de l’école ne doit pas se réduire à l’acquisition d’une somme _ réductivement simplifiée et capitalisable _ de compétences, aussi nécessaires soient-elles, mais elle relève de l’accès à la pensée _ en tant qu’aventure (complexe) sans cesse en chantier. Et c’est par la médiation _ mais oui ! _ de l’œuvre artistique, scientifique ou technologique _ forcément elle-même construite, en sa relative complexité et richesse ! _ que la pensée se structure et découvre une jouissance qui n’est pas de domination, mais de partage _ voilà : une distinction éminemment cruciale ! Soit encore Socrate versus Calliclès…

La réinvention de l’école passe donc aussi par un réexamen critique de nos outils pédagogiques ?

Ph. M. : L’accès _ artistique _ à l’œuvre _ et pas seulement d’Art : scientifique et technologique aussi… Le génie (humain) est invention, intuition et (longue) patience… _, parce qu’elle exige de différer _ voilà : dans l’épaisseur de la durée du temps vivant _ l’instrumentalisation _ technico-commerciale seulement _ de la connaissance _ processus lui-même non mécanique _ et d’entrer dans une aventure intellectuelle _ ouverte : c’est un pléonasme ! cf l’essentiel là-dessus L’Acte esthétique de Baldine Saint-Girons qui en détaille, à propos de l’œuvre d’art,  la merveilleuse délicatesse de complexité _, se heurte à notre frénésie _ assez stupide, par son inconsistance même _ de savoir _ informatif : pauvre d’intelligence _ immédiat. Car les enfants de la modernité veulent _ ou plutôt désirent : très superficiellement ! _ savoir _ ce qui n’est en rien connaître, mais seulement détenir, et très superficiellement (et provisoirement, face à l’oubli !), une minimale opinion : par ouï-dire (cf les divers « genres de connaissance«  selon Spinoza !). Ils veulent même  tout _ n’importe quoi et n’importe comment _ savoir _ sans rien construire (de sens) qui se tienne si peu que ce soit : cf ici la distinction de la connaissance (et la science) et de l’opinion (et la croyance) par Platon…

Mais ils ne veulent pas vraiment _ les malheureux ! de quelles joies ils se privent ! _ apprendre _ quelle (lamentable) tristesse que la paresse intellectuelle et l’incuriosité ! Ils sont nés dans un monde où le progrès technique est censé _ par auto-promotion commerciale mensongère ! populiste… _ nous permettre de savoir _ mécaniquement, voire automatiquement _ sans apprendre : aujourd’hui, pour faire une photographie nette, nul n’a besoin de calculer le rapport entre la profondeur de champ et le diaphragme, puisque l’appareil le fait tout seul…

Ainsi, le système scolaire s’adresse-t-il à des élèves qui désirent _ très superficiellement _ savoir _ en fait croire ! _, mais ne veulent plus vraiment apprendre _ véritablement : toujours à son corps défendant : tout savoir vrai s’incorpore ! Des élèves qui ne se doutent pas le moins de monde _ la massivité des réflexes auxquels les conditionnent les médias ne les y aide certes pas _ qu’apprendre peut être occasion de jouissance _ et quelles ! Ce qui est a contrario le cas de l’artisan comme de l’artiste en son apprentissage et à l’œuvre, pour se cantonner à ces exemples d’apprentissage…

Des élèves rivés sur l’efficacité immédiate de savoirs instrumentaux acquis _ le plus paresseusement possible _ au moindre coût _ surtout de sa petite personne ! à commencer physiquement, et même physiologiquement ! _, et qui n’ont jamais rencontré _ les malheureux : faute de maîtres qui leur ouvrent un tant soit peu les yeux… _ les satisfactions fabuleuses _ mais oui ! _ d’une recherche exigeante _ en ses processus comme en ses finalités : mais ceux-là, eux, probablement, « ne le valent pas bien«  C’est pourquoi l’obsession de compétences _ mécaniques et mécaniciennes (et évaluées ainsi) _ nous fait faire _ collectivement _ fausse route _ tragiquement. Elle relève du « productivisme scolaire », réduit la transmission à une transaction _ sans la moindre générosité ! _ et oublie que tout apprentissage est une histoire _ un peu complexe ; et une aventure en partie imprévisible et imprévue…

En réalité, la culture française a toujours été rétive _ ici c’est l’analyste de la pédagogie qui parle en Philippe Meirieu _ aux théories de l’apprentissage _ Henri Wallon, René Piaget… _, pour leur préférer les théories de la connaissance _ déjà constituée _ : « l’exposé des savoirs en vérité » _ coupés de la genèse (progressive) de leur dynamique _ apparaît ainsi comme la seule méthode d’enseignement, qu’elle prenne la forme de l’encyclopédisme classique ou des référentiels de compétences béhavioristes _ amertume ici de Philippe Meirieu : à nuancer sans doute un peu… Il n’y a pas que des enseignants stupides et complètement insensibles à (et ignorants de) la constitution effective (et aventureuse) des savoirs qu’ils sont censés pas seulement diffuser, mais bien faire connaître (et faire comprendre !) : mais cela demande aussi, forcément, et du temps, et du suivi, et de la patience ; à l’heure des drastiques réductions d’horaire ; et émiettages en tous genres…

Dans cette perspective, le savoir programmatique est à lui-même sa propre pédagogie, et toute médiation, tout travail sur le désir _ essentiel, en effet : mais pas forcément selon les conceptions du marketing d’un Edward Bernays ! _, relèvent d’un pédagogisme méprisable. Je regrette profondément l’ignorance de l’histoire de la pédagogie dans la culture française : elle nous aiderait à débusquer nos contradictions et nos insuffisances, et à réinventer _ sur le terrain : en la salle de classe _ l’école.

M. G. : Que savons-nous de ce que veut dire « apprendre » ? _ c’est la question du Ménon de Platon. Presque rien, en réalité : nous passons sans transition du rat de laboratoire et de la psychologie cognitive aux compétences qui intéressent les entreprises. Mais l’essentiel se trouve entre les deux, c’est-à-dire l’acte d’apprendre _ to learn _, distinct de connaître _ et acte-processus qui est la condition concrète effective de la constitution de tout savoir personnel tant soit peu incorporé _, auquel nous ne cessons, à tort _ par paresse quant aux processus effectifs (et aux efforts qu’ils nécessitent) _, de le ramener. Apprendre, à la base, pour l’enfant, c’est d’abord entrer _ et ce portail est décisif (et dure toute la vie !) _dans l’univers des signes graphiques par la lecture et l’écriture, et accéder par ce moyen aux ressources du langage _ voilà : en son infinie richesse ouverte : cf Chomsky _ que fait apparaître son objectivation écrite _ ce à quoi revient inlassablement Bernard Stiegler livre après livre…

Une opération infiniment difficile avec laquelle nous n’en avons jamais fini, en fait _ voilà ! Car lire, ce n’est pas seulement déchiffrer _ eh ! oui ! _, c’est aussi comprendre _ en s’investissant dans l’effort. Cela met en jeu une série d’opérations complexes d’analyse, de contextualisation _ oui _, de reconstitution sur lesquelles nous ne savons presque rien. Comment parvient-on à s’approprier le sens d’un texte ? _ d’abord par la curiosité et la qualité de notre attention-concentration !

On constate empiriquement que certains y parviennent sans effort, alors que d’autres restent en panne, de manière inexplicable _ faute de curiosité, d’attention-concentration, de patience ? Au moins autant affectivement qu’intellectuellement. Sur tous ces sujets, nous sommes démunis : nous nous raccrochons à un mélange de routines plus ou moins obsolètes et d’inventions pédagogiques plus ou moins aveugles.

Ph. M. : De même qu’aucun métier _ jamais strictement mécanique, par là ? _ ne se réduit à la somme des compétences nécessaires pour l’exercer, aucun savoir ne se réduit à la somme des compétences nécessaires pour le maîtriser. Les compétences graphiques, scripturales, orthographiques, grammaticales suffisent-elles pour entrer dans une culture lettrée ? Je n’en crois rien, car entrer dans l’écrit, c’est être capable de transformer les contraintes de la langue _ qui sont aussi des bases et des rails directionnels de l’intellection _ en ressources pour la pensée _ en sa quête de sens, quand (et si) quête de sens il y a ; et donc désir de sens… Il faut ici donner à apprendre à prendre confiance en ses propres efforts, et les encourager (et toujours avec exigence _ subjectivée _ de lucidité sur l’exigence objective de la qualité)…

Ce jeu _ mais oui ! et il doit même devenir succulent pour la personne… _ entre contraintes et ressources relève d’un travail pédagogique _ de la part du maître _, irréductible à l’accumulation de savoir-faire et à la pratique d’exercices mécaniques _ de la part de l’élève. Il renvoie à la capacité _ en le maître _ à inventer des situations génératrices de sens _ à vérifier en permanence, plus encore que ludiquement : joyeusement ! _, qui articulent étroitement découverte et formalisation _ voilà ! Or, nous nous éloignons aujourd’hui à grands pas de cela avec des livrets de compétences _ réduits et réducteurs _ qui juxtaposent des compétences aussi différentes que « savoir faire preuve de créativité » et « savoir attacher une pièce jointe à un courriel » _ noyant l’essentiel dans le très secondaire intellectuellement… Soit la confusion de la hiérarchie (même un peu plastique et souple) des fins et des moyens…

Que peut bien signifier alors _ et pour quel bureaucrate servile ? _ « l’élève a 60 % des compétences requises » ? La notion de compétence renvoie tantôt à des savoirs techniques reproductibles _ mécaniques, voire automatisables _, tantôt à des capacités invérifiables _ car plus subtiles : de finesse (non quantifiable, déjà) _ dont personne ne cherche à savoir comment elles se forment. Ces référentiels atomisent _ = émiettent désespérément _ la notion même de culture _ de même qu’est « atomisée«  la personne même : cf le concept (et ses applications) de « ressources humaines«  !!! _ et font perdre de vue _ avec des dégâts considérables _la formation à la capacité _ personnelle _ de penser _ au profit de réflexes (cf la logique du « temps de cerveau disponible«  ; et du « vu à la télé« …).

A l’heure où nous passons des connaissances aux compétences, quels sont les leviers politiques qui permettraient de réinventer l’école ?

M. G. : L’école est à réinventer, mais elle ne pourra pas le faire seule dans son coin. Ce n’est pas un domaine de spécialité comme un autre qu’il suffirait de confier aux experts _ purement techniques et techniciens de la chose… _ pour qu’ils trouvent les solutions. Le problème éducatif ne pourra être résolu dans ces conditions. C’est une affaire qui concerne au plus haut point _ tant importent les valeurs et finalités commandant ces processus _ la vie publique _ et au premier chef politique, à l’aune de l’idée (vraie, et non menteuse, démagogue, populiste) de « démocratie«  _, qui engage l’avenir de nos sociétés _ et cultures/incultures _ et ne peut être traitée que comme une responsabilité collective qui nous concerne tous _ en une démocratie qui soit « vraie«  _, et pas seulement les parents d’élèves.

L’une des évolutions actuelles les plus inquiétantes réside dans l’installation au poste de commandement _ des pouvoirs _ d’une vision purement économique _ et c’est peu dire : cf les aspects idéologiques du thème de la « dette«  publique ! _ du problème, élaborée et développée à l’échelle internationale _ par l’ultra-libéralisme ; cf de Michaël Foessel, l’excellent État d’urgence _ critique de la banalité sécuritaire, aux Éditions Le Bord de l’eau.

Ce que résume l’écho donné aux résultats des enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), pilotées par l’OCDE. Le ministère de l’éducation nationale ne fait plus que répercuter _ voilà _ des conceptions très discutables du type de performances auxquelles doivent tendre les systèmes éducatifs.

Très discutables, je le précise, y compris du point de vue de l’emploi et de l’efficacité économique. Qui peut prendre au sérieux _ mais est-ce seulement un souci ? Que valent seulement ces segments de population-là ?.. _ le livret de compétences introduit au collège dans le but de mieux évaluer les acquis des élèves ? _ on atteint en effet ici des sommets de ridicule bureaucratique…

Dans le travail comme dans le reste de l’existence _ en effet ! _, c’est avec de la pensée _ seulement ! _ que l’on peut progresser, à tous les niveaux. La fonction _ finalité suprême _ de l’école, c’est tout simplement d’apprendre _ à l’enseigné _ à penser, d’introduire à ce bonheur _ oui ! _ qu’est la maîtrise par l’esprit _ devenant un peu plus intelligent _ des choses que l’on fait, quelles qu’elles soient. C’est, de très loin, la démarche la plus efficace _ comment peut-il être nécessaire d’avoir à en convaincre les décideurs ?.. Mais combien préfèrent les machines, et, à défaut, les esclaves ; et les abrutis !..  L’illusion du moment est de croire qu’on obtiendra de meilleurs résultats pratiques en abandonnant cette dimension humaniste _ cf aussi l’important livre de Martha Nussbaum dont vient de paraître la traduction en français : Les Émotions démocratiques _ comment former le citoyen du XXIe siècle

Ph. M. : Je suis entièrement d’accord avec Marcel Gauchet sur l’importance d’une mobilisation politique sur la question de l’éducation, qui dépasse d’ailleurs celle de l’école _ cf les dégâts (d’ampleur considérable) de la pratique des médias, les jeux vidéos, etc. ; et l’impact (énorme) des diverses propagandes… Les programmes éducatifs des deux principaux partis politiques français ne proposent rien de plus que de nouvelles réformes scolaires : il n’y est nullement question de la famille, du rôle des médias, de la présence des adultes dans la ville, des relations transgénérationnelles _ cf les travaux de Bernard Stiegler ; par exemple, Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations

Marcel Gauchet et Philippe Meirieu, alors que vous appartenez à des mouvances différentes, vous avez cherché à dépasser l’opposition entre « pédagogues » et « républicains », cette vieille querelle qui divisait les soi-disant partisans des savoirs de la transmission et ceux qui prônaient l’exclusive transmission des savoirs. Est-ce le signe de la fin d’un clivage tenace mais sclérosant ?

M. G. : L’opposition entre pédagogues et républicains me semble derrière nous. Je m’en félicite, car j’ai toujours travaillé à la dépasser. La divergence très relative entre Philippe Meirieu et moi-même tient simplement à la différence de point de départ. Philippe Meirieu part de la pédagogie, là où je pars d’une préoccupation plus politique.

Il est certes important de connaître le patrimoine pédagogique, mais je suis peut-être plus sensible que Philippe Meirieu au caractère inédit de la situation. Aucun discours hérité ne me semble immédiatement à la hauteur _ voilà _ de la réalité scolaire _ dans toute son amplitude (et sa complexité) : au travail ! _ dont nous faisons aujourd’hui l’expérience.

Ph. M. : A l’heure actuelle, l’essentiel est d’inventer une école qui soit délibérément un espace de décélération _ facteur très important ; cf l’essai d’Harmut Rosa : Accélération _, un lieu d’apprentissage de la pensée _ ce qui demande toujours du temps et du suivi dans l’investissement (et l’incorporation même de ce qui s’apprend) : quand, à l’inverse, on nous émiette et atomise et désintègre tout !!! _ et d’expérience d’un travail collectif solidaire _ aussi ! Or, sur ces questions, le patrimoine pédagogique _ Marta Nussbaum y insiste, elle aussi, en son Les Émotions démocratiques _ comment former le citoyen du XXIe siècle _ m’apparaît d’une extrême richesse. Le clivage politique, quant à lui, se situe entre ceux qui chargent l’école de transmettre une somme de savoirs techniques garantissant _ qu’ils disent ! _ à terme l’employabilité du sujet _ item au sein de la masse de la « ressource humaine«  à gérer en ses flux et cohortes… _, et ceux pour qui l’école a une vocation culturelle _ des personnes (et citoyens d’une vraie démocratie) _ qui dépasse la somme _ quantitative _ des compétences techniques _ et commerciales _ qu’elle permet d’acquérir.

C’est là une question de société qui appelle un véritable débat démocratique _ et comment !

Marcel Gauchet, historien et philosophe

Né en 1946, est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et au Centre de recherches politiques Raymond-Aron. Rédacteur en chef de la revue « Le Débat » (Gallimard), qu’il a fondée avec Pierre Nora en 1980, il a récemment publié « La Condition historique » (Stock, coll. Les Essais, 2003), un entretien avec François Azouvi et Sylvain Piron qui retrace son parcours intellectuel et politique depuis 1968, « L’Avènement de la démocratie », t. 1 « La Révolution moderne », t. 2 « La Crise du libéralisme » et t. 3 « A l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974″ (Gallimard, 2007-2010).
Sur l’école, il a publié, en collaboration avec Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi, « Pour une philosophie politique de l’éducation » (Hachette Littératures, 2003) et « Les Conditions de l’éducation » (Stock, 2008).

 Philippe Meirieu, pédagogue et essayiste

Né en 1949, Philippe Meirieu a été instituteur, professeur de collège et de lycée (général et professionnel). Il est aujourd’hui professeur des universités en sciences de l’éducation. Il fut responsable d’un collège expérimental, rédacteur en chef des « Cahiers pédagogiques », formateur d’enseignants. Il participa à la création des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), présida la consultation Quels savoirs enseigner dans les lycées ? en 1997-1998. Il dirigea l’Institut national de recherche pédagogique et l’IUFM de l’académie de Lyon. Actuellement vice-président de la région Rhône-Alpes délégué à la formation tout au long de la vie, il a notamment écrit, aux éditions ESF, « Le Choix d’éduquer » (1991), « Frankenstein pédagogue » (1996), « Faire l’école, faire la classe » (2006). Il vient de publier un livre d’entretiens avec le psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis, « L’Ecole et son miroir » (Jacob-Duvernet, 144 p., 24,95 €).

« Les retours du dimanche », une émission France Culture-« Le Monde »

Chaque dimanche, de 17 à 18 heures, l’émission « Les retours du dimanche », coproduite et coanimée par Agnès Chauveau, directrice exécutive de l’Ecole de journalisme de Sciences Po et Nicolas Truong, responsable des pages « Débats » du « Monde », proposera un retour critique et éclairé sur les temps forts de l’actualité de la semaine. Un ou deux invités d’honneur, choisis pour la qualité de leurs analyses et le caractère intempestif de leur pensée, tenteront d’élucider des faits notables de l’actualité. Autour de ce grand entretien, une chronique sur la vie des idées, un tour du monde des débats et des extraits sonores jouent les éclaireurs.

C’est dans ce tempo propice d’une journée tournée vers la détente mais aussi vers la réflexion que « Les retours du dimanche » se pencheront avec des intellectuels sur les « infos » les plus saillantes afin d’aiguiser le sens critique des auditeurs de France-Culture et des lecteurs du « Monde ».

(Première émission, le 4 septembre).

Article paru dans l’édition du 03.09.11 du Monde.

Brefs des questions éminemment pratiques essentielles

quant au devenir _ et collectif, et personnel _

de l’humanité.

Titus Curiosus, ce 3 septembre 2011

la pharmacopée du professeur de médecine civilisationnelle Bernard Stiegler : une posologie d’urgence des écrans

18nov

Un délicieux et urgentissime diagnostic, assorti d’une rapide posologie d’urgence _ à propos des enfants et de l’éducation, d’abord (cf déjà le plus que très utile « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations«  !..) _ du « professeur de médecine civilisationnelle » Bernard Stiegler, en une collection d' »Entretiens«  (réalisés ici _ excellemment ! _ par Thierry Steiner) qu’édite, aux Éditions Mordicus, l’excellent Pierre Veilletet : « Faut-il interdire les écrans aux enfants ? » :

voilà en un petit livre de 112 pages  _ avec deux entretiens : un avec Serge Tisseron (pages 17 à 58), l’autre avec Bernard Stiegler (pages 61 à 103) _, sur lequel je suis tombé en recherchant sur le site mollat.com un lien (pour l’article précédent de mon blog) pour un des ouvrages de Bernard Stiegler,

ma toute récente formidable découverte de lecture !..

En 43 pages, Bernard Stiegler, lumineux comme d’habitude en ses exposés « missionnaires »

_ page 74, vient à l’appui de cette intuition l’affirmation : « les pouvoirs publics doivent prendre des mesures régaliennes pour obliger les médias de masse, d’une part, à mener des politiques d’innovation adaptées à la convergence (numérique : nouvelle !), et d’autre part et surtout, pour leur imposer de nouvelles missions (voilà !), et en particulier une mission d’éducation«  !.. _

en direction des publics les plus divers, comme je l’ai expérimenté à chaque reprise _ je l’avais reçu pour la « Société de Philosophie de Bordeaux«  dans les salons Albert Mollat le jeudi 18 novembre 2004 sur le sujet de « la décadence des sociétés industrielles« , au moment de la parution de son « Mécréance et discrédit » volume 1 : « la décadence des sociétés industrielles«  (les volumes 2 & 3 de ce travail furent consacrés aux « sociétés incontrôlables d’individus désaffectés » et « l’esprit perdu du capitalisme« ) ; ou à Saint-Émilion, le 30 mai 2009 sur le sujet « du marché au commerce«  (cf mon article du lendemain, le 31 mai : « très fortes conférences« ) ; et aussi à l’OARA-Scène d’Aquitaine, le 4 avril 2007, sur le sujet « du consumérisme culturel à l’éthique de l’amateur«  ; ainsi qu’au Conseil Régional d’Aquitaine pas plus tard que le 23 octobre dernier (cf mon article du 26 : « Pour une économie de la contribution : diagnostic et pharmacopée anti-Viagra d’une économie de la culture du docteur Stiegler« …)… _,


Bernard Stiegler livre son diagnostic et sa pharmacopée avec une clarté et une efficacité magnifiques…

L’entretien avec Thierry Steiner est dédié (page 61) à Rosine Gautier et Geneviève Piéjut _ co-auteur de « La Télévision et son public 1974-1977 : Place, programmation et audience des différentes catégories d’émissions« , paru à La Documentation française, en 1978… _ avec lesquelles Bernard Stiegler travailla à L’INA (dont il fut le Directeur-général adjoint et chef du département Innovation de 1996 à 1999)…

« L’attention des enfants et des adolescents est de plus en plus souvent sollicitée par plusieurs médias simultanément, ce qui conduit à une véritable dispersion de l’attention. (…) Ces effets (…) qui relèvent de ce que l’on a appelé la convergence numérique des médias, sont pour le moment destructeurs de l’attention« , nous dit-il, page 64. Mais « on peut cependant imaginer que les agencements nouveaux entre médias rendus possibles par la convergence soient mis au service de la formation et de l’approfondissement de l’attention plutôt que de sa destruction« , pages 64-65. « Les nouveaux médias, parce qu’ils sont bi-directionnels, ont des caractéristiques très intéressantes et offrent d’immenses possibilités par rapport aux médias audio-visuels analogiques. Mais leur mise en valeur nécessiterait une politique publique qui fait aujourd’hui totalement défaut« , page 65. « Pourtant (…), un agencement intelligent entre ces médias, mis au service de l’éducation plutôt que soumis à l’hégémonie absolue du marketing, pourrait apporter mille possibilités nouvelles de formation de l’attention profonde, c’est-à-dire de ce que l’on appelle la culture, le savoir et l’éducation. Malheureusement, les tentatives actuelles d’agencer les médias en tirant parti de la convergence numérique (…) n’ont qu’un objectif : continuer à capturer l’attention au service du marketing, en la tirant toujours plus vers la pulsion, et en la détruisant« , page 68. « Le fonctionnement de l’audio-visuel dans son ensemble est devenu pathogène », page 72. « Une question d’écologie de l’esprit se pose ainsi », page 74 : « les pouvoirs publics doivent prendre des mesures régaliennes pour obliger les médias de masse, d’une part, à mener des politiques d’innovation adaptées à la convergence, et d’autre part et surtout, pour leur imposer de nouvelles missions, et en particulier une mission d’éducation. Les médias sont de nos jours tous soumis au marketing et à « la tyrannie de l’audience quart d’heure par quart d’heure » (…) du fait de leur financement par la publicité. Il faut les contraindre à développer une autre utilité sociale », page 74. « Ceci suppose de repenser en profondeur le rôle des médias non seulement dans l’éducation, mais dans la recherche scientifique, et comme nouveaux instruments du savoir, dans les laboratoires aussi bien qu’à l’université. D’immenses possibilités se présentent ainsi pour ce qu’on appelle les industries de la connaissance, les sociétés de savoir et la bataille de l’intelligence. Mais sans une politique publique hardie, capable de soutenir ces évolutions qui n’ont pas, pour le moment, d’économie, rien de cela ne pourra advenir« , page 75.

« La télévision est mauvaise pour les enfants très jeunes quel que soit le programme, parce que la captation de l’attention juvénile est directement destructrice ; et le facteur qui prime est ici non simplement l’écran, mais l’appareil _ tel qu’il induit passivité, perte de motricité et perte de relations d’attachement intergénérationnelles« , page 76.

« Le facteur « programme » devient plus important à mesure que l’enfant grandit«  (…) et « il est sûr que (…) la captation massive et constante de l’attention, en détruisant les relations interindividuelles, détruit les structures et les processus par lesquels la formation d’un réseau symbolique entre les individus permet de transformer les pulsions _ dont nous sommes tous porteurs _ en investissements sociaux, c’est-à-dire en énergie libidinale, pour parler comme Freud _ ce que Lacan appelle le désir« , pages 76-77.

Or « les consommateurs désirent de moins en moins, mais dépendent de plus en plus de besoins artificiellement produits, qui sollicitent toujours plus leurs comportements pulsionnels aux dépens de leur libido, c’est-à-dire de leur désir. C’est ainsi que le téléspectateur tend à devenir dépressif (la dépression est précisément une perte de désir) ; et que les médias deviennent eux-mêmes massivement pulsionnels et populistes : ils cherchent à tirer le « temps de cerveau disponible » vers le bas, c’est-à-dire qu’ils l’encouragent à suivre une pente naturelle, contre laquelle lutte toute élévation culturelle et toute éducation. Cette pente conduit à  une sorte de déchéance dont nous voyons bien qu’elle s’est emparée de toute la société, et que personne n’y échappe _ pas plus les femmes et les hommes politiques que les psychanalystes ou les pédiatres qui, pour des raisons vénales ou parce que leurs propres cerveaux sont devenus fondamentalement disponibles à tout cela (…), cautionnent Baby First _ la chaîne « pour » le « public » des bébés ! _, ou conseillent l’industrie du jeu vidéo et les industries de programmes en général« , pages 77-78…

« Quant à l’État, en renonçant à réguler cet état de fait de plus en plus ruineux pour la société, il renonce à soutenir la culture et l’éducation, et préfère multiplier les policiers en développant un état d’esprit paranoïaque qui exploite les tensions intergénérationnelles et les pulsions de destruction.C’est une politique absolument irresponsable qui hypothèque très gravement l’avenir, et que l’Histoire jugera comme telle. Il ne s’agit pas de condamner les médias, mais plutôt la façon dont, par le fait d’une politique publique démissionnaire _ qui avait commencé avec François Mitterrand _, ils se sont soumis _ à rebours du « bien public«   _ à l’hégémonie du marketing ; et avec eux, tous ceux qui ont renoncé à ce que l’homme (et ses enfants) s’élève _ voilà ! cf sur cette dynamique civilisationnelle le philosophe Alain… _ plutôt que de se vautrer dans la fange« , page 78.

« La télévision : ce pharmakon, qui empoisonne _ présentement _ la société contemporaine, pourrait devenir, notamment à travers une politique industrielle aussi bien qu’éducative _ voilà ce qu’il faut de toute urgence « construire«  ! _ des nouveaux médias, un formidable renouveau _ telle une nouvelle « renaissance«   _ au service d’un dépassement du consumérisme » _ mortifère, page 80.

« L’éducation est une forme de thérapeutique , c’est-à-dire de soin prodigué à l’enfant« , page 81. « La télévision, lorsqu’elle court-circuite ces structures fondamentales où se forme _ et se construit ; cf Freud, Mélanie Klein, ou le grand Winnicott… _ la psychè, atrophie le développement des capacités psychosociales de l’enfant _ et fragilise, voire anéantit le processus primordial que Freud appelle l’identification primaire. Dans cette période, l’enfant construit une relation à ses éducateurs telle qu’ils deviennent son imago, c’est-à-dire ce qui servira de base à son « idéal du moi ». (…) L’identification primaire, qui est la base même de la construction de l’appareil psychique, permettra plus tard à l’adulte mature de continuer _ toujours, toujours : le travail, en sa « plasticité«  (cf Catherine Malabou) n’a heureusement pas de fin… _ à se construire en intériorisant des identifications secondaires entre lesquelles elle lui servira d’arbitre, en cas de conflits _ au sein du « jeu » de cette « plasticité«   _ d’identification : dès avant l’adolescence, on s’identifie _ pluriellement  _ à des personnages successifs« , pages 82-83.

Or, « le marketing, qui veut que l’enfant s’identifie _ bien moins pluriellement …  _ aux chaînes, aux marques et aux personnages des médias de masse, tend _ par domestication sommaire _ à le priver d’identification primaire. Or, un enfant sans identification primaire est un psychotique en puissance _ voilà ! Voilà pourquoi j’estime qu’il s’agit d’une question de santé publique, outre que l’exposition des enfants à la télévision affecte _ sans remède ! cf aussi ce qu’en dit Serge Tisseron…  _ la synaptogénèse et constitue un facteur d’apparition du déficit attentionnel _ étudié par Katherine Hayles. C’est faute de prendre soin des enfants, et de leurs parents, et de les protéger de ce poison qu’est devenu le pharmakon médiatique _ cf le livre majeur de Bernard Stiegler « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations« … _, que l’État préconise de les envoyer en prison prématurément« , page 84.

« Ces questions passent par _ rien moins que _ une nouvelle culture, par un discours prescriptif de la puissance publique, et _ mis en œuvre on ne peut plus effectivement (et dans toute son ampleur nécessaire !) _ par des actes et des budgets appropriés« , page 85.

« Les pouvoirs publics ont totalement démissionné _ voilà ! _ par rapport à cette question, et il faut les ramener à leurs responsabilités _ civilisationnelles : mais que sont donc devenus (et continuent de devenir !) les États ?!.. _, non pas pour leur demander d’interdire quoi que ce soit, mais pour qu’ils prennent des initiatives positives _ et dynamisantes ! _ et fassent que les médias en général soient remis au service du bien public _ à rebours de l’hégémonie du marketing (et des profits de quelques « particuliers«  privés) ! _, et en particulier de l’éducation : qu’ils cessent d’empêcher _ en effet ! _ les parents, l’école et la République d’éduquer les enfants, et qu’ils aident _ aussi, voire pour commencer ! _ les parents à s’éduquer avec les médias. Car tel est l’humain _ non-inhumain ! faut-il le spécifier ?.. _ dans l’homme : non seulement il est capable d’apprendre jusqu’au dernier jour de sa vie, mais il le désire _ et même s’y passionne _, pour autant qu’on ne fait pas de lui un porc« , page 86.

« On a admis que le tabac tue ; et on a pris des mesures en fonction. Admettons que l’usage actuel des médias de masse tue la société _ voilà ! _ en la rendant de plus en plus pulsionnelle ; et prenons des mesures en fonction. (…) C’est à une véritable entreprise de désintoxication qu’il faut procéder, notamment en alertant les parents sur le fait que les médias ont des effets toxiques _ déjà _ sur eux-mêmes. S’ils n’en prennent pas conscience, ils ne pourront pas comprendre quels ravages ces effets peuvent provoquer sur leurs enfants« , pages 86-87.

« Le psychopouvoir est ce qui constitue une économie libidinale consumériste. Le problème est que cette économie est _ aussi elle-même _ autodestructrice : en court-circuitant les milieux, fonctions et structures symboliques où sont les objets producteurs du désir individuel, elle est devenue un obstacle au développement et au fonctionnement de l’appareil psychique, c’est-à-dire la transformation des pulsions en désir _ facteur de dépassement de soi et d’authentique « progrès«  ! cf Nietzsche… Le désir est en effet ce qui, par structure, diffère la satisfaction de la pulsion _ au profit d’un « déploiement » (enthousiasmant, lui !) des qualités personnelles… Et l’éducateur est celui qui apprend à celui qu’il élève ainsi à trouver plus de plaisir dans le désir _ et son « déploiement » ; cf, par exemple, Deleuze…  _ que dans la pulsion _ ponctuelle (et répétitive : réduite à un réflexe). Cependant, chacun d’entre nous est toujours prêt à désapprendre _ masochistement ! _ cette différence entre désir et pulsion ; et c’est cette tendance régressive qu’exploite _ en effets terriblement ravageurs _ aujourd’hui le psychopouvoir en désapprenant le désir _ et en installant ainsi une véritable bêtise systémique, à laquelle personne n’échappe tout à fait« , page 89.

« La captation de l’attention des publics par les écrans, en premier lieu par la télévision, mais aussi par un mésusage d’Internet, détruit _ ainsi, journellement _ les capacités attentionnelles soutenues. Or, l’attention est la faculté sociale _ de l’« égard« _ par excellence _ quand l’autre n’est pas seulement un moyen (pour la seule _ ainsi misérable ! _ utilité) ; mais une vraie « personne« , un autrui… Il est donc urgent _ en effet ! _ de réguler tous les processus _ oui : nombreux _ qui conduisent à sa destruction. L’école va mal avant tout parce que les enfants n’ont plus les capacités _ d’abord d’attention ; et curiosité ; et enthousiasme… _ requises. Là est l’enjeu primordial d’une écologie de l’esprit« , page 94.

Les nouveaux médias : « leur succès tient d’abord au fait qu’ils requièrent de la part de ceux qui les pratiquent une activité. Et c’est là _ oui ! _ une grande chance (…) ; et les comportements que l’on voit émerger sur Internet ne s’inscrivent plus dans le modèle industriel consumériste.«  (…) Mais « sans une politique éducative qui saura tirer _ avec une ingéniosité mise au service, cette fois, du déploiement des facultés humaines authentiquement créatrices d’humanité _ tout le parti possible de ces nouvelles sortes de pharmaka, (…) les nouveaux médias seront _ sinon !… _ à leur tour _ une nouvelle fois ! _ mis au service d’une hégémonie du marketing productrice d’encore plus de pulsion et d’addiction. Cet enjeu de civilisation _ où il s’agit de développer un nouveau savoir-vivre aussi bien qu’une autre économie (« de la contribution« ) _ concerne l’avenir de tous les enfants d’aujourd’hui _ de par le monde « mondialisé«  _, les fameux digital natives. (…) Il faut _ donc _ absolument que les parents interpellent les pouvoirs publics et les placent _ et vraiment ! _ devant leurs responsabilités. Les hommes et les femmes politiques sont spontanément _ par intérêt « personnel » à très court terme : celui de l’échéance de leur « élection » ou « ré-élection«  _ du côté des médias, qui leur sont nécessaires pour être élus _ voilà ! Mais il faut leur faire savoir que l’opinion elle-même est de moins en moins du côté de ces médias-là, et qu’ils seront de moins en moins efficaces pour être élus. Tel est le combat _ des citoyens un peu responsables _ de demain _ pour une écologie de l’esprit, et avant tout pour la protection de l’appareil psychique des petits comme des grands« , pages 96 à 98.

« La puissance publique doit faire émerger de nouvelles règles du jeu social _ et politique, culturel, civilisationnel, donc… _ intégrant pleinement les technologies numériques ; et ce que les nouvelles pratiques sociales ont de profondément positif. (…) Il faut qu’une politique d’investissement public soutienne et accompagne le développement des pratiques sociales _ pleinement « démocratiques«  ; à rebours des sinistres populismes ! qui ont si tristement aujourd’hui le vent en poupe ! _ que ces instruments rendent possibles, et qui les conduisent à repenser très en profondeur les modèles éducatifs. C’est ainsi qu’on fera des pharmaka des instruments plutôt thérapeutiques que toxiques« , pages 98-99.

« Il faut faire émerger des règles, et pas simplement décréter : cela veut dire inventer _ cf Cornelius Castoriadis : « L’Institution imaginaire de la société«  _ une nouvelle culture, celle qui correspond aux spécificités des technologies numériques. C’est d’émergence _ de très grande largeur… _ qu’il s’agit et qu’il s’agira de plus en plus« , pages 99-100.


« Mais pour que tout cela puisse se développer, il faut aussi et surtout créer un appareil d’intelligence collective où l’éducation nationale et les industries de programme doivent apprendre à travailler _ de facto et in concreto _ ensemble, où les universités doivent être profondément réorientées dans leurs finalité, et où les structures de recherche doivent faire de ces questions leurs priorités« , pages 100-101.

« Aujourd’hui, il faut défendre la société contre ce qui la détruit : l’hégémonie du marketing. Il faut rebâtir la société« , page 101.


« En attendant, certains parents s’organisent en petits groupes pour mener des opérations de « désintoxication collective ». Ainsi Jacques Brodeur et ses « dix jours sans télévision », conçus sur la base d’une théorie de Thomas Robinson, professeur à l’université de Stanford, qu’il a généralisée au Canada et qu’il développe à présent en France. Soulignant que le nombre d’élèves du primaire avec troubles de comportement a augmenté de 300 % entre 1985 et 2000, que les 13-17 ans commettent deux fois plus de crimes violents que les adultes, et deux fois plus qu’il y a 20 ans, il a créé des groupes de parents qui travaillent avec les éducateurs pour avoir un bon rapport aux écrans. En posant notamment le principe que, pour apprendre à en faire quelque chose intelligemment, il faut commencer par apprendre à vivre sans. (…) Les effets positifs sont spectaculaires à tous égards, en matière de résultats scolaires, équilibre physique et psychique, rapport à la lecture, notamment« , pages 102-103…

Ces extraits de « Faut-il interdire les écrans aux enfants ?« 

font entrevoir la richesse de ces analyses remarquablement claires et extrêmement concrètes de Bernard Stiegler.

A confronter avec les remarques « de terrain » du psychanalyste et psychiatre Serge Tisseron, en première partie de ces « entretiens«  avec Thierry Steiner…

En une collection toute « pratique«  (des Éditions Mordicus, que dirige l’excellent Pierre Veilletet) qui donne à réfléchir avec « prises« 

Titus Curiosus, ce 18 novembre 2009

Pour une « économie de la contribution » : diagnostic et pharmacopée « anti-Viagra » (de l' »économie de la culture ») du docteur Stiegler

26oct

Vendredi dernier, à 10 h, au Conseil Régional d’Aquitaine, dans le cadre d' »ateliers » :

« le numérique et la créativité en région« ,

était organisé un « débat » :

« La créativité et l’innovation au cœur de la relation homme / territoire dans un monde numérique« , avec les interventions des philosophes Bernard Stiegler et Heinz Wismann, avec Hervé Le Guyader pour « modérateur« …

Une initiative pratique a priori (du moins…) utile, prometteuse, féconde ; et mieux que bienvenue :

de première urgence ! :

tant il est positif que le terrain (plus ou moins institutionnel) des « entrepreneurs« 

(« producteurs » _ « créateurs » ou « exploitants » : à y regarder d’un peu près, de l’Art et de la Culture : ici, je sens sur mes épaules comme un souffle d’ironie d’un Michel Deguy… : encore faut-il s’entendre sur les justes qualifications…)

comme celui des « décideurs«  (politiques) _ en sinon « locomotives de l’action« , du moins en « boosters » d’appoint, mais vitaux, à l’ère de la concurrence (mondialisée) acharnée « sur le terrain«  (régional, en l’occurrence)… _

bénéficie du diagnostic et des pistes (éclairants !) que proposent les philosophes les mieux informés et réfléchissants d’aujourd’hui…

Une aubaine…

C’est en curiosus (et ami de Bernard Stiegler ;

cf mon article du 31 mai dernier sur la conférence de Bernard Stiegler au Festival « Philosophia » de Saint-Émilion : « Très fortes conférences d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler à propos de ce qu’est « faire monde » à l’excellent festival « Philosophia » de Saint-Emilion« …)

que _ non « institutionnel« , que je suis, de facto _ j’accours à cette « rencontre«  ;

toujours en appétit _ personnel ! _ de la plus performante lucidité qui soit

pour toujours tenter d’un peu mieux (et de ma place ; et à mon échelle ! _ d’individu…) comprendre ce qui se passe présentement, ce qui se trame, dans le secret des flux (et tourbillons agités) humains les plus opérationnels dans le monde d’aujourd’hui :

j’essaie de « faire«  _ de ma place et à mon échelle, donc _ « le philosophe«  ;

et depuis le 3 juillet 2008, sur mon blog « En cherchant bien » _ ou « Les Carnets d’un curieux » : c’est son titre alternatif… _, je le partage (un peu) aussi (!) par l’écriture avec d’éventuels lecteurs un tant soit peu patients, en plus d’être, eux aussi, un tant soit peu curieux :

car il faut, certes, arriver à « suivre » le flux (un peu contourné, sinon réellement « labyrinthique« …), en son élan _ porteur, je voudrais croire … _ de mes circonlocutions,

ô « indiligents lecteurs »

(cf ici l' »Adresse » _ « Au lecteur«  _ inaugurale sublime des « Essais » du génialissime Montaigne, en 1581, à l’ouverture de la modernité philosophique :

l’article d’ouverture de ce blog annonçait la couleur ; on peut s’y reporter ; j’y suis _ de tempérament obstiné, ou têtu : par quelques ascendances bretonnes et basquaises, peut-être ; en plus d’être gascon ; et voisin de Montaigne, par mon enfance des côteaux surplombant la Dordogne… _ absolument fidèle)…

J’en viens au fait de la teneur de l’intervention (diagnostic + pharmacopée !) de Bernard Stiegler _ en « médecin consultant« , en quelque sorte... _ au Conseil Régional ce vendredi dernier 23 octobre

(cf aussi l’article de Bernard Stiegler : « Le Mépris« , sur le site « Culture Action Europe » du « Forum Européen pour les Arts et le Patrimoine« …) 

L’analyse du « modèle » de l »économie créative » au « menu » de cette rencontre organisée par le Conseil Régional d’Aquitaine a été proposée, dès 2001-2002, par John Howkins et Richard Florida (cf « Economie créative. Une introduction« , paru aux Éditions Mollat, en février 2009) :

cf John Howkins : « The Creative Economy« , 2001, Allen Lane ;

et Richard Florida : « The Rise of the Creative Class. And How It’s Transforming Work, Leisure and Everyday Life« , 2002, Basic Books ; et « Cities and the Creative Class« , 2005, Routledge…

Bernard Stiegler se déclare « en profond désaccord » avec ce modèle tout bonnement ségrégationniste d' »économie créative » du début des années 2000 ;

et selon lui les « pôles de compétitivité« , les « creative clusters » proposés par ces auteurs tels que Florida et Howkins ne sont que des « clusters Viagra » destinés à tenter de « relever » un peu l’énergie démotivée d’un modèle consumériste moribond _ et cela dès les années 80 ;

soit « remédier » à la « débandade » par défaut de désir du « consommateur« , en « dépression » chronique carabinée…

Un « psycho-pouvoir« , relevant le « bio-pouvoir » détecté et analysé par Michel Foucault dans la décennie 80,

vise au « contrôle de la vie de nos âmes » par une « destruction de la formation de l’attention« … 

« La crise économique » se trouve ainsi « devant nous« , souligne Bernard Stiegler ;

et se caractérise par « une perte de savoir généralisée » (soit, au sens étymologique, et selon Marx comme selon Adam Smith, une « prolétarisation« ) ;

une « crétinisation généralisée« , dit-il…


Aussi importe-t-il, sinon d’arrêter ce processus (peut-être « inarrêtable« ),

du moins, au moins, de le « penser » ;

et de le « retourner« , peut-être, vers (et pour) d’autres objectifs…

Aussi Bernard Stiegler propose-t-il d’abandonner les catégorisées usées  de « technologies de l’information et de la communication« , au profit de celles de « technologies cognitives et _ surtout ! _ culturelles » ;

avec pour résultats du déploiement des premières, une « paralysie de l’intellect« , « notamment politique« …

Et d’évoquer son expérience personnelle, au Centre Pompidou, de l’évolution vers un « consumérisme culturel » qu’il qualifie d' »effrayant » ;

avec l’obsession d' »augmenter les flux » des « visiteurs«  de passage, quand les œuvres demandent d’abord qu’on leur consacre du temps _ et un « dialogue«  : un tant soit peu serein… _ : « le temps de l’amour des œuvres« , précisément ! On ne peut pas aimer à la va-vite…


D’où l’urgente réhabilitation (et « renaissance«  : Bernard Stiegler embrayant ici sur les analyses éclairantes de Heinz Wismann) de l »amateur » et de l' »amatorat« .

En lieu et place d’une « consommation« , passive (et clonée) qui « consume« ,

aider au passage à une « économie«  _ active et pleinement créatrice _ de la contribution » !..


Toute technique est _ ainsi que l’a montré Jacques Derrida, d’abord en sa « Pharmacie de Platon«  _ un « pharmakon« , ambivalent : selon la dose, le médicament-drogue qui soigne devient un poison qui tue ! les pharmaciens ne distribuent donc les « médicaments » que selon ce que prescrivent, avec l’autorité certifiée de leur savoir, les médecins ;

sinon, ils ne sont plus que des « dealers« …

L' »amateur » (d’Art et de culture) qui se forme à l’expérience _ toujours et nécessairement, pour être vraiment « authentique« , singulière _ des œuvres et à l’épreuve d’échanges continus (et critiques) de « jugements de goût » avec d’autres témoignant peu à peu de leur propre compétence en cette matière complexe, infiniment fine et subtile, et prenant du temps,

est celui qui parvient à « porter au comble une intensité«  _ de joie, ajouterais-je… _ qui, sinon, « se perd dans le flux des choses substituables » ;

cela pouvant aussi passer, et nécessairement _ cf André Leroi-Gourhan : « Le Geste et la parole » ; et Sylvain Auroux : « La révolution technologique de la grammatisation. Introduction à l’histoire des sciences du langage« , paru en 1994, aux Éditions Pierre Mardaga… _, par certains artefacts…

Adressant le lendemain un courriel à Bernard Stiegler que je n’avais matériellement pas pu « saluer » après son intervention en séance publique,

 De :   Titus Curiosus

Objet : Intervention au Conseil Régional d’Aquitaine
Date : 24 octobre 2009 07:23:13 HAEC
À :   Bernard Stiegler

voici ce que je lui déclarais :

La séance d’hier au Conseil Régional m’a évoqué « L’Invitation » de Claude Simon…

Je suis un peu effrayé de, je crains, l’inefficacité de ces raouts
(même si on peut rêver qu’une petite graine d’une « piste » lancée là pourrait germer…) ;

il est pourtant tellement nécessaire
que certains « décideurs » comprennent un peu mieux
et agissent autrement…

Les intermédiaires de la culture
sont redoutables…

Bien de la surdité et de la veulerie régnaient comiquement, pensais-je pendant le « buffet« …
Là, je me remémorais le rire ravageur du Thomas Bernhard narrateur des « Arbres à abattre« 
_ dont le sous-titre est : « une irritation« 

J’admire votre énergie…

Bien à vous,

Titus Curiosus

Voilà.
Les enjeux sont si cruciaux…

Titus Curiosus, ce 26 octobre 2009


Post-scriptum :

voici l’intégralité de l’article de Bernard Stiegler « Le Mépris » cité plus haut ; et farci de quelques commentaires miens, en plus des gras que j’y dépose ;

il résume bien le sens de l’intervention-contribution de Bernard Stiegler au Conseil Régional d’Aquitaine vendredi dernier vers 11 heures… :

« L’Union Européenne et sa Commission subissent à nouveau l’affront d’un scrutin qui les désavoue _ calamiteux comme jamais, comme si la « construction de l’Europe » ne pouvait que conduire à la destruction de la vie démocratique qu’elle prétend incarner _ certes ! quelle tragédie pour nous tous que cette « destruction de la vie démocratique«  !!! _, et produire amertume et défiance des Européens _ en effet, de facto _ vis à vis de ce qu’ils ne reconnaissent donc pas _ certes ! _ comme l’Europe _ son « idée« , son « idéal régulateur« , dirait un Kant… ; cf, justement, de mon ami François Jullien, son tout récent « L’Invention de l’idéal et le destin de l’Europe«  _, mais, tout au contraire, comme l’organisation de son discrédit _ voilà ! est-ce aussi là une part (au moins…) de son « destin«  ?.. _, sur le plan intérieur aussi bien que sur le plan international _ et se résignent à subir, passivement…


Or, après l’effondrement du consumérisme fordiste _ un fait crucial _, advenu au cours de la crise de 2008 _ le krach financier et bancaire d’octobre 2008 _, il est évident que la coopération européenne est plus urgente que jamais pour contribuer à inventer _ oui ! cf « L’Institution imaginaire de la société« , cette œuvre visionnaire et indispensable du grand Cornelius Castoriadis _, particulièrement avec l’Amérique et l’Asie, un nouveau modèle industriel _ oui ! et plus fécond ! _ capable de surmonter la situation proprement catastrophique dans laquelle ce qu’il faut appeler « le règne de la bêtise systémique«  _ magnifique formulation d’une lucidité confondante ! hélas… _ a plongé l’humanité toute entière _ voilà ! Ce nouveau modèle industriel doit inventer un « nouveau mode de vie« , c’est à dire une « nouvelle culture«  _ authentiquement démocratique : pour accoucher du meilleur de l’humanité ; au lieu du pire, pour les profits (financiers et de pouvoir) mesquins et minables de très peu, comme c’est le cas de la « pente » prise aujourd’hui…

La « bêtise systémique » que cette « nouvelle culture » doit dès maintenant combattre _ voici la tâche sollicitant les ardeurs plus rationnelles ! _ a été engendrée et imposée par l’hégémonie du marketing _ oui ; cf sa théorisation par Edward Bernays (neveu de Siegmund Freud, expatrié aux États-Unis ; et créateur du marketing) : « Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie« , dès 1928… _, dont les industries dites « culturelles«  _ sic, en effet ! c’est une auto-proclamation de leur part !.. il s’agit le plus souvent, et à échelle « mondialisée« , d’« industries de l’entertainment«  (!) _ auront été le bras séculier _ redoutablement efficace… _ : totalement soumises aux impératifs consuméristes, celles-ci auront lentement mais sûrement détruit la _ réelle  et vraie ! _ culture _ et, en cela, systématisé le règne de la bêtise _ par la « crétinisation » de masse des esprits ; cf aussi Dany-Robert Dufour : « L’Art de réduire les têtes«  _ en obnubilant les esprits _ oui ; par une opération de focalisation d’immense envergure… _ et en discréditant les institutions en charge de les élever _ à commencer par l’école ; cf ici le « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » de Bernard Stiegler lui-même. Dans ce contexte, ce que l’on appelle depuis Malraux la « démocratisation de la culture » s’est renversé et décomposé en « consumérisme culturel«  _ voilà !

Or, le modèle consumériste est mort _ ou moribond : tel est le diagnostic que pose et porte Bernard Stiegler _, et le « consumérisme culturel » avec lui _ s’il est vrai qu’il était fondé sur l’opposition fonctionnelle des producteurs _ vendeurs _ et des consommateurs _ acheteurs… Avec le fordisme, et avec les grandes industries de la métallurgie qui le mirent en œuvre, et qui dominèrent grâce à lui le XXè siècle, s’effondrent aussi les « industries culturelles » qui imposèrent à la culture _ au sens que critique de sa verve (et alacrité) le grand Michel Deguy ! cf son très beau et si juste « Le Sens de la visite » (aux Éditions Stock, en 2006 : une merveille !) _ la fonction d’organiser _ fort méthodiquement _ la consommation _ tout en détruisant les publics _ amateurs-amoureux singuliers : authentiquement « cultivés« , eux ; cf ici les magnifiques travaux de mes amies Marie-José Mondzain, « Homo spectator« , et Baldine Saint-Girons, « L’Acte esthétique » : indispensables !!! _ des œuvres, transformés _ ces dits « publics«  _ en audiences _ voilà : mesurées, comptabilisés, par le très précieux « audimat«  Il est triste que Michel Piccoli, dont le personnage « méprisé » incarne précisément cette question dans _ le film de Jean-Luc Godard, en 1963 _ « Le Mépris » _ d’après le roman éponyme d’Alberto Moravia « Le Mépris« , paru, lui, en 1954… _, en ait eu si peu conscience _ lui, Juliette Greco et quelques autres qui auront bien « profité » de ce système : « bien« , c’est à dire avec art _ l’accroche de cette allusion m’échappant pour le moment…

Depuis quatre ans maintenant, « Ars Industrialis«  _ qu’anime Bernard Stiegler ; et qui me fit l’honneur de publier, en avril 2007, mon article « Pour célébrer la rencontre« , en appendice à une présentation de « De la Démocratie participative _ fondements et limites » de Bernard Stiegler et Marc Crépon… _ affirme que ce modèle _ consumériste _, qui suscite tant de mépris, n’est plus soutenable, et qu’une autre organisation de l’économie industrielle est possible :

celle que nous appelons « l’économie de la contribution«  _ expression et concept à retenir ! à une époque où le terme « impôt » a été vilainement substitué à celui de « contribution« _, fondée sur les caractéristiques des réseaux et technologies numériques, où le couple fonctionnel production/consommation  _ ainsi que cet autre couple fonctionnel : vente/achat ?.. _ n’est plus pertinent. Le contributeur _ actif-effectif _, qui n’est ni un consommateur ni un producteur, met en œuvre des technologies cognitives et culturelles qui forment ensemble des technologies de l’esprit.

De toute évidence, le nouveau milieu social, de plus en plus pénétré par ces technologies, fait pour le moment apparaître et proliférer surtout des modèles hyperconsuméristes, addictifs _ cf « Addict » d’Avital Ronell… _, extrêmement mimétiques _ à rebours de l’originalité, voire « génialité«  vraies… _, que le marketing organise très systématiquement _ les algorithmes de l’hypertechnologie y aidant _ ; et dont il exploite les possibilités inouïes de contrôle comportemental individualisé et de manipulation des groupes _ d’utilisateurs dont est activée une hyper-passivité « réflexe«  Autrement dit, les réseaux numériques, les technologies culturelles qui s’y développent et les pratiques sociales qui s’y inventent sont porteuses _ a priori ! _ de possibilités radicalement alternatives _ et en lutte _ :

_ l’une est ce qui rend possible l’invention de relations économiques et industrielles fondées sur l’investissement _ possiblement enthousiaste _ personnel et collectif ; « l’intelligence partagée » ; et la formation de nouveaux espaces et de nouveaux temps critiques _ un point crucial ! _ soutenus par une politique industrielle des technologies de l’esprit qui doit être avant tout une politique culturelle, associant très largement les artistes, les écrivains, les penseurs et les scientifiques _ acteurs ; et « authentiques » (pas « imposteurs » : ce point-ci étant de mon fait !..) ; dont le « génie«  œuvre effectivement

_ l’autre vise _ a contrario _ à étouffer dans l’œuf _ c’est plus sûr ! ne pas laisser s’établir d’autres réseaux, d’autres flux, des habitudes de pratiques concurrentes ! _ les possibilités inédites que les technologies culturelles ouvrent _ vraiment : en une véritable liberté créatrice ; et pas du tout seulement illusoire… _ à un nouvel âge de la vie de l’esprit _ en ce début de XXIème siècle _, et à augmenter _ au contraire ! _ le pouvoir de contrôle _ oui _ comportemental, d’instrumentalisation _ voilà ! _ des artistes, écrivains, penseurs et scientifiques _ réduits à des objets et images (voire à des marques) _, et d’hyperconsumérisation de la culture _ elle-même : en touts cas de ses ersatz, ou de certaines de ses « retombées » seulement ; coupées des élans vrais, « créateurs« , eux (d’œuvres), mobilisateurs d’attention aigüe et d’enthousiasmes autrement « porteurs«  (et inspirants)… _, en aggravant encore la « bêtise systémique » _ malgré la catastrophe économique à laquelle celle-ci a _ pourtant _ déjà conduit le monde en 2008.

Il ne fait pas de doute que l’Union Européenne _ sous laquelle de ses « espèces » ?.. la Commission ? le Parlement ? les chefs d’État se mettant d’accord lors de « sommets«  ?.. _ n’a pas choisi la première possibilité, même si rien ne prouve qu’elle aura choisi la seconde : l’Union est un organisme complexe _ certes _ que peuvent traverser des conflits _ des tensions, des jeux non joués entièrement tous à l’avance… Mais il est certain que son absence de clarté _ certes ! cf sa porosité aux lobbies _ en ce domaine comme en tant d’autres aura contribué à son échec électoral _ à quoi fait précisément allusion Bernard Stiegler ici ?.. à l’augmentation galopante de l’abstention des électeurs aux « votations«  ?.. Car chacun sait aujourd’hui, délibérément ou intuitivement, dans l’Europe comme dans le monde entier, que faute d’un sursaut de l’intelligence collective _ « solidaire« , forcément : embarquée sur un même et unique bateau : la « nef des fous«  ?.. _, l’avenir du monde entier est compromis à brève échéance _ mais s’en soucie-t-il, ce « chacun«  qui « sait« , pour autant ?… cf le mot fameux (rapporté) de la Pompadour à Louis XV : « après nous, le déluge«  ; le mot aurait été prononcé, en manière de consolation au roi, le soir de la nouvelle de la défaite face à la Prusse, le 5 novembre 1757, à RossbachEt tout le monde _ des acteurs « vrais«  de la culture « authentique«  ?.. _ attend _ pour le reste, relire toujours le portrait du « dernier homme » du « discours du Surhumain » du superbe de lucidité « Prologue » d’« Ainsi parlait Zarathoustra _ un livre pour tous et pour personne » de Nietzsche (la précision est cruciale) : sur la pente savonneuse du nihilisme où s’entraîne l’humanité… _ que l’Europe _ celle de tous les Européens ? _ joue enfin le rôle que sa puissance économique et culturelle _ doublement ? _ lui impose _ en droit ; sinon en fait : ainsi, la démocratie se donne-t-elle, ne serait-ce que sur le plan politique, les dirigeants qu’elle « mérite » ? afin d’encourager le meilleur des œuvres possibles de cette « Europe«  ; de ces « Européens«  ?.. Cf ici le si pertinent « Qu’est-ce que le mérite ? » (aux Éditions Bourin), de mon autre ami lucidissime, lui aussi, Yves Michaud…

Jamais la question de l’alternative _ Hic Rhodus, hic saltus ! _ ouverte par la numérisation n’aura été _ réellement _ posée dans ce dont on nous parle _ voire « abreuve«  _ sous les noms _ flambants _ d’ »industrie de la connaissance« , de « société de savoir« , de « bataille de l’intelligence » et d’ »économie créative«  : autant de discours qui semblent plus vouloir conjurer par des incantations _ hélas : quand les mots se substituent aux choses ; ou l’ère (se poursuivant…) des « conduites magiques« _ la réalité _ carnassière _ du « capitalisme cognitif », également appelé « culturel », qui produit pour le moment exactement le contraire _ certes ! _ de la connaissance, du savoir ou de la création, que mettre un terme au « règne _ bien effectif, lui ; et auto-satisfait : à la Monsieur Homais… _ de la bêtise«  _ mais bien masqué par la panoplie ultra habile de tous les faux-semblants de la démagogie ! combien de victoires électorales a t-elle, celle-ci, la démagogie, ainsi, à mettre à l’actif de son « tableau de chasse » ?.. _, dont ces discours participent eux-mêmes très souvent de la façon la plus directe _ en effet : la propagande de l’idéologie est d’autant plus efficace qu’inaperçue : en douceur et rires allègres de connivence…

Et pas une seule fois la question de cette alternative n’aura été évoquée dans le cadre de  « l’année européenne de l’innovation et de la créativité » voulue en 2009 par le président de la Commission européenne _ brillamment réélu : M. José Manuel Durão-Barroso ; pose-t-il jamais les vraies questions de fond ?.. Que veut dire ici « créativité » ? Il ne fait pas de doute que, rapproché du mot « innovation« , il fait référence aux concepts de creative economy et de creative class, avancés par John Howkins et Richard Florida en 2001 et en 2002 respectivement. Les thèses de Florida et Howkins émergent sur le fond d’une théorie managériale _ voilà _ de la créativité qui est elle-même une version de la théorie _ managériale ? _ de l’innovation. Sa spécificité consiste à poser que la source de l’innovation est la créativité des individus.

Toute la théorie de l’innovation a été pensée dans le cadre consumériste _ d’une économie du taux de profit de la vente (sur un marché). Cependant, tandis qu’elle aboutissait au concept d’ »économie créative« , se développaient _ aussi, à côté _ les nouvelles pratiques qui ne correspondent plus à ce modèle consumériste fondé sur la grégarisation _ voilà ! cf la litanie rigolarde des « nous«  des « derniers hommes«  clignant des yeux d’autosatisfaction, du « Zarathoustra«  de Nietzsche… _ de l’individu _ se pensant même (= se figurant, se croyant, se leurrant : illusoirement !) « original« , en la « singularité » apparente de sa « conscience de lui-même » distincte, certes, de sa « conscience des autres«  : chacun comme une île… _, mais sur la « contribution«  _ à des échanges de réciprocité et mutualité, éventuellement _ qui met en valeur la singularité _ réelle et « vraie« , elle : mais bel et bien « à constituer«  dynamiquement, « découvrir« , « faire émerger«  en des actes, en des œuvres effectivement réalisées ; pas avant ! _ de l’individu _ ou plutôt de la personne _ dans un modèle collaboratif, c’est à dire intrinsèquement social _ avec des exemples désormais connus tel Wikipédia, le monde open source et le modèle des creative commons, ce qui constitue le vrai sujet de ce que l’on appellera non pas l’économie créative, mais la « société contributive« .

L’absence totale de vision et de compréhension de ces enjeux _ au profit de l’abandon à la « main aveugle » du marché, livré seulement à l’alea du jeu de ses forces… _ est l’un des nombreux facteurs d’échec _ actuel _ de l’Union européenne. Celle-ci ne vivra, c’est à dire qu’elle ne saura unir _ voilà _ les pays et les populations qui la composent, que le jour où elle prouvera _ aux Européens citoyens : la chose est encore bien difficile à faire advenir… qui, seulement, la veut ?.. _ qu’elle a une vision d’avenir. Cette « année de l’innovation et de la créativité » aurait dû être consacrée à orienter _ car tel est là le pouvoir du politique _ le processus de numérisation en cours, qui affecte toutes les dimensions de la vie psychique et sociale, vers la mise en œuvre d’une nouvelle politique industrielle, mettant la culture et l’esprit _ actifs _ au cœur de son déploiement, comme « économie de la contribution« , contre le consumérisme, et en premier lieu, contre le consumérisme _ dit, bien improprement : c’est une tromperie considérable ! Cf Michel Deguy… _ « culturel » _ afin d’inventer un nouvel âge industriel fondé sur l’économie d’une valeur plus précieuse que toute autre : l’intelligence, au sens où le XVIIIème siècle la met au fondement de la sociabilité sous toutes ses formes, sensibles aussi bien qu’intellectives _ à l’inverse de la crétinisation, donc…

Il n’en aura rien été _ cette année 2009-ci, du moins… Et c’est pourquoi le monde culturel européen _ en l’espèce des personnes le « constituant«  par leur activité vraiment « œuvrante«  (et pas par les à-côté people !..)… _ ne se sera pas plus _ activement _ mobilisé que les peuples de l’Union dans l’exercice démocratique _ de « votation », lui… _ qui leur était proposé. Il n’est cependant jamais trop tard _ ah ! l’Histoire n’est pas à sens unique… C’est pourquoi nous appelons _ voici… _ les artistes, les écrivains, les penseurs et les scientifiques de toute l’Europe à se mobiliser en se rassemblant à Bruxelles avant la fin de cette année pour que la culture soit _ enfin !

… 

on connaît la « pensée » (apocryphe ! seulement… : il s’agit d’un désormais célèbre hoax !) que Hélène Ahrweiler prêta, au conditionnel de l’idéel, seulement, donc, à Jean Monnet : « si c’était à refaire, je commencerais par la culture… » ; mais l’Histoire ne se refait pas !!! : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture, pourrait s’écrier Jean Monnet s’il revenait parmi nous« , s’était précisément exprimée madame Ahrweiler, en un discours public pour une cérémonie d’ouverture des « États généraux des Etudiants Européens« , dans la décennie 80… : on mesure excellemment là toute la fonction, en toutes ses ambivalences, justement, de l’« idéal«  ;

fonction (et ambivalences) à laquelle (et auxquelles) vient de consacrer une très significative étude François Jullien : « L’Invention de l’idéal et le destin de l’Europe » ; en confrontation avec le « penser«  dynamisant chinois

(cf du même François Jullien le récent aussi « Les Transformations silencieuses«  ; ainsi que « La Propension des choses : pour une histoire de l’efficacité en Chine« )_

pour que la culture soit mise _ réellement ; grâce à des décisions d’engagement économique des Politiques _ au cœur du projet de l’Union européenne de demain, et au service d’une renaissance _ « concept » parfaitement analysé et commenté, à excellent escient, par Heinz Wismann lors de sa propre intervention au Conseil Régional d’Aquitaine, vendredi dernier 23 octobre, au matin _ de la société industrielle _ dont l’Europe des Lumières fut le berceau  historique.

Bernard Stiegler

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