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Le superbe « Nettoyer une expression » de Marie José Mondzain en son « Confiscation des mots, des images et du temps »

15mar

Aux Éditions des Liens qui libèrent, Marie José Mondzain vient de faire paraître, le 22 février dernier, un magnifique et dynamisant Confiscation des mots, des images et du temps ;

qu’elle a pris soin de m’adresser ;

et que j’ai lu cette fois à nouveau avec intense jubilation, tant je partage,

(depuis mes lectures de Image, icône, économie _ les sources de l’imaginaire contemporain, en 1997, L’Image peut-elle tuer ?, en 2002, Le Commerce des regards, en 2003, Homo spectator : voir, faire voir, en 2007, Images (à suivre) : de la poursuite au cinéma et ailleurs…, en 2011, pour m’en tenir à ses ouvrages proprement théoriques, si je puis dire, assez improprement…),

et combien profondément !, ses analyses

_ cf mes articles du 26 novembre 2011, Dans et par le battement des images, les aventures du sujet (tenir bon ou céder) vers sa liberté : le livre (montanien !) « Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs » de Marie-José Mondzain », et du 22 mai 2012, Sur nos propres opérations imageantes face à l’imageance même de quelques chefs d’oeuvre de l’Art _ au cinéma et ailleurs _, le regard lumineux de Marie-José Mondzain en sa conférence à la librairie Mollat le 16 mai 2012 », celui-ci après notre entretien à propos de cet Images (à suivre) dans les salons Mollat le 16 mai 2012… Et Homo spectator constituant une référence quasi permanente sous ma plume…

Au passage, je remarque l’identité de l’expression « opérations imageantes« 

sous la plume de Marie-José Mondzain,

et dans la bouche de Michel Deguy, qui lui parle d' »opérations poétiques« , en notre (merveilleux !) entretien (de 75′) à la Station Ausone jeudi dernier 9 mars,

à propos du magnifique et très riche La Vie subite (aux Editions Galilée) de cet immense penseur, poète et philosophe _ et à chaque ré-écoute de ce podcast, je me surprends à rire chaque fois davantage de la finesse toujours discrète, mais bien perceptible, de l’humour, en sa parole, en son souffle, en son rythme, du merveilleux Michel Deguy…

Cf aussi mon article du 23 décembre 2009 sur le livre décisif de Martin Rueff sur la poétique de Michel Deguy, Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel :

la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du « culturel » : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff

Or, en regardant d’un peu près la bibliographie de Marie-José Mondzain, je constate qu’en novembre 2008 est paru un recueil d’articles en hommage à Roland Barthes, intitulé Vivre le sens, qui rassemblait les signatures de Marie-José Mondzain et de Michel Deguy, ainsi que celles du grand Carlo Ginzburg, d’Antoine Culioli et de Georges Didi-Huberman.

Cette proximité de penser entre Michel Deguy et Marie-José Mondzain, me frappe donc.

Fin de l’incise ; et retour à la lecture de ce Confiscation

La quatrième de couverture de ce Confiscation résume excellemment à la fois les origines et les finalités de l’exercice exigeant du penser

auquel se livre, à nouveau ici, cette chère Marie-José Mondzain ;

la voici donc, pour commencer, cette quatrième de couverture, avec mes farcissures :

Confiscation

Ne faut-il pas rendre _ voilà ! _ au terme « radicalité » sa beauté virulente _ vivement réveillante ; mais c’est aussi qu’il y a péril aux endormis ! _ et son énergie _ rendant effectivement le courage de se remettre bien debout, ainsi que la vaillance de s’y tenir _ politique ?

Tout est fait aujourd’hui _ par la très massive propagande (et incessant pilonnage) des médias inféodés aux pouvoirs dominants des puissances d’argent _ pour identifier _ faussement, malignement : George Orwell, au secours ! _ la radicalité aux gestes les plus meurtriers et aux opinions les plus asservies. La voici réduite à ne désigner _ aux oreilles et yeux des adhérents à cette doxa  dénués du moindre esprit si peu que ce soit critique : le public addictif de leurs suiveurs dociles…  _ que les convictions doctrinales _ fossilisées en dogmes arrêtés très vite fermés à la moindre ombre d’interrogation ou de soupçon tant soit peu critique _ et les stratégies _ les plus cyniques et mortifères _ d’endoctrinement.

La radicalité _ véritable, et probe _, au contraire, fait appel au courage _ ainsi qu’à la vaillance : versus paresse et lâcheté ; cf l’actualité comme jamais aujourd’hui de Kant en son lumineux Qu’est-ce que les Lumières ? _ des ruptures _ vis-à-vis de ces doxas et catéchismes en tous genres _ constructives _ elles, et véritablement _ et à l’imagination la plus créatrice _ cf ici le merveilleux L’Institution imaginaire de la société du plus grand que jamais Cornelius Castoriadis ; alors que le livre est paru en 1975.

Cf aussi les divers volumes de ce grand livre qu’est Le Principe Espérance, d’Ernst Bloch.

La véritable urgence _ à l’encontre de toutes celles qui acculent, de plus en plus massivement de jours en jours, d’années en années, au burn-out ; cf le remarquable travail de Pascal Chabot en son très incisif Global burn-out, paru en janvier 2013 _ est bien pour nous le combat _ à mener, sans relâche et sans fin, sans jamais renoncer _ contre la confiscation _ voilà ! _ des mots, des images et du temps _ mots, images et temps (de la vie, unique, pour chacun) constituant les tous premiers biens fondamentaux de notre humanité véritable (inlassablement en chantier de construction !), en tant, à la fois, que personnes et que citoyens, pour le moment encore, du moins ; et biens qui sont, en les divers usages que nous avons à en faire, en permanence à élaborer, former, forger, élever, construire, affiner, et pas seulement réparer au fur et à mesure des raréfactions, dégâts, blessures, mutilations, disparitions, aliénations (surtout insensibles ; cf la grenouille ébouillantée peu à peu, à petit feu, sans qu’elle cherche à nul moment à sauter hors du bocal…) qu’ils subissent.

Ici, que devient l’école ? Et son service public ? Cf le grand livre (indispensable !) de Denis Kambouchner, L’École, question philosophique, paru en 2013, ainsi que mes (modestes) articles des 24 février et 14 mars 2013 sur ce livre majeur : Penser vraiment l’école : l’indispensable et urgent débrouillage du philosophe _ l’admirable travail de Denis Kambouchner et Ecole et culture de l’âme : le sens du combat de Denis Kambouchner _ appuyé sur le « fait du bon professeur »

Les mots les plus menacés sont ceux que la languetelle une nouvelle LTI ; cf la lumineuse analyse de Victor Klemperer à l’égard des dégâts opérés sur la langue allemande de Goethe par la langue des Nazis : LTI, la langue du IIIe Reich _ Carnets d’un philologue  _ du flux mondial de la communication verbale et iconique _ existe en effet aussi un terrible impérialisme des images (dont celles des nouveaux multi-médias) que décrypte si bien Marie-José Mondzain _ fait peu à peu disparaître _ rien moins : la langue, vivante, en effet, évolue au fur et à mesure de ses usages, et en particulier, forcément, de ses usages statistiquement dominants ! via les médias de masse _ après leur avoir fait subir _ à ces mots les plus menacés : ici la réflexion de Marie-José Mondzain se focalise sur les mots « radicalité« , « radicalisation« , « déradicalisation«   _ torsion sur torsion _ voilà _ afin de les plier _ voilà _ à la loi du marché _ et de ce que leurs commanditaires cherchent à faire croire au public adhérant et vite captif, en addiction ; sur le marché (et la révolution culturelle libérale), cf Dany-Robert Dufour : Le Divin marché. Peu à peu, c’est la capacité d’agir _ voilà _ qui _ par la paresse et la lâcheté induites par ces habitudes de croire, et de croire penser ! _ est anéantie _ voilà ! de plus en plus monopolisée qu’elle est, cette « capacité d’agir« , par les pouvoirs de l’argent et ses séides, affaiblissant jusqu’à ceux qui s’y opposent et leur résistent _ par ces confiscations mêmes, qui veulent anéantir toute énergie transformatrice _ qui irait au détriment de (et en résistance à) leurs intérêts de pouvoir (surtout financier). Si ces propositions font penser que je crois dans la force révolutionnaire de la radicalité _ vraie : créatrice et libre, imaginante _, on ne s’y trompera pas, à condition de consentir à ce que la révolution ne peut exister qu’au présent. La lutte n’est et ne sera jamais finale, car c’est à chaque instant que nous sommes _ en permanence, sans relâche, y compris et d’abord physique, nerveuse… _ tenus _ voilà ! C’est là le devoir même

(à l’égard de soi comme surtout des autres : je déteste personnellement l’expression « se devoir de«  quand elle se substitue à l’élémentaire et très impératif « devoir«  ! telle la racine des plus éhontés cynismes sans vergogne ! auxquels nous assistons maintenant, aujourd’hui même, de la part de politiques aspirant (ô la belle exemplarité !) à la fonction présidentielle !!!) ;

c’est là le devoir même d’assumer sa condition d’humain, peu à peu conquise, à l’échelle des peuples comme à celle, aussi, des indivividus-personnes-citoyens ; mais ce qui a été gagné et s’est construit, à la fois lentement, mais aussi par sauts, par bonds, peut, forcément, aussi se détériorer, s’abimer, se ruiner, se perdre et être perdu, peut-être, ou parfois, sans retour ; « Civilisations, nous savons que nous sommes mortelles« , mais résistons !.. _ ;

car c’est à chaque instant que nous sommes tenus

d’être les hôtes _ accueillant _ de l’étrange _ cet étrange même à oser (« Sapere aude ! » est bien la devise des Lumières, comme nous l’a appris Kant), à oser concevoir, oser penser, donc, par ce que personnellement je nomme « imageance« , à partir de ce que Marie-José Mondzain, quant à elle, nomme « opérations imageantes«  _ et de l’étranger _ en un devoir d’hospitalité et d’accueil _ pour faire advenir ce _ c’est-à-dire cette radicalité créatrice, donc _ qu’on _ c’est-à-dire ces pouvoirs et leurs inféodés _ nous demande justement de ne plus attendre et même de repousser _ avec agressivité, colère, fureur, même. La radicalité n’est pas un programme _ ni a fortiori un complot _, c’est la figure de notre accueil _ authentiquement créatif ; du moins s’y essayant : à la Montaigne en ses Essais… ; et de ce qui s’y partage _ face à tout ce qui arrive _ de non programmé, et cela via quelque algorithme que ce soit _  et ainsi continue de nous arriver _ pour peu que ces arrivées-là, en leur diversité, hors de nous et aussi en nous, ne soient pas tout bonnement assassinées, noyées, anéanties et effacées de ce qui s’expérimente jusque dans le plus quotidien.

Pour moi,

le fond du problème _ civilisationnel _ abordé dans ce livre important, consiste dans le crucial et complexe processus de constitution et destruction-annihilation

(menant, non pas à quelque « radicalisation« , mais bien à ce qu’il faut qualifier de « fanatisme » : par « fanatisation« , donc, si on veut, pour bien nommer ce processus _ cf ici les fortes analyses d’Étienne Borne, en son lucidissime Le Problème du mal, publié en 1958 aux PUF)

de la subjectivation _ concept détaillé notamment par Michel Foucault _ dans le devenir même, tout au long de leur vie, des personnes ;

avec la place qu’y prennent et occupent

et la liberté

_ ainsi que la responsabilité qui va avec, notamment face au mal ; cf à propos du constat, pages-131 130, qu’« il n’y a pas de réelle contradiction entre la radicalité du mal chez Kant, et la banalité du mal chez Arendt, parce que l’un et l’autre reconnaissent l’irréductible liberté propre à tout homme. La radicalité renvoie à l’énigme de la liberté, la banalité à la possibilité pour tous de devenir le sujet du mensonge et de la cruauté« , les deux superbes citations, pages 131 et 133, empruntées à l’article, en 1994, Kant et l’idée du mal radical, de Myriam Revault d’Allonnes : « On voit déjà pourquoi le mal radical peut être dit « banal » : il est radical parce qu’il est banal. Il est le mal de tous, même si tous ne le font pas. » et « C’est nier l’insondable pouvoir de la liberté que de vouloir _ par une politique de la régénération (on dirait aujourd’hui « déradicalisation«  !) _ extirper du cœur de l’homme jusqu’au désir de faire le mal : le mal est le mal de la liberté«  : c’est très clair ! _

dans le moindre de nos actes,

et aussi, justement, la radicalité _ voilà ! _ de nos opérations imageantes, à chaque instant ;

radicalité telle que l’analysent _ à partir, par exemple, de quelques lectures très précises de Platon (Timée) ou Aristote (De l’âme) _ un Cornelius Castoriadis,

mais aussi un Ferdinand Deligny, thérapeute,

ou un Masao Adachi, cinéaste,

dans les analyses passionnantes qu’en livre ici Marie-José Mondzain.

Sur le fanatisme

_ un mot curieusement absent ces derniers temps ; et plutôt que de « radicalisation« , pourquoi ne parle-t-on donc pas, ou plus, de « fanatisation » ?.. _ 

comme une des « trois figures essentielles du mal humain« ,

voici ce que disait en 1958, en Le Problème du Mal, Étienne Borne :

Le devoir, inséparable d’une attitude polémique contre le mal, c’est-à-dire de débat _ voilà _ et de combat avec le monde et les hommes, trouve sa vérité philosophique et concrète dans la passion. Rien ne trahit plus le cœur humain que la réduction de la vie morale à une lutte de la raison contre les passions en vue de la possession d’une sagesse paisible. Ôtée la passion, il ne resterait de l’homme qu’une plate caricature, une ombre sur un mur _ oui : désubjectivée… L’immoralité lorsqu’elle va jusqu’au bout d’elle-même poursuit la même dégradation : le propre du vice est d’être sans passion, comme un rituel et une mécanique _ voilà. L’Enfer est le désert de la passion et il faudrait le dire de glace et non de feu _ en effet ! L’homme entre _ oui _ en immoralité l’expression est bien intéressante ! _ lorsqu’il organise la fuite _ oui, par un dispositif _ devant la passion, comme l’avouent si elles sont correctement interrogées les trois figures essentielles du mal humain, le dilettantisme, l’avarice, le fanatisme. Les décrire serait la tâche d’une phénoménologie morale ; on se contentera de les analyser brièvement comme autant de philosophies en action _ contre lesquelles mettre en garde.

Le dilettantisme est un don juanisme _ voilà _ du cœur, des sens et de l’esprit. Rendez-vous élégant de tous les humanismes et de toutes les cultures, produit précieux des civilisations décadentes par excès de richesses, le dilettantisme est monstrueusement intelligent, il excelle à montrer la relativité et le mélange indéfinis du bien et du mal dans les intentions et les actions humaines, il se garde de la partialité et de l’engagement comme d’une grossière faute de goût, il se réclame des apparences successives et contradictoires de la nature et de l’histoire. Le dilettante pratique une technique d’évanouissement du mal _ voilà ! _ qui fait du monde un beau mensonge. Parce qu’il refuse la passion, l’accès à l’existence lui est interdit _ oui. Parce qu’il a peur de prendre le mal au sérieux dans l’angoisse _ que nous avons à assumer, en dépit de son inconfort immédiat _, toute réalité et la sienne propre deviennent de purs possibles sans substance. Le dilettante ne vit pas, il a l’air de vivre _ désubjectivé qu’il est.

L’avarice, en dépit d’un lieu commun tenace, n’est pas une passion. Ne pas vouloir dépendre, s’enfermer dans un système de sécurité, chercher une expérience de parfaite suffisance à soi, c’est l’avarice même _ oui _ et le contraire de la passion qui est l’épreuve continue _ oui : splendide vérité ! _ d’une vulnérabilité à autrui _ voilà : la passion s’expose à l’altérité, et dans la durée longue de la fidélité. L’avare vrai est Gobseck et non pas Harpagon, ce timide, inconséquent et comique apprenti. L’avare intégral entasse l’argent pour ne rien devoir à personne et pour avoir entre ses mains l’infaillible solution de tous les problèmes, pour constamment se retirer et dominer sans le faste puéril du pouvoir visible, bref pour tenir toujours efficacement le mal _ de la dépendance envers autrui _ à distance. L’argent n’est qu’un moyen _ mais très général, en l’apparence de son efficace _ d’y parvenir, plus vivement symbolique, parmi beaucoup d’autres. Le pharisaïsme, ce respect littéral de la loi, qui demande austérité et vertu réelles, est une technique sûre _ car littérale et mécanique _ de préservation du péché et par conséquent une forme d’avarice et une même carence de passion. L’avare est toujours ce prudent, ce vertueux qui a la morale avec lui et qui a su se séparer du mal. Incapable de reconnaissance, il se perd dans une ingratitude de dimensions métaphysiques, parce qu’il n’a pas voulu s’engager _ voilà _ dans la passion qui dissout _ en effet _ les sécurités _ et les prévisibilités _ et dans le risque qui s’ouvre à _ l’inconnu de _ l’espérance.

Le dilettante et l’avare étaient des êtres de solitude, des hommes psychologiques ; le fanatique est un être de communauté, un homme foncièrement sociologique _ un suiveur de pur conformisme. Le dilettantisme était une esthétique universelle, l’avarice un absolu de morale, le fanatisme est une religion politique _ oui _ qui entend résoudre dans l’histoire le problème du mal par des techniques d’écrasement et d’extirpation radicale _ par le meurtre généralisé.  Il professe une doctrine de salut par la nation, la classe ou le parti. Le fanatique est aussi bien esclave terroriste que maître despotique : c’est le même esprit de tyrannie, le même manichéisme qui ne supporte pas le partage des valeurs, le dialogue _ voilà _ des expériences _ une expression que reprendrait, j’en suis sûr, Marie-José Mondzain ; mais pour qu’il y ait « expérience« , encore faut-il qu’il y ait un « sujet«  ; et que celui-ci ait pu, déjà, se constituer en un processus un peu développé de « subjectivation« … ; là-dessus, relire Walter Benjamin et Hannah Arendt… _ et qui a besoin pour se rassurer _ mais très mal ! et pas vraiment ! très illusoirement !!! _ sur le bien et le vrai d’une unification _ artificieuse et criminelle _ des consciences _ réduites alors à de purs réflexes pavloviens !!! et panurgiques… _, impériale, charnelle, violente. Familier des procès d’hérésie, le fanatique poursuit à la fois le déshonneur, la réfutation et la mort de l’adversaire. Sa cruauté est le fruit d’une haine sans passion _ la passion impliquant toujours, elle, un processus long et complexe ; et comportant un engagement envers l’autre, ou envers de l’altérité en son objet visé _ qui s’exerce légalement, mécaniquement _ voilà _, rituellement _ aussi. Le fanatique réduit ses victimes à une condition anonyme, substitue à leur visage concret _ voilà _ la définition abstraite de l’hérétique et du traître _ ôté tout visage… Il résout le problème du mal par la destruction des méchants, comme on vient à bout d’une invasion de microbes et d’un vol de sauterelles _ ou d’une infestation de poux. Mais dépersonnalisant _ et désubjectivant _ l’esprit et lui ôtant la moindre opération d’imageance _, perpétuant la guerre par sa mythologie de la dernière des guerres avant la victoire totale, il paraît parfois se confondre avec l’esprit du mal.

Dilettantisme, avarice et fanatisme ne cessent d’ajouter au mensonge, à l’ingratitude, à la haine ; ils sont le mal parce que dès le départ ils ont refusé cette participation au mal dans l’angoisse _ celle de la liberté (et de la responsabilité), et aussi de l’amour _ qui est la seule voie _ qui prend toujours un minimum de temps, de réflexion, voire de débat avec d’autres, qui soient des interlocuteurs proposant des objections, un dialogue _ vers la libération ; chacun d’eux est un système cohérent et fort de liquidation _ annihilation _ du mal, une solution intégrale _ supposée ! _ du problème — ; et vécus ils aboutissent à une exaspération du mal. Il manque aux moralismes comme aux immoralismes de connaître que la passion est la substance de la vie ; ou plutôt ils n’en ont que trop conscience, tant sont savantes et habiles les précautions qu’ils prennent pour ne se point brûler à cette flamme.

La passion sera alors pour la conscience morale critère d’authenticité. L’âme du devoir est ce prophétisme qui, depuis les temps de l’ancien Israël, se manifeste par la dénonciation des tyrannies et des servitudes, la protestation contre l’iniquité de la mort, la guerre aux idoles, c’est-à-dire au partage de Dieu en valeurs ennemies. Le dilettantisme oubliait, en moquant l’esprit de sérieux, que la colère et l’indignation sont les premiers sentiments moraux. La conscience morale ne sera fidèle à sa propre essence que si elle ne renie pas ses origines. En ce premier sens et comme par enracinement _ à nouveau du radical _, le devoir est déjà passion, ou dilettantisme vaincu.

Fin de citation.

Ici,

et commentant le nettoyage entrepris superbement par Marie-José Mondzain des mots et expressions à partir de « radical« , « radicalisé« , « radicalisation » et « déradicalisation, »

je mettrai donc l’accent sur l’apport magnifique à l’intelligence des enjeux de ce qui nous _ sujets que nous essayons de constituer _ menace et de ce contre quoi il nous faut défendre les sources et ressources _ oui _ de notre liberté la plus effective, efficiente et la plus concrète _ à l’œuvre et en œuvres _ à déployer, développer, épanouir, faire resplendir en actes et en œuvres dans la joie,

que constituent et donnent les trois derniers chapitres de Confiscation,

que Marie-José Mondzain intitule « Image » (aux pages 143 à 164), « Zone et zonards » (aux pages 165 à 189) et « Paysages » (aux  pages 193 à 207).

Analysant, au sous-chapitre (d' »Image« ), qu’elle intitule justement « L’imaginaire radical » (aux pages 153 à 164), les démarches et positions-propositions très riches de Cornelius Castoriadis,

Marie-José Mondzain précise, page 156 :

« L’image est justement le site _ un terme à méditer _ inassignable _ voilà ce qu’elle va, et très brillamment, expliciter et justifier : notamment en commentant, un peu plus loin, au chapitre suivant, certaines pages (37 d) du Timée de Platon, à propos de la « Chôra«  ; et, aussi, des pages du traité De l’âme d’Aristote, à propos du « Diaphane« … _ qui met _ avec audace et pertinence à la fois _ en rapport _ dynamisant et fécond _ ce qui est _ apparemment, au départ du penser-juger, pour soi-même, en son effort courageux de méditation-analyse-prospection _ sans rapport« .

Et, page 157, elle cite l’extrait suivant de la page 481 de L’Institution imaginaire de la société, de Cornelius Castoriadis :

« La représentation est la présentation perpétuelle, le flux incessant dans et par lequel quoi que ce soit se donne. (…)

Le flux représentatif fait précisément voir _ percevoir, concevoir _ l’imagination radicale comme transcendance immanente _ expression-oxymore  que ne renierait pas Michel Deguy ! _,

passage _ voilà ! _ à l’autre _ en son altérité profonde de départ _,

impossibilité pour ce qui « est » d’être

sans _ simultanément _ faire être _ voilà ! _ l’autre (…)

En tant qu’imagination radicale _ nous y voilà ! _,

nous sommes ce qui « s’immanentise » dans et par la position d’une figure

et _ d’un même inséparable mouvement _ « se transcende » en détruisant cette figure par le faire-être d’une autre figure« .

Extrait que Marie-José Mondzain commente aussitôt ainsi :

« L’écriture de Castoriadis est en général si claire qu’on ne peut qu’être encore surpris _ et ébranlé _ par la difficulté et l’absence de fluidité qui surgissent ici dans son expression même« .

Et elle poursuit ce très significatif commentaire pensif, voire interrogatif, de l’extrait, un peu plus loin (page 160) :

« Cet extrait énigmatique est un véritable tour de force conceptuel _ nécessaire et fécond, en son défi _

qui fait qu’une source obscure et même ténébreuse _ plus loin, elle va lui appliquer le terme de « zone«  _ éclaire de tous les feux de l’incarnation _ encore elle ! _ ce qui donne naissance non seulement au sujet _ voilà _, mais à la société tout entière.

Elle est le brasier nucléaire,

détenteur d’une puissance quasi atomique

et sans lequel il n’y a ni invention de l’ordre ni création des événements de l’histoire « .

Et encore :

« Le texte mérite qu’on y examine de plus près les termes _ oui _ dans lesquels l’hypothèse de « l’imagination radicale » plaide pour la radicalité de toute exigence _vraie _ de _ vraie _ liberté, qu’elle soit individuelle ou collective« .

Et cela pour mettre l’accent, page 161, sur le fait que

« chez Castoriadis, la défense de la radicalité

modifie la fable _ du labyrinthe de Dédale et du fil d’Ariane (à impérativement suivre à rebours afin de parvenir à s’en sortir) _

et lui confère au contraire son tranchant »

_ et cela, à l’exact inverse de la pensée « qu’il tient à la continuité _ douce et réconfortante _ d’un fil qu’il suffirait de suivre en le faisant défiler dans sa main _ d’instituer la fidélité des trajectoires et de permettre à la fois d’en finir avec la terreur _ telle celle du Minotaure _ et de retrouver la lumière vivante de l’ordre »

Et de poursuivre :

«  »Tranchant » est un mot radical et fondateur _ voilà, les deux ! _ dans le labyrinthe des explorations, des carrefours et des choix _ à effectuer.

Trancher, c’est choisir en opérant une coupure ;

et pour cela il faut que le fil soit celui du rasoir,

celui de la lame aiguisée, prête pour le combat « .

Ainsi, Marie-José Mondzain avance-t-elle, pages 162-163 :

« Le tranchant du fil _ avec la conséquence de la déprise-rupture qui s’ensuit _ transforme _ donc _ le récit labyrinthique

car le triomphe du Minotaure ne tient qu’à un fil, et sa défaite aussi.

Si le labyrinthe est une affaire

non plus d’architecte abritant la voracité « d’un monstre de la folie unifiante »,

mais de géographe et de géomètre,

alors ce qui importe à chaque carrefour _ voilà _,

ce n’est pas, comme pour le Petit Poucet, de conjurer l’égarement par la conservation des traces ou la continuité d’un fil,

mais au contraire de créer la scène de la séparation _ ou audace de la déprise _ :

pas de fil d’Ariane,

mais à chaque carrefour un combat

pour pouvoir emprunter justement le chemin barré.

La ruse salvatrice du fil d’Ariane consistait à retrouver son chemin,

donc à pouvoir rebrousser

afin de sortir par une issue qui n’est autre que l’entrée elle-même.

Bien au contraire, les carrefours du labyrinthe sont des sites décisifs, sans retour _ voilà ! _,

dont le franchissement ne s’opère qu’en termes de lutte et d’énergie imaginaire c’est-à-dire créatrice.

Pour Castoriadis,

on ne peut pas se perdre si on invente _ soit un acte d’institution imaginaire : acte(s) d’institution de soi comme sujet, comme acte(s) d’institution de la société _ la suite _ cf ici les analyses de ce que sont la « suite » et la « poursuite » dans le travail précédent de Marie-José Mondzain : Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleursAinsi que mes articles : Dans et par le battement des images, les aventures du sujet (tenir bon ou céder) vers sa liberté : le livre (montanien !) « Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs » de Marie-José Mondzain et Sur nos propres opérations imageantes face à l’imageance même de quelques chefs d’oeuvre de l’Art _ au cinéma et ailleurs _, le regard lumineux de Marie-José Mondzain en sa conférence à la librairie Mollat le 16 mai 2012

Choix radical et créateur sur un territoire construit et pensé comme un réseau de chemins _ se croisant, se ramifiant _

où l’on évite les fils _ non créateurs _ de retour et ceux de l’égarement. »

« Le labyrinthe impose _ ainsi _ la nécessité _ courageuse _ du saut (…),

le choix d’une voie périlleuse dont l’issue ne tient pas à la continuité d’un fil,

mais qui tisse lui-même _ de son initiative _ le fil arachnéen où vient se poser _ maintenant, hic et nunc _ son pas et s’inventer son itinéraire.

On ne subit pas le labyrinthe comme un piège préétabli et élaboré par d’autres pour notre perte,

on évolue labyrinthiquement dans des espaces sans retour _ mais qui ont une histoire, et qui, aussi, vont la faire _

dont l’énergie inaugurale _ voilà : aude sapere ! _ nous est sans cesse à charge _ avec espérance.

Quand l’énergie de la provenance n’est autre que celle de la destination elle-même,

les carrefours et les bifurcations inscrivent dans l’espace des zones _ le mot apparaît ainsi ici _ imprévisibles

où se décide à chaque instant _ par nous comme sujet décidant, et sur le champ _ une forme _ voilà _ sans précédent.« 

Avec cette conclusion, pages 163-164, de ce chapitre « Image » et cette sous-partie « L’imaginaire radical » :

« L’image est l’apparition _ survenant alors _ de cette forme ;

la zone est le site de cette géographie des possibles _ s’esquissant ainsi, et ayant à se préciser, dessiner, par nous.

Et on appelle peut-être « artiste« 

le corps qui donne à l’apparition de cette forme une visibilité autorisant le partage,

c’est-à-dire donnant à ce partage le nom d’un acteur qui est celui d’un auteur.« 

Et « c’est à partir de cette zone _ nécessairement indistincte au départ, en même temps, et surtout, que formidable gisement-source d’énergie… _

que je propose

d’inscrire un nouveau déploiement de la radicalité imaginative _ voilà _,

créatrice d’espaces et de temporalité communs » ;

et « je déplacerai le curseur de la lecture de Platon,

pour y repérer (…) une indication fondatrice du rapport de l’image à la temporalité

et à l’exercice étonnant qu’il fait de sa propre fantasia

pour penser l’inscription radicale de l’image dans un site _ ou « zone » _ d’absolue indétermination« .

Dans le chapitre suivant intitulé « Zone et zonards« , pages 165 à 189 _ de Confiscation,

et à partir des lectures _  commentées _ de passages du Timée de Platon par Cornelius Castoriadis et Jacques Derrida,

Marie-José Mondzain en vient, page 167 et suivantes,

« au point nodal où la problématique de l’eidos _ l’idée _ croise _ voilà _ celle de l’eikôn _ l’image.

Platon, plus haut dans le Timée, avant d’inscrire et de décrire son « imaginaire radical »,

avait nommé le temps image _ eikôn _ mobile de l’éternité (37d, 5).

Dire du temps qu’il est image,

et dire de cette image qu’elle est éternité en mouvement,

est une formulation d’une audace et d’une puissance inouïe oui !

Dans une formule de trois mots,

Platon hausse eikôn à hauteur de la zone où se joue le devenir sensible et visible du monde intelligible lui-même,

en se déployant dans le réel selon le nombre en mouvement.

L’image est donc ce qui met en relation dans le temps,

l’éternité de l’idée

et l’espace où nous expérimentons la réalité sensible du devenir dans son apparition _ même.

L’image est apparition voilà ! _ de l’idée dans le monde du devenir temporel.

Mais Platon veut aussitôt préciser la nature de ce « lieu » inassignable,

celui du troisième genre de l’être

où cette relation opère,

où l’eikôn est mouvement de l’eidos, de l’idée en son éternité.

L’image est pour toujours du « troisième genre », lieu non de l’être, mais du « naître ».

C’est pourquoi l’étape suivante de la méditation platonicienne

vient répondre à la question du lieu de naissance _ voilà _ de l’apparition sensible de l’idée.

Platon imagine, au sens plein _ voilà _, la béance _ voilà _ de ce lieu vide _ vacant _ qu’est le site de la gestation du visible.

Il en fait l’hypothèse, le fait surgir, comme si c’était un néologisme, sous le nom de chôra.

Evidemment, ce mot n’est pas un néologisme,

il existe à côté et à distance de topos, qui est le mot de la localisation (…).

Et pourtant, atypique, chôra arrive ici dans le champ philosophique comme une énigme lexicale

qui n’en finira pas de poser un problème de traduction.

Dans la langue commune, il désigne l’espace non urbain.

Il est le champ qu’on peut cultiver, le hors-champ de la cité,

qui échappe à la détermination des limites et des institutions.

Ainsi le mot va-t-il occuper un site intermédiaire,

entre friche et culture, bornage et illimitation,

dont le nom a la porosité de la membrane qui sépare et compose le voisinage entre le logos, qui le désigne, et le muthos, qui l’hallucine.

Platon, pour l’introduire, doit absolument inventer _ oui ! _ ce troisième genre de l’être (triton genos)

qui ne relève

ni du monde intelligible et solaire des idées,

ni du monde des ombres sensibles propre aux incertitudes et aux apparitions précaires.

On doit donc imaginer _ voilà ! _ une « zone » _ voilà ! _ d’où un régime de visibilité surgit _ voilà ! _

à l’image _ seulement, certes _ de l’éternité _ mais incarnant bel et bien celle-ci ! _,

une « zone » d’indétermination originaire _ et féconde _,

sans laquelle _ toutefois _ il serait impossible pour un vivant pensant et parlant d’envisager,

de donner son visage à l’apparition de l’idée _ apparition de l’idée qui, donc a besoin d’un tel visage

Imaginer cette zone sans jamais la voir,

c’est reconnaître en elle la condition _ voilà : comme transcendantale _ de la visibilité elle-même« , page 169.

Et, poursuit Marie-José Mondzain,

« Aristote hérite de cette exigence « mythique » _ de Platon _ lorsque, dans le traité De l’âme, il donne le nom de « diaphane » à une instance sans nom (anonymos)

qui est _ aussi et encore _ la condition invisible de la visibilité.

La chôra platonicienne a bien la diaphanéité, la transparence, de ce qui est _ à la fois _ le recueil et la matrice du visible.

L’origine du visible se trouve _ ainsi _ dans l’invisibilité matricielle de la chôra,

chôra dont il _ Platon _ nous dit qu’elle est obscure (amudron), difficile à penser (kalepon noient), à peine croyable (mogis piston), donnée comme en rêve (oneiropoloumen) et de façon batarde (nothos).« 

Marie-José Mondzain peut donc conclure ce passage, pages 169-170 :

« Platon est donc en effet le premier à formuler en philosophie la nécessité de poser dans sa radicalité _ voilà ! _ une instance imaginaire,

c’est-à-dire de poser l’hypothèse sans laquelle on ne peut rien voir _ voilà ! le regard (tout regard) a une histoire : le regard doit impérativement se former, dès les premiers moments et jours de l »ouverture des yeux du nourrisson ; cf ici par exemple les analyses, dès 1958, de René Spitz (1887-1974) dans Du regard à la parole _ la première année de la vie Et il faut ici aussi se pencher sur le devenir de l’appréhension des formes signifiantes chez les animaux, dans les travaux des éthologues… _

qui donne dans la vie sensible

son lieu voilà ! _ à la pensée

et sa possibilité au savoir« . 

Ajoutant tout aussitôt, page 170 :

« Castoriadis _ tout anti-platocien qu’il se veut _ doit bien à Platon cette symbiose théorique entre originaire et imaginaire,

même s’il ne traduit pas _ lui, Castoriadis _ chôra,

que je traduis ici _ écrit-elle _ par « zone ».

Ce réceptacle du visible en est la source, la matrice (métra),

nourrice (tithènèn) du visible (48a-52e).

L’invisible est _ ainsi _ la condition du visible,

à partir d’un espace sans lieu _ voilà ! _

qui opère radicalement _ comme source féconde _ comme pure indétermination matricielle et donc féconde sans avoir eu besoin d’être fécondée _ mais qui va peu à peu nourrir le visible s’élaborant à partir d’elle, de la réception-assimilation plus ou moins riche, de références culturelles, de tout ce qui va s’apprendre des échanges de signes (dont, pour les humains, la langue !) avec les autres.

On peut saisir au passage la raison pour laquelle les penseurs chrétiens se sont saisis de cette chôra

pour nommer _ en effet _ la Vierge, matrice et nourrice d’un divin bâtard,

membrane diaphane et intacte, qui met au monde, comme on fait apparaître sur un écran l’image naturelle,

archétype de toutes les images possibles, image inengendrée de l’inengendré,

visibilité qui ne cesse de mourir pour ressusciter.

Cette matrice est bien ce qui donne son visage à la transcendance,

ce qui permet (…) d’envisager la visibilité de l’idée.« 

« Traduire chôra par « zone »

est assez fidèle au dispositif spéculatif qui formule les conditions de l’image et du visible,

car zonè est la ceinture _ voilà ! cet élément est important _,

le périmètre _ mais vague et indéterminé, lui, à la différence de la ligne distincte, elle, de l’eidos !.. qui donne sa forme au visible,

la limite de l’incirconscriptible

en même temps que _ déjà, aussi _ l’inscription _ graphè _ de l’illimité.

Mais ce graphe défie l’écriture et sa lisibilité ;

il opère en excès, en débordé de la matérialité des signes.

Le grapheus, lorsqu’il fait des images, est _ ainsi _ un « zonard »,

comme l’est tout artiste dont les gestes _ s’inventant _ qui font naître le sensible

se posent _ dans leur fulgurance _ sur le seuil indiscernable du visible et de l’invisible.

Affaire de membrane, que les Grecs ont désignée du nom d’hymen », pages 170-171.

Marie-José Mondzain explique alors pourquoi elle a « choisi d’appeler « zone  » cette chôra » de Platon et de Castoriadis :

« la raison la plus forte est que cela permet aux zonards, sans domicile fixe et sans identité assignée,

aux exilés et exclus de toutes provenances,

de partager _ avec fécondité _ un site d’hospitalité inconditionnelle,

où tout est possible,

où rien n’est soumis à l’empire _ implacable _ de la nécessité.

Nous pouvons partager avec les zonards la liberté _ ouverte et ouvrante  _ de cette imagination radicale,

c’est-à-dire les débats collectifs sur les conditions de la communauté,

les conversations du regard _ cf Le Commerce des regards _

qui font advenir à la parole _ et c’est très important _ les expériences de la sensibilité.« 

Et elle en déduit que

« nous devons construire ensemble la scène de ce partage.


C’est dans la zone de ce partage de l’appartenance de tout vivant à un espace de liberté et d’invention,

dans cet espace transgénérique, propre à l’image,

que s’inscrivent _ à la fois _ nos gestes inventifs

et nos résistances.« 

Avec cette conséquence cruciale :

« La confiscation _ revoici le mot ! _

et la perte de cette ressource de la radicalité _ ou le cœur du problème abordé en ce livre important ! _,

réduisent tout sujet _ non sujet, en fait, car seulement et totalement passif, décérébré _ de ce dépérissement _ amenant à une terrifiante désubjectivation, annihilation (et suicide) de (ce) qui avait vocation à constituer et devenir un vrai sujet… _

à tenter les expériences _ mais en sont-ce vraiment ? _ extrêmes

que sont la _ fausse _ piété fanatique _ le mot « fanatisme«  apparaît bien ici _,

les rites _ faussement _ purificateurs

et _ tragiquement (en tout ce qu’ils détruisent en les autres comme en soi) _ initiatiques du sacrifice meurtrier et suicidaire _ sadisme et masochisme sont toujours de très puissants facteurs _,

les fureurs de l’intolérance _ envers autrui _

et l’obéissance aveugle _ et affreusement vide _ à des recruteurs impitoyables.  « , page 172.

« Il faut cesser de voir trop commodément _ les convertis à la terreur comme des barbares, des monstres ou des fous.

Ils incarnent _ plus simplement _ la misère profonde _ tant culturelle qu’économique, ainsi que les résultats _ de l’imaginaire collectif

que le capitalisme ne cesse de tarir (…) avec les produits euphorisants, qui se veulent salvateurs, du divertissement et de la guerre sainte » :

ce précisément contre quoi Marie-José Mondzain appelle ici à résister.


Car, dit-elle, pages 172-173,

« c’est au nom de cette résistance possible

que je plaide ici

pour la radicalité émancipatrice de tous les gestes d’hospitalité

et de création« .

Et « créer, c’est sortir de l’impuissance« .

Et « donner à sentir, c’est produire du commun« _ authentiquement partageable _, page 188.


Le dernier chapitre, intitulé « Paysages« , de Confiscation

aborde ce que Marie-José Mondzain appelle, pages 193-194,

« la porosité des espaces

dans lesquels se joue le passage _ mais oui _ de la violence inhospitalière du monde habité,

au site _ de création artiste, ou autre, à la place de la violence et du meurtre ! _ où l’imagination radicale produit la zone sismique _ de création, donc, avec ses cataclysmes _ où poussent avec obstination les saxifrages irréductibles« .

Marie-José Mondzain prend en priorité deux exemples,

touchant « à la question cruciale du hors champ » ;

question qui l’intéresse depuis longtemps, en ses analyses d’images, au cinéma et ailleurs :

_ le hors champ de Poussin et de ses paysages tragiques _ tels ceux des « Quatre saisons« , au Louvre, mais aussi le « Paysage orageux avec Pyrame et Thisbé«  (du Städel Museum de Francfort-sur-le-Main) _ ;

_ et le hors champ du cinéaste japonais Masao Adachi _ notamment dans son film de 1969 « A.K.A. Serial Killer« , et d’après son texte de 1971 « Questions imaginaires au tueur en série. L’affaire Norio Nagayama« .

Avec cette thèse, pages 200-201 :

« Le paysage est bien le palimpseste toujours déchiffrable _ pour qui incline à décrypter… _ de toutes les passions,

c’est-à-dire de tous les crimes commis et de toutes les violences subies,

et même de tous les chagrins éprouvés par ceux qui laissent derrière eux les traces innocentes et visibles de leur disparition violente.

L’événement _ lui-même, en tant que tel _ disparaît du champ _ de vision du regardeur _ ;

et c’est son hors champ, donc le paysage, qui devient mémoire sans fin _ du moins potentiellement _ des crimes invisibles » _ qui y ont eu lieu.


« En suivant l’analyse d’Adachi,

on peut entendre que le premier crime du serial killer est toujours déjà le deuxième,

dans la mesure où il s’inscrit sur la toile _ voilà ! _ des violences désubjectivantes _ voilà !! _

et donc destituantes du paysage

dont il est l’infime symptôme, le misérable rejeton _ superbe analyse !

Les crimes les plus terribles (…) sont commis par des corps pour ainsi dire déshérités d’eux-mêmes _ oui : de sujets désubjectivisés ! nihilistes parce qu’annihilés _,

qui imaginent  _ bien illusoirement _ pouvoir exister _ enfin ! _ dans le regard  _ !!! _ des autres

à la seule condition _ qui soit accessible aux locataires de ces corps, via les médias de masse d’aujourd’hui offerts _ d’organiser le spectacle des tueries qu’ils perpètrent au prix de leur propre disparition.

Examiner la scène où se déroulent des scénarios du désastre,

déchiffrer dans l’espace des villes

la violence inhospitalière et la brutalité de ce qui n’est plus « rencontre », mais « choc accidentel avec le corps de la terreur »,

voilà ce que Masao Adachi voulait filmer

en laissant sa caméra glaner les signes _ voilà ! _ de la déréliction, du désespoir et de la haine dans l’espace urbain de Tokyo.

Si Adachi ne cherchait pas à connaître ou à faire connaître la personne du serial killer,

c’est parce qu’il n’était « personne ».

Le criminel n’était _ certainement _ pas radical.

Adachi déplace _ donc _ la question de la terreur et du crime

pour envisager _ et nous faire envisager, aussi _ dans sa radicalité la responsabilité politique _ oui _ du geste cinématographique _ lui-même _ dans son adresse à la communauté tout entière« , page 202.

« Je crois que nous pourrions de la même façon aujourd’hui filmer

ou décrire l’espace que nous traversons chaque jour

pour en laisser voir _ et faire voir _ la violence dans les signes de la pauvreté _ voilà _,

pour montrer la matière même et les traces visibles et tangibles de l’isolement et de l’inhospitalité « ,

poursuit Marie-José Mondzain.

Et, page 203 :

« Dans le mouvement de sécularisation,

dont on dit qu’il est la marque du désenchantement du monde,

la réanimation sauvage du sacré _ superbe expression _

redonne du service à des fanatismes _ revoici le mot _

qui, précisément, indiquent un besoin de réenchantement dans les propositions les plus extrêmes _ et pas les plus « radicales«  !

Les nouveaux catéchismes imposent des fidélités factices _ certes ! _

et des dépendances suicidaires.

 

Faute de confiance _ authentique_ et de fiabilité _ vraie _,

on se jette à corps perdu _ c’est le cas de le dire ! _ dans les croyances les plus ineptes »

_ et à mes yeux la lente mais profonde détérioration de l’école, pour des raisons probablement d’abord d’économie de budget (mais aussi de mépris des personnes), a sa part de responsabilité aussi ;

celui qui a enseigné (avec bonheur, mais oui !!!) à philosopher durant quarante-deux années, peut rétrospectivement en juger…

Alors, page 204 :

« Y aurait-il des paysages où l’on ne peut _ nécessairement, fatalement _ que tuer ou mourir ?

N’est-ce pas dans le vaste hors champ des actes terroristes qu’a lieu la destruction criminelle de la planète _ Michel Deguy dirait, lui, de la Terre _ elle-même ? « 

Alors, et cependant, Marie-José Mondzain voit dans ce qu’elle nomme « un geste d’art« , page 205,

« le fait de tout geste prenant le risque _ aussi vertigineux _ de manifester cette puissance _ ouverte _ de l’informe

dans la forme même _ de ce qui devient œuvre.

C’est ce que je souhaiterais faire entendre, poursuit-elle, page 205-206, en disant que l’art est toujours zonard,

traitant toujours de l’intraitable _ et acceptant de s’y affronter _

et faisant advenir dans le sensible la temporalité singulière d’une phantasia turbulente et joyeuse _ parce que joyeusement joueuse.

C’est dans l’espace atomique sans limites des opérations imaginantes _ voilà _

que se développe cette zone privilégiée et insigne

où se déploient _ oui _ les jeux _ voilà _ de notre liberté.

Et je crois que la radicalité véritable _ puisque là est le fond de la question de ce livre _ est inséparable de la force irrésistible du rire et de la joie.

Même quand ils s’emparent du pire,

les gestes d’art nous rendent _ très effectivement _ heureux,

car nous y puisons les ressources _ fécondes _ de la joie et du partage.

La joie et le rire sont une source irrépressible d’énergie politique. »

Avec cette conclusion, page 207 :

« Au cœur d’un même événement,

deux régimes sonores se font _ ainsi _ entendre,

deux énergies

dans leur tension _ essentielle _ turbulente et jubilatoire _ oui !!! _ :

celle des craquements jaillissant des fractures _ « saxifrages », dit l’auteur ! _ qui détruisent les chaînes _ d’aliénation _

et rompent le silence de la fatalité _ à immanquablement subir _ et des enchaînements _ mécaniques, algorithmiques, robotisés _,

et celle qui surgit, dans la stridence _ d’art _ des voix, des corps qui dansent ou vagabondent sans orientation prévue,

car ils s’en remettent _ voilà _ à la pure radicalité _ oui : un pur commencement à ouvrir et déployer _ de la rencontre _ vraie : cf mon propre texte, en 2007, Pour célébrer la rencontre, que publia, alors, sur son site, Bernard Stiegler… _ avec celui ou celle qui arrive,

qu’on n’attend pas

et qu’on ne doit _ simultanément _ jamais cesser d’attendre _ afin de savoir être toujours prêt à l’accueillir, en son vivace et souvent bref passage ;

et d’abord apprendre à être apte à savoir, à la seconde, voir, puis saisir, ce qui (et d’abord qui), là, passe furtivement et très vite ;

à l’image du joyeux en même temps que tranchant divin Kairos, aux chevilles ailées,

qu’il peut nous arriver de croiser !

Pour rester radicalement fidèle à cette énergie _ voilà ! _

il faut bien consentir à ce qu’il n’y ait jamais de « lutte finale »,

mais une fidélité tenace _ oui, de chaque instant ! _

envers tout ce que nous devons

ne jamais cesser de combattre

si nous voulons ne pas cesser d’inventer _ oui _

pour le partager » _ absolument.

En trois pages excellemment ramassées,

la conclusion du livre, aux pages 209 à 211, vient relier lumineusement

la double thèse finale de Marie-José Mondzain, soient ces « deux propositions«  _ d’action on ne peut plus effective ! _ que sont

et « l’urgence d’une réappropriation _ par chacun et par tous _ de la parole« ,

et « l’impérieuse nécessité d’un combat _ tout à la fois puissant et joyeux _ contre la confiscation _ éhontée et à très grande échelle : mondialisée ; mais l’art peut, lui aussi, beaucoup ; et même une seule courageuse personne, parfois  _ des images et des mots« ,

à ce qui,

au long des analyses-explorations très fouillées de l’ensemble de ce livre,

est venu, justement, les fonder :

« C’est dans la composition _ au sens de la dynamique des forces, en physique _ sociale _ un art éminemment subtil à construire _ des relations d’échanges et de luttes _ les deux, qui sont liées _

que la paix _ vraie : « union des âmes«  dit Spinoza _ signifie un état positif de la vie antagonistique _ cf ici les décisives analyses de Nicole Loraux, en son La Cité divisée _ l’oubli dans la mémoire d’Athènes

Deux forces radicales _ à la fois de fond, et de capacité de commencement _ agissent dans cette composition _ avec sa résultante _ :

celle qui produit consistance et liaison _ au lieu de schize et déliaison haineuse _ dans un espace de fiabilité _ tellement et ô combien bafouée ces derniers temps-ci _ de la parole

et celle qui fait surgir _ dans l’inattendu de gestes d’essais de création _ des formes inédites _ voilà ! _ dans le voisinage périlleux _ parfois, sinon souvent, vécu dans l’angoisse _ de l’informe _ avec ses ressources de plasticité _ et la béance _ ouverture féconde _ d’un chaos _ généreux _ « …

Et « ces deux énergies s’originent peut-être _ ensemble ! _ dans une zone indiscernable d’indétermination radicale,

où le temps met en mouvement les images de l’éternité« .

Ce qui permet à Marie-José Mondzain de souligner, en commentaire :

« C’est cela, l’imaginaire _ ou «  »imageance« je préfère, pour ma part, ce terme, forgé à partir d’un participe présent de verbe d’action-création… _,

c’est cela, sa radicalité » _ ou puissance (formidable !) de commencement.

Et on comprend que les pouvoirs installés craignent cette puissance rivale de leurs efforts de main-mise, et cherchent à la domestiquer ou l’asservir, en (se) la payant, pour leur exclusif profit !!! Sur ce point, le rappel (in Image, icône, économie _ les sources byzantines de l’imaginaire contemporain) des querelles de l’iconoclastie, est aussi bien éclairant…

Et c’est à cette capacité d' »imageance« -là, en chaque sujet humain,

qu’il nous faut permettre d’apparaitre, surgir ;

et c’est elle qu’il faut protéger, préserver, encourager, en ses commencements,

afin d’aider à la cultiver vraiment par les meilleurs moyens qui soient

et contribuer à ce qu’elle se déploie pleinement,

en chacun des hommes,

afin d’aider à étendre, en se réalisant, en un processus épanouissant de subjectivation, leur humanité vraie,

attaquée qu’elle est par les opérations de décérébrage et désubjectivation à échelle mondiale,

de misérables (!) marchands d’illusions …

Merci, chère Marie-José, pour ce travail  bien utile, dans ces combats pour la culture vraie,

versus les impostures installées…

Titus Curiosus, ce mercredi 15 mars 2017

Autre contribution (de crise) de Thomas Piketty à la réflexion sur la nécessaire et urgente reconstruction de l’U.E.

02juil

Ce matin, au réveil, après  la découverte, dans le Monde _ Mort d’Yves Bonnefoy, poète, traducteur et critique d’art _, de la perte de l’immense poète _ mais un poète demeure toujours… _ qu’était Yves Bonnefoy,

je découvre un entretien que Thomas Piketty vient d’accorder à cinq journalistes étrangers, dont le correspondant à Paris d’El Pais, Carlos Yarnoz ;

en forme de suite à son article (du 28 juin, dans Le Monde) Reconstruire l’Europe après le Brexit _ reproduit et accessible dans mon article précédent : Une remarquable contribution de Thomas Piketty au questionnement sur une nécessaire et urgente reconstruction de l’U.E. .

Cet entretien, le voici, en castillan _ avec farcisssures en vert.


THOMAS PIKETTY | ECONOMISTA ESPECIALISTA EN DESIGUALDADES


“Nacionalismo y xenofobia es la respuesta fácil ante las desigualdades”


El autor de ‘El Capital en el Siglo XXI‘, analiza el ‘Brexit’ y los problemas de la UE

CARLOS YÁRNOZ


París 1 JUL 2016 – 19:59 CEST


Tras haber vendido en tres años 2,5 millones de ejemplares de su libro El Capital en el Siglo XXI, Thomas Piketty (Clichy, 1971) rechaza las continuas invitaciones que recibe para sumarse a la política activa. En esta entrevista en la fea y desangelada Escuela de Economía de París, donde es director de Estudios, este especialista en desigualdades cuenta a periodista de cinco medios europeos que la xenofobia y el nacionalismo campan por Europa y están en el origen del Brexit. La canciller Angela Merkel y el presidente François Hollande, dice, debieran apoyarse en Syriza, el PSOE o Podemos, partido al que, según cuenta al inicio de la charla, vota su esposa, Julia Cagé, nacida en Metz pero con doble nacionalidad franco-española.


Pregunta. ¿Ha llegado con el Brexit la catástrofe de la que usted alertó durante crisis griega?

Respuesta. Europa jugaba con fuego desde hace tiempo _ tiens, tiens… _, especialmente en la zona euro. La crisis de 2008, la más grave desde la II Guerra Mundial, ha sido mal gestionada. Nos empeñamos en reducir el déficit demasiado deprisa _ le choix du bon rythme est toujours crucial _ y matamos  _ voilà le résultat _ la recuperación, el crecimiento.

P. Inglaterra no padeció ese error al estar fuera de la zona euro.

R. Europa ha fracasado _ en sa gouvernance, et la malencontreuse prépondérance des Merkel et Schaüble _ y ha creado tensiones por doquier. Paradójicamente, Inglaterra salió mejor de la crisis, pero las políticas antisociales de David Cameron avivaron los resentimientos de las clases populares que ha llevado a una reacción _ de colère _ irracional a base de xenofobia y estigmatización.

P. ¿Cómo salir del embrollo?

R. Ahora nadie _ ni Cameron, ni Johnson, ni, encore moins, le totalement irresponsable Farage _ parece haberse preparado para el Brexit. Tenemos la sensación _ en effet _ de que, una semana después, todo el mundo navega a la vista. Pese a todo hay que recuperar _ voilà ! _ la esperanza _ cf le concept si important d’Ernst Bloch (et Cornelius Castoriadis) dans Le Principe Espérance (et L’Institution imaginaire de la société)de poder construir algo nuevo _ et meilleur _ a partir de este desastre. Un desastre para las generaciones jóvenes, que van a sufrir durante mucho tiempo las consecuencias de una opción elegida _ par colère et ressentiment primaires  _ por la gente mayor.

P. ¿Cómo valora la respuesta dada por la UE al Brexit?

R. Ha sido totalmente insuficiente _ c’est le moins que l’on puisse dire. Y hay asuntos pendientes importantes. Los costes causados por el secreto bancario suizo y mañana _ voilà ! _ por los paraísos fiscales de la Corona británica y la opacidad de la City son considerables. Si no se hace _ comme ne se fait rien depuis des années pour contrer ce qui l’alimente _, se alimenta el populismo. Me da miedo _ en effet ! _ ver que a los dirigentes europeos les falta coraje _ oui ! Une vertu indispensable.

P. ¿Y cómo debe transformarse la zona euro?

R. Soy partidario de un sistema bicameral: un Parlamento elegido directamente por los ciudadanos _ et j’ajoute, pour ma part, sur des listes qui soient (enfin !) européennes, et non plus nationales _ y otro que represente a los Estados nación con parlamentarios del Bundestag, la Asamblea Nacional francesa… El actual sistema no funciona ni funcionará jamás. En el Parlamento que propongo podría haber alianzas estratégicas, coaliciones ideológicas _ en fonction des questions débattues et réponses envisagées…

P. ¿Son los dirigentes políticos, y no solo británicos, responsables del Brexit?

R. Sí, sí. Y no solo los británicos. Francia no ha hecho nada _ hélas, par faiblesse, face à Merkel et Schaüble  _ en favor de los países del sur porque, con tipos de interés a cero…, mejor no cambiar. Claro que la actitud de Alemania _ Merkel, Schaüble _ ha sido insoportable y completamente irracional _ voilà. Machacando la actividad económica del Sur, los prestamistas alemanes no van a conseguir que se les devuelvan los créditos. Hay una voluntad de castigar _ voilà _ que denota dosis de nacionalismo _ sado-masochiste.

P. ¿Por qué se opone a la política de austeridad?

R. Porque no funciona. Alemania _ dans l’Histoire _ es el país por excelencia que jamás _ rien moins ! Ni après la Première Guerre Mondiale, ni après la Seconde… _ ha devuelto su deuda. Por eso es paradójico _ ô combien ! C’est même à rire !!! _ ver que Alemania exige a Grecia que devuelva hasta el último euro _ mais le relèvement d’un pays comme l’Allemagne a de tout autres enjeux et un tout autre poids que celui d’une petite Grèce… La realpolitik demeure ! Cf le podcast de mon entretien (le 7 juin dernier) avec Yves Michaud, à propos de son réjouissant (de lucidité!) Contre la bienveillance Europa se construyó _ au passé ! _ sobre el olvido _ oui ; sur les vertus de ce type d’oubli, à rebours des ressentiments, relire Nietzsche ! _ de las deudas, para que las nuevas generaciones no pagaran los errores de los antepasados.

P. ¿Y qué propone a nivel mundial?

R. Es necesario regular _ voilà ! _ el capitalismo. Necesitamos _ d’inventer _ instituciones democráticas fuertes _ les deux ! _ para regular _ voilà ! _ la deriva _ voilà ! _ de desigualdades _ terriblement destructrices : les politiciens de droite, ici, nous mènent au précipice ! _, a controlar _ voilà ! _ la potencia _ très effective, elle _ de los mercados, del capital, al servicio _ cette fois ! _ del interés general. Es un error _ celle de l’ultra-libéralisme _ creer que a eso _ l’intérêt général, donc _ se llega de forma natural. Hay una especie de fe _ idéologique, hélas _ en la autoregulación _ sans rien y rectifier-redresser _ de los mercados que es excesiva _ une hybris En 1914 _ juste avant le déclenchement de la Guerre _, durante la primera mundialización, hubo una sacralización del libre mercado y la propiedad privada que creó fuertes desigualdades, tensiones sociales, aumento del nacionalismo y, de alguna manera, contribuyó _ voilà !_ al estallido de la I Guerra Mundial.

P. Y más recientemente ha llegado el dumping _ multiplicateur à la puissance n de ces inégalités ! _ social, fiscal, financiero…

R. Sí. Y si no hay repuesta _ enfin ! _ para detener _ enfin ! _ esas desigualdades, la respuesta más fácil _ celle des Nigel Farrage et autres Boris Johnson, parangons des populismes paresseux, et follement irresponsables, en leur sado-masochisme… _ es el nacionalismo y la xenofobia. Y así surgen responsables políticos como Donald Trump, Boris Johnson o Marine Le Pen…gente _ elle-même _ muy privilegiada financiera y socialmente _ mais oui ! _ cuya única estrategia consiste en explicar _ rhétoriquement seulement, hélas ; et pour cause… _ a las clases populares blancas que sus enemigos son las clases populares mexicanas, negras… Distraen así la atención _ affaire de focalisations habiles _ sobre las desigualdades y las derivan hacia desigualdades identitarias, culturales, religiosas _ racistes.

P. Crecen movimientos xenófonos, pero también una izquierda radical, como Syriza o Podemos.

R. Yo lanzo una llamada a Hollande y Merkel para que se apoyen en Syriza, en Podemos, en el PSOE…en esos partidos de izquierda, más o menos radical. Vale, Alexis Tsipras no es perfecto, Pablo Iglesias no es perfecto, tampoco sus programas, hay imperfecciones en lo que cuenta, no tiene experiencia en el poder…, pero son mucho menos peligrosos _ voilà ! _ que los nacionalistas polacos, británicos, húngaros…

P. ¿Ha seguido de cerca las dos elecciones en España?

R. Sí, sí. Ahora hay una situación casi ingobernable. Se ha fomentado el miedo a Podemos _ avec succès _ humillando a Syriza, humillando a Grecia, exigiéndole privatizaciones totalmente irracionales para vendérselas luego baratas _ tiens, tiens… La crise ne pâtit donc pas à tous… _ a griegos ricos aliados de banqueros alemanes o franceses. Y lo han hecho para meter miedo _ voilà _ a los electores de países como España. Lo importante es que un cambio en España puede originar _ voilà _ un cambio en la zona euro _ toute entière. Francia, Italia y España suponen el 50% _ voilà _ de la población de la zona euro. Y Alemania, el 27% _ seulement. España, según sea pro o antiausteridad, cambia los equilibrios.

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Titus Curiosus, ce samedi 2 juillet 2016

« Au-dessus de la mêlée », un article très juste de Jean-Claude Guillebaud, à propos d’Alain Supiot évaluant la « Loi-Travail »

05juin

A l’instant, je découvre sur le site de Sud-Ouest l’excellent article Au-dessus de la mêlée de l’excellent Jean-Claude Guillebaud, à propos des commentaires précis du magnifique _ et trop discret (ou plutôt placardisé !) _ Alain Supiot, au sujet de la terriblement dévastatrice, à bien des égards, Loi-Travail de Myriam El Khomri…

Dans un de mes précédents articles _ c’était le 25 avril 2013 _, Le défi de la conquête de l’autonomie temporelle (personnelle comme collective) : la juste croisade de Christophe Bouton à l’heure du « temps de l’urgence » et de sa mondialisation, à propos du livre excellent, lui aussi _ il n’a pas pris une ride… _, de Christophe Bouton Le Temps de l’urgence, aux Éditions Le Bord de l’eau,

je citais _ trop vite _ le très beau travail (et plus qu’utile : indispensable !) d’Alain Supiot L’esprit de Philadelphie _ la justice sociale face au marché total, auquel Christophe Bouton alimentait sa réflexion, à la page 280 de son Temps de l’urgence

Je m’empresse donc de reproduire ici ce bel article de Jean-Claude Guillebaud, qui donne bien à penser sur notre actualité tumultueuse et confuse _ mes remarques de farcissure sont en vert _ :

Au-dessus de la mêlée
Publié le 05/06/2016 . Mis à jour le par Sudouest.fr

Au-dessus de la mêlée :
Quand les aigres invectives sur la loi travail nous désolent par leur médiocrité – dans un camp comme dans l’autre -, nous cherchons d’instinct des personnalités compétentes et intègres, capables de se tenir au-dessus de la mêlée…

Quand les aigres invectives sur la loi travail nous désolent par leur médiocrité – dans un camp comme dans l’autre -, nous cherchons d’instinct _ je préfèrerais réflexe : nul instinct chez les hommes ; l’emploi, erroné, de ce mot instinct, ne fait qu’apporter de l’eau aux moulins bien trop prospères des dévastatrices idéologies naturalistes et essentialistes en tous genres : racistes, pour commencer… _ des personnalités compétentes et intègres _ voilà !!! _, capables de se tenir au-dessus de la mêlée. Nous attendons d’elles un point de vue réfléchi et crédible. Nous quêtons une parole vraie _ oui ! _, capable de supplanter ces misérables combats de coqs politiciens _ comme c’est juste ! Le juriste Alain Supiot appartient _ en effet ! _ à cette catégorie. Il passe pour le meilleur spécialiste français du droit social _ au cœur même de la polémique en cours, donc _, et sa compétence est mondialement reconnue.

Les tenants et aboutissants des questions liées au travail, c’est peu de dire qu’il les connaît. En 2012, il a été accueilli par le prestigieux Collège de France, à la chaire de droit social. Or, c’est à Bordeaux, en 1979, que ce grand juriste originaire de Nantes a obtenu son doctorat d’État, puis son agrégation. Paradoxalement, on entend _ hélas ! _ peu sa voix _ mais on va vite comprendre pourquoi il est ainsi placardisé _ depuis que la France endure un vacarme décourageant à propos, justement, du Code du travail dont il est spécialiste _ c’est dire la dévastatrice inculture (et incompétence) des politiques (de tous bords, en effet !) et gouvernants aujourd’hui…

À cela, deux explications. D’abord, Supiot hésite toujours à répondre _ il y faut suffisamment de temps, et d’espace, pour y être suffisamment précis et argumenté en ce qu’on dit et écrit _ à des questions trop simplificatrices _ et les journalistes sont eux la plupart du temps si pressés ; pour ne rien dire de leurs bien trop paresseux auditeurs et lecteurs… Ses réflexions sur les métamorphoses _ oui : l’historicité est cruciale ! _ du concept même de travail et, surtout, les menaces qui pèsent mondialement sur les droits sociaux _ depuis la déferlante néo-libérale, à partir des appuis politiciens des Thatcher et Reagan, et leur violent TINA : « There is no alternative«  ; ainsi que l’impuissance du camp d’en face à les contrer… _, s’accommodent mal de réponses rapides et schématiques _ en effet ! Ensuite, sa liberté et son exigence _ qualités ô combien fondamentales pour approcher la justesse !.. _ ne sont pas toujours du goût _ et c’est peu dire _ des gouvernements en place _ qui préfèrent les soumis et serviles complaisants. À plusieurs reprises, les rapports dérangeants du Pr Supiot ont été enterrés _ voilà. Dans les ministères, on juge parfois – à demi-mot – que cet homme libre « pense mal ». C’est le cas aujourd’hui _ voilà.

De fait, dans les rares interviews que Supiot a données récemment, il affirme son hostilité de principe _ à creuser _ à la fameuse loi travail. Son jugement, documenté et réfléchi, est sans appel _ ah ! À ses yeux et à long terme, la loi El Khomri « attise la course au moins-disant social » _ voilà ! Dans un entretien publié le 13 mai par notre confrère « Témoignage chrétien » _ intitulé Libérer le travail de l’emprise du marché total _, il se montre très clair. Il conteste le raisonnement néolibéral, rabâché ces temps-ci _ voilà qui éclaire les réticences qu’il suscite, voire le black-out qu’il subit _, selon lequel il faudrait rendre plus faciles les licenciements pour favoriser l’emploi. Cette prétendue logique lui semble invérifiée. Les entreprises créent des emplois quand leurs carnets de commandes le permettent, et non point parce qu’elles y sont encouragées par la perspective de pouvoir licencier.

Il ajoute cette remarque plus percutante : « L’une des causes de l’atonie actuelle de l’activité réside dans l’aggravation des inégalités _ voilà ! _, qui appauvrit un nombre croissant de citoyens et provoque la stagnation de l’économie. » _ tiens donc ! Du coup, si une réforme du Code du travail s’impose, ce n’est pas du tout celle qu’introduit la fameuse loi El Khomri. Cette dernière a pour fonction d’envoyer aux marchés financiers et aux lobbys européens _ qui sont les vraies puissances décidantes ! _ « les signaux qu’ils attendent, en diminuant les garanties juridiques dont bénéficient les salariés » _ voilà ! Et cela, pas trop vite, non plus : la grenouille qu’on plonge brutalement dans l’eau bouillante, s’en échappe immédiatement ; alors qu’elle va se laisser ébouillanter peu à peu si c’est très graduellement qu’on monte le feu sous le récipient…

Appeler cela du « réformisme », comme le fait dix fois par jour notre Premier ministre _ ainsi que tous les autres de l’U.E. : Tsipras a dû, lui aussi, en passer par là, et la Grèce… _, constitue un abus de langage. Pour Supiot, il s’agit plutôt de « transformisme », pour reprendre la formule d’un syndicaliste italien, Bruno Trentin (disparu en 2007). Ledit « transformisme » revient à s’adapter tant bien que mal _ et par réalisme, disent-ils _ aux contraintes externes. « Le réformisme, au contraire, estime Supiot, consiste à agir pour faire advenir une société plus juste, qui fasse profiter le plus grand nombre du progrès technique » et respecte notre particularisme anthropologique _ cf ici la différence cruciale et fondamentale entre adaptation (à l’environnement), et accommodation (de l’environnement) ! Mais le pouvoir d’accommodation, un petit nombre se l’accapare, et en écarte et prive les autres…

Voilà bien un homme qu’on aimerait entendre _ que oui ! Et avec tout le temps qu’il lui faut (et qu’il nous faut, pour assimiler ce qu’il dit).

À défaut, je signale que la plupart de ses textes et réflexions sont accessibles via Internet, et que l’un de ses livres (« L’Esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total », éd. Seuil, 184 p.) est suffisamment limpide pour être accessible à tous.

Alain Supiot conteste le raisonnement néolibéral selon lequel il faudrait rendre plus faciles les licenciements pour favoriser l’emploi. Cette prétendue logique lui semble invérifiée.

JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD

Un article courageux et salutaire, dans la mêlée assourdissante d’aujourd’hui…

Et un grand merci à Jean-Claude Guillebaud, un vrai grand journaliste, lui,  de nous faire connaître ce très important entretien avec Alain Supiot : un très grand Monsieur !

Titus Curiosus, ce 5 juin 2015

P. s. :

voici aussi l’article-entretien Libérer le travail de l’emprise du marché total d’Alain Supiot, paru dans Témoignage chrétien le 13 mai dernier,

et qui aide grandement à comprendre, et ce qui se passe maintenant en France et en Europe,

et ses considérables enjeux pour la démocratie :

Libérer le travail de l’emprise du marché total

Propos recueillis par Bernard Stéphan 13 Mai 2016

Alain Supiot,

Interview, travail, Economie, loi travail, Code du travail, Salariat

INTERVIEW

La loi Travail de Myriam El Khomri soulève des débats passionnés.

Professeur au Collège de France, Alain Supiot pose un regard aiguisé sur ce qu’ils révèlent.

TC : Bon nombre de décideurs économiques et politiques considèrent que les rigidités du Code du travail dissuadent les entreprises d’embaucher. Partagez-vous cette analyse ?

Alain Supiot : L’argument selon lequel il faudrait faciliter les licenciements pour favoriser l’emploi est pour le moins paradoxal. En réalité, les entreprises embauchent quand leurs carnets de commandes se remplissent. L’une des causes de l’atonie actuelle de l’activité réside dans l’aggravation des inégalités, qui appauvrit un nombre croissant de citoyens et provoque la stagnation de l’économie. Or, la France, comme les autres pays européens, s’est privée _ rien moins ! _ des outils d’une politique économique capable de favoriser l’emploi. En 1999 déjà, avec les auteurs du rapport sur le devenir du droit du travail en Europe (1), nous avions signalé les risques _  tiens, tiens ! _ de l’instauration d’une monnaie unique dépourvue d’un pilotage politique fort _ voilà ! _ en matière économique et sociale.

Seize ans plus tard, faute d’outils traduisant une volonté _ voilà ! _ de cohésion sociale et économique _ eh ! oui _, le travail, sa rémunération et ses socles juridiques protecteurs sont devenus pour les gouvernements les seules variables d’ajustement possible _ voilà ! _ dans un contexte de concurrence exacerbée.

Cela signifie-t-il qu’il faut laisser le Code du travail en l’état ?

Évidemment non. Mais il faut inscrire la réforme du Code du travail dans un débat de fond _ oui : de fond ! _ portant sur le type de société que nous voulons construire _ c’est fondamental ; cf Cornelius Castoriadis : L’Institution imaginaire de la Société ; et la dualité Ernst Bloch / Hans Jonas : Principe Espérance versus Principe Responsabilité _, et se doter ensuite d’un cadre juridique adapté à ce projet. Or la réécriture du Code du travail a été engagée en l’absence de tout vrai projet réformiste _ tiens, tiens ! _ : il s’agit d’envoyer aux marchés financiers et aux institutions européennes _ devenues instances de souveraineté _ les signaux qu’ils attendent _ avec une détermination de longue haleine, ne lâchant rien _, en diminuant _ peu à peu, pas à pas _ les garanties juridiques dont bénéficient les salariés. Une telle politique relève de ce que le grand syndicaliste italien Bruno Trentin appelait le « transformisme » (2). Le transformisme consiste à réagir aux contraintes externes en tâchant de s’y adapter, le réformisme au contraire consiste à agir _ par accommodation, imaginative et volontaire, et non pas adaptation… _ pour faire advenir une société plus juste, qui fasse profiter le plus grand nombre du progrès technique, et respecte notre écoumène.

Faute d’adopter cette démarche, les pays de l’Union européenne en sont réduits à répondre à la demande de « réformes structurelles » formulées par les marchés financiers _ les vrais pouvoirs, par défaut ! _ : c’est-à-dire faire travailler le dimanche et la nuit, allonger les horaires, diminuer la rémunération des heures supplémentaires, etc. Cette course au moins-disant social nous conduit à des impasses.

Pourquoi la France ne s’inspirerait-elle pas des mesures de flexibilisation du travail prises en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Italie ?

Votre question soulève un problème de méthode. La comparaison des systèmes juridiques est utile à condition de les situer chacun dans leur histoire et leur contexte _ précautions méthodologiques indispensables, en effet. Prenons par exemple le modèle allemand : il valorise les communautés de travail, au niveau de l’entreprise comme à celui des branches professionnelles. À la différence de leurs homologues français, les dirigeants des grandes entreprises allemandes en ont souvent gravi les échelons. Ils ont la même culture professionnelle que les travailleurs, qui sont de leur côté associés au contrôle de la direction. En revanche, ce système accorde une moindre place aux droits des individus, ce qui explique que les réformes Hartz de 2004, créant des contrats de travail sous-payés pour une population sans emploi, n’ont pendant longtemps pas suscité de fortes réactions syndicales. Ce n’est que dix ans après, au regard de la forte croissance des inégalités qu’elles avaient générées, que le gouvernement allemand de coalition _ CDU-SPD _ s’est résolu à instaurer le salaire minimum _ par contrainte circonstancielle de la CDU à partager le pouvoir avec le SPD (dont c’était une priorité de programme), faute de majorité absolue de la CDU aux dernières élections ; ou d’alliance avec les Libéraux, exclus cette fois-ci du Parlement fédéral…

L’usage du droit comparé dans le débat public français ressemble à celui de la chirurgie par le Dr Frankenstein : on imagine qu’on pourra greffer en France des muscles allemands, un cerveau anglais, un cœur suédois… Mais on ne peut produire ainsi que des monstres, car chaque tradition nationale possède sa logique propre, qu’il faut connaître et respecter pour la faire évoluer _ oui : on voit là la terrible faiblesse de la plupart des médias français qui répercutent de tels schémas superficiels de pensée, quand ils ne sont pas la simple courroie de transmission de leurs propriétaires ou mandataires…

S’agissant des mesures prise par le gouvernement britannique, notamment le contrat zéro heure, qui permet à une entreprise de faire appel à un salarié à tout moment sans être tenu de lui garantir un volume d’heures de travail minimal, elles visent à répondre à ce que M. Cameron appelle le « global race » : la course mortelle où tous les peuples seraient engagés avec pour seul horizon politique de nager ou de couler. Mais voulons-nous _ voilà ! _ de cette société où une masse de gens sont tenus d’être immédiatement disponibles à toute demande des entreprises sans aucune sécurité du lendemain ? Voulons-nous une Europe qui favorise la concentration des richesses sur quelques rares privilégiés, et l’alignement progressif des conditions de travail du plus grand nombre sur celles des travailleurs les plus exploités dans le monde ? _ d’où le développement de la désaffection (taxée par certains de « populisme« ) à l’égard de l’Union européenne que l’on voit s’amplifier en bien de ses Nations aujourd’hui…

D’aucuns affirment que le modèle de l’autoentreprenariat représente l’avenir ?

Dans les conditions actuelles, il est rare qu’un autoentrepreneur puisse maintenir longtemps son activité sans s’insérer dans des réseaux de dépendance économique, soit qu’il doive diriger le travail d’autrui, soit que son travail soit dirigé par autrui. C’est l’une des leçons qui peut être tirée de la crise du modèle industriel que l’on a mis en œuvre en agriculture dans les années 1960. La plupart des éleveurs ont été intégrés dans des liens de dépendance économique à l’égard des grandes firmes agroalimentaires, de l’Union européenne et des banques. Ils ont ainsi perdu tout contrôle sur ce qu’ils produisaient, sur la façon dont ils le produisaient et sur la fixation des prix de leurs produits. C’est particulièrement vrai des éleveurs «hors-sol» qui sont en fait des travailleurs subordonnés mais demeurent en droit des entrepreneurs indépendants.

Quand, dans cette filière, la Commission européenne décide la libéralisation des marchés ou que des producteurs allemands se saisissent _ habilement _ du droit européen pour employer des salariés d’Europe de l’Est échappant aux conventions collectives et aux charges sociales allemandes, la fiction de l’indépendance vole en éclat ; et les éleveurs français qui perdent leur gagne-pain se tournent vers les firmes dont ils dépendent ou vers l’État, comme le feraient des salariés ou des fonctionnaires.

Dans l’économie actuelle, beaucoup d’entreprises petites ou moyennes sont ainsi _ de facto _ les maillons de chaînes de production où ce sont les entités les plus puissantes, celles qui contrôlent non pas les moyens de production mais les systèmes d’information _ tiens donc ! _, qui disposent du pouvoir _ voilà ! _ et captent la majeure partie de la valeur ajoutée _ idem. Sans avoir à répondre de la sécurité économique des travailleurs. Un chauffeur remercié par Uber n’est pas licencié, il est « déconnecté ». Ces nouvelles formes d’organisation du pouvoir économique remettent en cause _ culbutent, donc _ toutes les catégories de base du droit du travail, qui postulent l’existence d’une entreprise indépendante, avec un employeur disposant d’un pouvoir de décision face à une collectivité de salariés identifiables qui travaillent dans le respect des lois établies sur un territoire.

Existe-t-il des marges de manœuvre pour changer la donne ?

Reprenons le cas de l’agriculture. Au lieu de modifier les règles sociales européennes et de réfléchir au type d’agriculture que l’Europe veut promouvoir en tenant compte des paramètres économiques et écologiques, et de la nécessité pour des continents comme l’Afrique de préserver une agriculture vivrière, on agit dans l’urgence en procédant à des exonérations de charges, détériorant ainsi un peu plus les bases financières de la Sécurité sociale, et on encourage l’exportation, ce qui fragilise les agricultures des pays du Sud. Un ami malien m’a ainsi récemment appris que son fils a voulu, après des études économiques, se lancer dans l’élevage avicole. Son projet rencontre les pires difficultés, car il est concurrencé par l’importation massive de poulets surgelés venant d’Europe et proposés à des prix défiant toute concurrence.

La réalisation de la justice sociale ne dépend pas principalement du droit du travail, mais bien davantage _ voilà ! _ des règles qui régissent la sphère monétaire, le commerce international et le fonctionnement des grandes entreprises. C’est là que se situent _ ah ! _ les vraies « réformes structurelles » dont nous avons besoin. Il faut sortir de la schizophrénie actuelle qui fait que d’un côté l’Europe oblige les pays les plus pauvres à démanteler leurs barrières douanières et que de l’autre elle déplore l’émigration en masse de leur jeunesse _ voilà ! _ ; que d’un côté on autorise le rachat par les sociétés de leurs propres actions, c’est-à-dire l’enrichissement des actionnaires aux dépens des ressources vives de l’entreprise, et que de l’autre on déplore la chute de l’investissement ; que d’un côté on autorise le dumping social et fiscal en Europe, et que de l’autre on s’inquiète de l’endettement des États et du délabrement des services publics _ c’est lumineux !

Là se situent les marges de manœuvre _ dont il faudrait user _, et certainement pas dans le fait d’inciter les petits entrepreneurs à négocier un code du travail par entreprise. Ils n’y sont pas préparés _ d’abord _ et ont mieux à faire _ surtout. Les cabinets de conseil en droit social _ voilà ! _ auxquels ils devront faire appel seront les principaux bénéficiaires de la réforme _ sans commentaire. La rédaction de milliers d’accords particuliers dérogeant aux lois communes a peu de chances de simplifier le droit du travail _ c’est clair ! Et ces possibilités de dérogation vont engager les petites entreprises dans une concurrence sociale dont le gagnant sera celui qui arrachera les pires conditions de travail à ses salariés _ eh ! oui ; et c’est là probablement ce qu’il faudrait enseigner d’économie au lycée !

Que faire alors pour rendre le Code de travail plus lisible ?

Sa complexité répond à deux facteurs. Le premier est l’extension du salariat à la plus grande partie de la population active et à la nécessité de tenir compte de la diversité et de la technicité des situations régies. Faut-il, pour en réduire le volume, renoncer par exemple aux 49 articles du code qui concernent l’exposition aux rayonnements ionisants ?

Le second facteur de complexité est la pluie de textes qui visent à déréglementer le marché du travail en multipliant les dérogations au droit commun. Le seul détricotage du repos dominical par la récente loi Macron s’est traduit par cinq pleines pages du Journal officiel… Cesser d’indexer le droit du travail sur les ordonnances aussi changeantes qu’inefficaces des économistes serait donc un pas décisif dans la voie de sa lisibilité _ certes.

L’issue à la crise ne résiderait-elle pas dans la sortie d’un modèle salarial ?

La mutation que vous évoquez est celle de l’ubérisation, du self-employment _ oui. Elle transforme des formes de la dépendance économique qui affecte aussi bien les salariés que les entrepreneurs. Le travail n’est plus organisé sur le modèle taylorien du travail à la chaîne, c’est-à-dire d’une obéissance mécanique aux ordres, mais sur celui de la direction par objectifs, de la programmation du travailleur. La subordination ne disparaît pas mais change de forme _ seulement : ce point est essentiel… Ce n’est plus le moindre de ses gestes qui est dicté et mesuré, mais sa « performance ». L’obéissance fait place à l’allégeance du travailleur à l’égard d’un donneur d’ordre qui lui assigne une tâche qu’il peut organiser avec une certaine marge d’autonomie, pourvu qu’il remplisse ses « objectifs ».

Je n’emploie pas ce terme d’allégeance de façon péjorative, mais pour en préciser la nature juridique, qui est inhérente à ce qu’on appelait en droit médiéval une « tenure-service », et qui rend compte aussi bien du travail des salariés que de celui des entrepreneurs dépendants (3). Car ces nouvelles formes de gouvernement des hommes sont porteuses aussi bien _ voilà _ de chances d’une liberté plus grande dans le travail que d’un enfoncement dans sa déshumanisation. Tout dépend du point de savoir si les travailleurs ont leur mot à dire _ ou pas _ sur le sens et le contenu de leur travail, ou bien au contraire si celui-ci les enchaîne à des indicateurs de performance, généralement quantifiés et aveugles à l’expérience concrète de sa réalisation et aux exigences de « la belle ouvrage » _ c’est là qu’est le point décisif d’inflexion des pouvoirs.

En pareil cas, le travailleur n’a souvent d’autres issues que la dépression nerveuse, le délire _ cf le très juste Global burn-out de Pascal Chabot _ ou la fraude, comme on l’a vu dans l’affaire Volkswagen. Le cercle vertueux de la libération dans le travail et de la créativité _ versus le cercle vicieux de l’aliénation dans le travail et de la perte de toute créativité _ ne peut être tracé que si ceux qui le réalisent ne vivent pas dans la peur _ stressante _ du chômage et peuvent _ très concrètement _ peser collectivement _ soit en une vraie démocratie effective _ sur son contenu et son organisation. Ces deux conditions ne sont pas remplies aujourd’hui _ certes ! Les digues juridiques qui canalisaient _ dans les États _ les forces du capitalisme étant _ désormais _ rompues, nous vivons sous l’égide d’un Marché total _ cf aussi, de Dany-Robert Dufour, et parmi d’autres titres de lui : le Divin Marché _ dont le mot d’ordre reste plus celui de la « mobilisation totale », où Ernst Jünger avait vu l’un des principaux legs de la Grande guerre.

Peut-on sortir de cette guerre en allouant une allocation à vie à chacun sans conditions ?

Ce serait au contraire s’enfoncer dans la logique du Marché total, qui est incapable de voir dans le travail autre chose qu’une marchandise négociée en contrepartie d’un salaire _ c’est très intéressant. Une telle réduction suppose de demeurer aveugle à l’importance vitale _ voilà _ des tâches accomplies hors de la sphère marchande, aussi bien qu’à la fonction du travail dans l’institution du sujet humain _ cf Castoriadis, et d’autres ; et ce point est, bien sûr, fondamental ! Cette fonction si bien décrite par Simone Weil lorsqu’elle notait que « par le travail, la raison saisit le monde et s’empare de l’imagination folle ». On ne peut donc impunément priver de travail des pans entiers de la jeunesse et lui dire « vous êtes inutile au monde, mais comme on a bon cœur on va vous donner de quoi ne pas mourir de faim » _ quelle sinistre et terrifiante réduction, en effet ! Lire a contrario Hannah Arendt, sur la part de l’œuvre dans la culture (notamment in La Crise de la culture) ; lire aussi tout Gilbert Simondon…

Vous proposez que les salariés bénéficient de droits de tirage sociaux. C’est-à-dire ?

La logique des droits de tirage sociaux est d’assurer une solidarité dans l’exercice d’une liberté individuelle ; par exemple, prendre un congé sabbatique, prendre soin de ses parents malades, acquérir des connaissances ou une formation nouvelle, créer une entreprise, élever ses jeunes enfants, etc. La personne qui ferait ce choix bénéficierait de dispositifs finançant la rémunération de ces différentes activités.

Cette proposition repose sur une conception du travail incluant non seulement sa dimension marchande mais également sa dimension gratuite _ oui, de l’ordre de la générosité _ , aujourd’hui méprisée et rendue invisible _ cf là-dessus les travaux majeurs et décisifs d’Amartya Sen. Je pense au fait d’éduquer ses enfants, d’accompagner un proche malade, d’aller chercher ses petits-enfants à l’école… à toutes ces activités laissées dans l’ombre alors que, paradoxalement, si elles s’arrêtent c’est la société elle-même qui s’arrête… _ oui. Assurer dans la vie de chacun la concordance de ces différentes formes de travail, est indispensable. Car faute de prendre en compte cette vision d’ensemble du travail, on est conduit – comme le fait la loi Macron sur le travail dominical -, à démanteler _ catastrophiquement _ les temps de la vie collective non marchande. La désagrégation des temporalités familiales a un prix, qui n’est pas calculé par les obsédés du travail dominical _ eh ! oui.

Les droits de tirage sociaux donneraient à chacun la possibilité de combiner _ et équilibrer, harmoniser _ diverses formes de travail dans une vie, et de passer de l’une à l’autre sans mettre en péril ses revenus et ses droits. Cette proposition complète _ oui _ la Sécurité sociale, qui assure une solidarité face aux risques indépendants de la volonté, comme la maladie, l’accident ou la vieillesse.

Comment serait financé ce dispositif ?

Aucune réforme sérieuse ne peut être engagée aujourd’hui sans remettre d’abord en question un système _ pervers _ qui permet à un tout petit nombre d’accumuler d’énormes richesses et de se soustraire _ voilà ! _ à ce que la Constitution italienne nomme les « devoirs de solidarité politique, économique et sociale ». Sans réduction des inégalités, notamment entre les revenus du travail et ceux du capital, et sans interdiction du dumping social et fiscal, le « compte personnel d’activité » prévu dans la loi El-Khomri risque de devenir un moyen de renvoyer chacun à une épargne individuelle qui renforcera encore le poids de la « bancassurance ». C’est seulement sur la base d’une plus juste distribution des revenus et des charges _ aussi… _ que de nouveaux dispositifs de solidarité pourront voir le jour, qui mettront les progrès de la productivité au service du plus grand nombre, et permettront à chacun de faire ainsi plus de place à des tâches librement choisies.

Alain Supiot : né en 1949, ce juriste spécialiste du droit du travail a fondé en 2008 l’Institut d’études avancées de Nantes. Élu en 2012 au Collège de France, où il occupe la chaire « État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités » _ un très grand Monsieur !!!!

Propos recueillis par Bernard Stéphan

Lire :

La Gouvernance par les nombres, Fayard, 2015, 512 p.

L’esprit de Philadelphie, Seuil, 2010, 192 p.

Au-delà de l’emploi, Flammarion, réédition 2016, 320 p.

(1) Ce rapport, publié en 1999 sous le titre Au-delà de l’emploi, a été réédité en mars 2016 par Flammarion avec une nouvelle préface d’Alain Supiot.

(2) Bruno Trentin, La liberté, le travail et le conflit social, Éd. Sociales, 2016.

(3) Cf. ce point développé dans La Gouvernance par les nombres, Fayard, 2015.

 

François Jullien, Vincent Descombes : aventuriers-explorateurs de l’impensé des usages de la raison

13avr

Après la réception, le mardi 18 mars de François Jullien, pour son tout récent Vivre de paysage, ou l’impensé de la raison _ cf le podcast (de 68′) de sa conférence ; qui n’a pas été vraiment un entretien, comme l’aurait désiré celui qui le recevait, Francis Lippa ; et alors même que François Jullien fait dans son livre l’éloge vibrant de l’entretien ! _, aux Éditions Gallimard,

la Société de Philosophie de Bordeaux reçoit mardi prochain 15 avril à 18 heures, toujours dans les beaux salons Albert-Mollat,

Vincent Descombes pour son très riche Les Embarras de l’identité, lui aussi aux Éditions Gallimard.

Au-delà de la première apparence qui semble éloigner leurs styles d’écrire-penser,

plus poétique apparemment pour l’un _ l’auteur du passionnant Philosophie du vivre _,

plus (classiquement, peut-être, quoique…) méthodique apparemment pour l’autre _ l’auteur du très scrupuleux Le Complément de Sujet _ Enquête sur le fait d’agir de soi-même : livres lus, tous et en leur temps, avec une très grande attention _,

il m’apparaît surtout que tant l’objet visé :

soit la construction du sujet pensant et son identité,

ou, aussi bien et encore, le processus même de la subjectivation en toute sa complexité à tenter passionnément d’un peu démêler-éclairer,

que la démarche entreprise d’analyse-exploration : soit une très riche aventure d’auteur !,

dans Les Embarras de l’identité de Vincent Descombes comme dans Vivre de paysage, ou l’impensé de la raison de François Jullien,

s’apparentent beaucoup…

Car l’un comme l’autre de ces deux auteurs philosophes

pratiquent une très consistante et très cohérente, en sa persévérante audace de recherche, poiesis

que j’ose qualifier ici d’aventureuse,

et qui les fait, d’œuvre en œuvre, chacun,

patiemment et très heureusement,

progresser

en leur exploration de l’impensé…

J’ose, aussi, ici personnellement espérer

que cette fois _ soit mardi prochain 15 avril : après-demain ! _,

à la différence frustrante _ un peu trop pressée par le défaut de temps _ de la conférence de François Jullien _ celui-ci m’a avoué (en courant à son taxi) n’avoir pas encore pris le temps de visiter si peu que ce soit notre belle ville de Bordeaux, lors de ses cinq conférences, à ce jour, à Bordeaux ! :

sur ce temps ouvert de la déambulation (ou entretien activement réceptif avec un paysage),

cf mes propres articles sur déambuler à Venise : par exemple Ré-arpenter Venise : le défi du labyrinthe (involutif) infini de la belle cité lagunaire… ; je viens d’y faire allusion dans mon article sur Le Mal de Paris de Régine Robin ; cf aussi le podcast (de 50′) de mon entretien avec elle à propos de ce superbe livre de déambulation dans le grand Paris, le lundi 10 mars dernier, au 91 de la rue Porte-Dijeaux _,

un peu d’entretien (ouvert) avec Vincent Descombes

poursuivra (un peu) l’exposé de sa conférence, mardi prochain…


Pour ma part,

j’ai découvert grâce à ces riches Embarras de l’identité de Vincent Descombes,

l’œuvre d’Erik Erikson _ l’auteur d’Adolescence et crise : la quête de l’identité _, ainsi que ses débats avec la riche école de Chicago, autour de l’œuvre d’Erving Goffman (l’auteur de La Mise en scène de la vie quotidienne) ;

et j’ai pu, une nouvelle fois, vérifier l’importance philosophique majeure de l’œuvre de Cornelius Castoriadis, l’auteur du décidément plus que jamais immense L’Institution imaginaire de la société

Je rattache aussi le travail de penser l’impensé

auquel s’attachent, chacun à sa manière, Vincent Descombes comme François Jullien,

à la démarche de sérendipité qu’analyse Sylvie Catellin en son magnifique (et archi-nécessaire !) Sérendipité _ du conte au concept (cf mon article du 3 mars 2014 : Les enjeux de pouvoir de la curiosité libre et ouverte : le passionnant « Sérendipité _ Du conte au concept » de Sylvie Catellin, un livre salutaire !…) ;

ainsi qu’à ce à quoi travaille (à Inria, à Talence) le roboticien-ingénieur Pierre-Yves Oudeyer, et qu’il expose en partie en son Aux sources de la parole _ auto-organisation et évolution.

Ainsi qu’aux travaux sur ce que je nomme le travail d' »imageance« 

de mes amies Marie-José Mondzain _ cf son indispensable Homo spectator _

et Baldine Saint-Girons _ cf son indispensable L’Acte esthétique



A mardi avec Vincent Descombes !


Titus Curiosus, ce 13 avril 2014

P.s. : avec ce lien au podcast de la conférence de Vincent Descombes le mardi 15 avril.

Régine Robin, formidable exploratrice des méga-villes en mouvement : le cas-malaise de Paris

26mar

Régine Robin, merveilleuse marcheuse des très grandes villes,

après son magnifique Berlin Chantiers _ Essai sur les passés fragiles, en 2001,

et après son grandiose Mégapolis _ les derniers pas du flâneur, en 2009  _ cf notre article du 16 février 2009 : Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin _,

nous livre aujourd’hui un passionnant Mal de Paris :

tous trois aux Éditions Stock, et dans la superbe collection Un ordre d’idées, de Nicole Lapierre.

En l’entretien chaleureux  _ le podcast dure 50′ _ que Francis Lippa a eu avec Régine Robin au 91 de la rue Porte-Dijeaux sur ce Mal de Paris, le 10 mars dernier,

la conversation alerte met l’accent sur le corsetage _ un peu trop asphyxiant _ de l’imaginaire parisien dominant,

à la fois dans un temps (celui du Paris haussmannien du XIXe siècle) et un espace (celui du Paris maintenu à l’intérieur du cercle difficilement franchissable du Périphérique !) tous deux un peu trop confinés,

et faisant triompher les clichés

tant des nouveaux habitants (ceux de la gentrification de la capitale, et, maintenant aussi, de sa proche banlieue ! Paris a beaucoup chassé en banlieue les Parisiens les moins fortunés…),

que des touristes internationaux qui viennent y passer (et y consommer) quelques heures, au cours de leurs circuits.

L’anecdote, lors de l’entretien, des musiciens de rue roms payés à enchaîner sempiternellement, à tel coin de rue, la scie du _ pourtant merveilleux _ Padam, padam d’Edith Piaf, afin de renforcer le grain de la _ fausse, devenue frelatée _ couleur locale _ type Amélie Poulain, ou Midnight in Paris _du quartier, où ces malheureux sont contraints d’officier sans relâche afin de gagner (un peu) ainsi leur vie… Décidément la scie en boucle a de beaux jours devant elle…

L’île _ Fluctuat nec mergitur… _ ainsi repliée sur elle-même ainsi que sur un déjà lointain passé mythifié, apparente par là même ce Paris corseté _ tant imaginairement (dans les désirs de ceux qui viennent le goûter) que physiquement ! par la muraille un peu trop étanche du Périphérique… _ à la Venise formatée et se vidant de ses Vénitiens _ ils ne sont désormais plus que 60 000 à y résider à l’année, face aux dizaines de milliers de touristes qui viennent chaque jour se repaître ad nauseam de leurs clichés figés ! _ que la lucidité de Régis Debray mettait si justement en lumière dans son bien vif Contre Venise… C’est la muséification-touristification mortifère de Venise que dénonçait là cet amoureux vrai de Venise.

Sur ce phénomène,

cf ma série d’articles sur Arpenter Venise, à partir du 26 août 2012 : Ré-arpenter Venise : le défi du labyrinthe (involutif) infini de la belle cité lagunaire

C’est à dessein que je mets l’accent davantage sur l’aspect « malaise » que sur celui de l’affection teintée de nostalgie _ mais pas seulement : Régine Robin, en demi-américaine qu’elle est (montréalaise) adore surtout ce qui remue, bouge et change _ du mot « Mal » dans l’expression « le mal de Paris« , en employant l’expression « le cas-malaise de Paris » dans le titre de cet article…

Car dans l’ambiguïté voulue de ce titre choisi en commun par l’auteure et son éditeur pour ce livre, Le Mal de Paris,

je perçois tout ce qu’a de regret cette nord-américaine (de Montréal, en effet, où elle vit l’été ; alors qu’elle choisit de vivre l’hiver à Paris, et en Europe : depuis son appartement du XIVe arrondissement, rue du commandant René Mouchotte _ mais Régine Robin est aussi une grande amoureuse de New-York et de Buenos-Aires !),

de ce que Paris _ son Paris de vraie parisienne : elle est née à Ménilmontant-Bellevillene connaît pas assez _ trop corseté que Paris se trouve et se laisse entrainer en son imaginaire… _ la mobilité juvénile joyeuse des mégapoles s’assumant fièrement _ et quasi innocemment _ comme telles,

comme le font New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos-Aires, mais aussi Londres ou Berlin.

C’est ce courage _ américain en quelque sorte _ que Régine Robin rêve de voir Paris oser assumer enfin,

plutôt que de se laisser enliser dans la fossilisation _ muséification _ des seules _ trop petites, provinciales… _ gentrification et touristification : par d’autres…

Régine Robin continue d’être une vraie parisienne, en les divers quartiers où elle a vécu,

mais aussi envisage toujours de vivre…

Voilà un entretien bien vivant

et un livre plus encore,

en même temps que très riche de la perspicacité chantante de ses aperçus empathiques (à la fois excellemment informés _ admiration ! _ autant qu’infiniment poétiques _ dans ses promenades gourmandes et boulimiques, comme dans ses lectures d’une merveilleuse ouverture et variété, toujours, les unes comme les autres, jubilatoirement exploratrices autant qu’aventureuses, parmi le lacis de l’énorme maquis urbain en permanente expansion continue, malgré le corsetage… _) sur la vie vraie de Paris, en son vivant renouvellement, et des Parisiens qui savent y vivre au quotidien et au présent…


Le défi qui se pose à Paris _ comme, aussi, à d’autres villes, dont Bordeaux… _

est de savoir se donner vraiment,

par une imageance un peu plus féconde que la seule imagination (carrée et très étroitement formatée) des gestionnaires qui ne savent faire leur priorité que de la comptabilité à profit résolument quantitatif des tiroirs-caisses… _ cf L’Institution imaginaire de la société, de Cornelius Castoriadis _,

un présent et un avenir beaucoup plus ouverts et bien plus vivants (et mélangés)…

Titus Curiosus, ce 26 mars 2014

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