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L' »Idylle » jolie de Léa Désandré et Thomas Dunford : le charme des variations (françaises) sur le thème de l’amour…

15oct

Le couple de Léa Désandré, mezzo-soprano, et Thomas Dunford, luthiste, célèbre sa belle rencontre – coup de foudre _ pas seulement musicale _ de 2015, en un jardin de Vendée, par un très charmant récital de chansons, airs de cour, danses et mélodies françaises, de Michel Lambert et Marc-Antoine Charpentier, à Barbara et Françoise Hardy, en passant par Jacques Offenbach, André Messager et Reynaldo Hahn,  avec leur très joli CD intitulé justement « Idylle« , le CD Erato 5054197751462 _ enregistré à La-Chaux-de-Fonds du 2 au 6 mai 2023… _ autour du théme _ avec ses variations… _ de l’amour : à la française.

Très personnellement,

ce sont les airs de cour de Michel Lambert (1610 – 1696), Sébastien Le Camus (ca. 1610 – 1677), Marc-Antoine Charpentier (1643 – 1704) _ au nombre de 4, et splendidement réussies _, Honoré d’Ambruys (ca. 1660 – 1702), ainsi qu’une sarabande et une chaconne _ interprétées au luth _ de Robert de Visée (entre 1650 et 1665 – après 1732), ainsi que deux _ chefs d’œuvre (!) de _ mélodies de Reynaldo Hahn (1874 – 1947) en ce style ancien,

et en une très raffinée et poétique unité de ton,

qui m’ont le plus charmé dans l’art parfaitement servi ici de Léa Désandré et Thomas Dunford… 

Mais je comprends très bien que le programme élargi à Jacques Offenbach (1819 – 1880), André Messager (1853 – 1929), Claude Debussy (1862 – 1918) _ ainsi qu’Erik Satie (1866 – 1925) pour une « Gnossienne » et une « Gymnopédie » interprétées ici au luth _, aille jusqu’à une chanson de Barbara (1930 – 1997) et deux chansons de Françoise Hardy (née en 1944), afin de mettre aussi en valeur la continuité d’une certaine fantaisie aimable et poétique _ souvent coquette et parfois coquine, et toujours avec finesse et esprit…_ de la chanson française…

Un goût sûr et charmant en cette « idyllique » fantaisie aimablement réunie ici pour nous par ce couple musicalement épanoui de Léa et Thomas…

Ce dimanche 15 octobre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’apprentissage (à corps défendant) de l' »art d’aimer » à l’ère de l’injonction sexuelle et du couple : l’éclairage parfait du film d’Emmanuel Mouret

18avr

Le nouvel opus cinématographique d’Emmanuel Mouret, L’Art d’aimer _ paru ce mois d’avril en DVD _ est un régal _ infini ! la multiplication des visionnages du DVD ne faisant que l’amplifier-intensifier ! _ de justesse quant à la lucidité hyper-fine et délicate sur nos mœurs affectives (et sexuelles), à partir d’un regard de comédie _ celui (de cinéaste) d’Emmanuel Mouret : quelque part entre François Truffaut et Woody Allen, ou Marivaux et Feydeau, ou Musset et Pagnol… _ infiniment délicat sur un échantillon (assez varié) de bobos des beaux quartiers parisiens, et sur une palette suffisamment large d’âges _ allant des jeunes gens sincères (ou innocents) et libres, le très beau jeune couple Vanessa et William (qu’interprètent les radieux sur l’écran Élodie Navarre et Gaspard Ulliel) aux quadra-quinquagénaires au tournant de la ménopause et du démon de midi, le couple d’Emmanuelle, c’est elle qui est en crise, et de Paul, c’est lui qui sait rattraper la tentation des dérapages pulsionnels de sa compagne (qu’interprètent très finement aussi Ariane Ascaride et Philippe Magnan) _, idéalement interprétés par la crème des meilleurs acteurs français du moment, avec, en tête, les stupéfiants de vérité (!!!) Laurent Stocker (« de la Comédie-Française« …) et Julie Depardieu ; et c’est autour de la rencontre à rebondissements _ et dans de répétitifs tragi-comiques « noirs » _ de leurs deux personnages de célibataires contrits et tout à fait honnêtes, l’un et l’autre, Boris et Isabelle, qu’est construit l’écheveau de l’intrigue _ sans la moindre graisse, ni temps-mort : le montage est cette fois encore d’une habileté et élégance diaboliques ! _ du scénario.

Avec en contrepoint malicieux, le comique à épisodes _ les séquences 2, 4, 6 et 8 ont pour panneaux : 2 : « Le désir est inconstant comme les herbes dans le vent » ; 4 : « Patience«  ; 6 : « Patience, patience » ; et 8 : « Patience, mais pas trop«  _

de la difficultueuse conjonction sexuelle (voire sentimentale _ cf l’ultime parole naïvissime de la délicieuse voisine, dans la librairie de Boris, Passage Verdeau ; il ne faut pas la manquer, dans sa brièveté : « Je cherche un livre sur la complexité des sentiments ») en instance d’advenir (ou pas !) d’Achille _ « à ce moment célibataire« , dit-il… et de son un peu compliquée mais tout à fait adorable voisine _ nous ne connaîtrons pas son prénom _, qu’interprètent à la perfection l’élégant (et un peu décontenancé pour ce qui est de son personnage, Achille, mais il y a de quoi…) François Cluzet _ ici en un rôle à la Cary Grant _ et la toujours plus-que-parfaite _ en le comique de sa totale imprévisibilité ; et elle est, et à chaque fois, absolument épatante ! d’un Mouret à l’autre… _ Frédérique Bel…

L’intrigue de ce qui deviendra _ en l’ultime séquence, la numéro 9 : précédée du panneau : « Souvent les yeux nous mènent vers l’amour, parfois ils nous trompent »… : le concept d’art (d’aimer) devenant ici fort problématique…la rencontre _ elle-même à rebondissements avec « noirs » répétitifs, la série des uns (à l’hôtel), étant on ne peut plus volontaire, mais le tout dernier (chez Zoé et Jérémie), une panne d’électricité, pas… _ de ces deux célibataires (en attente-souffrance d’amour, mais parfaitement honnêtes !) que sont Isabelle et Boris

est précédée d’une sorte d’avant-séquence

_ appelons-la la séquence 0 : elle est annoncée par le panneau « Il n’y a pas d’amour sans musique«  _

sur un compositeur, Laurent _ qu’interprète le lumineusement beau, mais bientôt, et très vite, mélancolique, Stanislas Mehrar : un peu trop rare à l’écran… _, qui « rêvait d’entendre un jour » cette sorte de « musique particulière« qui « se produit » « au moment où l’on devient amoureux » (alors que, lui, Laurent, va mourir prématurément) :

« Il attendait cela _ nous révèle une voix-off, celle de Philippe Torreton, qui commentera tout le long de l’intrigue les péripéties (ainsi que l’enchaînement elliptique) des découvertes-explorations (et déconvenues, aussi, parfois) de l’amour des divers protagonistes, entre (et parmi) lez zébrures des divers désirs-pulsions… _ avec une grande impatience. Il n’avait jusqu’alors entendu que des bribes : deux-trois notes avec Annabel, et à peine plus avec Elisabeth. Son obsession _ car cela allait jusque là ! pour l’artiste créateur, il est vrai, qu’il était… _ était telle qu’il essayait d’imaginer _ mais pas complètement à partir de rien, cependant… _ cette musique lorsqu’il composait. Chose étrange, ceux qui écoutaient ses œuvres, étaient heureux de reconnaître en elles quelque chose qu’ils avaient connu _ une grâce qui s’imposait ? et qu’il fallait reconnaître ? et remercier ? _ lorsqu’ils étaient tombés amoureux, mais que lui n’avait toujours pas _ frontalement et assez clairement _ connu. Elles étaient nombreuses à se succéder dans ses bras. Et de toutes ses forces à chaque fois il désirait _ en vain : la grâce ne se convoque pas ! _ les aimer. Il espérait ; mais rien… Jamais la moindre mélodie _ un peu substantielle _ ne se fit entendre. Jamais il ne sut de qui son cœur avait été amoureux« … _ comme si le travail de création artistique parvenait un peu parfois à donner quelque apparence de forme à ce qui sinon demeurera flou et vague, et même inaperçu, et non vraiment ressenti : ou les aventures de l’aisthesis (par-dessus l’esthésique !) dans les Arts… D’où le demande, plus tard, de Boris, de « recommencer«  afin de tenter de dissiper un peu le « flou«  qu’impose le choc de l’excès de « nouveauté de la situation« 

La première séquence

_ appelons-la la séquence 1 ; elle est annoncée par ce panneau : « Il ne faut pas refuser ce que l’on nous offre«  ; nous découvrirons qu’elle se combinera, in fine, avec une séquence ultérieure, la séquence 3, avec Amélie et son ami Boris (ainsi que le mari d’Amélie, Ludovic ; le titre du panneau introducteur en sera : « Il est difficile de donner comme on le voudrait« …) ; pour aboutir, les principaux protagonistes de la 1 (Isabelle, Zoé, Jérémie) et de la 3 (Boris, Amélie, Ludovic) se réunissant,

pour aboutir, donc, au climax de la séquence finale (et la plus longue du film : 24 minutes, sur un total de 80), la séquence 9, précédée, quant à elle, du panneau : « Souvent les yeux nous mènent vers l’amour, parfois ils nous trompent« …  _

la première séquence, donc,

débute sur le déroulé d’un rêve _ qui se révélera en quelque sorte comme prémonitoire _ d’Isabelle (interprétée, donc, par la magnifique de justesse, toute en délicatesse d’innocence, Julie Depardieu), dans lequel (rêve) une amie, la très pétillante et volontariste Zoé (qu’interprète avec beaucoup de présence l’excellente Pascale Arbillot) lui récite avec la conviction de la plus parfaite évidence le B-A-BA de la doxa contemporaine (depuis Wilhelm Reich : La Fonction de l’orgasme…) sur le topos de la sexualité !, dès qu’elle apprend l’abstinence sexuelle prolongée d’Isabelle :

« Quoi ? Ça fait un an que tu n’as pas fait l’amour ? » ; « Tu devrais être dans une des phases les plus actives de ta vie. Un an, à ton âge, ça correspond à cinq ans dans le calendrier de la vie sexuelle » ; « sans compter que c’est très important pour la santé. Toutes les études démontrent qu’une sexualité accomplie fortifie notre organisme, notre cerveau, les humeurs » ; « C’est presque une question d’hygiène« 

Isabelle a beau lui rétorquer : « C’est quand même pas de ma faute si je ne tombe pas amoureuse !« ,

Zoé conseille à son amie : « en attendant, tu pourrais faire quelques petites rencontres pour te faire un petit peu du bien !..

Mais Isabelle : « Je n’y arrive pas, je suis trop timide ! Et puis, rencontrer quelqu’un uniquement dans ce but-là, moi, ça me met mal à l’aise« …

Et alors, toujours dans ce rêve détaillé d’Isabelle, Zoé de lui conseiller ceci :

« Et pourquoi tu ne demanderais pas à un ami ? » ; car « de nos jours, beaucoup d’hommes et de femmes pratiquent l’amitié sexuelle. Ça a beaucoup d’avantages !.. »

Et Zoé d’oser même envisager le principe suivant : « Idéalement, si le monde était mieux fait, il faudrait que l’on partage nos hommes avec nos copines célibataires » ; « je suis sérieuse : je suis pour le partage et la redistribution des richesses ; on paie bien des impôts à la communauté afin d’aider les plus pauvres… » ; « alors pourquoi on ne prêterait pas son compagnon à celles qui en sont démunis ?..« .

Et à l’objection d’Isabelle : « Mais faire l’amour n’est quand même pas faire un geste comme les autres !« ,

l’hyper-réaliste Zoé de répondre : « Si l’on regarde les choses en face, il ne s’agit que d’un massage qui ne se fait pas qu’avec les mains. Rien de plus, rien de moins ! On n’a pas besoin d’être amoureuse d’un kinésithérapeute pour qu’il nous fasse un massage !..« 

Et Zoé alors, toujours en ce rêve d’Isabelle, de généreusement proposer les services _ amicaux ! _ de son propre compagnon Jérémie à son amie célibataire en manque de relation sexuelle : « S’il couche avec toi pour te faire du bien, non seulement je ne serai pas jalouse, mais en plus je serai fière de lui !« …

Et le rêve d’Isabelle se conclut sur l’image du très gentil Jérémie _ interprété par le très charmant Michaël Cohen, apprécié dans le précédent Un Baiser, s’il vous plaît ! _ faisant pénétrer, pour ce simplement amical service, Isabelle dans sa chambre, chez lui et Zoé, pendant que Zoé s’éclipse pour aller passer ce moment au cinéma : « Bon ! A tout à l’heure. Je rentre à 21 heures. Tu veux rester dîner avec nous ?« …

Fin du rêve d’Isabelle.

La voix-off alors poursuit : « Bien qu’il n’existait aucun secret entre les deux amies _ Isabelle et Zoé, donc _, Isabelle nous a confié son rêve _ c’est donc que ce rêve a continué de la travailler… Cependant il arriva quelque chose de très troublant » : la réalisation de la proposition de Zoé de « prêter » les services (de massage corporel) de Jérémie à l’amie célibataire Isabelle, « restée un an sans faire l’amour« , comme le dit Zoé.

Ce que la voix-off commente : « Isabelle écoutait son amie, troublée par ses paroles, mais surtout troublée de voir son rêve qui se déroulait sous ses yeux » ; et « discrètement Isabelle se pinça : non, ça n’était pas un rêve !« …

Zoé en effet se mit à dire : « On peut faire du bien à quelqu’un même si on est amoureux d’une autre personne. C’est ça la bonté, la générosité ; l’amitié en quelque sorte« … Et surtout : « Eh bien, moi, si Jérémie acceptait de te faire un peu du bien, j’en serais tout à fait contente. Je serais même fière de lui ! Et si je le lui demandais ?« , Zoé de proposer carrément alors…

Et aux réticences répétées d’Isabelle : « Mais ça ne va pas ! Mais tu plaisantes ! Mais c’est gênant. C’est gênant pour moi. Mais ça ne se fait pas !« , Zoé de répliquer : « Et pourquoi ça ne se ferait pas ? On est libres, non ? » « Essaye ! « …

Mais Isabelle ne peut s’y résoudre.

Et la voix-off de conclure alors ce premier épisode _ et cette séquence 1 _ de l’aventure d’Isabelle : « Elles n’en parlèrent plus jamais. Isabelle ne sut jamais si elle avait eu tort ou raison de refuser » cette proposition des services de Jérémie par Zoé…

A la séquence 3 _ intitulée « Il est difficile de donner comme on voudrait«  _, nous faisons la connaissance d’Amélie (épouse bon chic bon genre de Ludovic) et de son ami Boris.

Boris : _ « Ça va ? Tu as l’air bizarre. On dirait que quelque chose ne va pas….« 

Amélie : _ « Non, non, je t’assure que tout va bien« … « C’est juste… que je me pose des questions… sur moi… » « Il y a que je ne suis pas satisfaite de moi« …

« Apparemment, tout va bien : je suis en couple ; je n’ai pas à m’inquiéter pour mon avenir professionnel ; j’ai des amis ; je suis en bonne santé. Et pourtant il me manque quelque chose : j’ai l’impression que ma vie manque de sens.

Que je vis trop égoïstement.

J’aimerais être plus généreuse ; j’aimerais donner. Donner aux autres. Apporter quelque chose« …

De fait Ludovic _ son mari : centré sur sa carrière d’homme d’affaires (interprété joliment, avec la distance de l’ennui qui convient au personnage, par Louis-Do de Lencquesaing) _ manifeste bien peu de désirs (à commencer par charnels) à l’égard de son épouse, nous nous en rendrons compte à plusieurs reprises, même si Amélie, elle, n’y prête pas vraiment attention : elle est une épouse _ bourgeoise bon chic, bon genre, donc ; et sans enfants _ du genre soumise… »En tout cas, si tu as quelque chose à me demander, quoi que ce soit, surtout tu n’hésites pas. Même si ça te paraît trop« , continue de proposer à son ami Boris la gentille Amélie…

Or, il se trouve que le parfait discret ami qu’est Boris a bel et bien (!) quelque chose _ et pas de petite importance ! _ à demander à sa vieille amie Amélie ; mais « c’est trop ! je ne peux te demander ça !« …
Amélie : _ « Mais non, au contraire, moi je veux que ce soit trop ! Je veux que ce soit énorme ! que ce soit démesuré !« …

Alors Boris finit par accepter de se lancer : « Eh bien ! voilà : bien que tu sois mon amie, je ne suis pas indifférent à une autre dimension _ qu’amicale ! _ de ta personne. J’ai pour toi une attirance qui ne fait que grandir d’années en années« …

_ « Mais quel genre d’attirance ? », Amélie ne voit décidément pas…

_ « Des rêves, des fantasmes…

Des pulsions !« , finit-il par lâcher.

_ « Mais pourquoi ne m’en avais-tu jamais parlé ?« 

_ « Je ne voulais pas que tu le prennes mal. Puis aussi vis-à-vis de Ludovic.« 

_ « Je ne vois vraiment pas quel genre de service je peux te rendre…« , poursuit la décidément hyper-godiche Amélie.

_ « Eh bien, peut-être que tu peux m’aider à y voir plus clair. Parfois je me demande si je ne suis pas amoureux de toi ! Et le problème est que ça a un effet négatif sur mes relations amoureuses. Mon esprit ne peut pas s’empêcher de se dire qu’avec toi ce doit être mieux qu’avec les autres filles…« 

_ « Mais non !« 

_ « C’est ce que je me tue _ à petit feu _ à me dire…« 

_ « Mais qu’est-ce que je peux faire ?« , continue à errer la godiche Amélie…

Et ici Boris lui saute littéralement dessus !

_ « Non, non, Boris !« 

_ « C’est juste pour que je sache !« 

_ « Boris, je ne serai jamais à la hauteur de tes fantasmes !« 

Et avec un ultime accès de grande bonne volonté, Amélie ajoute : « Je voudrais bien pour que tu vois… ; mais je ne peux pas vis-à-vis de Ludovic… »

Et l’échange va se conclure piteusement de leurs parts respectives :

_ « Je suis désolé !« 

_ Non, c’est moi !« 

_ « Non, c’est moi qui suis désolé« .

Match nul sur toute la ligne, de personnes (trop) bien élevées : 0 à 0…


Suivent alors,

avec la poursuite des péripéties à rebondissements de la difficultueuse rencontre sexuelle (ou/et affective ?) d’Achille et de son imprévisible voisine (elle : « Je ne sais pas encore si je suis amoureuse » ; « Pour moi, c’est important d’être sûre que je suis amoureuse avant d’aller plus loin… » ; lui : « Mais peut-être que vous l’êtes, mais n’en avez pas encore conscience. En faisant l’amour, ça va vous aider à vous en rendre compte ! » ; elle : « Ah ! en fait vous voyez ça comme un test ! » ; « Faire l’amour pour faire l’amour, ce n’est pas vraiment ma façon de penser. Pour moi, c’est quelque chose de sacré ! » ; lui : « Mais justement, c’est parce que c’est sacré qu’il faut le célébrer : il faut voir ça comme une cérémonie où on rend hommage à la nature… Hein ?! Mais oui, vous savez le désir pousse en nous comme les feuilles à un arbre… » ; elle : « Mais c’est joli ce que vous venez de dire !« , et elle le note sur son carnet ! ; lui : « Vous dites que vous aimez tout ce qui est naturel, et quand la nature s’exprime en nous, vous la refusez ! Mais enfin, nous n’y pouvons rien… C’est la nature qui est comme ça. Ce sont tous les atomes qui sont en nous qui s’attirent« … ; après un dernier embarras encore, il l’embrassera et elle finira par se laisser entraîner vers la chambre…), soient les séquences 4, 6 et 8,

suivent deux séquences sur la capacité d’un amour vrai

_ celui de Vanessa (envers William) et celui, réciproque et concomittant, d’Emmanuelle et Paul : la voix-off nous les a cités en exemples, avec celui de Zoé (envers Jérémie), lors de la séquence 0 (« Il n’y a pas d’amour sans musique«  !), de « ce moment où l’on devient amoureux » « se produit une musique particulière » !!!  _

à survivre aux pulsions adultères,

suivies ou pas (ou guère…) d’effectuation :

_ dans le cas d’Emmanuelle (en la séquence 5 : « Sans danger, le désir est moins vif« ), il n’y aura pas besoin (ou du moins guère) de passage à l’acte de sa part à elle, Emmanuelle : « la liberté qu’il _ Paul _ lui avait offerte, l’avait enchaînée à lui : l’attirance qu’elle avait pour tous les hommes ne faisait que raviver et intensifier le désir de Paul. Si bien qu’elle trouvait en lui tous les hommes qu’elle désirait« , en sa crise du démon de midi… ;

_ dans le cas de Vanessa, puis de William (en la séquence 7 : « Arrangez-vous pour que les infidélités soient ignorées« ), il y aura bien effectuation, mais expérimentale, en quelque sorte, au nom du principe _ ils sont jeunes… _ (ou doxa…) de « se parler librement et de ne jamais empiéter sur la liberté de chacun » ; « il faut aimer la liberté de l’autre et ne pas la craindre. La peur, c’est le repli ; et on s’était promis de ne pas vivre le repli« , ainsi que l’énonce William ; qui dit encore qu' »on ne grandit qu’à travers les épreuves et les expériences »  et « je n’ai pas envie qu’on soit un couple qui ait peur des expériences. Je n’ai pas envie qu’un jour tu m’en fasses le reproche » : le bilan de ces deux expériences d’adultère _ « simple et léger«  ; sans amour, ni lendemain : « tu me plais bien, voilà tout !« , dit Vanessa à l’assez quelconque Louis ; qui « a tellement de désir pour moi que ça me donne envie, tu comprends ?« , avait-elle confié à son compagnon William, en batifolant avec lui en forêt… _

le bilan de ces deux expériences d’adultère parallèles, un même vendredi soir, de Vanessa (avec son collègue de travail Louis, en partance le lendemain pour le Brésil) et de William (avec une très jeune stagiaire devant très vite rejoindre sa ville d’Angoulême) se révélant plus que piteux : _ « Tu m’as manqué ! » ; _ « Toi aussi !« . Et sur ce, fin de la séquence 7.

La séquence 9 (« Souvent les yeux nous mènent vers l’amour ; parfois ils nous trompent« ) est donc celle où se rejoignent d’une part la solitude célibataire d’Isabelle (issue de la séquence 1 : « Il ne faut pas refuser ce qu’on nous offre« ) et l’affaire du pressant désir d’adultère de Boris, avec une Amélie qui veut bien lui faire plaisir, mais sans que cela affecte son propre couple (dans la séquence 3 : « Il est difficile de donner comme on le voudrait »), ni sa propre pudeur…

Boris, à Amélie : _ « Ah, au fait, tu sais, c’est fini avec Marie. » _ « Vous vous êtes séparés ? » _ « Oui, ce week-end. » _ « Mais pourtant tu t’entendais bien avec elle... » _ « Oui, mais sans plus. Disons que ce n’était pas magique ! » _ voilà ce qu’opère l’amour vrai…

Mais Amélie : _ « Ton désir pour moi doit cesser ! C’est mauvais pour notre amitié.« 

Boris : « Je sais ; mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Je n’y peux rien !« 

..

Afin de vaincre sa propre (très forte !) pudeur et de se prêter ( le moins possible !) à une séance (unique) d’adultère expérimental (« pour voir » ! puisqu’elle lui avait promis de faire acte de générosité !) avec son ami Boris, Amélie accepte de se livrer une heure à lui en une chambre d’hôtel, mais à l’expresse double condition du noir absolu dans la chambre et du silence absolu entre les deux corps ainsi (pour que Boris sache…) réunis…

Et c’est là que l’intrigue de départ finit par se nouer, avec la rencontre d’Amélie et de son amie Isabelle, perdue de vue depuis pas mal de temps ; et à laquelle elle demande tout à trac de bien vouloir, elle, Isabelle, célibataire, de prendre la place promise par elle, Amélie, à son ami masculin, dans la plus stricte confidentialité des divers protagonistes.

Je n’en dirai pas plus :

non seulement Judith Godrèche, en Amélie, fait preuve de virtuosité jubilatoire au second degré pour les spectateurs très amusés que nous en sommes ! dans le rôle de l’hyper-godiche faiseuse de catastrophe _ à l’instar du personnage qu’interprétait tout aussi virtuosement Virginie Ledoyen dans Un Baiser, s’il vous plaît ! : Emmanuel Mouret adore ces situations de prodige d’abîme de sottise !… Et nous aussi !!! _,

mais le jeu de Laurent Stocker, Boris (_ « Comment l’as-tu trouvée ? » _  « Insignifiante, pas du tout mon type. A vrai dire même elle est limite antipathique« …), comme celui de Julie Depardieu, Isabelle (_ « C’est pas du tout mon genre ! J’aime pas du tout ce qu’il dégage physiquement ! Et puis ses goûts littéraires _ Boris et Isabelle sont tous deux libraires ! _ me semblent vraiment douteux !« ),

sont prodigieux de subtilité et justesse : dans le camaïeu ultra-fin de la palette des gestes et des regards, du plus hagard au plus jouissif retenu, puisqu’ils n’échangeront avant la chute finale que deux mots ; c’est la voix-off qui parle :

« Quant à  Isabelle et Boris, ils se croisèrent une fois, lors d’un anniversaire, celui de Zoé.

_ « Salut ! » _ « Salut !«  _ et ils se font une bise apparemment on ne peut plus conventionnelle

Ce furent les seules paroles qu’ils échangèrent durant toute la soirée. Qu’auraient-ils pu se dire ?« .. _ certes !

Et ici, clap de FIN !

Alors, sur le fond des choses, qu’en est-il de cet « art d’aimer » qu’essaie de nous montrer, dans cette succession rapide, légère et ultra-fine d’épisodes, ce film passionnant d’Emmanuel Mouret ?

Qu’en est-il de cette petite musique _ de grâce ! _ qui « se produit« , survient et surgit, « quand on devient amoureux« ,

et que le beau compositeur, Laurent, mort bien trop prématurément (!), « attendait« , et « jusqu’à l’obsesssion« , « avec grande impatience »,

au point « qu’il essayait d’imaginer cette musique lorsqu’il composait » ?

Et cela, à partir des quelques « bribes » « qu’il avait jusqu’alors entendues« , avec une Annabel et avec une Élisabeth ; mais qu’il « n’avait toujours pas connue » vraiment, au moment de sa mort, sous la forme d’une belle et vraie « mélodie » déployée ?

Puisque, « et de toute ses forces, à chaque fois, il désirait aimer, il espérait ; mais rien : jamais la moindre mélodie ne se fit entendre » ;

« et qu’il ne sut jamais de qui son cœur avait été amoureux »

C’est donc que lui, Laurent, l’artiste musicien, n’était pas parvenu à prendre tout à fait vraiment conscience d’un tel amour, si tant est qu’un tel réel amour avait de facto dépassé, en son cas, le stade de ce qui ne peut produire, et ne produit, que « des bribes » de musique »…

C’est un tel amour-là, et qui donne à entendre cette vraie mélodie-là, qu’attendait aussi, et très honnêtement, Isabelle, en sa situation d’abstinence sexuelle (« ce n’est tout de même pas de ma faute si je ne tombe pas amoureuse ?!« ) ;

ou encore la délicieusement hyper-spontanée mais aussi prudente à la fois (« Je ne sais pas encore si je suis amoureuse« , et « pour moi, c’est important d’être sûre d’être amoureuse avant d’aller plus loin » : « je préfère savoir avant« …) affriolante voisine d’Achille.

La question qui se pose alors est : comment le savoir ? l’apprendre ? le découvrir ? en prendre conscience ? et enfin vraie connaissance ?

En faisant déjà l’amour, comme le propose le vieux dragueur habile Achille ?

En « recommençant ! » la séance d’amour dans le noir à l’hôtel, comme le (re-)demande Boris ?..

..

C’est un peu une quadrature de cercle ; comme le révèle la succession désopilante des épisodes entre Achille et son adorable voisine (« Patience« , « Patience, patience« , « Patience, mais pas trop« ) : on avance dans le noir et au juger, dans cet appartement pourtant si blanc !

C’est en cela que si « art d’aimer » il y a, il ne s’agit certainement pas de recettes, ni de technique, mais de l’apprentissage d’un je ne sais quoi qui ne s’apprend _  et que peu à peu _ qu’à son corps défendant, et jamais par pure et simple imitation de modèle, ou copie…

Ce que révèlent magnifiquement en ce film si juste (!) les approches _ sur le mode de la comédie : ou comment un vieux dragueur (auquel on ne la fait pas…), peut tomber vraiment amoureux ! _ d’Achille et de son adorable affriolante voisine, d’une part ; et les expériences de jouissance dans le noir de Boris et Isabelle !!! _ sur un mode davantage tragi-comique : eux sont beaucoup plus sérieux ! sinon même austères ; mais ils apprennent vite aussi à se décoincer et exulter !!! la jubilation (à laquelle la caméra nous donne in extremis à assister) du très discret (dans un coin sombre…) feu d’artifices (mais les vrais amoureux sont toujours seuls au monde !) de la scène finale, est absolument superbe !!! _ d’autre part…

Et c’est cela qu’ignorera probablement à tout jamais la gentille Amélie, pourtant satisfaite d’être « en couple« , ou encore son affairé et bien distrait Ludovic de mari : le miracle de la grâce de la rencontre vraie n’ayant pas eu lieu pour eux…

Mais c’est aussi ce qu’ont connu _ et la musique qui l’accompagne… _ et Zoé, et Vanessa, et Emmanuelle et Paul, comme il nous est signalé par la voix-off de Philippe Torreton en ouverture du film ;

et qui préservera l’amour vrai de Vanessa et William, quand ils se seront exposés à des « expériences » hors amour vrai ;

de même que l’amour vrai d’Emmanuelle et l’admirable Paul, quand ils s’exposeront au passage du démon de midi d’Emmanuelle…


Comme quoi, en amour _ mais seulement quand amour vrai il y a ; et pas rien qu’ersatz ou qu’illusion d’amour ! il faut avoir croisé, et su cueillir, puis appris à cultiver, et à deux (!), en sa fraîcheur toujours renouvelée (!), cette grâce improbable de l’advenue effective (!), et sans contrefaçon, de la rencontre vraie ! _,

c’est seulement à son corps défendant (et au corps défendant de l’autre : amant et aimé) qu’on se livre

_ en toute « innocence des sens«  : Nietzsche sait en parler ; par exemple dans le chapitre De la chasteté, au livre premier d’Ainsi parlait Zarathoustra _

à l’apprentissage lent et patient (et riche de surprises renouvelées) du connaître ; cela n’a certes rien d’un savoir inné _ parce qu’il n’existe nul savoir inné ! _ : il faut nécessairement passer par cet apprentissage patient, patient, mais jusqu’à un certain point seulement : « pas trop » ! non plus… ; à corps défendant seulement , donc !!! _ et le sien, et celui de l’autre, l’aimé qui vous aime…

En acceptant effectivement de donner, et en toute innocence, de sa personne ; à corps perdu…

Comme le figurent dans le film déjà Achille et sa voisine quand ils commencent _ et c’est peu à peu : progressivement, et même par paliers ! ou épisodes… _ à se livrer innocemment vraiment, enfin, l’un à l’autre, de plus en plus (et de mieux en mieux) démunis, c’est-à-dire se dépouillant peu à peu de leurs anciennes certitudes, en commençant à s’en dénuder _ en tous les sens, et sans impudeur ! _ pour se donner, par amour _ seulement ! _, à l’autre…

_ sur cette dénudation, ce beau passage-ci vers le final du quatrième et dernier épisode (à rebondissements) de la rencontre-approches complexes entre le dragueur expérimenté, mais désorienté ici, Achille, et son affriolante voisine :

Ils viennent de s’embrasser et ont commencé de se dénuder.

Elle : _ « On n’avait pas dit qu’on ne faisait que s’embrasser ? »

Lui : _ « Ça n’empêche pas de se dénuder… »

Elle : _ « Non, se dénuder, c’est aller trop loin !.. »

Lui : _ « Pourquoi ? »

Elle : _ « Parce que ! Ça me donne trop envie !..  »

Lui : _ « Mais enfin ! quand je vous embrasse, ça ne vous donne pas envie ?.. »

Elle : _ « Si ! Mais si en plus on se met à se dénuder, moi, je perds tous mes moyens de résister… »

Lui : _ « Moi aussi, je perds tous mes moyens… Moi, j’ai envie de vous ! Si vous saviez comme j’ai envie de vous… Je n’en peux plus !.. »

Et il la réembrasse… Fin de l’incise sur le moment de début de dénudation entre Achille et son adorable voisine…

On comprend que cela, toujours quelque peu affolant, puisse de fait réclamer, de chacun et de tous, un minimum, non seulement de courage, mais aussi d’assurance, qui se forgera pour chacun peu à peu, avec un minimum de chance…

Et comme le figurent encore plus magnifiquement _ c’est-à-dire davantage tragi-comiquement, eux : ils sont sérieux ! sinon austères… _ au final de la séquence terminale du film, les admirables regards et gestes et postures de ces amoureux seuls-au-monde _ c’est à prendre à la lettre _ que sont, s’étant enfin trouvés et connus (dans le noir ! et à répétitions !), Boris et Isabelle (hors du souci _ social, surtout pour le regard des autres ; pas vraiment authentique, donc… _, eux, d' »être en couple » ; et d’être vus des autres…).

Et Laurent Stocker et Julie Depardieu sont ici exceptionnels de talent !

Et ce processus de connaissance progressive _ de l’autre comme de soi, dans l’épaisseur soyeuse, voire voluptueuse, de la relation amoureuse vraie : il y faut cette grâce ! _ n’a pas non plus de fin, non plus qu’elle ne connaît d’épuisement du désir-appétit de cette connaissance, de cet amour : infinis et inépuisables les deux…

Car telle est cette « complexité des sentiments » vrais, sur laquelle l’adorable affriolante voisine d’Achille cherche _ in fine de ce qui nous est montré dans le film de son (ou leur, désormais) histoire _ aussi à se renseigner en un livre (L’art d’aimer d’Ovide ?.. ou peut-être les sublimissimes Lettres de la religieuse portugaise de Guilleragues ?..) en requérant du libraire Boris quelque conseil avisé de lecture…

Comme dans le théâtre de Marivaux, la moindre inflexion de voix, ou de geste, sans compter le poids du moindre silence, réclame du spectateur de ce très impressionnant _ par la finesse de sa profonde subtile vérité ! _ film d’Emmanuel Mouret qu’est L’Art d’aimer, une hyper-attention, afin de ne rien laisser échapper : tout va si vite, dans l’élégance de cet art subtil et doucement léger de la comédie de mœurs, sans répétitions, ni effets surlignés appuyés…

Et bien sûr, à mille lieues de la plus bénigne vulgarité, comme du moindre trash sadique violent _ nul revolver ici…

Et enfin rien que l’art _ éblouissant (!) _ de dialoguiste d’Emmanuel Mouret

mérite de passer à la postérité,

et ses répliques d’être apprises par cœur !!!

Titus Curiosus, ce 18 avril 2012

 

 

 

« la seule question qui vaille : est-ce que l’amour existe ? » _ ou le sublime « Copie conforme » de Kiarostami

09juin

En complément à _ ou bien en lieu et place de (au choix !) _ mon article

« Jubilation de la déprise du cinéma d’Abbas Kiarostami : la question de l’amour du couple de “Copie conforme” ; et la profonde synthèse de la “lecture” de Frédéric Sabouraud en son “Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité« 

du 23 mai dernier,

cet articulet-ci, ce jour, dans Libération,

in « Les Choix de Libé« 

(= courir voir, toutes affaires cessantes !, Copie conforme d’Abbas Kiarostami !),

à la page 16 du cahier « Cinéma » du mercredi :

« Conversion tardive au mainstream, Kiarostami, l’Iranien aristocratique _ certes ! c’est sa noblesse ! _, change de paysage (la Toscane) pour son premier film avec une vedette européenne (Juliette Binoche) _ mais est-ce donc là le principal ? Le résultat est parfois _ en permanence ! _ déroutant, mais il est difficile _ il n’y a pas vraiment là contradiction : nous sommes plongés là, quasi en apnée, dans l’oxymore de tout grand art (= « exploration« ) ! _de ne pas être captivé _ et c’est même peu dire ! _ par cette relecture du Voyage en Italie de Rossellini _ mâtinée d’une autre (relecture) des Scènes de la vie conjugale, de Bergman, et d’un Identification, mais non pas d’une femme, cette fois, mais d’un homme (c’est « lui«  le plus difficile à « identifier » : par « elle« , comme par nous à sa suite, car tel est l’angle de perception (= son regard à « elle » sur « lui » qui la voit : à la distance vibrante et chamboulée de leur « intimité«  à la question…) privilégié par la caméra de Kiarostami !) de ce nouvel Antonioni-Kiarostami…  _, étude sur un couple _ coppia en italien _ en perpétuelle scène de ménage _ en troublante (= passionnante) « évolution«  de « touches«  sur l’image, toutefois : vers, vers le « mordoré » (érotiquement chaste) de la sublime séquence de la chambre de la « pensione«  le soir, sur les huit heures tonitruant (comme à l’ordinaire du quotidien de Lucignano) au carillon de l’église San Francesco, et vue (en échappée : par « lui« ) par-dessus les toits tranquilles de tuiles (en rouge), avec vols (furtifs) de colombes ; et puis viendra la nuit… _,

qui pose la seule question qui vaille _ voilà ! _ : est-ce que l’amour existe ?« 

Et la réponse _ parfaitement « mordorée«  : sur les huit heures du soir (et aux soixante-neuf ans de vie de Kiarostami : c’est une clé !..) _ est (presque clairement) oui ! 

En suite (jubilatoire ! et sobre : direct à l’essentiel !!! cette « note » de Libération…) à mon article du 23 mai dernier « Jubilation de la déprise du cinéma d’Abbas Kiarostami : la question de l’amour du couple de “Copie conforme” ; et la profonde synthèse de la “lecture” de Frédéric Sabouraud en son “Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité« , donc…

Titus Curiosus, ce 9 juin 2010

la traversée du siècle d’un honnête homme (et beau garçon) en quelques fécondes rencontres d’artistes-créateurs en des capitales cosmopolites : le parcours de Peter Adam de Berlin à La Garde-Freinet, via Paris, Rome, New-York et Londres

02mai

Non sans quelques points communs _ nous allons le découvrir… _ avec cet immense livre qu’est « Le Lièvre de Patagonie » de Claude Lanzmann :

une autre traversée _ un peu chahutée _ du siècle en quelques judicieuses rencontres (et un chef d’œuvre cinématographique !),

voici que Peter Adam _ ou Klaus-Peter Adam, un garçon juif allemand, au départ, natif de Berlin en 1929, puis devenu citoyen britannique vers 1965, peu après le décès de sa mère, la battante et admirable Louise, le 6 mai 1965 :

cf page 214 : « j’optai à cette époque pour la nationalité anglaise.

Depuis longtemps j’essayais de me débarrasser du garçon allemand _ qu’il était de naissance : la famille (juive) de son père venait de « Chodzesin, une petite ville de Prusse orientale. Mon arrière grand-père, Jacob Adam, y était né en 1789. Depuis le XVIIIème siècle, sa famille vivait du commerce du drap de laine. Cette activité les avait menés jusqu’en Pologne et en Lituanie« , page 14 ; « du côté de ma mère, les Leppin et les Gurke _ Gurke signifiant « concombre » _, étaient d’un tout autre genre : pauvres, chrétiens, et de souche paysanne« , page 20 _

afin de n’avoir de racines que dans l’imaginaire.« 

Et il poursuit : « Il se produisit mille choses dans ma vie et je possédais une énergie et une curiosité infinies. Je laissais l’univers tourbillonner autour de moi, espérant ne pas m’y noyer

_ le titre original de ce « Mémoires à contre-vent« , traduit par l’auteur lui-même en français en 2009, était, en anglais, en 1995 (pour les Éditions Andre Deutsch, à Londres) : Not drowning, but waving _ an autobiography

Je m’acceptais tel que j’étais, je n’étais gêné ni par mes défauts, ni par mes qualités. J’essayais, comme toujours _ en effet ! _ d’être honnête avec moi-même« 

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

_ mais cet amoureux de longue date de la France

avant même d’y venir séjourner, pour la première fois, en 1950

(cf au chapitre « Alma mater, 1949-1950« , les pages 139 à 146 :

« En 1950, je partis pour la première fois à Paris. Mon ami Klaus Geitel étudiait là-bas et je décidai de lui rendre visite. A Paris, Klaus m’attendait gare du Nord avec deux amis. J’étais tellement excité que j’entendis à peine leurs noms. Le premier, Hans Werner Henze, était un compositeur allemand ; le second, Jean-Pierre Ponelle, un scénographe français«  : mais oui !..) ;

puis, une seconde fois, en 1951, au chapitre suivant, « Mes premiers pas d’intellectuel _ Paris 1950-1953«  :

« A l’automne 1951 _ ayant obtenu « une bourse d’un an du gouvernement français, ainsi qu’une inscription à la Sorbonne« , page 147 _, je débarquais à Paris pour la seconde fois«  :

« J’arrivais au bon moment. Le passé était enfin soldé ou presque. La France de la Quatrième République commençait à se moderniser.  (…) Les gens avaient l’air riche ; ils possédaient un goût inné pour la qualité et le style _ voilà _, doublé d’un sens aigu de la compétition« , page 147 ; « Alors qu’à Berlin, nous avions essayé de construire un nouveau monde, les Français jouaient au ping-pong avec leur héritage culturel, retournant les idées dans tous les sens, juste pour le plaisir. Je me sentis immédiatement chez moi, le lycée de Berlin m’ayant bien préparé à ce perpétuel désir de théoriser et de synthétiser les idées. Les bâtiments de la Sorbonne reflétaient ce même esprit libre et chaotique. Les vieux couloirs sombres fourmillaient d’étudiants bruyants et fougueux. Les murs étaient recouverts de slogans très politiques, culturels ou sexuels, combinant parfois les trois en même temps comme dans celui-ci : « Fais-toi sucer en Russie, Simone ! » », page 148

il avait fait ses études secondaires au lycée français de Berlin, dès 1940, page 58)

mais cet amoureux de longue date de la France,

donc,

y vit désormais, depuis août 1989, à demeure, cela fait vingt-et-un ans

(depuis sa retraite de reporter et réalisateur de la BBC, en août 1989 : car c’est là, à la BBC, que se déroula, en effet, sa « principale«  carrière, du 4 avril 1968, à la cérémonie de départ de sa retraite, en août 1989) :

en son « cabanon«  du Mazet, à La Garde-Freinet, dans les Maures, et non loin de Saint-Tropez

_ Facundo Bo et Peter Adam découvrirent, en effet, cette thébaïde « un matin de 1970«  :

« un petit vallon où des moutons broutaient près des oliviers.

C’était l’endroit dont nous _ Facundo & Peter _ rêvions _ 12 000 mètres carrés isolés du monde et un petit cabanon. Nous l’achetâmes aussitôt.

La Garde-Freinet allait devenir notre port d’attache pour les quarante années à venir« , page 275 _

mais cet amoureux de longue date de la France y vit désormais à demeure,

avec son compagnon Facundo Bo : compagnon depuis leur coup de foudre lors d’un « dîner snob« , en 1968, à Paris ;

cf page 236 : « Durant la réalisation de ce documentaire _ pour la BBC : La maison Christian Dior, en 1968, donc _,

j’eus l’occasion, un soir, d’être invité à un de ces dîners snobs dont les Français raffolent. J’étais assis en face d’un jeune acteur argentin au physique extraordinaire, au type légèrement indien. Comme d’habitude, je parlais beaucoup, faisant de mon mieux pour impressionner. J’avais appris l’art de l’autodéfense et ajouté du cynisme à mon scepticisme naturel. Intrigué par les yeux inquisiteurs de ce garçon, je parlais des souffrances au Biafra _ dont Peter revenait d’y réaliser un reportage particulièrement périlleux (et tragique !) : il en fait le récit aux pages 227 à 232 _, mais également du grand bal de l’Opéra de Paris _ le Bal des petits lits blancs _ auquel j’avais assisté la veille. Je révélais ainsi l’un de mes nombreux paradoxes dont je n’étais pas très fier.

Facundo _ c’était le prénom de ce garçon très beau et gêné _ ne prononça pas un seul mot de la soirée. A la fin, au moment de partir, je lui glissai mon adresse à Londres.

Trois semaines plus tard, je reçus une lettre : « Cher Peter, détruisez cette lettre, je n’ai jamais écrit une telle lettre à personne, mais pendant ces trois dernières semaines, je n’ai pas arrêté de penser à vous et je voulais simplement vous le dire. Je vous prie de m’excuser ». La lettre était signée Facundo Bo.

Trois heures plus tard, je m’envolai pour Paris« 

« Je crois au coup de foudre _ poursuit-il aussitôt, toujours page 236, en commentaire rétrospectif. Pendant les quarante-deux ans à venir _ de 1968, leur rencontre, jusqu’en 2010, où paraissent ces « Mémoires » en traduction française _, Facundo serait la source de beaucoup de mes joies et de mes chagrins _ la maladie de Parkinson de Facundo déclarée « à l’âge de quarante ans« , « l’empêchant petit à petit _ lui acteur brillant de la troupe de théâtre TSE, d’Alfredo Arias _ de monter sur scène« , découvre-t-on, à un coin de page, page 412 ;

cf aussi, le jour de son départ de Londres pour gagner la France, page 440 : « Je ne savais pas alors combien ma nouvelle vie à Paris _ et au Mazet, à La Garde-Freinet _ allait m’apporter de joie d’amour solide et de douleur aussi, liée à la fragilité croissante _ parkinsonienne ! _ de Facundo. Mais jamais je n’ai regretté ma décision«  _ de venir vivre définitivement en France : avec Facundo Personne ne m’a jamais été aussi proche ; et je pense _ écrit-il maintenant en 2009-2010 _ que personne ne le sera jamais. Facundo devint le centre absolu de ma vie«  _ voilà !..  _

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ publié en 1995 à Londres sous le titre de Not drowning but waving _ an autobiography _ de sa traversée _ Berlin, Paris, Rome, New-York, Londres, La Garde-Freinet _ du siècle,

tout à la fois en beau garçon _ ce peut être un atout ; du moins pour commencer, en se faisant « remarquer«  ; car à la longue n’être que le « petit ami de« … s’avère un peu court pour poursuivre et s’établir au moins un peu…

et en honnête homme

et artiste _ filmeur du monde et de la création artistique : ce sera là sa « vocation«  _ probe _ absolument ! et sans compromission aucune :

certains de ses très proches et meilleurs amis se suicideront face à la « détérioration«  (Peter Adam emploie le mot « dégradation« , page 410, en son chapitre « Inventaire« …) de ce monde :

le magnifique « grand reporter«  James Mossman (celui-là même qui l’avait fait engager à la BBC : c’était le 4 avril 1968), le 5 avril 1971 ;

le peintre Keith Vaughan, le 4 novembre 1977… ;

mais encore, page 427 :

« Au travail, le suicide mon collègue Julian Jebb s’ajouta à la longue liste de mes collègues disparus, dont l’esprit toujours en éveil _ pourtant ! _, n’avait pas été capable d’arrêter la course à l’autodestruction _ voilà _ : les grands reporters James Mossman, Robert Vas et Ken Sheppard. Le garçon qui s’occupait de la maison de Tony Richardson à La Garde-Freinet, tua d’abord sa petite amie avant de se donner la mort. La boisson et la solitude durant les longs mois d’hiver au Nid du Duc _ le hameau de la colonie Richardson, l’auteur du film Tom Jones, à La Garde-Freinet _ l’avaient poussé à cet acte terrible, disait-on. La fille de Lawrence Durell, Sappho, se pendit« … Bref, « la mort continuait à jalonner ma route« , remarque Peter, page 427…

« Dans les années quatre-vingt, mon histoire d’amour avec la Grande-Bretagne touchait _ ainsi _ à sa fin. Mme Thatcher n’avait pas encore engagé _ profondément, pas encore _ sa politique absurde et désastreuse _ humainement : Peter Adam ne mâche pas ses mots ! _, mais un nouveau climat social se faisait _ déjà _ sentir, sapant _ durement _ les qualités de ce pays que j’avais tant apprécié. L’Angleterre, comme beaucoup de pays d’ailleurs, entraînée par son désir insatiable et impétueux de richesses, prônait _ maintenant _ l’arrivisme, la ruse, l’avidité comme qualités essentielles. Les inégalités flagrantes, la cruauté des riches, la complaisance des gens au pouvoir et la corruption _ lire ici Paul Krugman… _ devenaient monnaie courante. Je regardais les yuppies, interchangeables avec leurs chemises à rayures, leurs bretelles rouges, leurs manteaux à épaules marquées, leurs BMW, leur arrogance, leurs femmes à sac à mains à chaînes dorées _ on ne disait pas encore le bling-bling… J’observais la nouvelle génération, son appétit féroce, sa frénésie de consommation, son égoïsme impitoyable _ voilà _, et la comparais à ma propre génération qui avait l’espoir chevillé au corps que la vérité et la beauté _ voilà _ finiraient par l’emporter sur les mensonges et la laideur du monde _ quelle belle actualité ! toujours…

Bien sûr cette dégradation _ voilà _ ne se produisit pas en un jour. Ce n’était que le début d’un profond et triste changement qui, hélas, se propageait _ bientôt _ partout«  _ de par notre monde commun, pages 409-410…  _,

voici _ je reprends l’élan de ma phrase _  que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ paru en anglais en 1995, lui _ de la traversée de son siècle :

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme et artiste probe

soucieux de la justesse…

en beau garçon, d’abord _ et le livre est généreusement (et judicieusement) agrémenté de photos de nombreuses personnes rencontrées et narrées _ :

via ses rencontres sexuelles (avant l’amour vrai de Facundo Bo, en 1968, donc : Peter aura alors trente-huit ans _ mais tout cela fort discrètement, et sans le moindre exhibitionnisme, ni a fortiori sensationnalisme ! très loin de là ! Peter Adam a beaucoup de délicatesse et pudeur…) et amicales, plus encore (dont certaines féminines : Hester Chapman et Prunella Clough, à Londres),

celles-ci _ « rencontres« , donc _ vont lui ouvrir bien des portes, bien des « clans«  (ou « réseaux » d’amis :

par exemple, pages 201-202, en débarquant de New-York à Londres,

ce passage-ci, clé ! :

« Parmi les quelques adresses que j’avais _ à Londres, donc, en 1958 _, aucune ne fut plus précieuse et appréciée que celle d’un ami d’Edward Albee _ merci à lui de cette « adresse«  ! de ce « contact«  décisif… _, Patrick Woodcock.

Patrick était le médecin du Gotha artistique londonien _ rien moins ! _ : de Noël Coward à Marlene Dietrich, de Peggy Ashcroft à David Hockney, de Peter Brook à Christopher Isherwood. (…)

Comme à Paris, Rome et New-York _ c’est un point décisif du parcours (et la vie !) de Peter ! _, j’ai eu la chance _ encore faut-il apprendre et à la saisir et plus encore à la cultiver ! et ne pas trop, non plus, la gâcher… _, d’être adopté _ apprécié par, aimé de _ par un clan _ voilà _

pour lequel j’étais _ du moins tout d’abord, au départ :

cela se dissipant cependant assez vite (cf la conclusion plus négative, en 1955, de l’épisode romain et sa « clique« , page 184 : je vais le préciser par le détail un peu plus loin)… _

un objet de curiosité : « Allemand, Juif, non émigré et sorti de l’Allemagne indemne. « How intersting« , disait-on » _ pour commencer, donc ; ici, c’était en 1958, Peter a vingt-neuf ans 

il est aussi très « beau garçon«  (cf les photos généreusement données du livre) ; et éminemment sympathique, plus encore : il a du charisme…

« Patrick était absolument convaincu qu’il était le mieux placé pour tout organiser _ sic _ et décida de me prendre sous son aile _ cela peut effectivement aider… Il m’ouvrit les portes _ voilà ! _ de la vie culturelle _ artistique _ londonienne qui comptait un nombre impressionnant de talents. Tous ses amis « baignaient » _ en effet _ dans l’art, faisaient de la critique de livres ou allaient s’applaudir les uns les autres sur la scène ou à l’écran.« 

Aussi

« la plupart de mes _ nouveaux _ amis _ vrais _ venaient _ -ils _ de son « écurie ».


Avec nombre d’entre eux j’entretenais
_ très bientôt, vite, aussitôt, déjà : c’est un talent ! _ une amitié _ et c’est là l’élément majeur (et de fond !) pour Peter ! _

qui allait s’approfondir _ voilà ! _ au fil des ans : une preuve de leur endurance _ à me supporter, souffrir, et accepter (et aimer)… _ et d’une certaine fidélité _ toujours de la modestie, avec les euphémisations : c’est là une vertu ; Peter n’a pas que des défauts… _ de ma part.

Pour quelqu’un qui vit seul _ pas « en couple« , donc : Peter assume son « célibat« … _,

les amis sont essentiels _ voilà.

Ils m’aidèrent à surmonter _ et durablement, pas à court terme : la dimension temporelle est capitale en ces affaires (existentielles) affectives ! _ mon sentiment _ endémique _ de déracinement _ qui comporte, aussi, il est vrai, l’avantage (non recherché !) du « décalement« , si crucial (pour la vie !), du regard… _,

car je portais en moi _ pour jamais _ des séquelles _ indélébiles, donc _ de mon enfance solitaire _ depuis, au moins, à l’âge de onze ans, le lycée (français, à Berlin, et puis à Züllichau, en Silésie) pour un enfant Juif (bien que ne portant pas l’étoile jaune, Louise, sa mère, étant « aryenne« …) en Allemagne nazie… _ et la nostalgie de mon adolescence _ à la Libération joyeuse, en même temps que pauvre, à partir de 1946… :

un passage assurément important de ce livre, pages 201-202, donc, comme on constate !..)

en beau garçon, d’abord,

via ses rencontres sexuelles et _ surtout, plus encore ! _ amicales

_ je reprends et poursuis maintenant ma phrase _,

celles-ci lui ouvrant bien des portes, bien des « clans » (ou « réseaux » d’amis) :

d’artistes, de créateurs, surtout ! _ c’est là l’élément majeur ! _, dans les diverses capitales que Klaus-Peter (bientôt Peter), va traverser :

Paris,

Rome : Peter devient le compagnon pour un temps, en 1955, d’Enrico Medioli, ami et collaborateur bientôt de Luchino Visconti ;

je m’y attarde un peu, maintenant (j’aime Rome !) :

« Je me rendais souvent à Rome. J’y découvrais un passé splendide. Alors que Paris représentait pour moi l’élégance et le raffinement _ voilà _ international, Rome incarnait _ oui : charnellement _ une grande civilisation ; même le chaos et la pauvreté des rues _ certes _ étaient parés _ oui _ d’une dignité intemporelle _ comme c’est juste ! Tout avait _ le baroque (même borrominien !) est ici mesuré ! sans morbidité : à la Bernin, plutôt… _ des proportions parfaites : les façades ocres baignées par la lumière de l’après-midi _ cf ici les descriptions si justes de mon amie Elisabetta Rasy en son magnifique « Entre nous » ; cf mon article sur son récit autobiographique suivant (« L’Obscure ennemie« ), toujours à Rome : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy« _, les toits avec leurs jardins suspendus, les terrasses des gens riches : tout semblait exprimer la sensualité, la douceur de vivre et le bien-être«  _ on ne saurait mieux dire !, page 181 ;

« Pendant l’un de mes nombreux voyages à Rome, j’avais rencontré Enrico Medioli. Enrico était un ami de Luchino Visconti et allait devenir bientôt l’un de ses plus proches collaborateurs. Avec Suso Cecchi d’Amico, il fut le scénariste de Rocco et ses frères, Sandra, Les Damnés, L’Innocent et Violence et passion.

Enrico incarnait pour moi la perfection : il était blond, aristocrate dans son comportement comme dans son style, grand, élégant, mondain, cultivé et possédait un humour caustique. Il était issu d’une grande famille de Parme et avait souffert de la tuberculose, ce qui ne fit qu’accroître à mes yeux son aura romantique. Il conduisait des voitures de sport et vivait dans un appartement avec terrasse qui surplombait les toits de la cité éternelle.

Il connaissait toutes les personnes qui valaient la peine _ voilà _ d’être connues à Rome.

Autour d’Enrico gravitait la jeunesse dorée. La plupart travaillaient dans le cinéma«  _ soit un medium en pointe :

voilà deux éléments importants dans la « formation«  du jeune Klaus-Peter (qui a alors à peine vingt-cinq ans), on va s’en rendre peu à peu mieux compte… ;

avant d’être plaqué (un peu abruptement !) par Enrico à Cortina d’Ampezzo :

« Enrico avait une énergie contagieuse. Nous allions jusqu’à la plage de Fregene si souvent filmée par Fellini _ dans Huit-et-demi, ou Juliette des esprits, par exemple _, pour déjeuner dans des restaurants que seuls les Romains connaissaient, ou nous dînions dans les établissements huppés de la via Appia. Enrico, qui qualifiait ces endroits de piccole trattorie, molto semplice, était salué par la moitié des clients. Nous prenions l’apéritif chez Bricktop’s et la granita di limone chez Rosati’s _ Piazza del Popolo….

Au fil des mois, l’usure _ cependant _ se fit sentir dans notre couple _ un mot qui sera rarement employé par l’auteur, en ces 443 pages, notons-le au passage. La clique romaine perdait _ pour Klaus-Peter _ son charme _ surtout vaporeux _, comme moi je perdais le mien à leurs yeux _ au pluriel… Je roulai dix-huit heures en voiture de Naples à Cortina d’Ampezzo, où Enrico possédait un chalet, pour apprendre qu’il pouvait juste m’accorder un dîner.

Je compris le message« , page 184…

Avec ce commentaire-ci : « Je revis Enrico quelques années plus tard à Londres où il montait _ comme Luchino Visconti ; ou comme Franco Zeffirelli : les metteurs en scène italiens s’enchantent à mettre leur talent à la disposition de l’opéra _ sa version de La Somnambula à Covent Garden. »

« Comme on perd facilement _ pas seulement de vue ! _ les gens dans la vie ! Pendant un moment, on les voit tout le temps, trois fois par semaine, on les appelle au milieu de la nuit, et puis tout à coup, ils disparaissent. Heureusement j’ai gardé beaucoup de mes relations _ voilà le terme approprié. Plus tard, j’ai eu la chance de revoir certains d’entre eux comme Luchino Visconti, Alberto Moravia, Maria Callas, Giuseppe Pattroni Griffi et Mauro Bolognini, Lila Di Nobili, Franco Zeffirelli et Giorgio Strehler. Cette fois-ci _ nouvelle _ c’était à titre professionnel _ pour des reportages filmés par Peter pour la BBC : entre 1968 et 1989 _ et quelques uns sont même devenus _ à des degrés divers : mais un palier important étant tout de même franchi ! _ des amis.« 

« Comme toujours, je désirais davantage _ relationnellement ; Klaus-Peter se remémore ici sa situation (notamment) affective en 1955 _

et voulais faire de nouvelles découvertes.

Il était temps de passer à autre chose« , pages 184-185 : un passage très important, mine de rien, que ce séjour italo-romain de Klaus-Peter, en 1955… 

mais surtout New-York :

cf le chapitre « America here I come _ 1956-1957« , pages 187 à 211 : venant aux États-Unis surtout pour y améliorer son anglais, Peter y fait la connaissance d’Edward Albee _ « un jeune auteur dramatique« _ et Richard Barr _ »un producteur de théâtre renommé« _, page 193. « Edward et Richard me firent rencontrer _ un terme important ! _ John et Tamara Ennery » _ lui avait été le mari de Tallulah Bankhead ; elle, née Tamara Gergeyeva, avait été l’épouse de Georges Balanchine, au temps des ballets russes de Serge Diaghilev : page 195.

Et enfin Londres, donc :

où Klaus-Peter _ devenu désormais définitivement Peter _ va s’installer, en 1958,

et, non sans difficultés et péripéties, trouver

et un travail qui soit et durable _ enfin : au bout de dix ans cependant ; Peter a commencé par faire ses gammes cinématographiques avec des films publicitaires _ et satisfaisant pour lui _ ce sera à la BBC, en 1968 ;

et pour vingt-deux ans, de 1968 à 1989, à l’âge de sa retraite professionnelle… _,

et _ plus encore ! _ sa vocation de créateur et artiste _ le principal pour lui ! mais il n’en a probablement pas encore vraiment conscience alors… _ :

cf le merveilleux compliment que lui fera Luchino Visconti, en remerciement du documentaire de Peter sur le tournage de Mort à Venise, en 1970 :

« Seul un artiste peut en voir _ = voir vraiment ! : cf le concept d’« acte esthétique » de Baldine Saint-Girons… _ un autre, merci. Amitié, Luchino« , en dédicace à « un très beau livre : Vecchie Immagine di Venezia, vieilles photographies de Venise«  ;

« Il y avait aussi une photo dédicacée : « Pour ta Mort à Venise sur ma Mort à Venise. »

De toute ma carrière _ d’homme d’images filmées _ aucun compliment ne m’a fait un tel plaisir« , page 267 _ :

je veux dire sa « vocation » _ émergeant peu à peu : suite à diverses rencontres, non programmées : par conjonctions de hasard _ de réalisateur de films et reportages culturels, ou plutôt : artistiques (et sur _ à propos… _ d’autres créateurs-artistes, en fait) à la BBC…

voici _ donc : je reprends une fois encore l’élan de ma phrase _

que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

une somptueuse traversée de son siècle _ pas facile pour un garçon juif berlinois ! né en 1929 ! _,

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme

et artiste probe absolument et sans compromission soucieux de la justesse…

J’y viens maintenant…

Ce très grand livre qu’est Mémoires à contre-vent, est construit en trois grandes parties,

autour de la « formation » d’un homme

(et un artiste : Klaus-Peter Adam, devenu par son passage aux États-Unis, en 1956-1957, puis sa vie en Angleterre, de 1958 à 1989 ; et sa naturalisation anglaise, en 1965 : cf page 214, « un sujet de Sa Majesté » ! ; devenu « Peter Adam« , maintenant)

représentatif surtout d’une génération (d’Européens),

ainsi que l’auteur présente cet « essai » d’autobiographie d’abord tout à la fin, pages 438 à 440, de son dernier chapitre, « Le temps des moissons _ 1987-1989« , pour l’édition anglaise, parue en 1995 :

« J’avais l’impression d’avoir vécu plusieurs vies, adopté plusieurs cultures, rêvé et parlé dans plusieurs langues. En même temps j’étais de nulle part, un étranger partout. C’était ce qui me convenait le mieux.

Mon pays natal était un pays imaginaire, fabriqué à partir de souvenirs et d’amis.

Je songeais alors à écrire un livre sur mon enfance et à raconter l’histoire de ce garçon allemand au sang juif qui avait survécu au nazisme.
(…)

Je ne voulais certainement pas me construire une postérité

_ « d’encre et de papier«  : à côté de celle, familiale, de ses neveux, les fils de sa bien aimée sœur jumelle, Renate ;

ou du neveu de Facundo : Marcial di Fonzo Bo, un comédien de grande qualité (auquel, ainsi qu’à Facundo, est dédiée, remarquons-le aussi, cette version française de son autobiographie, Mémoires à contre-vent, page 7).

Je voulais transmettre

non pas mon histoire personnelle,

mais celle de toute une génération _ voilà ! _ marquée par l’Histoire en pleine mutation.

Il y avait eu beaucoup de récits _ écrits et publiés _ sur les bourreaux et les victimes, mais très peu sur la vie quotidienne de gens ordinaires, pris dans le tourbillon de l’Histoire.

Je souhaitais parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal »
_ selon l’expression de Hannah Arendt :

de fait les chapitres « allemands«  (1 à 3 : pages 13 à 88), à Berlin, puis au lycée français mis « à l’abri à la campagne« , en 1943, « à Züllichau, une petite ville de Silésie«  (page 86) ;

et les chapitres « autrichiens« , après que Klaus-Peter, expulsé pour judéité du lycée, début 1944, a rejoint les siens, qui s’étaient réfugiés déjà bien loin de Berlin, « à Tressdorf, dans une vallée perdue de la Carinthie«  (page 86, aussi ;

le premier chapitre « autrichien«  (le chapitre 4 : pages 89 à 104) est joliment intitulé « Intermède pastoral _ 1944-1945« … ;

et le suivant (pages 105 à 116 : « Après-guerre et nouveau départ _ 1945-1946« ) raconte ce qui suit la fin de la guerre et le retour, difficile à Berlin ; jusqu’à ce que le narrateur nomme, au bas de la page 116, « le début de l’après guerre« ) ;

sont des chapitres magnifiques de ces « Mémoires à contre-vent«  sur les conditions de survie des gens ordinaires sous le nazisme… _ ;

Je souhaitais _ donc, je reprends la phrase de Peter Adam… _ parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal » 

et montrer que, malgré tout, le bonheur pouvait survivre _ par résilience, ainsi que Boris Cyrulnik nomme ce processus… _ dans l’épreuve.

Peut-être y avait-il tout de même quelque chose dans cette vie et cette carrière en dents de scie _ voilà : je vais m’y pencher un peu… _ qui méritait d’être préservé » _ et transmis : pages 438-439…

D’autant que

« écrire mes mémoires se révéla _ à l’auteur que va devenir (et se découvrir : par là même !) aussi Peter Adam, à partir de 1990, par ce livre improbable et « ouvert«  de « retour«  sur sa vie… _ passionnant. Cela devenait mon jardin secret, des moments d’évasion _ créatrice ! _ dans un monde de contraintes. (…)

Ma curiosité _ d’analyse, maintenant, comme en actes : par les émissions à concevoir et à réaliser pour la télévision ! entre 1968 et 1989 _ m’avait amené plus loin dans la vie que je ne le pensais _ tout d’abord ; au départ…

La plupart des rencontres ont lieu par hasard. Ce que le désir, les intrigues et la détermination en font _ ensuite : tout un travail et une œuvre ! _ me paraissait plus intéressant que la rencontre elle-même _ advenue, survenue. Il y avait bien évidemment eu des expériences décisives, mais souvent je n’en avais pris conscience qu’après coup. Tout était lié _ ce fut sans doute la découverte la plus surprenante que je fis en écrivant« , page 439 ;

en ce même esprit, Peter a rapporté, page 411, ce mot, « une fois« , de son ami Bruce Chatwin (cf le récit de leur amitié de onze ans, de 1978 au décès de Bruce, le 18 janvier 1989 : aux pages 379 à 384 ; « Ce n’était pas facile d’être ami avec Bruce. Il menait plusieurs vies à la fois et ne permettait pas qu’elles se mélangent ou s’entrecroisent. En société, il était très réservé sur sa vie privée et ne laissait jamais transparaître ses sentiments« , page 380)


Bruce citant Le Portrait de Dorian Gray d’
Oscar Wilde : « Il s’efforçait de rassembler _ lui ; et non sans difficultés dues à tant et tant de hasards d’abord, et à son corps défendant, surtout, subis _ les fils écarlates de sa vie et d’en tisser un dessin«  : unifié, donc, où « tout« , finissant comme par « émerger«  du désordre ou chaos même, vécu par surprise en premier,
vient apparaître en quelque sorte enfin « lié«  et « en place« , « en ordre« , ou presque…

Telle, aussi, une image en un tapis…

Pages 410-411, Peter Adam a aussi écrit, à propos de sa « découverte » de l’écriture :

« Je n’avais jamais écrit de livre _ écrire des scénarios ou des articles _ utilitaires _ n’était pas la même chose _, mais je découvris  rapidement quel plaisir c’était. Rien dans ma vie professionnelle ne m’avait autant stimulé que la relation intime entre l’auteur et sa page, quand tout à coup des mots et des phrases émergent de nulle part«  : c’est la plus stricte vérité !.. Quelle jouissance ainsi rencontrée !

Et un peu différemment, encore,

en l' »épilogue » de 2o09-2010 _ rajouté pour cette « traduction« -« adaptation » française d’un livre qui avait été rédigé presque vingt ans plus tôt : entre 1990 et 1995 ; au moment de sa retraite (de son travail de « documentariste » à la BBC, en 1989) _ :


« En racontant ma vie une fois de plus en une autre langue _ en français, après l’anglais, cette fois _, je me suis découvert une perception du monde qui altérait _ et enrichissait _ la vision _ première _ que j’en avais vingt ans plus tôt _ en 1990. Certains événements n’avaient plus l’importance que je leur accordais en 1995 _ ou en 1989 ou 90… Des amitiés et des rencontres que je croyais emblématiques s’étaient fondues _ depuis lors _ dans l’ombre du temps.

Ainsi raccourci  _ ah! bon ! _ et réédité, Mémoires à contre-vent est un livre nouveau et très différent _ pour Peter le premier _ de Not Drowning, bur Waving.

Notre société et l’ordre du monde _ et nos regards (selon d’autres focalisations : neuves, plus perspicaces : c’est le gain du mûrir…) qui s’ensuivent… _ se sont profondément modifiés durant les vingt dernières années. Des systèmes totalitaires se sont écroulés, mais les droits de l’homme sont _ plus encore _ une vue _ seulement _ de l’esprit. Nous sommes encore bien loin du paradis terrestre où nous pourrions vivre en parfaite liberté, sans conventions hypocrites et libres de tout conformisme _ comme Peter l’a (ou l’avait) longtemps espéré…

Dieu nous est revenu _ de sa mort ! _ à travers deux conceptions qui sont une menace pour notre liberté : le fanatisme dérivé de l’islam et le zèle religieux d’une Amérique conservatrice _ jolie nuance… Dans certaines parties du monde, les bâtiments détruisent _ oui _ le paysage. Ailleurs, la terre _ livrée aux guerres de l’eau _ meurt de soif ; et les famines dues à la sécheresse chassent des populations entières _ émigrant _ de leur pays. Ils mettent leur vie en danger _ de se noyer _ pour traverser les mers à la recherche d’une existence meilleure dans un monde qui les rejette. Utopie mortifère _ combien !

Nous sommes tourmentés de toutes parts : la bêtise du pouvoir, l’imposture des politiques, les démocraties branlantes, la tyrannie des statistiques _ oui, oui, oui, oui ! _, l’omnipotence de la science _ et de ses expertises stipendiées _, l’absence _ veule _ de spiritualité, la fascination _ si niaise ! _ pour les people, cette triste pathologie de la vie moderne fondée sur la culture _ infantilisée _ du _ miséreux _ narcissisme.

Le superficiel règne en maître _ voilà ! Dans un monde obsédé par l’argent, il reste fort peu de place pour la métaphysique _ ou la poésie et le poétique… L’ennui général, très bien repéré par Hannah Arendt et Simone de Beauvoir, est devenu la condition humaine _ quasi générale sur la planète. Voilà pourquoi les gens ont désormais besoin d’être constamment _ et en pure perte _ divertis _ par l’entertainment (régnant à la télévision : même à la BBC ?..).

Il est devenu indispensable d’être joignable partout, à tout moment ; et cela se traduit par des heures de communication stériles _ c’est aimable _ via Internet ou les textos _ quelle sordide dérision !


La langue se banalise, le vocabulaire s’appauvrit ; nous sommes bombardés d’informations
_ et clichés _ ; mais le véritable échange d’idées _ condition de la vraie démocratie, pourtant _ est devenu bien rare. Les rapports épistolaires qui permettaient d’exprimer _ en la « formant«  vraiment _ la profondeur d’une pensée ou d’un sentiment _ plutôt que l’impact brut d’émotions _, ce magnifique plaisir _ certes _ de l’écriture, tombe en désuétude.


Trop de choses se ruent vers l’abîme
_ du nihilisme _ ; et je ne m’en console pas« , page 442…

A contrario, toutefois,

les « artistes » que Peter Adam a « eu le privilège de filmer » (et bien d’autres encore, aussi) « sont la preuve _ vive, vivante ! _ que l’humanité est encore et sera toujours capable de résister _ voilà ! _ à la conspiration _ grégaire _ de la médiocrité«  _ et de ses « statistiques«  ! pages 442-443.

Car « l’art nous donne accès _ en finesse et délicatesse _ à la richesse du monde dans ses dimensions _ qualitatives _ les plus complexes _ et diaprées : jusqu’au sublime…

La vie sans art n’est qu’une source _ minimalement _ tarie.

Seul le travail de l’esprit _ voilà _ peut nous offrir une existence plus vaste _ et libre en l’amplitude de ses mouvements _ que notre bref intermède biologique« , page 443 : bravissimo, M. Peter Adam !!!

La première partie du livre _ soient les chapitre 1 à 6, de la page 13 à la page 134 _ restitue le « terreau » de la génération de ceux qui ont été enfants sous le nazisme _ même si c’est non sans résistance critique dans le cas de la famille Adam, et de la mère, Louise, devenue veuve en 1935.

La seconde partie _ soient les chapitres 7 à 12, de la page 135 à la page 219 _ présente la période d’errances _ avec assez peu de boussoles _ cosmopolites (Paris, Rome, New-York, Londres) et les difficultés _ d’orientation _ de Klaus-Peter, puis Peter, avant de réussir à trouver le « dispositif » professionnel qui lui permettra de devenir véritablement lui-même ; et d’accomplir (en œuvres ! de partages) une « vocation« …

La troisième partie _ soient les chapitres 13 à 33 + l’« épilogue«  ajouté à la version française de la page 221 à la page 443 _ décrit l’éclosion (assez rapide : le chapitre 13 : « Témoin : Berlin, Biafra« , en 1968 et 69) et la maturation-maturité _ sereine _ de l’artiste-témoin :

et de son temps,

et des démarches de création des artistes ses contemporains (et souvent amis, vraiment !),

que sut devenir Peter Adam ;

avant de passer, in fine, à l’écriture _ puis la réécriture ! maintenant… _ du « témoignage » de son propre œuvrer…

Car très vite, dès 1969, « on avait demandé à James Mossman de reprendre la rédaction d’un magazine culturel hebdomadaire, Review, l’émission d’art la plus réputée de la BBC. (…) C’était l’occasion de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Serait-il _ Jim _ capable de briser cette notion élitiste du bon goût qui dominait encore les reportages culturels de la BBC sans tomber dans le piège de la vulgarisation ou des généralisations _ tout Art est initiation à la singularité ! _ simplistes ?

Jim finit par accepter ce poste de rédacteur en chef, à condition que je l’accompagne dans cette aventure. Ce ne fut pas un choix facile, car j’aimais beaucoup les actualités. Je postulai donc pour ce nouveau travail, et fus embauché comme rédacteur en chef de cette émission artistique hebdomadaire.

Je venais de tourner une nouvelle page ; et un autre chapitre de ma vie commençait. J’avais quarante ans« , page 241.

Vont suivre vingt ans (1969-1989) de réalisations de films pour faire connaître _ en donnant à ressentir _ (par la BBC) le sens des créations artistiques modernes et contemporaines _ avec témoignages (= interviews ouvertes…) des créateurs, si possible, et documents audio et visuels à l’appui.

Ainsi _ parmi les projets entrepris et parfois avortés en chemin, ou effectivement réalisés et passés à l’antenne _ :

des émissions sur André Malraux (pages 243 à 245), Rudolf Noureev (245 à 248)

_ avec aussi, un reportage sur « Cuba : Art et révolution _ onze ans après » (249 à 257) _,

« Visconti au travail » pour Mort à Venise (259 à 267), Vladimir Nabokov (269 à 270), Andy Warhol (270 à 273), Doris Lessing (279 à 280), l’hommage, suite à sa mort par suicide, à James Mossman _ « J’intitulai l’émission To be a witness (« Être un témoin« )… _ (280 à 282), Borges (283 à 287)

_ avec, alors, la double décision, page 287, « de rester au département des Arts ; et de me consacrer à des films plus longs«  : c’est-à-dire moins courts ! afin de mieux rendre compte de ce qu’est la créativité singulière d’un artiste…

Hans Werner Henze (289 à 292), Man Ray (292 à 295), « Rêves royaux : Visconti et Louis II de Bavière« , à propos du tournage de Ludwig, le crépuscule des dieux (295 à 298)

_ avec, alors, une série de six émissions, « Eux et nous« , « sur l’art et la culture au sein des six pays fondateurs de la Communauté européenne » (pages 301 à 311) ; ainsi qu’une émission hebdomadaire consacrée au théâtre dans toute l’Europe (313 à 319) _,

« L’Esprit du lieu: la Grèce de Lawrence Durrell » (321 à  325)

_ la publication, en 1987, d’un livre de Peter Adam, « Eileen Gray, a biography » (paru aussi en traduction française, aux Éditions Adam Biro), consacré à son amie « la grande designer Eileen Gray«  qui vécut de 1878 à 1976 (327 à 333) _,

le « nouveau cinéma allemand » de Volker Schlöndorff, Wim Wenders, Werner Herzog, Hans Jürgen Syberberg et Rainer Werner Fassbinder (335 à 340), Jeanne Moreau (340 à 345), « Alexandrie revisitée : l’Égypte de Durrell » (347 à 351), Lillian Hellman et Lotte Lenya (353 à 367), « Diaghilev : une vision personnelle » (369 à 375), Edward Albee, « Un auteur dramatique face au théâtre » (385 à 388), David Hockney (388 à 394), une série consacrée aux « Maîtres de la photographie« , dont André Kertész, Alfred Eisenstaedt, Bill Brandt et Jacques-Henri Lartigue (395 à 407), « Richard Strauss « ressuscité » » (415 à 423) ; une dernière série (de 100 heures) consacrée à « L’Architecture au carrefour« , avec une trentaine d’architecte interviewés, dont I. M. Pei, Richard Rogers, Richard Meier, Norman Foster, Jean Nouvel et Arata Isozaki (page 425), « Gershwin « ressuscité » » (page 133), Buñuel (pages 433 à 434) ; et, pour finir, deux émissions d’une heure consacrées à « l’Art du troisième Reich » (435 à 438)…

Ces Mémoires à contre-vent (aux Éditions de La Différence) : un travail magnifique d’humaniste libre et exigeant !

« Passeur » de la poiesis des artistes ses contemporains les plus authentiques

par l’image filmique de la plus grande qualité ! dans le plus scrupuleux souci de l’intelligence du sens !

Bravo !

Titus Curiosus, ce 2 mai 2010

 

l’inéducation sentimentale, ou l’art de la déglingue affective de Dominique Baqué (suite : en remontant vers l’amont, soit de 2005 à 1995 !)

26avr

Cette fois-ci _ il s’agit du dernier « récit«  paru de Dominique Baqué : Désintégration d’un couple, aux Éditions Anabet, en février 2010 _,

à nouveau _ après (et en remontant dans le temps : vers l’amont de l’histoire personnelle de la narratrice-auteur : il s’agit d’un parcours autobiographique…) E-Love, petit marketing de la rencontre, intitulé « pamphlet« , alors, paru à ces même Éditions Anabet, en juillet 2008 _,

c’est un article _ appétissant, comme toujours ! _ d’Yves Michaud (intitulé la cougar qui ne pouvait pas grandir) _ sur son blog Traverses, sur le site de Libération (en date du 7 avril dernier),

qui m’a fait découvrir l’existence _ ainsi que l’intérêt (à ses yeux d’abord !) _ de l’ouvrage de Dominique Baqué Désintégration d’un couple :

sinon non chroniqué,

du moins non repéré par moi-même,

dans les medias que je « suis » régulièrement.

Pour E-Love, petit marketing de la rencontre, l’article d’Yves (c’était le 7 décembre 2008) s’intitulait Méfiez-vous, fillettes : et il m’avait assez fort intrigué, puisque je me rendais à La Non-Maison à Aix-en-Provence, afin d’y donner _ ce fut le samedi 13 décembre 2008 : une bien belle journée ! _ une conférence sur le sujet, précisément, de « Pour un Non-art du rencontrer« , pour que je m’en mette en chasse illico presto :

j’avais fini par dénicher _ je suis opiniâtre _ le livre _ E-Love _ à ma troisième librairie seulement à Aix (sur le cours Mirabeau) : il est vrai que six mois venaient de s’écouler depuis la parution du-dit « pamphlet » aux Éditions Anabet (et le livre n’était pas présent alors non plus à la librairie Mollat à Bordeaux : je l’avais constaté aussitôt, avant de partir pour Aix) ; et j’étais amusé de découvrir l' »abord » présenté là par son auteur pour de telles « rencontres » _ assez éloignées des miennes : plus chastes !.. Mais il me plaît de baliser « au mieux«  le terrain, en sa plus large amplitude, quant à ce que peut être une « rencontre« … Une question de méthode ; et de fidélité (à soi), aussi : on ne se refait pas ; ma curiosité est boulimique et perfectionniste, en son genre…

Sur ce E-Love, j’avais écrit dans la foulée rien moins que deux articles,

publiés les 22 et 23 décembre 2008,

et intitulés « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne)« 

et « Le “n’apprendre qu’à corps (et âme) perdu(s)” _ ou “penser (enfin !) par soi-même” de Dominique Baqué : leçon de méthodologie sur l’expérience “personnelle”« 

_ deux intitulés « parlants« , déjà, il me semble…

Et y revenir (les relire) est aussi assez intéressant, m’apparaît-il…

La question de l’intimité m’intéressant bougrement, si j’ose dire _ j’aurais pu dire « diablement« … : elle est au cœur de la situation civilisationnelle contemporaine (et sa pente au nihilisme)…

Cf mon compte-rendu du livre _ important ! à mes yeux _ de Michaël Foessel, La Privation de l’intime, en mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » _ cela aussi « parle« , si on me lit…

Ainsi que celui-ci encore, écrit dans l’élan, le 18 novembre 2008 :

« Conversation _ de fond _ avec un philosophe : sans cesse (se) demander “Qu’est ce donc, vraiment, que l’homme ?” Pas un “moyen”, mais un sujet ; un (se) construire _ avec d’autres _, pas un utiliser, jeter, détruire« …


Tout cela comportant bien des harmoniques et des résonances :

formant une musique qui ne me lâche décidément pas…

Nous sommes ici au cœur même des choses cruciales…

Et de leurs enjeux personnels et collectifs, dont leur aspect politique : une affaire de rapports plus ou moins, ou à divers degrés (selon une très grande échelle), « humains » et inhumains« …

Après ce préambule ciblant le « problème » sur lequel mener l’investigation,

j’en viens à ma lecture même de Désintégration d’un couple

Dominique Baqué raconte, en quatre chapitres (intitulés de ses adresses respectives, mais présentés à l’envers de l’ordre chronologique :

_ « 89, boulevard Magenta« , pages 129 à 136 _ de 1993 à 1995

_ « 125, boulevard de Ménilmontant« , pages 109 à 126 _ de 1995 à 1997

_ « 229, avenue Gambetta« , pages 61 à 107 _ de 1997 à juillet 2001

_ « Puteaux« , pages 7 à 59 _ de juillet 2001 à 2005 _)

l’échec _ « désintégration » !.. _ d’une relation de « couple » contemporaine…

Le dernier chapitre de Désintégration d’un couple,

et le premier chronologiquement de ce « récit » narré à l’envers,

s’intitule, donc, « 89, boulevard Magenta » (le domicile qu’elle partageait avec son compagnon précédent, Damien, avec lequel elle a vécu « huit ans« , de 1985 à 1993 _ ou bien de 1987 à 1995 : il y ambigüité dans le texte, entre les expressions des pages 129 et 133 _  :

« un superbe cinq pièces de pur style haussmannien avec hauteur de plafond, cheminées de marbre, admirables moulures« , page 129) :

« J’aime plus que tout cet appartement, comme si j’avais enfin trouvé un lieu où vivre _ voilà !

Et j’aime y vivre avec Damien.

La vie y ait paisible, feutrée, sans aucun accroc ou presque, dans une entente que facilitent nos goûts communs et l’argent partagé _ Damien est journaliste de « reportage«  : ces divers éléments ont, chacun, leur poids dans la « balance«  comptable…

Je pense _ alors,

en cet « avant-récit«  de la désintégration de son (futur alors) couple bancal avec Ariel (couple qui durera, lui, dix ans : « dix ans de vie commune« , est-il énoncé page 4 de E-Love ; soit de 1995 à 2005)… _

je  pense _ à tort ! nous venons de lire pourquoi et comment en les 128 pages précédentes : ce récit est l’histoire-confession d’une « mésestimation«  !.. _ que Damien sera « le dernier homme », que nous vieillirons ensemble, tranquillement _ mais vieillir peut-il être tranquille, pour la narratrice-auteur ?..

Peut-être est-ce aussi la vie dans cet appartement _ voilà : à la manière d’un chat ! _ que j’aime en _ comment entendre cet « en«  + participe présent ? Est-ce concomitance ? est-ce cause, ou condition ?.. _ aimant Damien«  _  page 129.

« Une ombre, pourtant, assombrit ce tranquille _ l’adjectif ne cesse de revenir, tel un obstinato… _ bonheur : Damien, qui a plus de cinquante ans _ la narratrice (et auteur) en a probablement trente-sept, alors : nous sommes en 1993 ; et elle est née en 1956 _, s’abîme physiquement _ voilà !

Lui que j’ai connu svelte et élancé, racé, s’est, au fil des ans, lourdement épaissi ; les rides se sont creusées sur son visage, autour de ses yeux _ ah ! les visages : obsédants ; qui changent…

Il m’est difficile de m’avouer _ ce que pourtant, avec le recul du récit, elle, narratrice-auteur, fait ici : seize plus tard que ce moment, de 1993… _ que je le désire moins _ lui ; pas seulement son visage : est-ce grave , docteur ? En tout cas, ça l’est pour l’auteur l’écrivant en 2009 _, pourtant la vérité est là, brutale _ ah ! bon ! D’ailleurs, compte tenu de ses voyages répétés, nous faisons peu l’amour,

et cela me suffit«  _ se reproche-t-elle, par là-même, encore en 2009…


Et c’est alors, à la rentrée universitaire _ de septembre-octobre 1993 probablement : Dominique est « maître de conférences dans une université pauvre de la banlieue nord« , page 130 _ qu‘ »un jour, alors que je m’essaye à restituer l’esthétique nietzschéenne, soudain, un visage émerge

_ Dominique s’attache tout spécialement au(x) visage(s) ; dans ses deux récits (jusqu’ici) autobiographiques ; comme en son œuvre d’analyse esthétique : cf son essai Visages _ du masque grec à la greffe du visage, paru en 2007, aux Éditions du Regard : une couverture kitch éminemment répulsive m’a dissuadé de le lire, l’hiver 2008-2009…

Comment avais-je pu ne pas le voir _ = le détacher du reste _ ? Des cheveux très bruns, légèrement ondulés, une peau d’albâtre, des yeux en amande, un nez très droit, une bouche infiniment sensuelle.

Érotique » _ une détermination cruciale ! Indépendamment du reste de son corps ; ou de toute détermination contextuelle ou historique ? « Ariel«  (ou « D.«  dans E-Love) apparaît pour la première fois (en cette rentrée universitaire de 1993) à la narratrice, page 130.

« Le voyant ainsi ma parole se brouille. Je peine à reprendre le fil du cours _ nietzschéen _, m’en excuse. Le visage _ toujours lui ! _ me fixe, à la limite de la provocation. A-t-il aperçu mon trouble ?«  A la fin du cours, il s’approchera _ de la chaire ? _ pour poser une question au professeur : « _ Vous avez écrit sur la kénose du Christ. Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris. _ Ah, je vois que vous avez lu mon article dans Art-Press…« 

Tentant « d’expliquer un concept théologique en effet assez ardu, je ne peux m’empêcher, presque à la dérobée, de scruter ses traits. Ce jeune homme me bouleverse plus que de raison. Je rentre chez moi troublée. »

Ce jeune homme « a vingt-cinq ans _ en 1993, donc. Se prénomme Ariel. Habite Puteaux«  _ page 131.


« Pendant deux ans _ deux années universitaires _, Ariel va se montrer d’une assiduité parfaite à mes cours. Pendant deux ans, je vais regarder son visage comme une douleur, un interdit _ est-ce le visage qui est l’interdit ? Jusqu’à ce jour de 1995 où Paris, en proie à la grande grève nationale _ de novembre-décembre _, charrie des flots de piétons. Je reviens, assez péniblement, de l’hôpital Cochin où je me fais soigner pour mes migraines, lorsqu’à l’approche des Halles je me heurte presque au corps _ tiens ! le voilà ! _ d’Ariel, qui traverse la rue en sens inverse«  _ page 132.

« Le lendemain« , au courrier, « une enveloppe oblongue, une écriture au stylo plume que je reconnais pour l’avoir vue sur les copies que me rend Ariel lors des examens. Ariel m’écrit qu’il m’a trouvée blême dans la rue. Que si j’étais malade, il en deviendrait fou. Que je le rassure en toute hâte.

Je suis surprise, et doublement : par l’audace de la missive, et par son contenu. Ai-je donc l’air d’une morte vivante ? Que répondre ? Pendant une semaine, absente à la vie quotidienne, je relis sans cesse la lettre, au point que l’encre déteint sur mes doigts. Je sais qu’à elle seule cette lettre menace tout l’équilibre _ fragile, donc… _ d’une vie que j’ai mis huit ans _ ou dix ? Deux ans se sont écoulés depuis la rentrée universitaire de 1993 : la mention des « huit ans«  (de vie commune avec Damien) est répétée page 129 (pour 1993) et 133 (pour 1995)… _, patiemment _ tiens donc ! pourquoi ces efforts ? _ à  construire«  _ seule ?.. Pas au moins à deux ? Dominique a une conception bizarre de ce que pourtant elle s’obstine à nommer (comme cela se pratique tant, il est vrai), « un couple » : jusqu’au titre même de ce « récit«  !.. Et cette même patience unilatérale va se reproduire pour l’espèce de « couple«  qu’elle va essayer de former, dix ans durant, ensuite (de 1995 à 2005) avec Ariel (ou « D.« )…


« Qu’ai-je à reprocher _ sur la colonne du « passif«  ; en regard de la colonne de l’« actif«  : Dominique fait mentalement sa liste ; cf mon article « Un moderne “Livre des merveilles” pour explorer le pays de la “modernité” : le philosophe Bernard Sève en anthroplogue de la pratique des “listes”, entre pathologie (obsessionnelle) et administration (rationnelle et efficace) de l’utile, et dynamique géniale de l’esprit » sur le « De Haut en bas _ philosophie des listes » de Bernard Sève… ; la narratrice procède ni plus ni moins qu’à un calcul (d’intérêt) ! _ à Damien ? Rien, sinon quelque chose de profondément injuste : la déchéance physique que lui promet _ rien qu’à lui ?.. la narratrice a, elle, trente-neuf ans, alors… _ la proche vieillesse… _ quel cliché (de « d’jeun’ « ) ! et c’est un auteur de cinquante trois qui le profère : sans encore assez de maturation ?.. La « vieillesse«  n’est pas un état ! c’est un processus qui se « prend«  diversement : comme tous les processus..

 Avec un ou deux autres griefs _ dont, « de façon plus archaïque, plus obscure, moins avouable, aussi, d’avoir en partage avec moi un enfant qui n’a pas vécu« , page 133 ; « un bébé de plus de quatre mois« , a-t-elle déjà avancé, page 87 _ :

« Cela vaut-il _ c’est un calcul ! _ de rompre ? Certainement non, comme m’y enjoignent mes amies _ étrange configuration amoureuse ! Étonnez-vous alors des cafouillages ! Qu’est-ce donc, en ces cervelles-là, qu‘ »un couple« , ainsi qu’elles disent ? _, proprement effarées _ elles sont raisonnables, elles _ que je sois prête à tout détruire pour la seule contemplation _ à demeure, il est vrai… _ d’un visage« … _ page 133.


« Mais soudain

_ les décisions (affectives) de la narratrice ne manquent pas de brutalité : « avec cette brutalité qui caractérise souvent mes choix« , dit-elle à la page 52 de ce livre, au moment de décider de se faire lifter le visage ! mais ces malheureux « traits liftés n’y feront rien« , conviendra-t-elle presque aussitôt, page 55, quatre pages à peine avant la rupture définitive (qui adviendra en 2005) : la « désintégration« , cette fois irréversible, de « son » couple (à elle : l’autre _ Ariel ! cet ange décidément évanescent : aérien… _ n’en étant guère « partie prenante« , sauf dans les tout débuts, torridement érotiques : l’autre élément de ce « couple«  bancal prenant très vite l’« aspect« , en effet, d’« un gigolo«  _ « Mais c’est un gigolo, ton mec, ou quoi ? Il fout rien« , lui dira Vincent, un des « ex«  de la narratrice, qui l’aidera à faire bouillir la marmite, déjà, vers 1997-98, page 64… _ ; Ariel est, en effet, dix ans durant, de moins en moins « impliqué » ; il s’absente de plus en plus et en permanence : jusqu’à un épisode psychotique !) : un « couple« , donc, auquel il sera on ne peut plus facile de se « désintégrer« , vu qu’il n’a jamais réellement « fonctionné«  (car il s’agit bien là, avec ce concept-fantasme de « couple« , d’une « fonction » ; pas d’un amour !)… _

mais soudain, déraisonnablement, je choisis de brûler mes vaisseaux _ eu égard au vieillissant Damien _ : je donne rendez-vous à Ariel dans un café de la gare du Nord, près de chez moi _ « 89, Boulevard Magenta« La réponse, sur répondeur, ne tarde pas : Ariel vient au rendez-vous«  _ toujours page 133…

« _ Pourquoi êtes-vous là ?

_Parce que je vous aime. Depuis deux ans. Depuis que je vous ai vue entrer dans l’amphithéâtre.
_ …

_ Voilà. C’est simple.

_ Vous savez que j’ai trente-neuf ans ? Et vous vingt-cinq ? _ la scène a lieu en décembre 1995 _ Ça ne vous fait pas peur ?

_ Non.

Il a répondu très calmement. J’ai bu mon kir très vite, comme pour m’étourdir. Je le regarde en silence. Toujours ce visage, dont je ne veux plus, ne peux plus, être séparée _ un visage, ça se regarde _, au-delà de toute rationalité.

L’espace de quelques minutes, je me remémore _ encore une liste de calcul, entre avantages et inconvénients… _ Damien, la vie douce que je mène avec lui, la stabilité _ apparente _ de notre couple _ voilà : des habitudes à peu près installées ! Mais soudain, avec la violence qui caractérise toujours mes choix amoureux _ une expression bien significative : cf plus haut la citation de la page 52… _, je lance la question qui va sceller mon avenir :

_ Vous m’accompagnez chez moi ?

_ Oui.
Damien est parti en reportage, l’appartement est vide
« 
_ de lui, au moins ; pages 134-135.

Le lendemain : « J’écris un mot bref, d’une cruauté sans nom _ voilà ce que c’est que de ne pas aimer ; et de ne jamais, non plus, commencer à l’apprendre… _, à Damien : « J’ai rencontré un homme. Cet homme compte _ voilà ! _ définitivement pour moi. Je te quitte ». Et je rejoins Ariel à Puteaux. Il m’a laissé les clefs de l’appartement : je m’y installe pour achever un essai« … _ page 135.


« Tout quitter pour un visage, pour une image _ voilà : fantasmatique _, puisque d’Ariel je ne sais rien, ou si peu _ voilà ! Aucun contexte ! Rien que cette focalisation fétichiste !

Vertige de ce choix, qui demeure comme l’impensé de mon histoire«  _ fin du chapitre chronologiquement le premier (1993-1995), placé en quatrième position : après les trois chapitres consacrés aux trois (ou quatre) domiciles (car deux, en fait, et pas un seul, à Puteaux : le temps d’une brève séparation, la narratrice emménage, avec sa fille, Salomé, « rue Lavoisier« , page 26, puis d’un retour au domicile conjugal, « 69, avenue du Général de Gaulle« , page 30 : à peine « trois mois« , page 28…) en clôturant le livre…

Soit l’histoire de la dégringolade

_ de domiciliation en domiciliation s’éloignant progressivement du cœur même de Paris, et découvrant bien vite, mais trop tard (page 62, dès les premiers jours de 1996, en recherchant où se loger avec Ariel) :

« me reviennent, comme par flashes _ et mêlées d’un regret que je ne peux plus me cacher _, les images de l’immense appartement haussmannien _ voilà ! _ que j’occupais avec Damien : cinq vastes pièces au parquet centenaire, aux murs hauts, si hauts, aux somptueuses moulures et aux miroirs en enfilade… J’étais faite _ voilà ! voilà ! _ pour cette vie-là » ;

avec cette conséquence, déjà, alors qu’Ariel et elle ne se sont pas encore installés chez un véritable « chez eux«  : « et j’en voulais soudainement à Ariel de ne pas être en mesure _ et il le sera de moins en moins ! d’année en année, et de domicile en domicile (conjugal) _ de me la procurer« , « cette _ belle _ vie-là« , donc !.. _

soit l‘histoire de la dégringolade _ ainsi que l’art de la déglingue : tant face au principe de réalité que face à ce que peut être (en vérité ! et honnêteté !) un véritable amour ! _ d’une normalienne, qui n’a pas vraiment compris ses classiques : notamment Marivaux…

Le site autofiction.org (concernant le répertoire de l’autofiction) d’Isabelle Grell nous révèle que E-Love va être porté au cinéma, pour la chaîne Arte…

Nul doute que Dominique Baqué va en éprouver une satisfaction…

Quant au prochain épisode de cette autofiction _ d’impeccables écriture et auto-lucidité a posteriori (au moins !) _ de Dominique Baqué,

constituée jusqu’ici, en remontant dans le temps de E-Love et de Désintégration d’un couple, jusqu’ici donc,

ainsi que l’envisage avec sa coutumière finesse et acuité d’esprit Yves Michaud, en son excellentissime article la cougar qui ne pouvait pas grandir,

il pourrait concerner peut-être,

probablement même,

et toujours en « remontant » un cran plus amont,

sinon l’histoire des « partenaires » (de « couples » !) précédents de Dominique Baqué

_ puisque le quinquagénaire Damien, avant Ariel, était « pensé« , en 1993-95 comme, probablement, « le dernier homme« , au terme d’une certaine (indéterminée) « série«  : page 129 ;

« série«  parmi lesquels, jusque vers 1987, le généreux (mais aussi toxicomane) Vincent _ cf pages 63 à 67 _, mais Vincent lui-même n’était pas présenté, alors, dans le récit, comme « unique«  de son espèce, avant Damien : « le dernier« , jusqu’alors…

du moins le récit de sa propre filiation :

celui des rapports avec ses parents,

et notamment son père : qui la vient secourir régulièrement

au moment de payer ses impôts ou de régler les dettes de son « ménage« , bancal et dispendieux… 

C’est probablement l’empirisme d’Yves Michaux,

et sa curiosité on ne peut plus probe, quasi sévère, pour « les faits« ,

qui lui fait se pencher avec cette belle qualité d’attention

et de lucidité !

sur les mésaventures affectives d’une normalienne, brillante agrégée de Philosophie,

et plasticienne bien reconnue et appréciée sur la place…

Titus Curiosus, ce 26 avril 2010

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