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Qu’il y a couples et couples : sur « L’Art d’aimer » d’Emmanuel Mouret (suite de la méditation sur l’amour vrai, versus l’angoisse _ et aussi le déni et l’anesthésie _ de son absence…)

21avr

En méditant sur la réalité-vérité (versus l’apparence-illusion-mirage ! ) des couples vrais du passionnant film-comédie L’Art d’aimer d’Emmanuel Mouret, c’est-à-dire Zoé-Jérémie, Vanessa-William, Emmanuelle-Paul, et peut-être, et même surtout (!) _ si nous assistons bel et bien, les 80 minutes de ce film, à la naissance-éclosion (oui !) de tels vrais couples : ce qui sera ma thèse ! _ Achille-sa voisine, et, plus encore, Isabelle-Boris,

versus le faux couple, lui _ anesthésié ! _, d’Amélie-Ludovic (en dépit de l’incapacité tenace d’Amélie à l’infidélité, mais pour des raisons étrangères _ même si elle n’en a pas bien conscience _ à l’amour !..),

il me faut ici méditer et approfondir ce qui fait la particularité de la série _ à variations ! et son découpage en séquences… _ des premiers, les vraies relations d’amour,

face au contre-exemple du second, le fait social du couple (en son anesthésie semi-volontaire)…

_ existe encore le cas de l’angoisse de l’absence d’un tel amour vrai : celle qui, en ouverture des variations du film, taraude (et peut-être tue prématurément) Laurent, le compositeur, qui désirait en vain aimer vraiment, en désespoir de la bonne rencontre !..

Mais angoisse d’absence qui affecte aussi ceux des personnages en mal, plus ou moins conscient, de cet amour vrai ! Telle la patiente et réservée Isabelle. Et même l’adorable voisine d’Achille… Qui ne cultive jamais, aujourd’hui, le rêve secret de son prince (ou princesse) charmant(e) ?…

Ou encore ce qui distingue _ au-delà d’une doxa que l’on pourrait qualifier grosso modo « de gauche«  _ la générosité vraie d’une Zoé (à prêter son Jérémie _ in la séquence 1, « Il ne faut pas refuser ce que l’on nous offre«  _ à son amie Isabelle _ afin de lui « faire un petit peu du bien«  ; car « on peut faire du bien à quelqu’un même si on est amoureux d’une autre personne : c’est ça la bonté, la générosité, l’amitié en quelque sorte…«  _)

de l’incapacité à la générosité, précisément ! _ en dépit de ses intentions exprimées, et en dépit, ou plutôt à cause de ce que l’on pourrait nommer, symétriquement, une doxa grosso modo « de droite« … _ _, d’une Amélie à l’égard de son ami Boris, et par rapport à son cher (et pas si tendre que cela…) époux, le très, très, trop affairé Ludovic _ in la séquence 3, « Il est difficile de donner comme on le voudrait«  ; et la (très remarquable) interprétation distanciée d’un Ludovic « ailleurs«  par Louis-Do de Lencquesain, est parfaite !)…

Et encore ce qui distingue la force (à toute épreuve !) d’un amour vrai _ le film teste ainsi la force des amours de Vanessa et William (in la séquence 7, « Arrangez-vous pour que les infidélités soient ignorées« …), ainsi que celle d’Emmanuelle et Paul (in la séquence 6, « Sans danger, le plaisir est moins vif« …), à défaut de mettre à l’épreuve la force de celui de Zoé et Jérémie : nous n’y assisterons pas ici ; les deux autres exemples devant suffire à l’exposé… _,

versus la fausse force _ celle de l’incapacité d’Amélie à sortir de sa fidélité seulement convenue (de bourgeoise bon chic bon genre) à son Ludovic de mari… _ du non-amour _ un amour de couple conventionnel seulement… _ d’Amélie et Ludovic..,

c’est que dans le cas des amours vraies

où s’entend sonner clair et fort la fameuse « musique particulière » _ ou plutôt « singulière«  ! _ « au moment où l’on devient amoureux » _ mais ensuite aussi, et c’est là sa puissance ! ; en particulier au moment des « épreuves« , ou aussi des « expériences«  ! _ évoquée par la voix-off (de Philippe Torreton _ pour nous donner à entendre, non sans beaucoup d’humour, la voix forcément grave du point de vue, surplombant, de Sirius !.. _) à propos de l’absence d’amour un tant soit peu vrai et substantiel

_ n’allant guère plus loin hélas, dans le cas du malheureux (bien que beau : trop beau ?..) compositeur Laurent  : un romantique !, que quelques minces « bribes« , ou ersatz, d’amour ; et qui n’ont donné lieu, en le travail de composition du musicien que celui-ci est, qu’à « deux-trois notes » ou « à peine plus…«  de musique, au lieu de la pleinement belle  « mélodie«  ardemment espérée et attendue mais en vain de lui en sa trop brève vie… _ ;

à propos de l’absence d’amour un tant soit peu vrai et substantiel,

absence douloureusement ressentie de la part du compositeur Laurent, en la séquence 0 d’ouverture du film, « Il n’y a pas d’amour sans musique » ;

c’est que dans le cas des amours vraies, donc,

c’est à de parfaites singularités _ et parfaitement identifiées comme telles, en leur épanouissement-éclosion, une fois extirpées de la nécessaire chrysalide commune de départ : absolument irremplaçables, non plus qu’interchangeables ! dès lors… _, que nous avons à faire : celles de vraies personnes absolument uniques ; et qui, via la puissance de l’amour pleinement et frontalement éprouvé et ressenti, sont fort bien engagées sur la voie (radieuse) d’accomplissement et épanouissement de leur être _ en cet élan de joie dont, en son Éthique (= « art de vivre et s’épanouir« …), Spinoza affirme qu’il témoigne lumineusement qu’alors, en lui , « nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels«  ; j’y reviendrai !

Personnes singulières, qui adviennent ainsi et se révèlent à elles-mêmes comme à l’autre, par cette métamorphose (amoureuse), grâce à la chance insigne _ de fait pas forcément très courante : une grâce !.. _ de s’être rencontrées et avoir su _ ce qui ne va pas non plus de soi : cela s’apprend, et seulement sur le tas… _ se reconnaître (et ne pas se manquer !), et puis, assez vite, s’entendre à merveille : en cet amour vrai !

A côté des rebondissements syncopés _ à la vitesse de l’art de la comédie tout en élégance (à la Marivaux…) d’Emmanuel Mouret ! _ des péripéties de l’apprentissage de la découverte de « la complexité de (leurs _ peut-être… _) sentiments » par Achille et son adorable à la fois simple et un peu compliquée voisine,


j’en prends pour principale (et magnifique !) illustration,

les paroles lumineusement significatives de Boris à celle qu’il prend encore pour son amante (de dans le noir), Amélie, à la suite de ses deux premières séances d’amour dans le noir à l’hôtel West-End, avec celle qu’il ne sait pas encore être Isabelle _ une parfaite inconnue de lui jusqu’ici ! _ :

« La première fois, je ne voulais pas y croire !

Mais tu _ Boris confond avec son amie Amélie celle qu’il a tenue dans ses bras deux fois à l’hôtel, dans le noir, et qu’il ne sait donc pas encore être Isabelle (qu’il n’a, de plus, jamais vue, de ses yeux vue, jusqu’ici) ; et Amélie n’a pas encore essayé de les mettre en présence visuelle, cette fois, l’un de l’autre (mais sans leur annoncer qui est l’autre !) à ce moment ; ce qu’au constat de l’évolution ultra-rapide et ultra-envahissante de Boris, elle va tenter très bientôt à deux reprises : à la librairie de Boris, Passage Verdeau, d’abord ; puis lors d’une réception d’amis (nombreux), à son propre domicile… ; mais sans que jamais Boris et Isabelle se plaisent le moins du monde, en se regardant à peine l’un l’autre, les deux fois !) _ ;

mais tu es amoureuse autant que je le suis ; je le sais, j’en ai eu deux fois la preuve (incontestable ! dans la chambre d’hôtel dans le noir !). Il ne peut pas exister une si parfaite (c’est tout dire !) complicité (telle que jouie par les deux partenaires du noir) si elle n’est pas partagée. Ton corps, ta peau, tes gestes  (de dans le noir) m’ont dit (sans nul besoin de mot ni parole d’aucun des deux) que tu _ Boris ignore encore qu’il s’agissait d’Isabelle ! _ m’aimais ! Il faut se rendre à la raison ! Ludovic s’en remettra ; et nous, nous n’avons plus un instant à perdre !« 

La fameuse musique de l’amour a donc bel et bien retenti, pour Boris et celle _ il était bien forcé de s’en rendre compte !.. _ qu’il tenait dans ses bras à l’hôtel, dans le noir et sans parole !!! Alleluhia !!! Joie !!!

Et Boris de balayer alors, dans l’élan irrésistible _ d’autant que Boris est quelqu’un de très retenu et d’une politesse parfaite ! _,

et Boris de balayer alors, dans l’élan irrésistible de son absolu (tout frais et tout neuf) enthousiasme amoureux _ la chose est proprement « magique » !, selon le mot de Boris lors d’une conversation précédente avec Amélie : avec son ancienne compagne, Marie, « ils s’entendaient bien, mais sans plus… Ce n’était pas magique«  !.. _, les réticences persistantes de la pauvre Amélie, qui non seulement n’est pas celle des séances de dans le noir, mais n’a _ surtout _ jamais entendu retentir semblable musique de sa vie !


Et non seulement Amélie ne connaît pas cette musique, mais elle est à mille lieues du soupçon de sa réalité !

Et il est probable qu’elle ne prendra pas conscience de son ignorance de cela ! : « n’est-elle pas« , selon son expression de satisfaction à Boris, « en couple«  ?..

Tout au plus, Amélie a-t-elle avoué se sentir travaillée par quelque chose comme une « insatisfaction« … : « J’ai l’impression que ma vie manque de sens. (…) J’aimerais donner… » ; elle ne se rend tout simplement pas compte _ elle n’est pas la seule ainsi en ce monde… _ que c’est d’amour vrai que sa vie manque ! ; et la bourgeoise bon chic bon genre qu’elle est (et continuera d’être probablement toujours), n’en prendra vraisemblablement jamais conscience !!! ;

Et Boris de poursuivre l’exposé enthousiaste _ à une Amélie proprement éberluée (alors qu’elle est censée en avoir le savoir le plus brûlant ! de ce qu’elle a partagé dans la singulière expérience de dans le noir !..) de l’évolution d’une situation qui complètement lui échappe ! _ de sa propre révélation-illumination amoureuse : « Rien ne passera ! Ce qui nous arrive _ Boris croit forcément s’adresser à sa partenaire de dans le noir à l’hôtel ; ne sachant ni ne soupçonnant bien sûr pas qu’il s’agissait d’Isabelle !, totalement incapable de pouvoir s’imaginer avoir eu à faire à un coup fourré d’Amélie et à une substitution de personne !!! (comme chez Feydeau, Goldoni, Marivaux, Shakespeare, Plaute…) _ ;

 Ce qui nous arrive est unique ! Je n’ai jamais ressenti ça !  _ avec aucune de ses compagnes, ce n’avait été ainsi « magique«  !..

Pourquoi laisser le temps filer ? Je ne peux plus me passer de toi ! Je n’ai plus envie de rien d’autre que de nous ! Je ne vais pas te laisser une seule seconde de répit, mon amour ! _ dit-il à celle qu’il prend pour sa partenaire de dans le noir à l’hôtel  West-End Le seul repos _ capable d’apaiser, non pas le désir ou la pulsion sexuels, mais bel et bien le transport de l’amour vrai ! _ que l’on peut trouver maintenant, c’est chacun dans les bras de l’autre !« … _ et qu’est donc l’amour si ce n’est ce désir permanent de la présence absolue, et de jamais assez près, de l’autre ?!..

Ce qu’Amélie, aux abois de la tournure que prennent ces choses qu’elle ne contrôle pas du tout !, rapporte très vite ainsi à Isabelle : « Écoute, je ne sais pas ce qui s’est passé entre vous _ deux _, mais (le résultat des séances dans le noir à l’hôtel est que désormais) il est persuadé que je suis _ en fait que tu es, toi, Isabelle ! _ la femme de sa vie !..« 

Quant à apprendre d’Isabelle ce que cette dernière ressent de cette nouvelle _ et tout de même scabreuse ! pour elles deux, comme pour l’inconnu de dans le noir… _ situation _ dont cependant le double anonymat des deux partenaires de dans le noir, continue pour le moment de les protéger, elle, Isabelle, comme lui, Boris, de trop fâcheuses suites ! _, Amélie _ bien moins intime avec Isabelle qu’elle ne l’est avec son « meilleur ami«  Boris _, n’en tirera rien ;

d’autant qu’Isabelle demeure complètement persuadée, que le comportement dans le noir de l’inconnu sans nom _ qu’elle voudrait, à certains égards, continuer de n’être pour elle que « le meilleur ami d’Amélie«  ; en luttant contre une autre part d’elle-même pour ne pas le considérer autrement que cela… _, ne s’adresse en rien à elle-même, Isabelle (puisque cet inconnu ne la connaît pas, ne l’a jamais ni vue, ni entendue ! et est dupe du subterfuge de la substitution…), mais seulement à l’Amélie que l’inconnu croit que sa partenaire du noir est !!!

Comme dans la dramaturgie de Marivaux, ou dans celle de Shakespeare _ sinon celle de Feydeau, voire de Musset, selon le topos de l’Amphitryon de Plaute… _, la comédie des masques (et des erreurs !) fonctionne à plein dans le cinéma jubilatoirement drôle _ et diaboliquement tiré au cordeau ! _  d’Emmanuel Mouret !..

Isabelle est néanmoins fort troublée de cette tournure à tous égards surprenante des choses : prise qu’elle est entre sa terrible timidité foncière, et l’agrément que toutefois aussi, elle ne peut s’empêcher de constater, bien sûr !, qu’elle y prend, et dont son partenaire du noir se rend, lui aussi, mieux que compte !..

Isabelle, en effet, ne sait pas trop comment interpréter et mettre au clair ce qu’elle ressent de ces séances dans le noir, même si elle se rend à ces séances de plus en plus jubilatoirement, comme l’image sur l’écran _ et, comme celui, entre retenue de l’homme bien élevé et réjouissance jubilatoire qui finit par transpirer et éclater, du Boris du magnifique Laurent Stocker, le jeu mi-contrit, mi-réjoui de l’Isabelle de la stupéfiante Julie Depardieu, est absolument délicieux ! _ ;

comme l’image sur l’écran nous le montre épatamment bien ! Car Isabelle, ainsi troublée, est aussi très loin d’être une dévergondée matérialiste purement cynique…

Et c’est de la surprise de l’amour vrai _ comme dans le théâtre parfait de Marivaux _ qu’il s’agit bien ici, en ce cinéma parfaitement épatant d’Emmanuel Mouret !

Jusqu’à l’épisode conclusif _ et plus encore climax grandiose ! _ de la  rencontre par hasard, lors de la fête d’anniversaire de Zoé _ chez Zoé et Jérémie : la séquence 9 bouclant le fil de l’intrigue ouvert par la séquence 1, celle du rêve (avec Zoé, en forêt) d’Isabelle, suivi de la conversation consécutive entre Isabelle et Zoé (dans Paris), quant à l’absence d’amour depuis un an d’Isabelle… _ ;

Jusqu’à l’épisode conclusif de la rencontre par hasard _ et retrouvailles : ni l’un ni l’autre (encore sous le choc des conséquences du subterfuge tramé par l’ingénuité niaise d’Amélie, et de l’accident de sa mise au jour !) n’avait cherché à se revoir… _ d’Isabelle et de Boris ; car cette fois-ci, et pour la toute première fois, chacun des deux, Isabelle comme Boris, sait qui est l’autre !!!

Et leur compréhension-parfaite-entente _ mettant à profit une courte panne d’électricité ! : une ultime fois dans le noir !!! _ sait parfaitement se passer alors de paroles…

Fin du rapport sur ce qui advient du retenu Boris et de la très timide Isabelle, en les péripéties de la succession de leurs rencontres (dans le noir)…

Maintenant, et sur le fond des choses, comment distinguer l’amour vrai (de ceux qui entendent bien distinctement la « mélodie » de sa musique…),

de l’absence d’amour (ou, pire, de l’illusion d’amour) de ceux qui ne l’entendent pas, ou, sinon, seulement deux-trois « bribes » de-ci de-là ?

Quel statut, ainsi, donner aux déclarations de la directe et délurée, mais aussi amoureuse vraie de Jérémie, Zoé,

comparant l’acte de chair _ afin de « faire un petit peu du bien«  à un autre ?.. _ à un massage un peu plus généralisé que le massage d’un kinésithérapeute, soit « un massage qui ne fait pas qu’avec les mains« , mais sans avoir « besoin d’être amoureux d’un kinésithérapeute » ?

S’agit-il là seulement d’une technique (pouvant s’apprendre en suivant mécaniquement un mode d’emploi ou une recette) thérapeutique ? _ il est vrai que la lucide Zoé distingue fort clairement le partage volontaire, dont on peut être fier, de ce qui « fait du bien«  de de ce qui se pratique en catimini « dans le dos«  de la compagne, et suscite, de fait, la jalousie…

Ou bien d’un « art » : un « art d’aimer » ?..


A tout le moins le passage à l’acte semble être ici une voie d’accès possible, sinon inévitable, à l’amour vrai (et à sa « mélodie« …)  : ce serait là ce qui pourrait se déduire de l’exemple des péripéties de la rencontre et de la relation entre Achille et son adorable et affriolante voisine, laquelle prône aussi (et au nom d’un certain « sacré » : elle prononce avec une touchante fraîcheur ce mot…) une certaine « retenue » _ et à l’inverse de trop de « légèreté«  _, du moins provisoirement… Comme en préambule et approches préalables, de (ou à) l’exemple principal ici, en la comédie de ce film, de l’aventure « dans le noir » d’Isabelle et Boris…

..

Et que penser de la comparaison que le rêve d’Isabelle prête à la figure _ fantasmée ? ou pas ?.. _ de son amie (« de gauche« ) Zoé, entre l’échange monétaire et l’échange de services sexuels ou/et amoureux ?.. :

« On paie bien des impôts à la communauté afin d’aider les plus pauvres… Pourquoi on ne prêterait pas son compagnon à celles qui _ célibataires _ en sont démunies ?..« 

Le partage des gestes physiques de l’amour est-il assimilable à la redistribution, par solidarité bien comprise, des ressources financières, aux nécessiteux ?..

Si l’argent peut être défini comme « l’équivalent général des marchandises« ,

l’amour _ et lequel ? seulement la réalisation des pulsions de la Libido ?.. _ est-il lui aussi redistribuable et partageable, non pas même selon les particularités (plus ou mois partagées en une population donnée) des personnes, mais étant donnée l’absolue et irréductible singularité _ du moins quand singularité effective et vraie il y a ! _ de celles-ci ?.. Tout est là !

Même si Zoé, assurément, sépare et distingue qualitativement, l’amour vrai _ et son unique musique, si « singulière«  (plutôt que seulement « particulière« …) !!! _ de la simple gymnastique des « massages qui ne se réduisent pas aux mains » et « font un petit peu du bien«  _ rien que, même si c’est nécessaire et « hygiénique« , pour la santé du corps biologique… 

A relier encore au comportement de cette autre amoureuse vraie (de son compagnon William), qu’est la jeune Vanessa,

qui, amusée (« il a tellement de désir pour moi que ça me donne envie« ), veut bien se prêter à une brève et unique expérience sexuelle (« légère » !), avec son collègue de travail si empressé, Louis, qui doit partir le lendemain pour le Brésil, tant qu’il ne s’agit entre eux que de choses « légères » : « Tu me plais bien ; et voilà tout ! » ; « Je pensaisdit-elle à regret de leur malentendu, à Louis, en lui signifiant son impossibilité de poursuivre l’aventure _ qu’entre nous, ce serait simple et léger« …


Mais Vanessa interrompt net l' »expérience » dès qu’elle s’avise que Louis est bel et bien tombé amoureux d’elle : « Je ne savais pas que tu étais amoureux ; sinon, je ne serais pas venue. Non, maintenant que je sais que tu m’aimes, ce n’est plus possible !« … Et cela, lui répond-elle encore, « parce que je suis amoureuse » (vraiment) : de William… C’est en effet là un absolu qui n’est pas négociable et dont je dirai _ à la Spinoza : « sub specie æternitatis«  _ qu’il a bel et bien une très effective « dimension d’éternité« …

Et tant pis pour le malheureux Louis éconduit : « Je t’aime, Vanessa. Je t’aime depuis la première seconde où je t’ai vue. C’est comme si je t’avais reconnue, comme si je t’attendais depuis toujours« . Et Louis de commenter sa situation, et de plaider encore sa cause : « Je sais que ce genre de chose n’arrive qu’une seule fois dans une vie« … Mais justement ! Il y a là incompatibilité absolue…

Car indépendamment de sa situation temporelle, tout amour vrai a très effectivement dimension d’éternité,

tellement que rien ne peut et ne pourra jamais affecter son irréfragable consistance, et faire comme s’il n’avait jamais été !!!

Voilà un aspect de sa formidable puissance… Face au temps, à la mort et au néant, l’amour vrai dispose d’un pouvoir de consistance absolue et d’irréversibilité sans égal…

Même si beaucoup n’accèdent jamais, de fait, à ce savoir _ toujours particulier, et même singulier ! _ d’expérience…

Alors, pouvons-nous séparer d’un trait-fossé infranchissable, à la coupure franche et sans rémission,

les amours vraies,

des illusions d’amour et des absences d’amour ?..

Et que faire de _ et comment les situer ?.. _ ces « bribes » d’amour parfois éprouvées _ comme par le compositeur Laurent, ici dans le film _, incapables cependant de donner lieu à une vraie, consistante et vraiment belle, « mélodie » ?..

De celles qui expriment _ et donnent à la réception de leur expression, en et via une œuvre (musicale, poétique, ou autre…) d’Art : le film nous le donne à contempler avec les images de ce que ressentent certains des auditeurs au concert de musique de Laurent, à l’ouverture du film… _, en l’irradiant, de la joie…

Ou bien, est-ce, à son tour, s’illusionner, que de penser-croire entendre résonner pareille « mélodie » amoureuse ? là où tant d’autres, se contentant de relations « légères« , ludiques, ou au moins « hygiéniques« , n’entendent jamais _ ni n’aspirent même pas à entendre quelque jour, réalistes matérialistes (et pratiquant le rasoir d’Occam) qu’ils sont… _ pareille musique ?

A l’instar du pari de l’existence _ et non mirage ! _ de pareilles vraies mélodies amoureuses par Emmanuel Mouret en la comédie de son film, dont c’est là le fil rouge,

et à contrepied des minimalismes cyniques,

j’applaudis à mon tour à cet article de foi qui s’expérimente

très effectivement dans le cas de certains ; mais jamais, dans le cas d’autres

qui ne l’expérimenteront donc pas !…

La prise de conscience plus ou moins progressive, ou instantanée _ cela pouvant beaucoup varier ! _, des sentiments, et de leur « complexité » (selon la juste formule de la quête de la voisine d’Achille recherchant un livre sur ce sujet dans la librairie de Boris, Passage Verdeau),

demande, pour être effectivement activée _ et non déniée et anesthésiée, comme dans le choix d’existence confortable d’une Amélie… _ de la probité, à tous égards,

et un effort intense et courageux de clarification des opérations de la conscience

_ opération à laquelle l’Art, quand il en témoigne du détail, peut nous initier _ ;


ce qui à la fois requiert une lucidité dans l’aventure de la nouveauté la plus déstabilisante et de la fraîcheur, toujours d’abord perturbante pour le confort, de l’instant,

mais aussi une capacité de progresser dans l’évolution (ou histoire) de la relation affective

à travers l’évolution, parfois  bouleversante, des situations…

Il me semble aussi que de très effectifs seuils existent,

et qui ne sont pas de purs mirages ou illusions, plus ou moins théâtralisées, comme le penserait un empiriste tel que un David Hume.

Pour ma part, je préfère la foi  vitaliste et rationaliste d’un Spinoza, avec son affirmation que notre existence d’humains temporelle (et par là mortelle, parmi les espèces sexuées, qui ne se perpétuent qu’à travers le renouvellement et remplacement des générations) comporte aussi, et vitalement tissée à elle, une dimension d’éternité.

Cette dimension d’éternité de l’existence humaine temporelle _ vivante, et par là même mortelle ; même si, comme le rappelle fort justement Spinoza, « la philosophie est méditation de la vie, non de la mort«  ! _,

cette dimension d’éternité, donc,

seul la sent et l’expérimente

et apprend à la connaître en profondeur

celui qui sait en prendre progressivement _ c’est-à-dire peu à peu et avec patience ! _ mieux conscience (au lieu de la fuir : dans le déni de l’anesthésie)

et en approfondir sa connaissance par la réflexion et la méditation

vaillantes, courageuses

et un minimum aussi _ sans jamais en exclure la fondamentale dimension d’humour ! _ sérieuses.

Alors que » l‘ignorant » ne sait pas _ et n’apprendra, bien sûr !, jamais à _ donner consistance à son existence qui passe (et fuit ; et va mourir, comme toute autre…),

« le sage« , lui, réussit à avancer dans la connaissance de sa nature, en l’éventail large de ses potentialités disponibles, et leur vocation à se réaliser effectivement ;

et il accède à leur épanouissement…

Ce dont vient lui donner l’assurance (éminemment sensible), le sentiment _ actif _ de la joie à distinguer de la passivité du couple, seulement mécanique, lui, du plaisir et de la douleur !!..

A terme, Spinoza nomme cela, la « béatitude« …

Et c’est cette musique-là

que la comédie virevoltante de L’Art d’aimer d’Emmanuel Mouret, vient parfaitement figurer cinématographiquement

dans la batterie syncopée de ses très jouissives variations…

Titus Curiosus, ce 21 avril 2012

Emmanuel Mouret : un Marivaux pour aujourd’hui au cinéma

17août

Sur le DVD d' »Un baiser, s’il vous plaît ! » d’Emmanuel Mouret,
disponible ce mois d’août (chez TF 1 Video), huit mois tout juste
après sa sortie au cinéma, le 12 décembre 2007.

Un chef d’œuvre gourmand d’une comédie américaine au meilleur d’Hollywood
_ des années trente et quarante, à la Frank Capra, par exemple, ou à la Billy Wilder _
dans l’esprit (étincelant) d’une légèreté grave
_ et tellement rapide (sans une once de graisse, épaisseur et lourdeur) _
à la Marivaux !

soit _ Marivaux _ le sommet de l’esprit français
au moment de l’apogée, peut-être,
d’une « Civilisation des moeurs« 
(selon l’expression de Norbert Elias : le livre _ important _ de ce titre
étant la traduction française de « Uber den Prozess der Zivilisation » (1ère édition en 1939, 2de édition en 1969
_ toutes dates on ne peut plus éloquentes !!! _
parue aux Éditions Calmann-Lévy en 1973, puis en Livre de poche, collection Pluriel, en 1977) ;

au moment de l’apogée d’une « civilisation des mœurs« , donc, à la française
(lire, par exemple, le très éclairant et jouissif « Quand l’Europe parlait français » de Marc Fumaroli
_ aux Éditions de Fallois en octobre 2001 _) ;


Un chef d’œuvre gourmand, donc, que ce film, à la Marivaux
pour notre XXIème siècle,
un peu « déboussolé »

_ comme le fut aussi ce XVIIIème (de Marivaux : 1688-1763),
qui allait rouler jusqu’à perdre ses têtes :
dans les paniers de sciure placés, pour les re-cueillir, au pied du couteau ensanglanté des guillotines… :
soit, Marivaux
avant Laclos (1741-1803 : « Les Liaisons dangereuses » paraissent en 1782)
et Sade (1740-1814)…


Interroger là-dessus la passionnante et délicieuse tout à la fois Chantal Thomas
_ se précipiter sur son merveilleux « Chemins de sable _ conversation avec Claude Plettner« , aux Éditions Bayard en 2006,
puis Points-Seuil en février 2008 _
dont j’ai lu, avec curiosité pour sa fascination pour Sade, plusieurs de ses titres « sadiens »
_ dont « Sade« , dans la collection « Écrivains de toujours« , aux Éditions du Seuil en 1994 _,
avec étonnement, et au final, encore perplexité…,
jusqu’à lire, au détour de quelque article
_ à moins que ce ne soit confier au détour d’une question (d’Olivier Mony) lors de sa récente présentation (à écouter), le 7 mars dernier, à la librairie Mollat, de son excellent, lui aussi, « Cafés de la mémoire » (paru aux Éditions du Seuil en février 2008) _
que, ayant à rédiger quelque article (ou préface) à propos de Sade,
elle ne savait pas _ pas vraiment _ elle-même, ainsi au pied du mur, quelle en allait être précisément la teneur :
soit une parfaite illustration de la justesse et honnêteté (ou parfaite « qualité d’âme« , en ses exigences) de l’auteur, garante de sa vérité (et propre justesse) : merci, merci, Chantal Thomas…


Lire d’elle en priorité, donc, le bref et incisif et merveilleux _ un enchantement rapide (en temps de lecture) et durable (en retentissement) ! _ « Chemins de sable » (disponible depuis février 2008, aussi, en Points-Seuil)…

Revenons à cette petite merveille, dans ce même ordre du bref, de l’incisif, du merveilleux, dans le meilleur de l’esprit et grâce (de la « conversation à la française«  _ que j’abordai dans mon article de présentation de ce blog, « le carnet d’un curieux » _ ;
et ce n’est pas pour rien que ce film, « Un baiser, s’il vous plaît !« , donc,
repose pour pas mal ou beaucoup sur la vivacité et le rythme _ prestesse et élégance _ de ses dialogues :
à la Pagnol et à la Guitry, encore, après Molière et Marivaux, si l’on veut) ;

revenons à cette petite merveille qu’est le dernier opus, « Un baiser, s’il vous plaît ! » d’Emmanuel Mouret,
le cinéaste marivaldien, ou, carrèment, et plutôt, le Marivaux du cinéma de ce début de XXIème siècle
_ et ce n’est sans doute pas tout à fait sans signification que ce soit TF 1 Video qui publie cette petite merveille (de champagne) de comédie cinématographique !!! _ ;

Emmanuel Mouret,
le Marivaux donc, au cinéma, en 2007-2008, de ce nouveau siècle qui se découvre
_ le siècle ! _,
en sa spécificité
(existentielle, sentimentale et sensuelle _ ou sexuelle _) :

on s’esbaudira tout particulièrement à la séquence-tournant de l’intrigue virtuose, et sans avoir jamais l’air d’y « toucher«  :

cela étant une leçon, toute classique, tirée, par exemple et d’abord, de Molière : que l’art efface toujours la moindre trace d’effort !… pour le roi _ commanditaire (et pressé) ; et qui se fait, lui, une « politesse » de sa « ponctualité » _,

tout doit être tout le temps _ en matière de « représentation » ; et c’est une question, en Art comme dans le reste, de « rhétorique » : lire ici l’important « L’Âge de l’éloquence » de Marc Fumaroli _ ;

tout doit être tout le temps, donc _ on n’est ni dans Brecht (« L’Opéra de quat’sous« ), ni dans Rossellini (« La prise du pouvoir par Louis XIV« ) : eux mettent le projecteur sur toutes les ficelles de la « mise en scène » ; jusque dans la vie quodienne, dirait Stanley Goffman (« La Mise en scène de la vie quotidienne« , aux Éditions de Minuit) _ ;

tout doit être tout le temps d’une stricte « évidence » : que d’autres en prennent de la graine !.. ;

on s’esbaudira tout particulièrement à la séquence-tournant (de l’intrigue), donc _ j’y viens ! _, dans laquelle le personnage (de nigaud) de Nicolas _ c’est (la très belle) Judith qui, au présent du film, « raconte«  au (très beau) Gabriel « ce » que (nous ne le saurons qu’à la fin) son mari lui-même, déjà, lui « a raconté » de ce qui est advenu de Nicolas, de Judith et de Claudio (ainsi que de Caline : la troisième « fantôche » de ce « récit«  !… _ ;

on s’esbaudira tout particulièrement à la séquence-tournant (de l’intrigue), donc, dans laquelle le personnage de nigaud (moderne) de Nicolas _ qu’incarne (à la perfection) Emmanuel Mouret, en acteur aussi ici lui-même (de lui-même auteur) : ici, je me permets de renvoyer au dernier chapitre, intitulé « L’auteur, l’acteur, le spectateur » de Marie-José Mondzain en son très important (pour comprendre ce qui nous advient en fait de « culture de l’image » maintenant) « Homo spectator » (aux Éditions Bayard, en octobre 2007)_ ;

dans laquelle le personnage de nigaud (moderne) de Nicolas, donc, essaie de dire au personnage de nigaude (moderne) de Judith sa frustration d' »affection physique«  (sic), depuis que sa « compagne-copine » _ = son « ex« , comme il se dit si bien, en cette ère de la « précarité » généralisée) _ l’a _ sans drame aucun, bien sûr (of course) _ « quitté« , afin de saisir « ailleurs« , plus loin _ « à l’étranger » _, une « opportunité » professionnelle : « Louise avait trouvé une bonne proposition de travail à l’étranger » ;

sans que la caméra (et le montage et le scénario) s’y attarde(nt) si peu que ce soit :

ce mot (d' »opportunité professionnelle« ) très rapide du personnage _ peut-être « Louise«  (?), il me faudra « le«  re-visionnerdit presque tout de l’échelle des valeurs qui se répand et affecte (assez gravement, tout de même !) le « monde relationnel » _ car c’en est encore un, de « monde« de ces personnes (qui le sont, cependant, de moins en moins, sans le savoir, bien sûr, en fait ! elles-mêmes ; ce n’est guère conscient ! ;

et il me faudra interroger là-dessus l’auteur pour savoir comment lui-même se représente à lui, le premier, tout cela, que montre _ et c’est là l’essentiel ! _ si lumineusement son film !…) :

cette séquence-tournant de l’intrigue, dans laquelle Nicolas confie à son amie-confidente Judith son « manque » d' »affection physique« , constitue, pour le spectateur que nous sommes, un étourdissement de régal !

comme « c »‘est magnifiquement saisi par le cinéaste-scénariste-dialoguiste, etc., que sait être, en le « faisant« , le jeune _ et déjà si riche d’expérience-observation si fines et si justes _ Emmanuel Mouret) ;

ce film est véritablement une grâce !!!

Emmanuel Mouret _ je reviens à l’expression base de ma phrase _, le Marivaux donc, au cinéma, en 2007-2008, de ce nouveau siècle qui se découvre _ le siècle ! _,en sa spécificité, donc (existentielle, sentimentale et sensuelle, ou sexuelle), à apprivoiser :

après la vivre un peu _ beaucoup _ passivement (tout va si vite !), cette « spécificité« -ci, au quotidien des jours qui se succèdent, filent et dé-filent à toute vitesse, nous assaillent, entraînent, mènent _ mine de rien violemment _ par le bout du nez, embarqués tous collectivement sur la même galère (socio-économico-politique de la « mondialisation« , pour le résumer vite) sur le pont de laquelle nous nous trouvons _ conjoncturellement (cf ici le clinamen de Démocrite et Epicure, et aussi Clément Rosset !) _ ;

et avec laquelle il nous faut bien, et tant bien que mal, « à la godille » en quelque sorte _ « Sauve qui peut ! » et « Dieu reconnaîtra bien les siens ! » _, « faire«  _ c’est davantage une con-jonction ! qu’une con-joncture !.. _, au fil des jours et des « rencontres » de ceux avec lesquels, volens nolens, nous partageons _ une affaire de « génération » : les couples n’étant pas vraiment interchangeables, comme cela semble finir par « s’avérer« ce voyage et ce séjour rapide qu’est une vie « humaine » !

pour encore (un peu : « Encore un instant ! monsieur le bourreau…« , a demandé sur l’échafaud même, Marie-Antoinette…) pas trop (encore) « non-inhumaine » ; à moins que cela ne s’aggrave, ou s’emballe, assez vite (cf ici Paul Virilio : « Vitesse et politique« , aux Éditions Galilée en 1977 ; ou, aux mêmes Éditions, « La Vitesse de libération« , en 1995) bientôt, selon les intuitions, me semblent-ils bien éclairantes, de Bernard Stiegler (passim, et notamment son dernier « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations« ).


Bref,
la comédie de mœurs qu’est « Un baiser, s’il vous plaît ! » nous parle lumineusement, et avec infiniment de charme et d’humour
_ on y rit en permanence de nousde notre temps.

« Un baiser, s’il vous plaît !« , quand _ encore, pour combien de temps ? en en quels « milieux » (de personnes) ? _ « cela » peut « se demander » :

les personnages d’Émilie (un prénom rousseauiste ?) et de Gabriel (l’ange de l’annonciation, lui ! _ et c’est de son éblouissement, celui de Gabriel : angélique et sexué, qu’interprète avec beaucoup de rayonnement Michaël Cohen _, dès le coin d’une rue de Nantes _ « rue Montesquieu » peut-on lire sur une plaque _, en la séquence d’ouverture de ce magnifique film, que se produit cette « illumination« , à laquelle il _ Gabriel (artisan d’art de profession, lui) _ sait répondre, en, après une ou deux secondes d' »arrêt » (et de réflexion hyperrapide) se retournant, et, revenant, en arrière, re-nouer le fil de (ce début très rapide de) conversation (une étrangère à la ville recherche son chemin) ; et, surtout « véhiculer«  _ en sa camionnette professionnelle (de « restauration de tableaux« , pour le résumer un peu vite) _ l’inconnue parisienne (qu’est Émilie : elle _ interprétée avec beaucoup d’aura par la très lumineuse Julie Gayet _ crée de très beaux tissus d’ameublement : elle, comme lui, artisans d’art, sont dans le qualitatif, pas dans le quantitatif ou le numérique _ comme le sont les « personnages«  de Nicolas, le prof de maths, et de Judith, l’analyste chimique, les « pantins » catastrophiques, si maladroits, eux à ne raisonner que par petits calculs et clichés bienveillants de « vertu » et « compassion » gentille : ils sont attendrissants de candeur rousseauiste !…_ ;

et, surtout, « véhiculer » l’inconnue parisienne _ je reprends, après l’incise, le fil de mon élanqui ignore la topographie de Nantes : elle ignorait, bien heureuse piétonne, les vertus du GPS !!! _ et je boucle là ma parenthèse_ ) ;

les personnages d’Émilie et de Gabriel se présentant à nous sous les lumières et les tonalités _ qui ont quelque chose du Sud (Emmanuel Mouret est marseillaisbien que la scène _ en une seule et même journée et nuit _ soit de climat atlantique (la scène est à Nantes, la Nantes « atlantique » de la « Lola » de Jacques Demy) ;

les personnages d’Émilie et de Gabriel, donc, sont d’un charme _ et d’une sagesse un peu tranquille, en l’intranquillité (« pessoenne« ) de ce qui a tout l’air d’un presque « coup-de-foudre », saisi en quelque sorte au ralenti, en cette séquence d’ouverture du film, par l’œil vif du cinéaste, parce que les deux personnages d’Émilie et de Gabriel, lumineux tous deux, lui de virilité, elle de féminité, épanouis _ bravo les acteurs ! _,

mais sans s’y abandonner, lâcher, re-lâcher (pour s’y perdre)…

A la différence des fantôches (Nicolas et Judith, épatamment interprétés, eux aussi _ de même que la Caline de Frédérique Bel _, avec un rien, qu’il y faut, de « mécanique » _ cf l’analyse du « Rire » par Bergsonpar Emmanuel Mouret et Virginie Ledoyen, en empotés modernes (lui enseigne les mathématiques en un lycée ; elle est chercheuse en chimie ou bio-chimie : ce ne sont pas d’authentiques « chercheurs » ; les sciences « pratiquées » en majorité aujourd’hui, étant, pour la plus grande partie d’entre elles, des « techno-sciences » (d’ingénieurs) utilitaristes _ cf là-dessus les excellents travaux de Gilbert Hottois, dont « Regards sur les techno-sciences« , aux Éditions Vrin, en décembre 2006)dontÉmilie rapporte, de sa belle voix un peu grave, et sur un débit un peu apaisé, méditatif, en son récit _ qui fait la trame principale de la nuit (à l’hôtel) du filmles péripéties malencontreuseset la catastrophe (de cette « histoire » narrée) où les envoie leur innocence bien-pensante _ monter un stratagème de « permutation » (« d’affection physique« , comme dit Nicolas) afin d’offrir une « compensation » _ en l’occurrence la bien gentille « Caline » (interprétée avec beaucoup d’esprit par la piquante Frédérique Bel) _ au mari « quitté » : le pharmacien tennisman fan de Schubert interprété avec sobriété et élégance _ classicisme _ par un excellent Stefano Accorsi, que pareil incident sort alors de sa placidité…

Une innocence bien-pensante bien, telle une figure imposée de patinage artistique, dans (et selon) « l’air du temps«  ; sans la moindre sagesse « personnelle« , je veux dire : ce sont bien _ tels les « héros » (jeunes « cadres« ) des « Choses«  de Georges Perec, en 1965 _ des « fantôches«  ;

incapables de passer du stade d’enfant _ immature encore : ici, relire Kant, l’indispensable « Qu’est-ce que les Lumières ? » ;
et son commentaire par Bernard Stiegler dans « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » _ au statut de personnes adultes ; à celui de « sujet de soi« ).

La catastrophe les perd…

D’où la leçon de « sagesse » qu’en tirent, « in fine« , les deux seuls vrais personnages de ce film (tout entier, et en moins de vingt-quatre heures, à Nantes) Gabriel et Émilie, pour un baiser d’un sel, alors, tout spécifique : en quelque sorte « retenu« .

C’est très joli…

Si vous n’avez pas encore découvert au cinéma ce petit chef d’œuvre (de lucidité piquante sur notre « air du temps« ) de 96 minutes, précipitez-vous sur le DVD disponible cette semaine-ci du mois d’août, huit mois tout juste après sa sortie sur les grands écrans…

Titus Curiosus, le 17 août 2008

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