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Découvrir Mathieu Pordoy merveilleux de poésie aussi au piano, en son CD avec Marina Rebeka, « Voyage » _ et tout particulièrement en son jeu éblouissant dans « La Flûte enchantée » de Maurice Ravel…

22juin

Désirant découvrir aussi, au disque, la personnalité de Mathieu Pordoy cette fois au piano _ et pas seulement en son merveilleux travail décisif, mais discret, « dans l’ombre« , de chef de chant ; cf mon enthousiaste article d’hier : « «  _

je me suis procuré son CD, avec la magnifique soprano Marina Rebeka _ le CD Prima Classic PRIMA014, paru le 16 septembre 2022 _, « Voyage« …

Et le merveilleux _ oui ! _ de ce que Mathieu Pordoy a su obtenir des chanteurs qu’il a « coachés« dans la si délicate à « attraper » et vraiment vraiment réussir « Heure espagnole » de Maurice Ravel _ j’en reviens une fois encore au transcendant miracle des 3′ 26 de la vidéo (dansante !) de l’enregistrement, les 24 et 25 mars 2021, du quintette vocal final sous la direction proprement magique de François-Xavier Roth, avec ses merveilleux Siècles ; à comparer avec les 3′ 06 du podcast de l’enregistrement Maazel, en 1965, avec pourtant rien moins que les talents magnifiques de Jane Berbié, Michel Sénéchal, Jean Giraudeau, Gabriel Bacquié et José Van Dam ; c’est dire le degré de hauteur du défi qu’a permis de relever et si merveilleusement réussir le chef de chant Mathieu Pordoy, aux talents supérieurs de comédiens-chanteurs extraordinaires qu’ils sont, eux aussi, d’Isabelle Druet, Julien Behr, Thomas Dolié et Jean Teitgen : chapeau, les artistes !.. Quelle performance d’intelligence et sensibilité du chant ! Quelle compréhension supérieure du génie si fin et malicieux de Ravel… C’est un enchantement dont on n’arrive décidément pas à se lasser… _,

eh ! bien!, il n’est que d’écouter tout ce que réalise au piano dans cet hyper-sensuel « Voyage » avec Marina Rebeka Mathieu Pordoy pour le retrouver, cette fois dans l’art de servir au plus haut l’art de la mélodie ;

et tout spécialement dans « La Flûte enchantée » (extraite de la « Shéhérazade » de Maurice Ravel et Tristan Klingsor) dont Mathieu Pordoy tire des sonorités musicales absolument magiques, inouïes jusqu’ici…

Je n’ai hélas pas découvert jusqu’ici de podcast ou de vidéo qui m’aurait permis de le faire écouter ici…

Mais voici trois très pertinents articles de commentaires de ce CD, sous les plumes

de Matthieu Roc, sur le site de ResMusica, le 11 octobre 2022 : « Beau voyage aux frontières de la mélodie française avec Marina Rebeka » ;

de Charles Sigel, sur le site de forumopera.com, le 16 octobre 2022 : « Voyage en douce » ;

et de Laurent Bury, sur le site de premiereloge-opera.com, le 21 octobre 2022 : « Voyage, le nouveau disque de Marina Rebeka _ Plus loin que la nuit et le jour« .

C’est une bonne idée du Palazzetto Bru Zane _ l’ami Étienne Jardin signe la présentation du livret du CD… _ de parrainer ce disque co-produit par Marine Rebeka et , et d’explorer un florilège de mélodies dont le caractère français est soit ambigu, soit partagé avec d’autres identités nationales.

Sur le thème du voyage, ce disque rassemble quelques items connus et évoquant un Orient fantasmé (Duparc, Ravel, Fauré, Saint-Saëns, Widor), mais surtout, il nous permet de découvrir des pièces de Gounod écrites en Angleterre sur des textes italiens, d’autres de Pauline Viardot écrites en Allemagne sur des textes russes, ou encore de l’alsacienne Marie Jaëll dont on ne saurait dire s’il s’agit de Lieder ou de mélodies françaises. Ce n’est pas seulement le rêve d’ailleurs qui est exploré, mais aussi la transnationalité _ en effet, c’est très bien vu… L’ensemble fait _ déjà _ un programme « border-line » tout à fait captivant _ absolument…

Si on prend pour jauge l’Invitation au voyage de Duparc _ et Baudelaire _ et La flûte enchantée de Ravel _ et Klingsor _, et si on affirme qu’à côté de ces merveilles, aucun des morceaux choisis ne pâlit ou ne démérite, on prend la mesure _ voilà ! _ de la qualité des mélodies _ en effet. Ceux de Marie Jaëll sont particulièrement intéressants. On découvre dans Rêverie une mise en musique admirable des vers de Victor Hugo (Orientales), avec une étonnante mise en évidence du désir d’absolu ou du rêve d’un Eden sur terre, qui sous-tend toutes ces poésies évoquant un ailleurs inatteignable. Le cycle des « Quatre mélodies » a cette particularité d’avoir été d’abord cinq Lieder… Marie Jaëll (née Trautmann) a dû s’habituer en 1870 (à 24 ans), à être Allemande et à publier en allemand des pièces qui seront créées plus tard en français, quitte à en supprimer une au passage. Ont-elles été pensées en français ou en allemand ? Sont-ce des mélodies ou des Lieder ? Peu importe : Dein est bouleversant de tendresse, Der Sturm très efficace dans la description de l’orage en reflet des mouvements de l’âme, Die Vöglein d’une beauté très raffinée. Die Wang ist blass achève de distiller une tristesse à la fois élégante et profonde. Les mélodies de Pauline Viardot, soit en italien, soit en russe (de son ami Tourgueniev) montrent aussi une belle variété de caractères, de sentiments, de paysages, avec sans doute plus de sérénité que Marie Jaëll, mais sans aucune superficialité. A côté de ces deux compositrices qui font plus de la moitié du programme, on se délecte encore de deux savoureux Saint-Saëns _ Désir de l’Orient et La madonna col bambino _, une pittoresque Chanson slave de Cécile Chaminade (qui fait fortement penser à Lalo ou Bizet), d’une charmante Chanson indienne de Charles-Marie Widor, ainsi que d’autres mélodies plus fréquentées.

Chanter des mélodies dans toutes ces langues (français, allemand, italien, toscan, russe…) relève de la gageure _ oui _, et Marina Rebeka semblait à même de la relever. La voix est superbe _ oui ! _, robuste, homogène dans toute son étendue et elle est manifestement polyglotte, tous les idiomes étant honorablement _ voilà… _ articulés. Le problème _ que relève ici Matthieu Roc _ est celui de beaucoup de ces voix athlétiques, gutturales et hypervibrantes, dont l’émission compromet l’intelligibilité des mots, ceux-ci manquant de projection dans le masque _ voilà. On reconnait les syllabes, mais pas les phrases _ et là est bien sûr le fâcheux…, que ce soit en français, allemand ou italien, cela ampute les pièces de la dimension poétique du texte _ un indispensable de l’art de la mélodie _, nous prive d’une bonne part de l’émotion, et fait plafonner le plaisir au niveau de l’esthétisme. Sans doute conscient du problème _ oui _, Matthieu Pordoy déploie sur un piano somptueux _ oui _ des merveilles _ absolument ! _ de sensibilité et d’inventivité _ et d’intelligence, des textes comme de la musique… Ses phrases _ au piano _ sont magnifiques, ses dynamiques _ en leur galbe et leur élan superbes _, ses petites intentions _ que Mathieu Pordoy sait rendre au millimètre près : tout cela, très finement entendu, est très juste _ prouvent une compréhension intime _ oui ! Mathieu Pordoy possède le génie de l’intimité… _ des poésies _ ce qui est absolument indispensable à l’art d’interpréter la mélodie… Le prélude de la mélodie de Widor est particulièrement réussi. Il arrive à sauver _ mieux que çà : il les sublime… _ le Duparc et le Ravel _ qu’il ne faut surtout pa manquer : ce qu’y fait, au piano, Mathieu Pordoy, est sublime… _ en les jouant comme un nocturne de Fauré, prenant entièrement à sa charge l’aura poétique _ oui, oui, oui _ des morceaux, la soprano faisant du beau son, et l’auditeur qui connait son texte par cœur faisant le reste. Pour les autres, surtout Jaëll et Viardot, la curiosité, le plaisir de découvrir du peu ou du pas connu rachète la prononciation _ l’élocution, et surtout essentiel l’élan des phrases…

En somme, c’est effectivement un beau voyage auquel nous invitent Marina Rebeka et Mathieu Pordoy. L’itinéraire est passionnant, le wagon luxueux, la compagnie distinguée, les paysages magnifiques… mais au bout de quelques étapes, la frustration gagne _ un peu _, et on a envie de briser la glace pour sentir enfin la réalité _ en toutes ses infra-dimensions de poésie _ de toutes ces merveilles qui nous sont données à voir ou à entendre. Un disque de découverte, donc, mais d’attente.

Henri Duparc (1848-1933) : L’Invitation au voyage. Cécile Chaminade (1857-1944) : Chanson slave. Maurice Ravel (1875-1937) : La Flûte enchantée. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Désir de l’Orient ; La Madonna col bambino ; Alla riva del Tebro. Charles-Marie Widor (1844-1937) : Chanson indienne. Gabriel Fauré (1845-1924) : Les Roses d’Ispahan. Charles Gounod (1818-1893) : Perché piangi ? ; Oh ! Dille tu !. Marie Jaëll (1846-1925) : Rêverie ; Dein ; Der Sturm ; Die Vöglein ; Ewige Liebe ; Die Wang’ ist blass. Pauline Viardot (1821-1910) : L’innamorata ; La Mésange ; Le Saule ; Sérénade ; La Fleur ; Soupir… ; Invocation.

Marina Rebeka, soprano ; Mathieu Pordoy, piano.

1 CD Prima Classic.

Enregistré en mai 2021 au Latvian Radio Studio à Riga, Lettonie.

Texte de présentation en français et anglais, poèmes donnés dans leur langue originelle et traduits en anglais.

Durée : 74:13

16 octobre 2022

Le titre « Voyage » est un peu bateau (pardon !), mais le programme l’est moins _ oui : il sait voyager en terres pas trop fréquentées jusqu’ici ; et hors des clichés (touristiques !) rebattus… On peut imaginer qu’il reflète la collaboration entre Marina Rebeka et Alexandre Dratwicki, directeur artistique du Palazzetto Bru Zane à qui rien du répertoire français du 19e siècle n’est _ en effet _ inconnu _ merci Alexandre ! Merci Etienne Jardin… Mais on y sent aussi _ et beaucoup ! _ la patte _ voilà ! _ d’un magnifique pianiste _ ô combien ! _, Mathieu Pordoy, qui fait respirer _ pleinement et si intelligemment _ la musique, et celle d’un producteur/ingénieur du son, Edgardo Vertanessian, souvent dans l’ombre de Marina Rebeka _ pour leur label Prima Classic _, et qui fait des merveilles : trouver l’équilibre juste entre une voix aussi puissante et un piano, d’ailleurs superbe _ oui _, dont on entend _ scintiller _ toute la palette de sons, et être le premier auditeur, celui qui conseille _ Mathieu est aussi chef de chant _, c’est essentiel dans la réussite d’un disque.

Marie Jaëll : découverte

La révélation (pas seulement pour nous j’imagine), ce sont les six mélodies de Marie Jaëll (1846-1925). Cette Alsacienne, née Marie Trautmann, fut une pianiste virtuose, à qui Liszt avait promis une grande carrière, qu’elle accomplit d’ailleurs conjointement avec son mari Alfred Jaëll, célèbre en son temps. Ses deux concertos pour piano ont été donnés et enregistrés et son œuvre entier pour piano existe au disque (par Cora Irsen). Amie de Saint-Saëns et de Fauré, autrice de beaucoup de musique de chambre, elle s’intéressa intensément à la pédagogie du piano, notamment au toucher, et ses écrits théoriques sur la psychophysiologie montrent un esprit pionnier.


Personnage d’une énergie folle, désireuse avant tout de créer, contemporaine de Louise Farrenc ou de Mel Bonis, on la redécouvre (un peu) de nos jours après un long oubli. Schéma connu.


Marie Jaëll © Bibliothèque de Strasbourg

D’abord on sera intrigué par le très insolite Rêverie sur un poème de Victor Hugo, qui semble errer dans une incertitude tonale, sur les arpèges très éthérés du piano, et non moins surpris par ses cinq mélodies en allemand, d’une puissance insensée _ c’est vrai _, sur des poèmes écrits par elle.


Elles furent éditées en Allemagne en 1880. D’un romantisme tardif, dans la ligne de Brahms ou de Liszt, elles font appel à de grands moyens vocaux (Marina Rebeka les a) et à une tessiture d’une longueur redoutable. L’effusion amoureuse de Dein, l’intensité et la violence de Der Sturm, la légèreté puis la mélancolie de Die Vöglein, l’élan à la Schumann d’Ewige Liebe, le désespoir de Die Wang’ ist blass, toute cette aventure intérieure, qu’on peut penser autobiographique, Marie Jaëll la transpose puissamment, sans sensiblerie. Et Marina Rebeka la transmet avec noblesse, parfois avec virulence, parfois en suspendant le temps : souffle inépuisable, sûreté de la ligne vocale, limpidité du timbre, magnifiques pianissimi et jamais de sensiblerie… _ en effet.

La Russie de Viardot

Les six mélodies russes de Pauline Viardot qui viennent ensuite ont des ambitions plus modestes, mais beaucoup de charme. Sans doute composées pendant le long exil à Baden-Baden du couple Viardot, et pour le public de leurs amis, elles mettent en musique des poèmes de Pouchkine, de Fet ou du cher Tourgueniev, ami tendre de Pauline, qui l’introduisit à la poésie russe. Ces romances, Maria Rebeka y met une délicatesse teintée de nostalgie. Et surtout cette voix d’une pureté lumineuse _ oui.  Elle sait plier ses grands moyens à l’intimité d’une confidence de salon. Mais c’est toute sa puissance qu’elle retrouve dans Invocation sur un poème de Pouchkine, et là Viardot atteint à une grandeur pathétique et à une ampleur dignes de tous ceux qu’elle a servis et du grand personnage qu’elle fut, elle qui créa la Rhapsodie pour alto de Brahms.


Pauline Viardot © D.R.

Exotisme Troisième République

On avouera que certaines des mélodies choisies semblent d’un intérêt plus anecdotique ou pittoresque. Mais quel chic dans la Chanson slave de Cécile Chaminade, et quel soin à tirer le meilleur d’autres partitions, d’un orientalisme d’époque, tel Désir de l’Orient (1871) de Saint-Saëns (le texte est de lui, qui mélange la terre chinoise, une sultane enivrée et de blancs minarets), Saint-Saëns qui à vingt ans rêvait d’Italie, assez banalement d’ailleurs (La Madonna col bambino, sur un texte de saint Alphonse de Liguori), et poursuivait son retour à une Italie fantasmée avec Alla riva del Tebro, nettement plus inspirée.

Quant à Gounod, c’est dans une période de dèche à Londres, où il s’était exilé après la capitulation de Sedan, qu’il composa  pour se renflouer Perché piangi et Oh ! Dille tu. Il fallait plaire au public victorien en lui offrant un exotisme sans trop d’inattendu. Rebeka soutient ces partitions aimables avec panache.

Cela dit, malgré tout le talent qu’elle y met, la mélodie de Widor reste un pensum…

Passages obligés

Mais ç’aurait été dommage de se passer de quelques mélodies fameuses, sous prétexte qu’elles le sont.
L’Invitation au voyage (Baudelaire/Duparc) devient une pièce aérienne, se perchant sur les sommets de la voix. Marina Rebeka prend le parti d’en faire une grande chose, quasi un air d’opéra, vaste et radieux, et le toucher liquide _ oui _ de Mathieu Pordoy suggère à merveille les flots des canaux où flottent les vaisseaux…

La Flûte enchantée, deuxième mélodie de Shéhérézade (Klingsor/Ravel), rayonne _ oui, comme jamais _ de sensualité et de transparence _ absolument… La voix dorée s’alanguit, portée par un souffle inépuisable. Les couleurs du piano, tout aussi voluptueuses _ oui ! _, sont à l’unisson.

Les Roses d’Ispahan (Leconte de Lisle/Fauré) est d’un charme irrésistible _ oui _ et vaudrait le voyage à elle seule. La ligne serpentine de la mélodie, évoquant la silhouette de Leïla, la clarté du timbre, la diction distillée et impeccable (on ne perd pas un mot), le plaisir à séduire, les arabesques 1900, tout concourt à un plaisir teinté de mélancolie.

Qu’en est-il aujourd’hui de cet Orient-là ?

voilà.

D’abord mozartienne, puis belcantiste, Marina Rebeka s’illustre depuis peu _ au contact de Mathieu Pordoy ?.. _ dans la musique française. Il y eut Thaïs à Monte-Carlo en janvier 2021, plus récemment La Vestale au Théâtre des Champs-Elysées, avec à paraître un enregistrement estampillé Palazzetto Bru Zane. Au disque, il y avait eu au printemps 2020 Elle, tout entier consacré à l’opéra français. Et voilà que le nouveau disque que la soprano lettone revient, toujours sous son label Prima Classic, dans un répertoire où l’on ne l’attendait pas forcément : la mélodie française _ voilà. Et pas avec orchestre, mais avec piano, et accompagnée par rien moins _ mazette ! _ que Mathieu Pordoy. Surtout, le programme ne se contente pas de parcourir tous les lieux communs et passages obligés, mais propose au contraire d’explorer des pages inconnues de la plupart des mélomanes _ oui ! Rien d’étonnant à cela si l’on sait que le choix des pièces a été guidé par les conseils avisés du susdit PBZ _ Palazzetto Bru-Zane… Il est heureux qu’une artiste du calibre de Marina Rebeka ait le courage de s’aventurer au beau pays des raretés, et jamais audace ne se sera avérée aussi fructueuse, puisque Voyage offre son lot de vraies révélations.

La thématique de l’exotisme n’est certes pas d’une originalité folle, mais chacun conviendra qu’en dehors des « Roses d’Ispahan » et de l’incontournable « Invitation au voyage », à peu près tout de ce que l’on entend ici sort des sentiers battus _ en effet ; et c’est très très bien ! Même « La flûte enchantée », extraite de la Shéhérazade de Ravel, n’est pas si courante _ en effet _ dans sa version avec piano _ elle est absolument resplendissante. Et si le programme inclut un peu plus d’œuvres de compositrices que de compositeurs (14 plages sur 23), ce n’est pas simplement pour être dans l’air du temps. Le « Chant slave » de Cécile Chaminade est plein de caractère et de sauvagerie, et les mélodies de Pauline Viardot sur des poèmes russes dégagent un charme irrésistible. Quant à Marie Jaëll, à qui le Palazzetto avait consacré un alléchant livre-disque en 2016, le recueil de cinq Lieder qu’elle publia en 1880 sur ses propres textes en allemand est un authentique chef-d’œuvre _ oui _, une partition ambitieuse qui mériterait amplement de figurer aux côtés des plus belles réussites des maîtres du genre, et sa « Rêverie » n’est pas moins impressionnante, digne de voisiner avec Duparc. On l’aura compris, le programme inclut des mélodies en langue étrangère par des compositeurs français, Gounod et Saint-Saëns écrivant sur des paroles en italien (émouvant « Perchè piangi ? » du premier, superbe « Alla riva del Tebro » du second).

L’auditeur sera d’abord surpris _ dés la première plage du CD, en effet… _ par les tempos très étirés adoptés sur ce disque : superposant son timbre au jeu scintillant _ oui !!! _ de Mathieu Pordoy, Marina Rebeka s’exprime dans un français de grande qualité, et la relative lenteur choisie pour certaines mélodies (le Duparc introductif, notamment _ oui : il surprend, en effet _, ou même « Désir d’Orient » de Saint-Saëns, dont on entend mieux que jamais la pulsation « arabe ») permet à sa voix de se déployer avec une grande sensualité _ oui. La soprano possède des ressources telles qu’elle parvient à conférer la fraîcheur nécessaire aux mélodies russes ou à « L’innamorata » de Pauline Viardot, aussi bien que leur caractère dramatique aux lieder de Marie Jaëll, d’une inventivité constante, et d’une ampleur quasi-wagnérienne en ce qui concerne le tumultueux « Der Strum ». Marina Rebeka s’y livre sans retenue et manifeste une expressivité et un dramatisme particulièrement remarquables _ oui. Heureux ceux et celles qu’une telle artiste a choisi de défendre : une nouvelle postérité leur appartient.

Un très beau récital, donc.

Et la découverte du formidable talent au piano aussi _ quelle poésie ! _ de Mathieu Pordoy. 

Ce qui vient excellemment éclairer aussi _ et réciproquement _ sa magistrale réussite en tant que chef de chant auprès des chanteurs.

Ainsi _ et j’y reviens encore ; tant j’ai de mal à m’en détacher présentement… _ que cela s’admire en ce final proprement miraculeux de sens _ intelligence et sensibilité admirablement réunies _ et de vie _ cf à nouveau la vidéo de l’enregistrement au mois de mars 2021_, où tous, y compris, et d’abord, le chef, dansent, et dans le plus juste tempo, si merveilleusement, de « L’Heure espagnole » de Maurice Ravel et Franc-Nohain, sous la formidable baguette de François-Xavier Roth dirigeant ses somptueux Siècles _ sur magnifiques instruments de l’époque de la création, en 1911…

Bravissimo !

Ce jeudi 22 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un nouveau très bel article sur le nouveau très beau coffret (volume 6) de l’Intégrale de l’oeuvre pour claviers de Johann-Sebastian Bach, par le décidément magnifique Benjamin Alard…

08avr

Hier 7 avril 2022,

vient de paraître un nouveau très enthousiaste article, intitulé « Le Clavier danse« , sous la plume de Jean-Charles Hoffelé sur son site Discophilia, consacré au magistral volume 6 (de 3 CDs) de l’Intégrale de l’Œuvre pour Claviers de Johann-Sebastian Bach, sous les doigts si poétiques et ludiques du décidément magnifique Benjamin Alard ;

cf mon propre article, en date du 29 mars dernier : « « , sur ce blog-ci « En cherchant bien »

LE CLAVIER DANSE

Dès le Premier Prélude, qui file, on sait que Benjamin Alard fera de son Clavier bien tempéré une fête _ absolument ! L’admirable _ clavecinHieronymus hambourgeois, si svelte, aux sonorités de luth, l’y engage, par la simplicité _ qui va droit au cœur _ de ses registres si égaux. On ne philosophera pas ici, ce clavier est tout entier occupé par le plaisir physique du jeu _ oui, éminemment sensible… _, et pour le Premier Livre, c’est une bénédiction_ en effet.

Les fugues sont prodigieuses de lumière _ oui _, irréelles par leur sérénité _ tellement évidente _, leur ampleur _ voilà _ où tout chante sans l’ombre d’un souci rhétorique _ simplement naturellement… _, c’est la vie même _ qui défile et s’enchante _, l’ordre après le désordre des préludes, mais un ordre qui ne proclame pas _ doctoralement _ ses règles, s’exhausse et s’exalte _ simplement _ à mesure, au lieu d’une pensée en notes comme un culte du beau, et partant une quasi abstraction _ à l’opposé même de cela. Pourtant le rythme ne cesse jamais _ voilà _, toujours omniprésent, une idée de danse, une nécessité _ inhérente _ du mouvement anime cette lecture inspirée _ oui _, résolument différente _ comme absolument neuve en sa parfaite évidence exercée.

Tout aussi attachant et troublant _ mais oui ! _, sur un clavicorde miraculeux de poésie _ oui, oui ! C’est même un choc de plaisir ! _, le Petit Livre pour Wilhelm Friedemann montre lui aussi une prééminence de la poésie et de la fantaisie _ voilà : ludique _ sur les arcanes _ didactiques _ de la pédagogie _ lourdingue, fuie ; ici, tout est jeu et danse de joie… _ : Bach entendait bien former _ en son fils aîné _ un compositeur avant même un claveciniste. Décidément, cette série n’en finit pas de surprendre _ mais oui _, vite le Deuxième Livre !

LE DISQUE DU JOUR

Johann Sebastian Bach(1685-1750)


The Complete Works for Keyboard, Vol. 6

Clavier-Büchlein für Wilhelm Friedemann Bach
6 Präludien für Anfänger auf dem Clavier, BWV 933–938
Le Clavier bien tempéré, Cahier 1, BWV 846-869

Benjamin Alard, clavecin, clavicorde


Clavicorde Johann Adolf Hass , Hambourg 1763
Clavecin Hieronymus Albrecht, Hambourg 1740

Un album de 3 CD du label harmonia mundi HMM 902466.68

Photo à la une : le claveciniste Benjamin Alard – Photo : © DR

C’est absolument splendide de naturel et de simple évidence ludique enchantée.

Ce vendredi 8 avril 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le charme voluptueux des ballets de Lully : le « Ballet royal de la naissance de Vénus », par Les Talens lyriques et Christophe Rousset

04déc

Le charme puissant de la danse

est un composante fondamentale de toute l’histoire de la musique française…

Une nouvelle preuve, si besoin en était, est à nouveau donnée par le plaisir profond et très prenant que vient nous donner la grâce pourtant infiniment légère de la danse, telle qu’elle exalte les ballets de Jean-Baptiste Lully pour le jeune Louis XIV.

Ainsi en va-t-il de ce que vient nous procurer de joie l’interprétation, dans le CD Aparté AP255, des Talens lyriques, sous la direction fluidissime de Christophe Rousset, du splendide « Ballet royal de la naissance de Lully« , un ballet de cour à 12 entrées (LWV 27).

Un ballet créé au Palais Royal, à Paris, le 26 janvier 1665, sur un livret raffiné de Benserade…

Voici deux commentaires de ce CD,

d’une part, par Cécile Glaenzer, le 16 août 2021, sur le site de ResMusica, et sous le titre de « Avec les Talens Lyriques, quand le ballet de cour annonce la naissance de l’opéra lullyste » ;

et d’autre part, par Jean-Charles Hoffelé, le 26 novembre 2021, sur son site Discophilia, et sous le titre de « Versailles 1665« .

Pour restituer la musique du Ballet royal de la Naissance de Vénus, les Talens Lyriques s’adjoignent une solide distribution vocale renforcée par le Chœur de chambre de Namur.

Le ballet de cour est un genre typiquement français qui est né à la fin du XVIe siècle sous le règne d’Henri III, pour connaitre son apogée avec Lully à la cour du jeune Louis XIV. C’est la danse qui tient le premier rôle dans ces spectacles mêlant poésie, musique chantée, décors et costumes fastueux, dont les représentations magnifient le pouvoir royal. Difficile à imaginer de nos jours : le roi, les princes du sang et la noblesse de cour y dansaient les premiers rôles, aux côtés de danseurs professionnels. C’est sous le règne de Louis XIII que le ballet de cour devient un instrument politique, et son fils reprendra le flambeau en dansant lui-même dans vingt-cinq ballets où il incarne volontiers les rôles emblématiques du Soleil, d’Hercule ou d’Apollon.

On sait _ oui _ que Louis XIV était un excellent danseur. Mais le chant tient aussi une place importante dans ces spectacles royaux, et les livrets sont souvent la seule source qu’il nous reste des ballets de cour. Le Ballet royal de la Naissance de Vénus, enregistré ici en première mondiale, connut un très grand succès à l’époque. Créé en 1665 en hommage à Madame Henriette d’Angleterre, la belle-sœur du roi y danse elle-même le rôle-titre. L’argument se développe en deux parties de six entrées chacune, évoquant les grands couples de la mythologie. La voix y occupe une place importante : à côté de l’orchestre à cinq parties, on y trouve aussi un grand chœur. Tout cela fait de cette œuvre une préfiguration de ce que seront les tragédies lyriques de Lully quelques années plus tard.

Dès l’ouverture de ce ballet royal, on reconnait le grand style lullyste qui infusera toute la musique européenne grâce au succès de ses opéras. L’orchestre des Talens Lyriques, mené par le premier violon de l’excellente Gilone Gaubert, fait preuve d’une grande précision dans la dynamique des danses qui s’enchaînent avec bonheur. Pour les airs et les récits, Christophe Rousset a réuni une distribution vocale de qualité. Dans l’air d’Ariane Rochers vous êtes sourds (attribué à Michel Lambert), la soprano Deborah Cachet propose une reprise ornementée qui témoigne d’une parfaite maîtrise de l’agrémentation vocale. En fin de programme, un bonus de quatre extraits d’autres ballets de cour nous rappelle les origines italiennes de Lully. Ainsi, l’air d’Armide extrait du Ballet des Amours déguisés (Ah! Rinaldo, e dove sei ?) est un air italien qui préfigure ce que sera la grande tragédie lyrique lullyste vingt ans plus tard. La Plainte italienne, tirée du ballet Psyché, est un grand moment d’expressivité qui n’est pas sans rappeler ce que seront les Songes d’Atys, avec l’intervention des flûtes à bec en contre-chant. La commedia dell’arte n’est pas loin non plus avec l’air burlesque de Barbacola (Son dottor per occasion), chanté avec truculence par Philippe Estève dans un effet comique très réussi. C’est bien dans le style transalpin que le plus français des italiens puise la source de son art.

Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Ballet royal de la Naissance de Vénus.

Deborah Cachet, dessus ; Bénédicte Tauran, dessus ; Ambroisine Bré, bas-dessus ; Cyril Auvity, haute-contre ; Samuel Namotte, taille ; Guillaume Andrieux, basse-taille ; Philippe Estèphe, basse-taille ;

Chœur de chambre de Namur ;

Les Talens Lyriques, direction : Christophe Rousset.

1 CD Aparté.

Enregistré en janvier 2021 à la Cité de la Musique à Paris.

Livret anglais-français.

Durée : 73:00

Et puis :

VERSAILLES 1665

Le Roi danse, Lully est son musicien, pour les divertissements auxquels le jeune Louis et sa cour s’adonnaient. Lully perfectionna le ballet de cour initié du temps du règne d’Henri III. Cet art parvint à son apogée dans les années 1660, le musicien y mêlant de plus en plus de pièces vocales sur les poèmes d’Isaac de Benserade.

En janvier 1665, ils composent ensemble pour un hommage à la belle-sœur de Louis, Henriette d’Angleterre, une partition fastueuse illustrant la naissance de Vénus, narrée par Neptune et Thétis. Danses françaises, airs italiens, le genre précise les prémisses des goûts réunis dans un divertissement brillant où les effets poétiques ne manquent pas.

 

Christophe Rousset et sa belle bande entendent autant le plaisir de ses musiques de fêtes que ce qu’elles annoncent : sept ans plus tard, Les Fêtes de l’Amour et de Bacchus élargiront le ballet à la pastorale, Isaac de Benserade laissant progressivement la plume à Quinault qui avec Lully pensait déjà à la tragédie lyrique que le cadre de l’Académie Royale de Musique allait concrétiser avec Cadmus et Hermione.

De ce premier visage de Lully – hormis les comédies-ballets écrites d’une encre commune avec Molière – le disque ne sait quasiment rien, sinon le Grand Ballet de la Nuit. Christophe Rousset et ses Talens Lyriques se lancent-ils, après leur exploration systématique des tragédies lyriques, dans la divulgation de ses ballets si spectaculaires. Il faut l’espérer _ oui : vivement ! _ tant cette Naissance de Vénus regorge de pages écrites pour éblouir qui n’ont rien perdu de leur pouvoir de séduction _ voilà… _ surtout si artistement défendues.

LE DISQUE DU JOUR

Jean-Baptiste Lully
(1632-1687)


Ballet Royal de La Naissance de Vénus, LWV 27

Deborah Cachet, dessus
(soprano)
Bénédicte Tauran, dessus (soprano)
Ambroisine Bré, bas-dessus (mezzo-soprano)
Cyril Auvity, haute-contre (ténor)
Samuel Namotte, taille (baryton)
Guillaume Andrieux, basse-taille (baryton)
Philippe Estèphe, basse-taille (baryton)

Chœur de Chambre de Namur
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction

Un album du label Aparté AP255

Photo à la une : le chef d’orchestre Christophe Rousset – Photo : © DR

Ce samedi 4 décembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

En forme de parenthèse, au réveil ce matin, l’enchanteresse pudeur délicatissime du piano de Maurice Ravel par Clément Lefebvre…

18nov

L’article d’hier intitulé « Ravel danse« 

que le toujours sagace Jean-Charles Hoffelé consacre au CD Ravel (le CD Evidence EVCD 083) de ce magicien justissime qu’est le pianiste Clément Lefebvre

_ cf mon article du 9 juin 2018 : _,

me donne l’idée de rechercher sur le web quelque podcast

de ce nouvel enregistrement…

Et voici que, comme miraculeusement,  je tombe sur cette merveille-cidélicatissime,

d’une durée de 66′,

à écouter et ré-écouter pour notre plus parfait enchantement…

Voici donc ce que, hier, Jean-Charles Hoffelé disait de cette interprétation du piano de Ravel par Clément Lefebvre,

une magique expression de la pudeur, aux antipodes des hystéries expressionnistes, du parfait génie musical _ si parfaitement français… _ de Maurice Ravel :

RAVEL DANSE

Quitte à pénétrer dans le mystère _ oui : d’une intensité légérissime… _ du piano de Ravel, Clément Lefebvre choisit l’entrée de la danse _ voilà… _ : même la Sonatine a son Menuet qu’il joue quasi en le chantant, troubadour à la fois émerveillé et nostalgique _ voilà qui est parfaitement exprimé. Les gris colorés _ un justissime oxymore _ du Modéré n’auront pas été moins émouvants _ oui _ sous des doigts aussi poétiques _ oui ! _, qui évoqueront, tout au long de ce disque au cours duquel on retient son souffle _ voilà, afin d’être le plus parfaitement en situation de percevoir les moindres subtilissimes nuances de ce chant si délicatement dansé… _, la sensualité _ oui, secrète… _ comme le deuil _ oui _, avec cette touche de pudeur _ oui _ qui est un des secrets _ mais oui ! _ de l’auteur de L’Enfant et les sortilèges.

Valses nobles plus interrogatives _ et rêveuses _ que brillantes (et dansées en doigts légers, avec des éclats de lumière _ toutes ces notations sont très justes… _), avec pour l’ultime ce retour des thèmes comme autant de fantômes _  oui : d’un romantisme aux antipodes d’un romantisme exacerbé… _ où il se souvient du ballet un peu fantasque _ oui : Ravel est un visionnaire cousin du classisisme toujours contenu de Chopin… _ qu’y évoquait Vlado Perlemuter, Pavane au tempo parfait qui en avive encore la touche élégiaque _ oui _, Menuet antique alerte, heureux, juste ombré comme il faut _ à la Watteau _ , et celui sur le nom de Haydn, touchant juste dans sa nostalgie souriante et pourtant mystérieuse _ à la François Couperin _, entendez l’assombrissement qu’enveloppe de sfumato un jeu de pédale savant ; quel dommage de ne pas y avoir ajouté en coda le petit Prélude qui contient la même nuance d’émotion.

Tout cela conduit à un Tombeau de Couperin ailé, volubile _ oui _, où le clavier ne pèse rien mais où tout chante _ oui _ comme du Mozart, la Forlane, le Menuet et ses regrets, et jusqu’aux feux d’artifice d’une Toccata où s’invite le souvenir de Mouvement de Claude Debussy.

Mais j’y pense !, ce piano lumineux et tendre _ voilà… _, capable de mystère et de sombre aussi _ mais oui _, irait comme un gant à l’auteur des Images. Demain peut-être, mais en attendant perdez-vous _ oui _ dans ce Ravel touché par la grâce et l’émotion _ oui…

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)


Sonatine, M. 40
Menuet sur le nom de Haydn, M. 58
Valses nobles et sentimentales, M. 61
Menuet antique, M. 7
Pavane pour une infante défunte, M. 19
Le tombeau de Couperin,
M. 68

Clément Lefebvre, piano

Un album du label Evidence EVCD083

Photo à la une : le pianiste Clément Lefebvre – Photo : © Jean-Baptiste-Millot

Soit une forme d’enchanteresse récréation musicale, en quelque sorte apéritive pour la journée qui s’ouvre,

au milieu de la poursuite de mes recherches ravéliennes cibouriennes…

Ce jeudi matin 18 novembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

La délicate séduction poétique ravélienne de Daphnis et Chloé : un concert…

23sept

Ce jour, sur le site de ResMusica,

Patrice Imbaud nous signale un beau concert le 20 septembre dernier, à la Philharmonie, à Paris,

de l’Ensemble Les Dissonances et son directeur, le violoniste David Grimal ;

dont le morceau de choix était la sublime Suite n°2 de Daphnis et Chloé, de Maurice Ravel…

Voici l’article,

justement intitulé « Les Dissonances mènent la danse » : 

Les Dissonances mènent la danse

Dans ce concert consacré à la musique de ballet, les Dissonances conduites par David Grimal proposent une judicieuse mise en miroir de la Suite n° 2 de Daphnis et Cloé de Maurice Ravel et du Sacre du printemps d’Igor Stravinski, agrémentée du rare Caprice roumain pour violon et orchestre de George Enesco.

Un concert comme une invitation à la danse, en même temps qu’un hommage aux ballets russes de Serge Diaghilev _ oui _, mettant en scène deux compositeurs majeurs du XXᵉ siècle, Ravel et Stravinski, liés par une amitié qui ne résistera pas au temps et réputés pour leur talent d’orchestrateur ; deux œuvres quasiment contemporaines (1912 et 1913) représentant deux facettes bien différentes de la modernité, l’une aux allures plutôt impressionnistes, l’autre résolument tribale, barbare et expressionniste. Tendu comme un pont entre ces deux œuvres phares, le Caprice roumain conforte la cohérence thématique de cette soirée par ses accents tziganes et orientalisants.

Chef d’œuvre incontestable _ oui ! _ de Ravel très fréquemment donné en concert, la Suite n° 2 de Daphnis et Cloé fait une habile synthèse de tous les dons ravéliens par son sens de la danse et son orchestration foisonnante. Débutant par des ondoiements orchestraux des cordes graves, de belle amplitude progressant dans un crescendo bien mené, le Lever du jour fourmille d’évocations naturelles délicatement rendues par les traits des bois (piccolo, hautbois) avant que la flûte de Julia Gallego Ronda, tout à la fois archaïque et voluptueuse, n’entame dans la Pantomime un superbe dialogue avec le violon solo, préludant à une Bacchanale imprégnée d’urgence, tendue et jubilatoire, concluant une interprétation remarquable qui séduit tout à la fois par la cohésion orchestrale, par la clarté de sa texture, comme par les performances solistiques individuelles qui n’entament en rien la rigueur de la mise en place : ce qui n’est pas une mince affaire dans cette partition complexe _ certes _ parfaitement exécutée malgré l’absence de chef caractéristique des Dissonances

Après l’élégance orchestrale ravélienne, c’est au violon virtuose de David Grima d’occuper la scène avec le Caprice roumain de George Enesco. Une composition à la genèse laborieuse étalée entre 1925 et 1949, laissée inachevée et complétée secondairement par le musicologue Comel Jăranu. Elle s’inscrit délibérément dans la veine folklorique, avec une orchestration assez fruste qui laisse une large place à l’instrument soliste au sein d’une atmosphère tour à tour tzigane (violon), très « Mitteleuropa » ou parfois plus orientalisante (bois). Elle se déroule en quatre mouvements, hauts en couleurs : un Moderato très expressif aux allures rhapsodiques s’appuyant sur une grande variété rythmique ; un Tempo di hora endiablé où le violon tzigane mène la danse ; un Lento méditatif où s’élève la cantilène du violon dans une longue réflexion teintée de mélancolie précédant un Allegro conclusif marquant le retour à une virtuosité débridée. En bis, dans un climat plus apaisé, l’Aurore, extraite de la Sonate n°5 en sol majeur op. 27 d’Eugène Ysaïe apporte un beau moment de paix.

Si David Grimal et les Dissonances ont séduit dans la première partie, le constat est hélas plus réservé pour le Sacre du printemps d’Igor Stravinski où il semble que le concept « d’orchestre sans chef » n’atteigne, ici, ses limites. Non pas tant dans les performances individuelles, toutes de haute volée, que dans l’organisation générale du discours, dans la mise en place des plans sonores et dans les équilibres entre pupitres. Les Dissonances nous livrent, hélas ce soir, une interprétation trop peu nuancée, trop monolithique, parfois confuse malgré une dynamique pleine d’allant, parfois à la limite de la saturation, exagérément expressionniste, virant par instants à la foire d’empoigne, échappant à l’envoutement prégnant qui fait le propre de cette partition hypnotique. Dommage…

Crédit photographique : © Bernard Martinez

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. 20-IX-2021.

Maurice Ravel (1875-1937) : Daphnis et Cloé, suite orchestrale n° 2 ;

Georges Enesco (1881- 1955) : Caprice roumain pour violon et orchestre ;

Igor Stravinski (1882-1971) : Le Sacre du printemps, version 1947.

Les Dissonances, violon et direction : David Grimal

Ce jeudi 23 septembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

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