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Vacances vénitiennes (V)

20juil

Si vous avez assez de patience pour « suivre » jusqu’au bout les fils effilochés de mes rhizomes,
voici le cinquième des articles de ma série de l’été 2012 sur « Arpenter Venise »
http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2012/12/30/arpenter-venise-le-merite-de-vraie-curiosite-a-lalterite-du-dictionnaire-insolite-de-venise-de-lucien-dazay/
série postérieure d’un peu plus d’une année _ le temps d’une bonne décantation _ à mes déambulations lors d’un séjour (enchanté !) à Venise de 5 jours en février 2011,
au moment du colloque (les 10-11-12 février) Un Compositeur moderne né romantique : Lucien Durosoir (1878 – 1955), au Palazzetto Bru-Zane _ situé à la lisière nord-ouest du sestiere de San Polo _,
où j’ai donné 2 contributions sur ce compositeur singulier (et sublime : écoutez le CD Alpha 125 de ses 3 Quatuors à cordes, de 1919, 1922 et 1934, par le Quatuor Diotima) :
à propos duquel je me suis interrogé sur ce que pouvait être, ce en quoi pouvait consister, au sens fort,
la singularité d’un auteur, son idiosyncrasie _ cf Buffon : « le style, c’est l’homme même » _, ou encore « son monde »,
accessible, pour nous, via l’attention ardemment concentrée à son œuvre et ses œuvres.
L’œuvre musical de Lucien Durosoir est réalisé entre 1919 et 1950, mais surtout jusqu’en 1934 et la mort de sa mère, son interlocutrice majeure :
là-dessus, lire l’intégralité de mes 2 contributions à ce colloque Durosoir de février 2011, à Venise,
dont les Actes ont été publiés aux Éditions FRAction en juin 2013 _ mais tout est accessible via le site de la Fondation Bru-Zane ; et les deux liens ci-dessus.
Peut-être y découvrirez vous quelques clés pour bien vous perdre dans Venise…

Toujours plongé, ce mois de décembre 2012 _  par ma méditation un peu active et toujours quelque peu enchantée _ dans ma confrontation, par la pensée maintenant _ après ma semaine vénitienne (d’arpentage passionné !) de février 2011, au moment du colloque « Un Compositeur moderne né romantique : Lucien Durosoir (1878-1955)« , au Palazzetto Bru-Zane _, au délicieux mystère _ involutif… _ du génie de Venise

ainsi qu’aux aventures des divers défis, des uns et des autres qui s’y sont physiquement (et synesthésiquement) confrontés

et qui en ont, bien sûr, témoigné (à d’autres qu’eux) dans ce qu’ils ont ensuite écrit pour essayer de cerner _ toujours a posteriori, forcément : mais le souvenir activé de cet arpentage-là (comme l’effort ouvert de l’écriture qui aide à cet effort du souvenir) fait partie, ô combien !, ne serait-ce qu’à titre d’effet a posteriori, de l’irradiante (et pour longtemps, avec ses longs effets-retards…) puissance de charme du voyage, en la qualité d’acuité de son aisthesis première (et irremplaçable !) sur place… ; cf tout ce qu’en dit l’excellent Sylvain Venayre en son passionnant Panorama du voyage (1780-1920) ; cf aussi ce qu’à mon tour j’en ai dit dans mon article du 31 octobre 2012 Le désir de jouir du tourisme : les voyageurs français de Venise _,

pour essayer de cerner, donc, la qualité singulière (peut-être… : on pourrait l’espérer, dans la mesure où _ et si, car cela ne va en rien de soi ; il faut un minimum bien vouloir s’y prêter, s’y offrir, y collaborer si peu que ce soit, aussi… _ l’expérience du voyage contribue à nous aider ainsi aussi à mieux devenir nous-mêmes, en une heureuse métamorphose…) ;

pour essayer de cerner la qualité singulière, donc,

de cette expérience à vif et propre-là, sur place _ lors de leur passage ou séjour effectif (et non simplement rêvé, fantasmé) à Venise _, en quelque livre, ou en quelques lettres, ou du moins en quelque écriture, quelle qu’elle soit _ ce peut même être une écriture rien que pour soi… _,

sinon pour, en pareil essai d’écriture a posteriori et un peu plus « refroidie » alors,

« percer » enfin à jour ce mystère _ éminemment tangible sur place, parmi tous ces « reflets » ici… _ du génie de Venise,

du moins pour un peu éclairer ce que chacun de ces voyageurs-séjourneurs _ ainsi que soi-même : avec un tant soit peu d’expérience et de maturité, on devrait un peu s’améliorer… _, a eu l’occasion d’approcher, et de s’y coltiner un tant soit peu, en chair et en os et en personne, alors _ et pedibus, de sestiere en sestiere _,

plongé comme on le fut, ces moments souvent intenses du (presque toujours trop) rapide et (trop) bref voyage et séjour (et promenades, de facto), au cœur du labyrinthe des calli et des canaux, parmi (et entre) les îles composant les sestieri de la ville, en en arpentant les diverses voies, telles d’étroits couloirs, entre les palazzi qui la constituent, serrés et blottis les uns contre les autres, avec, de temps en temps, les églises qui la parsèment (formant des paroisses), et les campi et campielli qui en aèrent la respiration du promeneur _ même si tous les campi sont loin d’être séduisants, ou même simplement accueillants : je pense aux malaises ressentis, et à plusieurs reprises (= chaque fois !), en traversant le Campo San Stin (dans le sestiere de San Polo), ou le Campo delle Gatte (dans celui de Castello), pour ce qui me concerne : sur San Stin, j’apprends, pages 44 et 56 du Dictionnaire insolite de Venise de Lucien d’Azay qu’en 1995, « le gattile de l’île San Clenente (de l’italien gatto, « chat », comme le chenil pour les chiens) est remplacé par un dispensaire pour les animaux errants à San Stin, puis à Treporti » ; et aussi qu’au XVIIIe siècle, « envers du libertinage effréné, on avortait si fréquemment à l’époque qu’il existait un cimetière de fœtus dans la paroisse de San Stin, à une centaine de mètres de la majestueuse église des Frari » : tiens ! tiens !!.. ; cf aussi (à la notice « Goldoni« , page 74 ) la remarque sur les « tentacules de poulpe vidés dont on prenait soin de conserver les ventouses«  comme préservatifs un peu commodes, quand s’amplifia l’industrie de la débauche à Venise… _ ;

du moins pour avoir tenté de se hisser à la capacité de ressentir vraiment _ et davantage, et mieux, à rebours des anesthésies diverses, et surtout des clichés-œillères du prêt-à-ressentir… _ Venise,

chacun, comme soi-même, et forcément sur place, et sur le champ du plus vif et acéré « présent » alors (cela pouvant aller jusqu’à la sidération !), au moment _ tellement délicieux mais toujours aussi (du fait que le temps du voyageur-visiteur demeure toujours un peu « compté » !) un peu affolé, en même temps qu’un peu (ou beaucoup !) ivre (de plaisir !), car assez formidablement surprenant et déstabilisant en sa part d’altérité-découverte (mais c’est aussi une part de ce qu’on a puissamment désiré en faisant le voyage de Venise..!), pour qui du moins essaie de résister aux clichés-rails-tuteurs rigides (beaucoup trop droits !) de la sensibilité, qui ne manquent pas de l’assaillir (et de trop le guider) même alors… _,

au moment _ crucialissime : ne pas le manquer en demeurant un peu trop ensommeillé, et pas assez ouvert à l’altérité éventuellement radicale de ce qui s’ouvre (sur les pas du candidat à l’émerveillement qu’est toujours un peu le promeneur de Venise) et peut se découvrir (à lui) à ce moment-clé-là, et qui passe si vite… _ de l’arpentage de la ville,

d’un arpentage qui soit éventuellement et si possible idiosyncrasique aussi _ faut-il du moins l’espérer ! me semble-t-il… _ de la part de chacun d’entre eux, de cette ville assez rare _ sinon unique : je pense par exemple aussi à toutes les petites Venise(s), avec ports, mais sans canaux ! (cf la rubrique « comptoirs« , pages 49-50), du si beau littoral dalmatique : Pirano, Parenzo, Rovigno, Pola, en Istrie, puis Zara, Sebenico, Traù, Spalato, Raguse, Cattaro, découvertes avec émerveillement l’été de 1969 en ce qui me concerne… _, veux-je dire,

en s’essayant au plus de justesse possible de leur _ et de sa _ propre « sensibilité » synesthésique _ à côté et en prolongement de la sensibilité proprement « esthétique » : je renvoie une fois encore ici à l’admirable finesse et justesse d’analyse du merveilleux chapitre syracusain de l’admirable Acte esthétique de Baldine Saint-Girons… _ hic et nunc, en leur propre arpentage, donc, du labyrinthe vénitien,

jusqu’à la musique de leurs pas résonnant délicatement, parmi une bien belle qualité de silence, déjà, sur les dalles des calli, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, la saison, le degré de luminosité selon la qualité de l’air, des vents (la bora, le sirocco, etc.) et la quantité d’humidité (la pluie, la nebbia et la caligo, la neige), etc… _ à moins que les visiteurs de Venise ne préfèrent coller leurs pas dans ceux des clichés (et guides et baedekers) les plus éculés, au lieu d’aller un peu « à l’aventure » : il en est certains que cela paraît rassurer ; mais ceux-là n’écriront jamais que de brévissimes cartes postales… ; j’ai noté ailleurs (et à propos non de Venise, mais de Rome) qu’il a fallu plus d’une année de séjour de Goethe à Rome pour parvenir à s’extraire enfin des clichés éculés sur Rome, et se mettre enfin à ressentir vraiment un peu le génie vrai de Rome, en son Journal de Voyage en Italie _ :

ainsi Lucien d’Azay remarque-t-il, page 22, à la rubrique « Babil« , de son Dictionnaire insolite de Venise : « la nuit, l’acoustique des calli et des canaux est exceptionnelle ; le moindre murmure se répercute dans le silence comme sur la scène d’un théâtre : bruit des pas sur les dalles, bâillement d’un flâneur fourbu, jusqu’à la respiration des dormeurs«  ;

et sur les calli, encore ceci, de basique, page 36 : « Comme on circulait autrefois par voie d’eau, le réseau piétonnier est secondaire (la porte principale des palais donne presque toujours sur un canal). À l’origine, la calle ressemblait plus à un couloir qu’à une rue ; d’où l’impression de parcourir un labyrinthe ou un immense appartement _ voilà ! _, qu’une ville _ cf aussi page 21 : « l’étroitesse des rues, pareilles à des couloirs, contribue à la promiscuité et à la médisance qui en découle«  ; mais « le bon côté du commérage, c’est qu’il favorise la cohésion urbaine, puisqu’il resserre les liens entre les habitants et leur ancrage dans la ville » : Venise est la grande maison d’un unique, mais divers et complexe village !  On se croirait dans une vaste maisonnée aux frontières invisibles, pareille aux eruvim des communautés juives, la sphère privée empiétant sur l’espace public. Les calli servaient à passer d’une maison à l’autre et ne s’inscrivaient pas dans un itinéraire _ avec sens plus ou moins indiqué (et incité !) de la visite, à l’usage des touristes !.. Ce qui explique pourquoi elles sont si étroites, tortueuses et parfois même incohérentes _ oui ! _ selon les critères urbains traditionnels. On en compte 3000. Une bonne douzaine n’ont même pas un mètre de largeur«  _ ;

ainsi, suis-je « tombé », non sans la collaboration aussi d’un certain hasard objectif, dans la caverne d’Ali Baba, pourtant claire et assez méthodique _ mais réaménagée l’été dernier : bien des coins m’en échappent encore… _, de la très vaste et très riche (en milliers de livres) librairie Mollat, alors que je recherchai des livres pas trop lourds (pour ma mère convalescente) de biographies de « personnages » intéressants du XXe siècle, au rayon Histoire et dans une colonne intitulée « Biographies »,

sur un petit livre _ de format 12 x 17 ; sa tranche fait 1 cm, glissé dans une rangée serrée de beaucoup d’autres… _ intitulé Dictionnaire insolite de Venise, par Lucien d’Azay, aux Éditions Cosmopole… Fin de ma première phrase : seul qui m’aime me suive !..

Nulle part _ en nul journal, nul media : on ne peut vraiment pas dire que leur niveau de qualité s’améliore ! cf la lucidité de Nietzsche en 1883, dans le chapitre « Lire et écrire » du lucidissime Ainsi parlait Zarathoustra (et cf aussi le jugement là-dessus d’Eugenio Scalfari dans son magnifique Par la haute mer ouverte _ Notes de lecture d’un Moderne : ne surtout pas laisser passer cet ouvrage !!! paru en septembre dernier) _, je ne me souviens avoir trouvé mention de cet ouvrage de Lucien d’Azay, publié au mois de juin 2012… Quel dommage !

Au passage, je me permets de remarquer que c’est un vrai problème que de se repérer parmi le tout-venant de la production de livres, comme de celle de disques ; surtout à une époque d’envahissement (monstrueux !) de produits de divertissement, qui se vendent le plus !!!! ALERTE !

Mais le nom de Lucien d’Azay n’est pas tout à fait inconnu au lecteur mensuel et un peu curieux de la Revue des Deux-Mondes que je suis _ cette revue, que dirige Michel Crépu, me dépayse de la majorité de mes repères culturels ; j’y trouve mention d’ouvrages de qualité non répertoriés par mes medias de référence ; même si je suis loin de partager certaines des options de cette revue. On n’a jamais le regard assez large ; ni de suffisantes lunettes d’approche… C’est cette connaissance-là du nom de Lucien d’Azay qui m’a incité à acheter ce petit Dictionnaire insolite de Venise si étrangement rangé _ ou reposé négligemment là par quelque client pressé, sans le remettre à sa place ?.. _ parmi les « biographies » au rayon Histoire ! Et je ne le regrette pas !!!!


Car voici le premier ouvrage sous la plume d’un Français d’aujourd’hui que je trouve vraiment lucide et (civilisationnellement) profondément juste _ avec assez d’accueil de (ou à) l’altérité de ce monde vénitien ! en son idiosyncrasie… : cette altérité que ne manque que trop bien le bien trop narcissique (bien trop imbu de lui-même) Philippe Sollers (jusque quand il emploie le mot « amoureux », par exemple, dans l’expression Dictionnaire amoureux de Venise : de quoi peut-il donc bien s’agir, en matière d' »amour », sinon de ce que lui « projette » sur l’autre ?!?.. Sollers a l’amour bien trop égocentré !) _ sur Venise, et surtout « la vie vénitienne« ,

pour reprendre l’expression du maître-livre de Henri de Régnier : L’Altana ou la vie vénitienne (1899-1924) _ sur Henri de Régnier (et son « cénacle«  vénitien, lire la notice consacrée par Lucien d’Azay au « Club des longues moustaches » du Caffé Florian, page 48 : « à rebours du _ sinistre et contagieux ! _ cliché mortifère dont Maurice Barrès et Thomas Mann, entre autres, s’étaient fait les promoteurs à la même époque, (Henri de Régnier) eut au moins le mérite _ dont acte ! _ de faire découvrir à ses compatriotes une Venise solaire et délicate«  ; pages 134-135, dans sa notice consacrée à « Sollers«  (« cet ardent Vénitien d’adoption« , dit-il cette fois de lui, page 110 : Sollers passant deux fois l’an deux semaines à Venise ; ainsi, en 1998, ce fut du jeudi 4 juin au jeudi 18 juin ; puis du jeudi 10 septembre au jeudi 24 septembre, se découvre-t-il aux pages 124 à 143, puis 244 à 269, de L’Année du Tigre _ Journal de l’année 1998…), Lucien d’Azay reconnaît, à côté de la critique fort juste (je la partage pleinement ! qu’il lui adresse (et sur laquelle je vais bien sûr revenir et insister !, un mérite voisin sur le regard des Français en général, sur Venise, à celui qu’il reconnaît à Henri de Régnier : « Sollers, comme Jean d’Ormesson, mais dans un genre légèrement différent _ en fait de projection et superficialité égocentriques hédonistes ! _, a toutefois redoré le blason de la ville aux yeux des Français » : Venise redevient (mais faut-il s’en féliciter ?) un must de l’attraction touristique pour les Français ! Mais sur quels critères (et quels malentendus abyssaux en fait de rapports à l’altérité !) Venise va-t-elle donc être ainsi perçue et « consommée » ?..

Et c’est donc cet article-ci que je consacre aujourd’hui à ce fort juste Dictionnaire insolite de Venise comme miraculeusement débusqué de derrière les fagots des rayons à trésors de la librairie Mollat.

Car Lucien d’Azay n’est pas, lui, un voyageur de passage un peu pressé _ ne serait-ce qu’au rythme de deux séjours de deux semaines chacun par année, selon ce que Lucien d’Azay nous apprend, page 135, des habitudes dorsoduriennes (à l’hôtel-pensione La Calcina, sur les Zattere) de Philippe Sollers et de Dominique Rolin, quarante années durant, depuis leur découverte de la merveilleuse veduta de leur chambre donnant sur la Giudecca, en 1963… _ en son passage à Venise : Lucien d’Azay a en effet, lui, enseigné quinze ans durant au Liceo Ginnasio Marco Polo, dans le quartier (si vivant !) de San Barnaba et de la Toletta _ « qui est à la fois rue et mini-quartier« , dit Paolo Barbaro, page 185 de son Petit Guide sentimental de Venise _, où j’ai apprécié de me trouver plusieurs fois par hasard au moment de la très joyeuse un peu bousculée sortie des classes, à cinq heures, à la Calle della Toletta et au Ponte delle Maravegie _ « Et le voici, le Ponte delle Maravegie : ce n’est pas seulement l’un des plus beaux endroits que je connaisse (…), mais c’est un endroit où les voix s’entremêlent d’une façon effrayante. (…) Les Maravegie sont le lieu de permutation des figures » (qui enchantent Venise, et le rapport le plus vrai qui soit à Venise et à la « vie vénitienne »), poursuit Paolo Barbaro, page 187 de son livre-bible des vrais amoureux de Venise…

Et à lire ce passionnant Dictionnaire insolite de Venise de Lucien d’Azay _ et je l’ai lu deux fois à la suite… _,

on peut remarquer que les plus fréquentes allusions à des sestieri de Venise en ses denses _ (= riches) et sans la moindre lourdeur _ 158 pages

_ l’écriture, rapide, est souvent jubilatoire ; cf par exemple la délicieuse notice intitulée « Lourdes« , pages 89-90, consacrée aux (très) riches Vénitiennes fréquentant l’été, telles des « varans » au soleil, le « bord de la piscine » du « chiquissime Hôtel Cipriani« , à la « plateforme de luxe » de l’extrémité orientale de l’île de la Giudecca : « étant donné la cotisation mensuelle, elles ne se bousculent pas«  !!! « Impassibles comme des varans » (!), « un buffet leur permet de passer la journée au soleil, sans avoir à se rendre au restaurant » ; « on dirait, non pas qu’elles méditent, mais qu’elles vidangent leur esprit« … Alors, « au bord de la piscine du Cipriani, on ne fait pas de rencontres. Aucun imprévu ne dérange l’ordre parfaitement égal de ce monde clos« . Avec cette très jolie chute-ci : « Au reste, pas plus que leur corps épuisé par les soins, les signore n’espèrent grand-chose. Si ce n’est, peut-être, le miracle impossible qui les obsède. Les mauvaises langues ont rebaptisé l’endroit Lourdes«  _,

on peut remarquer que les plus fréquentes allusions à des sestieri de Venise

concernent précisément ce coin si vivant de San Barnaba et de la Toletta de ce sestiere assez animé _ du côté, aussi, des universités dans les environs de l’estudiantin Campo Santa Margherita _ qu’est Dorsoduro

_ un peu moins animé, toutefois, et même passablement tristounet, à mon goût !, une fois passé le rio San Vio, du côté de la Punta della Dogana, le coin des résidents (de luxe !) saisonniers anglo-saxons (cf aussi ce qu’en dit le très judicieux et donc très précieux ! sur la « vie vénitienne«  Venise, sur les traces de Brunetti _ 12 promenades au fil des romans de Donna Leon, de Toni Sepeda !) ;

de même que du côté quasi sinistré (mais de pauvreté, cette fois ; mais au charme assurément étrange et très prenant, à la frange du malaise : ce que sait pointer encore fort justement la notice de Lucien d’Azay, pages 58-59, consacrée au film de Nicolas Roeg Don’t look now, en français Ne vous retournez pas, en 1973, tourné en partie là ; cf aussi, à propos de ce même lieu désolé, la notice que Lucien d’Azay consacre à « la Wicca » et à son coven en ce lieu, pages 149 à 151) ;

de même que du côté quasi sinistré de la pointe « lugubrement déserte et nébuleuse«  de San Nicola dei Mendicoli ;

parmi ces lieux parmi les plus étranges de Venise, Lucien d’Azay _ qui lui-même goûte assez (cf ses notices « Corvo (Baron)« , pages 52 à 54 et « Excentriques« , pages 60-61) les excentricités en divers genres : cf, dans sa bibliographie, ces titres-ci : Trois excentriques anglais ; Le Faussaire et son double _ Vie de Thomas Chatterton ; ou encore À la recherche de Sunsiaré _ une vie : Sunsiaré est la jeune femme morte en même temps que Roger Nimier, dans l’accident de son Aston-Martin sur l’autoroute de l’Ouest… : Lucien d’Azay est donc un curieux qui aime aller regarder un peu plus loin (que le tout-venant) dans les coins… _,


parmi ces lieux parmi les plus étranges de Venise, Lucien d’Azay, donc,

ajoute à ce coin quasi disgracié de la pointe de San Nicola dei Mendicoli,

« les environs des églises de San Zan Degolà, à Santa Croce » et « de Santa Maria della Misericordia (aujourd’hui désacralisée), à Cannaregio« 

Sur les subtiles micro-variations de climat d’un coin de rue à l’autre dans un même sestiere de Venise _ variations consubstantielles à l’idiosyncrasie de Venise ! _, pour le marcheur éperdu de Venise,

je renvoie une fois de plus aux sublimes micro-analyses de Paolo Barbaro, le vénitien Ennio Gallo, en son merveilleux de finesse et justesse (du regard) Petit Guide sentimental de Venise (cf ce que j’en dis dans l’article inaugural de cette série sur « Arpenter Venise« , le 26-8-2012 : Ré-arpenter Venise : le défi du labyrinthe (involutif) infini de la belle cité lagunaire)…

Par son goût de l’étrange (sinon de l’excentrique),

ce livre de Lucien d’Azay mérite mille fois mieux son intitulé de « Dictionnaire insolite« 

que le livre de Philippe Sollers celui de « Dictionnaire amoureux« ,

car, ainsi qu’il le remarque lui-même (et l’énonce aussi à propos de l’ouvrage de Philippe Sollers), Lucien d’Azay s’intéresse tout spécialement, et peut-être même en priorité, à la particularité de la langue et de son onomastique, et même aux variations et subtiles nuances _ à commencer par ce que permet d’induire de « sensibilité » déjà la prononciation !!! _ de l’italien au vénitien, telles qu’elles peuvent s’entendre en arpentant les calli de Venise… ;

alors que Philippe Sollers _ peu sensible déjà à ce qui se dit (et s’entend dire) à Venise, à commencer par ce que disent les Vénitiens ! _ propose seulement, lui, un répertoire de ce qui l’agrée _ très sélectivement ! en plus de la beauté d’un décor (just a glance !) positivement stimulant pour l’élévation (strictement hédoniste, si je puis me permettre cette expression !) des travaux d’écriture de l’œuvre littéraire à réaliser : ce n’est que ce qui peut susciter les élans de son enthousiasme à lui, qui le motive ! _ à et dans Venise…

Ainsi pourra-t-on remarquer non sans effarement que sa priorité à lui, Philippe Sollers, va à noter très scrupuleusement _ ainsi que le ferait un Valery Larbaud de par les divers ports du monde entier ; mais Larbaud s’embarquait de facto aussi… _ tous les noms qu’il peut lire sur les coques des énormes paquebots de croisière qui viennent gentiment défiler (lentement) jusque sous ses yeux par le canal de la Giudecca ; et cela, qu’il les découvre et regarde depuis la table qui lui sert de bureau par la fenêtre au midi de sa chambre à l’étage de la pensione La Calcina, ou en prenant le frais sur les quais toujours un peu ventés des Zattere : comme si c’étaient les noms de l’ailleurs qui _ à la Larbaud, donc _ l’intéressaient bien davantage, et cela comme auteur au travail, que Venise elle-même et ce qu’elle-même peut offrir… Venise est pour Sollers essentiellement un (magnifique !) décor _ seulement : pour le théâtre à mettre en branle de son imaginaire… _ de beauté stimulant l’imagination d’écrivant au travail qu’il est alors très effectivement ici ; celle qui se promène, et qui fait preuve de curiosité et d’attention vraie à l’altérité vénitienne, c’est Dominique Rolin _ c’est elle qui sait voir et qui sait regarder (et aussi écouter), et qui le lui rapporte ; et Philippe Sollers de l’admettre le premier lui-même…

Pour le reste, si Philippe Sollers s’éloigne de sa table d’écriture et du quai des Zattere, c’est pour aller très ponctuellement _ le temps de l’écriture primant ! cette petite quinzaine de séjour à Venise… _ à la rencontre _ calculée _ de quelques œuvres d’art choisies à revoir et re-contempler, toujours et toujours, dans quelque musée ou église ; pas pour aller à la rencontre de l’inconnu au hasard par les sestieri excentrés de Cannaregio ou de Castello, ni dans le labyrinthe serré des calli de Santa Croce… Ainsi le petit jeu de l’imagination sur les noms de bateaux l’emporte-t-il sur l’arpentage pedibus des calli de Venise, pour lui…

Et en cela, un Philippe Sollers est encore moins un arpenteur de Venise qu’un Alain Vircondelet ne s’éloignant guère que de quelques pas des quelques sites qu’il a choisis, parmi les vedute de Canaletto et de Guardi, à la base de son Grand Guide de Venise_ cf mon article précédent : Arpenter (plus ou moins) Venise : les hédonismes (plus ou moins) chics _ le cas du « Grand Guide de Venise » d’Alain Vircondelet, homme de lettres

Dans son article « Sollers« , aux pages 134-135, Lucien d’Azay fait ainsi preuve d’un grand talent et de lecteur et de synthétiseur à propos du sollersien Dictionnaire amoureux de Venise :

outre que Philippe Sollers fait, avec une très bonne (et de plus en plus rare aujourd’hui, en effet !) « érudition« , « la revue de tous les grands maîtres de l’art qui ont été influencés par Venise : de Monteverdi à Wagner et de Véronèse à Manet, en passant par Vivant Denon, Lord Byron et Marcel Proust (l’auteur s’est même consacré une entrée)« ,

« il révèle au passage le principe de son livre : « Venise, voilà son secret, est un amplificateur«  _ dit-lui-même Sollers (car c’est ainsi que fonctionne pour lui sa Venise !) ;

et j’ajouterai, pour ma part, un amplificateur de projections narcissiques, pour beaucoup, sinon la plupart de ses visiteurs ; et cela, au-delà du cas, certes éminent !, de Philippe Sollers lui-même, bien sûr ; au premier chef ! comme il lui plaît de l' »orchestrer » en son livre… Soit, pour tous ceux qui ne sont guère (ou du moins pas assez) passionnés d’altérité vraie, mais aiment s’en tenir aux (seuls) reflets (confortables) de leurs fantasmes : comme la diversité des reflets et moirures perpétuellement mobiles qu’offrent les canaux et la lagune le leur permet, certes, et  à profusion ! Car tout bouge tout le temps, à Venise ! Mais il y a tout de même aussi quelques heureuses exceptions !!! à ce tropisme-là, parmi les voyageurs de Venise…  « Si vous êtes heureux _ poursuit, d’expert en projections !, Sollers cité par Lucien d’Azay _, vous le serez dix fois plus ; malheureux, cent fois davantage« .

Et Lucien d’Azay de poursuivre très finement :

« Le secret de Sollers, c’est qu’il est lui-même un amplificateur : les mythologies littéraire, picturale et musicale _ riches, en effet, ces mythologies sollersiennes… _ de sa Venise, entrent en résonance dans son livre. Il investit la ville _ c’est parfaitement vu ! à la Don Giovanni (ou la Casanova ; mais Da Ponte était lui aussi vénitien !!!)  _ de son propre émerveillement _ qui est alors littéralement éblouissant : Zerline (« Vorrei et non vorrei« …) se rendra-t-elle au casinetto ?… Et son enthousiasme _ surtout pour ce qu’a de casanovesque et dongiovannesque (= hyper-hédoniste et dilettante) la Venise décadente du second XVIIIe siècle _ est pour le moins contagieux  » _ en effet, tel celui du bateleur pour le chaland ébobi… Et l’édition de livres est bien sûr aussi (et de plus en plus d’abord !) une industrie…

Et Lucien d’Azay d’ajouter alors encore mieux :

« Le seul reproche qu’on pourrait lui faire,

mais peut-être annonce-t-il à sa manière le futur _ touristique à outrance, à l’heure de la mondialisation ; cf là-dessus, le Contre Venise, de Régis Debray… _ de cette ville-réceptacle,

ce n’est pas d’occuper le décor incognito, mais de se contenter (avec ravissement certes) du décor _ voilà ! « se contenter du décor » à la façon de qui succombe au piège qu’a ourdi le scénographe au théâtre _ : la lagune, les pierres, les couleurs et la lumière ; et de ses légendes (ce féru d’expériences linguistiques, émule de Joyce et de Pound, ne s’intéresse guère _ ô combien peu ! _ à l’italien, et pas du tout au vénitien« .

Avec cette remarquable induction, encore :

« Le destin de Venise _ du moins cette Venise pour et selon Sollers (et ses émules…) _ est-il donc d’être une ville où, au contraire de New-York _ un tropisme fort de Lucien d’Azay, de même que celui de Londres _, on se livre _ narcissiquement et par projection universelle de l’ego _ à sa _ seule _ fantasmagorie personnelle _ et qui l’est si souvent si peu, « personnelle », singulière ! mais ici je ne pense pas à Philippe Sollers… _, en se gardant d’y tisser des liens sociaux?«  _ surtout en compagnie discrète (et parfaitement suffisante _ pour ses projets…) de sa fidèle maîtresse… 

De même que ni l’un ni l’autre de ces deux « dictionnaires » de Venise ne sont marqués par ce que je nommerai une attirance, un goût, ou a fortiori une passion de nature « géographique » _ Michel Chaillou, lui, parle d’un « sentiment géographique« … _,

pas plus le « dictionnaire insolite » de Lucien d’Azay

que le « dictionnaire amoureux » de  Philippe Sollers

ne sont marqués par le goût ou la passion de l’arpentage des calli de la cité ;

ni l’un, ni l’autre de ces deux auteurs

ne partant, pedibus, à la recherche du génie des lieux géographiques ; coin caché et secret de sestiere par coin caché et secret de sestiere


Mais, à part la très riche (et passionnante, alors) érudition artistique vénitienne de Philippe Sollers,

l’avantage de ce Vénitien de quinze années à Venise _ et à Dorsoduro, et à la Toletta… _ qu’est Lucien d’Azay,

est bien de formidablement nous initier un peu, via le vocabulaire spécifiquement vénitien, qu’il nous présente,

sinon aux sestieri,

du moins à la civilisation vénitienne… Et cela est irremplaçable !

Une dernière remarque :

en continuant mes recherches bibliographiques,

j’ai mis la main sur cette mine (et cette somme !) à propos du regard des visiteurs étrangers de Venise qu’est Un Carnet vénitien de Gérard-Julien Salvy ; et en commençant à la parcourir,

je suis tombé (pages 319 à 323) sur un exposé remarquable _ mais tout le livre est magnifique ! _ des témoignages superbes de Ferdinand Bac (1859-1952) sur Venise ;

Ferdinand Bac, auteur, notamment, de trois ouvrages consacrés à Venise : un roman,  Le Mystère vénitien, en 1909 ; des Promenades dans l’Italie nouvelle, parus en 1933-35 (en trois volumes) ; ainsi que le Livre-Journal 1919, publié par Claire Paulhan en 2000 ;

et que Gérard-Julien Salvy présente, page 319, par ce mot de Bac sur lui-même : « au fond, rien qu’un homme qui marche en pensant »,

ainsi qu’aimait superbement se caractériser cet auteur !..

Page 321, je lis ceci : « Et bien entendu, ce n’est pas en touriste qu’il se plaît à Venise. Il en aime les quartiers de son temps encore peu fréquentés » _ des touristes ; c’est-à-dire les quartiers (ou sestieri) populaires, voire miséreux ; très excentrés, de fait, par rapport à la Piazza San Marco…

Voici les extraits que nous en propose Gérard-Julien Salvy _ ils parlent fort clair… :

San Sebastiano : « Tout au bout de cette Zattere, hérissée de mâts et où s’alignent les silhouettes de la frégate marchande, la petite église San Sebastiano s’élève juste en face d’un pont dans un de ces très misérables quartiers, vrais paysages de détresse , ne semblant plus exister que pour abriter des famines et pour entendre la malédiction des égarés, perdus dans ces lointains parages«  _ et passé l’Angelo Raffaello, au campo désertique, San Nicola dei Mendicoli est encore plus désolé…

San Giobbe : « Là-bas, aux confins de la ville, plus loin que le vieux Ghetto, près d’un canal, sur une place abandonnée où l’herbe pousse. Ce n’est rien, me direz-vous. Mais peut-être est-ce aussi plus beau que Saint-Pierre de Rome«  _ oui ! Et passé le Ponte ai Tre Archi, on tombe sur la Tratoria da ‘a Marisa…

Santa Margarita : « Là-bas, au Campo Santa Margarita, c’est le vrai peuple qui règne. Plusieurs carrefours réunis en ont fait une grande place irrégulière qui m’attire depuis un demi-siècle par sa couleur locale. (…) Trois places se suivent _ « s’emboîtent », pourrait-on dire. Elles donnent à ce quartier son aspect aéré, une plastique imprévue par cet immense terre-plein dallé«  _ marché vivant le matin, et centre de la vie estudiantine aujourd’hui…

Castello : « Couchés au milieu des vignes, à cette extrémité _ cette fois encore _ de Venise, les jardins de la Compagnie du Gaz allaient jusqu’à la lagune. En automne, les pampres empourprés tombaient des arcades, ornaient les pergolas. En toute saison, une rusticité délicieuse entourait San Francesco della Vigna. Les Vénitiens venaient là cueillir du raisin noir«  _ le lieu et l’église sont toujours splendides…

San Trovaso (son lieu de résidence à Venise) : « Il s’engagea dans les ruelles qui conduisent au Ponte di Ferro et arriva bientôt sur la petite place, qu’il retrouva pareille à l’image qu’il en avait gardée dans son souvenir, avec la façade de l’église, ombragée par une oasis de grands arbres. À gauche, il revit un coin de Venise, qui semblait peint avec du bitume. Depuis des temps immémoriaux, on y réparait des bateaux. Des gondoles, le ventre en l’air, reluisaient sous des couches de goudron. Le sol, les vieilles masures en planches, tout avait la même teinte de bois brûlé. Et, infatigablement, des aquarellistes anglaises se repaissaient goulûment de son pittoresque. (…) Devant le logis, il reconnut parfaitement le vieux puits avec sa croix de Malte sculptée sur son flanc, les marteaux de la porte, sa couleur de bronze antique » _ non loin de là, sur le rio San Trovaso, et entre les deux ponts, celui de San Trovaso, et celui des Maravegie, la très accueillante (cf Paolo Barbaro, Toni Sepeda, Hugo Pratt, etc.) Cantinone Gia Schiavi…

Et Gérard-Julien Salvy commente, page 322 :

« Ce qui enchante Ferdinand Bac, c’est aussi la neige tombant d’un ciel vert absinthe, le brasero allumé au pont de Rialto et les silhouettes noires des Vénitiens, tels que des mendiants espagnols, venant, au crépuscule, processionnellement, pour se chauffer les mains. C’est le Rio della Sensa, la Madonna dell’Orto, San Tomà, San Zaccaria, l’Abbazia della Misericordia, que son ami Italico Brass a restaurée, et aussi les Fondamente Nuove, « sur lesquelles plane un abandon indéfinissable. Leur tristesse ensoleillée ne reçoit que de rares visiteurs égarés. Comme nous voici loin des somptuosités qui devaient soutenir devant le monde le crédit de la Cité marchande«  » _ ici, se trouve aujourd’hui la plaque tournante des vaporetti vers les îles de Murano et Torcello (et d’autres) et son animation chaleureuse (ainsi qu’un kiosque excellemment pourvu en excellents DVDs)…

Et pour conclure cette nouvelle méditation sur « arpenter Venise »,

cette remarque, in fine,

sur la « beauté des villes insulaires » que Lucien d’Azay, page 154, emprunte au Voyageur égoïste du cher Jean Clair :

« la beauté des villes insulaires tient au fait que leur espace est circonscrit à un cadre,

mais aussi à l’organisation harmonieuse de leur surface, qui respecte la mer qui les contient,

et à leur proximité avec le ciel (d’où l’exaltation qu’elles suscitent, l’azur étant leur seule échappée).«  Aussi à Venise a-t-on « eu l’intelligence d’installer des terrasses sur le toits (altane). Quand il fait beau, ces belvédères permettent d’admirer la conquête spatiale verticale à laquelle ont dû se livrer les architectes, faute de pouvoir s’étendre au sol« .

Et Lucien d’Azay de remarquer encore que « les Vénitiens n’arrêtent pas de marcher (…).

Hâtifs ou flâneurs, ils marchent dans l’allégresse, le bonheur d’être,

de faire corps avec la ville où ils vivent« …

Et Le Bonheur d’être ici est le titre d’une superbe méditation philosophique autant que poétique de Michaël Edwards, l’auteur du merveilleux De l’émerveillement

Titus Curiosus, ce 30 décembre 2012

Ce vendredi 20 juillet 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un bel et salutaire entretien avec Robin Renucci dans Le Monde :  » L’industrie du divertissement nous dévore »

16avr

Un très remarquable article-entretien dans Le Monde de ce dimanche de Pâques 2017, avec cet excellent comédien qu’est Robin Renucci : « L’industrie du divertissement nous dévore »

Robin Renucci : « L’industrie du divertissement nous dévore »


Acteur, metteur en scène, Robin Renucci, le médecin de campagne de la série télévisée « Un village français », sera à l’affiche du Festival d’Avignon.

LE MONDE | 16.04.2017 à 07h40 • Mis à jour le 16.04.2017 à 12h32 | Propos recueillis par Sandrine Blanchard


Je ne serais pas arrivé là si…


… si Mme Martin, ma première institutrice, n’avait pas, tous les matins, demandé à sa classe d’agencer _ faire (et même, si possible, créer ; de même que nous osons créer nos phrases quand nous parlons, pour peu que nous ne reproduisions pas des formules toutes faites, et leurs clichés prêts à ne pas penser…) : c’est essentiel en le processus d’éducation ! ne pas seulement recevoir, écouter, copier, reproduire (tels les robots) ; cf mon passionnant entretien avec Denis Kambouchner, le 18 septembre 2013, à propos de son décisif L’École, question philosophique ; ainsi que les deux articles de ce blog que j’ai consacrés à ce livre majeur le 24 février et le 13 mars 2013 : « Penser vraiment l’école : l’indispensable et urgent débrouillage du philosophe _ l’admirable travail de Denis Kambouchner et Ecole et culture de l’âme : le sens du combat de Denis Kambouchner _ appuyé sur le « fait du bon professeur »… »  _ des petites cases africaines et des petits hommes noirs. Et si M. Richard, mon maître d’école primaire, ne m’avait pas fait découvrir la poésie avec Les Pauvres Gens de Victor Hugo _ dans La Légende des siècles. Enfant, je vivais à Tonnerre, dans l’Yonne, au-dessus de la cellule de dégrisement de la gendarmerie où mon père travaillait. De ma chambre, j’entendais des cris. Très vite, j’ai compris qu’on pouvait mettre à distance _ une distanciation à la Brecht _ des craintes, des angoisses, grâce à la fiction, au récit. L’inquiétude de l’enfant qui a du mal à s’endormir ou qui a peur, et à qui on raconte des histoires dans lesquelles il peut s’identifier, se réfugier, tout cela lui permet _ très effectivement, grâce à ces petits pas de côté de la mise, si peu que ce soit, à distance vis-à-vis du réel subi, du jeu avec… _ de comprendre avec le recul très précieux qu’offrent les mises en perspective _ le monde, d’être humain _ voilà ; sinon, l’individu demeure au stade du clone et du robot ; et n’accède pas au statut de sujet libre.

Je rentrais chez moi avec plus de quiétude et avec l’essentiel : le goût _ voilà _ de la différence de l’autre _ en la diversité profondément enrichissante de sa possible singularité. Hors de mon cadre familial, dans un autre lieu de transmission _ et apprentissage _ qu’est l’école, grâce à l’éducation artistique et culturelle _ c’est essentiel ! _, j’acquérais d’autres _ très précieuses _ valeurs. J’ai eu très jeune le désir de m’émanciper _ et devenir sujet. J’étais en très bons termes avec ma famille, mais je savais que je ne serais pas gendarme, que je ne manipulerais pas les armes et que je ne vivrais pas dans des champs d’angoisse _ mais dans des champs de joie.


Votre mère était couturière. C’est grâce aux costumes qu’elle faisait que votre vie a changé…


Absolument. Ma mère reconstruisait des costumes de théâtre sur la table de la salle à manger. J’avais 15-16 ans, et, un jour, je vois des comédiens entrer dans notre appartement à Auxerre. Ils venaient du Théâtre national de Strasbourg (TNS) pour refaire leurs costumes de La Comtesse d’Escarbagnas _ de Molière _ et de Mademoiselle Julie _ de Strindberg. J’avais le sentiment qu’ils étaient libres, différents, dans leur comportement, leurs vêtements, leur parfum. Ils sentaient le patchouli ! Ils m’ont proposé d’assister à leurs répétitions. Puis j’ai suivi les stages organisés par le directeur de la troupe, Maurice Massuelle, dans la maison de Romain Rolland à Vézelay _ un auteur passionnant, ne serait-ce que comme fondateur de la musicologie en France. J’y ai passé un été entier d’émancipation absolue. La naissance de la liberté.


C’est donc au cours de cet été-là que vous décidez de votre voie…


Oh oui ! C’était comme un appel _ voilà. Nous étions mélangés _ sans ségrégation ; là-dessus lire Jacques Rancière : Le Maître ignorant _ cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle ou Le Partage du sensible  _ entre amateurs et professionnels, et menions un travail rigoureux, très exigeant _ c’est absolument nécessaire pour avancer vraiment… Il n’y avait pas ce que j’ai pu entendre par la suite – et contre quoi je me suis battu toute ma vie : l’idée que l’amateur est lié _ pieds et poings, et pour toujours _ à l’amateurisme. L’« amateurat » est _ en fait _ quelque chose de très puissant _ par sa dimension même d’amour, et d’abord de désir _, c’est la genèse _ mais oui ! _, c’est ce qui m’est arrivé : cela s’appelle l’éducation populaire. Le monde qui s’ouvre _ voilà _ tout d’un coup.


L’été suivant, j’ai refait des stages à Valréas, dans la Drôme, avec René Jauneau, autre rencontre _ situation décisive ! _ fondamentale. J’y rencontre Hubert Gignoux, Jean Dasté. Je suis entraîné dans un mouvement, celui de la conscience politique du théâtre, et de la décentralisation théâtrale. Mes pères et parents s’appellent Charles Dullin, Jacques Copeau, Louis Jouvet… Il y a une phrase de Dullin qui est pour moi fondamentale : « Le théâtre est une entreprise artisanale qui met en contact profond _ voilà, et cela par delà les temps et les lieux de chacun… _ un auteur et un public. »


En tant que spectateur, quel a été votre premier coup de cœur théâtral ?


1789, d’Ariane Mnouchkine, que j’ai vu lorsque j’étais lycéen _ au lycée Jacques-Amyot d’Auxerre ; Robin Renucci est né le 11 juillet 1956 au Creusot ; et 1789 a été créé au mois d’août 1970 à la Cartoucherie de Vincennes… _ grâce à mes professeurs de musique et de philosophie. Il s’agit là encore d’éducation populaire : tous ces animateurs de MJC, ces médiateurs _ metteurs en relation _, ces enseignants de l’éducation nationale, passionnés _ voilà _ de littérature, de poésie, de théâtre, nous transmettaient _ très effectivement _ de la culture _ véritable. Je me souviens d’une professeure de mathématiques qui nous emmenait à un concert de Brassens à Paris et qui nous conseillait de voir Tous les autres s’appellent Ali, de Fassbinder. J’ai été marqué par ces gens qui nous faisaient de l’éducation à l’art _ c’est crucial ! _ alors que ce n’était pas au programme scolaire. Je suis attaché à ces valeurs de transmission _ et c’est humainement capital, en effet !


Quand vous partez à Paris, quel regard vos parents portent-ils sur votre souhait d’une carrière artistique ?


Ils ont laissé faire. Je suis parti à Paris dès le bac en poche, pour intégrer _ en 1975 _ l’école Charles-Dullin. Je m’étais malgré tout inscrit en fac d’italien à Censier, mais j’ai très vite arrêté. J’habitais dans une chambre de bonne de 10 mètres carrés. Je faisais des ménages dans l’école Dullin pour payer ma formation _ toute vraie formation impliquant de vrais engagements. Mes profs m’avaient repéré, et très vite j’ai donné des cours. Et puis il y a eu la cerise sur le gâteau : j’ai décroché le concours du Conservatoire national d’art dramatique. Entrer au Conservatoire… le bonheur décuplé ! J’étais stakhanoviste dans mon envie d’apprendre _ là encore, un ressort fondamental : une curiosité de fond. Elève, alors que je ne faisais aucun casting, que je n’avais pas d’agent, là encore la chance survient : je tourne dans Eaux profondes, de Michel Deville _ en 1980, et d’après le très beau roman Eaux profondes de Patricia Highsmith _, avec Jean-Louis Trintignant et Isabelle Huppert, puis dans Les Quarantièmes rugissants, avec Michel Serrault.


A quel moment choisissez-vous de changer votre nom et de vous appeler Robin Renucci et non Daniel Robin ?


Petit, tout le monde m’appelait Robinou, Robinet, Binbin. Daniel, c’était pour mes parents. Lorsque j’entre au Conservatoire, il y a Muriel Robin parmi les élèves. Cela faisait deux Robin ! J’ai eu envie de rassembler les noms de mes deux familles : celle, hédoniste bourguignonne, de mon père _ Robin _ et celle, autarcique corse, de ma mère _ Renucci. Ma mère disait toujours : ne rit pas trop parce que tu vas pleurer demain. C’est horrible, non ? J’ai été élevé dans les cimetières où elle allait pleurer le dimanche pendant que je jouais avec les graviers et les fleurs.


« Escalier C », le film de Jean-Charles Tacchella _ d’après le roman éponyme Escalier C d’Elvire Murail _, vous vaut, à 30 ans, une nomination au César du meilleur acteur. Pourtant, à cette époque, vous critiquez le cinéma et dites aimer votre métier, mais pas la profession. Pourquoi ?


C’était sincère. Je me suis peut-être grillé en disant cela. Mon premier plan de cinéma, je l’ai fait avec Jean-Louis Trintignant. Le moteur n’est pas encore lancé, il entoure mes épaules de son bras et me dit : “tu sais, ça va être formidable, ça va bien se passer”. [Long silence. Les larmes lui montent aux yeux]. Excusez-moi, cela m’émeut parce qu’être mis en confiance c’est l’humain absolu _ oui ! _, et non pas ce rapport de compétitivité dans lequel on évolue en permanence. Lorsque ensuite j’ai tourné avec des gens qui étaient plus égotiques, cela n’avait pas la saveur du début, cette envie _ magnifiquement généreuse _ de voir l’autre aller au maximum jusqu’au sublime, peut-être _ de ses possibilités.


Je suis entré dans ce qu’on appelle l’industrie cinématographique, avec ses qualités mais aussi ses grands défauts en matière de sens voilà _ et de rapports humains. Nous sommes dans les années 1980, le libéralisme se développe _ ce sont les années Thatcher et Reagan _, l’individualisme forcené _ au détriment de toute solidarité, détruite… _, qui clive les gens, se met en place. Entre ma sortie du Conservatoire, en 1981, et 1990, ce sont mes années de cinéma les plus importantes, mais elles n’ont jamais le goût de ces moments avec le public que j’avais connus _ au, dans et par le théâtre _ à Valréas. Le métier est piteux en conversations de fond, beaucoup de personnes ont pour projet principal _ et exclusif, peut-être _ de gagner de l’argent. On ne me proposait que des sous. On ne me regardait que par rapport au succès d’un film. Escalier C m’a offert un décollage terrible, mais, en même temps, c’était corrosif.


Pourquoi ?


Parce qu’on parle de vous comme d’une tête de gondole qui entre sur le marché. Financièrement aussi, ce n’est pas évident – quand on vient d’un milieu modeste où l’on sait ce qu’est l’argent – de gagner trois ou quatre smics par jour. Par jour ! Tout d’un coup, il y a un problème de sens _ voilà un terme capital. On me propose trois ou quatre films dans l’année, mais j’ai le sentiment de ne pas être à ma place _ en se trouvant réduit à un produit comptable. Je n’ai pas voulu me brûler les ailes. Je voulais simplement être un bon acteur – loin du star-system –, qui peut avoir la reconnaissance _ effective et non usurpée _ du public _ cf ici ce que Marie-José Mondzain dit de la place du spectateur dans la conception même des œuvres, et leur effectuation ; avec aussi l’importance du hors-champ _ tout au long de sa vie.


C’est pour cela que vous acceptez _ en 1987 _ Le Soulier de satin ?


Oui. Antoine Vitez m’explique qu’il part sur une aventure de deux ans avec une pièce de douze heures. Il y a aura Didier Sandre, Ludmila Mikaël… Cela a été ma bouée. Jouer à Avignon, dans la Cour d’honneur, c’est un moment de grâce _ et comment ! _ du théâtre. Et puis retrouver les pas de Jean Vilar, la réflexion sur l’éducation populaire, sur la décentralisation, tout cela me ramenait au bon endroit _ et face au bon public. Mais je voulais aussi faire de la télévision. Mes parents n’allant ni au cinéma ni au théâtre, ils ne pouvaient me voir que dans des téléfilms. Par la suite, j’ai été content de retrouver au cinéma Claude Chabrol _ pour les films Masques, en 1987, et L’Ivresse du pouvoir, en 2006 _, Bernardo Bertolucci _ le génial auteur de La Luna, de Prima della Rivoluzione, du Conformiste, 1900, etc. ; pour le film The Dreamers, en 2003.._ ou Gérard Mordillat _ ami, lui, de Frédéric Gros, et qui a aidé ce dernier de quelques conseils pour son premier roman, Possédées ; pour le film Vive la Sociale, en 1984 _, des réalisateurs qui avaient du sens.


Vous dites : « Je suis un pur produit de l’éducation populaire. » Est-ce pour cela que vous avez créé l’Association des rencontres internationales artistiques (ARIA) en 1998 ?


Oui, bien sûr. Je gagne ma vie, je n’ai pas de problème d’argent, nous vivons en Corse avec nos quatre enfants, tout va bien. Je me dis : comment être utile, comment rendre _ voilà _ à d’autres ce que j’ai reçu, être cohérent avec moi-même ? Dans cette montagne corse _ à Olmi-Cappella, précisément _ qui m’a tant donné de par ma mère et qui est tellement en voie de désertification _ hélas ! _, je raconte à des élus les aventures fondatrices et fonder, afin de transmettre, est essentiel _ que j’ai vécues à Vézelay et à Valréas _ des villages vivants. Et je leur propose de rendre un ancien et immense bâtiment scolaire, qui tombait en ruine, à l’éducation populaire _ voilà. D’y organiser des stages en été. Ils m’ont fait confiance.


N’ont-ils pas trouvé cela utopique ?


Si, complètement. Mais, dès le premier été, les quinze spectacles réalisés ont eu un grand succès. Alors on a continué, trouvé des financements, réhabilité le bâtiment, construit un théâtre, et cela fait bientôt vingt ans que dure l’aventure, avec toujours la même exigence artistique _ cela aussi est très important : ne jamais transiger avec cette visée de l’excellence, qui est sans prix ! L’ARIA – pour laquelle je suis évidemment bénévole – a créé des vocations _ bravo ! _ de metteurs en scène, d’acteurs. Le théâtre sert à unir _ le public réuni là _ et à libérer _ au lieu d’époustoufler-sidérer-capturer de purs spectateurs _, encore faut-il nommer _ bien effectivement _ les chaînes qui nous aliènent.


Dans notre société de consommation effrénée, on se sent perdu _ noyé dans un maelström de faux repères : les marques… On va dans le mur sur plan écologique, mais on continue. Le théâtre mise sur l’intelligence du public _ via la distance de la rampe entre la scène et la salle _, reste le lieu où l’homme parle _ à distance toute humaine _ à l’homme. Les gens ne se rendent pas compte qu’ils sont _ réduits à de vides rouages _ dans une industrie _ oui : machinale, mécanique _ du divertissement qui les mange, les dévore. L’obscène _ Marie-José Mondzain emploie même, à ce propos, le mot de pornographie : cf notre entretien du 16 mai 2012 à propos de son Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs ; et mon article récent du 15 mars dernier sur son Confiscation des mots, du temps et des images : « Le superbe « Nettoyer une expression » de Marie José Mondzain en son « Confiscation des mots, des images et du temps »  _ est revenu, mais ils ne savent pas nommer cette angoisse naissante.


Etes-vous pessimiste ?


Je ne suis ni pessimiste ni optimiste, je suis absolument combatif _ bravo ! Il faut agir et faire _ oui : et sans relâche. J’agis dans un centre dramatique national itinérant, Les Tréteaux de France_ dont, enfant, j’ai assisté à diverses représentations, avec Jean Danet : de pièces de Shakespeare (Hamlet), Claudel (L’Otage), Pirandello (Chacun sa vérité), Camus (Caligula), Sartre (La P. respectueuse)… _, parce que la notion de service public m’importe beaucoup _ oui !!! L’idée est de poursuivre le chemin de Jean Vilar, d’aller à la rencontre d’un public qui manque au théâtre. Mon combat est de tenter que les gens s’emparent de la langue _ qui aide à mieux penser, mieux juger. Le grand privilège d’aujourd’hui, c’est ceux qui ont les mots face à ceux qui ne les ont pas _ quelle tragédie : la détérioration de l’école y a sa part, à partir, notamment, de la suppression de la formation des instituteurs dans les Écoles Normales. D’où l’importance _ énorme ! _ de l’éducation artistique et culturelle dès l’école _ on n’insistera jamais assez là-dessus : cf en mon entretien du 20 mai 2011 avec Jean Clair, sur son Dialogue avec les morts ce qu’en dit superbement celui-ci.


Qu’est-ce qui vous a convaincu de participer à la série télévisée grand public « Un village français » ?


L’idée était séduisante : il s’agissait de raconter, à travers 72 heures de fiction, la seconde guerre mondiale dans _ la complexité à pénétrer de _ la zone « grise ». Daniel Larcher, mon personnage de médecin, va se conscientiser au contact _ violentissime _ de l’Histoire. Il n’est ni un héros ni un salaud. On nous a beaucoup menti sur la réalité. Durant toute ma scolarité (je suis né dix ans après la guerre _ le 11 juillet 1956 _), le « roman national » consistait à raconter que toute la France avait été résistante.


Quel regard portez-vous sur cette campagne présidentielle ?


Nous sommes davantage dans le bavardage que dans la parole _ une parole qui soit vraiment assumée, sans parler du scandale (que d’aucuns voudraient banaliser, et quasi justifier !) des mensonges et parjures en tous genres de tant d’acteurs politiques présents... Cette campagne électorale est complètement tiraillée entre ceux qui sont pour l’intérêt général _ et la solidarité avec les autres _ et ceux qui sont pour la défense _ cynique _ des intérêts privés _ égoïstes. Nous n’avons pas été _ assez _ clairs sur la nécessité _ oui ! pour sauvegarder ce que sont l’idéal et les dispositifs concrets de la démocratie véritable _ d’assainir les liens entre l’argent et le pouvoir. Le Conseil national de la Résistance – auquel je reste très fidèle _ oui, et combien j’approuve cela ! _, car c’est de là que vient la question de l’éducation populaire – disait très précisément qu’il fallait séparer les banques du pouvoir, et séparer les médias du pouvoir.


Aujourd’hui, il y a ceux qui sont capables de tenir ce programme, et ceux qui ne le sont pas. Cela se voit de manière extrêmement claire _ en effet. Après, ce qui est déplorable, c’est que ce soit édulcoré par, d’un côté Poutou, d’un côté Mélenchon, d’un côté Hamon… Tout cela crée de la division dans des pensées qui pourraient _ et devraient _ être rassembleuses, mais qui se diluent _ dispersant hélas les voix. Je suis atterré de savoir que Marine Le Pen risque d’être au deuxième tour et que, vraisemblablement, ce sera face à Fillon ou Macron. Mes pensées sont de gauche. Mais, franchement, je ne sais pas _ non plus _ si je serais sécurisé que la gauche _ mais laquelle ?  celle qui se prétend « progressiste » et renie le mot de « socialiste »  ?.. _ soit maintenant au pouvoir. Il faudrait vraiment qu’elle soit active _ certes !!!!! _, pas comme elle l’a été _ trois fois hélas _ ces dernières années.


Une chose est certaine : le libéralisme tel qu’il nous est proposé _ l’ultra-libéralisme _ est une impasse absolue _ catastrophique ! _ et l’avenir est au métissage de nos sociétés. Il est inconcevable de ne pas se rendre compte que l’évolution du monde, quoi qu’il arrive, va vers le métissage. C’est l’avenir de l’humanité. Quant à l’avidité envers l’argent, c’est un système corrosif _ de corruption et de haine _ dont il faut sortir. Peut-être Benoît Hamon est-il en avance sur la question du travail et de la subsistance qui serait assurée par la société ?


Propos recueillis par Sandrine Blanchard

« Le Faiseur », de Balzac, mise en scène Robin Renucci, en tournée du 21 avril au 5 mai
« L’Enfance à l’œuvre », à partir de textes de Romain Gary, Henri Michaux, Arthur Rimbaud, Marcel Proust. Spectacle itinérant du 7 au 26 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon
20es Rencontres internationales de théâtre en Corse, du 5 au 12 août

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2017/04/16/robin-renucci-l-industrie-du-divertissement-nous-devore_5111966_3246.html#G39Y9BjjoIBX6fu8.99

À méditer…

Titus Curiosus, ce dimanche 16 avril 2017

 

Arpenter Venise : le mérite (de vraie curiosité à l’altérité !) du « Dictionnaire insolite de Venise » de Lucien d’Azay

30déc

Toujours plongé, ce mois de décembre 2012 _  par ma méditation un peu active et toujours quelque peu enchantée _ dans ma confrontation, par la pensée maintenant _ après ma semaine vénitienne (d’arpentage passionné !) de février 2011, au moment du colloque « Un Compositeur moderne né romantique : Lucien Durosoir (1878-1955)« , au Palazzetto Bru-Zane _, au délicieux mystère _ involutif… _ du génie de Venise

ainsi qu’aux aventures des divers défis, des uns et des autres qui s’y sont physiquement (et synesthésiquement) confrontés

et qui en ont, bien sûr, témoigné (à d’autres qu’eux) dans ce qu’ils ont ensuite écrit pour essayer de cerner _ toujours a posteriori, forcément : mais le souvenir activé de cet arpentage-là (comme l’effort ouvert de l’écriture qui aide à cet effort du souvenir) fait partie, ô combien !, ne serait-ce qu’à titre d’effet a posteriori, de l’irradiante (et pour longtemps, avec ses longs effets-retards…) puissance de charme du voyage, en la qualité d’acuité de son aisthesis première (et irremplaçable !) sur place… ; cf tout ce qu’en dit l’excellent Sylvain Venayre en son passionnant Panorama du voyage (1780-1920) ; cf aussi ce qu’à mon tour j’en ai dit dans mon article du 31 octobre 2012 Le désir de jouir du tourisme : les voyageurs français de Venise _,

pour essayer de cerner, donc, la qualité singulière (peut-être… : on pourrait l’espérer, dans la mesure où _ et si, car cela ne va en rien de soi ; il faut un minimum bien vouloir s’y prêter, s’y offrir, y collaborer si peu que ce soit, aussi… _ l’expérience du voyage contribue à nous aider ainsi aussi à mieux devenir nous-mêmes, en une heureuse métamorphose…) ;

pour essayer de cerner la qualité singulière, donc,

de cette expérience à vif et propre-là, sur place _ lors de leur passage ou séjour effectif (et non simplement rêvé, fantasmé) à Venise _, en quelque livre, ou en quelques lettres, ou du moins en quelque écriture, quelle qu’elle soit _ ce peut même être une écriture rien que pour soi… _,

sinon pour, en pareil essai d’écriture a posteriori et un peu plus « refroidie » alors,

« percer » enfin à jour ce mystère _ éminemment tangible sur place, parmi tous ces « reflets » ici… _ du génie de Venise,

du moins pour un peu éclairer ce que chacun de ces voyageurs-séjourneurs _ ainsi que soi-même : avec un tant soit peu d’expérience et de maturité, on devrait un peu s’améliorer… _, a eu l’occasion d’approcher, et de s’y coltiner un tant soit peu, en chair et en os et en personne, alors _ et pedibus, de sestiere en sestiere _,

plongé comme on le fut, ces moments souvent intenses du (presque toujours trop) rapide et (trop) bref voyage et séjour (et promenades, de facto), au cœur du labyrinthe des calli et des canaux, parmi (et entre) les îles composant les sestieri de la ville, en en arpentant les diverses voies, telles d’étroits couloirs, entre les palazzi qui la constituent, serrés et blottis les uns contre les autres, avec, de temps en temps, les églises qui la parsèment (formant des paroisses), et les campi et campielli qui en aèrent la respiration du promeneur _ même si tous les campi sont loin d’être séduisants, ou même simplement accueillants : je pense aux malaises ressentis, et à plusieurs reprises (= chaque fois !), en traversant le Campo San Stin (dans le sestiere de San Polo), ou le Campo delle Gatte (dans celui de Castello), pour ce qui me concerne : sur San Stin, j’apprends, pages 44 et 56 du Dictionnaire insolite de Venise de Lucien d’Azay qu’en 1995, « le gattile de l’île San Clenente (de l’italien gatto, « chat », comme le chenil pour les chiens) est remplacé par un dispensaire pour les animaux errants à San Stin, puis à Treporti » ; et aussi qu’au XVIIIe siècle, « envers du libertinage effréné, on avortait si fréquemment à l’époque qu’il existait un cimetière de fœtus dans la paroisse de San Stin, à une centaine de mètres de la majestueuse église des Frari » : tiens ! tiens !!.. ; cf aussi (à la notice « Goldoni« , page 74 ) la remarque sur les « tentacules de poulpe vidés dont on prenait soin de conserver les ventouses«  comme préservatifs un peu commodes, quand s’amplifia l’industrie de la débauche à Venise… _ ;

du moins pour avoir tenté de se hisser à la capacité de ressentir vraiment _ et davantage, et mieux, à rebours des anesthésies diverses, et surtout des clichés-œillères du prêt-à-ressentir… _ Venise,

chacun, comme soi-même, et forcément sur place, et sur le champ du plus vif et acéré « présent » alors (cela pouvant aller jusqu’à la sidération !), au moment _ tellement délicieux mais toujours aussi (du fait que le temps du voyageur-visiteur demeure toujours un peu « compté » !) un peu affolé, en même temps qu’un peu (ou beaucoup !) ivre (de plaisir !), car assez formidablement surprenant et déstabilisant en sa part d’altérité-découverte (mais c’est aussi une part de ce qu’on a puissamment désiré en faisant le voyage de Venise..!), pour qui du moins essaie de résister aux clichés-rails-tuteurs rigides (beaucoup trop droits !) de la sensibilité, qui ne manquent pas de l’assaillir (et de trop le guider) même alors… _,

au moment _ crucialissime : ne pas le manquer en demeurant un peu trop ensommeillé, et pas assez ouvert à l’altérité éventuellement radicale de ce qui s’ouvre (sur les pas du candidat à l’émerveillement qu’est toujours un peu le promeneur de Venise) et peut se découvrir (à lui) à ce moment-clé-là, et qui passe si vite… _ de l’arpentage de la ville,

d’un arpentage qui soit éventuellement et si possible idiosyncrasique aussi _ faut-il du moins l’espérer ! me semble-t-il… _ de la part de chacun d’entre eux, de cette ville assez rare _ sinon unique : je pense par exemple aussi à toutes les petites Venise(s), avec ports, mais sans canaux ! (cf la rubrique « comptoirs« , pages 49-50), du si beau littoral dalmatique : Pirano, Parenzo, Rovigno, Pola, en Istrie, puis Zara, Sebenico, Traù, Spalato, Raguse, Cattaro, découvertes avec émerveillement l’été de 1969 en ce qui me concerne… _, veux-je dire,

en s’essayant au plus de justesse possible de leur _ et de sa _ propre « sensibilité » synesthésique _ à côté et en prolongement de la sensibilité proprement « esthétique » : je renvoie une fois encore ici à l’admirable finesse et justesse d’analyse du merveilleux chapitre syracusain de l’admirable Acte esthétique de Baldine Saint-Girons… _ hic et nunc, en leur propre arpentage, donc, du labyrinthe vénitien,

jusqu’à la musique de leurs pas résonnant délicatement, parmi une bien belle qualité de silence, déjà, sur les dalles des calli, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, la saison, le degré de luminosité selon la qualité de l’air, des vents (la bora, le sirocco, etc.) et la quantité d’humidité (la pluie, la nebbia et la caligo, la neige), etc… _ à moins que les visiteurs de Venise ne préfèrent coller leurs pas dans ceux des clichés (et guides et baedekers) les plus éculés, au lieu d’aller un peu « à l’aventure » : il en est certains que cela paraît rassurer ; mais ceux-là n’écriront jamais que de brévissimes cartes postales… ; j’ai noté ailleurs (et à propos non de Venise, mais de Rome) qu’il a fallu plus d’une année de séjour de Goethe à Rome pour parvenir à s’extraire enfin des clichés éculés sur Rome, et se mettre enfin à ressentir vraiment un peu le génie vrai de Rome, en son Journal de Voyage en Italie _ :

ainsi Lucien d’Azay remarque-t-il, page 22, à la rubrique « Babil« , de son Dictionnaire insolite de Venise : « la nuit, l’acoustique des calli et des canaux est exceptionnelle ; le moindre murmure se répercute dans le silence comme sur la scène d’un théâtre : bruit des pas sur les dalles, bâillement d’un flâneur fourbu, jusqu’à la respiration des dormeurs«  ;

et sur les calli, encore ceci, de basique, page 36 : « Comme on circulait autrefois par voie d’eau, le réseau piétonnier est secondaire (la porte principale des palais donne presque toujours sur un canal). À l’origine, la calle ressemblait plus à un couloir qu’à une rue ; d’où l’impression de parcourir un labyrinthe ou un immense appartement _ voilà ! _, qu’une ville _ cf aussi page 21 : « l’étroitesse des rues, pareilles à des couloirs, contribue à la promiscuité et à la médisance qui en découle«  ; mais « le bon côté du commérage, c’est qu’il favorise la cohésion urbaine, puisqu’il resserre les liens entre les habitants et leur ancrage dans la ville » : Venise est la grande maison d’un unique, mais divers et complexe village !  On se croirait dans une vaste maisonnée aux frontières invisibles, pareille aux eruvim des communautés juives, la sphère privée empiétant sur l’espace public. Les calli servaient à passer d’une maison à l’autre et ne s’inscrivaient pas dans un itinéraire _ avec sens plus ou moins indiqué (et incité !) de la visite, à l’usage des touristes !.. Ce qui explique pourquoi elles sont si étroites, tortueuses et parfois même incohérentes _ oui ! _ selon les critères urbains traditionnels. On en compte 3000. Une bonne douzaine n’ont même pas un mètre de largeur«  _ ;

ainsi, suis-je « tombé », non sans la collaboration aussi d’un certain hasard objectif, dans la caverne d’Ali Baba, pourtant claire et assez méthodique _ mais réaménagée l’été dernier : bien des coins m’en échappent encore… _, de la très vaste et très riche (en milliers de livres) librairie Mollat, alors que je recherchai des livres pas trop lourds (pour ma mère convalescente) de biographies de « personnages » intéressants du XXe siècle, au rayon Histoire et dans une colonne intitulée « Biographies »,

sur un petit livre _ de format 12 x 17 ; sa tranche fait 1 cm, glissé dans une rangée serrée de beaucoup d’autres… _ intitulé Dictionnaire insolite de Venise, par Lucien d’Azay, aux Éditions Cosmopole… Fin de ma première phrase : seul qui m’aime me suive !..

Nulle part _ en nul journal, nul media : on ne peut vraiment pas dire que leur niveau de qualité s’améliore ! cf la lucidité de Nietzsche en 1883, dans le chapitre « Lire et écrire » du lucidissime Ainsi parlait Zarathoustra (et cf aussi le jugement là-dessus d’Eugenio Scalfari dans son magnifique Par la haute mer ouverte _ Notes de lecture d’un Moderne : ne surtout pas laisser passer cet ouvrage !!! paru en septembre dernier) _, je ne me souviens avoir trouvé mention de cet ouvrage de Lucien d’Azay, publié au mois de juin 2012… Quel dommage !

Au passage, je me permets de remarquer que c’est un vrai problème que de se repérer parmi le tout-venant de la production de livres, comme de celle de disques ; surtout à une époque d’envahissement (monstrueux !) de produits de divertissement, qui se vendent le plus !!!! ALERTE !

Mais le nom de Lucien d’Azay n’est pas tout à fait inconnu au lecteur mensuel et un peu curieux de la Revue des Deux-Mondes que je suis _ cette revue, que dirige Michel Crépu, me dépayse de la majorité de mes repères culturels ; j’y trouve mention d’ouvrages de qualité non répertoriés par mes medias de référence ; même si je suis loin de partager certaines des options de cette revue. On n’a jamais le regard assez large ; ni de suffisantes lunettes d’approche… C’est cette connaissance-là du nom de Lucien d’Azay qui m’a incité à acheter ce petit Dictionnaire insolite de Venise si étrangement rangé _ ou reposé négligemment là par quelque client pressé, sans le remettre à sa place ?.. _ parmi les « biographies » au rayon Histoire ! Et je ne le regrette pas !!!!


Car voici le premier ouvrage sous la plume d’un Français d’aujourd’hui que je trouve vraiment lucide et (civilisationnellement) profondément juste _ avec assez d’accueil de (ou à) l’altérité de ce monde vénitien ! en son idiosyncrasie… : cette altérité que ne manque que trop bien le bien trop narcissique (bien trop imbu de lui-même) Philippe Sollers (jusque quand il emploie le mot « amoureux », par exemple, dans l’expression Dictionnaire amoureux de Venise : de quoi peut-il donc bien s’agir, en matière d' »amour », sinon de ce que lui « projette » sur l’autre ?!?.. Sollers a l’amour bien trop égocentré !) _ sur Venise, et surtout « la vie vénitienne« ,

pour reprendre l’expression du maître-livre de Henri de Régnier : L’Altana ou la vie vénitienne (1899-1924) _ sur Henri de Régnier (et son « cénacle«  vénitien, lire la notice consacrée par Lucien d’Azay au « Club des longues moustaches » du Caffé Florian, page 48 : « à rebours du _ sinistre et contagieux ! _ cliché mortifère dont Maurice Barrès et Thomas Mann, entre autres, s’étaient fait les promoteurs à la même époque, (Henri de Régnier) eut au moins le mérite _ dont acte ! _ de faire découvrir à ses compatriotes une Venise solaire et délicate«  ; pages 134-135, dans sa notice consacrée à « Sollers«  (« cet ardent Vénitien d’adoption« , dit-il cette fois de lui, page 110 : Sollers passant deux fois l’an deux semaines à Venise ; ainsi, en 1998, ce fut du jeudi 4 juin au jeudi 18 juin ; puis du jeudi 10 septembre au jeudi 24 septembre, se découvre-t-il aux pages 124 à 143, puis 244 à 269, de L’Année du Tigre _ Journal de l’année 1998…), Lucien d’Azay reconnaît, à côté de la critique fort juste (je la partage pleinement ! qu’il lui adresse (et sur laquelle je vais bien sûr revenir et insister !, un mérite voisin sur le regard des Français en général, sur Venise, à celui qu’il reconnaît à Henri de Régnier : « Sollers, comme Jean d’Ormesson, mais dans un genre légèrement différent _ en fait de projection et superficialité égocentriques hédonistes ! _, a toutefois redoré le blason de la ville aux yeux des Français » : Venise redevient (mais faut-il s’en féliciter ?) un must de l’attraction touristique pour les Français ! Mais sur quels critères (et quels malentendus abyssaux en fait de rapports à l’altérité !) Venise va-t-elle donc être ainsi perçue et « consommée » ?..

Et c’est donc cet article-ci que je consacre aujourd’hui à ce fort juste Dictionnaire insolite de Venise comme miraculeusement débusqué de derrière les fagots des rayons à trésors de la librairie Mollat.

Car Lucien d’Azay n’est pas, lui, un voyageur de passage un peu pressé _ ne serait-ce qu’au rythme de deux séjours de deux semaines chacun par année, selon ce que Lucien d’Azay nous apprend, page 135, des habitudes dorsoduriennes (à l’hôtel-pensione La Calcina, sur les Zattere) de Philippe Sollers et de Dominique Rolin, quarante années durant, depuis leur découverte de la merveilleuse veduta de leur chambre donnant sur la Giudecca, en 1963… _ en son passage à Venise : Lucien d’Azay a en effet, lui, enseigné quinze ans durant au Liceo Ginnasio Marco Polo, dans le quartier (si vivant !) de San Barnaba et de la Toletta _ « qui est à la fois rue et mini-quartier« , dit Paolo Barbaro, page 185 de son Petit Guide sentimental de Venise _, où j’ai apprécié de me trouver plusieurs fois par hasard au moment de la très joyeuse un peu bousculée sortie des classes, à cinq heures, à la Calle della Toletta et au Ponte delle Maravegie _ « Et le voici, le Ponte delle Maravegie : ce n’est pas seulement l’un des plus beaux endroits que je connaisse (…), mais c’est un endroit où les voix s’entremêlent d’une façon effrayante. (…) Les Maravegie sont le lieu de permutation des figures » (qui enchantent Venise, et le rapport le plus vrai qui soit à Venise et à la « vie vénitienne »), poursuit Paolo Barbaro, page 187 de son livre-bible des vrais amoureux de Venise…

Et à lire ce passionnant Dictionnaire insolite de Venise de Lucien d’Azay _ et je l’ai lu deux fois à la suite… _,

on peut remarquer que les plus fréquentes allusions à des sestieri de Venise en ses denses _ (= riches) et sans la moindre lourdeur _ 158 pages

_ l’écriture, rapide, est souvent jubilatoire ; cf par exemple la délicieuse notice intitulée « Lourdes« , pages 89-90, consacrée aux (très) riches Vénitiennes fréquentant l’été, telles des « varans » au soleil, le « bord de la piscine » du « chiquissime Hôtel Cipriani« , à la « plateforme de luxe » de l’extrémité orientale de l’île de la Giudecca : « étant donné la cotisation mensuelle, elles ne se bousculent pas«  !!! « Impassibles comme des varans » (!), « un buffet leur permet de passer la journée au soleil, sans avoir à se rendre au restaurant » ; « on dirait, non pas qu’elles méditent, mais qu’elles vidangent leur esprit« … Alors, « au bord de la piscine du Cipriani, on ne fait pas de rencontres. Aucun imprévu ne dérange l’ordre parfaitement égal de ce monde clos« . Avec cette très jolie chute-ci : « Au reste, pas plus que leur corps épuisé par les soins, les signore n’espèrent grand-chose. Si ce n’est, peut-être, le miracle impossible qui les obsède. Les mauvaises langues ont rebaptisé l’endroit Lourdes«  _,

on peut remarquer que les plus fréquentes allusions à des sestieri de Venise

concernent précisément ce coin si vivant de San Barnaba et de la Toletta de ce sestiere assez animé _ du côté, aussi, des universités dans les environs de l’estudiantin Campo Santa Margherita _ qu’est Dorsoduro

_ un peu moins animé, toutefois, et même passablement tristounet, à mon goût !, une fois passé le rio San Vio, du côté de la Punta della Dogana, le coin des résidents (de luxe !) saisonniers anglo-saxons (cf aussi ce qu’en dit le très judicieux et donc très précieux ! sur la « vie vénitienne«  Venise, sur les traces de Brunetti _ 12 promenades au fil des romans de Donna Leon, de Toni Sepeda !) ;

de même que du côté quasi sinistré (mais de pauvreté, cette fois ; mais au charme assurément étrange et très prenant, à la frange du malaise : ce que sait pointer encore fort justement la notice de Lucien d’Azay, pages 58-59, consacrée au film de Nicolas Roeg Don’t look now, en français Ne vous retournez pas, en 1973, tourné en partie là ; cf aussi, à propos de ce même lieu désolé, la notice que Lucien d’Azay consacre à « la Wicca » et à son coven en ce lieu, pages 149 à 151) ;

de même que du côté quasi sinistré de la pointe « lugubrement déserte et nébuleuse«  de San Nicola dei Mendicoli ;

parmi ces lieux parmi les plus étranges de Venise, Lucien d’Azay _ qui lui-même goûte assez (cf ses notices « Corvo (Baron)« , pages 52 à 54 et « Excentriques« , pages 60-61) les excentricités en divers genres : cf, dans sa bibliographie, ces titres-ci : Trois excentriques anglais ; Le Faussaire et son double _ Vie de Thomas Chatterton ; ou encore À la recherche de Sunsiaré _ une vie : Sunsiaré est la jeune femme morte en même temps que Roger Nimier, dans l’accident de son Aston-Martin sur l’autoroute de l’Ouest… : Lucien d’Azay est donc un curieux qui aime aller regarder un peu plus loin (que le tout-venant) dans les coins… _,


parmi ces lieux parmi les plus étranges de Venise, Lucien d’Azay, donc,

ajoute à ce coin quasi disgracié de la pointe de San Nicola dei Mendicoli,

« les environs des églises de San Zan Degolà, à Santa Croce » et « de Santa Maria della Misericordia (aujourd’hui désacralisée), à Cannaregio« 

Sur les subtiles micro-variations de climat d’un coin de rue à l’autre dans un même sestiere de Venise _ variations consubstantielles à l’idiosyncrasie de Venise ! _, pour le marcheur éperdu de Venise,

je renvoie une fois de plus aux sublimes micro-analyses de Paolo Barbaro, le vénitien Ennio Gallo, en son merveilleux de finesse et justesse (du regard) Petit Guide sentimental de Venise (cf ce que j’en dis dans l’article inaugural de cette série sur « Arpenter Venise« , le 26-8-2012 : Ré-arpenter Venise : le défi du labyrinthe (involutif) infini de la belle cité lagunaire)…

Par son goût de l’étrange (sinon de l’excentrique),

ce livre de Lucien d’Azay mérite mille fois mieux son intitulé de « Dictionnaire insolite« 

que le livre de Philippe Sollers celui de « Dictionnaire amoureux« ,

car, ainsi qu’il le remarque lui-même (et l’énonce aussi à propos de l’ouvrage de Philippe Sollers), Lucien d’Azay s’intéresse tout spécialement, et peut-être même en priorité, à la particularité de la langue et de son onomastique, et même aux variations et subtiles nuances _ à commencer par ce que permet d’induire de « sensibilité » déjà la prononciation !!! _ de l’italien au vénitien, telles qu’elles peuvent s’entendre en arpentant les calli de Venise… ;

alors que Philippe Sollers _ peu sensible déjà à ce qui se dit (et s’entend dire) à Venise, à commencer par ce que disent les Vénitiens ! _ propose seulement, lui, un répertoire de ce qui l’agrée _ très sélectivement ! en plus de la beauté d’un décor (just a glance !) positivement stimulant pour l’élévation (strictement hédoniste, si je puis me permettre cette expression !) des travaux d’écriture de l’œuvre littéraire à réaliser : ce n’est que ce qui peut susciter les élans de son enthousiasme à lui, qui le motive ! _ à et dans Venise…

Ainsi pourra-t-on remarquer non sans effarement que sa priorité à lui, Philippe Sollers, va à noter très scrupuleusement _ ainsi que le ferait un Valery Larbaud de par les divers ports du monde entier ; mais Larbaud s’embarquait de facto aussi… _ tous les noms qu’il peut lire sur les coques des énormes paquebots de croisière qui viennent gentiment défiler (lentement) jusque sous ses yeux par le canal de la Giudecca ; et cela, qu’il les découvre et regarde depuis la table qui lui sert de bureau par la fenêtre au midi de sa chambre à l’étage de la pensione La Calcina, ou en prenant le frais sur les quais toujours un peu ventés des Zattere : comme si c’étaient les noms de l’ailleurs qui _ à la Larbaud, donc _ l’intéressaient bien davantage, et cela comme auteur au travail, que Venise elle-même et ce qu’elle-même peut offrir… Venise est pour Sollers essentiellement un (magnifique !) décor _ seulement : pour le théâtre à mettre en branle de son imaginaire… _ de beauté stimulant l’imagination d’écrivant au travail qu’il est alors très effectivement ici ; celle qui se promène, et qui fait preuve de curiosité et d’attention vraie à l’altérité vénitienne, c’est Dominique Rolin _ c’est elle qui sait voir et qui sait regarder (et aussi écouter), et qui le lui rapporte ; et Philippe Sollers de l’admettre le premier lui-même…

Pour le reste, si Philippe Sollers s’éloigne de sa table d’écriture et du quai des Zattere, c’est pour aller très ponctuellement _ le temps de l’écriture primant ! cette petite quinzaine de séjour à Venise… _ à la rencontre _ calculée _ de quelques œuvres d’art choisies à revoir et re-contempler, toujours et toujours, dans quelque musée ou église ; pas pour aller à la rencontre de l’inconnu au hasard par les sestieri excentrés de Cannaregio ou de Castello, ni dans le labyrinthe serré des calli de Santa Croce… Ainsi le petit jeu de l’imagination sur les noms de bateaux l’emporte-t-il sur l’arpentage pedibus des calli de Venise, pour lui…

Et en cela, un Philippe Sollers est encore moins un arpenteur de Venise qu’un Alain Vircondelet ne s’éloignant guère que de quelques pas des quelques sites qu’il a choisis, parmi les vedute de Canaletto et de Guardi, à la base de son Grand Guide de Venise_ cf mon article précédent : Arpenter (plus ou moins) Venise : les hédonismes (plus ou moins) chics _ le cas du « Grand Guide de Venise » d’Alain Vircondelet, homme de lettres

Dans son article « Sollers« , aux pages 134-135, Lucien d’Azay fait ainsi preuve d’un grand talent et de lecteur et de synthétiseur à propos du sollersien Dictionnaire amoureux de Venise :

outre que Philippe Sollers fait, avec une très bonne (et de plus en plus rare aujourd’hui, en effet !) « érudition« , « la revue de tous les grands maîtres de l’art qui ont été influencés par Venise : de Monteverdi à Wagner et de Véronèse à Manet, en passant par Vivant Denon, Lord Byron et Marcel Proust (l’auteur s’est même consacré une entrée)« ,

« il révèle au passage le principe de son livre : « Venise, voilà son secret, est un amplificateur«  _ dit-lui-même Sollers (car c’est ainsi que fonctionne pour lui sa Venise !) ;

et j’ajouterai, pour ma part, un amplificateur de projections narcissiques, pour beaucoup, sinon la plupart de ses visiteurs ; et cela, au-delà du cas, certes éminent !, de Philippe Sollers lui-même, bien sûr ; au premier chef ! comme il lui plaît de l' »orchestrer » en son livre… Soit, pour tous ceux qui ne sont guère (ou du moins pas assez) passionnés d’altérité vraie, mais aiment s’en tenir aux (seuls) reflets (confortables) de leurs fantasmes : comme la diversité des reflets et moirures perpétuellement mobiles qu’offrent les canaux et la lagune le leur permet, certes, et  à profusion ! Car tout bouge tout le temps, à Venise ! Mais il y a tout de même aussi quelques heureuses exceptions !!! à ce tropisme-là, parmi les voyageurs de Venise…  « Si vous êtes heureux _ poursuit, d’expert en projections !, Sollers cité par Lucien d’Azay _, vous le serez dix fois plus ; malheureux, cent fois davantage« .

Et Lucien d’Azay de poursuivre très finement :

« Le secret de Sollers, c’est qu’il est lui-même un amplificateur : les mythologies littéraire, picturale et musicale _ riches, en effet, ces mythologies sollersiennes… _ de sa Venise, entrent en résonance dans son livre. Il investit la ville _ c’est parfaitement vu ! à la Don Giovanni (ou la Casanova ; mais Da Ponte était lui aussi vénitien !!!)  _ de son propre émerveillement _ qui est alors littéralement éblouissant : Zerline (« Vorrei et non vorrei« …) se rendra-t-elle au casinetto ?… Et son enthousiasme _ surtout pour ce qu’a de casanovesque et dongiovannesque (= hyper-hédoniste et dilettante) la Venise décadente du second XVIIIe siècle _ est pour le moins contagieux  » _ en effet, tel celui du bateleur pour le chaland ébobi… Et l’édition de livres est bien sûr aussi (et de plus en plus d’abord !) une industrie…

Et Lucien d’Azay d’ajouter alors encore mieux :

« Le seul reproche qu’on pourrait lui faire,

mais peut-être annonce-t-il à sa manière le futur _ touristique à outrance, à l’heure de la mondialisation ; cf là-dessus, le Contre Venise, de Régis Debray… _ de cette ville-réceptacle,

ce n’est pas d’occuper le décor incognito, mais de se contenter (avec ravissement certes) du décor _ voilà ! « se contenter du décor » à la façon de qui succombe au piège qu’a ourdi le scénographe au théâtre _ : la lagune, les pierres, les couleurs et la lumière ; et de ses légendes (ce féru d’expériences linguistiques, émule de Joyce et de Pound, ne s’intéresse guère _ ô combien peu ! _ à l’italien, et pas du tout au vénitien« .

Avec cette remarquable induction, encore :

« Le destin de Venise _ du moins cette Venise pour et selon Sollers (et ses émules…) _ est-il donc d’être une ville où, au contraire de New-York _ un tropisme fort de Lucien d’Azay, de même que celui de Londres _, on se livre _ narcissiquement et par projection universelle de l’ego _ à sa _ seule _ fantasmagorie personnelle _ et qui l’est si souvent si peu, « personnelle », singulière ! mais ici je ne pense pas à Philippe Sollers… _, en se gardant d’y tisser des liens sociaux?«  _ surtout en compagnie discrète (et parfaitement suffisante _ pour ses projets…) de sa fidèle maîtresse… 

De même que ni l’un ni l’autre de ces deux « dictionnaires » de Venise ne sont marqués par ce que je nommerai une attirance, un goût, ou a fortiori une passion de nature « géographique » _ Michel Chaillou, lui, parle d’un « sentiment géographique« … _,

pas plus le « dictionnaire insolite » de Lucien d’Azay

que le « dictionnaire amoureux » de  Philippe Sollers

ne sont marqués par le goût ou la passion de l’arpentage des calli de la cité ;

ni l’un, ni l’autre de ces deux auteurs

ne partant, pedibus, à la recherche du génie des lieux géographiques ; coin caché et secret de sestiere par coin caché et secret de sestiere


Mais, à part la très riche (et passionnante, alors) érudition artistique vénitienne de Philippe Sollers,

l’avantage de ce Vénitien de quinze années à Venise _ et à Dorsoduro, et à la Toletta… _ qu’est Lucien d’Azay,

est bien de formidablement nous initier un peu, via le vocabulaire spécifiquement vénitien, qu’il nous présente,

sinon aux sestieri,

du moins à la civilisation vénitienne… Et cela est irremplaçable !

Une dernière remarque :

en continuant mes recherches bibliographiques,

j’ai mis la main sur cette mine (et cette somme !) à propos du regard des visiteurs étrangers de Venise qu’est Un Carnet vénitien de Gérard-Julien Salvy ; et en commençant à la parcourir,

je suis tombé (pages 319 à 323) sur un exposé remarquable _ mais tout le livre est magnifique ! _ des témoignages superbes de Ferdinand Bac (1859-1952) sur Venise ;

Ferdinand Bac, auteur, notamment, de trois ouvrages consacrés à Venise : un roman,  Le Mystère vénitien, en 1909 ; des Promenades dans l’Italie nouvelle, parus en 1933-35 (en trois volumes) ; ainsi que le Livre-Journal 1919, publié par Claire Paulhan en 2000 ;

et que Gérard-Julien Salvy présente, page 319, par ce mot de Bac sur lui-même : « au fond, rien qu’un homme qui marche en pensant »,

ainsi qu’aimait superbement se caractériser cet auteur !..

Page 321, je lis ceci : « Et bien entendu, ce n’est pas en touriste qu’il se plaît à Venise. Il en aime les quartiers de son temps encore peu fréquentés » _ des touristes ; c’est-à-dire les quartiers (ou sestieri) populaires, voire miséreux ; très excentrés, de fait, par rapport à la Piazza San Marco…

Voici les extraits que nous en propose Gérard-Julien Salvy _ ils parlent fort clair… :

San Sebastiano : « Tout au bout de cette Zattere, hérissée de mâts et où s’alignent les silhouettes de la frégate marchande, la petite église San Sebastiano s’élève juste en face d’un pont dans un de ces très misérables quartiers, vrais paysages de détresse , ne semblant plus exister que pour abriter des famines et pour entendre la malédiction des égarés, perdus dans ces lointains parages«  _ et passé l’Angelo Raffaello, au campo désertique, San Nicola dei Mendicoli est encore plus désolé…

San Giobbe : « Là-bas, aux confins de la ville, plus loin que le vieux Ghetto, près d’un canal, sur une place abandonnée où l’herbe pousse. Ce n’est rien, me direz-vous. Mais peut-être est-ce aussi plus beau que Saint-Pierre de Rome«  _ oui ! Et passé le Ponte ai Tre Archi, on tombe sur la Tratoria da ‘a Marisa…

Santa Margarita : « Là-bas, au Campo Santa Margarita, c’est le vrai peuple qui règne. Plusieurs carrefours réunis en ont fait une grande place irrégulière qui m’attire depuis un demi-siècle par sa couleur locale. (…) Trois places se suivent _ « s’emboîtent », pourrait-on dire. Elles donnent à ce quartier son aspect aéré, une plastique imprévue par cet immense terre-plein dallé«  _ marché vivant le matin, et centre de la vie estudiantine aujourd’hui…

Castello : « Couchés au milieu des vignes, à cette extrémité _ cette fois encore _ de Venise, les jardins de la Compagnie du Gaz allaient jusqu’à la lagune. En automne, les pampres empourprés tombaient des arcades, ornaient les pergolas. En toute saison, une rusticité délicieuse entourait San Francesco della Vigna. Les Vénitiens venaient là cueillir du raisin noir«  _ le lieu et l’église sont toujours splendides…

San Trovaso (son lieu de résidence à Venise) : « Il s’engagea dans les ruelles qui conduisent au Ponte di Ferro et arriva bientôt sur la petite place, qu’il retrouva pareille à l’image qu’il en avait gardée dans son souvenir, avec la façade de l’église, ombragée par une oasis de grands arbres. À gauche, il revit un coin de Venise, qui semblait peint avec du bitume. Depuis des temps immémoriaux, on y réparait des bateaux. Des gondoles, le ventre en l’air, reluisaient sous des couches de goudron. Le sol, les vieilles masures en planches, tout avait la même teinte de bois brûlé. Et, infatigablement, des aquarellistes anglaises se repaissaient goulûment de son pittoresque. (…) Devant le logis, il reconnut parfaitement le vieux puits avec sa croix de Malte sculptée sur son flanc, les marteaux de la porte, sa couleur de bronze antique » _ non loin de là, sur le rio San Trovaso, et entre les deux ponts, celui de San Trovaso, et celui des Maravegie, la très accueillante (cf Paolo Barbaro, Toni Sepeda, Hugo Pratt, etc.) Cantinone Gia Schiavi…

Et Gérard-Julien Salvy commente, page 322 :

« Ce qui enchante Ferdinand Bac, c’est aussi la neige tombant d’un ciel vert absinthe, le brasero allumé au pont de Rialto et les silhouettes noires des Vénitiens, tels que des mendiants espagnols, venant, au crépuscule, processionnellement, pour se chauffer les mains. C’est le Rio della Sensa, la Madonna dell’Orto, San Tomà, San Zaccaria, l’Abbazia della Misericordia, que son ami Italico Brass a restaurée, et aussi les Fondamente Nuove, « sur lesquelles plane un abandon indéfinissable. Leur tristesse ensoleillée ne reçoit que de rares visiteurs égarés. Comme nous voici loin des somptuosités qui devaient soutenir devant le monde le crédit de la Cité marchande«  » _ ici, se trouve aujourd’hui la plaque tournante des vaporetti vers les îles de Murano et Torcello (et d’autres) et son animation chaleureuse (ainsi qu’un kiosque excellemment pourvu en excellents DVDs)…

Et pour conclure cette nouvelle méditation sur « arpenter Venise »,

cette remarque, in fine,

sur la « beauté des villes insulaires » que Lucien d’Azay, page 154, emprunte au Voyageur égoïste du cher Jean Clair :

« la beauté des villes insulaires tient au fait que leur espace est circonscrit à un cadre,

mais aussi à l’organisation harmonieuse de leur surface, qui respecte la mer qui les contient,

et à leur proximité avec le ciel (d’où l’exaltation qu’elles suscitent, l’azur étant leur seule échappée).«  Aussi à Venise a-t-on « eu l’intelligence d’installer des terrasses sur le toits (altane). Quand il fait beau, ces belvédères permettent d’admirer la conquête spatiale verticale à laquelle ont dû se livrer les architectes, faute de pouvoir s’étendre au sol« .

Et Lucien d’Azay de remarquer encore que « les Vénitiens n’arrêtent pas de marcher (…).

Hâtifs ou flâneurs, ils marchent dans l’allégresse, le bonheur d’être,

de faire corps avec la ville où ils vivent« …

Et Le Bonheur d’être ici est le titre d’une superbe méditation philosophique autant que poétique de Michaël Edwards, l’auteur du merveilleux De l’émerveillement

Titus Curiosus, ce 30 décembre 2012

Quand le fric devient l’étalon-or de la culture : l’exemple du cahier « Livres » du Monde…

22oct

Alors même que ces jours-ci, en mon for intérieur _ qu’on veuille me pardonner de l’étaler ainsi au grand jour ! _ je me réjouissais de la qualité des romans de cette rentrée littéraire

(et me préparais à rédiger un éloge du magnifique « Le Siècle des nuages » _ j’ai failli écrire « des lumières«  à la place de « des nuages«  !!! un lapsus plein de sens… _),

voici que ce matin,

je tombe sur un article d’Alain Beuve-Méry, à la page  du cahier « Livres » du Monde,

intitulé « Littérature française : le creux de la vague« ,

qui me chagrine très fort ! :

quant à la dérive d’un quotidien dit « de référence« …

Et qui résiste mal aux _ tristes _ sirènes de l' »air _ intéressé ! cupide… _ du temps« …

Voici,

avec mes farcissures critiques,

le corps du délit :

Littérature française : le creux de la vague

LE MONDE DES LIVRES | 21.10.10 | 11h45  •  Mis à jour le 21.10.10 | 11h45

Mais où est donc passée la littérature française ?

Bien présents sur les tables des librairies, les romans français sont en revanche, en cette rentrée 2010, étrangement absents des palmarès des meilleures ventes _ tel serait donc le lieu privilégié, et même unique, de la littérature ! Tiens, tiens !.. Un seul titre fait la course _ du « palmarès des meilleures ventes«  _ nettement en tête : La Carte et le territoire (Flammarion), de Michel Houellebecq _ je ne le lirai certainement pas !!! Sorti le 9 septembre, soit trois semaines après la première salve de parutions de la rentrée, l’ouvrage a déjà dépassé les 200 000 exemplaires vendus (chiffres d’Edistat) et devrait atteindre les 250 000 avant même l’ouverture du bal des prix _ combien de lecteurs sont-ils capables de se réellement taper cela jusqu’au bout ?.. Le savoir fournirait une mesure de l’avancée du masochisme (du lectorat) en ces temps de nihilisme avancé, faisandé… La Carte et le territoire a d’ailleurs toutes les chances de continuer sur sa lancée _ de chiffres de vente ! _, puisqu’il figure sur les sélections des _ prescripteurs de lecture ! _ trois grands prix d’automne (Goncourt, Femina et Renaudot _ mais pas le Médicis : le moins inféodé ! _) et sur celle du Grand Prix du roman de l’Académie française _ jusque là va donc l’inféodation !.. _, décerné le 28 octobre _ on en vient ainsi à préférer un jury de lecteurs, tel que celui du Prix du Livre-Inter ; un jury (un peu plus aléatoire…) de lecteurs libres : non inféodés, car non stipendiés par « leurs«  maisons d’édition… N’est-ce pas le jury du Prix du Livre-Inter qui, en 2009, osa couronner cette merveille qu’est l’immense Zone de Mathias Enard ! Mais oui… Cf mon article du 3 juin 2009 : Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus “grand” roman de l’année : “Zone”, de Mathias Enard

Ce phénomène de l’inféodation de ceux que certains baptiseraient, bien indument, « l’élite« , fait partie des symptômes de la maladie endémique de notre société (nihiliste, en son fond) d’achetés et vendus ! corrompus ! société dans laquelle la parole ne vaut plus rien ; n’est pas digne de confiance, tant elle est « fausse », tant elle ment. Faute d’oser assumer, en un commerce « vrai«  des esprits et des personnes, la moindre liberté du juger !!! C’est très grave…

A la mi-octobre, La Carte et le territoire est le seul ouvrage français en grand format _ hors « poches«  _ présent dans le top 20 (toutes ventes confondues) réalisé par Ipsos pour Livres Hebdo, avec celui _ c’est tout dire ! _ de Bernard Werber, Le Rire du Cyclope, sorti le 1er octobre chez Albin Michel. A la même époque, en 2009, on trouvait quatre titres français, dont Trois femmes puissantes, de Marie Ndiaye (Gallimard) _ peut-être pas son meilleur, me suis-je laissé narrer par des amis à la lucidité littéraire desquels je fais confiance… _, et Mauvaise fille, de Justine Lévy (Stock) _ fille de Bernard-Henri _, plus un Bernard Werber _ déjà, encore et toujours ! ces auteurs ont donc leurs affidés ! _ et un Jean-Christophe Grangé _ et peu importent les titres ; ce voisinage (de ventes, seulement, Dieu merci !) deviendrait presque inquiétant pour Marie N’Diaye... En 2008, c’étaient cinq titres, dont Ritournelle de la faim, de J. M. G. Le Clézio (Gallimard), Où on va papa ?, de Jean-Louis Fournier (Stock), Le Fait du prince, d’Amélie Nothomb (Albin Michel), et toujours un Werber et un Grangé _ avec leur perdreau de l’année ! CQFD !!! Cela dit, ce phénomène n’a rien de neuf en 2010 : que l’on compulse la liste des best-sellers du XIXe siècle ; on constatera, et non sans s’en amuser un peu, ce qui a (littérairement) « survécu«  à (et de) ces succès de ventes !.. Le temps fait son tri ! Et il juge bien mieux… C’est au XIXe siècle que la politique commerciale des éditeurs commence l’ampleur de ses ravages… Dans un texte essentiel de son Ainsi parlait Zarathoustra, Lire et écrire, Nietzsche, recommandant de ne lire que « ce que quelqu’un écrit avec son sang«  (« et tu verras que le sang est esprit« …), s’en lamentait déjà : « Encore un siècle de lecteurs _ et d’éditeurs, ajouterais-je _, et l’esprit va se mettre à puer«  : c’était en 1884…

Pourtant, de Paul Otchakovsky-Laurens, qui dirige POL, à Olivier Nora, patron de Grasset et Fayard, tous assurent qu’« il n’y a pas _ cette année 2010-ci _ d’effet Bienveillantes«  : en 2006, le pavé _ bien peu ragoûtant ! _ de Jonathan Littell avait littéralement assommé _ en concentrant sur lui (par l’appât du nec plus ultra de l’horrible à couleur de vrai : le déchainement d’un sadisme historiquement avéré _ cf par exemple le travail d’historien de Christopher Browning : Des Hommes ordinaires _, avec les confessions imaginées d’un membre des einsatzgruppen), le capital (exploitable) des acheteurs-consommateurs de livres, sinon de lecteurs authentiques ! _ la rentrée _ commerciale, du moins ! Cette fois, d’autres titres se vendent bien _ ouf pour les éditeurs ! _, qu’il s’agisse de _ tant mieux pour eux : combien de saisons dureront-ils ? Guère… _ La Première Nuit, de Marc Levy, en Livre de poche, de La Chute des géants, du Britannique Ken Folett (Robert Laffont), ou encore de XIII, Mystery, Joe Bar Team et Blacksad, trois bandes dessinées parues en septembre _ la BD étant parmi ce qui se vend le mieux, paraît-il…

D’autres ouvrages, à mi-chemin entre essai et littérature _ hum ! hum ! tant pour l’appellation « littérature » que pour l’appellation « essai » !.. « à mi-chemin«  est encore ce qui convient le mieux à ce type de brouet… _, se portent bien _ toujours en chiffres de vente : pour les caisses des éditeurs, donc… Face à Houellebecq, les deux titres qui résistent _ le vocabulaire (de l’auteur de l’article) est opérationnel, voire guerrier _ le mieux sont, d’un côté, le livre assez sombre _ mais l’auteur a ses files de fidèles ! _ de Jean d’Ormesson, C’est une chose étrange à la fin que le monde (Robert Laffont), de l’autre, celui d’Ingrid Betancourt, Même le silence a une fin (Gallimard) _ en tout cela, c’est bien la rumeur des medias qui semble la clé du succès éditorial ! Même si l’interview que j’ai écoutée d’Ingrid Betancourt sur France-Culture, le vendredi 1er octobre, m’a assez impressionné, tant par la langue, que par les analyses…

Histoires de bouche-à-oreille

La littérature étrangère ne connaît pas non plus de fléchissement _ de ventes ! toujours… C’est bien lui le critère (et unique !) ici… _ notable, comme en témoignent les succès _ de vente, toujours ! _ de Suite(s) impériale(s), de Bret Easton Ellis (Robert Laffont), et dIndignation, de Philip Roth _ lui est « un grand«  : lire en priorité Les faits, et sa suite : Patrimoine _, qui constitue l’une des meilleures ventes de Gallimard _ en attendant l’effet « Nobel » _ voilà ! le jury Nobel étant un prescripteur (assez inégal : il y a les Prix Nobel géniaux ! (par exemple, Imre Kertész, dont sort enfin en français le très impatiemment attendu Journal de galère…), mais il y a aussi les politiquement corrects ! A nous lecteurs de faire le tri… _ sur l’œuvre de Mario Vargas Llosa _ de lui, lire par exemple l’excellent La Tante Julia et le scribouillard… De son côté, la littérature scandinave connaît de belles histoires de bouche-à-oreille _ hors marketing, donc ! voilà un bon signe ! _, avec deux auteurs inconnues et traduites pour la première fois en France : la Finlandaise Sofi Oksanen, qui a reçu le prix Fnac pour Purge (Stock) et vendu 60 000 exemplaires de son roman, et l’Islandaise Audur Ava Olafsdóttir, avec Rosa candida, très soutenu par les libraires. Son éditeur, Zulma, en est à plus de 30 000 exemplaires imprimés.

Patron de Denoël, Olivier Rubinstein observe _ on admirera la technicité du langage ! _ « une hyperconcentration des ventes sur quelques titres ». Un phénomène qui a tendance à s’amplifier d’une année sur l’autre _ qu’en déduire quant à la courbe des motivations, sinon des lecteurs, du moins des acheteurs de ces livres ?.. Voilà l’enquête qu’il m’intéresserait de voir mener… De fait, malgré le succès d’estime _ ô la jolie expression ! et ce qu’elle masque de déception (commerciale) ! _ rencontré par Le Troisième Jour, de Chochana Boukhobza, c’est sur Just Kids, de Patti Smith _ encore une people… _, et Le Choc du nouveau siècle, un beau livre _ au titre déjà bien accrocheur : à la Paris-Match : « le choc des photos« _ consacré aux photographes de l’AFP, qu’il mise _ éditorialement : mais, après tout, que peut donc bien rechercher un éditeur ? _ pour cette fin d’année.

Ce constat de faiblesse _ en chiffres de vente ! voilà ici le seul critère qui fait foi !!! _ concernant la littérature française _ l’année, pourtant, de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, de Mathias Enard (cf en ce même cahier littéraire du vendredi du Monde cet article-ci, de Julie Etienne : Un Orient épique et lyrique à la fois…), l’année du Siècle des nuages (un chef d’œuvre !) du toujours magnifique Philippe Forest, l’année du très riche et très habité Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal ;

cf les entretiens avec ces 3 excellents auteurs dans les salons Mollat : de Francis Lippa avec Mathias Enard ; de Jean-Michel Valençon avec Philippe Forest ; de David Vincent avec Maylis de Kerangal

Quelle ingratitude à l’égard des auteurs de ces grands livres !!! _ est aussi partagé chez Grasset et au Seuil. « Les Etats-Unis ont connu un creux semblable _ de vente, faut-il supposer, de la part de ces discours d’éditeurs ! Qui ne sont, eux, après tout, que des passeurs (de livres) ! Faudra-t-il en venir à se passer de tels intermédiaires ??? _, il y a quelques années, avant de repartir _ en chiffres de vente _ avec Jonathan Franzen, notamment » _ je n’ai pas encore lu cet auteur ; je n’ai pas encore éprouvé un désir assez fort de le lire, devrais-je plutôt dire : parmi la cohue des livres se pressant à lire… _, observe Olivier Nora. Dans ce paysage atone _ en chiffres de ventes… _, Apocalypse Bébé, de Virginie Despentes _ cf ceci (et tout à fait succulent !), intitulé Histoire belge, dans le cahier Livres de Libération du jeudi 14 octobre : merci à Madame Edmonde Charles-Roux de mettre, si bien, les pieds dans le plat !.. _, fait d’ailleurs mieux que se défendre. « Un auteur, cela reste toujours une exception », observe _ enfin justement ! en cet article centré sur les chiffres de vente _ M. Nora _ les vrais lecteurs, sans doute aussi !.. De son côté, Martine Saada, qui dirige la littérature au Seuil, note que « les livres sur lesquels il y avait de fortes attentes font moins que prévu » _ toujours dans cette logique des chiffres de vente… Son meilleur résultat, elle le doit au Testament d’Olympe, de Chantal Thomas, avec 30 000 exemplaires sortis. « Pas si mal que ça pour de la littérature exigeante », dit-elle _ c’est tout dire du « bien peu d’exigence«  du commun de ce qui se vend… Le morceau de vérité étant ici craché par l’éditrice qui est la compagne (ou le fut au moins un temps, me souvient-il) de Pascal Quignard : un auteur assez « exigeant« , lui, assez probablement !.. Au Seuil, l’heure est à l’optimisme, car la maison devrait, pour la première fois depuis sept ans, être bénéficiaire en 2011. Et ce, grâce à quatre titres, dont trois beaux livres (Fragments, de Marilyn Monroe _ documentairement intéressant, au moins, sinon un chef d’œuvre de littérature ! Toujours les people : ce sont eux les étalons-mètres de la notoriété ! Ou l’ère sinistrée du « vu à la télé«  _, Les Mythologies (édition illustrée _ par les soins judicieux de Jacqueline Guittard… _), de Roland Barthes _ une grande chose : et qui s’en prend, en ces années cinquante, aux peoples !!! dont il « démonte«  magnifiquement la mécanique de l’idéologie… _, La France, de Raymond Depardon _ un livre trash sur une France trash : à comparer avec les si beaux 101 éloges du paysage français, de Bernard Plossu, édité par Silvana Editoriale, un éditeur italien… _) et un polar, L’Homme inquiet, d’Henning Mankell.

Chez Flammarion, l’ombre portée du livre de Michel Houellebecq nuit _ tiens donc ! _ aux autres titres, en littérature française _ quelle peine ! Mais tous les éditeurs ne se plaignent pas. Françoise Nyssen, patronne d’Actes Sud, se réjouit du succès d’Ouragan, le dernier roman de Laurent Gaudé _ un autre bon vendeur… _, et du bon accueil fait à Jérôme Ferrari pour Où j’ai laissé mon âme. Yves Pagès (Verticales), lui, est l’éditeur comblé de Maylis de Kerangal et d’Olivia Rosenthal, dont les livres _ Naissance d’un pont et Que font les rennes après Noël ?, je suppose : le titre de son roman n’est même pas indiqué ici !.. _ se vendent bien _ plus de 15 000 exemplaires chacun _ et qui figurent sur les listes de prix. Reste que, comme tous les éditeurs, il constate « un effondrement des ventes petites et moyennes », ce qui crée un environnement darwinien _ ah ! ah ! _ pour tous les auteurs en quête d’une place au soleil _ du lectorat.

Alain Beuve-Méry

Article paru dans l’édition du 22.10.10

Il est vrai que cet article _ d’Alain Beuve-Méry _ prend place dans la rubrique « Actualités« , à la page 2 du cahier « Livres » du Monde ; et concerne spécifiquement le petit monde _ surtout germano-pratin _ de l’édition…

Il aurait pu, au moins, être accompagné d’une précision de son auteur, concernant le caractère purement éditorial du point de vue exploré par cette enquête journalistique pour Le Monde…

Quant au titre de l’article _ « Littérature française : le creux de la vague«  _, il est, lui, purement calamiteux,

en laissant penser _ ou plutôt croire : et c’est là qu’il abuse le lecteur pas assez vigilant !.. _ que la valeur de la littérature française est bel et bien déclinante,

au seul item du comptage du palmarès des ventes :

c’est contre cela que je veux protester ici,

en un blog qui n’a en vue que le (modeste) service, mais exclusif _ sans en déchoir ! c’est le luxe de ma liberté ! _, de la qualité des œuvres… 


A contrario

de cet article, et de son malencontreux titre,

je dis donc :

vive la littérature (française, et autre) !

Vivent les vrais auteurs !

Et vivent _ et survivent : au marketing ; et aux medias… _ les vrais lecteurs !

Et tant pis pour les livres achetés

encombrant vainement la mémoire oublieuse _ de poisson-rouge ? _ de tant de lecteurs…

Dans le même Lire et écrire, cité plus haut,

Nietzsche,

qui, lui, sur sa montagne,

ne cherchait à ménager personne

_ le sous titre de ce plus que jamais sublime Ainsi parlait Zarathoustra n’est autre que : Un Livre pour tous et pour personne ! _,

Nietzsche disait aussi :

« Je hais les oisifs qui lisent« …

Soient les destinataires _ nihilistes : proliférant… _ de l’industrie _ plus que jamais prospère, elle… _ du divertissement !

Au passage,

et en faveur de l’a contrario,

je signale la parution, aux Éditions Flammarion, de l’essai important du très vaillant Bernard Stiegler :

Ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue _ De la pharmacologie

Titus Curiosus, le 22 octobre 2010

la traversée du siècle d’un honnête homme (et beau garçon) en quelques fécondes rencontres d’artistes-créateurs en des capitales cosmopolites : le parcours de Peter Adam de Berlin à La Garde-Freinet, via Paris, Rome, New-York et Londres

02mai

Non sans quelques points communs _ nous allons le découvrir… _ avec cet immense livre qu’est « Le Lièvre de Patagonie » de Claude Lanzmann :

une autre traversée _ un peu chahutée _ du siècle en quelques judicieuses rencontres (et un chef d’œuvre cinématographique !),

voici que Peter Adam _ ou Klaus-Peter Adam, un garçon juif allemand, au départ, natif de Berlin en 1929, puis devenu citoyen britannique vers 1965, peu après le décès de sa mère, la battante et admirable Louise, le 6 mai 1965 :

cf page 214 : « j’optai à cette époque pour la nationalité anglaise.

Depuis longtemps j’essayais de me débarrasser du garçon allemand _ qu’il était de naissance : la famille (juive) de son père venait de « Chodzesin, une petite ville de Prusse orientale. Mon arrière grand-père, Jacob Adam, y était né en 1789. Depuis le XVIIIème siècle, sa famille vivait du commerce du drap de laine. Cette activité les avait menés jusqu’en Pologne et en Lituanie« , page 14 ; « du côté de ma mère, les Leppin et les Gurke _ Gurke signifiant « concombre » _, étaient d’un tout autre genre : pauvres, chrétiens, et de souche paysanne« , page 20 _

afin de n’avoir de racines que dans l’imaginaire.« 

Et il poursuit : « Il se produisit mille choses dans ma vie et je possédais une énergie et une curiosité infinies. Je laissais l’univers tourbillonner autour de moi, espérant ne pas m’y noyer

_ le titre original de ce « Mémoires à contre-vent« , traduit par l’auteur lui-même en français en 2009, était, en anglais, en 1995 (pour les Éditions Andre Deutsch, à Londres) : Not drowning, but waving _ an autobiography

Je m’acceptais tel que j’étais, je n’étais gêné ni par mes défauts, ni par mes qualités. J’essayais, comme toujours _ en effet ! _ d’être honnête avec moi-même« 

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

_ mais cet amoureux de longue date de la France

avant même d’y venir séjourner, pour la première fois, en 1950

(cf au chapitre « Alma mater, 1949-1950« , les pages 139 à 146 :

« En 1950, je partis pour la première fois à Paris. Mon ami Klaus Geitel étudiait là-bas et je décidai de lui rendre visite. A Paris, Klaus m’attendait gare du Nord avec deux amis. J’étais tellement excité que j’entendis à peine leurs noms. Le premier, Hans Werner Henze, était un compositeur allemand ; le second, Jean-Pierre Ponelle, un scénographe français«  : mais oui !..) ;

puis, une seconde fois, en 1951, au chapitre suivant, « Mes premiers pas d’intellectuel _ Paris 1950-1953«  :

« A l’automne 1951 _ ayant obtenu « une bourse d’un an du gouvernement français, ainsi qu’une inscription à la Sorbonne« , page 147 _, je débarquais à Paris pour la seconde fois«  :

« J’arrivais au bon moment. Le passé était enfin soldé ou presque. La France de la Quatrième République commençait à se moderniser.  (…) Les gens avaient l’air riche ; ils possédaient un goût inné pour la qualité et le style _ voilà _, doublé d’un sens aigu de la compétition« , page 147 ; « Alors qu’à Berlin, nous avions essayé de construire un nouveau monde, les Français jouaient au ping-pong avec leur héritage culturel, retournant les idées dans tous les sens, juste pour le plaisir. Je me sentis immédiatement chez moi, le lycée de Berlin m’ayant bien préparé à ce perpétuel désir de théoriser et de synthétiser les idées. Les bâtiments de la Sorbonne reflétaient ce même esprit libre et chaotique. Les vieux couloirs sombres fourmillaient d’étudiants bruyants et fougueux. Les murs étaient recouverts de slogans très politiques, culturels ou sexuels, combinant parfois les trois en même temps comme dans celui-ci : « Fais-toi sucer en Russie, Simone ! » », page 148

il avait fait ses études secondaires au lycée français de Berlin, dès 1940, page 58)

mais cet amoureux de longue date de la France,

donc,

y vit désormais, depuis août 1989, à demeure, cela fait vingt-et-un ans

(depuis sa retraite de reporter et réalisateur de la BBC, en août 1989 : car c’est là, à la BBC, que se déroula, en effet, sa « principale«  carrière, du 4 avril 1968, à la cérémonie de départ de sa retraite, en août 1989) :

en son « cabanon«  du Mazet, à La Garde-Freinet, dans les Maures, et non loin de Saint-Tropez

_ Facundo Bo et Peter Adam découvrirent, en effet, cette thébaïde « un matin de 1970«  :

« un petit vallon où des moutons broutaient près des oliviers.

C’était l’endroit dont nous _ Facundo & Peter _ rêvions _ 12 000 mètres carrés isolés du monde et un petit cabanon. Nous l’achetâmes aussitôt.

La Garde-Freinet allait devenir notre port d’attache pour les quarante années à venir« , page 275 _

mais cet amoureux de longue date de la France y vit désormais à demeure,

avec son compagnon Facundo Bo : compagnon depuis leur coup de foudre lors d’un « dîner snob« , en 1968, à Paris ;

cf page 236 : « Durant la réalisation de ce documentaire _ pour la BBC : La maison Christian Dior, en 1968, donc _,

j’eus l’occasion, un soir, d’être invité à un de ces dîners snobs dont les Français raffolent. J’étais assis en face d’un jeune acteur argentin au physique extraordinaire, au type légèrement indien. Comme d’habitude, je parlais beaucoup, faisant de mon mieux pour impressionner. J’avais appris l’art de l’autodéfense et ajouté du cynisme à mon scepticisme naturel. Intrigué par les yeux inquisiteurs de ce garçon, je parlais des souffrances au Biafra _ dont Peter revenait d’y réaliser un reportage particulièrement périlleux (et tragique !) : il en fait le récit aux pages 227 à 232 _, mais également du grand bal de l’Opéra de Paris _ le Bal des petits lits blancs _ auquel j’avais assisté la veille. Je révélais ainsi l’un de mes nombreux paradoxes dont je n’étais pas très fier.

Facundo _ c’était le prénom de ce garçon très beau et gêné _ ne prononça pas un seul mot de la soirée. A la fin, au moment de partir, je lui glissai mon adresse à Londres.

Trois semaines plus tard, je reçus une lettre : « Cher Peter, détruisez cette lettre, je n’ai jamais écrit une telle lettre à personne, mais pendant ces trois dernières semaines, je n’ai pas arrêté de penser à vous et je voulais simplement vous le dire. Je vous prie de m’excuser ». La lettre était signée Facundo Bo.

Trois heures plus tard, je m’envolai pour Paris« 

« Je crois au coup de foudre _ poursuit-il aussitôt, toujours page 236, en commentaire rétrospectif. Pendant les quarante-deux ans à venir _ de 1968, leur rencontre, jusqu’en 2010, où paraissent ces « Mémoires » en traduction française _, Facundo serait la source de beaucoup de mes joies et de mes chagrins _ la maladie de Parkinson de Facundo déclarée « à l’âge de quarante ans« , « l’empêchant petit à petit _ lui acteur brillant de la troupe de théâtre TSE, d’Alfredo Arias _ de monter sur scène« , découvre-t-on, à un coin de page, page 412 ;

cf aussi, le jour de son départ de Londres pour gagner la France, page 440 : « Je ne savais pas alors combien ma nouvelle vie à Paris _ et au Mazet, à La Garde-Freinet _ allait m’apporter de joie d’amour solide et de douleur aussi, liée à la fragilité croissante _ parkinsonienne ! _ de Facundo. Mais jamais je n’ai regretté ma décision«  _ de venir vivre définitivement en France : avec Facundo Personne ne m’a jamais été aussi proche ; et je pense _ écrit-il maintenant en 2009-2010 _ que personne ne le sera jamais. Facundo devint le centre absolu de ma vie«  _ voilà !..  _

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ publié en 1995 à Londres sous le titre de Not drowning but waving _ an autobiography _ de sa traversée _ Berlin, Paris, Rome, New-York, Londres, La Garde-Freinet _ du siècle,

tout à la fois en beau garçon _ ce peut être un atout ; du moins pour commencer, en se faisant « remarquer«  ; car à la longue n’être que le « petit ami de« … s’avère un peu court pour poursuivre et s’établir au moins un peu…

et en honnête homme

et artiste _ filmeur du monde et de la création artistique : ce sera là sa « vocation«  _ probe _ absolument ! et sans compromission aucune :

certains de ses très proches et meilleurs amis se suicideront face à la « détérioration«  (Peter Adam emploie le mot « dégradation« , page 410, en son chapitre « Inventaire« …) de ce monde :

le magnifique « grand reporter«  James Mossman (celui-là même qui l’avait fait engager à la BBC : c’était le 4 avril 1968), le 5 avril 1971 ;

le peintre Keith Vaughan, le 4 novembre 1977… ;

mais encore, page 427 :

« Au travail, le suicide mon collègue Julian Jebb s’ajouta à la longue liste de mes collègues disparus, dont l’esprit toujours en éveil _ pourtant ! _, n’avait pas été capable d’arrêter la course à l’autodestruction _ voilà _ : les grands reporters James Mossman, Robert Vas et Ken Sheppard. Le garçon qui s’occupait de la maison de Tony Richardson à La Garde-Freinet, tua d’abord sa petite amie avant de se donner la mort. La boisson et la solitude durant les longs mois d’hiver au Nid du Duc _ le hameau de la colonie Richardson, l’auteur du film Tom Jones, à La Garde-Freinet _ l’avaient poussé à cet acte terrible, disait-on. La fille de Lawrence Durell, Sappho, se pendit« … Bref, « la mort continuait à jalonner ma route« , remarque Peter, page 427…

« Dans les années quatre-vingt, mon histoire d’amour avec la Grande-Bretagne touchait _ ainsi _ à sa fin. Mme Thatcher n’avait pas encore engagé _ profondément, pas encore _ sa politique absurde et désastreuse _ humainement : Peter Adam ne mâche pas ses mots ! _, mais un nouveau climat social se faisait _ déjà _ sentir, sapant _ durement _ les qualités de ce pays que j’avais tant apprécié. L’Angleterre, comme beaucoup de pays d’ailleurs, entraînée par son désir insatiable et impétueux de richesses, prônait _ maintenant _ l’arrivisme, la ruse, l’avidité comme qualités essentielles. Les inégalités flagrantes, la cruauté des riches, la complaisance des gens au pouvoir et la corruption _ lire ici Paul Krugman… _ devenaient monnaie courante. Je regardais les yuppies, interchangeables avec leurs chemises à rayures, leurs bretelles rouges, leurs manteaux à épaules marquées, leurs BMW, leur arrogance, leurs femmes à sac à mains à chaînes dorées _ on ne disait pas encore le bling-bling… J’observais la nouvelle génération, son appétit féroce, sa frénésie de consommation, son égoïsme impitoyable _ voilà _, et la comparais à ma propre génération qui avait l’espoir chevillé au corps que la vérité et la beauté _ voilà _ finiraient par l’emporter sur les mensonges et la laideur du monde _ quelle belle actualité ! toujours…

Bien sûr cette dégradation _ voilà _ ne se produisit pas en un jour. Ce n’était que le début d’un profond et triste changement qui, hélas, se propageait _ bientôt _ partout«  _ de par notre monde commun, pages 409-410…  _,

voici _ je reprends l’élan de ma phrase _  que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ paru en anglais en 1995, lui _ de la traversée de son siècle :

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme et artiste probe

soucieux de la justesse…

en beau garçon, d’abord _ et le livre est généreusement (et judicieusement) agrémenté de photos de nombreuses personnes rencontrées et narrées _ :

via ses rencontres sexuelles (avant l’amour vrai de Facundo Bo, en 1968, donc : Peter aura alors trente-huit ans _ mais tout cela fort discrètement, et sans le moindre exhibitionnisme, ni a fortiori sensationnalisme ! très loin de là ! Peter Adam a beaucoup de délicatesse et pudeur…) et amicales, plus encore (dont certaines féminines : Hester Chapman et Prunella Clough, à Londres),

celles-ci _ « rencontres« , donc _ vont lui ouvrir bien des portes, bien des « clans«  (ou « réseaux » d’amis :

par exemple, pages 201-202, en débarquant de New-York à Londres,

ce passage-ci, clé ! :

« Parmi les quelques adresses que j’avais _ à Londres, donc, en 1958 _, aucune ne fut plus précieuse et appréciée que celle d’un ami d’Edward Albee _ merci à lui de cette « adresse«  ! de ce « contact«  décisif… _, Patrick Woodcock.

Patrick était le médecin du Gotha artistique londonien _ rien moins ! _ : de Noël Coward à Marlene Dietrich, de Peggy Ashcroft à David Hockney, de Peter Brook à Christopher Isherwood. (…)

Comme à Paris, Rome et New-York _ c’est un point décisif du parcours (et la vie !) de Peter ! _, j’ai eu la chance _ encore faut-il apprendre et à la saisir et plus encore à la cultiver ! et ne pas trop, non plus, la gâcher… _, d’être adopté _ apprécié par, aimé de _ par un clan _ voilà _

pour lequel j’étais _ du moins tout d’abord, au départ :

cela se dissipant cependant assez vite (cf la conclusion plus négative, en 1955, de l’épisode romain et sa « clique« , page 184 : je vais le préciser par le détail un peu plus loin)… _

un objet de curiosité : « Allemand, Juif, non émigré et sorti de l’Allemagne indemne. « How intersting« , disait-on » _ pour commencer, donc ; ici, c’était en 1958, Peter a vingt-neuf ans 

il est aussi très « beau garçon«  (cf les photos généreusement données du livre) ; et éminemment sympathique, plus encore : il a du charisme…

« Patrick était absolument convaincu qu’il était le mieux placé pour tout organiser _ sic _ et décida de me prendre sous son aile _ cela peut effectivement aider… Il m’ouvrit les portes _ voilà ! _ de la vie culturelle _ artistique _ londonienne qui comptait un nombre impressionnant de talents. Tous ses amis « baignaient » _ en effet _ dans l’art, faisaient de la critique de livres ou allaient s’applaudir les uns les autres sur la scène ou à l’écran.« 

Aussi

« la plupart de mes _ nouveaux _ amis _ vrais _ venaient _ -ils _ de son « écurie ».


Avec nombre d’entre eux j’entretenais
_ très bientôt, vite, aussitôt, déjà : c’est un talent ! _ une amitié _ et c’est là l’élément majeur (et de fond !) pour Peter ! _

qui allait s’approfondir _ voilà ! _ au fil des ans : une preuve de leur endurance _ à me supporter, souffrir, et accepter (et aimer)… _ et d’une certaine fidélité _ toujours de la modestie, avec les euphémisations : c’est là une vertu ; Peter n’a pas que des défauts… _ de ma part.

Pour quelqu’un qui vit seul _ pas « en couple« , donc : Peter assume son « célibat« … _,

les amis sont essentiels _ voilà.

Ils m’aidèrent à surmonter _ et durablement, pas à court terme : la dimension temporelle est capitale en ces affaires (existentielles) affectives ! _ mon sentiment _ endémique _ de déracinement _ qui comporte, aussi, il est vrai, l’avantage (non recherché !) du « décalement« , si crucial (pour la vie !), du regard… _,

car je portais en moi _ pour jamais _ des séquelles _ indélébiles, donc _ de mon enfance solitaire _ depuis, au moins, à l’âge de onze ans, le lycée (français, à Berlin, et puis à Züllichau, en Silésie) pour un enfant Juif (bien que ne portant pas l’étoile jaune, Louise, sa mère, étant « aryenne« …) en Allemagne nazie… _ et la nostalgie de mon adolescence _ à la Libération joyeuse, en même temps que pauvre, à partir de 1946… :

un passage assurément important de ce livre, pages 201-202, donc, comme on constate !..)

en beau garçon, d’abord,

via ses rencontres sexuelles et _ surtout, plus encore ! _ amicales

_ je reprends et poursuis maintenant ma phrase _,

celles-ci lui ouvrant bien des portes, bien des « clans » (ou « réseaux » d’amis) :

d’artistes, de créateurs, surtout ! _ c’est là l’élément majeur ! _, dans les diverses capitales que Klaus-Peter (bientôt Peter), va traverser :

Paris,

Rome : Peter devient le compagnon pour un temps, en 1955, d’Enrico Medioli, ami et collaborateur bientôt de Luchino Visconti ;

je m’y attarde un peu, maintenant (j’aime Rome !) :

« Je me rendais souvent à Rome. J’y découvrais un passé splendide. Alors que Paris représentait pour moi l’élégance et le raffinement _ voilà _ international, Rome incarnait _ oui : charnellement _ une grande civilisation ; même le chaos et la pauvreté des rues _ certes _ étaient parés _ oui _ d’une dignité intemporelle _ comme c’est juste ! Tout avait _ le baroque (même borrominien !) est ici mesuré ! sans morbidité : à la Bernin, plutôt… _ des proportions parfaites : les façades ocres baignées par la lumière de l’après-midi _ cf ici les descriptions si justes de mon amie Elisabetta Rasy en son magnifique « Entre nous » ; cf mon article sur son récit autobiographique suivant (« L’Obscure ennemie« ), toujours à Rome : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy« _, les toits avec leurs jardins suspendus, les terrasses des gens riches : tout semblait exprimer la sensualité, la douceur de vivre et le bien-être«  _ on ne saurait mieux dire !, page 181 ;

« Pendant l’un de mes nombreux voyages à Rome, j’avais rencontré Enrico Medioli. Enrico était un ami de Luchino Visconti et allait devenir bientôt l’un de ses plus proches collaborateurs. Avec Suso Cecchi d’Amico, il fut le scénariste de Rocco et ses frères, Sandra, Les Damnés, L’Innocent et Violence et passion.

Enrico incarnait pour moi la perfection : il était blond, aristocrate dans son comportement comme dans son style, grand, élégant, mondain, cultivé et possédait un humour caustique. Il était issu d’une grande famille de Parme et avait souffert de la tuberculose, ce qui ne fit qu’accroître à mes yeux son aura romantique. Il conduisait des voitures de sport et vivait dans un appartement avec terrasse qui surplombait les toits de la cité éternelle.

Il connaissait toutes les personnes qui valaient la peine _ voilà _ d’être connues à Rome.

Autour d’Enrico gravitait la jeunesse dorée. La plupart travaillaient dans le cinéma«  _ soit un medium en pointe :

voilà deux éléments importants dans la « formation«  du jeune Klaus-Peter (qui a alors à peine vingt-cinq ans), on va s’en rendre peu à peu mieux compte… ;

avant d’être plaqué (un peu abruptement !) par Enrico à Cortina d’Ampezzo :

« Enrico avait une énergie contagieuse. Nous allions jusqu’à la plage de Fregene si souvent filmée par Fellini _ dans Huit-et-demi, ou Juliette des esprits, par exemple _, pour déjeuner dans des restaurants que seuls les Romains connaissaient, ou nous dînions dans les établissements huppés de la via Appia. Enrico, qui qualifiait ces endroits de piccole trattorie, molto semplice, était salué par la moitié des clients. Nous prenions l’apéritif chez Bricktop’s et la granita di limone chez Rosati’s _ Piazza del Popolo….

Au fil des mois, l’usure _ cependant _ se fit sentir dans notre couple _ un mot qui sera rarement employé par l’auteur, en ces 443 pages, notons-le au passage. La clique romaine perdait _ pour Klaus-Peter _ son charme _ surtout vaporeux _, comme moi je perdais le mien à leurs yeux _ au pluriel… Je roulai dix-huit heures en voiture de Naples à Cortina d’Ampezzo, où Enrico possédait un chalet, pour apprendre qu’il pouvait juste m’accorder un dîner.

Je compris le message« , page 184…

Avec ce commentaire-ci : « Je revis Enrico quelques années plus tard à Londres où il montait _ comme Luchino Visconti ; ou comme Franco Zeffirelli : les metteurs en scène italiens s’enchantent à mettre leur talent à la disposition de l’opéra _ sa version de La Somnambula à Covent Garden. »

« Comme on perd facilement _ pas seulement de vue ! _ les gens dans la vie ! Pendant un moment, on les voit tout le temps, trois fois par semaine, on les appelle au milieu de la nuit, et puis tout à coup, ils disparaissent. Heureusement j’ai gardé beaucoup de mes relations _ voilà le terme approprié. Plus tard, j’ai eu la chance de revoir certains d’entre eux comme Luchino Visconti, Alberto Moravia, Maria Callas, Giuseppe Pattroni Griffi et Mauro Bolognini, Lila Di Nobili, Franco Zeffirelli et Giorgio Strehler. Cette fois-ci _ nouvelle _ c’était à titre professionnel _ pour des reportages filmés par Peter pour la BBC : entre 1968 et 1989 _ et quelques uns sont même devenus _ à des degrés divers : mais un palier important étant tout de même franchi ! _ des amis.« 

« Comme toujours, je désirais davantage _ relationnellement ; Klaus-Peter se remémore ici sa situation (notamment) affective en 1955 _

et voulais faire de nouvelles découvertes.

Il était temps de passer à autre chose« , pages 184-185 : un passage très important, mine de rien, que ce séjour italo-romain de Klaus-Peter, en 1955… 

mais surtout New-York :

cf le chapitre « America here I come _ 1956-1957« , pages 187 à 211 : venant aux États-Unis surtout pour y améliorer son anglais, Peter y fait la connaissance d’Edward Albee _ « un jeune auteur dramatique« _ et Richard Barr _ »un producteur de théâtre renommé« _, page 193. « Edward et Richard me firent rencontrer _ un terme important ! _ John et Tamara Ennery » _ lui avait été le mari de Tallulah Bankhead ; elle, née Tamara Gergeyeva, avait été l’épouse de Georges Balanchine, au temps des ballets russes de Serge Diaghilev : page 195.

Et enfin Londres, donc :

où Klaus-Peter _ devenu désormais définitivement Peter _ va s’installer, en 1958,

et, non sans difficultés et péripéties, trouver

et un travail qui soit et durable _ enfin : au bout de dix ans cependant ; Peter a commencé par faire ses gammes cinématographiques avec des films publicitaires _ et satisfaisant pour lui _ ce sera à la BBC, en 1968 ;

et pour vingt-deux ans, de 1968 à 1989, à l’âge de sa retraite professionnelle… _,

et _ plus encore ! _ sa vocation de créateur et artiste _ le principal pour lui ! mais il n’en a probablement pas encore vraiment conscience alors… _ :

cf le merveilleux compliment que lui fera Luchino Visconti, en remerciement du documentaire de Peter sur le tournage de Mort à Venise, en 1970 :

« Seul un artiste peut en voir _ = voir vraiment ! : cf le concept d’« acte esthétique » de Baldine Saint-Girons… _ un autre, merci. Amitié, Luchino« , en dédicace à « un très beau livre : Vecchie Immagine di Venezia, vieilles photographies de Venise«  ;

« Il y avait aussi une photo dédicacée : « Pour ta Mort à Venise sur ma Mort à Venise. »

De toute ma carrière _ d’homme d’images filmées _ aucun compliment ne m’a fait un tel plaisir« , page 267 _ :

je veux dire sa « vocation » _ émergeant peu à peu : suite à diverses rencontres, non programmées : par conjonctions de hasard _ de réalisateur de films et reportages culturels, ou plutôt : artistiques (et sur _ à propos… _ d’autres créateurs-artistes, en fait) à la BBC…

voici _ donc : je reprends une fois encore l’élan de ma phrase _

que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

une somptueuse traversée de son siècle _ pas facile pour un garçon juif berlinois ! né en 1929 ! _,

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme

et artiste probe absolument et sans compromission soucieux de la justesse…

J’y viens maintenant…

Ce très grand livre qu’est Mémoires à contre-vent, est construit en trois grandes parties,

autour de la « formation » d’un homme

(et un artiste : Klaus-Peter Adam, devenu par son passage aux États-Unis, en 1956-1957, puis sa vie en Angleterre, de 1958 à 1989 ; et sa naturalisation anglaise, en 1965 : cf page 214, « un sujet de Sa Majesté » ! ; devenu « Peter Adam« , maintenant)

représentatif surtout d’une génération (d’Européens),

ainsi que l’auteur présente cet « essai » d’autobiographie d’abord tout à la fin, pages 438 à 440, de son dernier chapitre, « Le temps des moissons _ 1987-1989« , pour l’édition anglaise, parue en 1995 :

« J’avais l’impression d’avoir vécu plusieurs vies, adopté plusieurs cultures, rêvé et parlé dans plusieurs langues. En même temps j’étais de nulle part, un étranger partout. C’était ce qui me convenait le mieux.

Mon pays natal était un pays imaginaire, fabriqué à partir de souvenirs et d’amis.

Je songeais alors à écrire un livre sur mon enfance et à raconter l’histoire de ce garçon allemand au sang juif qui avait survécu au nazisme.
(…)

Je ne voulais certainement pas me construire une postérité

_ « d’encre et de papier«  : à côté de celle, familiale, de ses neveux, les fils de sa bien aimée sœur jumelle, Renate ;

ou du neveu de Facundo : Marcial di Fonzo Bo, un comédien de grande qualité (auquel, ainsi qu’à Facundo, est dédiée, remarquons-le aussi, cette version française de son autobiographie, Mémoires à contre-vent, page 7).

Je voulais transmettre

non pas mon histoire personnelle,

mais celle de toute une génération _ voilà ! _ marquée par l’Histoire en pleine mutation.

Il y avait eu beaucoup de récits _ écrits et publiés _ sur les bourreaux et les victimes, mais très peu sur la vie quotidienne de gens ordinaires, pris dans le tourbillon de l’Histoire.

Je souhaitais parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal »
_ selon l’expression de Hannah Arendt :

de fait les chapitres « allemands«  (1 à 3 : pages 13 à 88), à Berlin, puis au lycée français mis « à l’abri à la campagne« , en 1943, « à Züllichau, une petite ville de Silésie«  (page 86) ;

et les chapitres « autrichiens« , après que Klaus-Peter, expulsé pour judéité du lycée, début 1944, a rejoint les siens, qui s’étaient réfugiés déjà bien loin de Berlin, « à Tressdorf, dans une vallée perdue de la Carinthie«  (page 86, aussi ;

le premier chapitre « autrichien«  (le chapitre 4 : pages 89 à 104) est joliment intitulé « Intermède pastoral _ 1944-1945« … ;

et le suivant (pages 105 à 116 : « Après-guerre et nouveau départ _ 1945-1946« ) raconte ce qui suit la fin de la guerre et le retour, difficile à Berlin ; jusqu’à ce que le narrateur nomme, au bas de la page 116, « le début de l’après guerre« ) ;

sont des chapitres magnifiques de ces « Mémoires à contre-vent«  sur les conditions de survie des gens ordinaires sous le nazisme… _ ;

Je souhaitais _ donc, je reprends la phrase de Peter Adam… _ parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal » 

et montrer que, malgré tout, le bonheur pouvait survivre _ par résilience, ainsi que Boris Cyrulnik nomme ce processus… _ dans l’épreuve.

Peut-être y avait-il tout de même quelque chose dans cette vie et cette carrière en dents de scie _ voilà : je vais m’y pencher un peu… _ qui méritait d’être préservé » _ et transmis : pages 438-439…

D’autant que

« écrire mes mémoires se révéla _ à l’auteur que va devenir (et se découvrir : par là même !) aussi Peter Adam, à partir de 1990, par ce livre improbable et « ouvert«  de « retour«  sur sa vie… _ passionnant. Cela devenait mon jardin secret, des moments d’évasion _ créatrice ! _ dans un monde de contraintes. (…)

Ma curiosité _ d’analyse, maintenant, comme en actes : par les émissions à concevoir et à réaliser pour la télévision ! entre 1968 et 1989 _ m’avait amené plus loin dans la vie que je ne le pensais _ tout d’abord ; au départ…

La plupart des rencontres ont lieu par hasard. Ce que le désir, les intrigues et la détermination en font _ ensuite : tout un travail et une œuvre ! _ me paraissait plus intéressant que la rencontre elle-même _ advenue, survenue. Il y avait bien évidemment eu des expériences décisives, mais souvent je n’en avais pris conscience qu’après coup. Tout était lié _ ce fut sans doute la découverte la plus surprenante que je fis en écrivant« , page 439 ;

en ce même esprit, Peter a rapporté, page 411, ce mot, « une fois« , de son ami Bruce Chatwin (cf le récit de leur amitié de onze ans, de 1978 au décès de Bruce, le 18 janvier 1989 : aux pages 379 à 384 ; « Ce n’était pas facile d’être ami avec Bruce. Il menait plusieurs vies à la fois et ne permettait pas qu’elles se mélangent ou s’entrecroisent. En société, il était très réservé sur sa vie privée et ne laissait jamais transparaître ses sentiments« , page 380)


Bruce citant Le Portrait de Dorian Gray d’
Oscar Wilde : « Il s’efforçait de rassembler _ lui ; et non sans difficultés dues à tant et tant de hasards d’abord, et à son corps défendant, surtout, subis _ les fils écarlates de sa vie et d’en tisser un dessin«  : unifié, donc, où « tout« , finissant comme par « émerger«  du désordre ou chaos même, vécu par surprise en premier,
vient apparaître en quelque sorte enfin « lié«  et « en place« , « en ordre« , ou presque…

Telle, aussi, une image en un tapis…

Pages 410-411, Peter Adam a aussi écrit, à propos de sa « découverte » de l’écriture :

« Je n’avais jamais écrit de livre _ écrire des scénarios ou des articles _ utilitaires _ n’était pas la même chose _, mais je découvris  rapidement quel plaisir c’était. Rien dans ma vie professionnelle ne m’avait autant stimulé que la relation intime entre l’auteur et sa page, quand tout à coup des mots et des phrases émergent de nulle part«  : c’est la plus stricte vérité !.. Quelle jouissance ainsi rencontrée !

Et un peu différemment, encore,

en l' »épilogue » de 2o09-2010 _ rajouté pour cette « traduction« -« adaptation » française d’un livre qui avait été rédigé presque vingt ans plus tôt : entre 1990 et 1995 ; au moment de sa retraite (de son travail de « documentariste » à la BBC, en 1989) _ :


« En racontant ma vie une fois de plus en une autre langue _ en français, après l’anglais, cette fois _, je me suis découvert une perception du monde qui altérait _ et enrichissait _ la vision _ première _ que j’en avais vingt ans plus tôt _ en 1990. Certains événements n’avaient plus l’importance que je leur accordais en 1995 _ ou en 1989 ou 90… Des amitiés et des rencontres que je croyais emblématiques s’étaient fondues _ depuis lors _ dans l’ombre du temps.

Ainsi raccourci  _ ah! bon ! _ et réédité, Mémoires à contre-vent est un livre nouveau et très différent _ pour Peter le premier _ de Not Drowning, bur Waving.

Notre société et l’ordre du monde _ et nos regards (selon d’autres focalisations : neuves, plus perspicaces : c’est le gain du mûrir…) qui s’ensuivent… _ se sont profondément modifiés durant les vingt dernières années. Des systèmes totalitaires se sont écroulés, mais les droits de l’homme sont _ plus encore _ une vue _ seulement _ de l’esprit. Nous sommes encore bien loin du paradis terrestre où nous pourrions vivre en parfaite liberté, sans conventions hypocrites et libres de tout conformisme _ comme Peter l’a (ou l’avait) longtemps espéré…

Dieu nous est revenu _ de sa mort ! _ à travers deux conceptions qui sont une menace pour notre liberté : le fanatisme dérivé de l’islam et le zèle religieux d’une Amérique conservatrice _ jolie nuance… Dans certaines parties du monde, les bâtiments détruisent _ oui _ le paysage. Ailleurs, la terre _ livrée aux guerres de l’eau _ meurt de soif ; et les famines dues à la sécheresse chassent des populations entières _ émigrant _ de leur pays. Ils mettent leur vie en danger _ de se noyer _ pour traverser les mers à la recherche d’une existence meilleure dans un monde qui les rejette. Utopie mortifère _ combien !

Nous sommes tourmentés de toutes parts : la bêtise du pouvoir, l’imposture des politiques, les démocraties branlantes, la tyrannie des statistiques _ oui, oui, oui, oui ! _, l’omnipotence de la science _ et de ses expertises stipendiées _, l’absence _ veule _ de spiritualité, la fascination _ si niaise ! _ pour les people, cette triste pathologie de la vie moderne fondée sur la culture _ infantilisée _ du _ miséreux _ narcissisme.

Le superficiel règne en maître _ voilà ! Dans un monde obsédé par l’argent, il reste fort peu de place pour la métaphysique _ ou la poésie et le poétique… L’ennui général, très bien repéré par Hannah Arendt et Simone de Beauvoir, est devenu la condition humaine _ quasi générale sur la planète. Voilà pourquoi les gens ont désormais besoin d’être constamment _ et en pure perte _ divertis _ par l’entertainment (régnant à la télévision : même à la BBC ?..).

Il est devenu indispensable d’être joignable partout, à tout moment ; et cela se traduit par des heures de communication stériles _ c’est aimable _ via Internet ou les textos _ quelle sordide dérision !


La langue se banalise, le vocabulaire s’appauvrit ; nous sommes bombardés d’informations
_ et clichés _ ; mais le véritable échange d’idées _ condition de la vraie démocratie, pourtant _ est devenu bien rare. Les rapports épistolaires qui permettaient d’exprimer _ en la « formant«  vraiment _ la profondeur d’une pensée ou d’un sentiment _ plutôt que l’impact brut d’émotions _, ce magnifique plaisir _ certes _ de l’écriture, tombe en désuétude.


Trop de choses se ruent vers l’abîme
_ du nihilisme _ ; et je ne m’en console pas« , page 442…

A contrario, toutefois,

les « artistes » que Peter Adam a « eu le privilège de filmer » (et bien d’autres encore, aussi) « sont la preuve _ vive, vivante ! _ que l’humanité est encore et sera toujours capable de résister _ voilà ! _ à la conspiration _ grégaire _ de la médiocrité«  _ et de ses « statistiques«  ! pages 442-443.

Car « l’art nous donne accès _ en finesse et délicatesse _ à la richesse du monde dans ses dimensions _ qualitatives _ les plus complexes _ et diaprées : jusqu’au sublime…

La vie sans art n’est qu’une source _ minimalement _ tarie.

Seul le travail de l’esprit _ voilà _ peut nous offrir une existence plus vaste _ et libre en l’amplitude de ses mouvements _ que notre bref intermède biologique« , page 443 : bravissimo, M. Peter Adam !!!

La première partie du livre _ soient les chapitre 1 à 6, de la page 13 à la page 134 _ restitue le « terreau » de la génération de ceux qui ont été enfants sous le nazisme _ même si c’est non sans résistance critique dans le cas de la famille Adam, et de la mère, Louise, devenue veuve en 1935.

La seconde partie _ soient les chapitres 7 à 12, de la page 135 à la page 219 _ présente la période d’errances _ avec assez peu de boussoles _ cosmopolites (Paris, Rome, New-York, Londres) et les difficultés _ d’orientation _ de Klaus-Peter, puis Peter, avant de réussir à trouver le « dispositif » professionnel qui lui permettra de devenir véritablement lui-même ; et d’accomplir (en œuvres ! de partages) une « vocation« …

La troisième partie _ soient les chapitres 13 à 33 + l’« épilogue«  ajouté à la version française de la page 221 à la page 443 _ décrit l’éclosion (assez rapide : le chapitre 13 : « Témoin : Berlin, Biafra« , en 1968 et 69) et la maturation-maturité _ sereine _ de l’artiste-témoin :

et de son temps,

et des démarches de création des artistes ses contemporains (et souvent amis, vraiment !),

que sut devenir Peter Adam ;

avant de passer, in fine, à l’écriture _ puis la réécriture ! maintenant… _ du « témoignage » de son propre œuvrer…

Car très vite, dès 1969, « on avait demandé à James Mossman de reprendre la rédaction d’un magazine culturel hebdomadaire, Review, l’émission d’art la plus réputée de la BBC. (…) C’était l’occasion de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Serait-il _ Jim _ capable de briser cette notion élitiste du bon goût qui dominait encore les reportages culturels de la BBC sans tomber dans le piège de la vulgarisation ou des généralisations _ tout Art est initiation à la singularité ! _ simplistes ?

Jim finit par accepter ce poste de rédacteur en chef, à condition que je l’accompagne dans cette aventure. Ce ne fut pas un choix facile, car j’aimais beaucoup les actualités. Je postulai donc pour ce nouveau travail, et fus embauché comme rédacteur en chef de cette émission artistique hebdomadaire.

Je venais de tourner une nouvelle page ; et un autre chapitre de ma vie commençait. J’avais quarante ans« , page 241.

Vont suivre vingt ans (1969-1989) de réalisations de films pour faire connaître _ en donnant à ressentir _ (par la BBC) le sens des créations artistiques modernes et contemporaines _ avec témoignages (= interviews ouvertes…) des créateurs, si possible, et documents audio et visuels à l’appui.

Ainsi _ parmi les projets entrepris et parfois avortés en chemin, ou effectivement réalisés et passés à l’antenne _ :

des émissions sur André Malraux (pages 243 à 245), Rudolf Noureev (245 à 248)

_ avec aussi, un reportage sur « Cuba : Art et révolution _ onze ans après » (249 à 257) _,

« Visconti au travail » pour Mort à Venise (259 à 267), Vladimir Nabokov (269 à 270), Andy Warhol (270 à 273), Doris Lessing (279 à 280), l’hommage, suite à sa mort par suicide, à James Mossman _ « J’intitulai l’émission To be a witness (« Être un témoin« )… _ (280 à 282), Borges (283 à 287)

_ avec, alors, la double décision, page 287, « de rester au département des Arts ; et de me consacrer à des films plus longs«  : c’est-à-dire moins courts ! afin de mieux rendre compte de ce qu’est la créativité singulière d’un artiste…

Hans Werner Henze (289 à 292), Man Ray (292 à 295), « Rêves royaux : Visconti et Louis II de Bavière« , à propos du tournage de Ludwig, le crépuscule des dieux (295 à 298)

_ avec, alors, une série de six émissions, « Eux et nous« , « sur l’art et la culture au sein des six pays fondateurs de la Communauté européenne » (pages 301 à 311) ; ainsi qu’une émission hebdomadaire consacrée au théâtre dans toute l’Europe (313 à 319) _,

« L’Esprit du lieu: la Grèce de Lawrence Durrell » (321 à  325)

_ la publication, en 1987, d’un livre de Peter Adam, « Eileen Gray, a biography » (paru aussi en traduction française, aux Éditions Adam Biro), consacré à son amie « la grande designer Eileen Gray«  qui vécut de 1878 à 1976 (327 à 333) _,

le « nouveau cinéma allemand » de Volker Schlöndorff, Wim Wenders, Werner Herzog, Hans Jürgen Syberberg et Rainer Werner Fassbinder (335 à 340), Jeanne Moreau (340 à 345), « Alexandrie revisitée : l’Égypte de Durrell » (347 à 351), Lillian Hellman et Lotte Lenya (353 à 367), « Diaghilev : une vision personnelle » (369 à 375), Edward Albee, « Un auteur dramatique face au théâtre » (385 à 388), David Hockney (388 à 394), une série consacrée aux « Maîtres de la photographie« , dont André Kertész, Alfred Eisenstaedt, Bill Brandt et Jacques-Henri Lartigue (395 à 407), « Richard Strauss « ressuscité » » (415 à 423) ; une dernière série (de 100 heures) consacrée à « L’Architecture au carrefour« , avec une trentaine d’architecte interviewés, dont I. M. Pei, Richard Rogers, Richard Meier, Norman Foster, Jean Nouvel et Arata Isozaki (page 425), « Gershwin « ressuscité » » (page 133), Buñuel (pages 433 à 434) ; et, pour finir, deux émissions d’une heure consacrées à « l’Art du troisième Reich » (435 à 438)…

Ces Mémoires à contre-vent (aux Éditions de La Différence) : un travail magnifique d’humaniste libre et exigeant !

« Passeur » de la poiesis des artistes ses contemporains les plus authentiques

par l’image filmique de la plus grande qualité ! dans le plus scrupuleux souci de l’intelligence du sens !

Bravo !

Titus Curiosus, ce 2 mai 2010

 

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