Posts Tagged ‘donner

Les apprentissages d’amour versus les filiations, ou la lumière des rencontres heureuses d’une vie de Mathieu Lindon

14jan

Avec un lumineux très gracieux Ce qu’aimer veut dire,

qui parait ces jours de janvier 2011 aux Éditions POL,

Mathieu Lindon,

l’année de ses cinquante-cinq ans _ il est né en 1955 _,

nous offre,

avec la gravité éminemment légère _ et tendre ! _ de son écriture cursive

(sans la moindre lourdeur ! sa phrase (toujours !) « vraie » _ c’est là un de ses traits majeurs ! si jamais on s’avise d’y réfléchir un peu… car il n’y a certes là rien, ni si peu que ce soit, de l’ordre du didactique ! oh non ! tout y est jeune et constamment tout frais… _ ;

sa phrase (toujours !) « vraie« , donc,

va _ marche d’un bon pas vif : d’une jeunesse quasi constamment avivée… _

en des élans successifs toujours _ printanièrement en cette « fraîcheur«  même _ renouvelés :

des pas dansés souples assez rapides et relativement scandés, jusqu’à la rencontre, à l’occasion, parfois, et même souvent, mais sans jamais forcer quoi que ce soit _ tant tout est est toujours si splendidement fluide ! _ de plages (rencontrées !) de quelques figures-expressions un peu plus denses, alors, en leur étrangeté (légèrement _ telle une gaze _, méditative…) pour lui-même le premier : avec l’énigme se découvrant _ plutôt que découverte ; et sans avoir à être affrontée _ de ce qu’il apprend ainsi, au fil de cette écriture progressant et juste à peine _ un effleurement en douceur un peu grave… _ pensive…)

Mathieu Lindon nous offre, donc,

ses leçons apprises _ et non données _ (d’aimer)

et progressives _ en les diverses strates des « âges«  se vivant, successivement ; et déposant un limon qu’il faut un tant soit peu « reconnaître« , « assumer«  (tel un legs dont on serait le légataire : si l’on veut bien y consentir…), et aussi (à la Montaigne : c’est moi qui le « convoque«  maintenant et le dit, pas Mathieu Lindon lui-même : ses références ne sont presque jamais philosophiques…) « cultiver » _

d’une vie (la sienne : de cinquante-cinq années jusqu’ici) :

par la grâce

tant donnée que reçue _ ce sont aussi là des « arts«  qui s’apprennent : sur le tas ; face à de si improbables « visitations«  angéliques… _

de rencontres amoureuses _ courent-elles les rues ? et comment parvenir à ne pas les manquer ?.. _,

et cela quels que soient les écarts d’âge

des aimants (ou amants, ou amis

_ voire parents aussi, qui eux aussi « aiment« … :

et Mathieu Lindon de se pencher, et c’est l’autre des lignes de force de ce livre !, sur sa filiation paternelle (ses rapports de fils à Jérôme Lindon, son père) ;

de même qu’il se penche sur sa propre absence d’enfants biologiques : une absence qui l’interroge même puissamment ; et qu’il résout aussi à sa manière…) :

ainsi remarque-t-il _ tel un amer auquel s’orienter si peu que ce soit (et d’importance ! sublime !) parmi les flots sans marques, à perte de vue, de la vie océanique… _ les vingt-neuf années d’écart d’âge

entre l’ami _ et amour… _ (d’exception !) que lui fut (et lui est : à jamais !) Michel Foucault _ mort le 25 juin 1984 _

et lui-même,

et les vingt-neuf années d’écart d’âge

entre lui-même

et son ami _ et amour _ Corentin, rencontré en 2004 _ cf pages 291-292 : « La nuit où je rencontre Corentin, fin 2004, tout se passe merveilleusement, dans le bar puis à la maison.

On ne dort pas une seconde _ ça fait des années que ça ne m’est pas arrivé _, on s’aime et on parle« 


« Les chiffres me fascinent« ,

ponctue, par ce constat, Mathieu Lindon, page 295, sa réflexion sur les durées de temps passé avec les uns et avec les autres de ceux avec lesquels il a un peu (plus et mieux) appris (qu’avec d’autres) « ce qu’aimer veut dire » :

« Quelques années après sa mort _ il s’agit ici de l’ami Michel Foucault (15 octobre 1926 – 25 juin 1984) _,

je pensai que viendrait un moment où

le temps écoulé depuis la perte _ voilà ! _ de Michel _ voilà un terminus a quo de poids majeur ! _

serait supérieur à celui durant lequel je l’aurais connu _ soit six années : de 1978 à 1984 _ ;

et cette pensée a resurgi régulièrement _ par la suite : tel un amer, donc…

Quand Hervé  _ Hervé Guibert (14 décembre 1955 – 29 décembre 1991) ; cf sur eux ce que dit Hervé Guibert in L’ami qui ne m’a pas sauvé la vie... _ mourut,

ce jour _ « foucaldien«  d’échéance : calculé et retenu… _ était déjà _ depuis plus d’une année _ arrivé.

Et un autre jour est venu _ l’an 2004 _ qui fait que

même Hervé,

il y a plus longtemps qu’il est mort

que de temps _ « guibertien« , cette fois _ où nous avons été si proches _ treize années : de 1978 à 1991…

Avec mon père _ Jérôme Lindon (9 juin 1925 – 9 avril 2001) _,

évidemment, ça _ un tel jour d’« échéance«  : « lindonien«  cette fois... ; étant donné leurs quarante-six années de vie communes : de 1955, l’année de la naissance de Mathieu, le fils, à 2001, l’année de la mort de Jérôme, le père _ n’est pas près de se produire (si, un jour je _ né en 1955, donc _ deviens centenaire  _ ou presque : car c’est en 2047, soit 2001 + 46, que Mathieu, à l’âge de 92 ans, donc, verra(-it) se clore ce temps « lindonien«  paternel…).

Les six ans passés auprès de Michel représentent, en pourcentage, une part

de plus en plus infime _ quantitativement : à compter seulement (le nombre de jours) ! _

de mon existence

qui augmente cependant _ cette part-là ! qualitativement ! _ sans cesse

dans le plus sincère _ ou « vrai«  !.. probe ! _ de mon imagination _ mais pas sur le versant d’un pur et simple imaginaire, qui ne serait que fictif, ou nominal… 

Comparer des années à des années,

c’est _ certes _ additionner des tomates et des poireaux,

ça n’a rien à voir avec la mathématique _ affective existentielle : la seule qui importe vraiment ! _ de l’existence _ vécue : et c’est elle qui constitue en quelque sorte l’objet de réflexion (= les comparaisons) de ce livre si intensément sensible qu’est Ce qu’aimer veut dire

Mais les chiffres me fascinent«  _ à l’aune de sa propre vie qui s’augmente et, d’un même mouvement, passe, les deux : voilà le point d’arrivée de ce raisonnement des pages 294-295…


Avec son aboutissement, surtout, à Corentin :

« Cette première nuit _ de « fin 2004« , donc _, je m’informe sur lui

et Corentin m’apprend qu’il prépare l’École Normale supérieure, section philosophie.

Je l’interroge sur les philosophes contemporains

_ contemporains pour moi, il y a plus de vingt ans _ « fin 2004«  _ que Michel est mort _ le 26 juin 1984… _  _

et il me répond ne pas bien les connaître,

excepté Foucault

dont la lecture lui fait un bien fou.

Ce garçon me semble _ ainsi : voilà ! _ de mieux en mieux.

Je suis frappé de sa jeunesse.

Je lui demande son âge,

puis à la suite de cette réponse, sa date de naissance précise.

Il s’avère qu’il est né après la mort de Michel _ survenue le 26 juin 1984.

Je calcule vite que la différence d’âge _ voilà ! _ entre nous _ Mathieu Lindon est né en 1955 _

est la même _ soit vingt-neuf ans _ qu’entre Michel et moi« , page 295…


Et Mathieu Lindon de poursuivre :

« Au plus fort de mon affection pour Michel vivant,

j’avais espéré _ Mathieu avait entre vingt-trois et vingt-neuf ans : désirer (et aimer) être aimé est un trait de cet âge ; aimer s’apprend un peu mieux un peu plus tard… _ que,

lorsque j’aurais son âge,

il y aurait quelqu’un de l’âge que j’avais alors

pour m’aimer _ devenu âgé… _ autant

et m’être aussi dévoué

que moi _ en pleine jeunesse (d’état civil, au moins), alors _ envers lui.

Mais c’était une imagination _ voilà : un fantasme _ qui se projetait dans un si lointain avenir

que jamais je ne l’ai attendu pour de bon, comme une réalité.

C’était _ à l’imparfait d’un passé bien passé désormais…  _ surtout une manière de me complaire _ un peu égocentriquement… _ dans ma relation avec Michel,

de me repaître _ assez naïvement : mais c’est déjà une forme de force, en cet âge un peu neuf… _ de sa qualité _ qui n’est pas rien ! _,

une masturbation sentimentale _ voilà ! Mathieu Lindon est toujours d’une parfaite probité : lumineuse aussi pour nous qui le lisons…

Si bien que,

lorsque je me rends compte _ aujourd’hui ; ou du moins cette première nuit de « fin 2004«  alors évoquée, pages 295-296 _ de mon différentiel d’âge précis avec Corentin,

en réalité _ cette fois : voilà ! _,

ça ne m’évoque pas du tout Michel et moi :

il y aurait trop de prétention _ subjective _

et trop peu de vraisemblance _ objective _

à ce que je puisse m’identifier à lui,

ne serait-ce que sur ce point.

Ça m’apparaît plutôt comme une coïncidence,

une anecdote _ voilà : de pure conjoncture, ou quasi : rien de vraiment « historique«  !.. _

qui fait d’autant moins sens

que j’ignore _ à cet instant-là, de 2004… _ quel sera le futur de mon lien _ déjà… _ avec Corentin

avec qui je suis seulement en train _ ce jour de « fin 2004« , donc ! _ de passer une mémorable nuit,

même si j’ai tout de suite _ c’est à relever… _ l’impression

que ça débouchera _ dans la durée : seule vraiment significative (de quelque chose comme une profondeur, un relief de « vérité« )… _ sur autre chose _ de marquant : « vraiment«  !

Mais ce qui m’habite _ immédiatement et fort ! _ implicitement _ voilà… _

est que la différence d’âge _ factuelle _

n’a aucune influence _ dynamique _ néfaste,

qu’il n’y a pas _ comme la pression de la doxa y entraînerait… _ à la redouter.

Je suis confiant _ donc : voilà ! _ dans une telle relation,

je sais _ d’ores et déjà, sur le champ : par l’amer (et boussole) de la « relation«  d’« intimité«  vécue (« sentie et expérimentée« , dirait un Spinoza) avec Michel Foucault… _ que ça fonctionne.

Telle est une des leçons _ formidablement encourageante ! _ que j’ai retenues de Michel,

de Michel et de moi en fait _ en la « tension«  si chaleureuse et forte, puissante, de l’« intime«  : qui est une relation vectorielle… Cf ce qu’en analyse superbement l’excellent Michaël Foessel in La Privation de l’intime _,

et qui m’est même devenue si naturelle _ = consubstantielle de l’identité acquise en se formant peu à peu mais ferme désormais ainsi ! _

qu’il me faut la distance _ de regard (creuseur de « relief« ) _ de l’écriture

pour prendre conscience que j’aurais pu penser autrement« , page 296…

L’année suivante _ fin 2005, ou début 2006, et lors d’un voyage « de vacances à l’étranger » en compagnie de Corentin (page 296) _,

Mathieu manque mourir ;

et sa « survie«  _ grâce à une opération chirurgicale pratiquée très vite sur place… _

est « miraculeuse«  (page 298) :

« Je sors euphorique _ voilà ce qu’il conclut ! _ de ce voyage

 où j’ai gagné _ par aufhebung de ce qui a été « éprouvé », « dépassé« , « surmonté«  et « acquis«  désormais dans le détail de l’épreuve soufferte partagée… _ avec Corentin

une intimité plus forte

que celle que même le plus violent acide _ Mathieu Lindon se souvient ici d’un épisode particulièrement dramatique de la dernière année « rue de Vaugirard » de Michel Foucault : le détail de l’épisode (et de ce qu’il a apporté à la qualité de relation d’« intimité«  – complicité entre Michel Foucault et lui-même) est narré avec une belle précision et une émotion rare aux pages 129 à 143 _ peut offrir« 

Cette « intimité » « forte » _ et « vraie » ! _,

c’est

celle de l’amour « vrai » _ voilà ! Une force (« intégrée«  maintenant) pour la vie…

Mathieu l’évoque ainsi aussi, à nouveau, encore,

pour un autre de ses amours forts, Rachid _ l’écrivain Rachid O., qui vit à Marrakech… _ :

« une peur me lie à lui

depuis toujours,

une peur qui est l’amour« , page 305…

Et il poursuit :

« C’était pareil pour mon père

et Michel,

ça l’est aussi pour Corentin

et Gérard _ ami intime depuis 1978… _ :

la crainte _ la terreur _ de ne pas pouvoir _ par quelque faiblesse aussi de soi… _ empêcher

que le malheur s’attaque  _ à le détruire ! _ à l’être aimé« 

Et de commenter :

« Comme si je ne profitais pas

de _ la chance de _ ne pas être le père _ voilà la relation la plus difficile (tendue, « braquée« ) du point de vue de Mathieu… _

de ceux que j’aime,

de n’être pour rien, physiologiquement parlant, dans leur existence,

et que j’intégrais _ toxiquement, en quelque sorte _ malgré moi le mauvais côté _ trop pesant et mal sévère _ de la paternité,

une responsabilité qui braque _ voilà ! _

qui angoisse

et dénature _ l’intimité…

Il me faut _ tel l’enfant, mais pas vis-à-vis de ses parents _ l’aide _ amicale, amoureuse _ de l’autre _ ami, amour… _

pour _ en cette situation de faiblesse de l’« angoisse«  _ m’en tirer« , page 305…

« En tant que jeune

ou en tant que vieux,

entre deux êtres

que sépare une importante différence d’âge

_ et dont Mathieu se trouve être l’un de ces deux-là _,

c’est _ ainsi… _ toujours _ à chaque fois… _ moi

qu’on _ c’est-à-dire l’autre (que moi)… _ enseigne

_ et qui me trouve ainsi « enseigné« 

Je suis le héros _ en gestation indéfiniment : tel un fils à perpétuité… _ d’un roman d’apprentissage perpétuel,

de rééducation _ inquiète _ permanente« , page 306…

« Rachid et Corentin _ les plus jeunes amours de Mathieu _,

je perçois leur clairvoyance efficace

comme un lien générationnel

car c’est la norme que le plus jeune comprenne que tel comportement n’est pas justifié par la morale

mais par les obsessions et caractéristiques des plus âgés,

et se sente tenu (ou non) de faire avec,

protégeant ses aînés

comme j’ai eu cent fois le sentiment de le faire.

(Mais)

Je n’étais _ moi-même, alors, à leur âge de maintenant _ pas ainsi _ par moins de « clairvoyance efficace«  qu’eux deux… _ avec Michel.

J’aurais voulu qu’il _ Michel _ connaisse _ maintenant ! _ Rachid et Corentin

aussi pour les aider _ eux, comme Michel a aidé Mathieu de sa merveilleuse attention et délicatesse (d’ange ?) au temps de la « rue de Vaugirard«  _,

qu’il _ Michel toujours vivant, ou ressuscité ! _ fasse mieux que moi

_ mieux que moi, aujourd’hui, avec eux ; mieux que, autrefois, moi avec lui ;

et que lui (toujours vivant ; ou comme ressuscité d’entre les morts…) fasse encore aujourd’hui avec eux, aussi (et surtout), comme il fit (si merveilleusement) alors autrefois avec et pour moi :

Mathieu, peu narcissique, est infiniment profondément humble et modeste ; inquiet de ceux qu’il aime ;

et généreux !..

Bien sûr qu’il ne suffi pas d’avoir vieilli

pour être comme lui _ Michel Foucault avait cinquante-sept ans à la survenue de sa mort…

Et pourtant,

j’ai le sentiment que

Rachid et Corentin

et même moi

sommes dans la droite ligne de l’enseignement _ du « travail sur soi« _ qu’on peut tirer de L’Usage des plaisirs et du Souci de soi,

les deux livres parus quelques jours avant la mort de Michel

et sur lesquels il a tant travaillé,

Corentin les ayant lus

et Rachid sans.

J’aime la façon dont l’un et l’autre m’écoute

quand je parviens _ = réussis un peu mieux… _ à leur parler de lui.

J’aurais voulu être capable de répéter _ et faire rayonner _ l’enseignement de Michel,

j’ai été atterré de croire ça au-dessus de mes forces,

et c’est comme si une part de cet enseignement _ cependant, et en dépit des obstacles divers, dont l’humilité quasi janséniste de Mathieu _ se répétait de soi-même, mécaniquement _ presque sans Mathieu, en quelque sorte, donc… _,

de même que Michel m’a souvent laissé penser que, dans une psychanalyse, la qualité de l’analyste était secondaire par rapport au processus même.

Michel et mon père

m’ont

chacun

transmis _ très effectivement, les deux… _

une façon d’aimer, non ?

Chacun

deux _ même ! _ :

il y a la manière dont on aime

et celle _ aussi _ dont on est aimé«  _ transmises toutes deux _, page 307.

Sur cette comparaison

des deux rapports (intimes)

à l’ami-amour Michel Foucault, d’une part,

et au père Jérôme Lindon, d’autre part,

cette réflexion-ci, page 308 :

« Personne que moi

ne me demande d’être fidèle à Michel ;

alors que, mon père,

ne pas en déshonorer le nom

est mon affaire publique.

A dix, vingt, quarante-cinq ou cinquante-cinq ans,

j’ai toujours été fils,

tandis que Michel

n’aurait jamais été cet ami

pour un gamin de huit ans _ alors qu’il le fut pour le jeune homme de vingt-trois ans, en 1978…

Or telle est la paternité _ en sa noble pesanteur _ :

avoir déjà aimé l’enfant _ avant d’aimer l’adulte qu’il devient et sera devenu _,

l’avoir eu à sa merci _ d’éducateur viril sévère

surplombant…

En vis-à-vis de _ et opposition à… _ ce rôle paternel-là

(qui fut celui de Jérôme Lindon),

Mathieu Lindon de citer ce mot de (l’ami de l’âge adulte _ et des amours…) Michel Foucault

en son Usage des plaisirs:

« Que vaudrait l’acharnement du savoir

s’il ne devait assurer _ un objectif peut-être étroit _ que

l’acquisition _ capitalisée _ des connaissances

et non pas,

d’une certaine façon et autant que faire se peut,

l’égarement _ rien moins ! celui du questionnement éperdu de la recherche même (créative…) _

de celui _ sujet cherchant et créateur fécond, jouant… _ qui _ activement _ connaît ?

Il y a des moments dans la vie

où la question de savoir si on peut _ en terme de possibilité, mais plus encore de puissance ! _ penser autrement

qu’on ne pense

et percevoir autrement

qu’on ne voit

est indispensable

pour continuer _ seulement : cela ne pouvant pas être seulement répétitif ou mécanique… _

à regarder _ c’est une action aventureuse ! _

ou à réfléchir«  _ itou ! « vraiment«  !


Et de le commenter ainsi,

toujours page 308 :

« Penser autrement,

c’était aussi _ pour Michel Foucault, donc : ce vivant ! _,

en plus de ces moments _ ludiques et sérieux à la fois ! _ passés avec nous _ au premier chef desquels, en effet, Mathieu Lindon et Hervé Guibert, en leur âge de jeunes chiens fous… _,

ce qu’il cherchait

dans l’acide« 

_ et qui demeure encore étonnant (et détonant !)

pour le lecteur bien candide que je continue, à mon âge, d’être…

Mais, de fait :

« Vivre, c’est vivre autrement« , page 309 _ aventureusement et « vraiment«  : « en vérité«  et « relief«  !..

Aussi devons-nous convenir avec l’auteur

de cet intense, probe et généreux (et élégant ! en son extrême délicatesse du penser-méditer-se souvenir…) Ce qu’aimer veut dire,

que

« le legs _ non paternel, lui ; mais amoureusement amical, disons… _ de Michel,

c’est cette possibilité de créer _ ouvrir… _ des relations

_ avec d’autres humains « vrais«  : amoureuses et/ou amicales… _

inimaginables _ au départ : elles vont s’ouvrir, voilà !, pour fleurir considérablement… _

et de les cumuler _ en constellations ouvertes immensément fertiles… _

sans que la simultanéité _ ressentie et menée polyphoniquement, en quelque sorte… _ soit _ pour un tel sujet : formidablement courageux et généreux ! _ un problème« 

Avec ce commentaire pour soi, alors, de Mathieu, page 309 encore :

« D’un côté,

rien ne m’émeut autant que la fidélité _ amoureuse _ ;

d’un autre,

elle me paraît _ mais s’agit-il tout à fait de la même ?.. _ une immorale paresse

_ à mener une pluralité de liens forts et « vrais« , chacun, en sa vie affective pleine, ainsi de front

Michel s’amusait que les mil e tre partenaires

qui rendaient si monstrueux _ en effet ! _ Don Juan _ aimait-il ?.. _

étaient atteints par n’importe quel pédé sortant tous les soirs« 

_ quid de la qualité de l’« aimer« 

d’un « faire du chiffre« , cependant ?..

« Sortir«  et rencontrer ainsi suffit-il pour « aimer » « vraiment«  ? Voilà ce que, lecteur, je me demande…

Dans cette optique-là,

« il  m’arrive _ commente alors, pour lui, Mathieu Lindon _ de trouver l’exigence de fidélité sexuelle

une honte«  _ telle une lâcheté ! _ : dont acte ;

même si cela continue de demeurer quelque peu du chinois

pour le lecteur se le recevant que je suis…

C’est peut-être que l’absolu de l’amour (« vrai« , tout au moins…)

est, lui aussi,

et forcément sans doute,

en son « relief » si on le vit jusqu’au bout,

oxymorique !

Bravo l’artiste !

Ce qu’aimer veut dire est un très

très beau livre

« vrai » !

Titus Curiosus, le 14 janvier 2011

Post-scriptum :

Je m’avise a posteriori de la très grande pertinence de la « quatrième de couverture« _ en fait la reprise pure et simple d’un alinéa-clé (in extenso et sans modification aucune) de l’ouverture (« Les larmes aux yeux« , pages 9 à 26) du livre, à la page 15… _,

et en soi-même, d’abord _ magnifiquement synthétiquement ! de la part de l’auteur du livre _,

et, ensuite, en guise de « confirmation« , en quelque sorte,

des toutes simples « pistes de lecture » de mon commentaire

de ce très sensible Ce qu’aimer veut dire :

« En vérité _ oui ! _, la proximité la plus grande _ voilà ! toutes « proximités«  (d’« intimité«  inter-personnelle) aboutées et comparées… _ que j’ai eue _ = vécue ! _ fut avec Michel Foucault ; et mon père _ ici le contre-modèle : évidemment familier, par prégnance première (et basique) du familial… _ n’y était pour rien. Je l’ai connu six ans durant, jusqu’à sa mort, intensément _ le terme, appliqué à cette « connaissance«  (inter-personnelle) -ci, est très parlant : c’est cette « intensité« -là qui se hisse au-dessus de la simple rhapsodie des moments vécus ; et accède à une dimension (« transcendante« , si l’on veut) d’« éternité« , pour emprunter le vocabulaire (oxymorique : comment faire autrement ? pour désigner le « moins ordinaire« , mais « plus réel«  que le réel coutumier de l’« écume des jours« …) d’un Spinoza _, et j’ai vécu _ pas seulement « logé«  _ une petite année dans son appartement _ d’un huitième étage luxueusement vaste et immensément lumineux « rue de Vaugirard« 

Je vois aujourd’hui _ rétrospectivement et travaux de deuil aidant : par la méditation de l’écriture de ce livre-ci même… _ cette période comme celle qui a changé ma vie, l’embranchement _ voilà : la rencontre, sinon la « visitation« , de l’ange ! _ par lequel j’ai quitté un destin _ familialement un peu trop (lourdement : un rien suffit à faire pencher la balance) tracé… _ qui m’amenait dans le précipice _ d’une annihilation…

Je suis reconnaissant dans le vague _ sic _ à Michel, je ne sais pas exactement de quoi _ j’ai proposé le terme d’« amer » afin de « se repérer« « orienter«  si peu que ce soit dans l’un peu trop uniforme plaine (liquide) des flots océaniques des rapports humains… ; et l’écriture de ce livre a eu, parmi ses fonctions, d’éclairer ce « quoi« -là un peu mieux, pour Mathieu Lindon… _, d’une vie meilleure _ soit la finalité de toute philosophie comme « exercice spirituel« , aurait pu dire un Pierre Hadot : mais Mathieu Lindon ne se veut décidément pas « philosophe«  La reconnaissance _ voilà ! _ est un sentiment trop doux _ lénifiant ? jusqu’à l’écœurement ? seulement pour un porteur d’une un peu trop forte dose de masochisme ?.. et pour le fils d’un père (grand !) éditeur et ami très proche, par exemple, d’un génie tel que Samuel Beckett, aussi, parmi d’autres très grands écrivains qui ont été les « contemporains«  (et édités) de ce père : la contemporanéité m’apparaissant comme un des objets de méditation de ce livre-ci de Mathieu Lindon… _ à porter : il faut s’en débarrasser _ l’objectiver ! _ et un livre est le seul moyen honorable _ parfaitement à découvert et public _, le seul compromettant _ comme si seul le risque (ici celui du jugement du sublime tribunal de la littérature !) encouru et affronté validait « vraiment » l’« expérience« … A la façon de l’« épreuve«  de la corne du taureau pour le torero en la préface par Michel Leiris de L’Âge d’homme

Quelle que soit la valeur particulière de plusieurs protagonistes de mon histoire, c’est la même chose pour chacun dans toute civilisation : l’amour _ voilà _ qu’un père fait peser _ voilà ! via l’« Idéal du Moi » et le « SurMoi«  : surtout à pareille hauteur de « sublime » (via, ici, donc, la littérature, l’écriture : pour l’éditeur insigne qu’était Jérôme Lindon !)… _ sur son fils, le fils doit attendre _ eh ! oui ! _ que quelqu’un _ hors cercle de la famille _ ait _ et cela ne court pas forcément la rue _ le pouvoir _ d’un peu de biais _ de le lui montrer _ = faire voir, enseigner _ autrement _ voilà : avec la grâce, non fonctionnelle (ni a fortiori didactique), d’un minimum de « surprise » et de « gratuité«  : un « don«  gracieux (voire angélique !) à apprendre à « recevoir«  : tel ce qui est donné en une amitié et un amour « vrais«  _ pour qu’il puisse enfin saisir _ c’est toujours un peu tardif ; et rétrospectif (et chronophage), l’« expérience » (adulte)… : surtout mâtiné de « poétique« , comme, tout spécialement, ici… _ en quoi il consistait _ cet « amour«  (du père pour son fils)…

Il faut du temps _ mais oui ! à « passer » et « donner » (et aussi « perdre« ) ! ainsi que la chance de soi-même durer un peu longtemps… _ pour comprendre _ enfin et peut-être _ ce qu’aimer _ et cela en la variété plurielle (mais non innombrable, non plus) de ses formes : pas seulement paternellement et filialement, donc… _ veut dire«  _ voilà !..

Encore bravo !

et merci !

à Mathieu Lindon

pour ce si beau « s’exposer« 

en cette écriture au récit un peu tranquillisé _ = surmonté, mais sans didactisme : gracieux ! _

de telles cruciales _ formatrices… _ épreuves

par blessures de la vie…

De Mathieu Lindon,

je lis maintenant

Je t’aime _ Récits critiques,

publié aux Éditions de Minuit en mars 1993…

Les rencontres heureuses et la vitalité généreuse d’une attentive vraie, Danièle Sallenave : l’état (= bilan provisoire) de sa « Vie éclaircie » _ somptueuse lumière d’un livre majeur !

29déc

Je tiens à saluer,

et comme il le mérite _ c’est-à-dire grandement ! _,

le livre absolument magnifique que nous offre,

en la jeunesse robuste et vive, et toujours si _ formidablement _ immensément joyeuse, de ses soixante-dix printemps

_ mais le passage du temps sur son indéfectible jeunesse (de cœur et d’esprit, d’abord !) est totalement imperceptible ! si ce n’est par un toujours surcroît de plénitude !… _,

Danièle Sallenave,

une vraie attentive

autant qu’une attentive (constamment et surabondamment…) vraie !

l’exemple même, si l’on veut, de l' »honnête homme » aujourd’hui,

et de la « belle personne »,

_ et cela indépendamment de la question, trop souvent parasite désormais, du « genre« , du sexe, de la sexuation : elle-même sait fort bien écarter, ici (au chapitre V, « Femmes, hommes« , aux pages 177-205 de ces passionnants  « entretiens » : avec Madeleine Gobeil, et avec elle-même : sur la page d’écran de l’ordinateur, à corriger pour préciser et creuser, approfondir, déployer bien de l’implicite...),

écarter, donc,

un tel parasitage… ; cf cette réflexion-ci, page 195, en réponse à la question (de Madeleine Gobeil) : « Les hommes et les femmes aiment-ils différemment ?« … :

« A mon sens, hommes et femmes aiment ou aimeraient exactement de la même façon, s’ils se souciaient _ d’abord et essentiellement _ d’être des individus, et non de se conformer, même à leur insu, à l’idée qu’ils se font, ou que l’époque se fait _ voilà ! tel est le poids exténuant (la « pesanteur sociologique« , si l’on préfère…) de la pression des clichés ! _, « des hommes » et « des femmes » !« … ;

et il faudrait ainsi que l’on « transgresse l’opposition rigoureuse hétéro/homosexualité.

C’est _ précise-t-elle bien vite, page 203 _ l’idée qu’un être, avant d’être sexué, est d’abord un individu au sens plein du terme

_ en son intégrité et unicité ; ainsi qu’en la conscience même (d’abord opaque, aussi…) de cette intégrité et de cette unicité, en soi : nécessairement singulières ! les deux (l’intégrité comme l’unicité) ! et cela, pour chacun (en son pour soi ! déjà ; ainsi qu’en un « chacun pour soi«  : bien trop souvent exacerbé…) par rapport à lui-même et son (propre : opaque ! non-transparent ! l’accomplissement et la découverte de soi constituant un long et complexe parcours…) soi ! _,

un individu au sens plein du terme, donc,

qu’on aime _ lui _ comme individu _ en son intégrité et unicité singulières ! elles aussi _, par-delà son sexe » même, ajoute très justement Danièle Sallenave, page 203, donc ;

et de commenter encore cela ainsi, dans la foulée, pages 203-204 :

« Pour un ou une « hétéro », ce n’est pas _ cette bisexualité rencontrée alors, non sans une certaine surprise… _ de l’indifférence à la différence sexuelle, qui continue _ elle, et bel et bien _ d’exister et de concentrer sur l’« autre sexe » les fantasmes de désir, de séduction… c’est comme une trouée dans un paysage, par où d’autres paysages se dévoilent _ alors : en perspective s’élargissant… La « bisexualité » _ puisque c’est à cela que l’auteur fait alors allusion, via sa fiction de La Fraga qu’elle commente alors _, c’est alors comme un complément _ voilà _ d’être, une manière de vouloir se saisir et de saisir l’autre _ en l’expérience vécue d’un tel désir amoureux ouvert sans considération dominante (et intimante !) du genre de l’aimé _ dans une liberté que rien n’entrave _ plus, du moins à cet égard de la spécification (carrée !) du genre de l’autre… _, aucune considération de sexe ou du genre. C’est la manifestation d’une liberté conquise«  : contre (et par-dessus) ses propres préjugés, qui avaient fini par s’incruster… _,

celle-là même qui dit,

page 40 de sa Vie éclaircie _ Réponses à Madeleine Gobeil (qui paraît cet automne 2010 aux Éditions Gallimard),

avoir, de ses parents _ un couple d’instituteurs de Savennières, sur les rives (et juste au-dessus des « levées« ) de la Loire, non loin d’Angers _, « hérité aussi« 

_ outre leur passion (germinative !) de la curiosité

(« Curiosité«  était « le maître-mot«  de ses parents, rapporte-t-elle, page 39, à propos des élèves qui leur étaient confiés : « Il n’a pas de curiosité ! » leur était, se souvient-elle, « un jugement sans appel« …),

leur passion de l’écoute

(un enseignant doit savoir aussi et avant tout apprendre à écouter au plus près ceux qu’il entreprend d’instruire-enseigner-éduquer ! car est là un rapport décisif ultra-sensible ! ;

et Danièle Sallenave de se remémorer ici cette « très belle chose«  « dans un texte de Jean Starobinski« , page 40, en suivant : « Il ne faut pas que l’immense bruit qui nous entoure _ et prolifère _ diminue nos facultés d’écoute _ attentives : activement réceptrices. C’est à les accroître ou du moins à les maintenir _ à rebours des anesthésies de toutes sortes ! se généralisant… _ que j’espère avoir travaillé« , écrivait Jean Starobinski, l’auteur de Largesse, dans L’Invention de la liberté…) ;

ainsi que celle, chevillée au corps et au cœur, elle aussi

_ car Danièle Sallenave vibre (toujours !) de la passion (éminemment porteuse : enthousiasmante !) de la générosité _

de l’inlassable « instruction« 

dont ceux-ci, ses parents, avaient fait leur métier,

au service du « métier de vivre« , de (« grandes« ) « personnes«  (que ces enfants « devaient«  être en train de devenir…), à aider à se former, des enfants qui leur étaient confiés,

du temps de ce qui était encore une « Instruction publique« , et fut, ensuite, une « Éducation nationale«  : en quoi est-elle donc, celle-là, en train de se métamorphoser, quand ses présents ministres ont été mis à pareille « place«  pour avoir su se faire d’assez efficaces « Directeurs de Ressources humaines«  d’entreprises (ô combien privées !) telles que L’Oréal !..  : « parce que que vous le valez bien« , qu’ils avancent comme appels d’achat de leurs « produits«  (séducteurs…) de « maquillage«  !.. ;

et sur la cosmétique, relire les mots toujours aussi brûlants de vérité de Socrate (dans l’indispensable Gorgias de Platon _ ou « contre la rhétorique«  !..)… _

celle-là même, Danièle Sallenave, qui dit avoir « hérité aussi« , donc, de ses parents,

une profonde mélancolie«  :

celle, du moins

_ cf Aristote, la Poétique, et Rudolf Wittkower : Les Enfants de Saturne.., mais cela à dose homéopathique, il me semble, pour ce qui la concerne singulièrement, elle, Danièle Sallenave, étant donné les inlassables trésors, bien plus manifestes (que ces tendances à l’acédie mélancolique !), eux, de la vitalité ! dans lesquels elle puise toujours et encore… _,

celle _ « mélancolie« , donc _ qui _ par la conscience d’un certain « tragique«  de la vie même, éphémère… _ « ouvre des horizons immenses« , page 40 :

ceux, et à perte de vue, de la profondeur (et de l’intensité maîtrisée : toute de classicisme !) de champ (de perceptions : diverses…) ;

c’est-à-dire le « relief« 

vrai

et parlant en pure vérité

_ d’un timbre de voix, seulement, un peu grave et à peine rugueux, en dépit de sa suavité (et chaleur même) de ton  ; tel un accent, à peine un brin voilé, mais de fond

à peine perceptible : tout simplement… ; mais qui « éclaire«  loin et profond ! voilà ! _

c’est-à-dire le « relief«  vrai et parlant en pure vérité, donc

_ et peut-être baroque ;

de ce Baroque qui sait parler et chanter à Danièle Sallenave ; et qui l’a tellement touché, elle aussi, à Rome et à Prague, notamment (comme il m’a personnellement touché, en ces lieux, et via quelques voix de personnes : ainsi, Elisabetta Rasy, à Rome ; Vaclav Jamek, à Prague…) _

le « relief » _ baroque, si l’on veut ! _ du tragique

consubstantiel de l’existence

« fragile » _ voilà ! et combien précieuses par là ! irremplaçables ! ces profondeur et intensité-là,

devant (et face à) cette fragilité vitale (en son éphémère)… _ de nos vies

effectivement passagères : l’automne et le crépuscule ne manquant pas

_ en général du moins : quand,

accomplissant l’espérance vitale (« et les fruits passeront la promesse des fleurs« ),

il s’avère, magnifiquement, que

« une rose d’automne est plus qu’une autre exquise« _

l’automne et le crépuscule ne manquant pas

_ pour certains, du moins, qui ont su vivre avec succès le « dur désir de durer » un peu (plus que d’autres) et, surtout, assez : pour bien l’« expérimenter« 

(tel un Montaigne en la « vieillesse«  relative, toujours, de ses cinquante ans)… _

d’advenir…

Ce n’est pas non plus sans émotion que j’ai découvert, in fine, page 247, les paroles de conclusion de ce magnifique livre d' »entretiens » (avec Madeleine Gobeil) :

« La seule vie, c’est la vie au présent,

cette vie-là !

Il faut en cultiver sur terre

_ c’est là la leçon, à la lumière de la rigueur d’Épicure, du sublime dernier chapitre des Essais de Montaigne, « De l’expérience« , sous lequel ce bilan (provisoire !) joyeux de Danièle Sallenave me semble venir se placer _


toutes les caractéristiques divines,

dont l’allégresse !

J’aime bien ce mot d’allégresse,

il me paraît correspondre tout à fait au sentiment que donne la musique

_ celle de Felix Mendelssohn, par exemple, héritier, en cela, via son maître Zelter, de l’Empfindsamkeit renversante et nourricièrement énergétique, en ses tourbillons de légèreté grave, profonde, du très grand Carl-Philipp-Emanuel Bach !..

De ce Mendelssohn-ci,

écouter la folle énergie du double concerto pour violon et piano dans l’interprétation sublimée de Gidon Kremer et Martha Argerich (un CD Deutsche Grammophon) ; ou l’Octuor dans l’enregistrement live qu’emmène Christian Tetzlaff pour le « Spannungen Chamber Music Festival«  de Heimbach (un CD Avie)… _,

Ce mot d’allégresse me paraît correspondre tout à fait

au sentiment que donne la musique

plus que n’importe quel art. (…) La musique est l’art divin.

J’ai beaucoup aimé parler de musique _ continue et achève de dire : ce sera là tout simplement la conclusion de cette Vie éclaircie, page 247… _ dans l’émission de Claude Maupomé Comment l’entendez-vous ?.

On écoutait le morceau en entier ; celui-ci terminé, le silence revenu _ celui qui permet à la pensée d’aller un pas plus loin ! _, on se regardait ; « alors ? », disait-elle, de sa belle voix _ un peu grave, elle aussi ; et magnifiquement posée.

Il y avait la pénombre du studio, les techniciens derrière la vitre ; et j’avais souvent la gorge nouée d’émotion avant de pouvoir parler et donner suite _ voilà ! _ au chant… _ inspirateur… :

sur l’« acte esthétique« ,

je renvoie une fois de plus à la scène initiale, à la tombée du soir, et en compagnie de deux amis, à Syracuse, de l’ouverture si subtilement juste du (sublime !) essai de Baldine Saint-Girons, L’Acte esthétique (aux Éditions Klincksieck) ;

cf mon article du 12 octobre 2010, à propos de l’opus suivant de Baldine Saint-Girons, Le Pouvoir esthétique (aux Éditions Manucius) : les enjeux fondamentaux (= de civilisation) de l’indispensable anthropologie esthétique de Baldine Saint-Girons : “le pouvoir esthétique”

L’écoute de la musique

procure un bonheur complet. Le temps n’est plus suspendu,

mais son mouvement _ allant : se chargeant, en la grâce porteuse de son déploiement, de toute une plénitude : comblante ! _

se charge de signification ;

il vous fait _ comme _ participer à la grâce souveraine du calcul,

à l’ordre mathématique

_ tant de la mélodie (horizontale) que de l’harmonie (verticale) ; en une inspiration possiblement leibnizienne ; ou bachienne ;

pour ma (modeste et humble) part, je serais tenté de faire un brin plus confiance à l’aventure un peu plus hasardeuse de ce qu’on pourrait nommer « inspiration« , s’élançant dans l’air, et avançant toujours un peu à l’aveuglette, en se fiant à la chance de ce qui va être rencontré, et respiré : à la façon de Domenico Scarlatti en ses 555 sonates, quasi indéfiniment re-tentées, par exemple... _

Le mouvement du temps vous fait participer à l’ordre mathématique, donc,

et joyeux du monde.« 

Car je me suis alors souvenu

que c’est peut-être lors d’une émission

de Claude Maupomé, « Comment l’entendez-vous ?« , sur France-Musique, quand la radio (de Radio-France) parlait un peu plus souvent vraiment vrai _ au lieu de ne se faire bientôt presque plus que propagande et publicité !_,

que j’ai fait la connaissance, par la voix, la parole, et la conversation vivante _ émue et émouvante, en sa vérité ! _ et vraie

de Danièle Sallenave _ et d’autres, tels, parmi d’autres passionnants, Pascal Quignard, ou le peintre de Montpellier Vincent Bioulès… _

commentant la musique aimée…

Voici, pour finir cette présentation-évocation

de La Vie éclaircie _ Réponses à Madeleine Gobeil,

la parlante quatrième de couverture :

« Madeleine Gobeil m’a proposé il y a quelques années de réaliser avec elle une interview par courriel. J’ai longuement développé _ en les travaillant : à la Montaigne, dirais-je… _ mes réponses ; et ce livre en est sorti. L’enfance, la formation (I), les livres (II), le théâtre (III), les amitiés, les amours (IV _ « L’Histoire, les intellectuels, la vie sensible » _ & V _ « Femmes, hommes »), les voyages (VI _ Les voyages, l’Art, le temps), la politique (de ci, de là)… Progressivement, une définition se dégage : écrire, c’est essayer d’ouvrir des brèches, des trouées

_ dans lesquelles une pensée peu à peu, à l’œuvre, et en s’aventurant (c’est le travail exploratoire du génie même de l’imagination…) se déploie : se précise et s’accomplit ; page 75, Danièle Sallenave cite Hegel : « C’est dans le mot que nous pensons«  ; et elle ajoute fort justement, dans l’élan : « Et dans l’articulation des mots, qui constitue des phrases, des énoncés, et pour finir ce qu’on appelle le discours« , selon ce que Chomsky nomme magnifiquement la « générativité«  du discours par la parole… ; le reste, privé de cela, c’est « ce qu’Adorno appelle « la vie mutilée » : coupée en ses élans généreux… Cela chez les privilégiés (« socio-économiques« , ajouterais-je !) comme chez ceux qui ne ne le sont pas. Un « privilégié » qui ne lit rien d’autre que ses dossiers, des ouvrages d’économie, ou sur la résistance des matériaux, et qui ne compte que sur Internet pour sa formation générale, vit aussi pour moi (et pour moi-même aussi !) d’une « vie mutilée »… » ; et Danièle Sallenave de citer encore à la rescousse, page 24, l’excellent Marc Fumaroli, en la préface de ses Exercices de lecture : « Passer par _ voilà ! _ les livres, c’est accéder à une certaine « forme d’intelligence », « que donne de soi-même et des hommes en général la fréquentation assidue _ oui : en mosaïque… _ des œuvres littéraires les plus diverses et d’époques différentes » et qui prépare et éclaire _ c’est cela ! _ celle que donne  _ à l’aveuglette, sinon _ l’expérience » _ individuelle empirique seulement. Comme le commente alors excellemment Danièle Sallenave : « Tout est là : préparer et éclairer l’expérience, qui est forcément _ d’abord : animalement et inculturellement : l’enfance, c’est la « neuveté«  ignorante, d’abord ; surtout privée du désir de plus profondément connaître… _ limitée. Et il ajoute : la lecture « lui donne des ailes _ voilà ! _, elle la prévient contre le rétrécissement _ ou du moins l’étroitesse à jamais _ triste »« , pages 74-75 _,

pour mieux voir, mieux comprendre, mieux sentir. C’est une manière de vivre. D’unifier, d’éclaircir la vie » _ en apprenant à démarquer ainsi le « relief«  même de l’essentiel… Alain dit ainsi : « Apprendre à bien penser, c’est apprendre à s’accorder avec les hommes les plus éminents, par les meilleurs signes »

Ce qui est dit de l’écrire est, en sa parfaite modestie (et justesse !), passionnant !

Magnifique !!!

Les rencontres que la vie,

un peu de chance,

et aussi parfois un brin de courage _ pour savoir saisir, et, plus encore, « cultiver« , en apprenant à soigner et entretenir, avec des trésors de délicatesse, les opportunités du hasard objectif ! _

ont ménagé à Danièle Sallenave,

sont plus passionnantes encore : je n’en dis rien ici ;

je laisse le soin de les découvrir au fil de la lecture

de ces pages infiniment précieuses et riches…

Cette Vie éclaircie _ Réponses à Madeleine Gobeil n’est qu’un « état des lieux » provisoire _ à la Montaigne, ou à la Proust : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier » !.. _, mais sachant se concentrer de mieux en mieux, et avec générosité, sur l’essentiel, de la part de Danièle Sallenave,

car celle-ci est très loin de penser, comme celle à laquelle elle a consacré un panorama biographique, Castor de guerre, qu’à soixante ans, « il n’y avait plus rien à vivre, sauf l’attente de la mort« …

Cette Vie éclaircie

se trouve donc, par là, aux antipodes du Tout compte fait de Simone de Beauvoir,

dans lequel cette dernière lâchait mélancoliquement : « J’ai le goût du néant dans les os« …

Œcuméniquement, en quelque sorte

_ eu égard, peut-être, à une partie de dette (d’auteur) de Danièle Sallenave à cette formidable énergique qu’a d’abord su être presque tout le long de sa vie Simone de Beauvoir ; cf aussi le très beau portrait qu’a offert de celle-ci, récemment, ce livre très important (à de multiples égards) qu’est Le Lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann _,

Danièle Sallenave ose alors, page 243, un :

« Chacun trouve ses propres chemins,

ceux qui lui conviennent » ;

aussi « faudrait-il arriver à considérer l’« âge »

_ mot que je préfère à celui de « vieillesse » (précise Danièle Sallenave) _

autrement que sous l’angle de la mort annoncée« …

_ lire ici (et relire souvent, sinon toujours !!!) le merveilleux Montaigne sur le temps et le vivre, au final de son dernier essai, « De l’expérience«  (Essais, III, 13) !

L’« âge »

et même le « grand âge » tant que le corps tient le coup _ et le détail importe, certes ! _,

c’est aussi _ en effet ! pleinement ! _ un âge de la vie ;

il devrait donc être vécu en tant que tel _ avec visée, toujours, de plénitude ! _,

et non sous la menace du temps qui rétrécit _ et attriste, par la même : cf les analyses très détaillées du très beau (et si juste ! un très grand livre !) La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation de Jean-Louis Chrétien…

Car la jeunesse ne se résume pas _ certes : à chacun, au plus vite, de l’apprendre et d’en faire son miel ! _ uniquement à la quantité de temps qu’on suppose _ à la louche ! pas à la pipette (qui n’existe pas pour cela, en dépit des efforts de tous les prévisionnistes très, très intéressés… _ avoir devant soi…

Encore moins à l’idée qu’il est _ biologiquement _ infini _ inépuisable : prolongeable à volonté et sur commande…

Ou le rêve de Faust ;

et le piège de Méphisto…

Cf ici le mot (terrible) de Staline à De Gaulle, à Moscou, en 1945 : « A la fin, c’est la mort qui gagne » ;

à comparer au « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ! » de l’Ivan Karamazov de Dostoïevski…

Danièle Sallenave poursuit, elle,

à propos des divers âges de la vie,

ceci,

aux pages 243-244 :

« J’ai toujours su que mon temps _ de vie (mortelle)… : et la rareté fait beaucoup, sinon tout (pas vraiment, non plus !), du prix ! _ était compté, même quand je n’avais que dix ans !

Et dans le même mouvement, je pensais que « j’avais tout mon temps » _ à condition de savoir apprendre à (et de pouvoir) aussi « le prendre« 

J’ai très tôt senti _ mais peut-on vraiment « penser«  si peu que ce soit et ressentir autrement que cela, et ainsi ?.. _ quelles infinités _ mais oui ! « Inextinguibles« , dit même Theodor Adorno, en son (merveilleux) essai sur L’essai comme forme, en ses Notes sur la littérature _ chaque âge

et chaque moment _ même _ de l’âge

recelait.


Mais ce n’est pas la littérature qui me l’a fait découvrir : c’est l’ayant découvert que je me suis mise à écrire.
« 


Et de préciser aussitôt : « Car je ne m’« abrite » pas derrière les mots ;

je ne cherche pas dans l’écriture _ à la façon de l’admirable Philippe Forest dans ce chef d’œuvre des chefs d’œuvre dont la plupart de ses lecteurs potentiels ne réussissent pas à supporter d’affronter de bout en bout la lecture : le sublime terrible Toute la nuit !.. _, à calmer l’angoisse _ ici, pour elle _ de devoir disparaître«  _ mais c’est là un B-A BA de l’apprendre à « exister«  de tout un chacun !..

Et d’y répondre, page 244 :

« Quand je suis en train d’écrire un livre,

pendant que je rédige ma réponse à vos questions _ chère correspondante : chère Madeleine Gobeil, en l’occurrence _,

je ne ressens plus le temps _ physique et physiologique _ comme un pur écoulement _ en vertu des lois mécaniques générales (et sans la moindre exception) de l’entropie de la thermodynamique, si l’on veut… _, au sens où on dit qu’un liquide s’écoule, qu’un corps se vide _ irréversiblement et irrémédiablement…

Quelque chose se dissipe _ en effet ; certes _, se consomme _ physiologiquement est transformé, assimilé, avec des déchets rejetés _, se consume _ et se dissout en nuées _ ;

mais rien _ de substantiel _ ne m’a été _ par cette alchimie-là _ ôté ;

au contraire, c’est de l’énergie _ voilà ! _ qui se régénère«  _ et même davantage que cela : « se sublime«  ! _ en se dépensant _ sur cette « sublimation économique« -là, lire Georges Bataille : La Part maudite

Car : « C’est le mouvement de l’écriture qui fait naître _ du moins la capte  et la « sublime«  ! avec un minimum de micro « déchets«  physiologiques ; rien qu’une micro fatigue enthousiasmante ! _ l’énergie _ même _ dont il a besoin _ pour cette gestique : minimale en moyens ; optimale en résultats (= œuvres : au départ et à l’arrivée de simples phrases ; mais quel envol ! parfois, au moins, de « pensée«  ; et quel surcroît, par ces voies-là, d’épanouissement de soi…)…

Alors là , oui, en ce sens

_ et il me semble qu’un Philippe Forest même, lui si hyper-épidermiquement réservé (= écorché vif ! hyper-« grand brûlé«  ! et quel immense écrivain !) quant à d’éventuelles fonctions cathartiques de l’écriture, consentirait lui aussi à pareille formulation… _,

la littérature, l’écriture m’ont aidée.

Elles m’ont donné de la force«  _ celle des écrivains (majeurs, du moins, surtout, mais même aussi les autres, quand ils « avancent«  ainsi…), des penseurs et philosophes, des artistes ; et de tous les « créateurs » en général…

C’est ce processus même de transfiguration qu’analyse si magnifiquement Spinoza dans tout le déploiement de son Éthique,

ce processus qui permet à celui qui parvient à donner réalisation à ses potentialités en apprenant à se connaître (Spinoza le nomme, pour cela, « le sage«  !),

de s’extraire, d’une certaine façon (seulement ! certes !), de la seule temporalité (de sa vie mortelle), à laquelle de toutes les façons il n’échappera pas biologiquement ! ;

de s’en extraire cependant sub modo aeternitatis : en « sentant et expérimentant«  alors,

en ce « passage«  de ses potentialités naturelles (de départ) à « une puissance supérieure« ,

ressenti comme un surcroît d’intensité ;

en « sentant et expérimentant«  alors que,

tout en demeurant un animal temporel (en tant que vivant mortel : la mortalité étant la rançon (biologique) de l’individualisation des membres d’une espèce sexuée ! et cela, naturellement !, sans la moindre exception !),

quelque chose _ de soi ; en soi ; et par soi, aussi… _ accède cependant et aussi alors à une autre dimension de l’être que les seules dimensions du temps et de la temporalité,

c’est-à-dire aussi alors

à de l’éternité

_ l‘éternité : en tant que l’autre même du temps ;

en tant que ce qui excède, au sein même de

(et en plein dedans : bien sûr _ et forcément !),

au sein même de

la temporalité et de la vie (merci à elle !) ;

en tant que ce qui excède (et vient excéder, profusément, mais aussi intensivement !) la temporalité ;

ce qui, d’une certaine façon, lui échappe (en tant qu’autre, simplement, qu’elle ! ; en tant que son autre : le « face«  de son « pile«  ! si l’on veut…) ;

et que le reste de la vie, et, en particulier, ou surtout, l’événement (bref _ un instant ! _ unique et irréversible) de la mort _ pfuitt… : le souffle s’en est allé… _ ,

n’a nul pouvoir d’effacer ;

d’empêcher le fait que « cela« , ce « passage » d’instant-là (avec son intensité a-temporelle !),

a (bel et bien !) été

(ainsi qu’été vécu, ressenti, et même « expérimenté«  !) ;

que cette dimension-là, de l' »exister«  (de l’individu),

a été atteinte et éprouvée, de facto, un moment (de plénitude) ! par lui (non, il n’a pas « rêvé«  !)

La modalité (affective) de ce « sentir et expérimenter » (« que nous sommes éternels« )

étant le ressentir de la (pure et vraie) joie

_ ne pas la confondre avec la sensation (passive, contingente, et trop souvent simplement factice !) du malheureux « plaisir«  (là-dessus lire les beaux et justes arguments de Socrate face à la naïveté trop courte de Calliclès dans le décisif Gorgias (ou « contre la rhétorique« ) de Platon… ;

méditer aussi sur les (très) cruelles impasses (jusqu’au sadisme !) du dilettantisme (le plaisir, oui, mais sans nulle douleur !) à la Dom Juan (cf la très belle analyse qu’en donne l’excellent Étienne Borne (1907-1993) en son Problème du mal_,

le ressentir de la (pure et vraie) joie

comme sublime épanouissement,

pour l’individu qui en est affecté, l’éprouve et le ressent (et l’« expérimente«  même !),

de ses capacités personnelles naturelles de départ…

A l’inverse,

qui n’éprouve jamais pareille vraie (et pure) joie (d’éternité de quelque chose de soi advenant ainsi en lui _ ainsi que par soi…) ; mais demeure scotché dans la seule (et unique) temporalité de sa vie (et en sa dimension exclusive (!) de mortalité, qui plus est…),

celui-là (le « non-sage« ), Spinoza le nomme « l’ignorant » :

ignorant faute de suffisamment prendre (et apprendre (!) à prendre) conscience

et, assez vite, alors, vraiment connaissance ;

et surtout faute _ grâce à cette connaissance vraie, alors, de cette « vocation« -là ! _, de passer

à l’acte de l’effectuation-réalisation _ un peu pleine !.. Spinoza a grandement foi dans l’apport et l’aide de la connaissance !.. Freud aussi, après lui, en un semblable mouvement thérapeutique… _ de ses potentialités naturelles de départ : en germes seulement, d’abord (à l’état en quelque sorte de « vocation« ), pour tout un chacun : telle est la donne (à assumer, au-delà du « dur désir de durer«  lui-même…) de tout vivant sexué, pour commencer ; cf là-dessus, de François Jacob, Le Jeu des possibles;

et qui resteront, ces « potentialités« , à ce stade (infertile !)

de rien que « germes«  (!),

chez celui _ l’« ignorant« , donc ! _ qui ne les aidera pas (mieux !) à passer en toute effectivité

de la potentialité à l’acte,

du stade (inférieur) de « seulement potentiel«  (ou virtuel)

au stade (supérieur _ il s’agit d’un différentiel ! en soi… pas par rapport à d’autres ! Bourdieu, par exemple, étant ici superficiel !.. car seulement « social«  !) _ de « réellement actuel« ,

en une effectuation-actualisation qui serait, elle, réellement (et vraiment !) effective : Hegel parlera ici, lui, de wirklichkeit… _ ;

et, à la toute fin (lumineusement flamboyante : il s’agit, au livre V, de la description du bonheur comme « béatitude«  !) de l’Éthique,

Spinoza met en comparaison la mort de cet « ignorant« -ci

et la mort de ce « sage« -là :

du point de vue _ physico-biologique _ de la vie et de la temporalité,

ces deux morts-là sont équivalentes,

mourir étant pour l’individu (des espèces sexuées) le tout simple subir la dispersion à jamais des parcelles d’atomes (tant de l’âme que du corps) dont il était (circonstanciellement en quelque sorte) la réunion temporelle (vivante et mortelle) : éphémère (et provisoire, au fond : si l’on veut…), par là… L’espèce, elle, se perpétuant (avec une relative ténacité, au moins statistique…) par le renouvellement (sexué) de ses membres, en tant que maillons constitutifs (nécessaires reproducteurs en cela…) de la chaîne des générations se succédant et se remplaçant, en quelque sorte (même s’ils accèdent peut-être, ces « maillons« , à une relative singularité : à voir !)…


Mais il n’en est pas ainsi du point de vue de l’éternité :

à laquelle l’un, l’« ignorant« , le « non-sage«  _ ne parvenant jamais à prendre véritablement consistance ; à réaliser pleinement ses potentialités d’épanouissement ; à accéder, à quelques moments, à la pure et vraie joie active (bien différente du plaisir subi, lui, passivement et par pure contingence !) _ n’aura pas (= jamais !) « accédé«  (n’en ayant, probablement, même pas le moindre petit début d’idée…) ;

tandis que l’autre, le « sage«  _ y accédant à certains moments d’épanouissement effectif de ses potentialités _, a connu (= très effectivement « senti et expérimenté«  : pas seulement passivement subi !), lui, cette modalité du hors-temps (ou « éternité« ) :

au point que l’événement brutal et irréversible de sa mort physique

ne peut tout bonnement plus (= est impuissante à) empêcher, au sein même de son effacement, alors (et irréversiblement), du règne des individus vivants,

le fait _ à jamais, lui ! _, d’avoir goûté,

connu,

et d’avoir (à jamais) accédé _ en personne ! ainsi… _ à

ce réel plus réel et plus plein _ conférant une infinie, inaliénable et irréversible « consistance« … _,

éternel, donc,

offert dans le jeu même de ce qui vit (dans l’éphèmère même du temps donné et imparti à vivre biologiquement)…

Soit une « vocation«  à un certain degré déjà remplie :

cf le cantique de Siméon,

par exemple, en sa version musicale bachienne, le BWV 82 (pour basse) : Ich habe genug (« Je suis comblé« ) ; pour la fête de la purification de Marie, le 2 février…


Sur la joie,

outre cette grandissime leçon de l’Éthique de Baruch Spinoza,

consulter aussi l’admirable travail d’analyse magnifiquement détaillée de Jean-Louis Chrétien, en son lumineux La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation ;

ainsi que les sublimissimes remerciements à la vie

de Montaigne :

« J’ai un dictionnaire tout à part à moi : je « passe » le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas « passer », je le retâte, je m’y tiens. Il faut courir le mauvais et se rassoir au bon. Cette phrase ordinaire de passe-temps et de passer le temps représente l’usage de ces prudentes _ telle est la douce ironie montanienne… _ gens, qui ne pensent _ = croient ! bien illusoirement ! _ point avoir meilleur compte de leur vie _ reçue : avec ingratitude ainsi… _ que de la couler et échapper, gauchir, et, autant qu’il est en eux, ignorer et fuir _ quel gâchis ! _, comme chose de qualité _ objectivement ! _ ennuyeuse et dédaignable. Mais je la connais _ singulièrement ! _ autre, et la trouve et prisable et commode, voire en son dernier décours _ ce que Danièle Sallenave vient de qualifier, elle, de « l’âge«  ! _ où je la tiens ; et nous l’a Nature _ très objectivement ! _ mise en main, garnie de telles circonstances et si favorables, que nous n’avons à nous plaindre qu’à nous _ voilà ! _ si elle nous presse et nous échappe inutilement. Je me compose pourtant à la perdre _ cette vie en voie de se terminer, de s’interrompre… _ sans regret, mais comme perdable de sa condition _ générale ! _, non comme moleste et importune. Aussi sied-il proprement bien _ = de droit _ de ne se déplaire à mourir qu’à ceux qui se plaisent à vivre _ comme c’est sensé ! Il y a du ménage _ = de l’art ! _ à la jouir, et je la jouis au double des autres, car la mesure en la jouissance dépend du plus ou moins d’application _ voilà ! _  que nous y prêtons _ très activement ! Principalement à cette heure _ la vieillesse (ou l’« âge«  !) de Montaigne a débuté pour lui avant ses cinquante ans ! _, que j’aperçois la mienne si brève en temps _ vraisemblablement !.. Ce sont des probabilités presque calculables ! et d’aucuns, aujourd’hui, ne s’en privent pas ! _, je la veux étendre en poids _ en « consistance«  vraie ! _ ; je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie, et par la vigueur de l’usage _ Danièle Sallenave est elle aussi de ce tempérament (et de cette sagesse) -là ! _ compenser la hâtiveté de son écoulement. A mesure que la possession du vivre est _ probablement, en terme de prévision de probabilités _ plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine«  _ voilà ! C’est d’une lucidité dirimante ! _ ;

et une page à peine plus loin,

cet acmé de la « profession de foi«  finale de Michel de Montaigne :

« Pour moi donc, j’aime la vie

et la cultive _ tel est le concept décisif ! _

telle _ c’est la sagesse (= art de bien vivre !) que tout un chacun doit apprendre à savoir (enfin !) reconnaître ! Ce n’est même pas une affaire d’invention !.. _

qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer«  ;

dans l’ultime essai de récapitulation de ce que Michel de Montaigne a appris de la vie : « De l’expérience« , Essais, Livre III, chapitre 13…

Fin de l’incise sur l’apport nourricier de la vraie joie.

Et retour aux dernières pages des méditations de Danièle Sallenave,

pages 244 à 247…

« la littérature,

l’écriture m’ont aidée. Elles m’ont donné de la force. Le temps que je passe à écrire ne me retire pas de lavie,

il m’en donne.

Pas en longueur

_ nous retrouvons ici les intuitions de Montaigne : « à cette heure, que j’aperçois la mienne _ de vie _ si brève en temps, je la veux étendre en poids«  ; et « à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine« _,

mais en intensité ».

Et d’ajouter
,

mais peut-être un peu trop vite, cette fois :

« Et la vie intense,

c’est de l’immortalité «  :

en écrivant « immortalité » au lieu d' »éternité« , quand les distingue si justement un Spinoza !


Suit alors, page 245, une très judicieuse précision

à propos de ce qui a pu opposer d’abord, un peu grossièrement, sans assez de précision, les convictions athées de Danièle Sallenave

à certaines manières de pratiquer certaines fois religieuses ;

je cite :

« J’ai enfin compris, justement avec l’expérience de l’« âge »,

ce qui me paraissait _ depuis longtemps _ le plus regrettable dans la foi, dans l’espérance religieuse _ du moins celles insuffisamment « pensées« 

Ce n’est pas qu’elles consolent,

on a _ tous et chacun : très humainement… _ des heures de détresse, et bien peu de leçons _ en effet ! _ à donner là-dessus.

Ce n’est pas non plus que beaucoup confondent l’existence _ objective _ de Dieu

avec le besoin _ tout subjectif _ qu’ils en ont.

Non, ce que je regrette,

c’est qu’en proposant _ un peu trop fantasmatiquement _ la vie éternelle _ en fait : le fantasme de l’immortalité biologique, bien plutôt ! _,

les religions _ en ces interprétations insuffisamment « pensées«  (ou méditées), du moins, me permettrais-je de préciser… _ nous empêchent de mener jusqu’à son terme, si on le peut,

le grand travail sur soi _ voilà : c’est cela que nous devons apprendre à « cultiver« , pour reprendre un autre mot décisif de Montaigne ! _

qu’imposent tous les âges,

mais aussi le vieillissement _ le vieillir, déjà : permanent ! _,

la vieillesse _ installée, finalement _

et la perspective _ rétrécissante ! _ du néant.« 

Et c’est aussi le travail sur lequel s’est focalisé un Michel Foucault durant les dernières années de sa vie,

tant dans ses Cours au Collège de France (L’Herméneutique du sujet, Le Gouvernement de soi et des autres, Le Courage de la vérité…)

que dans ses derniers livres publiés (Histoire de la sexualité _ Le Souci de soi…)…

Ce « grand travail« 

à « mener » tout personnellement « sur soi » :

« C’est une ascèse,

une ascèse gaie,

qui ne suppose aucune macération, aucune délectation morose ;

mais,

comme disait Montaigne _ celui-ci est donc bien très présent dans la méditation de Danièle Sallenave : cette Vie éclaircie (et éclairée !) étant, en quelque sorte, comme son (tout provisoire encore) De l’Expérience à elle ! _,

l' »absolue perfection, et comme divine, de savoir _ l’ayant peu à peu appris et forgé : tout personnellement, et à son corps défendant (comme tout ce qui importe vraiment !)… _ jouir loyalement

_ voilà le critère montanien majeur ! en toute vérité et dignité ! sans trucage ! _

de son être »… »…

« Ce qu’elle espère atteindre, cette ascèse

_ donc ; qui ne débouche « pas sur une « autre vie après la mort », certes,

mais sur « une vie dans la vie » : une vie apaisée, transformée« , aussi page 246… _,

est sans prix : le prix est dans l’ascèse _ toute personnelle, donc _ elle-même,

un exercice libre et joyeux de l’attention _ voilà ; lire là-dessus tous les derniers livres de l’ami Bernard Stiegler : Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations ; et le tout récent Ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue _ de la pharmacologie !.. (aux Éditions Flammarion, les deux)… _,

une attention au présent,

à chaque moment, à chaque instant » _ jusque selon, peut-être, les modalités montaniennes indiquées en son « dictionnaire à part soi« 

Et Danièle Sallenave de se remémorer alors Pindare :

« N’aspire pas à la vie éternelle _ ou immortelle ?.. _,

mais épuise le champ du possible«  :

« C’est ce que chantait Pindare dans ses Pythiques, il y a deux millénaires et demi, un peu avant le siècle _ classique _ de Périclès. »

« On le cite souvent. Qui le pratique vraiment ?
Tout est à relire et à méditer chez les sages de l’Antiquité, ses poètes, ses philosophes,

car, ainsi que le dit _ le regretté _ Pierre Hadot :

« La philosophie antique n’est pas un système ; elle est un exercice préparatoire à la sagesse _ très activement désirée _ ; elle est un exercice spirituel » _ voilà !

Nous avons _ un peu trop _ perdu ce sens-là de la philosophie« , page 246…

Le paragraphe final de ces méditations de l' »âge«  _ qui n’est pas du tout celui de la mélancolie ! _ que forme cette belle Vie éclaircie (et éclairée !) de Danièle Sallenave

évoque, je l’ai déjà mentionné un peu plus haut, « le bonheur complet« 

que « procure » à l’auteur « l’écoute de la musique« 

et « la participation

à la grâce souveraine du calcul,

à l’ordre mathématique et joyeux

du monde« ,

et cela, au rythme du « mouvement » même « du temps« 

« chargé » alors _ comme électriquement : qualitativement, et non quantitativement ou mécaniquement... _ « de signification » :

c’est en effet là une « grâce » artiste…

Titus Curiosus, le 22 décembre 2010

Une célébration de la lumière : les « Passacailles » de Christian Gardair, à la Galerie Le Troisième Œil

05sept

Vendredi soir dernier, 3 septembre, à partir de 18 heures,

vernissage de l’exposition Bleu Gironde et passacailles, à la galerie Le Troisième Œil, 17 rue des Remparts, à Bordeaux.

C’est l’ami Alain Béguerie qui avait suggéré que nous nous y retrouvions, avec nos amis Lucien et Christine Orio : quelle richissime initiative !


D’autant qu’en arrivant sur les lieux, j’y trouve l’ami Jean Bauer,

et que c’est en sa compagnie _ idéale ! _ que je découvre les Passacailles du rez-de-chaussée : Jean Bauer me détaille d’expert (!) l’inspiration musicale _ le séquencement des portées… Boulez… le nombre 5… _ de ces pièces toute récentes ; avant de nous confronter, à l’étage, aux Bleu Gironde, davantage géographiques _ avec, aussi, passage d’ombres et nuées…

Je croise aussi les amis de Baldine Saint-Girons, au domicile desquels j’avais fait la connaissance de leur ami commun, Christian Gardair : c’était à la suite de la présentation _ très impressionnante ! jamais je n’avais été aussi impressionné par une si forte « présence » d’une personne ;

sinon, peut-être, Aharon Appelfeld lors de son passage dans les salons Albert-Mollat (et au centre Yavné), le 19 mars 2008 ! _

par Baldine Saint-Girons, de son livre époustouflant, L’Acte esthétique (paru aux Éditions Klincksieck, en janvier 2008)…

Voici quelques une de mes impressions de ces Passacailles, si somptueusement lumineuses _ quelle qualité de joie !!! _, de Christian Gardair :

La joie
de ce que donne à regarder Christian Gardair
irradie _ aussi puissamment que parfaitement tranquillement _ : avènement et règne

très simples
de la pureté claire advenue
et célébrée
du jour : sa lumière…


Comme souvent dans les lignes les plus simplement contrapointées de Bach

(c’est aussi un peu oxymorique !
mais sans aller rien rechercher, puisque tout est déjà tout simplement et pleinement là :
il n’y a qu’à s’y tourner
et y cueillir, y puiser : prendre, saisir, tenir, dans la douceur à peine d’un geste

et noter

pour le rendre, le re-donner, tout aussitôt
immédiatement
et en parfaite simplicité, à son tour
, en effet _ sans maniérismes,
ce
« tout« _, au regard

invité) ;

comme, spécialement, dans les pièces familiales les plus simples et radieusement heureuses :
celles, de joie, des Petits livres d’Anna-Magdalena, de Wilhelm-Friedemann, etc.


Personnellement,
me soumettre, avant-hier soir, à la Passacaille

figurée
fut un pur (et très clair _ et assez rare, aussi, à ce degré d’évidence !) bonheur :
quelle puissance d’énergie toute simple (lumière !)
sourd, parfaitement tranquillement, de « cela« ,
de ces lignes (avec éclaboussement des couleurs) ainsi « exposées« ,
et sur l’espace offert de la toile,
et sur les cimaises du lieu d’exposition ;


comme dans la poursuite (à variations : en ces « portées » patiemment et artisanalement continuées, en leur jeu _ car cela est ludique, « joué« )
d’une transposition
,
peut-être,
de ce que peut être pour lui, acteur du geste de peinture,
le moment extrait de la chair du temps (et des jours) qui défile(-nt), généreusement
, dieux merci ! ;

en une transposition, donc,
de ce que peut être pour lui, en tout simple passeur
en l’acte, pour lui, de peinture :

une transposition
d’expérience à peine figurée ; mais il faut cette forme de marque, tout de même,
de minimale et patiente, sérieuse, et peut-être obstinée

(comme le retour _ mental _ de la ritournelle serait obsédant si celle-ci ne donnait pas lieu à « cela« , ce jeu sonore-là, cette musique… _ peu formelle : ni calviniste, ni luthérienne, en tout cas ! pour moi…)
inscription du geste ;

en une transposition de ce que peut être pour lui le moment
paisible (ainsi que le paysage _ long et large _ de cette Gironde)
de se soumettre
au regard (humble et reconnaissant !) presque sans limites de son estuaire,
du coteau, avec vignes, à Berson ;


et ce tissage de séries _ superposées plus qu’alignées, en leur succession continuée _ de lignes
variées
en leur continuité-poursuite
et l’éclat tranquille
_ très apaisant _ de la giclée _ très joyeuse _ et de l’élan sérié des
couleurs,
comme contenues
_ afin de donner (= rendre) toujours plus d’éclat ! en cette mesure probe… ; c’est quasi plotinien ! _, en leur variété défilant
et se défiant les unes les autres
à grands éclats de rire pur (ceux de l’intensité spontanément vive des touches),
dans les cases
_ ou festons _ qui s’ouvrent, fines, fines, quasi infimes ;

et ce tissage tramé (et enclos dans le cadre tout tracé, peint, en les bords,
et jusqu’en les côtés mêmes de la toile, eux aussi,
de ces épaisseurs superposées de couches contrapointées de tramages hyper-colorés),


ce tissage-tramage
est musique,
à la Bach :


comme pour _ un cadeau ! une offrande ! _ l’épouse chanteuse Anna-Magdalena
et les jeux digitaux
_ et quodlibet en prime _ des enfants,
Wilhem-Friedmann, Carl-Philipp-Emanuel, etc…

Tout cela m’évoquant aussi
l’irradiation magnifique de Cántico

(1928, 75 poèmes ; 1936, 125 poèmes ; 1944, 270 poèmes ; 1951, 334 poèmes)
du merveilleux Jorge Guillén
(Valladolid, 18 janvier 1893 – Malaga, 6 février 1981).
Jorge Guillén a aussi traduit en castillan Le Cimetière marin de Paul Valéry, en 1930.

Sur Paul Valéry,
cf cet article récent de mon blog :

Vie de Paul Valéry : Idéal d’Art et économie du quotidien _ un exemple

Voilà.

Le jeudi 16 septembre, la galerie Le Troisième Œil accueillera Yves Boisseleau pour une lecture de son livre Le Corps du délit, illustré par Christian Gardair…

Et Baldine Saint-Girons,

poursuivant sa magistrale analyse de l’aisthesis,

après le merveilleux L’Acte esthétique,

nous donne Le Pouvoir esthétique :

je le commenterai ici prochainement ; je viens de le lire ces deux jours ;

un travail lumineux sur un sujet aux impacts civilisationnels majeurs…

Voilà, là, des célébrations du jour _ quelles qualités de bleu !!! _

qui font du bien ;

je cite Baldine Saint-Girons, à la page 133 de son Pouvoir esthétique :

« Ce pouvoir (esthétique) est celui d’une cosmothérapie, dont l’instrument est une culture définie à la fois comme culture de l’âme (cultura animi), épanouissant les forces spirituelles ; comme culture commune, un « nous pensons » (cogitamus) ; et comme culture ouverte, non exclusive, non méprisante. La véritable culture doit permettre une « tonification de la vie » en induisant un élan créatif et en renouvelant « l’expérience salutaire de l’émergence »«  _ ces deux dernières expressions sont empruntées à La Poétique de l’espace, de Gaston Bachelard.   « …

Venez-vous exposer au bleu tout à la fois apaisant et « tonique » de ces Passacailles


Titus Curiosus, ce 5 septembre 2010

Un modèle de « leçon de musique », à l’occasion de la mort de Maria Curcio, « pianiste italo-brésilienne », à Cernache do Bonjardim (Portugal)

20avr

Un bel article d’Alain Lompech, « Maria Curcio, professeur de piano italienne« , dans le Monde (du jeudi 16 avril _ je ne m’en étais pas encore avisé _,

à l’occasion de la disparition, ce 30 mars dernier, à l’âge de 88 ans, de la pianiste (et longtemps professeur de piano) italo-brésilienne, Maria Curcio, à « Cernache do Boa Jardim » _ ou plutôt Cernache do Bonjardim _, au Portugal ;

et qui nous aide à un peu mieux

(= plus finement ; avec les « petites oreilles » d’Ariane« ,

dirait Nietzsche, qui s’y entendait ;

cf, entre autres, « Les Dithyrambes de Dyonisos« , par exemple dans « Dithyrambes de Dyonisos _ poèmes et fragments poétiques posthumes : 1882-1888« , in « Œuvres philosophiques complètes« ), soit l’édition Colli-Montinari, aux Éditions Gallimard, en 1975 ;

ainsi que, plus largement, quant à la finissime sensibilité auditive de Nietzsche :

de François Noudelmann, « Le Toucher des philosophes : Sartre, Nietzsche, Barthes au piano » ;

+ mon article sur ce grand livre, du 18 janvier 2009 : « Vers d’autres rythmes : la liberté _ au piano aussi _ de trois philosophes de l’”exister« ) ;

et qui nous aide à un peu mieux percevoir

et ce que peut être (à son plus beau) la musique ;

et, peut-être davantage encore (même si les deux sont consubstantiellement liés) :

ce qu’est son apprentissage et sa transmission (délicates et magnifiques, à leur meilleur) :

de professeur à élève, comme d’élève à professeur

_ et c’est aussi un échange tant mutuel que réciproque !

Quel miracle qu’existent encore de telles rencontres entre de tels professeurs (de musique) et de tels élèves (musiciens) !!! Cela va-t-il durer ?..

Au nombre des élèves de ce très grand professeur, on peut répertorier, entre autres _ et classés par ordre alphabétique (ce que fait « The Guardian« ) _, Pierre-Laurent Aimard, Martha Argerich, Myung-Whun Chung, Barry Douglas, José Feghali, Leon Fleisher, Peter Frankl, Claude Frank, Anthony Goldstone, Ian Hobson, Terence Judd, Radu Lupu, Rafael Orozco, Alfredo Perl, Hugh Tinney, Geoffrey Tozer et Mitsuko Uchida : excusez du peu…


Comme un exemple, cet article très émouvant d’Alain Lompech

_ et donc bien davantage qu’une métaphore belle (ou même commode) _

de ce qu’est l’Art, la Culture (incarnée, vivante, créatrice et nourrisante, tout à la fois _ pas sclérosée, ni mortifère ;

pas « asphyxiante« , comme s’en inquiétait Jean Dufuffet,

éperdument en quête de toujours plus de « fraîcheur » et de « liberté » de création, lui,

in « Asphyxiante culture« , en 1968 ; cf aussi, du même : « Prospectus aux amateurs de tous genres« , en 1946 ; et « L’Homme du commun à l’ouvrage« , en 1973) ;

un Art et une Culture inspirants !

afin de prolonger de ses gestes (et peut-être même, parfois, d’œuvres, ou de « performances », telles que « jouer une œuvre de piano ») les plus beaux mouvements de la Nature, se déployant toujours, elle, même si c’est très lentement

_ les Chinois le savent particulièrement mieux que nous

(cf l’ami François Jullien : « Penser d’un dehors (la Chine) : Entretiens d’un Extrême-Occident » _ avec Thierry Marchaisse ; ou, plus récemment : « Les Transformations silencieuses _ Chantiers 1« ) ; sans compter, sur l’Art même, le très nécessaire « La grande image n’a pas de forme _ à partir des arts de peindre de la Chine ancienne« , qui vient de paraître très utilement en édition de poche (en Points-Seuil)…

Car au-delà de la « Natura naturata« , c’est à la « Natura naturans » qu’il importe de « se brancher »,

de connecter en souplesse (et si possible, avec grâce) ses « branchies » ;

afin que bientôt s’agite en musique le feuillage frémissant de toutes ses « branches » tendues vers le ciel, vers la lumière du jour, au dessus du tronc, et en largeur épanouie, et proportionnellement, aussi _ ne pas le perdre de sa « vue mentale » _,  à l’extension, toujours en acte, elle aussi, de ses racines, dans l’humus noir (toujours un peu pourrissant) d’un sol activement fertilisant _ qu’il faut aussi entretenir, fertiliser : par une vraie éducation (et pas un dressage) et une vraie culture : véritablement inspirante ; car, nous, Humains, sommes bien incapables de créer à partir de totalement rien ; la création réclame l’humilité d’apprendre du meilleur d’autres…


Sur ce point, je rejoins, bien sûr, les positions de mon ami Bernard Collignon _ même si son style est assez loin du mien : chacun fait comme il peut !.. selon l’histoire de sa sensibilité _ en son numéro 76 de sa revue « Le Singe Vert« , consacré à « L’Education Nationale«  (c’est le titre de cette « livraison » : l’article fait 11 pages ; contact : colbert1@wanadoo.fr ) :

scandaleusement pauvre, l’institution, en initiation artistique ; au lycée tout particulièrement… Cherchez l’erreur des Politiques (et des Administratifs _ qui obéissent, statutairement). Car c’est bien, à la racine, une affaire de choix politique…

Nous sommes assez loin, en France, de la finesse et justesse de projet (« Yes, we can« ) civilisationnel de la hauteur de vues d’un Barack Obama, lequel n’a pas été, pour rien, et assez longtemps

_ avant de rechercher, par l’engagement politique, justement, davantage d’efficacité à cette action-civilisationnelle-là ! _

« travailleur social » dans des quartiers difficiles de Chicago

_ cf son très très beau « Les Rêves de mon père _ l’histoire d’un héritage en noir et blanc »

(cf, ici, mon article du 21 janvier 2009 ; « Les “rêves” de Stanley Ann Dunham, “la mère de Barack Obama, selon l’article de Gloria Origgi, sur laviedesidees.fr « )…

L’objectif, auquel Barack Obama est fidèle

(cf mon autre article, du 10 janvier 2009 : « L’alchimie Michelle-Barack Obama en 1996 ; un “défi”politique qui vient de loin« ),

ne semblant pas, pour ce qui le concerne, lui _ nous allons bien voir _, de s’offrir ostensiblement (à soi) des Rolex et des croisières sous les Tropiques, en fréquentant, prioritairement, les fortunés de Wall Street ; ou les « people« …

Fin de l’incise Obama ; et retour à l’apprentissage artistique, à partir de (et selon) l’article d’Alain Lompech : « Maria Curcio, professeur de piano italienne« …

Écologiquement, les métamorphoses

des organismes (individuels) se nourrissent _ nécessairement ! _ de l’interconnexion, infinie (inassouvissable, tant que l’on est vivant !), de ces échanges (d’eux, organismes _ en commençant par leur estomac !) avec l’altérité riche et dynamisante d’autres « éléments » excellents (que soi ; et pour soi) ;

à commencer par cette forme plutôt unilatérale d’échange qu’est la prédation (unilatérale : tueuse…) !!!


Je reviens à la disparition, le 30 mars, de la pianiste-professeur de piano _ et professeur (plus encore) de musique (via la musicalité) : Maria Curcio.

Certes, disparaître, s’éteindre, à « Cernache da Boa Jardim« 

_ ou plutôt Cernache do Bonjardim, semble-t-il ; pas très loin de Pombal et de Tomar ; et Leiria, et Coimbra _

n’a pas nécessairement, à soi seul, tout du moins, grand sens

_ même pour une femme (au-delà de l’artiste en elle) dont la mère était brésilienne (de Sao Paolo ; et donc de langue portugaise : avec des intonations de la parole encore plus douces et chantantes qu’au Portugal ; au Brésil, veux-je dire) _ ;

mais tout de même : je veux y voir des filiations esthétiques, d’aisthesis ;

surtout pour quelqu’un (toujours au-delà de l’artiste en elle) dont, aussi, le père était italien…

Il n’est, encore, que de suivre, la liste des lieux _ selon cet article, déjà, d’Alain Lompech _ où a vécu Maria Curcio, de sa naissance à Naples, le 27 août 1920, jusqu’à sa disparition, le 30 mars dernier, à Cernache do Bonjardim :

_ Naples, d’abord, cette ville exceptionnellement musicale _ je me suis un peu penché sur la vie musicale à Naples au XVIIIème siècle, au moment de la préparation du CD Alpha 009 du « Stabat Mater » de Pergolèse par le Poème Harmonique de Vincent Dumestre _ ce qui m’a permis de faire la connaissance de Pino De Vittorio et Patrizia Bovi (extraordinaires artistes ! napolitains !) _ ;

_ Tremezzo, sur les bords du lac de Côme, où Maria Curcio allait recevoir des leçons de piano d’Artur Schnabel (1882-1951) entre 1935 et 1939, alors qu’elle était encore « enfant »… ;

_ Paris, où elle est élève, toujours encore « enfant », de Nadia Boulanger ;

_ Londres : elle y débute en février 1939 _ à l’« Aeolian Hall« , New Bond Street, en un programme « Beethoven, Mozart, Schubert et Stravinsky » : « La clarté latine fut la caractéristique première du jeu pianistique de Mademoiselle Maria Curcio de Naples« , commenta le chroniqueur musical du « Times« … _ ; avant de s’y installer durablement _ dans le quartier de Willesden _, avec l’aide de Benjamin Britten, comme « maître » de piano, en 1965 : Annie Fischer, Carlo-Maria Giulini et Mstislav Rostropovich lui envoient de nombreux étudiants, qu’elle  fait travailler « pas à pas« , au rythme qui convient vraiment à l’apprentissage de l’Art ; et avec l’exigence radicale de la qualité des « fondations » _ plutôt que d' »entreprendre la construction du bâtiment par le toit« … ; « Ne vous précipitez-pas !«  était son commandement (schnabelien) le plus constant ! ; « Ouvrez vos bras, et embrassez le monde !« , disait-elle aussi… « Ma tâche de pédagogue est de les libérer d’eux-mêmes«  disait-elle encore à propos de ses élèves : soit le nietzschéen « Deviens ce que tu es« , en suivant le conseil : « Vademecum, vadetecum » (in « Le Gai savoir« , les deux…)… Et, en rappelant le « but » (de l’artiste _ vrai !), elle disait aussi, après Artur Schnabel, qu’« en Art, aucun compromis n’est possible«  : voilà une excellente école : que celle de la plus haute vérité (et justesse)…

_ Amsterdam où elle passe les années de la seconde guerre mondiale, dans des conditions particulièrement difficiles (de logement, de sous-alimentation et terrible faim, de danger permanent) ; et qui altèrent irrémédiablement sa santé (tuberculose grave ; très grandes difficultés à marcher ; longues rééducations ; difficultés (jusqu’à l’incapacité) de se produire désormais en concert _ le dernier sera en 1963) ;

_ Edimbourg, où son mari avait brillamment « assuré » le rayonnement international du Festival de musique ;

_ Leeds, où elle est un membre actif du jury du concours de piano ;

_ le Portugal _ Cernache do Bonjardim _, où elle résidait depuis 2006, assistée de sa gouvernante Luzia…

Nécrologie

Maria Curcio, professeur de piano italienne

LE MONDE | 16.04.09 | 16h34

La pianiste Maria Curcio est morte le 30 mars, à Cernache do Boa Jardim (Portugal). Elle était âgée de 88 ans.

« Ton pouce ! » : de la cuisine où elle préparait les pâtes pour Laurent Cabasso, Maria Curcio avait entendu que le pianiste avait mis un mauvais doigté. Et des sucres lents, il allait en avoir besoin car, comme le dit ce musicien : « Quand Maria faisait travailler un élève, elle ne lâchait jamais prise, jusqu’à ce qu’elle obtienne _ voilà ce qu’est l’exigence _ ce qu’elle voulait. Le temps n’existait plus _ rien que l’éternité : qu’offre en effet la rencontre avec (et l’interprétation de) l’œuvre d’art ! On sortait épuisé _ mais heureusement : avec béatitude  _ de la leçon qui pouvait durer du matin au soir _ la durée étant celle (qualitative) de l’œuvrer, pas celle du temps (quantitatif et mécanique) physique de l’horloge (cf là-dessus les analyses de Bergson). Et quand elle se mettait au piano pour donner un exemple, c’était indescriptible _ en son « éclat » (plotinien)…  _ de beauté. Ce qui nous inspirait _ « L’artiste est moins l’inspiré que l’inspirant« , dit quelque part Paul Eluard… Des années après _ ces « leçons«  de Maria Curcio _, ce grand artiste dit que les séances de travail avec Maria Curcio ont changé sa compréhension du piano : « C’est difficile à expliquer, mais d’avoir travaillé avec elle fait qu’aujourd’hui je ressens dans mes muscles, dans mes mains, dans mes doigts chaque son joué par un autre pianiste _ voilà où porte la qualité de l’attention (ici l’écoute !), en son accueil exigeant et vrai de l’altérité ! _, ce qui me permet de mieux comprendre _ oui ! à côté de tant de surdité et d’inintelligence ; de tant d’in-attention ! _ les problèmes de mes _ propres _ élèves. »

Avant de devenir professeur, Maria Curcio avait donné des concerts. Née en Italie, à Naples, le 27 août 1920, d’une mère brésilienne _ et juive _ (Antonietta Pascal, pianiste et élève de Luigi Chiaffarelli, 1856-1923, à Sao Paulo) et d’un père italien _ homme d’affaire aisé _, Maria Curcio sera une enfant prodige _ apprenant le piano dès l’âge de trois ans, en 1923, et se produisant en de petits concerts dès l’âge de cinq ans, en 1925… Dotée d’un caractère ferme : elle refusera de jouer pour Benito Mussolini à qui elle _ elle avait sept ans, en 1927 _ trouvait une sale tête. Elève de Carlo Zecchi (1903-1984 _ lui-même élève d’Artur Schnabel _) _ ainsi que d’Alfredo Casella _, elle sera présentée à Artur Schnabel qui ne prenait jamais d’enfants parmi ses élèves. Il fera une exception.

Chaque été _ à partir de 1935, elle a quinze ans _ jusqu’au départ de Schnabel pour les Etats-Unis où, juif, il sera contraint de s’installer, Maria Curcio travaillera avec le grand pianiste dans sa maison _ de Tremezzo _ du lac de Côme (Italie) _ « un des plus grands talents que j’ai jamais rencontrés« , dira-t-il d’elle… A Tremezzo, elle accompagne aussi les chanteurs auxquelles Thérèse Behr, l’épouse d’Artur Schnabel et interprète reconnue de lieder, prodigue ses leçons ; et apprend aussi énormément d’elle (et du chant). Elle prend, encore, des leçons auprès du maître Fritz Busch… Elle sera également l’élève de Nadia Boulanger, à Paris. Quand Maria Curcio arrivait, la mère de l’illustre professeur disait à sa fille : « Ouvre la porte quand la petite Italienne joue…«  Mariée _ au lendemain de la guerre, en 1947 _ à Peter Diamand _ (autrichien ; né à Berlin, le 8 juin 1913 ; et mort à Amsterdam, 16 janvier 1998) qui avait été à partir de 1934 et jusqu’en 1939 le secrétaire particulier d’Artur Schnabel (ils avaient fait connaissance à Amsterdam) ; et juif, lui aussi ; avec lequel elle quitte Londres pour gagner Amsterdam en 1939, où Peter Diamand résidait et où il avait des projets de Festival (elle divorcera de lui, à l’amiable, en 1971 : son mari n’ayant pas su assez « résister«  à un penchant pour Marlene Dietrich ; mais ils demeureront « bons amis« ) _ qui sera le fondateur du Festival de Hollande _ où il exercera les plus hautes responsabilités de 1946 à 1973 _ et du Festival d’Edimbourg _ de 1965 à 1978 _, après la seconde guerre mondiale, Maria Curcio passera les années d’occupation à Amsterdam. Catholique, elle pouvait gagner quelque argent afin de nourrir son mari et la mère de celui-ci, qui se cachaient des nazis dans un réduit _ une soupente en un grenier.

De tous les élèves de Maria Curcio, Jean-François Dichamp est sans aucun doute celui qui en fut le plus proche, avec Rafael Orozco (1946-1996). Il raconte qu’elle lui avait dit « avoir souffert terriblement à Amsterdam, où l’on crevait de faim bien plus qu’à Paris ». Pendant la guerre, elle attrape la tuberculose qui met un terme à sa carrière _ d’interprète de concert virtuose. Elle sera donc professeur.

« LA MUSIQUE PARLAIT »

Lui-même enfant prodige (il jouait le rôle de Mozart enfant dans le film de Marcel Bluwal au côté de Michel Bouquet), Dichamp a vécu chez Maria Curcio à Londres pendant deux années. Il a pu voir et entendre les leçons qu’elle donnait aux nombreux étudiants qui passaient chez elle. Chaque samedi, elle recevait amis musiciens, élèves, anciens élèves dans son appartement londonien pour des soirées musicalo-amicales où il arrivait qu’elle se mette au piano. « C’était incroyable, le son était grand, jamais forcé, la musique parlait. Nous étions tous fascinés quand elle jouait les « Scènes d’enfants« , l’« Arabesque«  de Schumann, ou un nocturne de Chopin.« 

Pas loin de là, dans les années 1970, vivaient dans une grande maison les pianistes Martha Argerich, Nelson Freire, Rafael Orozco, la violoncelliste Jacqueline Dupré, les chefs d’orchestre Daniel Barenboïm, Youri Temirkanov, la violoniste Iona Brown. Ils formaient un phalanstère informel autour de cette musicienne aux conseils avisés, sans en être tous les élèves. Maria Curcio était très proche du compositeur Benjamin Britten _ et de son ami Peter Pears _ comme elle l’était du chef d’orchestre Carlo Maria Giulini et de la pianiste hongroise Annie Fischer _ elles passaient des nuits au téléphone ! _ mais aussi de Szymon Goldberg, Otto Klemperer, Josef Krips, Pierre Monteux et Elisabeth Schwarzkopf ; ou encore Charles Dutoit…

Pour Jean-François Dichamp, Maria Curcio apprenait à « avoir une relation entre le son et la main pour traduire une idée avec la palette sonore la plus large possible ». Elle apprenait « la continuité du discours. Une phrase respire _ c’est capital ! _ si on lui donne le souffle, sa respiration. Inspirer, expirer. La phrase doit avoir une continuité, une fin et un début » _ à comparer au chant : chez Mozart, chez Chopin…

Ses cours duraient le temps qu’il fallait _ idéalement. Ils n’étaient pas gratuits, mais quand l’élève n’avait pas les moyens de payer et que Maria Curcio pensait qu’elle pouvait lui apporter quelque chose, il n’était plus question d’argent entre eux _ voilà la générosité.

De l’Irlandais de Paris Barry Douglas au Roumain Radu Lupu, la liste des _ grands _ pianistes passés chez Maria Curcio est longue. Aux noms déjà cités, il faudrait ajouter ceux de Pierre Laurent Aimard, de Jean-François Heisser, de Marie-Josèphe Jude, d’Éric Lesage, d’Huseyin Sermet et de tant d’autres.

Alain Lompech

Un autre de ses élèves, le pianiste Niel Immelman, dit que pour Maria Curcio, « il n’y a pas de différence entre la musique et la technique«  : un « beau son » en tant que tel est sans intérêt pour elle ; ce qu’elle cherche, c’est « un son faisant accéder à l’essence même de l’œuvre« , en « vérité« … Aussi recommandait-elle chaudement d’étudier aussi la musique à (un peu de) distance de l’instrument : « nous devons écouter ce que nous regardons ; et regarder ce que nous écoutons«  ; et elle était extrêmement précise (et pratique, ou pragmatique) dans l’enseignement des aspects physiques du jeu même de piano. Et sa volonté très ferme savait s’adapter à la singularité de chacun des élèves _ n’est-ce pas la clé du succès de tout enseigner ? _ ; de même que sa générosité énorme _ ce qu’elle donnait sans compter d’elle-même _ témoignait de la profondeur de son désir d’apporter vraiment aux autres…

Le répertoire austro-allemand était central dans son enseignement, mais, grâce à son travail avec Alfredo Casella _ et avec Nadia Boulanger ! _ elle se trouvait « également » chez elle dans la musique française. Tout comme dans l’idiosyncrasie radicale de Leoš Janáček…

Et ses curiosités débordaient largement la musique _ cela me rappelle la personnalité de Gustav Leonhardt, lui aussi un « maître » de musique particulièrement attentif à la singularité de chacun de ses élèves (cf Jacques Drillon : « Sur Leonhardt » ; ainsi que mon article du 15 mars 2009 : « Du génie de l’interprétation musicale : l’élégance exemplaire de “maître” Gustav Leonhardt, par le brillant talent d’écriture (et perception) de Jacques Drillon« )…

Maria Curcio disait aussi, à propos de ses relations, parfois un peu complexes, avec certains « grands artistes« , et de son propre tempérament, en digne discipline du grand (et merveilleux : d’humanité) Artur Schnabel : « Vous ne pouvez pas être l’ami de tous les grands artistes, parce que tous les grands artistes ne sont pas de grands humains« 

Une belle « leçon de musique » ;

et de « grandeur » : simples…

Titus Curiosus, ce 20 avril 2009

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur