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Un tout à fait délectable Woody Allen « français », « Coup de chance » : à ne donc pas laisser passer…

25mar

Sur une thématique voisine du délicieux Woody Allen « britannique » « Matchpoint« ,

voici un absolument délectable Woody Allen « français » : « Coup de chance« ,

qui m’avait échappé à sa sortie sur les écrans,

mais que sa parution présente en DVD m’a permis de déguster-savourer tranquillement chez moi…

Comme bien trop souvent en matière de cinéma _ art assez populaire _,

tant pas mal de critiques professionnels que pas mal de spectateurs en salles,

beaucoup de spectateurs font la fine bouche, et crachent leur déception dans les commentaires qu’ils publient…

Pas moi !

Tout ici est parfaitement délectable,

à commencer par le jeu très fin des _ excellents ! _ acteurs français,

les réparties fusantes des dialogues,

l’allégresse mordante du montage, etc.

Très hautement recommandable, par conséquent !


Ce lundi 25 mars 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Apprécier le DVD du « Platée » de Jean-Philippe Rameau par Marc Minkovski et dans la mise en scène de Laurent Pelly dans la distribution superbement renouvelée de 2022…

23mar

« Platée » est un chef d’œuvre tout à fait singulier _ comique ! _ dans l’œuvre de Jean-Philippe Rameau.

J’avais assisté au Grand-Théâtre de Bordeaux à un déjà désopilant et très réussi « Platée«  sous la direction de Marc Minkovski ;

et, de plus, je porte l’œuvre entier de Rameau au pinacle…


Cette fois,

c’est le très laudatif article « Une nouvelle distribution vocale pour une irrésistible Platée de Rameau au Palais Garnier » de Jean Lacroix dans le magazine Crescendo d’avant-hier 21 mars,

qui m’a fait me procurer cet extrêmement réjouissant, et à tous égards, DVD Bel Air classiques BAC 224, qui vient de paraître :

pour mon entière satisfaction !..

Une nouvelle distribution vocale pour une irrésistible Platée de Rameau au Palais Garnier

LE 21 MARS 2024 par Jean Lacroix

Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Platée, comédie lyrique (ballet bouffon) en un prologue et trois actes.

Lawrence Brownlee (Platée), Mathias Vidal (Thespis), Julie Fuchs (Thalie, La Folie), Jean Teitgen (Jupiter), Reinoud Van Mechelen (Mercure), Marc Mauillon (Momus), Nahuel Di Pierro (Un Satyre, Cithéron), Tamara Bounazou (L’Amour, Clarine), Adriana Bignani Lesca (Junon) ; Chœurs de l’Opéra national de Paris ; Les Musiciens du Louvre, direction Marc Minkowski.

2022.

Notice et synopsis en français et en anglais. Sous-titres en français, en anglais, en allemand et en espagnol.

153’ 00’’.

Un DVD BelAir BAC224. Aussi disponible en Blu Ray.

Voici un spectacle jubilatoire _ parfaitement ! _ qui méritait hautement d’être proposé sur un support visuel, même si une version de la mise en scène de Laurent Pelly à l’Opéra Garnier en 2002 (trois ans après la création qui avait fait date dans le lieu), déjà dirigée par Marc Minkowski, était disponible chez Arthaus. Il y a une vingtaine d’années, la distribution vocale, qui était de qualité, réunissait notamment Paul Agnew dans le rôle-titre, Mireille Delunsch, Vincent Le Texier et Laurent Naouri. Mais la reprise, filmée en juin 2022, la surpasse par son plateau vocal éblouissant _ en effet _ et par la direction des plus rodées de Minkowski, qui avait gravé sur disque, dès 1988, cette comédie lyrique pour Erato _ et je possède cet album CD.

C’est le 31 mars 1745, à l’occasion du mariage _ la circonstance justifiant le choix du thème de cette comédie lyrique _ du fils de Louis XV, le dauphin Louis Ferdinand, avec l’infante espagnole Marie-Thérèse (qui décèdera dès l’année suivante, à peine âgée de vingt ans, après avoir enfanté), que la création de Platée a lieu au Grand Manège du Château de Versailles. Au cours de ces festivités, Louis XV va prendre pour maîtresse la future Madame de Pompadour. Mais ceci est une autre histoire. Le très amusant livret est signé par Adrien-Joseph Le Valois d’Orville (1715-1780), d’après un ouvrage du poète, dramaturge et peintre Jacques Autreau (1657-1745), auquel Rameau avait racheté les droits. L’œuvre ne connaîtra que cette seule séance, avant d’être reprise quatre ans plus tard au Théâtre du Palais-Royal pour quelques représentations ; elle sera jouée pour la dernière fois en 1759 avec un succès que l’on qualifiera de moyen. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour que Platée connaisse un regain d’intérêt, d’abord en Allemagne, avant son inscription au Festival d’Aix-en-Provence en 1956, sous la direction de Hans Rosbaud. La vraie reconnaissance ne remonte donc qu’à moins de quarante ans, avec l’enregistrement de Minkowski en fin de décennie 1980 _ oui. Le chef s’en est fait depuis une véritable et incontestable spécialité _ oui.

La nymphe batracienne Platée est aussi laide que bête, mais aussi crédule et quelque peu nymphomane. Sur le conseil du satyre Cithéron, Jupiter va s’en servir pour attiser la colère de Junon, jalouse jusqu’à l’excès, à laquelle il veut donner une leçon. Après des péripéties burlesques, un faux mariage entre Platée et Jupiter est mis en scène. Junon l’interrompt avec violence, avant de se rendre compte de l’identité grotesque de l’épouse potentielle et d’éclater de rire, alors que, humiliée et raillée de tous, Platée rejoint son marécage. Sur cette trame des plus réjouissantes, qui n’est pas exempte d’un côté cruel et émouvant, car on se prend parfois à plaindre la nymphe manipulée, Laurent Pelly a bâti une mise en scène d’une vitalité et d’un dynamisme absolus _ voilà ! _, malgré la curieuse idée, au prologue et à l’Acte I, de reconstituer, pour le décor, un grand amphithéâtre avec gradins qui ne caresse pas l’œil. Ce décor va se démembrer et se morceler pour les deux derniers actes, laissant ainsi un vaste espace disponible, où les danses et les voix vont se mouvoir de façon moins étriquée que dans la première configuration. Le fond du décor est assez sombre, mais on a vite compris qu’il est en relation avec l’endroit peu reluisant et peu attrayant _ la mare _ d’où vient la « digne » représentante de l’univers batracien.

Le spectateur est gâté sur le plan vocal : il a droit à un plateau éblouissant _ oui _, auquel s’ajoute une direction d’acteurs parfaite _ tout à fait. Le ténor américain Lawrence Bronwlee (°1972), réputé dans le domaine du bel canto, endosse le rôle de la vaniteuse Platée avec une aisance confondante _ c’est très juste. On aurait pu craindre que la langue française, où l’importance des mots est primordiale, ne lui pose quelques problèmes. C’est tout à fait le contraire : la diction est claire, la prononciation impeccable, la prosodie respectée _ oui, oui, oui. Les évocations batraciennes avec émission de « oi » ne seront pas _ bien sûr ! _ oubliées pour autant. Une énorme réussite _ voilà ! _, augmentée par une capacité comique qu’une sorte de robe aux couleurs délavées que personne ne voudrait porter, vient accentuer. Dans l’impeccable distribution multiple, on découvre le Jupiter de circonstance de Jean Teitgen, le vaillant Thespis de Mathias Vidal (qui a endossé le rôle de Platée à Zurich en décembre dernier, sous la direction d’Emmanuelle Haïm), le Cithéron malicieux de Nahuel Di Pierro, originaire de Buenos Aires _ et quel français il a ! _, le Momus railleur de Marc Mauillon, le Mercure au timbre solaire de Reinoud Van Mechelen, la Junon en furie, puis en joie, d’Adriana Bignani Lesca, originaire du Gabon, et l’Amour délicat de Tamara Bounazou. On baigne dans le bonheur vocal à chaque intervention.

Il y a aussi la prestation virtuose, avec vocalises subtilement aériennes, de Julie Fuchs _ oui _ dans le personnage allégorique de La Folie (Scène 5 de l’Acte II). SI le choix des costumes, signés Laurent Pelly, est globalement inscrit dans la modernité, en dehors de Platée, fagotée, Julie Fuchs, familière du rôle depuis 2015, est revêtue d’une robe longue extravagante, qui symbolise les pages d’une partition, dont elle va par moments détacher et jeter l’un ou l’autre morceau. Cette robe est une trouvaille esthétique de premier ordre. La cantatrice, au cours de sa prestation, interfère de façon primesautière avec le chef d’orchestre et les musiciens, qui jouent le jeu. On savoure ce moment avec délices. Mais ce n’est pas tout : un personnage revêtu en grenouille adulte va venir s’immiscer dans la suite de l’action. Après avoir interpellé Minkowski, du haut d’une loge, la créature vient titiller les instrumentistes, faire la nique à un public ravi et se mêler aux péripéties qui vont s’enchaîner. L’imagination est au pouvoir, et cet élan participatif, aussi bien de Julie Fuchs que de la grenouille, apporte un surplus de complicité pour le déroulement d’une action qui porte bien son nom de bouffonnerie _ certes. On est gâté aussi _ mais oui ! _ par la qualité _ superbe ! _ des multiples séquences de danse, enlevées et jouissives _ voilà _, par un orchestre millimétré, conduit de main de maître et par le geste de Minkowski, qui s’est vraiment approprié _ parfaitement ! _ l’œuvre jubilatoire de Rameau.

Il y a dans ce spectacle une évidence _ oui _ scénique, dramatique, vocale et chorégraphique que le public, conquis, accueille avec des manifestations de joie intense. Nous nous joignons à eux pour applaudir vivement _ oui ! _ ce spectacle bien filmé, qui fait désormais figure de référence dans la vidéographie de Platée.

Note globale : 10

Jean Lacroix

 

Un délectable régal : jubilatoire !!!

Ce samedi 23 mars 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

Situer les lieux de tournage (dans Rome et aux alentours) du film « Tre Piani » de Nanni Moretti, de mars à mai 2019 ; sorti l’été 2021…

12nov

Amoureux éperdu de Rome (et sa géographie : à ardemment arpenter…),

et recherchant les lieux où a été tourné le magnifique « Tre Piani » de Nanni Moretti, de mars à mai 2019 _ achevé, le film a pu être présenté (et brillament accueilli par le public à sa séance de présentation) au Festival de Cannes, le 11 juillet 2021 ; et est sorti en salles peu après, le 3 septembre 2021 _,

j’ai découvert ce très judicieux site-ci, agrémenté de photos des divers lieux de tournage,

qui a pu satisfaire ma curiosité géographique, ainsi que d’éventuels désirs de futur arpentage… :

Davinotti Location

Mais les lieux (de tournage) sont un matériau d’art _ lire ici l’indispensable « Les Matériaux de l’art » de l’ami Bernard Sève (paru aux Éditions du Seuil, le 6 octobre dernier ; et lire aussi, bien sûr, le roman « Trois étages » d’Eshkol Nevo (dont l’action se situe, elle, dans la banlieue de Tel-Aviv), qui a servi de matériau de départ à ce désir filmique-ci de Nanni Moretti… _ d’assez peu de choses, confrontés à l’intensité des émotions recueillies sur les visages des personnages ainsi subtilement incarnés par les acteurs _ Margherita Buy, Riccardo Scarmucci, Alba Rohrwacher, Adriano Giannini, Elena Lietti, Alessandro Sperdutti, Denise Tantucci, Nanni Moretti lui-même, etc. _ tels que saisis, au tournage, par la direction du merveilleux Nanni Moretti…

Le film comporte trois saisons (d’hiver, printemps et été) séparées de cinq années chacune, marquant notamment les œuvres diverses du temps sur l’évolution (et parfois disparition-décès) des divers personnages ainsi suivis, et leurs relations affectives : assez difficiles…  

Le DVD de ce bouleversant « Tre Piani » de Nanni Moretti, paru en 2022, comporte aussi un très intéressant complément de 45′, « Les coulisses de Tre Piani« …

Ah! Le principal site de tournage, là où se situe physiquement, à Rome, cet immeuble de trois étages qui rassemble les quatre familles (celle de Lucio et Sara et leur fille Francesca, et celle de leurs voisins du rez-de-chaussée les vieux Renato et Giovanna ; celle de Monica et sa petite Beatrice, au premier étage ; et celle de Dora Simoncini et Vittorio Bardi, ainsi que leur fils Andrea, au second étage) des protagonistes de cette histoire se déroulant _ un hiver, puis un printemps, et enfin un été _, sur quinze ans,

se trouve dans le quartier de Prati, et tout proche du Tibre _ sur sa rive droite _, au 5 de la Via Giuseppe Montanelli (cette avenue large « tra viale Mazzini e il Lungotevere delle Armi« ), au carrefour du Lungotevere…   

Et les autre lieux du tournage romain,

par exemple celui choisi pour la séquence du Parc où se sont rendus la petite Francesca, la fille de Lucio et Sara, et son voisin le vieux Renato atteint de la maladie d’Alzheimer ; et celui de la séquence de l’école primaire de la petite Francesca, quand l’enfant a 7 ans ; et celui de la séquence du théâtre où se déroule le ballet dans lequel danse la petite Francesca alors âgée de 12 ans,

ne sont pas physiquement situés dans la proximité _ géographiquement vraisemblable… _ de l’immeuble de « Tre Piani » de ce quartier de Prati,

mais ont été choisis pour des raisons de photogénie et disponibilité cinématographiques :

_ le Parc filmé est ainsi le Parco della Vittoria, situé sur le versant occidental du Monte Mario, bien trop septentrional par rapport à Prati pour que le vieux Renato et la petite Francesca aient pu dans leur petite promenade à pied le rejoindre… ;

_ l’école filmée est la Scuola Primaria Principe di Piemonte, Via Ostense, jouxtant la basilique Saint-Paul-hors-les-murs, bien plus au sud de Rome par rapport au quartier de Prati pour pouvoir être l’école que fréquentait quotidiennement l’enfant ;

_ le théâtre filmé est le Teatro Anfitrione, Via di San Saba, 24, situé au sud de l’Aventin, et donc lui aussi bien trop loin de Prati… ;

_ etc.

L’important se trouve sur les expressions tellement puissantes des visages et les inflexions des voix et des silences, d’abord, des protagonistes, ainsi que leurs gestes, et parfois même vêtements :

ainsi la jolie robe à fleurs rouge et verte _ « Un peu trop chère« , n’aurait pas manqué de dire Vittorio, son désormais défunt mari… _ qu’ose s’acheter Dora _ sublime Margherita Buy… _, devenue veuve du sévère _ et rigide _ Vittorio _ interprété, à contre-emploi, cette fois, par Nanni Moretti lui-même : mais les temps ont plutôt mal tourné, en Italie comme ailleurs aussi en Europe… ; et nous avons besoin d’un minimum d’espoir… _ ;

AlloCiné
Photo du film Tre Piani - Photo 2 sur 11 - AlloCiné

et qui est la clé du début de sourire enfin esquissé, c’est la toute dernière _ et on ne peut plus discrète… _ image _ d’une in extremis amorce de réconciliation… _ du film, sur le visage de son fils retrouvé, Andrea, désormais lui aussi père d’un fils…

Nous sommes au cinéma.

Ce dimanche 12 novembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Admirer le portrait tout en finesse, lumineux et bouleversant, d’une humanité dramatiquement troublée par quelques accidents de la vie, par Nanni Moretti dans son film « Tre Piani », de 2021…

11nov

C’est par le DVD que ce samedi 11 novembre j’ai admiré autant que jamais dans l’œuvre de Nanni Moretti le portrait en coupe sur trois étages (« Tre Piani« ) d’un immeuble romain du quartier de Prati, Via Giuseppe Montanelli, de l’humanité fine et lumineuse, bouleversante sans pathos, en sa complexité, de Nanni Moretti en ce « Tre Piani » de 2 heures _ dont voici la bande-annonce _, sorti en salles le 10 novembre 2021, il y a tout juste deux ans et un jour.

Et je suis une fois encore choqué de la virulence déchaînée des critiques qui ont accompagné la sortie de ce film, de la part de personnes qui discutent moins du film qu’ils viennent de regarder, que du film idéal qu’ils s’attendaient à voir, sans capacité de se décentrer suffisamment d’eux-mêmes _ et c’est horripilant…

Une œuvre magnifique…

Avec de merveilleux acteurs : Margherita Buy, Riccardo Scarmaccio, Alba Rohrwacher, au premier chef…

Ce samedi 11 novembre 2923, Titus Curiosus – Francis Lippa

La tragédie du « bad trip » de Tristan : une lecture acérée et moderne du chef d’oeuvre de Richard Wagner, « Tristan und Isolde », par Dmitri Tcherniakov et Daniel Barenboim, au Staatsoper Unter den Linden de Berlin, en avril 2018, un DVD sombre et lumineux de 254’…

12juin

Le DVD _ Bel Air Classiques BAC 165 _ du « Tristan und Isolde » de Richard Wagner réalisé au mois d’avril 2018 au Staatsoper Unter den Linden de Berlin, sous la double direction de Daniel Barenboim et Dmitri Tcherniakov,

propose une passionnante lecture acérée et moderne, extrêmement lisible _ dépoussiérée et dépourvue de maniérismes _, du magistral chef d’œuvre de Wagner,

avec ces excellents chanteurs et excellents acteurs dramatiques que sont, dans les rôles-titres de Tristan et Isolde, Andrea Schager et Anja Kampe…

Cf, déjà, cet excellent article intitulé « On va jouer à s’aimer » de Laurent Bury, sur ForumOpera.com en date du dimanche 18 février 2018,

non pas à propos de ce superbe DVD,

mais à propos de la représentation de l’opéra lui-même sur la scène (et la fosse d’orchestre) à Berlin, sous la double direction de Dmitri Tcherniakov et Daniel Barenboim. 

On va jouer à s’aimer

5 / 9
<…

Tristan und Isolde – Berlin (Staatsoper)

Par Laurent Bury | dim 18 Février 2018 |

De Dmitri Tcherniakov, on ne pouvait évidemment pas s’attendre à ce qu’il confère à Tristan et Isolde une quelconque dimension mythique ou mystique. Avec le metteur en scène russe, les amours malheureuses ne pouvaient que se dérouler dans un cadre réaliste : salon d’un luxueux navire moderne, dont on peut suivre la trajectoire en direct sur un écran ; salon d’une tout aussi luxueuse demeure, donnant à l’arrière-plan sur une salle à manger et dont la décoration évoque une forêt stylisée ; pièce à vivre défraîchie pour Karéol, avec alcove et buffet faux-Henri II. Mais dans ces décors somme toute conformes à l’esthétique habituelle de ses spectacles, Tcherniakov déconcerte par le traitement réservé à la relation entre les protagonistes. Une fois bu le philtre d’amour, Tristan et Isolde ne tombent pas dans les bras l’un de l’autre, mais à terre, tant ils sont exaltés par une joie irrépressible qui les fait éclater de rire (rire silencieux qui ne les empêche pas de chanter, heureusement). Au deuxième acte, Isolde attend, impatiente, et c’est elle-même qui éteint les lumières du salon pour donner le signal : mais quand Tristan arrive, flûtes de champagne et assiette de petits fours dans les mains, les deux amants s’amusent au jeu de la folle passion, comme si leur grand amour n’était que vaste blague : ils se livrent à un concours de superlatifs, de termes d’affection excessifs, qui les font rire, là encore. Jouent-ils à être des amants légendaires, comme cet été, à Aix-en-Provence, on jouait à être Carmen et Don José ? Autre piste qui apparaît ensuite : Tristan semble hypnotiser Isolde, qui répète après lui les phrases du duo qu’il lui suggère. Et pendant tout cet acte, très statique, ils restent assis, changeant seulement de fauteuil, et ils se touchent à peine ; à la fin, Melot se jette simplement sur Tristan mais ne semble pas lui faire grand-mal. Un peu plus d’action au dernier acte : même si sa blessure paraît mentale ou morale plus que physique, Tristan est en proie aux transports habituels, il a une vision du quotidien de ses parents avant sa naissance (la lumière change et deux figurants en tenue années 1930 apparaissent), mais le pâtre est ici dédoublé entre un chanteur et un instrumentiste qui vient jouer du cor anglais dans l’alcove, apparemment payé par Kurwenal pour berner Tristan avec cette histoire de bateau que l’on guette. A la toute fin, Isolde s’isole avec le cadavre dans la fameuse alcove où s’étaient précédemment isolés le père et la mère de Tristan. Si on ajoute la présence, d’un bout à l’autre de la représentation, d’un tulle noirâtre entre le plateau et la salle, pour permettre de rares instants de vidéo assez inutiles, on comprendra qu’une distance persiste, difficile à surmonter, entre ce spectacle et le spectateur.


© Monika Rittershaus

Heureusement, en parallèle à cette visualisation qui laisse perplexe, le versant musical nous porte sur les sommets. Par le soin prêté au détail autant que par le souffle portant l’œuvre d’un bout à l’autre, Daniel Barenboim montre que Tristan n’a plus guère de secrets pour lui, et tous les membres la Staatskapelle Berlin, montés sur scène pour les saluts, obtiennent un triomphe mérité. On reprochera tout au plus à l’orchestre un goût parfois immodéré pour la production de décibels, qui couvre allègrement les chanteurs à plusieurs reprises.

Pourtant, c’est surtout sur le plan vocal que ce Tristan berlinois atteint un niveau devenu hélas bien rare, y compris là où Wagner devrait être le mieux servi. Le Staatsoper a réussi à réunir pour les rôles-titres deux des meilleurs titulaires actuels, et ils ne sont pas légion. Il n’est pas certain qu’il existe aujourd’hui un Tristan plus complet qu’Andreas Schager, il est en tout cas bien agréable d’entendre enfin dans ce rôle un vrai ténor, un chanteur au timbre claironnant de héros, et qui ne donne pas la sensation de devoir s’économiser pendant deux actes en prévision du troisième. Ce que la production refuse de lui accorder en prestance physique est plus que compensé par l’éclat de la voix et par la qualité du jeu de l’acteur _ les deux, en effet _, qui se livre aux bonds les plus insensés lors de sa folie du dernier acte. Quant à Anja Kampe, il semble bien que madame Stemme doive désormais partager le titre d’Isolde du siècle avec sa consœur native de Thuringe. Ni mezzo péniblement changée en soprano dramatique, ni virago terrifiante, ni gentille jeune personne gênée par l’ampleur du personnage, Anja Kampe assume avec bonheur toutes les facettes du rôle, capable de pianos admirablement maîtrisés autant que de véhémence dans les imprécations. Et chez elle comme chez son partenaire, on ne perd pas un mot du texte _ voilà, et c’est très important ! _, parfaitement articulé _ et les sous-titrages de la vidéo du DVD ajoutant à cette lisibilité… Malgré une légère impression de fatigue à la fin du deuxième acte, son Isolde revient ensuite en force, avec une superbe Liebestod prise à un tempo très retenu.

Autour d’eux, l’excellence caractérise aussi la Brangäne d’Ekaterina Gubanova, au timbre riche et au personnage moins protecteur que ce n’est souvent le cas, ou le roi Marke de Stephen Milling, même si la mise en scène prive cette somptueuse voix de basse d’atteindre le degré d’émotion dont elle serait sans doute capable. Kurwenal plus à l’aise en treillis et rangers qu’en costume-cravate, Boaz Daniel se situe un cran en dessous en termes de qualité vocale. De la séduction sonore, le matelot de Linard Vrielink n’en manque pas, en revanche. On rêve dès lors à ce qu’aurait donné un tel cast dans une production plus à même d’émouvoir.

Un avis très intéressant.

Puis maintenant,

et cette fois à propos du DVD _ du label Bel Air Classiques _ de ce passionnant spectacle de 254′,

cet article « Dmitri Tcherniakov : la Mort d’amour de Tristan » de Jean-Luc Clairet, sur le site de ResMusica :

Dmitri Tcherniakov : la Mort d’amour de Tristan

Dmitri Tcherniakov remonte à la source de l’amour impossible de Tristan et Isolde. Un formidable travail d’équipe _ voilà ! _ que ce spectacle venu du Staastoper unter den Linden.

L’Acte I séduit sans temps mort dans le salon Grand Voyageur du paquebot de luxe où Marke a convié les premiers de cordée de son entreprise. La météo de type Mer calme et heureux voyage s’affiche sur un écran de contrôle… Tout commence sous les meilleurs auspices pour les héros wagnériens magnifiés _ oui _ par les costumes griffés par Elena Zaytseva. Puissamment investis dans une direction d’acteurs millimétrée, les interprètes fascinent d’emblée _ oui. L’absorption du philtre, inédite, est un grand moment de jubilation : les héros sous substance, délestés de tout tabou, rient à gorges déployées, prêts au grand amour.

Le II, dans le salon de Marke tapissé de papier peint sylvestre, n’est pas moins captivant : Tristan joue comme un enfant surexcité avec Isolde qu’il finit par mettre sous hypnose ; Mark, environné de figurants tchernakoviens bien glaçants, adresse les premiers mots de son monologue à Melot et non à Tristan, lequel n’est même pas mortellement blessé plus loin par le traître. Alors de quoi Tristan va-t’il mourir ?

Le III répond : Tcherniakov a lu attentivement _ voilà ! et lire ainsi très attentivement est absolument nécessaire ! _ le monologue le plus long du héros, celui de l’alte ernste Weise (la vieille chanson grave), celui où Tristan raconte comment le Désir a donné la Mort. Tcherniakov plonge Tristan dans un autre papier peint, celui de Karéol, afin de faire remonter à la surface son enfance endeuillée : le père engendra et mourut ; la mère enfanta et mourut. Tcherniakov a bien lu : Tristan est de fait inapte à l’amour _ telle est donc la clé de Tristan. Même sans Marke, même sans philtre, ça n’aurait pas marché. On parle de la Liebestod d’Isolde. Tcherniakov met en scène la Liebestod de Tristan _ voilà i

Anja Kampe et Andreas Schager sont étonnants de naturel _ et d’évidence ultra-éloquente _ dans ce Tristan et Isoldecertainement le plus humain vu à ce jour. Paysages à eux seuls, ils sont constamment émouvants _ oui. Outre qu’ils possèdent les écrasants moyens de leur rôle respectif (lui Heldentenor incontesté ; elle, de type incendiaire jusqu’au-boutiste), loin des époux Schnorr von Carosfeld, ils balaient tous les stéréotypes _ oui. Les sauts de cabri du premier font oublier que la performance est en principe surhumaine. L’émotion subtile de la seconde, dans le droit fil de celle d’Iréne Theorin à Bayreuth avec Marthaler, touche au cœur. D’une santé vocale soyeuse, d’une beauté fascinante, la Brangäne d’Ekaterina Gubanova capte tous les regards : on passe une partie de son temps à se demander quelle partie cette fausse suivante joue dans l’histoire. Jusqu’à ce que Tcherniakov réponde d’un plan sur le bras qu’au finale, elle a passé sans crier gare sous celui de Marke, incarné avec l’effroi glacial qui sied aux patrons d’entreprises, par un Stephen Milling proche de l’idéal. Boaz Daniel, Kurwenal prêt à tout (engager sur le plateau, à peu près tout l’acte durant, un hautboïste de l’Orchestre de la Staatskapelle Berlin pour accompagner de son cor anglais le spleen de son ami handicapé de l’amour), complète cette magnifique distribution où l’on remarque aussi le Melot gorgé de jalousie de Stephan Rügamer et déjà, avant Aix 2021, le Jeune marin et le Pâtre de Linard Vrielink.

Le DVD permet d’être au plus proche _ mais oui, et c’est bien sûr capital !!! _ de la dramaturgie questionneuse de Tcherniakov, menée au sommet _ oui _ par Daniel Barenboim. Plus de quarante années de travail (les Tristan de Ponnelle, de Müller, de Chéreau !) ont abouti à cette direction patiente (plus de quatre heures), enveloppante et incandescente, d’une profondeur inouïe _ c’est parfaitement exprimé ici. La Staatskapelle Berlin, magnifiquement captée, soulève la noire houle du chef-d’œuvre dévastateur _ oui… Le voyage en sac à dos du Parsifal de Tcherniakov ne nous avait pas donné envie de reprendre la route avec lui. Il en ira différemment avec le voyage en bateau qu’il a imaginé pour Tristan et Isolde.

Richard Wagner (1813-1883) : Tristan und Isolde, action en trois actes sur un livret du compositeur.

Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov.

Costumes : Elena Zaytseva.

Lumières : Gleb Filshtinsky.

Avec : Andreas Schager, ténor (Tristan) ; Stephen Milling, basse (le roi Marke) ; Anja Kampe, soprano (Isolde) ; Boaz Daniel, baryton (Kurwenal) ; Stephan Rügamer, ténor (Melot) ; Ekaterina Gubanova, mezzo-soprano (Brangäne) ; Linard Vrielink, ténor (un Berger/un Jeune marin) ; Adam Kutny, baryton (un Timonier) ;

Chœur du Staatsoper (chef de chœur : Raymond Hughes)

et Staatskapelle Berlin, direction : Daniel Barenboim.

Réalisation : Andy Sommer.

2 DVD Bel Air Classiques.

Enregistrés en avril 2018.

Notice de 24 pages en anglais, français et allemand.

Durée totale : 254:00

 

Un DVD indispensable !!!

Ce dimanche 12 juin 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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