Posts Tagged ‘édition discographique

La superbe et très féconde démarche exploratoire, avec le chercheur Olivier Fourès, de l’excellent Ensemble Le Consort : le merveilleux (et très riche de sublimes découvertes) CD « Vivaldi Chelleri Ristori – Teatro Sant’Angelo », avec le charme profond, tendre et intense de la mezzo-soprano Adèle Charvet…

06mai

Comme en un luxueux merveilleux _ et assez inattendu _ complément à mes réflexions sur la démarche exploratoire si féconde du répertoire de ténor de Michael Spyres en son récent très impressionnant CD Erato « Contra-Tenor«  _ cf mon article détaillé d’hier vendredi 5 mai « «  _,

voici, ce samedi 6 mai, la révélation d’un tout aussi merveilleux _ inattendu et magnifiquement bienvenu _ CD, le CD « Teatro Sant’Angelo« , Alpha 938, de l’Ensemble Le Consort _ sous la direction très en verve du superbe violon du grand Théotime Langlois de Swarte ! _ et la mezzo-soprano Adèle Charvet,

consacré au répertoire passablement _ et bien à tort !!! _ méconnu d’opéra baroque du Teatro Sant’Angelo, à Venise,

à l’époque _ de 1713 à 1739 _ qui a vu le triomphe opératique vénitien d’Antonio Vivaldi (Venise, 4 mars 1678 – Vienne, 28 juillet 1741),

et qui vient nous révéler ici quelques sublimes _ mais oui, véritablement !!! _ airs, non seulement du grand Vivaldi lui-même, mais aussi de quelques uns de ses confrères compositeurs d’opéras contemporains, méconnus, eux _ et, peut-être scandaleusement, à tort ! _,

tels, entre quelques autres encore, Fortunato Chelleri _ en fait  Keller, du nom de son père, allemand ; sa mère est une Bassani, de Padoue ; mais il est né à Parme… _ (Parme, 14 mai 1687 – Cassel, 14 décembre 1757), et Giovanni Alberto Ristorni (Bologne, 1692 – Dresde, 7 février 1753),

lesquels, il est vrai, ont vécu et exercé surtout en Allemagne, où tous les deux, au terme de leur carrière, sont décédés _ mais le vénitien Vivaldi est, lui aussi, décédé loin de Venise : à Vienne, le 28 juillet 1741…

Et au passage,

saluons bien volontiers le très fécond travail d’abord de recherche, et puis de découvertes, à Venise _ dans le trésor des richissimes archives des bibliothèques de Venise ; ainsi, cf sur ce blog « En cherchant bien« , mes précédents articles «  » et «  » des 23 février et 12 mai 2022  _, puis de préparation musicale pour ce CD « Sant-Angelo » _ avec Sophie de Bardonnèche, Justin Taylor et Adèle Charvet, comme indiqué en page 3 du livret _, d’Olivier Fourès,

qui signe aussi le passionnant texte du livret, intitulé « Coulisses vénitiennes« …

Et voici _ avec des ajouts (en vert) de ma part, dont des liens d’accès à pas mal de podcasts d’airs à écouter ici ! _ ce que, de ce bien beau CD, déclare Pierre Degott, sur le site de ResMusica, en un article intitulé « Une soirée au Teatro Sant’Angelo avec Le Consort et Adèle Charvet« , en date du 3 mai dernier :

Une soirée au Teatro Sant’Angelo avec Le Consort et Adèle Charvet

 …

Dans un programme fait de quelques tubes vivaldiens et de nombreuses raretés – dix airs donnés en première mondiale –, Adèle Charvet et l’ensemble Le Consort nous font revivre quelques soirées d’un des plus emblématiques théâtres vénitiens. Espérons _ oui ! _ que cet album sera le hors-d’œuvre de grandes aventures à venir.

L’intérêt de ce beau CD est double. Sur le plan musicologique, il nous emmène vers la lagune afin de découvrir le répertoire _ bien trop méconnu jusqu’ici (et c’est même scandaleusement incompréhensible !)  _ d’un des plus célèbres théâtres de la Sérénissime, le Teatro Sant’Angelo. Comparé au San Giovanni Grisostomo ou au San Giovanni e Polo, théâtres officiels de la noblesse vénitienne, le Sant’Angelo était le lieu « alternatif » et « populaire » _ voilà… _, aux moyens plus restreints certes, mais à la créativité musicale toujours permanente et débridée _ cela s’entend ici, et se savoure ! Quelle inventivité ! C’était, de 1713 à 1739 _ des dates bien sûr importantes… _, le théâtre de Vivaldi, dans lequel il prete rosso fit représenter une vingtaine _ pas moins _ de ses propres opéras. C’est là que furent créés L’Olimpiade, Arsilda, regina di Ponto, La verità in cimento et L’incoronazione di Dario, tous représentés sur l’album _ et avec quels airs !!! Dont « Sovvente il sole«  extrait de l’opéra Andromeda liberata (créé à Venise en 1726), un opéra découvert à Venise par Olivier Fourès. Le programme fait la part belle également à deux musiciens aujourd’hui _ incompréhensiblement… _ oubliés, mais qui, dans l’ombre de Vivaldi, ont également assuré autrefois le pain quotidien du théâtre _ tous deux, il est vrai, ont surtout vécu et exercé en Allemagne, où ils décéderont : Ristori (né à Parme), en 1753 à Dresde ; Chelleri-Keller (né à Bologne), en 1757, à Cassel… De Giovanni Ristori, on entendra trois airs extraits de son opéra Cleonice, ainsi que quelques pièces tirées de ses opéras Temistocle, Arianna et Don Chisciotte. De , musicien surtout connu pour ses activités en Allemagne, on entendra deux extraits de son opéra Amalasunta, ainsi qu’un mouvement de sonate. Mélodies ensorcelantes _ voilà… _, soutenues par un accompagnement souvent réduit à sa plus simple expression, mais toujours sobre et efficace _ et comment ! On goûtera encore davantage les airs « Il mio crudele amor » de et « Patrona reverita » de , respectivement accompagnés d’une simple basse continue ou d’un théorbe. On rêve d’assister à l’une de ses soirées du Sant’Angelo, surtout lorsqu’on entend l’extrait _ bien trop bref (1′ 24) ! _ de Don Chisciotte _ créé à Dresde le 2 février 1727 _, ouvrage visiblement héroïco-comique reposant sur le mélange des genres, concept théâtral impensable dans la France de l’époque, mais depuis Monteverdi (1567 – 1643) et Cavalli (1602 – 1676) typique _ en effet _ de l’opéra vénitien populaire que nous redécouvrons aujourd’hui.

L’autre intérêt _ proprement musical, lui _ de l’album réside dans l’interprétation _ splendide !!! _ toute en ombres et lumières _ oui ! _ de la jeune mezzo-soprano Adèle Charvet _ née à Montpellier le 25 mai 1993 _, encore peu connue au disque des amateurs de musique baroque. Sa voix possède tout le moelleux et le velouté d’un contralto comme Kathleen Ferrier, dont elle sait recréer le mélange de calme, de douceur et d’intensité. Contrairement à son illustre prédécesseure, elle sait également s’enflammer dans les pages virtuoses qui parsèment l’album – « Siam navi » de L’Olimpiade et « Con piu diletto » de La verità in cimento, par exemple –, ne redoutant ni les vocalises les plus hardies, ni les intervalles les plus audacieux qui font tout le prix et toute l’expressivité _ aussi percutante qu’intensément prenante _ de ce répertoire. C’est néanmoins dans les pages sobres et mesurées que nous préférons nous régaler des couleurs cuivrées de ce bel instrument. Nous ne mentionnerons que le « Nell’onda chiara » de l’Arianna de Ristori, aux sonorités véritablement planantes et envoûtantes _ oui. L’ensemble , dirigé depuis son violon par , n’est est pas à sa première incursion dans la musique vénitienne. Devant tant d’affinités avec ce répertoire, nous ne pouvons que souhaiter _ oh oui ! _ que soit explorée plus avant la programmation originale et innovante des théâtres dits « secondaires » de la Sérénissime.

Teatro Sant’Angelo.

Michelangelo Gasparini (1670-1732) : « Il mio crudele amor » extrait de Rodomonte sdegnato.

Fortunato Chelleri (1690-1757) : « Astri aversi » et « La navicella » extraits de Amalasunta ; adagio de la Sonate en trio en sol majeur.

Giovanni Alberto Ristori (1692-1753) : « Con favella de’ pianti », « Quel pianto che vedi » et « Qual crudo vivere » extraits de Cleonice ; « Su robusti » extrait de Un pazzo ne fa cento, ovvero Don Chisciotte ; « Aspri rimorsi » extrait de Temistocle ; « Nell’onda chiara » extrait de Arianna.

Antonio Vivaldi (1678-1741) : « Siam navi » extrait de L’Olimpiade RV 725 ; « Sovvente il sole » extrait de Andromeda liberata RV 749.27 ; « Ah non so, se quel ch’io sento » extrait de Arsilda, regina di Ponto, RV 700 ; « Con più diletto » et « Tu m’offendi » extraits de La veritá in cimento RV 739 ; « Quella bianca e tenerina » extrait de L’incoronazione di Dario, RV 719.

Giovanni Porta (1675-1755) : « Patrona reverita » extrait de Arie nove dà batello.

Adèle Charvet, mezzo-soprano ; Ensemble Le Consort, violon et direction musicale : Théotime Langlois de Swarte.

1 CD Alpha.

Enregistré en février 2022 au Temple du Saint-Esprit, Paris….

Notice en français, anglais et allemand.

Durée : 66:10

Cf aussi l’article intitulé « Adèle Charvet Teatro Sant-Angelo » de Charles Sigel, paru le 15 avril 2023 sur le site de ForumOpera.com

15 avril 2023
La fougue et le velours

C’est à la fois l’évocation d’une maison d’opéra disparue, et, partagé entre airs de bravoure et lamenti, le portrait d’une jeune voix se confrontant à un répertoire en grande partie méconnu.


Du Teatro Sant’Angelo de Venise, il ne reste rien, sinon un arrêt du vaporetto, qui perpétue son nom, un campiello et un ramo _ une impasse _ « del teatro ». Il était au bord du Grand Canal, côté gauche en descendant, juste avant la grande courbe de Ca’Foscari. C’est là qu’à partir de 1713 et jusqu’en 1739 Vivaldi fut une manière de multitâche, à la fois impresario, directeur musical et compositeur, suivant l’écriture et l’adaptation des livrets, dirigeant les opéras des autres (tout en précisant « Jamais je ne joue avec l’orchestre, à l’exception de la soirée d’ouverture car je ne m’abaisse pas [sic] à faire le métier d’exécutant »). Il y fit représenter une vingtaine de ses propres opéras (sur une cinquantaine recensée). Il ne manquait pas d’adversaires dont le vindicatif Benedetto Marcello, dont la famille était co-propriétaire du théâtre, qui écrivit un pamphlet, Il Teatro alla moda, qui touchait plus ou moins directement le Prete Rosso.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Screenshot-2023-04-12-at-11-45-33-AJ0938.pdf-1.png.

© Tom Garcia

C’est le musicologue (et violoniste) Olivier Fourès qui a élaboré _ oui _, avec Adèle Charvet et Théotime Langlois de Swarte, le programme de ce disque, qui veut raconter pittoresquement _ avec un choix de quelques sublimes airs d’opéra qui y ont été donnés _ l’histoire de ces théâtres bourdonnants où se perpétuait un genre, celui de l’opéra à la vénitienne, né ici en 1637, à l’ouverture du premier opéra payant, le San Cassiano, mais dont le véritable père spirituel avait été Monteverdi avec Il Ritorno d’Ulisse (1640) puis Le Couronnement de Poppée (1641).

Production courante

Il s’agit donc ici d’un florilège d’airs _ voilà _ qui ont le point commun d’avoir été créés _ ou donnés _ au Sant’Angelo, petite salle ouverte en 1677, beaucoup moins dotée que les cossus San Giovanni e Polo ou San Giovanni Grisostomo, très productive, plutôt à bon marché, célèbre pour ses tempêtes en carton-pâte, ses grottes de Neptune et autres palais d’Armide ou île d’Alcina en toiles peintes. Comme le San Cassiano qui avait connu des heures glorieuses, mais se survivait à lui-même, le Sant’Angelo était un théâtre au budget modeste, attirant un public populaire. Il faisait flèche de tout bois et n’avait pas les moyens de s’offrir les dispendieux castrats, dont les cachets mettaient les impresarii sur la paille.

Une corporation de plumitifs produisait des livrets au mètre, versifiant Homère ou l’Arioste. Ici, Grazio Braccioli, Angelo Costantini, Stefano Benedetto Pallavicino, Domenico Lalli, Giovanni Palazzi, tous personnages dont les noms ne parlent plus guère qu’aux spécialistes. Le plus sollicité, copié, recyclé étant l’inépuisable Métastase (ici représenté par deux de ses livrets, L’Olimpiade pour Vivaldi et Temistocle pour Ristori).

Clichés à tous les étages

De belles histoires qu’on connaissait déjà _ oui _, des décors qui bougent, des voix si possible spectaculaires… Quelques musiciens dans la fosse, une dizaine, répétant en hâte une partition elle aussi peu chiche en clichés. Airs de bravoure ou déploration larmoyantes, tout était codé _ en effet _ et les spectateurs en redemandaient. L’opéra était un genre de consommation courante, et les salles, avec leurs loges, des lieux de sociabilité, voire de rencontre, sorbetti à l’appui _ en effet…

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Teatro_San_Cassiano_reimagined-1024x576.jpeg.

Le projet de reconstruction du Teatro San Cassiano

Dans l’écosystème de l’opéra les musiciens étaient nécessaires, à défaut d’être suffisants. Sont mis en avant ici deux honnêtes professionnels, qui, dans leurs années de jeunesse _ ils sont nés en 1687 et 1692 _ vinrent recevoir l’influence de Vivaldi.


Ainsi Fortunato Chelleri passa-t-il par Venise au cours de sa vie de musicien itinérant _ notamment de par les cours allemandes… L’opéra ne sera pas l’essentiel de sa production (il n’en composera que dix-sept, performance moyenne selon les critères de l’époque); il sera surtout maître de chapelle à Würzburg et Cassel. Un Alessandro, une Pénélope feront peu de succès au Sant’Angelo, mais son Amalasunta, Regina dei Goti (1718) y réussira mieux (le livret s’intéressait à Téodogonde Amalasunta, fille de Théodoric…)

Une Europe italophile ou italomane

Giovanni Alberto Ristori y fait aussi un bref _ oui _ passage. En 1713, Ristori arrive à Venise avec son père, qui dirigeait une troupe de comédiens à Dresde _ voilà. Vivaldi lui commande un Orlando Furioso (livret de Grazio Braccioli). L’opéra est représenté plus de 40 fois, raconte Olivier Fourès. Deux ans plus tard, il repart à Dresde (qui sera pendant trente ans sous un prince très italophile, Auguste III, le bastion de Johann Adolf Hasse, disciple à Naples de Porpora et d’Alessandro Scarlatti, et de son épouse chanteuse Faustina Bordoni, d’ailleurs vénitienne) ; puis Ristori créera une troupe à Saint-Pétersbourg, autre capitale italianisée ; il y fera venir des musiciens du Sant’Angelo, dont les Madonis, Luigi le violoniste et Antonio, le corniste, le hautboïste Dreyer ou Girolama Valsecchi (femme d’Antonio Madonis), contralto célèbre pour son expressivité, qui avait justement fait ses débuts à Venise dans l’Orlando avec la Campioli et la basse Carli, et que sa carrière avait menée de Bruxelles à Prague, de Munich à Brno.


Ainsi la musique italienne circulait-elle dans toute l’Europe _ voilà ! _, dans les bagages de troupes itinérantes _ oui _, celles des Denzio, Ristori, Bioni, Peruzzi, Galeazzi _ toutes ces précisions sont très intéressantes !

© Capucine de Chocqueuse

© Capucine de Chocqueuse

La flamme qui transcende les poncifs

Disque inattendu _ oui : le terme m’est aussi venu sous la plume… On aurait pu penser qu’Adèle Charvet profiterait du répertoire vénitien pour montrer son timbre de mezzo dans toute son opulence, qu’elle aurait déniché quelques airs spectaculaires pour mettre en valeur tout ce qu’elle a conquis dans le registre grave.
Or c’est autre chose qu’elle donne à entendre ici : un florilège d’airs (dont beaucoup inédits au disque _ oui _) souvent dans le registre central, tout en s’offrant tout le catalogue des ornements brillants, où sa voix scintille à l’envi.

Des airs qui, s’ils sont inédits ou méconnus, donnent, avouons-le, l’impression qu’on les a déjà entendus quelque part _ ce n’est pas là mon opinion _, et ne valent qu’interprétés par quelqu’un qui en transcende les poncifs. Et avec une générosité qui les dépasse. C’est le cas avec la jeune mezzo-soprano, dont on sait quelle flamme l’anime _ oui ! Et c’est bien là l’essentiel !..

Ainsi des deux extraits d’Amalasunta de Chelleri. Le premier air, « Astri aversi » coche toutes les cases du canto fiorito, coloratures escarpées, introduites par des violons, puis tout l’orchestre agitato, aria di furore, expressif par sa virtuosité. Reprise avec de nouveaux ornements, aussi nets qu’inventifs, trilles impeccables, sur des basses tempétueuses, agilité sur toute la tessiture, très longue, énergie, la démonstration est brillante _ oui !
Le second air, « La navicella », tout en lignes mélodiques qui s’entortillent, contemplatif et charmeur, semble le parangon du chant spianato et offre à Adèle Charvet prétexte à montrer la belle homogénéité de sa grande voix (et ses graves) sur un tissu moiré de cordes entrelacées.
Un de ces airs vénitiens à la Vivaldi dont on se demande s’ils n’ont pas été écrits lors d’un déplacement en gondole, tant l’écriture y semble nautique, avec ondes et vaguelettes.

© Robin Davies

© Robin Davies

L’intéressant Ristori

Chant spianato encore dans l’aria « Con favella de’ pianti », extrait de la Cleonice de Ristori, air dont on oublie la mélodie passablement répétitive sur un ostinato de cordes qui semble pasticher Vivaldi pour n’écouter que le beau phrasé, le velours du timbre de la chanteuse _ oui _, et les couleurs blêmes qu’elle suggère. Du même opéra, l’aria « Quel pianto che vedi » est d’un tout autre intérêt avec ses sauts de notes, ses grands traits et sa virtuosité dramatique, air de fierté où l’héroïne proclame ne pas vouloir de la pitié de son amant. « Qual crudo vivere » (Cleonice toujours), déploration toute simple, sur une phrase inlassablement descendante, est justement chantée avec autant de sincérité que de délicatesse _ oui _, et le parfum de nostalgie que suggère naturellement ce timbre.
Belles couleurs de voix, fantaisie, effets martelés et riche tissu orchestral à nouveau dans « Su robusti », extrait de Un pazzo ne fa cento, ovvero Don Chisciotte, du même Giovanni Alberto Ristori, air purement théâtral.

Mais c’est décidément dans le dramatique que Ristori est à l’aise.
Ainsi, extrait de Temistocle, « Aspri rimorsi », sur un texte de Metastase (qui sera repris par Mozart pour un air de basse) est un bel air sinueux, descendant vers le bas de la voix, avec des effets de notes non vibrées, de la sincérité dans l’expression de la douleur (de beaux graves, là aussi), une palette sombre, des dissonances, des frottements. Et une orchestration étonnamment riche. C’est l’une des belles plages de ce disque _ qui en comporte beaucoup ! _ et la musique est à la hauteur du texte : « Aspri rimorsi atroci, figli del fallo mio, Perché sì tardi, oh Dio, mi lacerate il cor ? – Âpres remords, atroces remords, Enfants de ma faute, Pourquoi avoir tant attendu, ô Dieu, Pour me déchirer le cœur ? »
Parfois Ristori semble pasticher Vivaldi. Ainsi « Nell’onda chiara », l’air d’Arione extrait d’Ariana avec ses pizzicati de cordes en tapis, sur lesquels la voix legato déroule ses courbes rêveuses dans une écriture centrale ne s’offrant qu’une incursion jusqu’au sibémol.

Vivaldi fait du Vivaldi

Mais Vivaldi aussi fait du Vivaldi. Voir « Sovvente il sole » (Andromeda liberata, 1726). Mais après tout, pourquoi changer une formule qui gagne ? De belles broderies du violon de Théotime Langlois de Swarte sur des accords imperturbables et, par-dessus, la voix d’Adèle Charlet : registre élevé radieux, legato, ornements en imitation du violon, musicalité partagée avec lui, complicité à faire respirer _ oui _ cette musique, et, pour Adèle, belle maitrise de la demi-voix avant un pont rêveur, puis une reprise aérienne, ondulant dans le très haut de la tessiture, merveilleusement transparent, jusqu’à un rallentando final par Le Consort, cordes et théorbe, tout en délicatesses et en écoute _ oui, oui.

© D.R.
© D.R.

C’est une musique que ses interprètes doivent aider

Dix ans plus tôt, l’aria « Ah non so, se quel ch’io sento » (Arsilda, regina di Ponto, 1716), introduit par le clavecin de Justin Taylor, sonnait plus âpre et la voix d’Adèle Charvet, qui semble frôler ses limites supérieures et s’y mettre en danger sur un tempo très lent, accentue encore le sentiment désolé, auquel semblent compatir le violon, le violoncelle et un théorbe. Pour le coup, on peut parler là de bel canto, tant ce sont les couleurs de la voix qui expriment le sentiment,
Si « Tu m’offendi » extrait de La veritá in cimento (1720) semblera reprendre une formule toute proche (plainte avec accompagnement dolent et ondulant, beau phrasé mélancolique, intégration des ornements, vocalises expressives à pleine voix, surtout jeu belcantiste sur les couleurs de la voix avec l’éternel bercement du gondolier), « Con più diletto » extrait du même opéra contrastera par sa gaieté : air fiorito, appartenant au genre codé des arie di riso, chanté par l’insolente Rosane avec les ornements prestes qu’il faut, sur un orchestre qui palpite : « Avec plus de plaisir, mon Amour / S’en va volant vers un autre objet. / Je me ris, fou, de tes pleurs / Si tu prétends m’ôter la liberté. »

Sous influence napolitaine

La pièce la plus tardive date de 1734, c’est l’aria « Siam navi » de L’Olimpiade. Olivier Fourès le considère « d’une autre époque, celle où la mode napolitaine envahit les théâtres vénitiens. C’est un langage plus uniformisé que le chaos « vénitien » qui faisait jusqu’alors feu de tout bois. Les systématiques trémolos, fusées et vocalises méridionales inspirent clairement Vivaldi, mais il s’agit probablement de la dernière flamme de l’opéra « vénitien ». Air agitato, souvent enregistré, qui fait penser à certains concertos vivaldiens fameux, comme La Tempesta di mare : périlleux sauts de notes, sollicitant le medium et le haut de la voix, avec grandes vocalises en triolets, sur un tempo foudroyant, d’une difficulté redoutable et dont Adèle Charvet se tire avec honneur. « Tutta la vita é mar » dit le texte. Vivre c’est naviguer sur une mer tempétueuse et le Consort le dit avec autant que virtuosité qu’Adèle Charvet.
« Les vents impétueux sont nos passions ». La passion du chant est en tout cas manifeste _ oui ! _ à tous les moments de ce bel enregistrement.

Un très beau, et très nécessaire, fruit du superbe travail et musical, et discographique, que ce très beau CD ;

avec des révélations musicales de toute première grandeur !!!

Et maintenant,

découvrons vite _ même si c’est risqué pour les investissements de l’édition discographique : un récital de très beaux airs trouvant ces derniers temps plus aisément le chemin déjà tortueux (faute, aussi, d’assez de médiateurs compétents et efficaces…) des mélomanes et discophiles, qu’un opéra entier, et d’un compositeur jusqu’ici inconnu, c’est sûr !… _ un opéra complet d’un de ces compositeurs jusqu’ici délaissés de la scène, du concert et du disque, tels qu’un Ristori ou un Chelleri-Keller, et redécouverts ici grâce aux recherches pionnières patientes et découvertes musicales de première grandeur _ insistons-y… _ d’un chercheur-expert audacieux et tenace _ et un peu compétent musicalement _, tel qu’Olivier Fourès…

Ce samedi 6 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

le « commerce » de la passion de la musique : l’enchantement du coffret « Spannungen : Musik im Kraftwerk Heimbach – Chamber Music », par Lars Vogt & Friends (14 CDs de « Live Recordings » _ 1999-2006)

14nov

Il y a « commerce » et commerce !

Le « commerce » est, à son meilleur, celui  _ sans complément déterminatif ! _ entre personnes, au-dessus d’être l’échange de marchandises _ voilà le complément déterminatif… _ ; c’est-à dire des relations d’ordre commercial… Le terme désigne alors un « échange de relations« , des « rapports suivis » inter-personnels : « fréquentation, correspondance, conversation, vie mondaine« .

Antoine Furetière, en son « Dictionnaire universel » de 1690 : « Se dit aussi de la correspondance, de l’intelligence, qui est entre les particuliers soit pour des affaires, soit pour des études, ou simplement pour entretenir l’amitié… : « Ce savant a commerce avec tous les habiles gens de l’Europe »« .

Ainsi La Bruyère (« Caractères« , IV, 3) : « L’amitié… se forme peu à peu, avec le temps… par un long commerce« .

Ou Madame de Sévigné en une lettre (du 9 septembre 1675) à sa fille : « Je quitte Paris avec la douleur de ne recevoir plus si régulièrement vos lettres, ni celles de mon fils… ; voilà tous nos commerces dérangés » _ ultra-sensible « en«  (ou « sur« ) ce chapitre…

Ou La Fontaine _ expert en « agréments«  _ en son « Discours à Madame de La Sablière » (« Fables » IX) : « Propos, agréables commerces / Où le hasard fournit cent matières diverses« …

Avec ce commentaire, pour cet emploi-ci de « commerce« , du très avisé Père Bouhours en ses « Remarques nouvelles sur la langue française« , en 1675 : cet emploi, alors qu' »il ne s’agit point de trafic et de négoce« , est « des plus élégants« , commente-t-il…


C’est ce que nous livre une consultation rapide du « Dictionnaire du français classique _ la langue du XVIIème siècle« , de Gaston Cayrou…


Cf aussi, et d’abord, sans doute, le chapitre « De trois commerces » des « Essais » de Montaigne (III, 3) : « commerce » avec les hommes, avec les femmes, avec les livres…

Cf aussi ce qu’en dit Bernard Sève, à propos de « l’art de conférer« , en ouverture (« Commerce, entretien, conversation, conférence« , pages 221 à 225) de son chapitre IX, en son si bien venu (d’intelligence de l’œuvre montanien) « Montaigne _ Des règles pour l’esprit« …

Et en effet, c’est du « commerce » « avec » la musique

que je voudrais ici m’entretenir ;

ainsi que de certaines évolutions de ce commerce « de » la musique _ tant au disque qu’au concert, d’ailleurs ! et dans les deux sens : le « commerce avec«  ; et le « commerce de« 

L’écoute véritablement « enchantée«  _ cf mon article du 17 octobre dernier « Le Bonheur de Félix Mendelssohn«  _

d’abord du CD AVI 8553163 « Mendelssohn-Enescu Octets for strings » enregistré en « Live » au festival « Spannungen » de Heimbach les 11 et 12 juin 2008 ;

puis, quelques jours plus tard, grâce à la compétence de Vincent Dourthe, du double CD AVI 553049 « Brahms Piano Quintet op. 34 – Sextett op. 36 » enregistré « Live » au festival « Spannungen » de Heimbach les 6 et 12 juin 2005 _ cf mon article du 20 octobre suivant : « Aimez-vous Brahms ? à la folie douce« _

a amené ma curiosité (boulimique) à rechercher d’autres merveilles enregistrées (pour le disque !) à ce « Chamber Music Festival » intitulé « Spannungen« , à la centrale hydro-électrique (« Kraftwerk« ) de Heimbach, dans les montagnes de l’Eifel…

C’est alors et ainsi, que sur Internet, j’ai découvert l’existence du coffret de 14 CDs « Spannungen : Musik im Kraftwerk Heimbach – Limited Edition _ Kammermusik – Chamber Music _ Lars Vogt & Friends » (« Live Recordings 1999-2006« ) ;

et que je suis venu _ à l’excellent rayon « Musique » de la librairie Mollat _ demander à Vincent de me le commander… ;

et que je viens de l’écouter _ avec quelle jubilation ! toute une semaine _ en son intégralité !

Que de merveilles ! musicales…

Et comme la présentation par Lars Vogt _ l’âme de ce festival « Spannungen » (et excellent pianiste !)… _

du coffret de CDs : « Nous fêtons les 10 ans du festival SPANNUNGEN à Heimbach » (aux pages 6-7 du livret)

est magnifique elle-même ! sur l’esprit même de ces réalisations !

Aux pages 13 à 15, Lars Vogt sera relayé par un second livrettiste, présentant, cette fois, le festival de musique de chambre de Heimbach lui-même : « Un lieu ouvert« … 

« C’est _ ce Festival « Spannungen » à Heimbach ; dont Lars Vogt est l’initiateur, le maître d’œuvre et le « Directeur artistique«  : l’âme et la première cheville ouvrière ; y compris en mettant la main à la pâte (et comment ! avec quel brio : « motorique«  ! dans maints concerts, au piano !..) _ une rencontre conçue pour mettre en œuvre de façon cohérente _ et donc le mieux possible aboutie _ les projets que veulent réaliser les artistes eux-mêmes, sans essayer de « deviner » à l’avance les préférences d’un certain public. Et finalement nous nous rendons compte que notre public veut bien _ oui ! _ que nous lui demandions un certain effort ! Les mélomanes _ vrais : passionnés ! _ ne veulent pas toujours assister


_ passivement seulement : cf les analyses magnifiques (et indispensables : je ne le dirai jamais assez !) de mes amies Marie-José Mondzain (« Homo spectator« ) et Baldine Saint-Girons (« L’Acte esthétique » : deux livres merveilleux de justesse et d’acuité à propos de ce qui peut se ressentir à son meilleur (versus le pire : aujourd’hui déployé mondialement par les media de masse, si efficaces pour abêtir en vendant…) ; ainsi que des enjeux civilisationnels (capitaux !) de l’aisthesis ;

cf aussi le travail de fond qu’accomplit inlassablement Bernard Stiegler, sur l’amatorat (passim : ainsi vient de sortir « Faut-il interdire les écrans aux enfants« , une confrontation des analyses et diagnostics de Bernard Stiegler avec le point de vue du psychanalyste Serge Tisseron…) ;

et aussi le travail de Jacques Rancière : « Le Partage du sensible« , dont le sous-titre est « Esthétique et politique« )… _

Les mélomanes ne veulent pas toujours assister, donc,

à des événements conçus de façon de plus en plus démagogiques _ ce qui n’est que trop souvent le cas, en effet… _, où les programmes et les exécutions sont souvent trop prévisibles.


Au contraire : nos auditeurs sont prêts à relever le défi _ oui ! _ de les confronter _ in concreto _ avec des programmes surprenants, voire même outrés

_ est-ce la meilleure traduction de l’original « wenn es Gefühl hat«  ?.. ; la traduction anglaise employait, elle, il est vrai, le terme « wild » !.. _,

pourvu qu’ils soient convaincus que tout se déroule au plus haut niveau artistique _ certes _, et que les interprètes s’adonnent _ oui ! _ corps et âme

_ oui ! avec la plus intense générosité ! d’où l’intensité des « tensions » perceptibles, et au service des œuvres ! : « Spannungen«  ! hautement perceptibles, pour notre plus grande joie d’« acteurs esthétiques« , nous aussi, pourrait revendiquer Baldine Saint-Girons… et pas seulement au concert ! à l’extase même de l’écoute du disque !!! oui ! et renouvelée ! _

et que les interprètes s’adonnent corps et âme à transmettre _ avec générosité ! donc… _ l’essence artistique et émotionnelle des œuvres _ déjà ; et c’est un grand et beau défi ! _ qu’ils jouent ».

Cette déclaration liminaire (page 6 du livret du coffret de CDs AVI) de Lars Vogt _ et qui ne fait qu’éclairer le projet artistique même du festival « Spannungen«  de Heimbach ! et cela, dès ses premiers concerts en 1998 _ est magnifique de justesse et de nécessité, d’abord ! pour que vive (vraiment !) l’Art même : dans les interprétations des œuvres de musique…

Ainsi Lars Vogt poursuit-il sa « présentation » de la « fête » des 10 ans de « Spannungen » à Heimbach :

« Une oasis _ oui : de fraîcheur et de vie… _ pour faire de la musique,

et où la seule valeur qui compte est celle de l’Art _ voilà !_ : c’était mon rêve _ doublement artistique : et d’organisateur, et d’interprète : magnifiquement éloquent, au piano ! _ lorsque surgirent les premières idées d’un festival de musique de chambre dans la région de l’Eifel du Nord…

Fous de musique _ il le faut ! _, les membres bénévoles _ aimant… et sans compter ! (mais c’est, bien sûr, un pléonasme !) _ de l’« Association pour la Promotion de l’Art dans le Canton de Düren » en sont devenus les co-fondateurs, et ils allaient bientôt en être les organisateurs«  _ les « porteurs«  de cet Art : il en faut !.. Sinon, tout le projet s’effondre…  Etc… : « ce sont eux qui m’ont stimulé et soutenu _ voilà ! _ dans ma vision _ visionnaire (de départ) : il le faut aussi… Et cela manque bien cruellement en maints endroits ; les choses (à la passion artistique) ne se « connectant«  décidément pas, par un seul coup de baguette politique ! Désirer produire un « événement » (d’« animation«  d’un lieu, tel une ville), et le « commander« , même : à quelques professionnels de la communication ! ne suffisant donc pas… _

dans ma vision, donc,

de réaliser _ oui ! _ au mieux _ il faut aussi y prétendre : c’est une condition de succès sine qua non !.. _ cette utopie d’un « paradis pour la musique de chambre » _ c’est fait ! et cela dure (depuis 12 ans maintenant, en 2009) : cf (au CD !) les concerts Mendelssohn et Enesco des « Octuors » si lumineux et vibrants de juin 2008 !!! _ à Heimbach.

Je tenais surtout à ce que les artistes invités soient accueillis dans une espèce de « chez soi » musical, où ils se sentiraient à l’aise _ pour oser créer (ensemble), avec toute l’audace commune nécessaire, leur interprétation ! _, au sein d’une famille artistique _ de pleine confiance mutuelle ; et d’affection ; pas de rivalités de carrière !

Cf ce qu’il advint à Marlboro, autour de Rudolf Serkin ;

ou à Lockenhaus, autour de Gidon Kremer :

et de la « fête«  de tous leurs amis venus et réunis !!!

De telles conditions devaient inspirer _ c’est parfaitement réussi ! qu’on y prête seulement son oreille !.. _ ces interprètes du plus haut niveau à jouer mieux qu’ailleurs,

à donner tout d’eux-mêmes _ car voilà en effet le (seul) secret ! de ces merveilles (aussi rares !) de concerts !

Ce serait une communauté de complices : pas dans le sens où ils devraient être toujours d’accord sur l’interprétation,

mais en ce qu’ils partageraient la même approche, la même éthique artistique _ un point-clé ! celle de la vérité des œuvres à « rendre« , par les interprètes, comme au sortir de leur création même du génie du compositeur ! avec cette vérité véloce, coulant de source, qui est celle du « génie«  qui sourd de l’inspiration à l’œuvre !

La musique elle-même serait la raison-d’être de notre travail _ au singulier, en son absoluité, en quelque sorte… _, de leur collaboration _ les uns « avec » les autres, en ces œuvres de « musique de chambre« , il est vrai : où l’entente entre les interprètes est (encore plus qu’ailleurs !) absolument requise en un idéal de perfection (de l’interprétation de l’œuvre à faire retentir) ; et qui n’a rien à voir avec quelque uniformité… Elle a besoin de notre apport en tant qu’individus ; mais notre « ego », notre « moi », devrait s’effacer derrière le résultat commun envisagé » _ au seul service, lui, le « résultat« , de l’œuvre !

En conséquence de quoi, poursuit Lars Vogt, « dans le coffret que voici, nous avons voulu garder pour vous _ merci ! merci beaucoup ! et par le disque gravé ! _ une série _ de 41 pièces (les enregistrements de concert « live » s’étalant du 8-6-1999 au 6-6-2004 ; ainsi que les 16 et 18-6-2006 pour un CD bonus) _ de moments précieux et spéciaux _ uniques ! _ parmi tous les concerts vécus _ le terme est bien à relever ! et tant par les interprètes que par les mélomanes (actifs, eux aussi : par leurs « actes esthétiques«  ; cf Baldine Saint-Girons et Marie-José Mondzain) au concert (cela « s’entendant«  dans la « vie«  du jeu même des interprètes ! que la qualité de pareille écoute proprement dynamise ! _ à Heimbach«  _ ces années-là : Lars Vogt s’exprimant ici en 2007…

« L’un des facteurs principaux du succès grandiose _ oui  : et cela s’entend ! si cela ne se sait pas encore assez loin de l’Eifel ; ou de l’Allemagne… _ de « Spannungen » est bien sûr l’endroit extraordinaire où ont lieu nos récitals : c’est la magnifique centrale hydroélectrique à Heimbach (…). Il faut avoir vécu soi-même l’atmosphère de cette scène qui s’élève entre deux turbines anciennes, dans ce beau bâtiment Art Nouveau. On ne peut pas vraiment décrire cette atmosphère, tant elle est extraordinaire et spéciale. Mais SPANNUNGEN (« Tensions ») est un titre bien choisi _ certes ! _ pour la refléter. Parfois on aurait presque l’impression qu’une tension quasi électrique surgit _ bien sûr ! _ entre les musiciens sur scène. C’est ce qui rend leurs interprétations si inaccoutumées, si intéressantes » _ si justement vivantes ! Et pour avoir été, très modestement, récitant sur une scène lors de concerts, au « Festival du Vieux Lyon« , au « Festival de Saint-Michel-en-Thiérache« , notamment, j’en comprends un tout petit peu quelque chose…

Et « quand on me demande jusqu’à quand nous voulons continuer à organiser le festival « Spannungen » _ qui comporte chaque année l’« intégration«  de nouveaux (jeunes) interprètes _, je dis toujours : « Nous continuerons à le faire tant que nous y éprouverons encore du plaisir » _ de la joie. Ce ne devrait jamais devenir une routine habituelle« 

_ ce qui me rappelle, au passage, ce beau mot de Wilhelm Fürtwängler aux musiciens (« du rang« ) d’un orchestre entamant une « répétition«  de la célébrissime Vème Symphonie de Beethoven un peu trop « routinièrement« ,  sans assez de la conviction pourtant tellement nécessaire : « Ayez bien, bien _ = mieux ! _, conscience que dans le public certains découvrent l’œuvre pour la toute première fois !« ... Ce doit toujours, toujours, être « la première fois » quand on aime vraiment !..

De fait, poursuit, ensuite, un autre livrettiste que Lars Vogt, page 14, « les interprètes et leur public se connaissent. Pour les musiciens, « Spannungen » représente un parcours quotidien de répétitions extrêmement compactes et intenses, une rencontre _ oui ! avec ses surprises et toute sa « neuveté«  _ avec les grandes œuvres ainsi qu’avec leurs collègues. Chacun apporte ses vues, ses opinions. Également, son propre vécu, son parcours, ses expériences personnelles _ qui s’enrichissent en une vie d’artiste assez exigeant, en multipliant des « relations vivantes«  des unes, œuvres, avec les autres : c’est là la chance, pour un artiste aussi, de vieillir, de mûrir… Ces répétitions ont donc un aspect très humain _ au lieu de mécanique _ et individuel _ c’est-à-dire réellement « personnel« 

Et pour les musiciens conviés au festival, « pouvoir faire partie _ mais sans brigue _ de cette « académie des conspirateurs musicaux » représente l’occasion de pouvoir vivre des expériences extrêmes _ « sublimes« , dirait Baldine Saint-Girons ; cf son « Le Sublime _ de l’Antiquité à nos jours«  _ en tant qu’interprètes qui veulent atteindre, à tout prix _ artistique, esthétique, s’entend ! _, une collaboration artistique exceptionnellement intense _ ce qui n’est peut-être pas si fréquent…

L’ainsi nommé « esprit de Heimach »

_ plus haut, le livrettiste avait cité le « poète, compositeur et encyclopédiste érudit » Jürgen von der Weise (Ortelsburg, en Prusse Orientale, aujourd’hui Szczytno, 10-11-1894 – Göttingen, 9-11-1966 ; et aussi « descendant lointain du grand écrivain (romantique) Jean-Paul ; et qui traversa l’Allemagne plusieurs fois à pied en trente ans » : « la randonnée était pour lui la vraie façon de comprendre le monde« , page 13 du livret),

Jürgen von der Weise disant, c’était en avril 1949 : « la musique : une seule et grande révélation, inspirée par le chant des esprits«  (en allemand « dem Geister-Gesang » ; ce qui n’est pas sans nous rappeler le schubertien (et goethéen) « Gesang der Geister über den Wassern IV » (« Des Menschen Seele…« ), pour voix d’hommes et cordes, D. 714 (Opus posthume 167) ; une œuvre sublime…  

… 

l’ainsi nommé « esprit de Heimach » est devenu symbolique pour des prestations _ les concerts ; et pour nous ces enregistrements « live » !.. _ où les musiciens et musiciennes prennent tous les risques, où tout ne tient _ oui ! c’est là (l’audace de la liberté) la condition première de la « vérité » même des interprétations des oeuvres : inspirées seulement ainsi… _ qu’à un fil _ celui du « danseur de cordes » probe (et « humain« , sinon assez « surhumain« , lui !) du « Prologue » d’« Ainsi parlait Zarathoustra« 

Considérée de sang-froid, il faut admettre que la musique de chambre demande de joindre à la plus haute compétence musicale _ certes _ la plus grande capacité communicative. Ici, c’est l’endroit où chacun et chacune donne tout _ du meilleur _ de soi-même. C’est dans les œuvres vraiment grandes _ oui ! _ où l’on aborde ce qui est fondamental _ oui ! _ et transcendantal _ sic : « In wirklich groβen Werken geht es um letze Dinge« , disait assez « kantiennement« , en effet, le texte original  en allemand. En effet la programmation de Heimbach se concentre sur de telles grandes œuvres. Ce sont les longues promenades de Schubert dans les régions obscures de l’âme _ nous est ainsi donné (au CD n°3) un sublimissime « Quintett » en ut majeur D 956 pour 2 violons, alto et 2 violoncelles : par Christian Tetzlaff, Isabelle Faust, Tatjana Masurenko, Boris Pergamenschikow et Gustav Rivinius (le 18-VI-2000) : ce fut la première que j’écoutai pour mettre à l’épreuve, en quelque sorte, le coffret : quel choc ! quelle merveille ! _ ; ce sont les utopies poétiques de Schumann _ absent cependant des pièces données en ce coffret-ci. C’est l’effort extrême que requiert l’énergie émotionnelle dont fait preuve la musique de Brahms (et c’est à Heimbach que l’on peut entendre un Brahms intime comme presque nulle part ailleurs) _ en particulier quand Antje Weithaas est au violon !

Ainsi ai-je découvert grâce à ce coffret cette merveilleuse interprète violoniste ; dont le jeu (et le son : si fin ! arachnéen !) contraste(nt) subtilement avec celui, merveilleux aussi (éclatant !), du magnifique Christian Tetzlaff ; et, en effet, tout particulièrement dans Brahms : le « Quartett«  avec piano n°3 en ut mineur, opus 60 (avec Lars Vogt, Kim Kashkashian et Boris Pergamenschikow, enregistré le 12-vi-1999) ; mais aussi dans Dvorak : le « Quintett » avec piano en la majeur, opus 81 ; le « Trio » pour flûte, violoncelle et piano en ut majeur, Hoboken XV:27, de Joseph Haydn ; le « Quintett » à cordes en sol mineur, KV 516, de Mozart ; le « Trio«  avec piano en mi mineur, opus 67, de Chostakovich ; la « Sonatine«  pour violon et piano en sol majeur, opus 100, de Dvorak ; et le « Trio«  avec piano en la mineur « A la mémoire d’un grand artiste« , de Tchaïkovsky…


Je mets l’accent ici sur le jeu extrêmement fin de cette violoniste, parce qu’elle m’était totalement inconnue jusqu’ici ; mais l’entente dynamique entre les jeux de Christian Tetzlaff (violoniste) et Lars Vogt (pianiste), tout particulièrement, est assez phénoménale ; même si aucun interprète _ et même loin de là ! _ ne « tire la couverture » à lui ; au contraire, les instrumentistes se produisent en des formations, d’abord, très variées ; et, ensuite, prennent plaisir à s’écouter « vraiment » les uns les autres ; ce qui constitue un des plaisirs puissants et de longue fragrance, vraiment, de ce coffret : où se « joue » vraiment, et « ensemble« ,  de la musique _ soit le B. A. BA de la musique de chambre…

Maintes et maintes fois_ aussi _, on y entend également des œuvres écrites au cours de ce siècle déchiré, maltraité, que fut le XXe siècle _ de Schoenberg (« La Nuit transfigurée » et la « Kammersinfonie » n°1, opus 9) ; Berg ; Hindemith _ particulièrement superbe ! un très grand ! _ (la « Sonate » pour violon solo opus 11/6, en une Première de sa version complète, par Christian Tetzlaff le 24-vi-2001 ; et la « Sonate » pour 10 instruments _ Fragment, de 1917 : une autre Première, le 22-vi-2001…) ; Prokofiev (le « Quintett«  pour hautbois, clarinette, violon, alto et contrebasse, opus 39) ; Chostakovich (le sublime « Trio«  en mi mineur pour piano, violon et violoncelle, opus 67, par Lars Vogt, Antje Weithaas et Boris Pergamenschikow, le 15-vi-2000) ; Stravinsky (« L’Histoire du soldat« ) ; ou Messiaen (le « Quatuor pour la fin des temps« ), en particulier, ici.

Et chaque année on y crée une nouvelle œuvre contemporaine » _ par exemple, « Recollections«  for Chamber Ensemble, du compositeur australien Brett Dean, une « commande«  pour la session 2006 de « Spannungen«  : bravo !

Ainsi « à travers tout ce qui sonne dans ce lieu ouvert _ qu’est Heimbach, et cela depuis une décennie (le coffret fut conçu en 2007) _ peut-on encore distinguer _ en effet _ le « chant des esprits » _ tant schubertien que goethéen : planant au-dessus des « eaux«  (du lac de barrage de la centrale hydro-électrique de Heimbach)…

Voilà pour cette seconde « présentation » _ du festival à Heimbach, plus spécifiquement _ du livret…

Que d’interprétations merveilleuses en ce coffret _ AVI 8553100.

L’étonnant, pour moi _ demeuré assez « simple« , on le voit _, est _ artistiquement ! du moins… _ que le « commerce » de la grande _ = large… _ distribution discographique

n’ait pas accordé une plus large _ = grande ! _ diffusion _ celle de ce coffret étant demeurée quasi au seul « usage » interne des mélomanes assistant aux (et fréquentant les) concerts du Festival, à Heimbach même, au coeur des montagnes du Nord-Eifel… _ à un tel coffret :

de »Limited Edition », il est vrai…

Je rappelle donc la référence discographique (chez AVI) de ce sublime coffret de 14 CDs « Spannungen : Musik im Kraftwerk Heimbach – Limited Edition _ Kammermusik – Chamber Music _ Lars Vogt & Friends » (« Live Recordings 1999-2006« ) : AVI 8553100…

En osant « rêver«  _ de ma place de simple mélomane… _ que la curiosité pour les beautés de la musique _ et à ce niveau d’interprétation ! _ rencontre un peu moins de timidités et frilosités parmi son public potentiel… Quand existent encore d’excellents disquaires (pourvoyeurs des meilleurs « conseils« ) !

Titus Curiosus, ce 14 novembre 2009

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur