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Savourer la fluidité envoûtante de l’érotisme de « Jeux » de Debussy par Klaus Mäkelä, en décembre 2023, et Ernest Ansermet, en avril 1958…

17avr

En continuation de mon article d’hier « « ,

et à la suite de l’article de Jean-Charles Hoffelé « Joueurs de tennis » en date du 13 avril dernier dans lequel celui-ci fait tout spécialement porter son focus sur « Jeux, lecture d’un poème » de Claude Debussy, dont je retiens ici ceci : « Tant de chefs seront tombés dans les pièges voluptueux de cet orchestre, s’en enivrant, d’autres s’en seront tenu à la narration, marier les deux a toujours induit une énigme que seuls Pierre Monteux, André Cluytens, Bruno Maderna et Pierre Boulez, résolurent. Klaus Mäkelä et les Parisiens leur emboîtent le pas : on voit les danseurs, on saisit l’érotisme, on perçoit la nuit, timbres gorgés des bois, cordes arachnéennes, jusqu’au tambour de basque remis dans la perspective de ces mystères sonores, c’est-à-dire pas en avant : l’ultime balle venu de nulle part, il la figurera légère. Merveille »,

j’ai désiré prêter une oreille attentive à cette œuvre de Debussy, « Jeux » donc, qui jusqu’ici n’avait pas encore retenu toute mon attention…

Quelle interprétation alors choisir au sein de ma discothèque personnelle ? Pierre Monteux ? André Cluytens ?  Pierre Boulez ? _ je ne possède pas la version de Bruno Maderna ;

et étrangement Jean-Charles Hoffelé ne cite pas là les diverses très belles versions données par Ernest Ansermet et son Orchestre de la Suisse romande, auxquelles il a pourtant consacrés plusieures articles enthousiastes ; par exemple celui-ci intitulé « Jeux« , en date du 16 septembre 2018…

Relisant les précieuses chroniques antérieures de Jean-Charles Hoffelé consacrées à ces diverses interprétations comportant « Jeux« ,

je tombe alors sur celle-ci « Révisons nos classiques« , en date du 4 août 2018, qui me fait opter pour l’écoute immédiate du double CD Eloquence « Ernst Ansermet et les Ballets russes » Decca 482 4989, avec une interprétation d’Ansermet et son Orchestre de la Suisse romande, à Genève, en avril 1958, dont l’écoute, aussitôt sur ma platine, me subjugue absolument ! et me la fait ce matin écouter en boucle…

Auparavant,

de cet article « Révisons nos classiques« , je me permets de citer ici ceci : « Le sommet de l’ensemble _ de ce double CD « Ernst Ansermet et les Ballets russes«  _ est pourtant Jeux, partition réputée injouable pour les orchestres d’alors _ voilà. Mais Ansermet savait se débrouiller des mesures les plus complexes et dirige le tout dans une fluidité envoûtante _ voilà ! c’est tout à fait cela _, faisant apparaître le trio amoureux des joueurs de tennis, décrivant cette symphonie de nuit éclairée avec non plus simplement de la sensualité mais un érotisme _ ô la belle nuance ! _ qui s’échevèle dans des crescendo névrotiques. Lecture géniale _ voilà _, unique _ même dans la discographie d’Ernest Ansermet _, que l’on ne connaît pas assez. Ecoutez seulement _  ici ! (17’09). Et lisez le très beau texte de François Hudry« …

Et de donner à écouter ici ce même « Jeux » de Debussy par Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris (17′ 38), enregistré en décembre 2023, à la plage 16 du CD « Stravinsky – Debussy » Decca 487 0146 que j’ai donc chroniqué hier même…

Ce mercredi 17 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

A partir d’un travail sien de révision des partitions (jusqu’ici truffées d’erreurs), le chef John Wilson vient nous offrir une magistrale interprétation de ce chef d’oeuvre de Ravel qu’est le Ballet complet de « Daphnis et Chloé »…

04avr

Avec le CD « Ravel – Daphnis et Chloé – Complete Ballet« , soit le CD Chandos 5327 _ enregistré à Londres du 7 au 9 décembre 2022 _,

à la tête du Sinfonia of London Chorus et du Sinfonia of London, le décidément excellent John Wilson vient nous offrir une superbe _ magistrale _ interprétation de ce chef d’œuvre sublime de Maurice Ravel qu’est le Ballet de « Daphnis et Chloé« , à partir d’un travail extrêmement minutieux de révision _ effectué par lui-même, John Wilson, au moment des confinements du Covid _ des partitions, truffées d’erreurs accumulées jusque là…

Voici le bel article intitulé « John Wilson, un nouveau regard sur Daphnis et Chloé de Ravel » que ce jeudi 4 avril 2024, sur le site de l’excellent magazine Crescendo, Pierre-Jean Tribot vient consacrer à cette prouesse musicale et discographique ravélienne, pour le label Chandos :

John Wilson, un nouveau regard sur Daphnis et Chloé de Ravel 

LE 4 AVRIL 2024 par Pierre Jean Tribot

Maurice Ravel (1875-1917) : Daphnis et Chloé, M.57.

Sinfonia of London Chorus, Sinfonia of London, direction : John Wilson.

2022. Livret en anglais, allemand et français. 54’00.

Chandos CHSA 5327.

En matière de Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, il y bien une problématique centrale : celle des centaines de fautes qui n’avaient jamais été corrigées _ hélas _ depuis la première édition de la partition. Tous les chefs d’orchestre qui se confrontent à ce chef d’œuvre se repassent des listes de corrections à appliquer, et certaines de ces listes, comme celle établie par Pierre Boulez, sont presque “légendaires”.

En 2020, pendant le confinement pandémique _ voilà ! _, le chef d’orchestre John Wilson a amorcé un travail de fond pour proposer une édition révisée expurgée de ces erreurs. Sur base des sources, dont le manuscrit original ou la partition de la réduction piano/chœur, il a pu proposer le travail “qui reflétait le mieux les décisions finales du compositeur” _ voilà quel était l’objectif ! _ comme il l’indique dans la notice de présentation _ aux pages 34-35. En effet, différentes modifications avaient également été apportées par Ravel _ sur le vif _ au moment des répétitions. Ces dernières avaient été reportées sur les parties séparées, mais pas reprises dans la partition de chef. John Wilson livre donc en première son travail au pupitre de ses musiciens londoniens.

La réussite de ce nouvel enregistrement est indéniable _ en effet. En premier lieu, il faut saluer la performance de l’incroyable Sinfonia of London dont l’engagement est sans faille : puissance et éclat dans les tuttis, richesse de couleurs et finesse et élégance dans les solistes _ voilà qui est dit, et bien dit. Le Sinfonia of London Chorus est quant à lui d’une idéale homogénéité avec ce qu’il faut de flexibilité à la fois dans la transparence des timbres que dans la puissance de la projection _ oui.

La baguette de John Wilson travaille le texte, et on redécouvre _ ainsi _ cette œuvre _ d’une extraordinaire fraïcheur, en la plus parfaite cohérence, d’ailleurs, avec son sujet… La texture instrumentale sonne allégée _ oui _ avec une plus grande mobilité de la masse orchestrale. La lisibilité des pupitres est exceptionnelle _ c’est magnifique, et sublimement ravélien ! _ et rend encore plus impactants les contrastes et les césures narratives de ce ballet. Le geste compositionnel de Ravel, sa force et son génie sont ici magnifiés _ voilà. Bien évidemment, la prise de son Chandos, techniquement superlative, nous place au cœur de cette interprétation magistrale qui fait date _ oui.

Alors bien évidemment, la discographie de Daphnis et Chloé est bardée de références d’Ansermet (Decca) _ et Monteux (Decca)… _ à François-Xavier Roth (HM) _ cf par exemple, et à côté de plusieurs autres, mon article «  » en date du 23 juin 2023, mais aussi, et plus particulièrement à propos de « Daphnis et Chloé« , celui-ci, même bien trop bref, « «  en date du 15 septembre 2019… _en passant par Pierre Boulez (DGG), mais cette version, unique par le regard _ quasi originaire _ qu’elle nous permet de retrouver _ enfin ? _ sur ce chef d’œuvre, est _ sans nul doute _ une pierre angulaire.

Pierre-Jean Tribot

Pour ce qui personnellement concerne l’aficionado ravélien que je suis,

je dois signaler ici que j’avais beaucoup apprécié, à sa sortie, le précédent CD Ravel « Ma Mère L’Oye – Boléro (premières recordong of original ballets«  de John Wilson (le CD Chandos CHSA 5280),

ainsi qu’en témoigne mon article en date du 1er septembre 2022 : « « .

Mais il me faut relever aussi que ni le site Discophilia de Jean-Charles Hoffelé, ni le site ResMusica _ que je consulte quotidiennement _ n’ont jusqu’ici consacré d’article aux (belles) réalisations discographiques ravéliennes de John Wilson ;

et cela à la différence du site (belge) du magazine Crescendo, dont je relève maints articles (au nombre de 13) antérieurs _ à celui de ce 14e, ce jeudi 4 avril 2024 _ consacrés à ce chef britannique, dont, en l’occurrence, ces 3 remarquables-ci à propos de Maurice Ravel :

_ « John Wilson et Ravel« , un entretien entre Bertrand Balmitgère et John Wilson, en date 26 janvier 2022 :


_ « Les œuvres orchestrales de Ravel chez Chandos : le choc John Wilson« , un article de Pierre-Jean Tribot, en date du 20 février 2022 :


_ et « Ravel en miroirs anglais, entre mentors et disciples« , un article de Pierre-Jean Tribot, en date du 19 mars 2024…

Je ne sais trop  qu’en conclure : serait-on plus attentif, ou plus curieux, en Belgique qu’en France ?..

En tout cas, John Wilson est un chef ravélien _ Ravel, a-t-il aussi confié, est son « compositeur préféré«  _ à coup sûr bigrement intéressant… 

Écoutez-ici la sublime Pantomime de la troisième Partie de ce « Daphnis » (6′ 40), sous la baguette de John Wilson..

Ce jeudi 4 avril 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Musiques de joie : la fraîche Vilanelle qui ouvre les somptueuses Nuits d’été de Berlioz, par Régine Crespin

23mai

Parmi les joies que donne la musique française,

les six somptueuses Nuits d’été d’Hector Berlioz

(La-Côte-Saint-André, 11 décembre 1803 – Paris, 8 mars 1869)

constituent la merveilleuse ouverture du genre de la mélodie française

_ que ce soit avec accompagnement de piano, ou d’orchestre : quel prodigieux chef d’œuvre, d’emblée ! _,

en septembre 1841,

sur six poèmes de Théophile Gautier, réunis dans un recueil intitulé La Comédie de la mort

La plus joyeuse de ces six somptueuses mélodies des Nuits d’été,

est, probablement, la première d’entre elles, Vilanelle, qui ouvre le bouquet,

au futur _ des promesses du printemps _, puis au présent _ de l’invitation à la jouissance actuelle _ :

Quand viendra la saison nouvelle,
Quand auront disparu les froids,
Tous les deux, nous irons, ma belle,
Pour cueillir le muguet aux bois ;
Sous nos pieds égrenant les perles
Que l’on voit au matin trembler,
Nous irons écouter les merles
          Siffler.

Le printemps est venu, ma belle,
C’est le mois des amants béni,
Et l’oiseau, satinant son aile,
Dit des vers au rebord du nid.
Oh ! viens donc sur ce banc de mousse
Pour parler de nos beaux amours,
Et dis-moi de ta voix si douce :
          Toujours !

Loin, bien loin, égarant nos courses,
Faisons fuir le lapin caché,
Et le daim au miroir des sources
Admirant son grand bois penché ;
Puis chez nous, tout heureux, tout aises,
En paniers enlaçant nos doigts,
Revenons rapportant des fraises
          Des bois.

Et j’ai choisi, pour en savourer peut-être au mieux tout le suc,

l’interprétation voluptueuse de l’art de dire (et chanter),

et de la voix toute de soie,

de la grande Régine Crespin

en son célèbre _ à très juste titre _ CD Decca 417813-2,

avec l’Orchestre de la Suisse Romande, et sous la direction d’Enest Ansermet,

enregistré à Genève en septembre 1963.

Cet art est royal…

J’aime beaucoup, aussi, une prise live, au concert, à Londres, le 14 mai 1975,

de la très grande Janet Baker, sous la direction de Carlo Maria Giulini,

en un CD BBC Legends 40772, paru en 2001.

Ce vendredi 22 mai 2020, Titus Curiosus, Francis Lippa

Parmi les superbes rééditions de CDs Eloquence d’Ernest Ansermet, l’excellence prioritaire du double album Ravel-Debussy-Stravinsky des Ballets russes

29déc

Parmi les excellentes rééditions de CDs

de la série _ australienne _ Éloquence,

ici

de gravures du chef suisse Ernest Ansermet,

relevons,

avec le magazine Diapason de janvier 2019,

aux pages 124-125 (du Coin du Collectionneur),

et à propos,

au sein de cette remarquable série de rééditions,

du double album Ernest Ansermet and the Ballets russes, Decca 482 4989,

ce commentaire très avisé ci,

et sous la plume de l’excellent Patrick Szersnovicz :



« Son volume prioritaire, un double album partagé entre Ravel, Debussy et Stravinsky, nous ramène à des trésors familiers.

Dans le Daphnis et Chloé de 1965, l’exactitude textuelle s’accompagne d’une fluidité et d’une luminosité exceptionnelles _ son Lever du jour est peut-être le plus fabuleux de la discographie.

La lecture épurée, hautaine, un rien corsetée, du Prélude à l’après-midi d’un faune (1957, avec la flûte envoûtante d’André Pépin) ne sera pas au goût de tous nos collègues _, elle nous enchante.

N’en rajoutons pas sur la seconde version de Jeux (1958), mais précisons que la stéréo dont Decca avait alors le secret flatte l’habileté du chef suisse dans les changements de tempo, imperceptiblement anticipés, pour tendre, sans effet apparent, la continuité dramatique.

Ce regard creusé, éclairant la structure globale autant que les subtilités des alliages de timbres, se trouve déjà dans la version de Jeux (1953) comme dans la première version stéréo (1957) de La Mer, où Ansermet, ciselant le détail, magnifie la diversité des progressions orchestrales.

Mathématicien de formation, Ansermet le cérébral avait pourtant quelque chose de naïvement sauvage et d’une étonnante force poétique.

A preuve  l’admirable verdeur conférée aux Noces de Stravinsky, où s’incarne la fatalité de la souffrance humaine« .

Un double album ainsi indispensable

à toute vraie discothèque.

Ce samedi 29 décembre 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

4 remarquables articles de Jean-Charles Hoffelé sur des rééditions d’enregistrements de musique française d’Ernest Ansermet autour de Claude Debussy

16sept

Voici 4 articles passionnants

des 4 août, 31 août, 9 septembre et ce jour même, 16 septembre 2018,

de Jean-Charles Hoffelé sur son très riche site Artamag,

à propos de très bienvenues rééditions d’enregistrements d’Ernest Ansermet,

dont trois par l’excellent Decca-Eloquence australien (que dirige Cyrus Meher-Homji),

de musique française,

de, et autour de, Claude Debussy :

  4 août 2018 : Révisons nos classiques http://www.artalinna.com/?p=9805 
31 août 2018 : Sombre Allemonde http://www.artalinna.com/?p=9963 
 9 septembre 2018 : Esprit français http://www.artalinna.com/?p=10007
16 septembre 2018 : Jeux http://www.artalinna.com/?p=10047 
 
http://www.artalinna.com/?p=9805

RÉVISONS NOS CLASSIQUES

Un couplage imparable assemblé sur le thème des Ballets Russes par Cyrus Meher-Homji pour sa _ passionnante ! _ collection Eloquence, rappelle à quel point Ernest Ansermet fut versé dans les musiques écrites pour la troupe de Diaghilev. Ironie de la discographie pourtant abondante du chef helvétique, il ne gravera pas Parade, ni l’intégrale de Chout (mais une grande sélection) et l’éditeur laisse de côté ses versions éclairantes du Tricorne, du Chant du rossignol, de Renard, si bien que seul Pulcinella (peu gâté par un trio vocal frustre) et Les Noces (géniales de bout en bout, écoutez le sel qu’y met Hugues Cuénod !) illustrent ici des œuvres qu’il a créées. L’écriture claire et anguleuse de Stravinsky lui va comme un gant, mais pour parfaites que soient ses interprétations, une émotion supplémentaire _ voilà ! _ se dégage du pan français de ce double album.

Daphnis et ChloéLa Valse, le Prélude à l’après-midi d’un faune (avec les incroyables diaprures de la flûte de Pépin), Jeux, ces disques sont célèbres, mais les connait-on vraiment ? _ d’où le caractère si bienvenu de ces rééditions !

Daphnis et Chloé _ par Ansermet _ est une merveille qui égale les gestes de Pierre Monteux, Charles Munch ou André Cluytens, avec en prime une prise de son _ Decca _ faramineuse qui sculpte l’espace et que cette réédition rend mieux que les précédentes : on y voit _ voilà ! _ non seulement le ballet, Ansermet battant ses mesures dans le tempo des danseurs, mais on y entend aussi la narration de la pantomime dans la volupté des décors de Bakst ; en tous points la sensation d’être à la création de l’œuvre _ ce qui devrait être le cas pour tout concert et toute interprétation (discographique y compris…) !!! Et la poésie trouble _ voilà _ de Ravel fut-elle jamais mieux servie, dite avec tant de pudeur et pourtant tant de sensualité ? Quel orchestre, quel art des respirations, quelle magie des atmosphères _ oui _ qui gagne même jusqu’au chœur, magnifiquement mené.

La Valse, filée comme un mauvais songe, est superbe de style (c’est l’ultime enregistrement _ 2-8 avril 1963, au Victoria Hall de Genève _ des quatre que lui consacra Ansermet). Et Debussy ? Le Prélude, torpide _ oui _, ne s’oublie plus avec ses pleins et ses déliés extatiques, son faune si sexuel : on voit le râle de plaisir de Nijinsky _ mais oui !

Le sommet de l’ensemble est pourtant Jeux, partition réputée injouable pour les orchestres d’alors. Mais Ansermet savait se débrouiller des mesures les plus complexes et dirige le tout _ en avril 1958, à Genève, donc _ dans une fluidité envoûtante, faisant apparaître le trio amoureux des joueurs de tennis, décrivant cette symphonie de nuit éclairée avec non plus simplement de la sensualité, mais un érotisme qui s’échevèle dans des crescendo névrotiques _ voilà. Lecture géniale, unique _ que celle-ci, de 1958 _, que l’on ne connaît pas assez. Ecoutez seulement. Et lisez le très beau texte de François Hudry.

LE DISQUE DU JOUR

Ernest Ansermet and the Ballets Russes

Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune, L. 87
Jeux, L. 133
Maurice Ravel (1875-1937)
Daphnis et Chloé, M. 57
La Valse, M. 72
Igor Stravinski (1882-1971)
Pulcinella
Les Noces

Marilyn Tyler, soprano (Pulcinella)
Basia Retchitzka, soprano
Lucienne Devallier, contralto
Carlo Franzini, ténor (Pulcinella)
Hugues Cuénod, ténor
Boris Carmeli, basse (Pulcinella)
Heinz Rehfuss, baryton-basse
Chœur Motet de Genève
Chœur et Orchestre de la Suisse Romande
Ernest Ansermet, direction

Un album de 2 CD du label Decca 482 4989 (Collection « Eloquence Australia »)

Photo à la une : © Decca

 
http://www.artalinna.com/?p=9963

SOMBRE ALLEMONDE

29 décembre 1962, Ernest Ansermet dirige au Metropolitan de New York l’opéra qu’il aura défendu toute sa vie. Pelléas et Mélisande n’avait plus aucun secret pour lui, et il faut entendre avec quelle sensualité il emporte dans un flot dramatique incessant ce qui s’impose comme sa plus grande version _ notons-le _ du chef-d’œuvre de Debussy, devant même ses deux admirables versions genevoises captées par les ingénieurs de Decca.

La distribution au français immaculé y participe en grande part, à commencer par le Golaud blessé et mordant de George London, voix noire de vrai baryton-basse auquel vient se brûler le ténor solaire du Pelléas de Nicolai Gedda, avec son timbre de jeune premier et son sourire triste. Quel duo fraternel ils forment, sublime d’élans et d’accents (la remontée des souterrains !) confronté à la Mélisande naturellement sensuelle et vraiment comme venue d’un autre monde d’Anna Moffo, modèle de style qu’on n’espérait pas à ce point tenu.

La scène de la lettre de Geneviève selon Blanche Thebom est admirable pour le français, la ligne, les inflexions, et la soirée réserve une sacrée surprise avec Yniold, génialement campé par la toute jeune Teresa Stratas.

Version historique, indispensable, et enfin restituée dans toute sa présence sonore par Yves St-Laurent qui propose ici un ajout considérable à l’héritage sonore d’Ernest Ansermet. Immanquable.

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy (1862-1918)
Pelléas et Mélisande, L. 93

Anna Moffo, soprano (Mélisande)
Nicolai Gedda, ténor (Pelléas)
George London, basse (Golaud)
Blanche Thebom, mezzo-soprano (Geneviève)
Jerome Hines, basse (Arkel)
Teresa Stratas, soprano (Yniold)

Metropolitan Opera Orchestra and Chorus
Ernest Ansermet, direction


(Enregistré le 29 décembre 1962)

Un album de 3 CD du label Yves St-Laurent Studio YSLT738

Photo à la une : © DR

http://www.artalinna.com/?p=10007

ESPRIT FRANÇAIS

Dans cet immédiat après-guerre où la gravure directe sur 78 tours régnait encore, Ernest Ansermet céda à la proposition de Decca : graver avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire les œuvres de Claude Debussy et de Maurice Ravel. Le projet fit long feu et se déporta de Paris à Genève, la saga des albums de l’Orchestre de la Suisse Romande et de son « patron » pouvait commencer.

C’est très exactement cette bascule qu’illustre cet album parfaitement composé. Ecoutez La Valse enregistrée à Paris _ le 6 octobre 1947 à la Maison de la Mutualité _ : son mouvement vif, l’équilibre des bois et des cordes toujours placés avant les cuivres, s’ils soulignent le génie de la balance qui fut toujours le signe de l’art d’Ansermet, rappellent aussi la manière dont Gaubert et ses amis dirigeaient le répertoire français à Paris. Ecoutez ensuite l’Alborada del gracioso qui ouvre l’album, sèche, d’une précision fanatique, aux phrasés et aux accents si percussifs qui dessinent le personnage et font voir la sérénade, c’est le génie visuel d’Ansermet qui s’y impose, parfaitement re-situé par un orchestre qui est devenu le prolongement naturel de sa personne _ enregistrée le 4 février 1947, au Studio Radio de Genève .

Avec ses amis genevois, il réussit _ ce même 4 février 1947 _ sa version princeps de La Mer (il en laissera quatre versions successives), précis minutieux qui fait tout entendre, mais sait d’abord distiller des atmosphères d’une subtilité sciante _ ô la justesse de cet oxymore ! _, orchestre clair jusque dans les ultimes pages où exulte une tempête solaire, l’inverse de la catharsis qu’y déchaînait Charles Munch.

Avec les Parisiens _ le 28 mai 1948 à la Maison de la Mutualité _, il distille le plus onirique des accompagnements que j’ai jamais entendus dans Shéhérazade : sa chère Suzanne Danco n’a plus qu’à voguer sur cet orchestre d’épices. Ils y reviendront ensemble à Genève pour la stéréophonie, mais auront-ils retrouvé les élans qui emportent ici La Flûte enchantée, son mystère érotique ?

Transferts parfaits, textes éclairants signés par François Hudry, album essentiel.

LE DISQUE DU JOUR

Ernest Ansermet
Ravel & Debussy – The Decca 78s
Claude Debussy (1862-1918)
La Mer, L. 109
Petite Suite, L. 65
Maurice Ravel (1875-1937)
Shéhérazade, M. 41
La Valse, M. 72
Alborada del gracioso, M. 43/4

Suzanne Danco, soprano
Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire
(Ravel, La Valse, Shéhérazade ; Debussy, Petite Suite)
L’Orchestre de la Suisse Romande
Ernest Ansermet, direction

Un album du label Decca 482 5007 (Collection Eloquence Australia)

Photo à la une : Le chef d’orchestre Ernest Ansermet – Photo : © DR

http://www.artalinna.com/?p=10047

JEUX

Depuis sa création le 15 mai 1913, au Théâtre des Champs-Elysées sous la baguette de Pierre Monteux, Jeux effrayait les orchestres, mais aussi les chefs. Debussy y avait écrit tout un nouveau monde de sons et de rythmes qui allaient plus loin encore dans l’abstraction lyrique _ voilà _ que ne l’avait fait la simple complexification métrique du Sacre du printemps.

Comme aimait à le rappeler Pierre Boulez, Jeux est l’alpha de l’orchestre moderne _ rien moins. Monteux lui-même l’aura dompté pour le ballet – deux lectures en concert témoignent de sa mise en place au cordeau – mais ce seront les chefs d’orchestre dévolus à la musique de leur temps, Bruno Maderna, puis Pierre Boulez, qui en saisiront toute l’importance historique _ voilà _, précédés au disque par deux pionniers : Victor de Sabata, lui-même compositeur, et Ernest Ansermet.

Octobre 1953, Victoria Hall _ à Genève _, Gil Went et Roy Wallace règlent leurs micros pour saisir ce qui deviendra la version la plus parfaite du chef-d’œuvre de Debussy enregistrée alors. Si Ansermet se souvient du ballet – ses tempos sont ceux des danseurs – il fait entendre avec une impérieuse sensualité chaque repli harmonique _ oui _ de cette langue si neuve, pliant, dépliant, froissant, défroissant son orchestre qui semble un grand félin dans la nuit.

Cette poésie gorgée de timbres où danse encore le souvenir du faune languide, si sensuel, torride comme une nuit d’été, vous enveloppe littéralement d’une symphonie de sons. Abstrait et érotique pourtant. Ansermet refera d’autres Jeux tout aussi réussis (et peut-être plus fluides, de mouvements moins détaillés, ici on voit les beaux muscles), je vous en ai causé il n’y a pas si longtemps _ cf son article Révisons nos classiques du 4 août dernier, donné ici même un peu plus haut _, mais il faut connaître ceux-ci, enregistrés pour faire exemple _ en 1953, à Genève, donc _, et qui sont pourtant la vie même.

L’éditeur ajoute la version la moins connue de La Mer (octobre 1957 _ toujours au Victoria Hall à Genève _) selon le chef helvète, un rien plus sombre que les trois autres moutures, et passe aux séances parisiennes _ à la Maison de la Mutualité, les 20 et 21 septembre 1954 _ dévolues à Paul Dukas : L’Apprenti sorcier narré comme un tranquille cauchemar, mais surtout et pour la première fois rééditée en stéréophonie, La Péri (sans sa Fanfare), torpide, sensualiste, emperlée, toute en diaprures, un Orient de sons qui tourne immanquablement la tête. Ernest Ansermet était décidément bien plus que l’esprit cartésien auquel certains veulent le réduire.

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy (1862-1918)
La Mer, L. 111(enr. 1957)
Jeux, L. 133 (enr. 1953)
Paul Dukas (1732-1809)
La Péri
L’Apprenti sorcier

L’Orchestre de la Suisse Romande, mezzo-soprano
Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire
Ernest Ansermet, direction

Un album du label Decca 4824975 (Collection « Eloquence Australia »)

Photo à la une : Le chef d’orchestre Ernest Ansermet – Photo : © OSR

 
Des articles très à l’écoute, donc, de Jean-Charles Hoffelé,
sur son très riche site d’Artamag,
d’enregistrements magnifiquements réédités _ pour trois d’entre ces albums _
par l’australien Decca-Eloquence,
que dirige le très perspicace Cyrus Meher-Homji.
Grand merci à chacun d’entre eux !!!

Ce dimanche 16 septembre 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

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