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Découvrir Mathieu Pordoy merveilleux de poésie aussi au piano, en son CD avec Marina Rebeka, « Voyage » _ et tout particulièrement en son jeu éblouissant dans « La Flûte enchantée » de Maurice Ravel…

22juin

Désirant découvrir aussi, au disque, la personnalité de Mathieu Pordoy cette fois au piano _ et pas seulement en son merveilleux travail décisif, mais discret, « dans l’ombre« , de chef de chant ; cf mon enthousiaste article d’hier : « «  _

je me suis procuré son CD, avec la magnifique soprano Marina Rebeka _ le CD Prima Classic PRIMA014, paru le 16 septembre 2022 _, « Voyage« …

Et le merveilleux _ oui ! _ de ce que Mathieu Pordoy a su obtenir des chanteurs qu’il a « coachés« dans la si délicate à « attraper » et vraiment vraiment réussir « Heure espagnole » de Maurice Ravel _ j’en reviens une fois encore au transcendant miracle des 3′ 26 de la vidéo (dansante !) de l’enregistrement, les 24 et 25 mars 2021, du quintette vocal final sous la direction proprement magique de François-Xavier Roth, avec ses merveilleux Siècles ; à comparer avec les 3′ 06 du podcast de l’enregistrement Maazel, en 1965, avec pourtant rien moins que les talents magnifiques de Jane Berbié, Michel Sénéchal, Jean Giraudeau, Gabriel Bacquié et José Van Dam ; c’est dire le degré de hauteur du défi qu’a permis de relever et si merveilleusement réussir le chef de chant Mathieu Pordoy, aux talents supérieurs de comédiens-chanteurs extraordinaires qu’ils sont, eux aussi, d’Isabelle Druet, Julien Behr, Thomas Dolié et Jean Teitgen : chapeau, les artistes !.. Quelle performance d’intelligence et sensibilité du chant ! Quelle compréhension supérieure du génie si fin et malicieux de Ravel… C’est un enchantement dont on n’arrive décidément pas à se lasser… _,

eh ! bien!, il n’est que d’écouter tout ce que réalise au piano dans cet hyper-sensuel « Voyage » avec Marina Rebeka Mathieu Pordoy pour le retrouver, cette fois dans l’art de servir au plus haut l’art de la mélodie ;

et tout spécialement dans « La Flûte enchantée » (extraite de la « Shéhérazade » de Maurice Ravel et Tristan Klingsor) dont Mathieu Pordoy tire des sonorités musicales absolument magiques, inouïes jusqu’ici…

Je n’ai hélas pas découvert jusqu’ici de podcast ou de vidéo qui m’aurait permis de le faire écouter ici…

Mais voici trois très pertinents articles de commentaires de ce CD, sous les plumes

de Matthieu Roc, sur le site de ResMusica, le 11 octobre 2022 : « Beau voyage aux frontières de la mélodie française avec Marina Rebeka » ;

de Charles Sigel, sur le site de forumopera.com, le 16 octobre 2022 : « Voyage en douce » ;

et de Laurent Bury, sur le site de premiereloge-opera.com, le 21 octobre 2022 : « Voyage, le nouveau disque de Marina Rebeka _ Plus loin que la nuit et le jour« .

C’est une bonne idée du Palazzetto Bru Zane _ l’ami Étienne Jardin signe la présentation du livret du CD… _ de parrainer ce disque co-produit par Marine Rebeka et , et d’explorer un florilège de mélodies dont le caractère français est soit ambigu, soit partagé avec d’autres identités nationales.

Sur le thème du voyage, ce disque rassemble quelques items connus et évoquant un Orient fantasmé (Duparc, Ravel, Fauré, Saint-Saëns, Widor), mais surtout, il nous permet de découvrir des pièces de Gounod écrites en Angleterre sur des textes italiens, d’autres de Pauline Viardot écrites en Allemagne sur des textes russes, ou encore de l’alsacienne Marie Jaëll dont on ne saurait dire s’il s’agit de Lieder ou de mélodies françaises. Ce n’est pas seulement le rêve d’ailleurs qui est exploré, mais aussi la transnationalité _ en effet, c’est très bien vu… L’ensemble fait _ déjà _ un programme « border-line » tout à fait captivant _ absolument…

Si on prend pour jauge l’Invitation au voyage de Duparc _ et Baudelaire _ et La flûte enchantée de Ravel _ et Klingsor _, et si on affirme qu’à côté de ces merveilles, aucun des morceaux choisis ne pâlit ou ne démérite, on prend la mesure _ voilà ! _ de la qualité des mélodies _ en effet. Ceux de Marie Jaëll sont particulièrement intéressants. On découvre dans Rêverie une mise en musique admirable des vers de Victor Hugo (Orientales), avec une étonnante mise en évidence du désir d’absolu ou du rêve d’un Eden sur terre, qui sous-tend toutes ces poésies évoquant un ailleurs inatteignable. Le cycle des « Quatre mélodies » a cette particularité d’avoir été d’abord cinq Lieder… Marie Jaëll (née Trautmann) a dû s’habituer en 1870 (à 24 ans), à être Allemande et à publier en allemand des pièces qui seront créées plus tard en français, quitte à en supprimer une au passage. Ont-elles été pensées en français ou en allemand ? Sont-ce des mélodies ou des Lieder ? Peu importe : Dein est bouleversant de tendresse, Der Sturm très efficace dans la description de l’orage en reflet des mouvements de l’âme, Die Vöglein d’une beauté très raffinée. Die Wang ist blass achève de distiller une tristesse à la fois élégante et profonde. Les mélodies de Pauline Viardot, soit en italien, soit en russe (de son ami Tourgueniev) montrent aussi une belle variété de caractères, de sentiments, de paysages, avec sans doute plus de sérénité que Marie Jaëll, mais sans aucune superficialité. A côté de ces deux compositrices qui font plus de la moitié du programme, on se délecte encore de deux savoureux Saint-Saëns _ Désir de l’Orient et La madonna col bambino _, une pittoresque Chanson slave de Cécile Chaminade (qui fait fortement penser à Lalo ou Bizet), d’une charmante Chanson indienne de Charles-Marie Widor, ainsi que d’autres mélodies plus fréquentées.

Chanter des mélodies dans toutes ces langues (français, allemand, italien, toscan, russe…) relève de la gageure _ oui _, et Marina Rebeka semblait à même de la relever. La voix est superbe _ oui ! _, robuste, homogène dans toute son étendue et elle est manifestement polyglotte, tous les idiomes étant honorablement _ voilà… _ articulés. Le problème _ que relève ici Matthieu Roc _ est celui de beaucoup de ces voix athlétiques, gutturales et hypervibrantes, dont l’émission compromet l’intelligibilité des mots, ceux-ci manquant de projection dans le masque _ voilà. On reconnait les syllabes, mais pas les phrases _ et là est bien sûr le fâcheux…, que ce soit en français, allemand ou italien, cela ampute les pièces de la dimension poétique du texte _ un indispensable de l’art de la mélodie _, nous prive d’une bonne part de l’émotion, et fait plafonner le plaisir au niveau de l’esthétisme. Sans doute conscient du problème _ oui _, Matthieu Pordoy déploie sur un piano somptueux _ oui _ des merveilles _ absolument ! _ de sensibilité et d’inventivité _ et d’intelligence, des textes comme de la musique… Ses phrases _ au piano _ sont magnifiques, ses dynamiques _ en leur galbe et leur élan superbes _, ses petites intentions _ que Mathieu Pordoy sait rendre au millimètre près : tout cela, très finement entendu, est très juste _ prouvent une compréhension intime _ oui ! Mathieu Pordoy possède le génie de l’intimité… _ des poésies _ ce qui est absolument indispensable à l’art d’interpréter la mélodie… Le prélude de la mélodie de Widor est particulièrement réussi. Il arrive à sauver _ mieux que çà : il les sublime… _ le Duparc et le Ravel _ qu’il ne faut surtout pa manquer : ce qu’y fait, au piano, Mathieu Pordoy, est sublime… _ en les jouant comme un nocturne de Fauré, prenant entièrement à sa charge l’aura poétique _ oui, oui, oui _ des morceaux, la soprano faisant du beau son, et l’auditeur qui connait son texte par cœur faisant le reste. Pour les autres, surtout Jaëll et Viardot, la curiosité, le plaisir de découvrir du peu ou du pas connu rachète la prononciation _ l’élocution, et surtout essentiel l’élan des phrases…

En somme, c’est effectivement un beau voyage auquel nous invitent Marina Rebeka et Mathieu Pordoy. L’itinéraire est passionnant, le wagon luxueux, la compagnie distinguée, les paysages magnifiques… mais au bout de quelques étapes, la frustration gagne _ un peu _, et on a envie de briser la glace pour sentir enfin la réalité _ en toutes ses infra-dimensions de poésie _ de toutes ces merveilles qui nous sont données à voir ou à entendre. Un disque de découverte, donc, mais d’attente.

Henri Duparc (1848-1933) : L’Invitation au voyage. Cécile Chaminade (1857-1944) : Chanson slave. Maurice Ravel (1875-1937) : La Flûte enchantée. Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Désir de l’Orient ; La Madonna col bambino ; Alla riva del Tebro. Charles-Marie Widor (1844-1937) : Chanson indienne. Gabriel Fauré (1845-1924) : Les Roses d’Ispahan. Charles Gounod (1818-1893) : Perché piangi ? ; Oh ! Dille tu !. Marie Jaëll (1846-1925) : Rêverie ; Dein ; Der Sturm ; Die Vöglein ; Ewige Liebe ; Die Wang’ ist blass. Pauline Viardot (1821-1910) : L’innamorata ; La Mésange ; Le Saule ; Sérénade ; La Fleur ; Soupir… ; Invocation.

Marina Rebeka, soprano ; Mathieu Pordoy, piano.

1 CD Prima Classic.

Enregistré en mai 2021 au Latvian Radio Studio à Riga, Lettonie.

Texte de présentation en français et anglais, poèmes donnés dans leur langue originelle et traduits en anglais.

Durée : 74:13

16 octobre 2022

Le titre « Voyage » est un peu bateau (pardon !), mais le programme l’est moins _ oui : il sait voyager en terres pas trop fréquentées jusqu’ici ; et hors des clichés (touristiques !) rebattus… On peut imaginer qu’il reflète la collaboration entre Marina Rebeka et Alexandre Dratwicki, directeur artistique du Palazzetto Bru Zane à qui rien du répertoire français du 19e siècle n’est _ en effet _ inconnu _ merci Alexandre ! Merci Etienne Jardin… Mais on y sent aussi _ et beaucoup ! _ la patte _ voilà ! _ d’un magnifique pianiste _ ô combien ! _, Mathieu Pordoy, qui fait respirer _ pleinement et si intelligemment _ la musique, et celle d’un producteur/ingénieur du son, Edgardo Vertanessian, souvent dans l’ombre de Marina Rebeka _ pour leur label Prima Classic _, et qui fait des merveilles : trouver l’équilibre juste entre une voix aussi puissante et un piano, d’ailleurs superbe _ oui _, dont on entend _ scintiller _ toute la palette de sons, et être le premier auditeur, celui qui conseille _ Mathieu est aussi chef de chant _, c’est essentiel dans la réussite d’un disque.

Marie Jaëll : découverte

La révélation (pas seulement pour nous j’imagine), ce sont les six mélodies de Marie Jaëll (1846-1925). Cette Alsacienne, née Marie Trautmann, fut une pianiste virtuose, à qui Liszt avait promis une grande carrière, qu’elle accomplit d’ailleurs conjointement avec son mari Alfred Jaëll, célèbre en son temps. Ses deux concertos pour piano ont été donnés et enregistrés et son œuvre entier pour piano existe au disque (par Cora Irsen). Amie de Saint-Saëns et de Fauré, autrice de beaucoup de musique de chambre, elle s’intéressa intensément à la pédagogie du piano, notamment au toucher, et ses écrits théoriques sur la psychophysiologie montrent un esprit pionnier.


Personnage d’une énergie folle, désireuse avant tout de créer, contemporaine de Louise Farrenc ou de Mel Bonis, on la redécouvre (un peu) de nos jours après un long oubli. Schéma connu.


Marie Jaëll © Bibliothèque de Strasbourg

D’abord on sera intrigué par le très insolite Rêverie sur un poème de Victor Hugo, qui semble errer dans une incertitude tonale, sur les arpèges très éthérés du piano, et non moins surpris par ses cinq mélodies en allemand, d’une puissance insensée _ c’est vrai _, sur des poèmes écrits par elle.


Elles furent éditées en Allemagne en 1880. D’un romantisme tardif, dans la ligne de Brahms ou de Liszt, elles font appel à de grands moyens vocaux (Marina Rebeka les a) et à une tessiture d’une longueur redoutable. L’effusion amoureuse de Dein, l’intensité et la violence de Der Sturm, la légèreté puis la mélancolie de Die Vöglein, l’élan à la Schumann d’Ewige Liebe, le désespoir de Die Wang’ ist blass, toute cette aventure intérieure, qu’on peut penser autobiographique, Marie Jaëll la transpose puissamment, sans sensiblerie. Et Marina Rebeka la transmet avec noblesse, parfois avec virulence, parfois en suspendant le temps : souffle inépuisable, sûreté de la ligne vocale, limpidité du timbre, magnifiques pianissimi et jamais de sensiblerie… _ en effet.

La Russie de Viardot

Les six mélodies russes de Pauline Viardot qui viennent ensuite ont des ambitions plus modestes, mais beaucoup de charme. Sans doute composées pendant le long exil à Baden-Baden du couple Viardot, et pour le public de leurs amis, elles mettent en musique des poèmes de Pouchkine, de Fet ou du cher Tourgueniev, ami tendre de Pauline, qui l’introduisit à la poésie russe. Ces romances, Maria Rebeka y met une délicatesse teintée de nostalgie. Et surtout cette voix d’une pureté lumineuse _ oui.  Elle sait plier ses grands moyens à l’intimité d’une confidence de salon. Mais c’est toute sa puissance qu’elle retrouve dans Invocation sur un poème de Pouchkine, et là Viardot atteint à une grandeur pathétique et à une ampleur dignes de tous ceux qu’elle a servis et du grand personnage qu’elle fut, elle qui créa la Rhapsodie pour alto de Brahms.


Pauline Viardot © D.R.

Exotisme Troisième République

On avouera que certaines des mélodies choisies semblent d’un intérêt plus anecdotique ou pittoresque. Mais quel chic dans la Chanson slave de Cécile Chaminade, et quel soin à tirer le meilleur d’autres partitions, d’un orientalisme d’époque, tel Désir de l’Orient (1871) de Saint-Saëns (le texte est de lui, qui mélange la terre chinoise, une sultane enivrée et de blancs minarets), Saint-Saëns qui à vingt ans rêvait d’Italie, assez banalement d’ailleurs (La Madonna col bambino, sur un texte de saint Alphonse de Liguori), et poursuivait son retour à une Italie fantasmée avec Alla riva del Tebro, nettement plus inspirée.

Quant à Gounod, c’est dans une période de dèche à Londres, où il s’était exilé après la capitulation de Sedan, qu’il composa  pour se renflouer Perché piangi et Oh ! Dille tu. Il fallait plaire au public victorien en lui offrant un exotisme sans trop d’inattendu. Rebeka soutient ces partitions aimables avec panache.

Cela dit, malgré tout le talent qu’elle y met, la mélodie de Widor reste un pensum…

Passages obligés

Mais ç’aurait été dommage de se passer de quelques mélodies fameuses, sous prétexte qu’elles le sont.
L’Invitation au voyage (Baudelaire/Duparc) devient une pièce aérienne, se perchant sur les sommets de la voix. Marina Rebeka prend le parti d’en faire une grande chose, quasi un air d’opéra, vaste et radieux, et le toucher liquide _ oui _ de Mathieu Pordoy suggère à merveille les flots des canaux où flottent les vaisseaux…

La Flûte enchantée, deuxième mélodie de Shéhérézade (Klingsor/Ravel), rayonne _ oui, comme jamais _ de sensualité et de transparence _ absolument… La voix dorée s’alanguit, portée par un souffle inépuisable. Les couleurs du piano, tout aussi voluptueuses _ oui ! _, sont à l’unisson.

Les Roses d’Ispahan (Leconte de Lisle/Fauré) est d’un charme irrésistible _ oui _ et vaudrait le voyage à elle seule. La ligne serpentine de la mélodie, évoquant la silhouette de Leïla, la clarté du timbre, la diction distillée et impeccable (on ne perd pas un mot), le plaisir à séduire, les arabesques 1900, tout concourt à un plaisir teinté de mélancolie.

Qu’en est-il aujourd’hui de cet Orient-là ?

voilà.

D’abord mozartienne, puis belcantiste, Marina Rebeka s’illustre depuis peu _ au contact de Mathieu Pordoy ?.. _ dans la musique française. Il y eut Thaïs à Monte-Carlo en janvier 2021, plus récemment La Vestale au Théâtre des Champs-Elysées, avec à paraître un enregistrement estampillé Palazzetto Bru Zane. Au disque, il y avait eu au printemps 2020 Elle, tout entier consacré à l’opéra français. Et voilà que le nouveau disque que la soprano lettone revient, toujours sous son label Prima Classic, dans un répertoire où l’on ne l’attendait pas forcément : la mélodie française _ voilà. Et pas avec orchestre, mais avec piano, et accompagnée par rien moins _ mazette ! _ que Mathieu Pordoy. Surtout, le programme ne se contente pas de parcourir tous les lieux communs et passages obligés, mais propose au contraire d’explorer des pages inconnues de la plupart des mélomanes _ oui ! Rien d’étonnant à cela si l’on sait que le choix des pièces a été guidé par les conseils avisés du susdit PBZ _ Palazzetto Bru-Zane… Il est heureux qu’une artiste du calibre de Marina Rebeka ait le courage de s’aventurer au beau pays des raretés, et jamais audace ne se sera avérée aussi fructueuse, puisque Voyage offre son lot de vraies révélations.

La thématique de l’exotisme n’est certes pas d’une originalité folle, mais chacun conviendra qu’en dehors des « Roses d’Ispahan » et de l’incontournable « Invitation au voyage », à peu près tout de ce que l’on entend ici sort des sentiers battus _ en effet ; et c’est très très bien ! Même « La flûte enchantée », extraite de la Shéhérazade de Ravel, n’est pas si courante _ en effet _ dans sa version avec piano _ elle est absolument resplendissante. Et si le programme inclut un peu plus d’œuvres de compositrices que de compositeurs (14 plages sur 23), ce n’est pas simplement pour être dans l’air du temps. Le « Chant slave » de Cécile Chaminade est plein de caractère et de sauvagerie, et les mélodies de Pauline Viardot sur des poèmes russes dégagent un charme irrésistible. Quant à Marie Jaëll, à qui le Palazzetto avait consacré un alléchant livre-disque en 2016, le recueil de cinq Lieder qu’elle publia en 1880 sur ses propres textes en allemand est un authentique chef-d’œuvre _ oui _, une partition ambitieuse qui mériterait amplement de figurer aux côtés des plus belles réussites des maîtres du genre, et sa « Rêverie » n’est pas moins impressionnante, digne de voisiner avec Duparc. On l’aura compris, le programme inclut des mélodies en langue étrangère par des compositeurs français, Gounod et Saint-Saëns écrivant sur des paroles en italien (émouvant « Perchè piangi ? » du premier, superbe « Alla riva del Tebro » du second).

L’auditeur sera d’abord surpris _ dés la première plage du CD, en effet… _ par les tempos très étirés adoptés sur ce disque : superposant son timbre au jeu scintillant _ oui !!! _ de Mathieu Pordoy, Marina Rebeka s’exprime dans un français de grande qualité, et la relative lenteur choisie pour certaines mélodies (le Duparc introductif, notamment _ oui : il surprend, en effet _, ou même « Désir d’Orient » de Saint-Saëns, dont on entend mieux que jamais la pulsation « arabe ») permet à sa voix de se déployer avec une grande sensualité _ oui. La soprano possède des ressources telles qu’elle parvient à conférer la fraîcheur nécessaire aux mélodies russes ou à « L’innamorata » de Pauline Viardot, aussi bien que leur caractère dramatique aux lieder de Marie Jaëll, d’une inventivité constante, et d’une ampleur quasi-wagnérienne en ce qui concerne le tumultueux « Der Strum ». Marina Rebeka s’y livre sans retenue et manifeste une expressivité et un dramatisme particulièrement remarquables _ oui. Heureux ceux et celles qu’une telle artiste a choisi de défendre : une nouvelle postérité leur appartient.

Un très beau récital, donc.

Et la découverte du formidable talent au piano aussi _ quelle poésie ! _ de Mathieu Pordoy. 

Ce qui vient excellemment éclairer aussi _ et réciproquement _ sa magistrale réussite en tant que chef de chant auprès des chanteurs.

Ainsi _ et j’y reviens encore ; tant j’ai de mal à m’en détacher présentement… _ que cela s’admire en ce final proprement miraculeux de sens _ intelligence et sensibilité admirablement réunies _ et de vie _ cf à nouveau la vidéo de l’enregistrement au mois de mars 2021_, où tous, y compris, et d’abord, le chef, dansent, et dans le plus juste tempo, si merveilleusement, de « L’Heure espagnole » de Maurice Ravel et Franc-Nohain, sous la formidable baguette de François-Xavier Roth dirigeant ses somptueux Siècles _ sur magnifiques instruments de l’époque de la création, en 1911…

Bravissimo !

Ce jeudi 22 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ecouter Anne-Charlotte Rémond présenter, en son Musicopolis, « L’Exposition de 1878, un panorama musical de son époque », à partir du passionnant travail d’Etienne Jardin en son « Exposer la musique _ Le Festival du Trocadéro (Paris 1878) »

12nov

En sa décidément bien intéressante, et fort bien préparée et documentée, émission Musicopolis, sur France-Musique,

l’excellente Anne-Charlotte Rémond nous a offfert un bien beau podcast (du format de 25′) intitulé « L’Exposition de 1878, un panorama musical de son époque« ,

à partir du passionnant très riche travail de l’ami Etienne Jardin « Exposer la musique _ Le Festival du Trocadéro (Paris 1878)« ,

paru aux Éditions horizonsd’attente au mois de juin dernier…

Cf mes articles des

19 juin 2022 : «  » ;

22 juin 2022 : «  » ;

1er juillet 2022 : «  » ;

et 5 juillet 2022 : « « …

Ce samedi 12 novembre 2022, titus Curiosus – Francis Lippa

Où se recoupent les perspectives fonctionnelles du Directeur de recherches et publications du Palazzetto Bru-Zane, et celles de l’objet ici ciblé à explorer, « l’exposition de la musique », du livre « Exposer la musique Le festival du Trocadéro (Paris, 1878) » : la féconde et passionnante piste de recherche travaillée par Etienne Jardin, sur un pan jusqu’ici délaissé de la musique française, entre Berlioz et Debussy

05juil

C’est autour du concept  même d’ « Exposer la musique« ,

tel qu’il s’est initialement formé et développé dans l’esprit inventif, patient et à terme efficace, d’Ernest L’Épine (Paris, 12 septembre 1826 – Paris, 4 février 1893), le promoteur finalement heureux de l’intuition originale publiquement exprimée dès 1854, puis rappelée avec énergie en 1863 et 1876 _ « les textes d’Ernest L’Epine réclament, pour la musique, l’équivalent du Salon de peinture et de sculpture« , lit-on  à la page 93 du livre d’Étienne Jardin ; et « sa formulation à la veille de chaque exposition parisienne _ de 1855, 1867 et 1878 _ indique bien que ce type d’événement apparaît à son auteur comme un moment stratégique pour lancer ses auditions périodiques« , qui lui tiennent puissamment à cœur !.. _ d’intégrer à l’Exposition universelle de Paris, qui doit se tenir au Trocadéro, en 1878, une série éminemment spectaculaire pour le public d’auditions de concerts, qui se dérouleront effectivement du 6 juin au 10 novembre 1878, dans une très vaste salle de concerts spécialement édifiée ad hoc pour de telles exhibitions musicales, d’une part,

mais aussi, d’autre part, eu égard aux fonctions mêmes de la très dynamique Fondation du Palazzetto Bru-Zane – Centre de musique romantique française, et du riche travail méthodique, précis et excellemment documenté, d’exploration de son Directeur des recherches et publication qu’est Étienne Jardin, je veux dire, ici, en cette mission d' »exposer la musique« ,

et donc au carrefour-rencontre de perspectives _ naissantes, déjà, au XIXe siècle, et archi-développées aujourd’hui… _ de regards spécialement dynamisés par cet objectif très ciblé d’exposer le mieux possible au public les concerts mêmes de musique _ à une époque où n’existaient bien sûr pas encore les enregistrements discographiques ni radiophoniques… : le grand public ne pouvait donc découvrir-entendre-écouter la musique qu’interprétée effectivement au concert… _,

que prend place aujourd’hui le passionnant et très fécond travail de 384 pages, que vient nous offrir, avec son livre « Exposer la musique Le festival du Trocadéro (Paris, 1878)« , qui vient de paraître aux Éditions horizonsd’attente,

Étienne Jardin.

Et la démarche de recherche d’Étienne Jardin se penche donc aussi, au delà de l’histoire assez récente alors des expositions universelles _ Londres, 1851 ; Paris, 1855 ; Londres, 1862 ; Paris, 1867 ; Vienne, 1873 ; Philadelphie, 1876 ; Paris, 1878 _ sur l’histoire bien intéressante, elle aussi, et bien plus en amont, des concerts publics, dans l’histoire de la musique.

Quant à l’usage ici, par Étienne Jardin, du terme de « festival » pour cette dense succession de 105 concerts donnés lors des cinq mois de cette exposition universelle de Paris en 1878, s’il n’est jamais prononcé par quiconque pour cette manifestation de 1878 : de fait, « les observateurs de l’époque se bornent à ne considérer que des séries de concerts, entremêlées certes, mais tout à fait dissociées. (…) La notion de festival telle que nous la connaissons aujourd’hui n’est pas encore forgée en 1878. Le mot se voit d’ailleurs encore utilisé pour désigner une grande réunion d’artistes, un concert monstre unique. Faute de terme pour le penser, l’unité de ces auditions échappe aux commentateurs« , lit-on page 298.

Et il faut attendre 1881, avec le « Rapport administratif sur l’Exposition universelle« , pour obtenir « le premier document à traiter le festival dans son unité. Au chapitre « Notice sur les auditions musicales », après une nouvelle description par séries, le rapporteur considère le phénomène dans son ensemble et calcule tous les concerts pour donner une idée de l’ampleur de la tâche accomplie : « Ces auditions musicales, dans les 108 séances qui se sont données, dont 65 pour la France et 43 pour l’étranger (…) ont fait connaître les écoles et les interprètes de tous les pays. Quels rapprochements curieux, quelles comparaisons fécondes… », lit-on encore page 301. Voilà.

La venue et le rassemblement en un laps de temps limité _ au moins une journée au cours des cinq mois allant du 6 juin au 10 novembre 1878 _ et en un même lieu _ au Trocadéro, à Paris _ d’une énorme foule, tant nationale qu’internationale _ les moyens de transport ont connu un formidable essor au XIXe siècle _, fournissait ainsi une formidable occasion à saisir de mettre en présence, aux yeux aussi des très nombreux spectateurs, et pas seulement à leurs oreilles, ce qui se donnait à connaître en matière de composition musicale à leur époque _ depuis 1830 surtout, et après la précédente exposition universelle à Paris, en 1867 _ et en les diverses nations représentées pour l’occasion à l’exposition ;

et cela en une période de l’histoire de la musique plutôt négligée jusqu’ici par les historiens de la musique en France, disons entre les noms majeurs de Berlioz et de Debussy…

Étienne Jardin précisant, à ce sujet, que le choix des œuvres présentées à écouter interprétées aux concerts donnés à ce « festival » du Trocadéro de 1878, selon la sélection de la commission réunie ad hoc lors de multiples séances de préparation, privilégiait le point de vue des compositeurs demandeurs de présentation-exposition de leurs œuvres, plutôt que celui des attentes supposées de la part du public, très divers, susceptible d’assister à ces auditions de musique interprétées par les instrumentistes de l’orchestre et les chœurs de chanteurs, voire au grand orgue Cavaillé-Coll construit expréssément pour l’événement :

« Le concert montre les interprètes. Son public vient entendre des pièces dont il contemple l’exécution. (…) La musique, au concert, est exhibée pour elle-même« , lit-on ainsi page 33…

Ce mardi 5 juillet 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

« Ut pictura musica », une clarissime recension du passionnant et très riche « Exposer la musique _ Le festival du Trocadéro (Paris, 1878) » d’Etienne Jardin, par Laurent Bury, sur son Wanderersite.com…

01juil

En répose à mon vœu que son « riche « Exposer la musique » trouve son chemin effectif auprès de son lectorat potentiel…« ,

Étienne Jardin vient de me faire parvenir une très belle première recension, intitulée « Ut pictura musica« , de ce passionnant « Exposer la musique _ Le festival du Trocadéro (Paris 1878)« , rédigée par Laurent Bury, sur son site wanderersite.com,

que je m’empresse bien sûr de relayer ici _ avec mes propres menues farcissures, en vert…

Le titre intrigue tout d’abord _ en effet ! _ : que peut bien vouloir dire « exposer la musique » ? Exposer des instruments, comme cela se fait dans la plupart des capitales européennes ? Et le sous-titre rend plus perplexe encore : on croit se rappeler qu’il y eut bien, dans l’édifice qui précéda l’actuel Trocadéro, une gigantesque salle de concerts, mais qui a jamais entendu parler d’un « festival » en 1878 ? _ et ce terme, en effet, ne fut pas alors employé… Il y a une quinzaine d’années, la Cité de l’architecture et du patrimoine avait publié, en partenariat avec Actes Sud, un volume intitulé Le Palais de Chaillot, où le texte signé Pascal Ory était accompagné d’un CD-ROM permettant la visite virtuelle du bâtiment conçu par Gabriel Davioud, architecte du Théâtre du Châtelet, et dû à l’ingénieur Jules Bourdais, pour la troisième Exposition universelle organisée par la France _ après celles de 1855 et 1867, sous le Second Empire. Autrement dit, le livre que fait paraître Étienne Jardin aux éditions Horizons d’attente est consacré au rôle _ oui _ qu’a pu jouer la musique lors de cette manifestation, et l’on comprend très vite que son curieux titre est parfaitement justifié _ mais oui ! _, dans la mesure où les organisateurs dudit événement et leurs contemporains ont eux-mêmes employés l’expression très inhabituelle d’ « exposition musicale » (par exemple dans le journal Le Temps, en juin 1878), pour désigner ce que l’on qualifierait bien plutôt aujourd’hui de festival.

La formule apparaît d’autant plus judicieuse que, dans les discours de l’époque, un rapprochement ne cesse d’être fait entre deux arts fort diversement traités par l’État : les défenseurs de la musique invoquent en effet l’exemple des musées et des salons annuels, institutions financées par les autorités, qui estiment donc nécessaire d’encourager les « beaux-arts ». La musique semble alors être le parent pauvre _ voilà _, dans la mesure où, jusqu’au milieu du XIXe siècle, elle doit se contenter de l’initiative privée _ voilà _ pour subsister ; c’est surtout vrai des compositions non scéniques, mais même l’Académie royale ou impériale de musique n’a pas toujours été aussi soutenue que son nom pourrait le laisser penser. Autrement dit, il était urgent que le gouvernement consacre des fonds à aider la musique selon ses modalités spécifiques d’exposition : auditions périodiques permettant de découvrir la production des compositeurs vivants (équivalent du Salon annuel de peinture _ voilà _) et concerts historiques permettant de faire entendre les grandes œuvres du passé (équivalent du musée _ oui _). A l’approche des deux premières Expositions universelles parisiennes, celles de 1855 et de 1867, l’écrivain et dramaturge Ernest l’Épine remettait sur le tapis son projet, sans jamais trouver une oreille favorable. La troisième _ celle de 1878, donc _ allait lui accorder une revanche, puisqu’il fut décidé qu’une série de concerts accompagnerait l’exposition des arts, de l’artisanat et de l’industrie. Il ne manqua pas de journalistes hostiles à cette manifestation pour dénoncer le Salon des Refusés que constituaient ces auditions, où avaient trouvé place des compositeurs jugés « ratés » ou contaminés par l’école allemande.

Et si, comme l’annonce modestement Étienne Jardin à la fin de son livre, il reste à écrire une histoire musicale de la Salle des fêtes du Trocadéro de son inauguration 1878 jusqu’à sa démolition en 1937, son volume pose magnifiquement la première pierre de cette entreprise _ oui. Grâce à ses recherches exhaustives _ tout à fait : car il se trouve que des œuvres qui n’ont jamais été publiées par leurs auteurs, et dont les partitions manuscrites ou bien ont disparu, ou bien sont ne sont pas publiquement répertoriées _ dans les archives du Ministère de l’agriculture et du commerce, le musicologue attitré du Palazzetto Bru Zane propose en effet une vision panoramique _ oui ! _ de cette « Exposition musicale » injustement dédaignée (alors que l’Exposition de 1889 et ses gamelans balinais ayant influencé Debussy a bien davantage attiré l’attention). Après avoir montré que le terme « festival » _ utilisé d’abord et depuis longtemps en Angleterre _ était alors encore peu usité en France, et réservé aux exécutions musicales réunissant une foule _ parfois même « monstrueuse«  _ d’exécutants, Étienne Jardin retrace _ avec minutie, et c’est passionnant à suivre… _ les différentes étapes d’un processus qui fut, en lui-même, étonnamment rapide – le président MacMahon annonça en avril 1876 une manifestation qui ouvrirait le 1er mai 1878 et durerait cinq mois –, non sans remonter _ aussi, et c’est là aussi éclairant _ jusqu’aux origines de la forme du concert public et « savant » en France.

Une Commission des auditions musicales se réunit pour la première fois neuf mois _ seulement _ avant l’ouverture de l’exposition _ le 1er mai 1878 _, les deux mamelles de ses délibérations étant donc précipitation et confusion. Certaines problématiques alors primordiales sembleront aujourd’hui bien désuètes, comme ces débats sur la nationalité des compositeurs (fallait-il considérer comme françaises les œuvres crées à Paris mais écrites par des étrangers ? Ne fallait-il tolérer que les musiciens naturalisés ?), mais ce serait oublier que la capitulation de Sedan était encore présente dans tous les esprits, c’est pourquoi l’Allemagne ne fut évidemment pas conviée à participer à la fête musicale _ en effet ; de même que la chute de l’Empire napoléonien, en 1815, a déchaîné l’expansion des nationalismes en Europe, et en ses colonies. Il était hors de question d’interpréter le moindre morceau de Wagner, mais, non sans une certaine ironie, ce sont des Teutons qui dominèrent les programmes symphoniques _ via le off du Festival, et les iniatives des institutions invitées… _, le tiercé gagnant étant Mendelssohn-Bach-Haendel, suivis de loin, chez les vivants, par Verdi, Saint-Saëns et Gounod.

Faute de moyens financiers _ ainsi qu’au vu de la brièveté des délais impartis, aussi _, très peu d’orchestres étrangers purent faire le déplacement, certains pays devant se contenter d’envoyer un contingent de choristes, ou des représentants de cette « Musique pittoresque » _ censée intéresser (et drainer à l’Exposition) un plus large public… _, catégorie dans laquelle auraient dû se trouver réunis les chants bretons ou corses (grands absents en fin de compte), les tziganes et autres danseurs folkloriques.

Sur l’immense scène du Trocadéro, il fallait un orchestre doublé, mais comme l’immense salle (4700 places) ne devait servir que l’été et en plein jour, il ne parut pas nécessaire d’y installer éclairage ou chauffage – mais le système de ventilation fut complimenté. L’acoustique posait quelques problèmes de réverbération, et le grand orgue Cavaillé-Coll ne fut _ un peu tardivement _ livré qu’en août _ mais avec un grand succès de foule… Une programmation jugée trop sérieuse explique peut-être les résultats médiocres en termes de fréquentation, une fois passée l’excitation de l’inauguration. En marge des concerts officiels, un « festival off » comme on ne disait pas encore, sut davantage attirer les foules, en proposant une offre plus diversifiée _ ou éclectique _ mêlant théâtre parlé, fanfares militaires et musique légère.

Tout au long de ces trois cent cinquante pages, on suit avec plaisir le récit mené de main de maître _ oui ! _ par Étienne Jardin, truffé d’informations dûment référencées _ oui, Étienne Jardin est un chercheur très scrupuleux _, et émaillé de passages qui montrent un beau sens de la formule, où l’humour a lui aussi _ mais oui ! _ sa place. A une époque où il n’existe à Paris aucune salle véritablement destinée à accueillir les auditeurs, « Tel un bernard‑l’ermite, le concert se trouve des lieux de vie qui n’ont pas été conçus pour lui » (33). Comme le Salon du Livre encore récemment hébergé là où venait de se déroulait le Salon de l’Agriculture, les concerts donnés dans des cirques devaient _ jusqu’alors _ composer avec certains « désagréments olfactifs », mais en cherchant des sites dédiés, « la France tente de sortir du crottin » (119). Les organisateurs des concerts du Trocadéro ne savent bientôt plus où donner de la tête : « Entre les réflexions sur la date à laquelle débute la modernité musicale _ à établir… _ et les réclamations faites afin d’obtenir la gratuité des toilettes pour les artistes, le spectre des interventions de la commission est décidément bien vaste » (179). La manifestation ne vise qu’à édifier le public : « Là réside peut-être la plus grande originalité de l’expérience du Trocadéro en 1878 : l’audace – ou l’irresponsabilité – de penser une série de  concerts sans se soucier de sa rentabilité » (231). Ou encore, à propos du prestige dont jouissent les organistes bien qu’invisibles dans leur tribune, en partie comparable à celui des virtuoses de la première moitié du siècle : « Le compositeur-interprète n’est pas mort : il est simplement caché » (298).

S’il est curieux de désigner le baron Isidore Taylor par son deuxième prénom, d’où une homonyme surprenante avec le claveciniste Justin Taylor (note 28, page 89), le volume est remarquablement dénué de coquilles : tout au plus trouvera-t-on sur la même page 227 deux orthographes pour le compositeur Victor Verrimst, et une étrange féminisation du Théâtre de l’Ambigu-Comique, page 237 _ ainsi que trois autres, aux pages 254, 332 et 334.

On attend désormais _ mais oui ! _les éventuels prochains épisodes de cette riche histoire, mais on se déclare surtout prêt à suivre Étienne Jardin dans toute autre aventure où il lui plaira d’entraîner son lecteur _ voilà…

Cf aussi mon article du 22 juin dernier,

et l’excellente métaphore du sismographe que met si judicieusement en œuvre Rémy Campos, en sa lumineuse Préface au travail d’Étienne Jardin :

« « …

Ce vendredi 1er juillet 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un premier regard de recul rétrospectif, après une première lecture, sur le passionnant très riche travail de recherche d’Etienne Jardin en son très remarquable « Exposer la musique Le festival du Trocadéro (Paris 1878) », aux Editions horizonsd’attente…

22juin

 

Voici le courriel que je viens d’adresser ce matin à Étienne Jardin,

après un premier regard de lecture sur les 384 pages de son très riche et passionnant « Exposer la Musique Le festival du Trocadéro (Paris (1878) », qui vient de paraître hier, 21 juin _ jour de la Fête de la Musique ! _ aux Éditions horizonsd’attente.

Cher Étienne,

alors que, pour qualifier la brillante singularité de votre enquête, je m’étais proposé à moi-même l’image d’une « carotte géologique à fouiller » dans la musique du XIXe siècle, à partir de l’événement ponctuel _ de cinq mois et quatre jours : les 108 séances (page 301) de concerts « exposés » de ce très riche festival de musique ont eu lieu du 6 juin au 10 novembre (page 233), avec plus de 750 œuvres jouées (page 304) _ de l’Exposition universelle de Paris en 1878,
voici que,
et à côté de votre propre métaphore du « pli à ouvrir » dans l’histoire de la musique (à la page 340 du livre, et à la page 339, l’expression a été en quelque sorte reprise, a posteriori, afin de donner son titre au sous-chapitre qui traite de cela : « Dans un pli à ouvrir dans l’histoire de la musique »), afin de « scruter une génération oubliée, certes, mais pas stérile » _ même si Étienne Jardin applique alors spécifiquement cette métaphore à la question du répertoire, avec toutes ces œuvres (dont le contenu effectif de certaines, non conservé, perdu, manque aujourd’hui !) et tous ces auteurs effacés de notre mémoire collective _,
Rémy Campos, lui, propose, à la page 10 de sa Préface, l’image superbe d’ « un sismographe (fiché dans la société française des débuts de la Troisième République) dont il fallait avoir l’idée d’analyser les mouvements »,
pour beaucoup d’entre eux quasi inaperçus jusqu’alors de la recherche historienne de la musique, assez peu curieuse jusqu’ici de ce moment précis-là, la décennie 1870, de la musique en France…
Fouiller la richesse d’une carotte géologique enfoncée et extirpée de la profondeur historique d’un sol, à la façon dont procèdent, par exemple, les archéologues pour affiner leurs datations,
ouvrir un pli, dans la double acception de ce terme : d’abord et surtout un pli (leibnizio-deleuzien) à déplier dans la richesse de ses multiples (voire infinies) connexions à révéler et comprendre ; mais aussi un courrier à parcourir et explorer dans le menu détail de ce qu’il s’avère receler !,
analyser les différentiels des variations complexes des infra-mouvements saisis d’un sismographe :
trois gestes ou opérations de recherche imaginative et méthodique fondamentalement dynamiques…
Puis savoir en proposer une synthèse ramassée, à la fois précise et éclairante pour le lecteur : ce que le livre réalise parfaitement.

Bravo !
La richesse de votre moisson est passionnante.
Francis
À suivre, bien sûr !
Ce mercredi 22 juin 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa
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