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Le double miroir en actes de l’écrire de l’autrice, Hélène Cixous, et du lire de son lecteur, en le saisissant « Incendire – Qu’est-ce qu’on emporte ? » : personnes et personnages, Littérature et Histoire, et le génie Cixous…

27nov

Conformément à ma méthode de lecture suivie d’une œuvre vraiment très riche ou un tant soit peu complexe, voire inépuisable de celle qu’entre toutes je préfère : à la Montaigne, si l’on veut… _, mais oui !, d’un auteur,

j’aime m’attacher à rechercher au moins quelques tenants sinon quelques aboutissants qui ? comment ? quand ? où ? _ un peu masqués ou très peu exposés d’une œuvre de vraie littérature, telle qu’ici le magnifique « Incendire – Qu’est-ce qu’on emporte ? » cf mon article tout ébloui d’hier : «  »  _ de la chère Hélène Cixous…

Et, par exemple, obtenir le maximum de précisions sur certains des personnages au passage à peine cités, ou à peine évoqués, de ses récits issus ou bien de sa propre mémoire, ou bien des mémoires rapportées  au second degré, donc _, de certains de ses interlocuteurs, souvent de prédilection, comme l’a été toute sa vie durant sa chère mère Ève Cixous, née Klein _ Strasbourg, 10 avril 1910 – Paris, 1er juillet 2013  _ ; ou maintenant, les mémoires ou suggestions d’interlocuteurs plutôt témoins qui se comprennent et se déchiffrent à la seconde, à la moindre inflexion de la voix, du regard, ou du geste… _ un peu secondaires assez discrets et plutôt peu sollicités cette fois… _ de son récit, sa fille Anne-Emmanuelle _ et son fils Pierre-François _ qu’on suppose avoir été au moins un peu présents, ce mois de juillet 2022, en sa maison d’écriture, en une Allée discrète des Abatilles, au fin fond un peu caché d’Arcachon, sous et parmi les pins, aux alentours de l’épisode hallucinant, survenu à partir du 12 juillet 2022 cf les inquiétudes que j’exprimais en mon article du 15 juillet 2022 : « « , dans lequel j’évoquais bien sûr la chère Hélène en sa maison d’écriture, toute proche, aux Abatilles… _, de l’incendie de la forêt voisine et très proche de l’Eden, sur le territoire de la commune de La Teste-de-Buch…

L’imageance _ puisque tel est le concept que j’ai forgé à partir des travaux lucidissimes de mon amie Marie-José Mondzain _ de l’écrire-créer d’Hélène Cixous a quelque chose d’infini-inépuisable où elle est en capacité d’infiniment puiser : du moins « tant qu’il y aura de l’encre et du papier » et un souffle de vie vraiment consciente, comme chez Montaigne, Proust, et tous les vrais artistes fondamentalement créateurs _ cf aussi le beau concept d’ « artisticité » que met, en ses enchaînement de ré-emplois, d’un artiste à un autre, en un bel et très fécond exercice d’analyse l’ami Bernard Sève en son tout récent « Les Matériaux de l’art »
Avec parmi les conditions ultra-pragmatiques d’Hélène à son écritoire, comme pour Montaigne la chère librairie de sa chère tour de Montaigne, sa discrète _ parmi et sous les pins, et à portée des souffles de l’Océan _ maison estivale d’écriture des Abatilles, où elle se met en capacité, durant deux mois d’été (juillet et août) de se faire ultra-attentive à l’absolument exclusive réception des _ et interlocution avec les _ plus infimes vibrations signifiantes des voix de ses plus chers interlocuteurs lointains ou disparus, telle, au premier rang desquels fantômes de disparus _ mais c’est là la très simple et très évidente continuation des vifs échanges ultra-intenses et explosifs de toute leur vie entre le 5 juin 1937, à Oran, de la naissance d’Hélène, et le 1er juillet 2013, à Paris, du dernier soupir d’Ève _, sa chère mère voyageuse Ève (Strasbourg, 10 avril 1910 – Paris, 1er juillet 2013), son interlocutrice préférée, son plus cher « contre », pour reprendre l’expression de Giono en son beau et fort « Les Âmes fortes »…
Ève Klein épouse Cixous, le maillon principal et nodal, avec sa propre mère Rosie _ Omi, sa grand-mère maternelle, pour Hélène _ Jonas épouse Klein (Osnabrück, 23 avril 1882 – Paris, 2 août 1977) mais assez peu loquace, elle : « Omi n’a pas narré », lit-on à la page 128 d’ « Osnabrück », paru aux Éditions des femmes, en 1999 ; cependant, quelques lignes plus loin, page 129, on peut lire aussi ceci, crucial : « Omi aimait faire rouler les noms des siens sur sa langue ils nétaient pas ses éloignés sinon par les distances, ils lhabitaient présents et je les ai moi-même entendu nommer vivants par la voix de ma grand-mère, ils étaient dans sa chair elle faisait lappel et ils répondaient, ceux qui étaient morts dans les camps aussi, elle leur donnait encore sa chair pour demeurer. Andreas Jenny Paula Moritz Hete Salo Zophi Michael Benjamin Ensuite commença le conte. Et ce nest plus du tout la même histoire ni les mêmes personnages. Ceux dOmi étaient différents les uns plus intérieurs, plus chéris plus chauds plus sanguins parfois ils avaient des humeurs, des chagrins et jusquau désespoir. Ceux d’Omi encore vivant delle après leur mort. Les mêmes racontés par ma mère, Oncles racontés, tantes rattrapées sur le pas de la porte. Ceux de ma mère pareils jeunes gais entreprenants raisonnablement. A les suivre on voit bien les goûts personnels de lauteur, sa mentalité et sa morale »…  _aux ou avec _ les Jonas d’Osnabrück, en l’occurence les 9 _ et non pas 8 comme indiqué ailleurs plusieurs fois enfants d’Abraham Jonas (Borken, 18 août 1833 – Osnabrück, 7 mai 1915) et son épouse Hélène Meyer (?, 17 mai 1845 – Osnabrück, 21 octobre 1925), installés à Osnabrück en 1881, semble-t-il :
à Osnabrück, «  les Jonas se sont installés en 1881. (..) C’étaient des gens qui avaient 9 enfants _ voilà ! _ et le goût de l’entreprise »,
lit-on ainsi à la page 95 de « Défions l’augure ».
Soit, entre ce 9 et ce 8, une difficulté de cohérence _ qui interpelle le lecteur un peu attentif que je suis _ de l’Œuvre-Cixous envisagée comme un tout, étant donné qu’ailleurs, en ses récits _ de littérature, et pas d’histoire documentaire : Hélène est évidemment ultra-sensible à cette distinction… _, Hélène Cixous le plus souvent n’en dénombre que 8 de ces 9 (selon « Défions l’augure ») enfants Jonas :
_ Andreas Jonas, époux d’Else Cohn (Borken, 5 février 1869 – Theresienstadt, 6 ou 9 juin 1942),
_ Jenny Jonas, épouse de Meyer Seehoff (Borken, 10 décembre 1870 – Hambourg, 17 avril ),
_ Paula Jonas, épouse d’Oskar Löwenstein (Borken, 5 janvier 1874 – New-York, 18 mai 1950),
_ Hedwig-Hete Jonas, épouse de Max Stern (probablement Borken, 20 octobre 1875 – ?),
_ Moritz Jonas, époux de Selma Frank (?? – peut-être Johannesburg, ?),
_ Zalomon Jonas, époux d’Helen x (Osnabrück, 1880 – ??),
_ Rosi Jonas, épouse de Michael Klein (Osnabrück, 23 avril 1882 – Paris, 2 août 1977),
_ Benjamin Jonas (Osnabrück, ? – Cincinnati, 1901)… _,
8 ou 9 de ces enfants d’Abraham Jonas et son épouse Helen Meyer ;
et dont les diverses listes de prénoms parfois énoncés au passage dans tel ou tel opus d’Hélène Cixous, aussi varient, en fonction de la mémoire un peu fluctuante que  l’autrice prête au personnage surtout de sa chère mère Ève, telle, du moins, qu’Hélène-l’autrice la fait parler-raconter en les divers récits que régulièrement, année après année, saison d’été après saison d’été passée exclusivement à écrire à Arcachon, lui livre « le Livre » dont elle écoute et suit très fidèlement la dictée, en sa chère maison d’écriture des Abatilles, à propos de ses divers oncles et tantes Jonas
à la notable différence (pour quelles raisons ?) de la généalogie détaillée des Klein qu’Hélène Cixous offre sous le titre de « Family Tree Klein from Tyrnau (Slovakia) » aux pages 193-194 de l’ « Hélène Cixous, Photos de Racines », paru aux Éditions des femmes en 1994 ;
et alors que bien peu de mentions dans les récits-Livres d’Hélène Cixous concernent cette branche familiale maternelle, elle aussi, des Klein, de Trnava, en Slovaquie …et puis Strasbourg ;
sinon quelques mentions discrètes par Hélène Cixous de cousins et cousines issus de ces Klein (de Strasbourg) contemporains d’Hélène ;
à ne pas confondre avec ses cousins issus, eux, de Cixous (d’Algérie)…
Et le lecteur immanquablement soucieux de repérage et orientation que je suis (et demeurerai !), est très indéfectiblement curieux d’apprendre et comprendre qui, de fait, se trouve bien être factuellement, et non pas fictivement, qui.

C’est passionnant aussi de peu à peu, lecture d’opus après lecture d’opus, déchiffrer et comprendre les soubassements factuels historiques bel et bien advenus, et souvent tragiquement

même si le génie comique d’Hélène Cixous est proprement désopilant ! Cf mes articles de novembre 2022 à propos de « MDEILMM : parole de taupe«  ;

par exemple, celui du 16 novembre : « « , pour le titre duquel j’emploie effectivement l’adjectif « désopilant »... ;

ou celui du 17 : « «  ;

ou encore celui du 18 : ‘«  _

des récits de cette sublime littérature-là d’Hélène Cixous,

dont non seulement chaque page, chaque ligne, mais même chaque mot, y compris chaque page, chaque ligne et même chaque mot qui sont interrompus-coupés ! mais jamais arbitraiement (à la Oulipo, ou à la Surréaliste !), mais toujours selon une profonde vraie nécessité de l’écrire ! _,

sont des enchantements de totale surprise, mais oui !, et absolument admirative…

Nobelisable, ai-je déjà dit et si les titres, bien sûr, valent quelque chose de vrai et d’honnête, ce qui est loin d’être toujours vraiment le cas… _,

en ouverture de mon entretien avec Hélène à propos de son merveilleux « 1938 _ nuits« , le 23 mai 2019, à la Station Ausone, comme cela s’entend au tout début de la miraculeuse vidéo

Ce samedi 25 novembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Les deux créations, en 2011 et 2023, de « La Bête dans la jungle », l’opéra d’Arnaud Petit et Jean Pavans : le 10 mai 2011 au Forum du Blanc-Mesnil, puis, augmentée d’une ample sublime scène finale (d’après « L’Autel des morts », toujours de Henry James ), le 14 avril 2023 à l’opéra de Cologne, sous la direction musicale, les deux fois, de François-Xavier Roth…

25juin

Reçu hier samedi à 11h 26, toujours de Jean Pavans,

en complément de ce qu’il m’avait déjà fait parvenir _ cf mon article d’hier « «  _ de son livret de « La Bête dans la jungle » d’Arnaud Petit et lui-même,

ce très remarquable _ et tout à fait éclairant ! _ texte de présentation de cette « Bête dans la jungle » de musique, à destination des spectateurs des six représentations données à l’Opéra de Cologne au mois d’avril dernier :

La morte saisit le vif

Jean Pavans

« Ses personnages, avec leur extrême finesse de perception, sont déjà à mi-chemin de se dégager de leur corps. Il n’y a rien de violent dans leur trépas. Ils semblent plutôt avoir enfin accompli ce qu’ils ont longtemps tenté : la communication sans obstacle« .

Virginia Woolf Les histoires de fantôme de Henry James TLS, 22 décembre 1921.

Un jeune Anglais (ou peut-être est-il d’origine américaine), John Marcher, et une jeune Anglaise, May Bartram, sympathisent par un jour d’orage dans les ruines de Pompéi, au cours d’une excursion effectuée avec quelques amis communs. John a vingt-cinq ans, May a vingt ans.

Une dizaine d’années plus tard, sans s’être revus entre-temps, ils se retrouvent par hasard lors d’un déjeuner mondain dans un manoir de la campagne anglaise. John a un vague souvenir de May, May se souvient très précisément de John, et des circonstances. Elle lui affirme qu’il lui avait alors fait un aveu dont elle a été vivement frappée, acte que lui-même déclare avoir complètement oublié. Ce dont John est certain, c’est que, cet aveu, il ne l’a jamais fait à personne d’autre que May.

Dès lors, tous deux, lui comme célibataire timide et solitaire, elle comme vieille fille d’humeur exclusive, vont nouer à Londres une tendre et constante amitié, dans des moments récurrents d’intimité secrète et complice.

Telle est la mise en perspective du projet que Henry James note en 1901 dans ses carnets, et dont il fera deux ans plus tard La Bête dans la jungle 1.

………………

1 The Beast in the Jungle a paru pour la première fois dans The Better Sort, édité en février 1903 simultanément chez Methuen à Londres et Scribner’s à New York. Ce recueil comporte dix autres nouvelles _ voilà _ d’inégales longueurs et valeurs, pour la plupart déjà publiées en revues.

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« Lamb House, 27 août 1901.

En attendant, il y a quelque chose d’autre — une très mince fantaisie* probablement — dans une petite idée qui me vient d’un homme de plus en plus hanté par la peur, durant toute sa vie _ voilà ! _, que quelque chose lui arrive bientôt : il ne sait pas vraiment quoi. Sa vie paraît sûre et ordonnée, ses actes et ses possibilités (comme résultat de sa peur) sont largement réduits et entravés, si bien que les années passent et que le coup ne tombe pas. Pourtant “Ça va se produire, ça peut encore se produire”, se trouve-t-il croire — et il le dit en fait à quelqu’un, quelque deuxième conscience dans l’anecdote. “Ça se produira avant ma mort ; je ne mourrai pas sans ça.” Finalement je pense qu’il faut que ce soit lui qui comprenne — et non la deuxième conscience.

Cette “deuxième conscience” ne doit-elle pas être une femme, et est-ce que ce ne doit pas être elle qui l’aide à comprendre ? Elle l’a toujours aimé — cela, pour la “joliesse” de l’histoire _ note donc alors Henry James _, et, comme il économise, protège, exempte sa vie (vraiment toujours à cause et en faveur de sa peur), il ne l’a jamais su. Elle lui plaît, il lui parle, il se confie à elle, il la voit souvent — la côtoie* mais ne devine pas sa passion cachée _ pour lui. Elle, durant tout ce temps, voit la vie de son ami telle qu’elle est _ avec lucidité. C’est à elle qu’il confie sa peur — oui, elle est la “deuxième conscience”. D’abord, elle le plaint pour son sentiment de peur, elle est tendre, rassurante, protectrice. Puis elle discerne, je l’ai dit, la vérité en lui, elle est lucide, mais sans rien en dire.

Les années passent, et elle voit que rien ne se produit. Enfin, un jour, ils regardent en quelque sorte la chose en face, et alors elle parle. “Elle s’est produite, cette grande chose dont vous aviez le pressentiment et dans la peur de laquelle vous avez toujours vécu — elle vous est arrivée.” Il s’étonne — quand, comment, qu’est-ce que c’est ? “Ce que c’est ? Eh bien, c’est que rien n’est arrivé !

Puis, plus tard, je pense, pour continuer la joliesse _ du récit _, il faut que lui-même voie, qu’il comprenne. Elle l’a toujours aimé — et cela, c’est quelque chose qui aurait pu se produire. Mais _ Kairos tranchant…  _ c’est trop tard — elle est morte. C’est du moins ce qu’il conclut par la suite, après un intervalle, je pense, après la mort de son amie. Elle est mourante, ou malade, quand elle lui dit cela. Mais sur le moment il ne

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comprend pas, il ne voit pas — pas plus loin que de reconnaître tristement avec elle que ça peut très bien être ça : que rien n’est arrivé.

Il revient ; elle n’est plus là : elle est morte. Ce qu’elle lui a dit, par sa justesse, a en quelque sorte créé en lui un plus grand besoin d’elle, et proprement un plus grand désir d’elle. Mais elle n’est plus là, il l’a perdue, et alors il voit tout ce qu’elle a voulu dire. Elle l’a aimé. (Le LECTEUR doit le comprendre à ce moment-là.) Avec ses craintes et ses viles précautions, il ne s’en était pas aperçu. C’était cela qui aurait pu arriver, et, ce qui est arrivé, c’est que ça n’est pas arrivé. » _ un texte déjà lumineux ;

et sur cette tragique stupide situation-là, jeter un œil à la terrible dernière phrase du « Le soleil se lève aussi« , d’Ernest Hemingway, en 1926 : «  »Oh, Jake« , Brett said, « we could have such a damn good time together ».
« Yes », I said. « Isn’t it pretty to think so ? » »

………………………

Un grand écrivain, un grand artiste, à son sommet, ou dans ses plus profonds abîmes, ce qu’est indubitablement Henry James avec The Beast in the Jungle, donne toujours à comprendre bien davantage que ce dont il avait l’intention à l’origine.

Or voici en effet ce que peut comprendre « le lecteur ». Ce qui est arrivé parce que ce n’est pas arrivé, c’est que May Bartram, dans une tentative qui sera vaine (elle en a pourtant bien conscience) a fait un pas pour s’offrir à John Marcher, et que John n’a pas voulu comprendre son mouvement, tout en le comprenant très bien, raison pour laquelle, justement, il se fige devant elle. C’est le moment du Bond de la Bête. La scène est décrite à la fin du chapitre IV :

« Il se rendit soudain compte, nettement et splendidement, qu’elle avait quelque chose de plus à lui donner : quelque chose qu’il voyait délicatement briller dans son visage émacié et scintiller dans son expression avec une sorte de pâle éclat argenté. Elle avait incontestablement raison, car ce qu’il discernait dans son visage était la vérité, et, curieusement, illogiquement, tandis que l’air résonnait encore de leurs propos sur la chose épouvantable à venir, elle parut la lui offrir comme une infinie douceur. »

May toutefois triomphe _ voilà _ dans la mort. À l’origine obsédé de lui-même, John finit obsédé par elle _ voilà ce qui s’est finalement produit : la morte a saisi le vif. May est un Sphinx, une Sphinge, merveilleusement décrite comme telle.

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« Pâle comme cire, avec sur le visage des marques et des signes aussi nombreux et fins que s’ils avaient été gravés par une aiguille, la blancheur de ses douces draperies rehaussée par un écharpe d’un vert fané, au ton délicat consacré par le temps, elle était l’image même d’un sphinx serein et raffiné, mais impénétrable, dont la tête, et en fait toute la personne, eussent été poudrées d’argent. C’était un sphinx, mais avec ses pétales blancs et ses feuilles vertes, elle était aussi comme un lis — un lis artificiel, cependant, merveilleusement imité et constamment tenu, sous une cloche de verre, à l’abri de la poussière et des souillures, sans être exempt d’un léger fléchissement ni d’un réseau de petites froissures. »

John est un Œdipe vaincu par la défaite du Sphinx. John est également Thésée en son Labyrinthe. May est à la fois Ariane, le Labyrinthe et le Minotaure. C’est aussi une autre Ariane mythique : l’Ariane initiée aux mystères de Barbe- Bleue, et qui en meurt. Ils sont fatalement liés l’un à l’autre par la présence absolue de l’impossible _ voilà _, à quoi tient toute la possibilité de leur amour. Leur échange est un long et délicat duo d’amour continu au bord d’un précipice inexprimable, incitant au renversement des forces, et à la traversée du miroir.

*
Paru huit ans plus tôt 2, L’Autel des morts semble surgi d’une seul bloc

animé d’un unique sentiment baigné d’une lumière ardente et homogène. Ses singulières splendeurs sont celles d’une métaphysique de l’amour.

Il y a bien des tonalités semblables dans l’amour désincarné de John Marcher et de May Bartram à la faveur de l’obsession de John, et dans l’attachement inévitable de George Stransom pour une femme (non nommée) qu’il rencontre par hasard et qui partage son culte des morts, l’obsession de George étant son souvenir de Mary Antrim, sa fiancée d’autrefois, morte avant même qu’il n’ait pu l’épouser.

2 The Altar of the Dead figure avec trois autre nouvelles, The Death of the Lion, The Coxon Fund, The Middle Years, dans le volume Terminations, paru chez William Heinemann en 1895.

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La coïncidence même qui explique finalement leur attrait irrésistible l’un pour l’autre (tous deux, George et cette femme sans nom, ont aimé le même homme, Acton Hague, qui les a différemment, mais en fait pareillement, trompés) semble une sécrétion naturelle du flamboiement des cierges que Stransom fait brûler pour tous « ses » disparus, à l’exception de Hague, qu’il s’imagine irrémédiablement haïr.

Extraordinaire et magique est l’apparition finale, parmi les flammes, de l’image de Mary Antrim, dont la voix s’unit immatériellement à la voix de l’amie trahie par Acton Hague, pour conjurer Stransom, au moment où il meurt, d’accorder une place, dans sa célébration mystique, à l’amour qu’il portait à cet homme.

La métaphysique de Henry James consiste en une sorte d’animisme qui serait inverse de la croyance chrétienne. Ce ne sont pas les Vivants qui appartiennent à l’au-delà et finiront par y retourner. Ce sont les Morts qui appartiennent à ici-bas, qu’ils n’ont jamais quitté : leur Royaume est de ce Monde.

« Ils étaient là dans leur essence simplifiée et intensifiée, dans leur absence consciente et leur patience expressive, aussi attentifs que s’ils étaient brusquement devenus muets. Quand on n’avait plus de pensée pour eux, ils ne faisaient plus aucun bruit, et c’était comme si leur purgatoire était vraiment encore sur terre : ils demandaient si peu, et par là ils obtenaient, les pauvres êtres, encore moins ; ils mouraient de nouveau, mouraient tous les jours, de la dure usure de la vie. »

*
Le lundi 30 mai 2011 était créé en concert au Forum du Blanc-Mesnil, par l’orchestre les Siècles sous la direction de François-Xavier Roth, La Bête dans la jungle, opéra (en l’occurrence oratorio) d’Arnaud Petit, dont j’avais écrit le livret. Léonore Lemaire était May Bartram, Arnaud Marzorati était John Marcher, Coralie Seyrig était la narratrice, en voix enregistrée. Il y en eut une deuxième exécution le lendemain.

Mon livret suivait docilement la construction de la nouvelle originale, ainsi, en somme, que l’avait fait Marguerite Duras dans son adaptation idéalement

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réalisée en 1981 par Alfredo Arias au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, avec Delphine Seyrig et Sami Frey, et une musique d’accompagnement de Carlos D’Alessio, qui la jouait lui-même sur scène au piano. Seulement voilà : Duras a rendu plus abrupte encore la conclusion, ou pour ainsi dire la morale, développée par James en une lente et sinueuse prise de conscience. L’égoïsme de John Marcher, son incapacité d’aimer (de désirer) une femme qui l’aime (qui le désire) s’inscrivait ainsi dans les révélations brutales qui troublaient Duras dans ces années-là, à plus de soixante ans : à savoir l’existence, dont longtemps elle n’avait pas tenu compte, d’hommes qui se détournent (sexuellement) des femmes. Et elle a appelé cela La Maladie de la mort, variation à sa manière sur The Beast in the jungle, qu’elle a publiée l’année suivante. En somme, il s’agissait bien de la même question plus généralement soulevée par la remarque si pénétrante et lucide de Virginia Woolf, mais ici dans un cas particulier : la chair (d’une femme) comme obstacle à la communication (avec un homme).

Dix ans après la création du Blanc-Mesnil, s’est présentée à Arnaud, grâce à la volonté de François-Xavier Roth, la possibilité de reprendre _ voilà ! _ sa Bête dans la jungle _ de 2011 _ sur une des trois scènes de l’opéra de Cologne, la plus petite, mais se prêtant d’autant plus aisément à une liberté de mise en espace. La première version ne durait guère plus d’une heure. Il fallait l’étoffer de moitié pour emplir une soirée _ de 105′, in fine. C’est alors que j’ai proposé d’adjoindre à mon livret _ voilà… _ la scène finale de L’Autel des morts. Ainsi, après s’être effondré sur la tombe de celle qu’il n’a pas su aimer dans la vie, John Marcher, dans une hallucination, voit apparaître le fantôme de May Bartram, son spectre, son ombre, qui l’appelle à elle pour l’entraîner dans le Royaume des Morts, comme le fait l’image de Mary Antrim avec George Stransom.

« Elle lui souriait depuis la gloire des cieux ; elle lui tendait cette gloire pour qu’il la rejoignît. Il baissa la tête en signe de soumission, et au même instant une vague nouvelle le submergea. Était-ce le basculement de la joie dans la douleur ? »

Arnaud ayant admis que cet ajout s’accordait bien avec la logique dramatique de La Bête dans la jungle, et avec la marche musicale de son opéra, sa

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partition augmentée _ de 45′ _ est créée le vendredi 14 avril 2023 dans la petite salle, donc, du Koeln Oper, pour une série de six représentations, François-Xavier Roth dirigeant l’orchestre du Gürzenich _ cette fois _, Frederic Wake-Walker assurant la mise en espace (et lui-même incarnant sur scène le Narrateur), Miljenko Turk étant John Marcher, et Emily Hindrichs étant May Bartram, ainsi que son Ombre triomphante et finale.

accompagné de ces très intéressantes explications-ci, à propos des genèses des deux versions  successives de cet opéra « La Bête dans la jungle« ,

celle de 2011 d’après la nouvelle de Henry James (en 1903),

et celle, amplement augmentée de sa sublime scène finale, de 2023, avec cet ample ajout, donc, d’après « L’Autel des morts » du même Henry James (en 1895) :

« L’opéra de La Bête dans la jungle a été à l’origine une commande (d’État) pour l’Orchestre les Siècles _ voilà ! _, créée en version de concert au Forum du Blanc-Mesnil en juin 2011.

Puis François-Xavier Roth, étant un ami de longue date d’Arnaud Petit, et ayant une grande estime pour sa musique, a fait en sorte que l’œuvre soit montée sur scène à l’Oper Köln, dont il était devenu directeur musical. Pour cela, nous l’avons augmentée de toute la dernière section, à partir de La Fuite à Venise _ à partir de la page 18 de ce livret. C’est là que la musique d’Arnaud devient de plus en plus belle et envoûtante, avec le grand air de May devenue fantôme, et le long finale orchestral avec trompette bouchée, etc.
La part créative du jeune metteur en scène (et narrateur) anglais Frederic Wake-Walker a été décisive pour la réussite artistique, et le succès public (et critique) du spectacle.
Je vous joins ici le trailer :
et le texte que j’avais écrit pour le programme »…

Une très envoûtante et bien belle musique, en effet…

Ce dimanche 25 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Post-Scriptum :

le livret de Jean Pavans pour la musique d’Arnaud Petit…

Jean Pavans

L’Opéra de La Bête dans la Jungle

pour une musique d’Arnaud Petit d’après Henry James The Beast in the Jungle (1903)

Le manoir de Weatherend, dans la campagne anglaise La maison de May Bartram à Londres
La pointe de la Dogana à Venise
Un cimetière à Londres

L’histoire se déroule sur plusieurs années.

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Narrateur.

1. Prologue.

Une salle du manoir de Weatherend.
John Marcher, homme seul, a été entraîné par un groupe d’amis pour une journée au manoir de Weatherend. Pendant le déjeuner, il a eu le sentiment de reconnaître une femme, sans précisément se souvenir d’elle. Il se retire ensuite dans une salle déserte.

Narrateur :

« What determined the speech that startled him in the course of their encounter scarcely matters, being probably but some words spoken by himself quite without intention. He had been conveyed by friends, to the house at which she was stayed. The party of visitors at the other house, of whom he was one, and thanks to whom it was his theory, as always, that he was lost in the crowd, had been invited over to luncheon. »

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Orchestre, chœur.

2. Ouverture

Chœur: «…Perdu dans la foule… Errer à sa guise… Se livrer à des appréciations mystérieuses… Une direction qui n’était pas prévue. »

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John, May. Narrateur.

3. La remémoration

Narrateur : « There had been after luncheon much dispersal, all in the interest of the original motive, a view of Weatherend itself and the fine things, intrinsic features, pictures, treasures of all the arts, that made the place almost famous ; and the great rooms were so numerous that the guests could wander at their will, hang back from the principal group, and, in cases where they took such matters with the last seriousness, give themselves up to mysterious appreciations and measurements. »

John : « Je sens que c’est une suite, mais j’ignore de quoi c’est la suite. Son visage, à l’autre bout de la table, m’a rappelé quelque chose. Je ne parviens pas à mettre un nom sur cette chose… Et c’est d’autant plus étrange qu’elle, de son côté, m’a paru s’en souvenir… Elle n’est sûrement pas là pour une brève visite… Elle semble plus ou moins faire partie de la maison… Montre-t-elle Weatherend ?… Précise-t-elle aux visiteurs les dates et les styles des meubles et des tableaux ? »

Narrateur « The great rooms caused so much poetry to press upon him that he needed to wander apart to feel in a proper relation with them. It had an issue promptly enough in a direction that was not to have been calculated. It led, in short, in the course of the October afternoon, to his closer meeting with May Bartram, whose face, a reminder, yet not quite a remembrance, as they sat, much separated, at a verry long table, had begun by troubling him rather pleasantly. »

May sort de l’ombre et s’approche de John.

John : « Je vous ai rencontrée à Rome… Il y a des années et des années. » May : « J’étais certaine que vous ne vous en souveniez pas. »

John : « Je m’en souviens parfaitement. C’était avec les Pemble. Un violent orage avait éclaté. Nous avions dû nous réfugier dans les ruines du Forum. »

May : « Ce n’était pas avec les Pemble. C’était avec les Boyer. Et ce n’était pas à Rome. C’était à Naples. L’incident de l’orage s’est produit quelques jours plus

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tard. Nous nous sommes abrités dans les ruines, non pas du Forum, mais de Pompéi. »
« Et nous nous sommes vus quelque temps. Alors vous m’avez dit quelque chose que je n’ai jamais oublié et qui, depuis, m’a très souvent fait penser à vous. C’était durant cette journée affreusement chaude où nous avons traversé en barque la baie de Sorrente pour prendre l’air. »

Narrateur : « He accepted her amendments, he enjoyed her corrections, though the moral of them was he really didn’t remember the least thing about her. »

May : « Vous m’avez dit que vous aviez éprouvé très jeune, comme ce qu’il y avait de plus profond en vous, le sentiment d’être voué à quelque chose de rare et d’étrange, de prodigieux, sans doute, et de terrible, qui devait tôt ou tard vous arriver, dont vous aviez l’intuition et la conviction gravées dans votre chair, et qui peut-être vous laisserait foudroyé. »

John : « Je me souviens maintenant de cette journée sur l’eau. Mais je ne me souviens pas de vous avoir fait une confidence aussi intime. »

May : « Parce que vous l’avez faite à beaucoup de gens ? »

John : « Je ne l’ai faite à personne d’autre. »
May : « Je suis la seule à savoir ? »
John : « Le seul être au monde. »

May : « Moi-même je n’en ai jamais parlé. Je n’ai jamais répété ce que vous m’avez dit. Et je ne le répéterai jamais. Est-ce que cette chose dont vous m’avez parlé s’est maintenant produite ? »

John : « Non, ça ne s’est pas produit. Je suis toujours en attente. »
May : « Mais cette chose que vous avez décrite, n’est-ce pas simplement l’attente de tomber amoureux ? »
John : « Est-ce que vous m’avez déjà posé cette question ? »

May : « Non… nous ne parlions pas aussi librement. »

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John : « S’il s’agissait de cela, je le saurais, maintenant. »

May : « Vous avez été amoureux, et cela n’a pas été un cataclysme ? »

John : « Je suis là, vous le voyez. Je n’ai pas été foudroyé. »

May : « Alors, ce n’était pas de l’amour… Donc, vous êtes toujours en attente d’un coup de tonnerre ? »

John : « Je suis toujours en attente, oui, mais pas nécessairement d’un coup de tonnerre… J’y pense plutôt comme à une évidence, la chose la plus naturelle du monde. »

May : « Dans ce cas, comment pourra-t-elle être rare et étrange ? »

John : « Elle ne le sera pas, à mes yeux. »

May : « Elle le sera aux yeux de qui, alors ? »

John : « Eh bien, aux vôtres, par exemple. »

May : « Je serai donc présente ? »

John : « Vous êtes déjà présente, puisque vous savez. »

May : « Avez-vous peur ? »

John : « Ne m’abandonnez pas, maintenant….Vous sentez donc que mon obsession correspond à une certaine réalité ? »

May : « Oui, à une certaine réalité. »

John : « La guetterez-vous avec moi ? »

May : « Oui. Je la guetterai avec vous. »

Narrateur : « Something or other lay in wait for him, amid the twists and the turns of the months and the years, like a crouching beast in the jungle. It signified little whether the crouching beast were destined to slay him or to be slain. The definite point was the inevitable spring of the creature. »

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John, May. Narrateur.

4. Le lien.

À Londres, dans la maison de May Bartram.
Rentré à Londres, John revoit May, qui s’y est installée. Leur intimité est devenue routinière. Le temps établit ses rituels.

Narrateur « To tell her what he has told her, what had it been but to ask something of her ? something that she has given, in her charity, without his having so much as thanked her. So he had endlless gratitude to make up. Only for that he must see just how he had figured to her.

« The fact that she knew, knew and yet neither chaffed him nor betrayed him, had in a short time begun to constitute between them a sensible bond, which became more marked when, whithin the year that followed their afternoon at Weatherend, Miss Bartram, thanks to the legacy of an ancient lady, her great-aunt, found herself able to set up a small home in London. »

John : « La chose prodigieuse que me réservent depuis si longtemps les dieux n’est-elle pas simplement votre héritage et votre installation ? »

May : « Pourquoi pas ? C’est peut-être en cela que consiste la réelle vérité sur vous. »

John : « Vous êtes vraiment impliquée avec moi, vous savez. Je veux dire, du fait que je suis tellement impliqué avec vous. Je me demande parfois si cela est juste… si cela est juste de vous avoir tant impliquée, de vous avoir inspiré tant d’intérêt… J’ai le sentiment que vous n’avez pas le temps de faire autre chose. »

May : « Autre chose que de vous porter de l’intérêt ? Que puis-je désirer de mieux ? Faire le guet avec vous est en soi captivant. »

John : « Ne vous semble-t-il pas que votre attente n’est pas satisfaite ? »
May : « Voulez-vous dire que la vôtre ne l’est pas ?… N’avez-vous pas trop attendu ? »

John : « Que la bête bondisse ? Non, sur ce point, je suis exactement là où j’en étais… Nous sommes chacun dans les mains d’une loi personnelle. Quant à la forme que prendra cette loi, c’est à la loi même de décider. »

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May : « Dans votre cas, la forme aurait dû être… eh bien, quelque chose de très singulièrement personnel. »

John : « Vous dites cela comme si vous vous étiez mise à douter,… comme si vous pensiez que rien ne se produira. »

May : « C’est loin d’être ce que je pense. »

John : « Alors que pensez-vous ? »

May : « Je pense que mon attente ne sera que trop bien satisfaite. »

John : « Auriez-vous peur ? »

May : « Peur ? »

John : « C’est une question que vous m’aviez posée naguère… à Weatherend. »

May : « Oui, et vous m’aviez répondu que c’était à moi de le découvrir. »

John : « Le risque pour nous est peut-être en effet de découvrir que j’ai peur. Mais je n’ai pas peur en cet instant. »

May : « Par moments, j’ai pu penser que vous aviez peur. Mais maintenant je sais que non. Vous avez réussi à vous habituer au danger. »

John : « Je suis donc un homme courageux ? »

May : « C’est ce que vous aviez à me montrer. »

Narrateur : « What it has come to was that he wore a mask painted with the social simper, out of the eyeholes of which there looked eyes of an expression not in the least matching the other features. This, the stupide world, even after years, had never more than half discovered. It was only May Bartram who had, and she achieved, by an art indescribable, the feat of at once, or perhaps it was only alternately, meeting the eyes from in front and mingling her own vision, as from over his shoulder, with their peep through the apertures. »

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John, May. Narrateur.

5. Au retour de l’opéra

Maison de May à Londres.
May et John reviennent d’un spectacle d’opéra.

Narrateur : « John Marcher could regard himself, in a greedy world, as decently, as, in fact, perhaps even a little sublimely, unselfish. He was quite ready, none the less, to be selfish just a little, since, surely, no more charming occasion for it had come to him. Just a little, in a word, was just as much as Miss Bartram, taking one day with another, would let him.

« He often repaired his fault, the season permitting, by inviting his friend to acccompany him to the opera. It even happened that, seeing her home at such times, he occasionnaly went in with her to finish, as he called it, the evening, and, the better to make his point, sat dow to the frugal but always careful little supper that awaited his pleasure. »

May et John s’attablent pour souper.

May : « Ce qui nous protège, voyez-vous, c’est que nous répondons parfaitement à une apparence très ordinaire ,… un homme et une femme dont l’amitié est devenue une habitude quotidienne,… au point d’être finalement indispensable. Qu’est-ce qui caractérise le plus fortement les hommes, en général ? C’est la capacité de passer un temps infini avec des femmes ennuyeuses. Je suis votre femme ennuyeuse. Cela brouille mieux que tout votre piste. »

John : « Oui, vous m’aidez à passer pour un homme comme les autres. »
May : « C’est cela, c’est tout ce qui m’intéresse. Vous aider à passer pour un autre. Je ne dis pas que notre situation ne fait pas jaser » John : « Ah, mais alors, vous n’êtes pas protégée ! »

May : « Là n’est pas la question pour moi. Si vous avez eu votre femme, j’ai eu mon homme. »

John : « Et moi, comment puis-je vous aider ? » May : « En restant tel que vous êtes ».

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Narrateur: «They were no longer hovering about the headwaters of their stream, but had felt their boat pushed sharply off and down the current. They were literally afloat together, for a further sounding of their depths. It was as if these depths invited on occasion, in the interest of their nerves, a dropping of the plummet and a measurement of the abyss. »

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6. Intermède
May joue au piano des passages de l’opéra qu’ils sont tous deux allés entendre.

Le Narrateur se rapproche de John, comme pour lui dicter ses pensées.

Narrateur, John.

Narrateur: «My attested predilection for poor sensitive gentlemen almost embarrasses me as I march ! I certainly grant that any felt merit in the thing must all depend on the clearness and charm with which the subject just noted expresses itself. I hold it a successful thing only as its motive may seem to stand out sharply. »

John : « Notre motif est-il un élément de forme ou un élément de sentiment ? » Narrateur : « Well, you’ve got a heart in your body. Is that an element of form, or an element of feeling ? It’s the organ of life. »
John : « C’est l’organe de vie. »
Narrateur : « It’s a sort of buried treasure. The loveliest thing in the world ! »

John : « La chose la plus adorable du monde. »

Narrateur : « We work in the dark, we do what we can, we give what we have. Our doubt is our passion and our passion is our task. The rest is the madness of art ».

John : « Nous travaillons dans les ténèbres, nous faisons ce que nous pouvons, nous donnons ce que nous avons. Notre doute est notre passion, et notre passion est notre devoir. Le reste est la folie de l’art. »

Narrateur : « It’s frustration that does’nt count. Frustration’s only life. »

John : « Ce qui ne compte pas, c’est la frustration. Qu’est-ce que la frustration, sinon la vie même ? »

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Narrateur. John, May.

Maison de May Bartram.

7. Le renversement

Narrateur : « So, while they grew older together, she did watch with him, and so she let this association give shape and colour to her own existence. Beneath her forms as well, detachment had learned to sit, and behaviour had become for her, in the social sense, a false account of herself. There was but one account of her that would have been true all the while, and that she could give, directly, to nobody, least of all to John Marcher.

« When the day came, as come it had to, that she confessed to him her fear of a deep disorder in her blood, he felt somehow the shadow of a change and the chill of a shock. He immediately began to imagine aggravations and disasters, and above all to think of her peril as the direct menace for himself of personal privation.

« Then it was that one afternoon, while the spring of the year was young and new, she met, all in her own way, his frankest betrayal of these alarms. »

John : « Un homme courageux sait ce dont il a peur, et ce dont il n’a pas peur. Moi je ne le sais pas. Je ne peux pas le nommer. Je sais seulement que j’y suis exposé. »

May : « Mais vous y êtes exposé très directement,… très intimement. Cela suffit. »

John : « Vous sentez que cela suffit pour la fin de notre attente ? »

May : « L’attente n’est pas finie. »

John : « Alors, vous vivez pour quelque chose ? Je veux dire, pas seulement pour moi,… et pour mon secret. »

May : « Je parle de votre attente. Vous avez encore tout à voir. »

John : « Et vous non ? Vous savez quelque chose que j’ignore. Vous savez ce qui doit se produire. Vous le savez, et vous avez peur de me le dire. C’est si terrible, que vous avez peur que je le découvre. »

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May : « Vous ne le découvrirez jamais. »
John : « Que peut-il m’arriver de pire, selon vous, que votre disparition ? »

May : « Oh, je songe à tant d’autres choses épouvantables ! Il m’est difficile de choisir. Mais il y en a une que je ne peux pas vous nommer. »

John : « Et pourtant, nous avons parlé de beaucoup d’horreurs. Nous sommes parfois allés très loin. »

May : « Oh, très loin… »

John : « Vous seriez donc prête à aller plus loin ? »

May : « Plus loin que quoi ? »

John : « Je crois que nous avons regardé bien des réalités en face. »

May : « Y compris notre propre réalité ? »

John : « Vous savez quelque chose que j’ignore. Vous m’avez déjà montré cela. »

May : « Je ne vous ai rien montré, mon cher ! »

John : « Vous avez entrevu la bête, et vous ne voulez rien montrer, car c’est la plus monstrueuse de toutes. »

May : « En effet, elle serait sans doute monstrueuse, cette chose que je n’ai jamais dite. »

John : « Ce que je vois dans votre visage, ce que je sens ici, c’est que vous êtes

ailleurs. Vous avez terminé. Vous avez eu m’abandonnez à mon sort. »

May : « Non, non ! Je suis encore avec vous ! »

John : « Alors, dites-moi si je vais souffrir. »

May : « Vous ne devriez jamais souffrir ! »

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John : « Je comprends. »

May : « Que comprenez-vous ? »

John : « Ce que vous pensez,… ce que vous avez toujours pensé. »

May : « Ce que je pense n’est pas ce que j’ai toujours pensé. C’est autre chose.»

John : « J’ai donc vécu dans la plus totale erreur ? »

May : « Ce n’est pas cela. Vous n’êtes pas dans l’erreur. »

John : « Quelque chose alors va se produire ? »

May : « Il n’est jamais trop tard. »

John : « La porte n’est donc pas fermée ? »

May : « La porte n’est pas fermée. La porte est grande ouverte. »

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May s’approche insensiblement de John, qui ne bouge pas. Ils restent un moment comme figés l’un en face de l’autre. C’est l’instant même où surgit la Bête.

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John : « Vous ne voulez rien dire ? »
May : « Je crains d’être trop malade. »
John : « Trop malade pour me le dire ? »
May : « Vous ne savez donc pas… maintenant ? »
John : « Maintenant ?… Je ne sais rien… Est-ce que vous souffrez ? »

May : « Non. »

John : « Alors qu’est-il arrivé ? »

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May : « Ce qui devait arriver. »

Narrateur : « Almost as white as wax, she was the picture of a serene, exquisite, but impenetrable sphinx. She only kept him waiting, however : that is, he only waited. It had become suddenly beautiful and vivid to him that she had something more to give him. What he saw in her face was the truth, and she appeared to present it as inordinately soft. »

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Narrateur. May, John.

8. L’extinction de May

Maison de May Bartram.
Plusieurs semaines ont passé. May, très affaiblie, est allongée pour recevoir John. Il pense, avec dépit, que son attente est terminée.

Narrateur : « Her dying, her death, his consequent solitude, that was what he had figured as the beast in the jungle, that was what had been in the lap of the gods. It wasn’t a thing of a monstrous order ; not a fate rare and distinguished ; not a stroke of fortune that overwhelmed and immortalised ; it had only the stamp of the common doom. »

May : « Vous n’avez plus rien à attendre. C’est arrivé, cette chose que nous nous étions mis à guetter dans notre jeunesse. »

John : « Sous quel nom ? À quelle date ? »

May : « J’ignore le nom mais, oh, je sais la date ! »

John : « C’est arrivé, et je ne l’ai pas vue ? »

May : « Elle vous a frôlé. Elle s’est emparée de vous. Elle s’est acquittée de sa tâche. »

John : « Sans que je le sache ? »
May : « Sans que vous le sachiez. Là est la bizarrerie. Là est la merveille. Il a suffi que, moi, je le sache. Je suis heureuse d’avoir vu ce que ce n’est pas. »

John : « C’est donc une chose que nous n’avons jamais abordée ? »

May : « Pas de notre côté. Notre côté, voyez-vous, est l’autre rive. C’est passé. C’est derrière. Autrefois… »

John : « Autrefois ?… »

May : « Autrefois, c’était une chose qui pouvait se produire. C’était ce qui la rendait présente. »

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John : « Donc, ce qui s’est produit, c’est son absence ? »
May : « Oh, son absence !… »
John : « Est-ce de cela que vous êtes en train de mourir ? Je souffre ! »

May : « Non, je vous en prie ! Je vivrais encore pour vous, si je le pouvais. Mais je ne peux pas. »

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9. Récit : La fuite à Venise. Quelque temps après la mort de May Bartram.

Narrateur. Chœur.

Narrateur : « He remembered Venice. It was an infinite time ago. So very young then, following a grief that he couldn’t confess to anyone, suddenly he had chosen to no more endure the fierce indifference that London reserved for poor sensitive, selfish and lonely gentlemen like himself. He had read somewhere that the destitute, the defeated, the disillusioned, or even just the blasés, seemed to find in Venice something that no other place in the world could offer. So, why not resort to this gift, which he had never experienced before ? »

Chœur : « Les destitués, les vaincus, les désenchantés, les blasés. »

Narrateur : « Getting out the night train at dawn, he had first of all looked for the small locanda that had been recommanded to him for its modest rates. Then he had lost himself in the enchanted maze as in the convolutions of a brain haunted by an unique dream. »

Chœur : « Un cerveau hanté d’un seul rêve ».

Narrateur : « So, little by little, he was taken by a strange and overwhelming impression. He felt, around him and into himself as well, a kind of restoration of his prime childhood, with all the magic of his too few years lived in his mother’s closeness. A widow very early on, she passed away when he was grown-up, leaving him orphaned by the lost of her absolute love. To be in the transcendent Venice, bathed in a sea of placenta, having transgressed Death itself, was for him like going back to the womb of his presence on earth. »

Chœur : « Baignée des eaux du placenta, la matrice de sa présence sur terre. »

Narrateur : « Now, at the twilight of his life, in Venice revisited, he walked about in an existence that had grown strangely shapeless and more spacious, asking himself yearningly, wondering secretly, and sorely, if the Beast would have lurked there. »

Chœur : « Une existence devenue informe et spacieuse. »

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Narrateur: «This questioning became poignant when one night, while he lingered around the point of the Dogana, more unreal and deserted than ever, a gust arose, a storm broke. Churches and palaces blazed under the crackling of lightning, the waters of the San Marco basin took on steel reflections. »

L’ombre de May Bartram se dessine au milieu de la tourmente.

Chœur : « Une bourrasque se leva, un orage éclata. »

Ombre de May : « Je suis ici. Je suis foudroyée. »

Narrateur :

« It was in John Marcher like an eruption of the old storm that had bound him to May Bartram. He saw again everything she had once reminded him of, the bay of Sorrento, the ruins of Pompeii. But now, no more than his own mother, May was there, to share a confidence, to ensure a shelter. The comforting and saving power of Venice was fading before his eyes, and he was himself dissolving in the turmoil. »

Chœur : « Il se dissolvait dans la tourmente. »

Ombre de May : « Revenir… Revenir aux premiers instants. »

Narrateur : « The terrible truth was that he has lost, with everything else, a distinction as well. He was in the dust, without a peg for the sense of difference. Then his spirit turned, for nobleness of association, to a barely discriminated slab in a London suburb. That had become for him, and more intensely with time and distance, his one witness of a past significance. It was all that was left to him for proof or pride. »

Chœur : « La seule preuve de fierté qui lui restait ».
Ombre de May : « La seule preuve de fierté qui lui restait. » ………………………………………………………………………………………

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10. La capitulation de John John. Narrateur. Ombre de May. Silhouette d’homme.

Un cimetière, dans un faubourg de Londres.
L’Ombre de May est indistincte dans la pénombre.
John entend sa Voix, comme un lointain mais puissant écho.

Narrateur : « Small wonder then that he came back to it on the morrow of his return, fixing with his eyes her inscribed name and date, beating his forehead against the fact of the secret they kept, drawing his breath, while he waited as if, in pity of him, some sense would rise from the stones. »

John : « Éloigné durant une année… »
Ombre de May : « Je vivrais encore pour vous, si je le pouvais… »

John : « Le tissu perdu de ma conscience… »
Ombre de May : « Mais je ne peux pas… »
John : « Mon unique motif… May… May Bartram… May… »

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John remarque un homme qui comme lui se recueille sur une tombe. Il croise le regard de ce veuf, qui le foudroie comme une révélation.

Narrateur : « The incident of an autumn day put the match to the train laid from old by his misery. A short distance away, among the clustered monuments and mortuary yews, a fellow-mortal was absorbed by a grave appparently fresh, who looked straight into his face with an expression like the cut of a blade. »

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John : « Mon long train de misère. »
Ombre de May : « Je vivrais encore pour vous… Je vivrais encore pour vous… »

John : « Quoi… il s’agit de quoi ? Qu’a donc cet homme, pour être anéanti de douleur, mais continuer de vivre ? »

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(Ici petite coupure par rapport à la première version)

Narrateur : « What had this man had, to make him, by the loss of it, so bleed, and yet live ? Something that he, John Marcher, hadn’t. The way of a woman was mourned when she had been loved for herself.
« The escape for him would have been to love her ; then he would have lived. She had live since she has loved him ; who could say now with what passion ? Whereas he has never thought of her but in the chill of his egotism and the light of her use. »

L’homme anéanti se retire. L’Ombre de May sort de la pénombre.

Ombre de May : « Il vit la Jungle de sa vie, et il vit la Bête embusquée. Et, en la regardant, il la vit, comme par un mouvement de l’air, se dresser, énorme et hideuse, pour bondir et le terrasser.Ses yeux se voilèrent. Et, dans son hallucination, se tournant instinctivement pour l’éviter, il se jeta face contre la tombe. »

John s’écroule sur la tombe de May.

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11. L’engloutissement. Narrateur, Chœur. John, Ombre de May.

Même lieu.
John est écroulé sur la tombe de May.
En arrière-fond, l’Ombre de May reste visible.

Narrateur : « But he wanted to have something done, to make a last appeal. This idea gave him strength for an effort. He rose to his feet with a movement that made him turn his eyes beyond the grave. »

John se relève.
L’Ombre de May s’approche de lui.

John : « Vous revenez ! Vous êtes ici à jamais ! »
Chœur : « Elle lui souriait depuis la gloire des cieux. Elle lui tendait cette gloire pour qu’il vînt à elle. »
Ombre de May : « Je suis ici. Je suis foudroyée. »
Les voix de John et de l’Ombre de May se mêlent en duo.

John : « Revenir… »
Ombre de May : « Revenir… »
Chœur : « Revenir ».
John : « Revenir aux premiers instants… »
Ombre de May : « Aux premiers instants… »
Chœur : « Aux premiers instants…»
John : « Comme si tout devenait possible. »
Ombre de May : « Comme si tout devenait possible. »

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Chœur : « Tout devenait possible. »

Ombre de May (passant soudain au tutoiement) : « Par le plus puissant des mystères, notre division s’est estompée. Ce n’est pas pour moi. Cela, c’était jadis. Ce n’est pas pour toi non plus. Cela aussi, c’était jadis. C’est pour maintenant. C’est pour la Bête. Ta Bête nous divisait. Je l’ai fait mienne. Ma Bête nous a unis. Ma mort a triomphé. Notre Bête nous a vaincus. La Bête nous engloutit tous deux, ensemble, pour toujours, hors du Temps. »

John rejoint lentement l’Ombre de May pour s’éloigner et se fondre avec elle.

Narrateur : « They were divided by the Beast. The Beast wed them. The Beast has vanquished, swallowing them up together and forever. »

&&&

Au 54 rue Philippe à Oran, entre 1936 et 1945, la circulation entre les étages Klein, Cixous et Carisio, avec leurs veuves, leurs célibataires et quelques fantômes d’éminents disparus…

17nov

Si je prends comme repère de dates, d’une part la date du mariage du docteur Georges-Jonas Cixous (né à Oran le 5 septembre 1908) et Eve Klein (née à Strasbourg le 10 avril 1910) : le 15 avril 1936, à Oran,

et d’autre part le départ, en 1945, du docteur Georges Cixous et sa famille pour Alger,

il s’avère que la maison du 54 rue Philippe à Oran, a été alors le domicile :

_ des Cixous, au 3e étage :

Reine Sicsu (née à Oran le 20 octobre 1881 ; épouse, à Oran, en janvier 1903, de Samuel Cixous ; et veuve de son mari, décédé à Oran, le 6 juin 1933) _ Reine Sicsu, veuve Cixous, décèdera à Paris le 7 juin 1965 _,

ainsi probablement que sa fille demeurée célibataire Déborah Cixous (née à Oran le 17 février 1906) _ laquelle décèdera, célibataire, à Cachan, le 27 août 1992.

_ des Cixous-Klein-Jonas, au 2e étage :

le Dr Georges-Jonas Cixous (né à Oran le 5 septembre 1908 ; et qui décèdera à Alger le 12 février 1948), et son épouse, à Oran le 15 avril 1936, Eve Klein (née à Strasbourg le 10 avril 1910) _ elle décèdera à Paris le 1er juillet 2013 _,

leurs deux enfants Hélène Cixous (née à Oran le 5 juin 1937) et son frère Pierre Cixous (né à Oran le 11 novembre 1938) ;

ainsi que de la mère d’Eve Klein, Rosy Jonas (née à Osbabrück le 23 avril 1892 ; épouse à Osnabrück, en 1910, de Michael Klein ; et veuve de celui-ci, tué sur le front russe le 27 juillet 1916 ; qui a réussi à rejoindre la France, puis l’Algérie, à l’automne 1938) _ Rosy Jonas, veuve Klein, décèdera à Paris le 2 août 1977.

_ ainsi que des Carisio frère et sœur, au 4e et dernier étage :

Émile Carisio (né à Oran le 19 avril 1882) et sa sœur Alice Carisio (née à Oran le 23 décembre 1889), tous deux célibataires Émile Carisio semble cependant s’être marié à Oran, à l’âge de 60 ans, à une certaine Marguerite x le 28 mai 1942, si l’on prend en compte un rajout rédigé à la plume, le 8 septembre 1942, sur l’acte d’état-civil de sa naissance en 1882…

Beaucoup de veuves, ainsi que pas mal de célibataires, semble-t-il ;

ainsi que quelque absents _ voire  fantômes… _ parvenant à s’exprimer via la médiation assez commode de tables tournantes _ théosophiques, possiblement acquises, via la tante Déborah, d’une assez connue théosophe oranaise : « il me vient à l’idée que la petite table ronde est peut-être celle que ma tante Déborah a achetée en 1928 lors de la dispersion des objets parlants et du mobilier sophique de Madame Léonettila théosophe la plus secrètement réputée de cette ville philosophique, chez qui les fidèles se rendaient une fois par ses semaines jusqu’à la dernière«  ; selon ce passage de la page 115 de « MDEILMM _ Parole de taupe«  _, au 4e étage…

Ainsi que quelques parents, frères, sœurs, oncles, cousins quelquefois de passage au 3e étage Cixous…

Ce jeudi 17 novembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

A picorer dans quelques antérieurs Cixous de ma bibliothèque…

04jan

Toujours à la recherche de quelques lieux et de quelques dates _ j’y tiens _ sur lesquels tâcher d’obtenir d’un peu plus solides points d’appui supplémentaires dans mes efforts pour dégager, en les efforts têtus de décryptage de ma lecture, quelques un peu solides éléments réalistes d’inspiration d’écriture _ voilà ! _ du « rêvoir » de l’autrice, lors de ses échanges avec quelques spectres encore prégnants de son passé, en ses séjours en sa « maison d’écriture » des Abatilles,

je me suis résolus à rechercher à puiser dans d’antérieurs volumes de l’Œuvre-Cixous reposant encore endormis en ma bibliothèque, parmi ceux que m’avait, en priorité, conseillés, en quelque sorte en conseils de repérage, un lecteur-ami fort avisé en cet Œuvre-Cixous :

il me fallait bien opérer quelques choix afin de tenter de m’y orienter…

Ainsi, viens-je de commencer de lire le volume intitulé « Le Détrônement de la mort _ Journal du Chapitre Los« , paru en janvier 2014 :

et ce soir, j’en suis à la page 45.

Mais je dois confesser que, jusqu’ici, les conversations d’Hélène avec les fantômes de Carlos-Los ou d’Isaac, me séduisent bien moins que les conversations d’Hèlène avec les présences survivantes bien plus vibrantes du moins pour moi de sa mère Ève ou sa grand-mère Omi,

à partir du nid Jonas d’Osnabrück…

Mais je suis décidé à poursuivre jusqu’au bout :

qui sait ce qui pourra surgir de cette lecture mienne ?..

Nous verrons bien si quelque lumineuse surprise adviendra, ou pas…

Ce mardi 4 janvier 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Pour pause, lecture ce jour du terrible « Le jour où je n’étais pas là » (paru en 2000)…

28déc

Afin de conquérir davantage de repères biographiques (et de domiciliation _ à la page 174, j’ai relevé la significative phrase : « Seules les dates et les adresses résistaient à la multiplication de nos récits«  entrecroisés et parfois, voire souvent, contradictoires : ce qui amuse pas mal l’ironie très joueuse de la narratrice… _) des Cixous, Klein, Jonas, etc., qui me manquent toujours,

je viens de lire, puisé dans mon ample bibliothèque cixoussienne, « Le jour où je n’étais pas là« , paru aux Éditions Galilée en 2000, que je n’avais pas encore lu…

J’y ai trouvé une bien intéressante concomitance _ affirmée et clairement reconnue _ entre la grossesse du premier garçon né _ leur fille Anne-Emmanuelle, elle, est née, à Sainte-Foy-la-Grande, le 27 juillet 1958 _ d’Hélène Cixous et son mari Guy Berger, le petit Stéphane, nommé Georges, dans le récit _ le petit Stéphane Berger est né le 1er mai 1959, et lui aussi à Sainte-Foy-la Grande (en Gironde) ; et il décèdera à Alger, le 1er septembre 1961, où sa grand-mère maternelle la sage-femme Ève Cixous, née Klein, l’avait pris en charge, et s’occupait, en sa Clinique d’Alger, très soigneusement de lui, en sa fragilité d’enfant malade… _, et la construction de la Villa Èva, à Arcachon, au quartier des Abatilles…

Et Hélène Cixous, jeune agrégée d’Anglais, va en effet occuper un poste de Professeur d’Anglais au Lycée-Collège Grand Air d’Arcachon, à compter de la rentrée scolaire de septembre 1959 _ Chantal Thomas, alors arcachonnaise, l’a eu comme professeur d’Anglais, de septembre 1959 à juin 1962 ; cf mon article du 18 août 2018 : Un passionnant et très riche entretien avec la merveilleuse Chantal Thomas à Sciences-Po Bordeaux, le 8 mars 2018… ;

et Hélène Cixous eut à la fois pour collègue au lycée et pour voisin immédiat, au quartier des Abatilles, Jean Laurent, qui fut mon collègue de Lettres au Lycée Grand-Air quand j’y enseignais la philosophie, les années scolaires 1976-77 et 1977-78… _ ;

et cela jusqu’au mois de juin 1962, où elle obtint un poste d’Assistante d’Anglais à l’Université de Bordeaux…

Et quinze jours après le décès, à Alger _ auprès de sa grand-mère Ève et son oncle maternels Pierre Cixous _, de Stéphane-Georges, l’enfant mongolien d’Hèlène et son mari Guy Berger,

naît _ le 22 septembre, et peut-être, ou peut-être pas encore, à Arcachon, ce n’est pas indiqué… _ son frère le petit Pierre-François…  

Pages 70-71 de « Le jour où je n’étais pas là« , on lit cette tardive lettre-ci,

destinée au fils décédé il y a près de quarante ans, le 1er septembre 1961 :

« Lettre à mon fils auquel je n’ai jamais écrit de lettre

Mon amour, à qui je n’ai jamais dit mon amour,

 

J’écris dans la maison _ aux Abatilles _ que j’ai fait construire à cause de toi, en hâte de toi et contre toi tandis qu’Ève notre mère te gardait _ à Alger, et pas à Arcachon… _, je construisais je n’écrivais plus, au lieu de poèmes, je bâtissais je répondais en pierres à ton arrivée _ ce fut le 1er mai 1959, à Sainte-Foy-la-Grande _ pour les temps des temps, je t’accueillais, je te prévenais, j’élevais en vitesse une maison où nous garder et nous séparer, je faisais la maison où tu n’es jamais venu _ voilà. Maison achevée le premier septembre196-1 jour de ton propre achèvement _ à Alger.

Je ne pense jamais à l’origine de cette maison née de ta naissance. Dès que j’ai su ton nom du jour au lendemain j’ai _ alors, soudainement _ cessé d’écrire. 

J’écris dans cette maison que j’ai bâtie afin de ne plus jamais écrire. 

J’ai hérité de cette maison où je t’écris de ton interminable passage.

Je te dis tu, je te fais venir, je te tire hors du nid inconnu.« 

« Brève trêve de ce il, je prends dans mes bras le fantôme de l’agneau écorché« .

Et ces phrases aussi, que j’extrais de la page 111 :

« Aucun pressentiment _ qui aurait permis d’un peu se préparer. Et c’est alors. Arrive quelque chose, ce n’est pas rien, c’est un décret. La lettre dit : demi-tour. Et véritablement ici commence une vie. Tout d’un coup tout ce que je n’aurais jamais fait, je l’ai fait. Jusqu’à présent j’avais décidé de parcourir les différents continents. J’arrêtai mon périple au seuil de l’expédition, je cessai d’être nomade et je dressai _ Allée Fustel de Coulanges _ la maison du mongolien. Nous aussi nous vivrons dorénavant en compagnie des animaux affectueux. »

Et encore ceci, page 112 :

« Ce qui faisait maison c’était l’obéissance à Désignation l’envoyée des distributeurs de destins que je n’appelai pas Dieu cette saison-là. Je décidai _ aussi _ d’accroître nos corps sans perdre un instant, soucieuse du nombre et de l’harmonie du troupeau, je diluerai l’agneau sans nez à la laine râpeuse dans un bain d’agneaux bruns bien bêlants et musclés. Plus il y aura d’enfants tourbillonnants moins il sera l’attirant le fascinant. Je prévoyais l’irradiation. Contre l’éclat irrésistible du mongolien nous allions aligner toute une infanterie. Dans les mois qui suivirent _ ce 1er mai 1959 _ je lançai une grossesse en contre-attaque, sans m’affaiblir à y penser. Je parai. Je dressai. Nous élevons la maison _ voilà _ pour nous y enfermer autour de lui. Nous adoptons sa description. C’est une langue. Nous nous mettons à ses saccades, elle se jappe, elle se claudique, elle a ses froissements, ses frottements ses freins. Nous aussi nous aimerons la musique. J’entrai dans une adoptation méthodique. La peau du mongolien, grenue gauche gênée, je l’enfile je passe sur mon âme tout le costume.« 

Ainsi que, aux pages 113-114 :

« D’un jour à l’autre je fis conversion, et j’adoptai la fameuse ligne du mongolien celle que je n’avais pas remarquée tout de suite, le signe de reconnaissance caché dans la paume de la main. À l’âge de vingt-deux ans _ Hélène est née le 5 juin 1937 _ je venais de découvrir _ ce 1er mai 1959, à la maternité de Sainte-Foy-la-Grande _ l’autre monde du monde, et d’un seul coup. Personne ne nous avait avertis. Ma mère non plus la sage-femme allemande à Alger personne ne lui avait parlé des autres êtres humains quand même jusqu’alors nous, la famille _ des Jonas ainsi que des Cixous _, nous avions su que les autres êtres humains quand même c’étaient les Juifs c’est-à-dire nous, c’était nous notre famille _ des Jonas d’Osnabrück… _ qui d’une part se repliait et se multipliait pour résister à sa propre étrangeté, c’était notre propre maison _ de Nicolaiort 2, à Osnabrück _ assiégée qui finissait par craquer et céder et du jour au lendemain, ma mère _ en 1929 _ abandonnait la direction _ d’abord envisagée _ de Berlin et tournant le dos au nord allait en sens inverse, suivant l’indication de l’infinie impuissance qui contient lorsqu’on la retourne en sens contraire une infinie puissance. C’est ainsi qu’elle arrivait au Sud _ en passant par Paris, à Oran _ et aussi loin du centre et de l’origine qu’elle avait pu l’effectuer, tandis que par ailleurs les autres membres de la famille autre s’en allaient aussi au plus loin de la Ville la plus Ville _ Osnabrück, la ville de la paix… _ jusqu’aux portes les plus périphériques de la planète _ Johannesburg, le Paraguay, le Chili, l’Australie, etc.
Or à notre grande surprise voilà que nous étions débordés sur notre flanc par un peuple dont nous avions tout ignoré, et peut-être qui sait un peuple encore plus ancien et plus anciennement banni et nié que le nôtre mais qui n’avait pas alors d’historien. J’étais troublée, je sentis ma faiblesse philosophique, j’entrai dans des incertitudes concernant surtout les définitions les limites les frontières les barrières les espèces les genres les classifications, d’un côté n’étais-je pas née mongolienne ayant donné naissance à un mongolien, et donc née de sa naissance, mais d’un autre côté pensai-je la nature n’étant pas finie et définie mais non fermée, percée de trous par hasard tout ne pourrait-il pas nous arriver et nous être, dieu, un animal, ou l’immortalité, en passant par un de ces trous inconnus ?« 

Un opus magnifique, assurément.

Bien sûr, en tant qu’auteure-autrice (et aussi, et peut-être et surtout d’abord, réceptrice !) de ses livres, Hélène Cixous focalise le récit que son Livre _ car c’est à la fin des fins lui, le Livre, qui, chaque fois, vient ultimement décider _ lui dicte, en les échanges qu’elle, l’autrice, veut bien avoir avec lui, le Livre, en les méditations suivies de ces séances d’écriture auxquelles elle choisit de se livrer, sur les éléments qu’elle accepte et choisit d’intégrer au récit de ce Livre, et en en excluant bien d’autres possibles  jugés simplement ici et cette fois étrangers à la thématique majeure, et toujours questionnante pour elle, de ce Livre-ci une prochaine fois, peut-être…

Ses récits de vérité ne constituant jamais, non jamais, une autobiographie autorisée : ce qui va advenir en le Livre dépassant, et de loin _ et bienheureusement ! _, les aventures et mésaventures advenues et survenues à sa seule petite personne et son ego historique…

Ainsi, pour ce qui concerne les raisons de la construction de cette maison (qui deviendra bientôt, mais un peu plus tard, sa maison d’écriture…) d’Arcachon, qui m’intéresse ici,

l’autrice ne dit ici _ je dis bien ici : en ce Livre-ci… Ailleurs, un autre livre, ou aussi une simple amicale conversation, pourrait s’y attacher, et cela sans la moindre censure sienne… C’est le Livre qui décide… _ pas un mot de son mari (depuis 1955 et jusque fin 1964, où ils divorceront) et père de l’enfant Stéphane, qu’elle choisit de prénommer ici, comme son propre père, Georges : Guy Berger, titulaire d’un CAPES de philosophie depuis juillet 1956, et nommé alors à Bordeaux, où Hélène va poursuivre ses études d’Anglais, jusqu’à l’Agrégation, qu’elle obtient en 1959 ;

non plus que de la succession des postes d’enseignante qu’elle, Hélène, a occupés ces années 1957 à 1962 : d’abord à Sainte-Foy-la-Grande _ où sont nés successivement sa (ou plutôt leur) fille Anne-Emmanuelle (dite ici Nana), le 27 juillet 1958 ; puis son (ou plutôt leur) fils Stéphane (dit ici Georges), le 1er mai 1959 _, jusqu’en juin 1959 ; puis à Arcachon _ et  à ce jour, j’ignore le lieu (serait-ce à Arcachon ? peut-être pas encore…) où est né Pierre-François (dit ici Pif) Berger, le 22 septembre 1961 ; cependant, la date évoquée dans le récit rédigé demeure étrangement flottante, dans le récit qu’en fait l’autrice, page 69 : « D’ailleurs, lorque l’enfant Georges _ Stéphane _ était déjà décédé et enterré dans le Cimetière juif de Saint-Eugène, mon fils continuait à m’être vivant tout le temps que la nouvelle de l’événement ne m’était pas encore parvenue, ce qui se produisit juste avant la naissance de son frère _ le petit Pierre-François _, mon fils vivant _ à cette date du 1er mai 1999, quand Pierre-François vient chez sa mère rechercher (probablement pour les papiers nécessaires à son prochain mariage) leur vieux livret de famille, en partie démembré, « déchiqueté » même, dit-elle… « Il y a quinze jours », dit ma mère, en arrivant _ d’Alger, ce mois de septembre 1961 _ juste à temps _ Ève n’est-elle pas sage-femme ? _ pour le suivant _ la naissance de Pierre-François, dans le courant du mois de septembre 1961 : le 22, si l’on veut être précis. Il y a une quinzaine de jours, dix ou quatorze, qu’importe, on est à la croisée, déjà mort toujours vivant toujours un peu moins mort que mort, mais sur le livret de famille terme conseillé : décédé. Tout de suite après la nouvelle _ du décès, à Alger, de Stéphane _, mon fils le suivant _ Pierre-François _ entre _ en inscription réglementaire officielle de naissance _ dans le petit livre déchiqueté _ le livret de famille. Mais même alors. Jusqu’à ce matin je n’ai jamais lu le livre. Je n’avais jamais lu le livre. Je n’avais jamais lu la nouvelle. Il n’y avait pas de date«  _, jusqu’en juin 1962 ; et enfin à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Bordeaux, où elle vient d’obtenir un poste de Maître-Assistant…

_ la plupart de ces données biographiques-ci sont issues du volume intitulé « Hélène Cixous, Photos de Racines« , paru aux Éditions des Femmes au mois de juin 1994, sous les signatures conjointes de Mireille Calle-Gruber et Hélène Cixous ; et plus précisément, issues des pages 209 et 210 de la partie finale de l’ouvrage, intitulée « Lexique« , et rédigée par Mireille Calle-Gruber.

En ouverture, page 179, à l’intéressante partie précédente (des pages 177 à 207), intitulée, elle, « Albums et Légendes« , comportant 36 très précieuses photographies, et légendées, de la famille d’Hélène Cixous,

peut cependant se lire cette sévère phrase d’avertissement : « Toutes les biographies comme toutes les autobiographies comme tous les récits racontent une histoire à la place d’une autre histoire« .

À bon entendeur, salut !

Car ce sont les secrets de vérité les mieux enfouis et plus récalcitrants à elle-même

qui constituent le fond essentiel visé à retrouver _ en son actif et réceptif « rêvoir«  _ de la recherche enchantée éperdue, opus après opus, livre après livre, de l’inlassable infini _ « tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , disait notre cher Montaigne _ chantier poétique à poursuivre et prolonger, toujours reprendre-préciser-approfondir, du très fécond Rêvoir _ de ce qu’offrent à re-visiter, toujours un peu plus à fond, de vivantes et mortelles vies chéries interrompues seulement physiquement ; mais les conversations avec de tels vivants bien que partis peuvent toujours se poursuivre et enrichir, grâce aux actualisations-révisions de l’infiniment précieux rêvoir… _ d’Hélène Cixous

Et cela, sur un fond général de drame historique à dimension foncière toujours d’universel. À complet contresens, donc, du moindre misérable ridiculissime narcissisme autocentré…

Les références-modèles d’Hélène en les conversations avec les éminents fantômes choisis de ses Livres, étant rien moins que ce que nous ont laissé en précieux héritage les chers et chéris Livres de conversations avec fantômes plus que vivants et essentiels d’Homère, Platon, Virgile, Dante, Montaigne, Shakespeare, Poe, Freud, Proust ou Kafka _ et désormais Derrida aussi _ : il me faudra, forcément y revenir.

À la lumineuse manière, tout spécialement, bien sûr, des conversations enchantées en sa tour (cf le minutieux passage, magnifique, de la page 116 de « Ruines bien rangées« ) du cher Montaigne, à son écritoire, en sa librairie avec poutres infiniment conversantes _ une fois l’ami La Boétie disparu _ de sa magique tour, entre terre et ciel, de Montaigne _ sur une butte entre Dordogne et Lidoire _, avec sa large vue enthousiasmante sur le plus profond et léger à la fois intense bleu du ciel, par dessus le sanglant tragique déchaîné des intestines guerres de religions contemporaines _ l’Histoire subissant aussi ses très sinistres répétitions, avait averti le bien lucide Thucydide…

Ce mardi 28 décembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

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