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Le chantier de liberté par l’écoute du sensible, de Martine de Gaudemar en son justissime « La Voix des personnages »

25sept

Sur le conseil de l’amie Fabienne Brugère, je viens de lire _ avec enthousiasme ! _, les 451 pages de l’excellent (dynamisant !) La Voix des personnages de Martine de Gaudemar, parue en mai dernier aux Éditions du Cerf, dans la collection dirigée par Jocelyn Benoist

_ lequel viendra ouvrir la saison 2011-2012 de notre Société de Philosophie de Bordeaux (ce sera le mardi 11 octobre, à 18h00, dans les salons Albert-Mollat, rue Vital-Carles), sur le sujet « Voir, vu, visible«  ;

de Jocelyn Benoist, les derniers travaux parus, aux Éditions du Cerf, sont, outre le tout dernier Éléments de philosophie réaliste, Concepts _ Introduction à l’analyse, et Sens et sensibilité _ L’Intentionalité en contexte

… 

Le travail de Martine de Gaudemar s’inscrit dans une perspective _ éminemment positive et libératrice ! _ de réalisation-accomplissement-épanouissement du sujet, auxquels l’a préparée sa familiarité avec la philosophie leibnizienne (cf son Leibniz, de la puissance au sujet, en 1994) _ pour ma part, je suis plutôt un familier des processus de la joie (et de la béatitude) selon Spinoza… ; cf aussi, de Jean-Louis Chrétien, les très beaux essais, en 2007 : La Joie spacieuse, essai sur la dilatationEt dans un horizon qui a quelque chose aussi de l’existentialisme, mais sans la moralisation (au fond calviniste : avec l’ombre de la faute et de la culpabilité…) sartrienne, de 1945…

Comme Martine de Gaudemar le formule page 385,

en ouverture de son (grand) chapitre de conclusion (pages 385 à 451), intitulé, page 383, « En guise de conclusion : Perspectives éthiques _ Destinées et variation, L’Ouverture des possibles«  :

« Il est temps de conclure

_ la première partie, intitulée « Ontologie du personnage _ Personnage et virtualité« , comportait, outre un (très court, la page 19) « Préalable métaphysique« , sur le concept de « virtualité« , deux chapitres : « Individus, personnes et personnages«  (pages 21 à 77) et « Le personnage au pluriel«  (pages 79 à 144) ; et la deuxième partie, intitulée « Dynamique des personnages _ Personnages et puissance d’agir« , comportait à nouveau deux chapitres : « Le Claim ou la demande de reconnaissance des personnages : ils revendiquent leurs « formes de vie » » (pages 203 à 297) et « La Fonction organisatrice du personnage à la lumière de la psychanalyse » (pages 299 à 382) ; fin de l’incise sur le plan de ce livre _

Il est temps de conclure. Ou bien : Il est trop tôt pour conclure. C’est-à-dire que les pages qui suivent ne sont en aucun cas un « dernier mot » _ « seule la mort transforme la vie en destin« , dira ainsi (et sartriennement) Malraux. Seulement l’ouverture d’un chantier _ voilà !!! _, celui de l’usage _ éthique et existentiel _ des personnages dans notre existence. Pouvons-nous les faire varier, de façon à ouvrir _ et pas seulement fantasmatiquement _ des possibles inédits ? »

Et Martine de Gaudemar de préciser, page 386 :

« Pour terminer sur l’ouverture à des possibles demandée par la perspective d’un devenir-sujet _ et c’est bien là l’essentiel (et la force !) du propos de Martine de Gaudemar _, j’ai choisi de privilégier un usage dynamisant, celui qui regarde les personnages comme des opérateurs de contingence, susceptibles de faire varier _ à rebours des (sinistres) sociologismes déterministes _ les destins _ des personnes que nous sommes ; quand nous ne sommes pas trop aliénés par les divers formatages socio-économiques, en particulier. Les trajectoires individuelles portées par les personnages exhibent en effet _ à notre capacité de représentation, voire d’imageance ! _ des possibilités de faire varier le dénouement du récit. Il stimulent notre imagination _ notre imageance, dis-je, donc, pour ma part _, en proposant plusieurs manières de vivre _ ex-ister _, plusieurs versions _ plausibles, parfois jamais encore osées esquisser et concrètement même essayer par une personne jusqu’ici, du moins à ce qui se dit, se montre et se sait…  _ du personnage, conçu comme une famille ou une série d’individus approchants«  _ je pense ici à l’enchantement du jeu des variations du Baroque, notamment (et d’abord) musical ; et ce qui en est ressorti ; cf ici Bernard Sève : L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe, en 2002 : je m’étais entretenu avec lui sur ce livre le 20 mai 2003 dans les salons Albert-Mollat…

Et il se trouve que « la puissance d’agir tire son énergie de la puissance d’être affecté, seule à pouvoir lui enseigner ce qui est désirable« , toujours page 386.

Alors, « une fois assuré de la possibilité de pratiquer une rupture même infinitésimale et insensible dans la continuité d’une existence individuelle,

on peut interroger les conditions (des) infléchissements de la courbe, et le rôle des personnages dans la conjuration de la fatalité« , page 391.

Et

« 1) les personnages réintroduisent la dimension affective congédiée par la philosophie.

2) Les récits fonctionnent comme des raisonnements qui montrent les conséquences d’une action : ils permettent à la délibération d’envisager les conséquences d’un choix.

3) Les personnages montrent des natures ou des concepts individuels : leur variation décline l’essence. Ils enveloppent une variation des personnages qui fait varier la définition de l’essence des individus selon des mondes possibles, indiquant ainsi la contingence de leurs destins« , page 391

Et pages 415-416, à propos de ce qu’apportent les analyses de Stanley Cavell _ par exemple en son très riche Philosophie des salles obscures _  à propos des personnages au cinéma :

« l’appel à un sentiment de fatalité, pour ordinaire qu’il soit, repose sur la répétition courante qui est notre lot commun. Mais la répétition n’exige jamais d’être poursuivie : elle se poursuit si on ne l’interrompt pas. Ce n’est que pour s’exonérer d’une responsabilité envers son existence qu’on évoque la répétition comme fatale« . Et Martine de Gaudemar de signaler ici que « Badiou souligne après Sartre cette responsabilité envers l’existence, d’autant plus pesante qu’elle est dénuée de sens, si le sens n’est jamais fondé que sur une transcendance. Personne ne nous oblige, ni ne nous demande de choisir notre style d’existence. Il s’agit d’une œuvre en quelque sorte gratuite, que nul Dieu ne peut rémunérer.« 

Outre Stanley Cavell (pages 107 à 416 : « La Catastrophe sceptique selon Cavell : perte des repères et chute des idéaux« ),

Martine de Gaudemar esquisse quelques très fructueuses pistes de cheminement avec les pensers de Lacan (pages 424 à 427 : « La Tragédie de l’Inconscient« ), de Badiou (pages 427 à 430 : « L’Acte éthique« ), de Zizek (pages 430 à 434 : « Dans tous les univers possibles nous sommes voués à l’échec« ), de Ricœur (pages 435 à 438 : « Un Cogito authentique est possible« ) ; et à nouveau de Cavell (pages 438 à 445 : « Ce que nous disent les femmes inconnues« )…

Sur l’étrangeté (cruciale !) de la voix,

bien des remarques passionnantes,

telle celle-ci, page 254, au sein d’un passage intitulé « Du Cri à la voix » (pages 251 à 262) :

« Dans l’Orfeo de Monteverdi, Orphée va chercher Eurydice aux enfers, l’arrache à la mort, mais ne peut supporter qu’elle ne lui adresse aucun signe de son existence, qu’elle ne s’adresse pas à lui. Il ne peut la voir, puisqu’il n’a pas le droit de se retourner. S’il la voyait, il obtiendrait une image visible, mais pas ce qu’il cherche : un sujet s’adressant à lui. Or, elle ne lui adresse aucun son qui puisse témoigner de sa présence désirante à ses côtés. Il n’a obtenu qu’une statue sans vie, et non une partenaire. On pourrait gloser sans fin sur le silence d’Eurydice (…). Eurydice ressuscitée n’était donc qu’un rêve ; et c’est sur ce désenchantement que naît la poésie musicale. La musique serait donc moins impuissante devant la mort, que l’héritière de ce réveil. La musique cherche à apprivoiser et à encadrer le silence, conjurant l’angoisse du réel.

Jean-Michel Vives propose _ en sa communication « La Voix : une approche psychanalytique«  au colloque « La Voix _ autour de Stanley Cavell« , à Paris, en novembre 2007 _ de voir dans la musique un don de voix, comme le tableau est un don de regard. La musique vient pacifier l’excès qu’est la voix comme objet fantasmatique, excès interne au champ symbolique.

Excès toujours perçu, voire stigmatisé, comme féminin : la voix séductrice, objet attractif et mortifère comme la voix des sirènes« .

Et Martine de Gaudemar précise, pages 255-256 : « De la tragédie grecque à l’opéra, en passant par le drame shakespearien, les femmes sont toujours porteuses d’une voix située sur toute la gamme de l’expressivité, et non cantonnée à la proposition articulée du Logos. Le silence meurtrier d’Eurydice, ou de la Médée de Pasolini, les cris terribles de la Médée d’Euripide, murée dans sa maison et encore invisible du spectateur, les imprécations de la mère de Coriolan, les plaintes d’Hécube et de toutes les mères en deuil, mais aussi l’harmonieux chant du saule de la touchante Desdémone chez Verdi, qui accepte d’avance comme son destin un châtiment immérité : la voix des personnages féminins de notre culture occidentale décline un rapport à un réel horrifiant plus ou moins voilé de beauté. (…) Comme le rêve parvenu aux limites de la représentation s’évanouit avant la rencontre du Réel, l’opéra et le spectacle reprennent leurs droits après le moment du cri, lequel n’a fait que laisser entrevoir l’invisible pour l’imagination horrifiée, et ne la donne pas à voir. (…)

Pour autant, le cri en appelle à la musique qui vient remplir le Néant : « A la fin de l’opéra _ affirme Michel Poizat, en son L’Opéra ou le cri de l’ange _ essai sur la jouissance de l’amateur d’opéra, que cite ici Martine de Gaudemar… _, la voix culminante d’Isolde appelle le supplément orchestral ». (…)

La musique évite l’écoute d’un cri muet, impossible comme toute rencontre du réel. (…)

Mais il faut souligner que toute voix se libère de son étranglement lorsqu’un cri est proféré : l‘angoisse due à la proximité du réel se dissipe donc dans l’émission vocale. Le cri muet ne peut passer au public. C’est pourquoi la voix du cri est voix en puissance seulement : elle précède le claim que des personnages de femmes portent au public, demandant ainsi la reconnaissance pour leur forme de vie.« 

Martine de Gaudemar en conclut, page 257 :

« La voix est donc bien un concept feuilleté : on la retrouve à toutes les étapes du passage de l’être en puissance à l’être en acte. Ce concept convient au passage de l’insensible au sensible, comme au passage des pulsions à l’acte.« 

Et de préciser encore, page 260 : « La communion extatique _ à l’opéra _ est due en grande partie à la réussite d’un chant qui libère la voix de son étranglement et son étouffement ordinaires, qui pratique donc une libération en acte qui n’est ni signifiée ni représentée. Le chant suscite bien un grand Autre positif que le public représente, ressuscitant une transcendance réelle. Dieu existe alors tant que dure le souffle du chant. La solitude métaphysique est momentanément oubliée, mise de côté, annulée. Notre commune condition d’exil est comme surmontée. L’opéra, comme la comédie romanesque, remporte une victoire momentanée sur les forces de destruction qui prévaudront quoi qu’on fasse.

Sans doute est-il étrange que cette opération chantante doive son succès à une corporéité qu’elle semble surmonter ou ignorer. La voix paraît se produire sans son soutien corporel, ou en allant au-delà de ses limites et contraintes. Elle semble parfois venir d’ailleurs _ cf ici les remarques de Martin Kaltenecker sur le « chant lointain » en sa si remarquable Oreille divisée _ les écoutes musicales aux XVIIIe et XIXe siècles (et mon article du 2 août 2011 : comprendre les micro-modulations de l’écoute musicale en son histoire : l’acuité magnifique de Martin Kaltenecker en « L’Oreille divisée »…) _, d’un au-delà qui lui permet de se libérer de son support. Les chanteurs sont comme clivés entre leur corps visible, qui appartient à ce monde, et leur voix, don des dieux, qui paraît venir de l’au-delà et ne pas leur appartenir. (…)

Le propre des personnages féminins est dans ce paradoxe : nous conduire au plus près d’une transcendance, tout en nous rappelant quelque peu la corporéité déniée. La jouissance mystique réputée féminine, qui s’étale sur le visage ou le corps, en est une des marques les plus manifestes. Le féminin peut y être glorifié, mais risque socialement le rejet et le dégoût. Qu’elle chante donc, mais voilée !« , page 260…

De même, Martine de Gaudemar consacre de superbes passages au medium du cinéma…

Voici, pour finir cet article,

et avec mes farcissures (en vert),

la présentation de l’essai que propose la quatrième de couverture de La Voix des personnages :

« Médée est plus qu’une mère infanticide, Don Juan plus qu’un grand seigneur méchant homme, Cléopâtre plus qu’une reine séductrice. Ces personnages donnent _ à la différence d’un simple type, ou idéal-type, général… _ une voix particulière à des dispositions _ le terme est important, en l’efficace de sa dynamique… _ universelles (rebelles, séductrices, sacrificielles, etc.). En incarnant _ mais toujours en une particularité (et même singularité !) et selon un contexte (et même une intrigue !), qui marquent de leur empreinte ce qui va se nouer et se jouer en ce « personnage«  _ un monde _ voilà : en son épaisseur (et grain de velours) qualitative riche _ possible ou désirable _ pour qui a à s’y confronter, au détour de quelque récit ou quelque œuvre rencontrée… _, ils nous posent la question : Quel monde voulons-nous ? _ en notre vie même, avec ce qu’elle comporte d’ouverture ; et de marge de jeu : à jouer (et pas rien qu’à subir, endurer !). Ils nous insufflent _ voilà ! un tant soit peu de _ leur énergie, leur désir _ puissant, voire enthousiasmant  _ de vivre. À nous, comme l’ont fait naguère Mozart ou Shakespeare, d’entendre _ c’est-à-dire percevoir, mais aussi peut-être si peu que ce soit répondre, à notre tour, à _ leur exigence de reconnaissance _ de fait comme de droit _, de mesurer le poids de tradition qu’ils transmettent, mais aussi _ et surtout _ les possibilités d’existence qu’ils ouvrent _ voilà : en forme d’épanouissement _ en montrant diverses « formes de vie » _ pensables et surtout réalisables... Les personnages vivent dans une aire transitionnelle _ selon le très pertinent concept winnicottien ; cf par exemple Les Objets transitionnels _, entre l’intime _ des personnes singulières _ et le collectif _ de ce qui sera partagé ; cf pour cet enjeu le livre de Michaël Foessel La Privation de l’intime (et mon article du 11 novembre 2008 : la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie…). « Individualités typiques », ce sont des virtualités agissantes qui prennent corps _ en un processus que j’aime à qualifier d’« imageance«  : cf mes travaux sur le Homo spectator de Marie-José Mondzain ; ou pour le colloque « Un musicien moderne né romantique : Lucien Durosoir ‘1878-1955) » à Venise le 19 février 2011, au Palazzetto Bru-Zane… _ dans les songes, les œuvres d’art, les textes littéraires (tragédie grecque, drame shakespearien, opéra), au cinéma aujourd’hui, et tissent _ œuvre à œuvre, en une imageance ainsi très concrètement partagée _ notre imaginaire partagé. Comme les « femmes inconnues » du mélodrame hollywoodien étudié par Stanley Cavell _ cf par exemple son Philosophie des salles obscures _, ils nous offrent un nouveau « cogito » _ pour le sujet humain libre _ qui réhabilite _ pleinement et enfin ! avec les plus hautes exigences de vérité et justesse ! _ la vie sensible et affective.« 

Un livre passionnant, en la finesse de l’analyse des perceptions,

via la médiation des œuvres d’Art,

et tout particulièrement celles d’opéra et celles de cinéma,

et ouvreur d’épanouissement lumineux et radieux de nos propres possibles !,

que ce splendide travail de Martine de Gaudemar,

avec ce très riche et justissime ! La Voix des personnages aux Éditions du Cerf…

Titus Curiosus, ce 25 septembre 2011

 

« Ce vers quoi s’élance Boutès » ; et la difficulté d’harmoniser les agendas

19nov

A propos de la présentation, hier soir, mardi 18 novembre, de son « Boutès« , paru aux Éditions Galilée le mois d’août dernier, par Pascal Quignard,

dans les salons Albert-Mollat, combles _ on s’asseyait par terre _ ;

ainsi que de la difficulté de concilier les agendas,

afin de venir « rencontrer » écrivains, artistes, philosophes ;

ce petit courrier matinal à Maïalen Lafite _ qui n’était pas disponible ce jeudi soir dernier (« mais merci de m’avoir informée et continuez à le faire !« ) :

« J’ai regretté en effet que, pour difficultés d’agendas, bien des interlocuteurs « possibles » du conférencier
n’aient pu être présents, ce soir-là _ jeudi 13 à la librairie La Machine à Lire _, dans la salle, pour dialoguer un peu sur Montaigne avec un esprit aussi délié, lumineux,
et en grande forme, que Bernard Sève

(à partir de son si pénétrant « Montaigne. Des règles pour l’esprit » _ aux PUF, en novembre 2007) :

Jean Terrel, non plus, n’avait pas pu se libérer

_ il m’a adressé gentiment un petit mot : savoir si Thomas Hobbes (« sur » lequel Jean Terrel vient de publier un plus que « très autorisé » « Hobbes _vies d’un philosophe« , aux Presses universitaires de Rennes) fut lui aussi _ tels Francis Bacon et William Shakespeare _, ou pas, un lecteur de Montaigne, me paraissant plus qu’intéressant !..

A défaut d’avoir pu écouter la conférence de Bernard Sève,

voici _ à lire _ l’article que je lui ai consacré, à cette conférence, sur mon blog

« Jubilatoire conférence hier soir de Bernard Sève sur le tissage de l’écriture et de la pensée de Montaigne »

et voici, même, le petit mot que m’a adressé, depuis, Bernard Sève lui-même :

Cher Titus,

merci de ton mail si amical.
Je voulais aussi te remercier pour ton accueil chaleureux à Bordeaux.  C’était vraiment un moment très réussi, à la fois amical et intellectuellement riche.

Je regrette un peu de n’avoir pas développé comme je l’aurais voulu mon thème
_ écriture ET pensée de Montaigne _
lors de ma conférence, mais en fait je me suis vite rendu compte que ce serait trop technique.

En gros, j’aurais voulu montrer que chaque « trait d’écriture » de Montaigne (ceux que j’ai rapidement relevés : l’exposition des conditions de production du texte, l’ajout, la copia verborum, la citation, la digression, etc.) est à la fois l’expression du désordre de l’esprit et en même temps une « poétisation » de ce désordre qui permet, en partie, de le juguler.

Je l’ai dit en général, je ne l’ai pas montré en détail (cas par cas), mais je pense que ce n’était pas le lieu.

J’ai un peu envie d’écrire une petite étude sur ce point, mais je ne veux pas non plus « systématiser » Montaigne, ce qui serait à l’opposé de son écriture et de sa sagesse.
Ravi de t’avoir revu,

etc…

Bernard

En effet, le 20 mai 2003, le recevant en les salons Albert-Mollat du 15 rue Vital-Carles, pour présenter au public bordelais, ce très beau livre, déjà, « L’Altération musicale _ ce que la musique apprend au philosophe« , paru aux Éditions du Seuil en août 2002,

la conférence s’était déroulée comme une conversation (jubilatoire, déjà) sur la musique…

Hier soir,
je suis allé écouter « le grand » Pascal Quignard dans les salons Mollat ; la salle était comble
;
et je n’avais pas encore eu le temps, au milieu d’un trop plein d’activités passionnantes
de lire son « Boutès« …

Je n’ai _ personnellement _ pas trouvé l’auteur en (très) grande forme : grippé,
il nous a lu, de sa belle voix grave, pendant vingt minutes, le premier chapitre de « Boutès« , qui ne m’a pas paru « éclatant », comme parfois, voire assez souvent, se révèle l’inspiration de Pascal Quignard…

Surtout sur une question cruciale, et qui le taraude (et « inspire »),
depuis longtemps
: lire là-dessus « Vie secrète« , en plus de « Haine de la musique » et de « La Leçon de musique » ; ainsi que, encore, « Le nom sur le bout de la langue« , et « Rhétorique spéculative« …

Sans « questionneur » (d’un peu de talent, si possible) en face de lui, au micro, à la tribune
_ Dominique Rabaté (qui vient de publier en mars dernier un très riche « Pascal Quignard _ étude de l’œuvre » aux Éditions Bordas) était pourtant présent dans la salle _,
Pascal Quignard n’eut en face de lui que des questions la plupart assez chichiteuses d’un public un peu trop acquis d’avance, et « extatique »,
à l’exception, notamment, et entre (quelques) autres, d’une dame, s’étonnant, fort justement, de l’affirmation que « Boutès » soit (ou serait ?..) le « dernier texte » de Quignard _ dixit lui-même !!! _ sur la musique…

L’auteur a alors répondu avoir « voulu dire« , par là, qu’en ce « Boutès« , il s’était un peu « écarté », par cette réflexion à nouveau « autour de » la musique, de son axe majeur de ces « années dernières »-ci : la méditation de « Dernier royaume« .

Ainsi nous a-t-il annoncé, qu’après « les Ombres errantes » (I), « Sur le jadis » (II), « Abîmes » (III), « Les Paradisiaques » (IV) et « Sordidissimes« (V), parus en 2002 et 2004,
un sixième volume de « Dernier royaume » était, maintenant même, « en chantier »,
et devrait paraître, non pas en janvier prochain, comme le lui a demandé un lecteur (de Pau : universitaire ?) très attentif à _ et averti de _ l’œuvre quignardien,
mais plus tard en cette année prochaine, 2009…

Enfin, j’ai pu échanger quelque mots avec Dominique Rabaté, qui lui non plus n’était pas disponible jeudi 13 novembre dernier _ pour venir écouter Bernard Sève sur l’écriture de Montaigne ;
participant, quant à lui, à un colloque dans la Loire, à Saint-Etienne…

Pour en revenir au « Boutès » de Quignard,
je le lirai jusqu’au bout, pour rechercher ce qu’il apporte, ou pas, de plus à sa confrontation _ toujours magnifiquement courageuse _ à la question de la musique (et à celle de la langue) ;

ainsi qu’à sa confrontation au « féminin » _ et pas au « maternel », comme il les a « distingués », à propos des « sirènes »

(ou « anges carnassiers« , comme il l’a même proféré…) ;

et très pertinemment, un auditeur l’a interrogé sur cette « distinction »…

Le mot (et concept) qui personnellement m’a « arrêté » et « retenu » en ce premier chapitre de « Boutès » lu non « ambrosiennement« , c’est-à-dire non silencieusement

(Saint Augustin racontant avoir vu Saint Ambroise lire sans qu’on entende sa voix, ni que ses lèvres bougent ; d’où l’expression « lecture ambrosienne« )

par Pascal Quignard
est celui d' »acritique« , page 17 :

« la musique de la cithare
_ d’Orphée _ fabriquée de main d’homme
fait obstacle à la puissante sidérante
_ ainsi Pascal Quignard a-t-il lui-même commenté l’étymologie de « désir » : dé-sidérant ! _ du chant animal _ féminin, chez les Sirènes, mamelues : et le détail revient à plusieurs reprises…

Ce que je traduis par chant animal, Apollonios

_ du texte duquel « part » Quignard pour méditer sur Boutès se jetant à la mer pour

(« dans les vagues noirâtres _ en grec « porphyres » _ qui se soulèvent aux abords des premiers rochers de l’île« , est-il dit page 11)

rejoindre l’île aux sirènes _,

Apollonios, donc, l’appelle voix acritique.
Voix « acritique », c’est-à-dire non séparée, indistincte, continue
« 

_ non passée au « tamis » de quelque « crible »…

Et ici encore un auditeur _ cultivé… et écrivain lui-même _ est intervenu avec beaucoup de pertinence, en proposant d’appliquer à cette « perspective » le concept de « sentiment océanique » de Sandor Ferenczi (1873-1933)…


Je poursuis la lecture :
« Aussitôt après, Apollonios ajoute l’adjectif « aigüe ».

Le chant acritique est nécessairement soprano
puisqu’il vient du monde où la vie se développe
« 

_ c’est-à-dire intra-utérin ;
avant l’expulsion qui fera de la femme (charnellement aimée par un homme, « sexué » :
le mot revient à plusieurs reprises, et sous la plume, et dans la voix de Pascal Quignard ; auteur, aussi, de « La Nuit sexuelle« )
une mère…


Et Pascal Quignard précise :

« Le monde où la vie se développe
est le monde uniquement féminin
qui ne connaît pas la mue
_ cf le récit de « Tous les matins du monde » _
comme le monde des hommes la connaît.

Voilà ce vers quoi s’élance Boutès.« 

Bien à vous,

Titus Curiosus, ce 19 novembre 2008

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