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de la fabrique de l’identité (du soi), sous le versant du genre (féminité, virilité) et de l’intimité (rapports à l’autre) dans le meilleur de la littérature aujourd’hui : « L’Exposition », de Nathalie Léger ; « Zone », de Mathias Enard

17juin

Avec un cran supplémentaire de recul dans le dispositif de lecture (= de mon « commentaire » analytique-critique…) de mes « grands livres » préférés,

en l’occurrence, cette semaine de juin-ci, « L’Exposition«  de Nathalie Léger, après « Zone«  de Mathias Énard, en septembre dernier (2008, déjà…) ; les « grands livres » ne se bousculant pas nécessairement au portillon du lecteur…

_ cf mes articles immédiatement (ou presque) précédents :

« Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus “grand” roman de l’année : “Zone”, de Mathias Enard » (le 3 juin 2009),

« Sur la magnifique “Exposition” de Nathalie Léger, Prix Lavinal 2009 : l’exposition de la féminité et l’exhibition (sans douceur, ni charme = sans joie) comme privation de l’intime » (le 14 juin 2009)

et « la jubilante lecture des grands livres : apprendre à vivre en lisant “L’Exposition” de Nathalie Léger » (le 15 juin 2009 dernier, c’est-à-dire avant-hier) _,

à la réflexion m’apparaît de plus plus évidemment

que la force (formidable !) du meilleur de la littérature d’aujourd’hui

_ et assez loin à l’écart de la fonction idéologique d’auto-crétinisation (de soi) du « grand public« , via le tout-venant des « clichés » des si « divertissants »  best-sellers !.. : « Tournez, manèges » et  « Roulez, petits bolides » !.. pendant que les divers tiroirs-caisses des « marques » se remplissent… _,

tient à la luxuriance du terreau

et personnel et culturel : les deux inextricablement mêlés en leur construction permanente, de bric et de broc, « réciproque » et « infinie » _ ad vitam æternam, si j’ose le formuler ainsi… _

sur lequel (et duquel) les auteurs « vrais » _ un Mathias Énard pour « Zone » ! une Nathalie Léger pour « L’Exposition » ! _ plantent (et tirent) la perspective (en relief) et la puissance de vue (ou force de vista)  dynamisantes, les deux ! de la « vision » de leur « monde« 

_ et à partir d’un monde (réel et effectif forcément commun) pour commencer :

en l’enfance, d’abord, « passage obligé » de la plus grandement visible « minorité » ; mais aussi à l’âge adulte encore, du fait de notre « appartenance » (« ferrée » !..) d’encore trop souvent pseudo « majeurs« , seulement, à l' »époque » : de laquelle nous aurions bien du mal à nous « échapper » ; étant forcément, sans réelle échappatoire, celle-ci, « la nôtre« , d' »époque » !!!) ;

et à partir d’un monde (réel et effectif commun) pour commencer, donc,

« donné« , « imposé« , « reçu » à notre corps défendant et partagé (= commun)…

Fin de l’incise _

en une écriture magnifiquement inspirée, ainsi qu’un style singulier, chaque fois :

en tout cas, c’est ce qui s’avère pour moi, lecteur, à la double lecture de ces deux merveilleux « Zone » et « L’Exposition« ...

Ce sur quoi je désire donc « revenir » et « mettre l’accent« , en ces deux très grands livres que sont donc et « Zone » et « L’Exposition« ,

c’est sur la construction de l’identité personnelle

_ pour qui se dégage du clone, ou du zombie : dans l’important « passage » (méditatif, à propos du plus que problématique « portrait » de soi-même) n° 43, page 77, Nathalie Léger a cette formule magnifique à propos d’une éventuelle « découverte » du « soi » : « l’entassement des spectres qui n’en font d’ordinaire trompeusement qu’un«  _

à partir de ce que Nathalie Léger nomme très judicieusement,

et dès son troisième « passage« , page 11 _ mais qui l’y repère « vraiment« , alors ?.. à sa première (et le plus souvent unique !) lecture _,

« le trajeux sinueux de la féminité » ;

et qui s’est avéré, du moins à ma lecture de son livre, le « motif« 

(de fond !!! à la Cézanne ; au « passage » 15, pages 26 et 27 : je lis, c’est Cézanne qui vient, d’outre-tombe, via le très précieux témoignage _ « Cézanne » _ recueilli, puis laissé (en héritage : à toutes les postérités), par Joachim Gasquet, nous « parler » :

« Un motif, voyez-vous, c’est ça… », dit Cézanne (à Gasquet) en serrant ses deux mains. Il les rapproche lentement, les joint, les serre, les fait pénétrer l’une dans l’autre, raconte Gasquet. C’est ça. « Voilà ce qu’il faut atteindre. Si je passe trop haut ou trop bas, tout est flambé. » Fin de la citation-« leçon » de Cézanne sur le « motif« , page 27 ; et fin de mon incise)

le « motif« , donc, qui allait travailler la narratrice (et l’auteur) de ce récit

_ le vocable « roman » n’apparaissant (heureusement !) pas sur la page de garde du livre ! ni nulle part, non plus, ailleurs en (ou sur) ce livre…

Ainsi qu’à partir de ce que j’ai pu qualifier, en ma lecture de « Zone« , du « motif » de la « pyramide des pères«  dans la construction de ce « roman« , assumé comme tel, cette fois, mais follement inspiré et libre (et grand, en tout ce qu’il brasse de si puissant et si fondamental, pour un auteur si jeune _ de trente-six ans _ en une seule phrase, ou plutôt un seul souffle, de 517 pages, s’achevant sur l’expression, page 217, « une dernière clope avant la fin du monde« …) ;

« roman » d’une seule phrase (pour l’essentiel _ excepté trois chapitres de lecture par le narrateur lui-même, toujours, d’un roman plus « traditionnel« …) dans l’esprit, et souffle, de son narrateur unique, Francis Servain Mirković, s’exprimant à la première personne du singulier, le temps d’un « trajet » (de « méditation-rumination » et de soi et du monde ! archi-mêlés !..) en train (au lieu d’avion : manqué, lui _ « raté« , par exemple page 130… _, à Orly : ouf ! pour la « méditation-rumination » du « soi-monde » !..) entre les Stazione « Milano Centrale » et « Roma Termini » ; et qui m’a fait intituler mon premier article sur lui, dès le 21 septembre 2008 : « Emerger enfin du choix d’Achille«  :

puisque telle est la signification de ce voyage en train (du personnage Francis Servain Mirković) de Milan (Stazione « Centrale » _ en provenance de Paris, gare de Lyon, pour ce qu’il en est, du moins, de ce dernier « transport ») vers Rome (Stazione « Termini« ), afin d’essayer (tout au moins !) de « solder« _ auprès des instances ad hoc du Vatican ; en « vendant » une copieuse valise de documents ultra-secrets sur le passé plus que sulfureux de personnages d' »agitateurs et terroristes, marchands d’armes et trafiquants, commanditaires et intermédiaires, cerveaux et exécutants, criminels de guerre en fuite » du dernier siècle écoulé _ tout un passé hyper violent de plusieurs, au milieu duquel le sien particulier, propre (« lui-même » ayant « accompli sa part de carnage lorsque la guerre en Croatie et en Bosnie l’a jeté dans le cycle enivrant de la violence« ), placé sous la figure archi-coléreuse d’Achille (et de « L’Iliade » : le livre comportant autant de chapitres que « L’Iliade » de livres… : 24.

Et si je jette un coup d’œil au final de ce « Zone« , qu’est-ce j’y découvre (ou retrouve) ? Je lis, à partir du bas de la page 515 :

« voilà nous longeons l’aqueduc romain nous pénétrons les murailles _ demeurées quasi intactes de l’enceinte de l’Urbs _ puis le cul-de-sac de la gare de Termini _ d’un coup voilà que _ les voyageurs s’affolent, des animaux dérangés dans leur sommeil _ de la nuit dans ce train _, ils se lèvent tous en même temps _ grégaires _ récupèrent leurs bagages rangent les livres et les journaux je sors discrètement la petite clé je libère la mallette _ solidement accrochée à un range-bagages : « je l’ai discrètement menottée au porte-bagages« , s’était dit le narrateur, page 15, en s’installant, au départ de Milan, dans le « Pendolino Milano-Roma«  _ la valise si légère _ en poids _ et si lourde _ en secrets _, le train longe le quai _ de la gare d’arrivée de Termini _, il souffle, il prend son temps, j’attrape mon sac me voici debout dans le couloir entre mes compagnons de voyage _ quatre fois au moins j’ai moi-même ainsi débarqué sur ce quai de gare de Termini (sauf qu’une fois, c’était le quai de Tiburtina…), juste après ces sublimes « vues« , avec pins, de la si belle campagne romaine _ nous allons nous séparer, chacun va poursuivre son destin, Yvan Deroy _ l’actuel pseudonyme du narrateur venant livrer (en les vendant) au Vatican les « secrets«  de sa valise d’agent de « zone«  _ aussi _ le narrateur cessant ces « fonctions« -là… _ je vais aller à pied jusqu’à l’hôtel _ où il compte résider un peu _ la vie est neuve la vie est vivante _ il n’y a de progrès et de « bonheur » « vrai » que dans le dépassement (ou « congédiement ») de quelque chose de « dépassé«  _ je sais maintenant _ au final de cette méditation ferroviaire nocturne d’entre Milan et Rome (par Lodi, Parme, Reggio d’Émilie, Modène, Bologne, Prato et Florence : où le convoi a fait station) _, adieu sage Sashka _ la maîtresse (russe) qu’il avait compté rejoindre, en « son minuscule studio du Transtévère« , page 465 _, je peux tenir debout tout seul _ désormais, au terme de cette méditation ferroviaire nocturne de 517 pages sur ce parcours de tant d’années d’aventures violentes dans la « zone«  d’opérations méditerranéenne… _,

je n’ai plus besoin de cette valise, plus besoin _ même ! _ des deniers _ de Judas ! _ du Vatican,

je vais tout balancer dans l’eau (…), au dixième jour _ c’est un projet qui s’échafaude sur le champ… _ j’irai à pied jusqu’au Tibre fatal tout près du pont Sixte _ je le connais bien, reliant les deux quartiers aimés de Campo dei Fiori et Trastevere _ jeter ces morts _ des « secrets » de la valise _ dans le cours du fleuve, qu’il les amène jusqu’à la mer _ la Méditerranée _, le cimetière bleu _ de l’enfouissement-engloutissement _,

que tous s’en aillent _ au diable (ou au « bon dieu« )… _, les noms et les photographies _ les témoignages des « faits » pour « archives«  _ seront rongées par le sel, puis évaporés ils rejoindront les nuages, et adieu, Yvan Deroy rejoindra le ciel lui aussi, le Nouveau Monde _ disparaissant d’ici pour « refaire » sa vie, pour « renaître » « vierge » là-bas outre-Atlantique… _,

adieu Rome trop éternelle _ avec beaucoup trop de mémoire (et beaucoup trop d’archives, surtout au Vatican…) ; comme le chante Octavie (« Addio Roma !« ) dans le sublime « Couronnement de Poppée«  du génialissime Claudio Monteverdi… _, en avion, à l’aéroport de Fiumicino j’attendrai _ nous passons décidément au futur… _ le dernier appel pour mon vol, les passagers, la destination, je serai assis là _ désormais : en un futur devenu immobile _ sur mon banc de luxe sans pouvoir bouger nulle part plus personne j’appartiens _ dorénavant : nous voici en un présent indéfiniment prolongé, sans projet ! _ à l’entre-deux au monde des morts-vivants enfin je n’ai plus de poids plus de liens _ ni professionnels ni érotiques : Sashka, Stéphanie, Marianne : du passé… _ je suis dans ma tente _ de Grec ? de Troyen ? « L’Iliade«  affleure toujours dans « Zone«  _ auprès des nefs creuses j’ai renoncé _ grâce au « congédiement«  _ je suis dans l’univers des moquettes grises des écrans de télévision et ça va durer tout va durer _ désormais _ il n’y a plus de dieux courroucés plus de guerriers _ enfin ! _ près de moi se reposent les avions les mouettes _ de l’estuaire du Tibre _ j’habite _ pour toujours _ la Zone où les femmes sont fardées et portent un uniforme bleu marine _ d’hôtesses de l’air _ beau péplos de nuit étoilée il n’y a plus de désir plus d’envol plus rien un grand flottement un temps mort où mon nom se répète _ non sans ironie dans les haut-parleurs de l’aéroport _ envahit l’air c’est le dernier appel le dernier appel pour les derniers voyageurs du dernier vol je ne bougerai plus de ce siège _ de hall _ d’aéroport, je ne bougerai plus c’en est fini des voyages, des guerres _ ah ! _,

à côté de moi le type au regard franc me sourira _ envisage le narrateur, débarquant pour l’heure à Termini ; et c’est ce présent-là qui pour l’heure est encore le présent du récit… _ je lui rendrai son sourire il y a des années qu’il est là suspendu lui aussi _ certes _ enchaîné à son banc _ tel l’Hercule enchaîné… _ des années il est là depuis bien avant la découverte de l’aviation _ c’est dire ! _ il a une bonne tête, c’est un métèque, c’est un géant, un géant de Chaldée dont on dirait qu’il a porté le monde sur ses épaules _ Antée _, il est depuis des siècles entre deux avions, entre deux trains,

alors qu’on me dépossède de mon nouveau nom en le soufflant dans les haut-parleurs,

je pense aux bras de l’oiseau d’acier qui m’attendent, cent cinquante compagnons de limbes y ont déjà embarqué mais moi je m’y refuse,

je suis Achille _ enfin _ calmé _ de son courroux _

le premier homme le dernier

je me suis trouvé une tente _ où camper longtemps _ elle est à moi maintenant c’est ce tapis ignifugé et ce velours rouge

c’est mon nom qu’on crie mon espace je ne me lèverai pas

mon voisin est avec moi c’est le prêtre d’Apollon c’est un démiurge _ le thaumaturge des métamorphoses _

il a vu la guerre lui aussi et l’aveuglant soleil des cous coupés _ sans en revenir indemne tout à fait, absolument… _,

il attend tranquillement _ désormais _ la fin du monde _ comme certains (autres) illuminés ; un croisé, pas plus tard que hier soir, sur le quai de la gare « Centrale«  à Milan ; un autre, « tchèque germanophone«  (« la Mort est un tchèque germanophone avec un horaire de chemins de fer« , page 59), et qui l’avait passablement impressionné, celui-là, dans un train (« de nuit« , aussi) pour Paris s’en revenant « de retour d’enquête à Prague » « via Francfort« , « du côté de Tetschen » (pages 56 à 60) _,

si j’osais, si j’osais je me jucherais sur ses épaules comme un bambin ridicule _ un nain sur les épaules d’un géant _,

je lui demanderais _ tel le bambin Jésus au géant Cristophore franchisseur de rivière _ de me faire traverser des fleuves, des fleuves au trois fois triple tour et d’autres Scamandres _ le fleuve de la Troade _ barrés de cadavres _ n’achevant pas de se décomposer à l’infini… _,

je lui demanderais _ toujours au conditionnel de la rêverie, comme tout ce final de « Zone« , en marchant, de moins en moins pressé, sur le quai de débarquement de Stazione Termini… _ d’être mon dernier train,

mon dernier avion _ aussi _

ma dernière arme _ tant que nous y sommes _, la dernière étincelle de violence qui sorte _ enfin _ de moi

et je me tourne vers lui pour lui demander,

pour le supplier de m’emporter

il me regarde avec une compassion infinie, il me regarde,

il me propose soudain une cigarette

il dit l’ami une dernière clope _ de condamné ? de libéré ? _ avant la fin ?

une dernière clope avant la fin du monde. »

C’était là le final (avec son point unique _ à l’exception des trois chapitres du roman libanais (« trois récits du Libanais appelé Rafaël Kahla que m’a recommandé la libraire de la place des Abbesses« , page 52) intercalé : les chapitres IV, XIII et XX _ de « Zone« , pages 515, 516 et 517 .

Quels sens, je me le demande au passage, ont donc ces nombres : 24 (chapitres pour « Zone« ) et 100 (« passages » pour « L’Exposition« ) ? Je pense, en effet, ici aussi aux 100 « passages » (plutôt que « paragraphes« ), séparés de « blancs« , de « L’Exposition« , entre le premier mot (« S’abandonner« , page 9) et le dernier (« Atropos : l’Inexorable« , page 157) du livre…


Bref, dans le cas du « récit » très discrètement personnel

_ peut-être « un peu trop discrètement« , m’a confié s’être entendu « reprocher » l’auteur, par quelques uns (peu…) des lecteurs ou « critiques » du livre : opinion que je ne partage certes pas : tout grand livre laisse « ouvertes« , et même suscite (et doit susciter !), mille pistes qui ne seront certes pas « bouclées« … _

de Nathalie Léger, « L’Exposition« ,

je n’ai pas insisté, en mes deux précédents articles (des 14 et 15 juin), sur la part (et particulièrement les « blancs« ) d’autobiographie (de la narratrice du « récit« ) affleurant,

mais toujours très discrètement, en effet,

sans jamais les précisions (terribles ! elles…) qui caractérisent son écriture (au premier rang de laquelle son art _ remarquablement développé à l’IMEC _ imparable des citations : toujours d’une incisivité « documentaire » magnifique : implacable !), à propos du « trajet de la féminité » de la comtesse de Castiglione,

quand elle aborde _ sinueusement… _ l’histoire du « trajet sinueux de la féminité » de sa propre mère ;

et plus encore _ encore plus sinueusement…_ la sienne propre, je veux dire, l’histoire de son propre « trajet sinueux de la féminité » :

au lieu du triomphe glorieux de citations,

c’est alors le règne des pronoms personnels pas complètement déterminés

(par exemple, dans le très bref « passage » n° 49 de deux phrases seulement, page 85 : « Une nuit je la vois en rêve. J’ai oublié le détail _ pour une fois ! mais c’est le propre des rêves, une fois le réveil passé… _, mais le principe, c’est qu’elle ne m’aime pas » :

qui désignent donc ces « la » et « elle » ?.. « Lautre« , peut-être ?.. Ils affleurent bel et bien, pourtant, tels des récifs, tels des amers… ; mais le « blanc » permet de « passer à autre chose« , vite…) ;

voire celui des initiales seulement

(au-delà du « C… » désignant très visiblement la cité « impériale » de Compiègne, et ville de ce musée dont le « conservateur général » viendra apposer son veto au projet _ et « carte blanche » _ d’exposition « Castiglione » de la narratrice : « il refuse mon choix de la photo du reliquaire« , page 149 ;

cet(te) autre « C., « autoritaire et séductrice », comme le dit son entourage« , du « passage » n° 36, page 55 ; voici, je lis :

« Déjeunant _ pour quelles diablesses de raisons ? professionnelles ? autres ? nous n’en saurons certes pas davantage que ce qui nous sera « livré » en ce bref « passage » presque essoufflé de quinze lignes, page 55 _ avec C., « autoritaire et séductrice », comme le dit son entourage _ un personnage ayant ainsi un « entourage » parlant ainsi d’elle, comporte une certaine « importance«  : mais qui la lui donne ? qui la lui confère, cette « autorité«  ?.. ; et pour quelles (diablesses ?) de raisons ?.. _, je devrais me tenir sur mes gardes, rester distante,

mais voilà qu’après l’œuf mayonnaise, elle _ seulement le pronom _ me regarde sans que je sache pourquoi d’un air aimable, le ton de sa voix est presque affable, elle me sourit.« 

Avec ce résultat-ci, confesse alors la narratrice : « Alors, soudain une douloureuse émotion _ retenue non sans difficulté par celle qui « se contient » de se voir ainsi reconnaître un tel pouvoir déclencheur d’« amabilité« m’empoigne _ rien moins ; c’est plus fort sans doute qu’un « m’étreint » : on ressent toute la violence de la « poigne«  se portant sur un cou… _ à la gorge,

une joie presque folle  _ oui … _ me submerge _ rien moins ! _,

tout mon corps _ cette fois, bien au-delà de la seule sensation à la gorge _ souffre de cette étreinte _ d’émotion si intense ressentie subitement _ brutale,

cela ne dure qu’un instant _ avant de se reprendre mieux _ mais un instant, je suis anéantie

_ le terme « anéantie«  (!!!) n’est certes pas anodin : y aurait-il donc, d’une part, des « bonheurs » qui exaltent et comblent ? (ceux dont traite Spinoza en son « Ethique«  ; et qui composent la « béatitude« …) ; et, d’autre part, d’autres qui, eux, « anéantissent » ?.. _

de bonheur,

quoi ? quel bonheur ? »

_ la narratrice se le demande immédiatement, au moment même où, lecteur, je m’y interrogeais… _ ;

et voici ses réponses,

bricolées dans la paix relative de l’écriture a posteriori (qui se souvient fort bien de l’épisode, marquant, pour avoir été, ainsi vécu, « retenu » par la mémoire de la narratrice ; et, mieux encore, digne d’être « rappelé » dans l’écriture du récit, ici, à propos du « trajet sinueux de sa (propre) féminité », à son tour ; après (et à la suite de ; voire enchaînées à) celles, « féminités« , de la Castiglione, ainsi, aussi, que celle de sa mère :

soit comment le « sujet » rencontré, et à plusieurs reprises (il « insiste« …) « par accident« , devient, dans l’écriture du « véritable » écrivain (= écrivain « vrai« …) « travail«  du (puis « travail«  sur, « inspiré« , le) « motif » lui-même… :

« quel bonheur ? celui d’apaiser la haine _ comment donc ? _, d’échapper à la destruction _ en survivant à quelle peine, à quelle blessure si dangereusement mortelle ?.. _ et de ne m’en tirer _ déjà _ pas si mal ?

celui d’être manipulé par une garce _ c’est dit ! _ ?

celui d’être reconnu _ un enjeu capital… _ par une femme _ quelle qu’elle soit ?.. même une « garce » !.. _ ? »

_ soit cette « ambivalence«  (assez terrible, ou terrifiante… : l’oscillation, récurrente dans le récit de « L’Exposition« , entre « attraction«  et « répulsion« ) par laquelle s’est peu à peu construite (et comprise) l’identité, et à travers le « genre«  de la « féminité« , de la narratrice, elle-même, ainsi que plusieurs indices récurrents, donc, viennent l’indiquer très brièvement et discrètement, mais clairement et fermement, tout de même, aussi, au cours du « récit«  de « L’Exposition« , et à quelques reprises ;

la narratrice qui est tout à la fois la fille de sa mère

(ainsi que de son père : celui qui, un moment au moins, s’est laissé séduire par « Lautre«  ;

cf là-dessus les « passages«  (sur des photos fort « gênantes« …) n° 45 à 48,

voire aussi 49 et 50 (s’achevant, alors, ce dernier, sur le récit onirique des « portes de pierre«  en abyme ?.. si étranges…) ; pages 81 à 86 de « L’Exposition«  ;

je cite seulement la conclusion, page 86, de ce récit de rêve : « Seul un petit orifice dans la pierre permet d’observer l’intérieur _ par- delà le seuil de la porte _ dévasté par un éboulement« …) ;

mais qui est aussi la petite-fille de sa grand-mère (maternelle : cette femme au « visage féroce et lumineux« , à l’« allure étonnante« , au « don d’élégance » et au « raffinement«  rares, porteurs de cette « évidence«  et de « cette certitude » « lorsqu’elle paraît dans l’image » des photos qui témoignent pour toujours d’elle, page 153, dans le passage n° 96, au rayonnement tel que sa seule « ombre portée«  faisait cruellement « fléchir » impitoyablement sa fille, la mère de la narratrice, comme le décrit superbement  le « passage » n° 41, pages 74-75, que voici :

« Je regarde les photos de ma mère : cette fragilité, cette délicatesse maladroite, cette bonne petite gentillesse, et ce délié, cette gracilité de l’adolescence, la douceur de son regard, cette soumission attentive, le sourire incertain, la nuque toujours un peu fléchie lorsqu’elle se trouve dans les parages du corps souverain _ lui _ et idéalement conformé _ tel celui de la Castiglione ! _ de sa mère. Sur ces images, c’est bien cela qui frappe le plus, l’ombre portée _ dissolvante, sapante, ébouleuse, rongeuse : faisant « fléchir«   _ de la mère _ superbe observation ! de la petite-fille de cette grand-mère-là…

Ma mère enfant se tient toujours fléchissante _ la nuance négative l’emportant au final sur le fléau qui semblait hésiter encore de la balance… _ aux côtés de la sienne. »

Et cette précision, encore, déjà mentionnée dans les articles précédents sur « L’Exposition » : « Ce fléchissement, ce repli du corps sur lui-même, c’est,

je le reconnais, je n’ai pas cessé de le reconnaître,

étant moi-même à ses côtés, la soutenant, l’aimant, et elle, si tendre, si aimante, si confiante,

c’est bien la honte _ de soi _, le mot est comme une tombe« , page 41 :

voilà la conclusion… 

Bref, en « Zone » comme en « L’Exposition« ,

il n’y a de salut (des narrateurs _ et, en amont, des auteurs ? puis, en aval et à leur suite, des lecteurs ?..) _

que dans l’œuvre réalisée personnellement, et en un vrai style,

où s’entend toute la palette d’une voix infiniment riche

et qui ne réduit jamais le visage à cet « entassement des spectres qui n’en font d’ordinaire trompeusement qu’un« , comme l’énonce superbement la narratrice de « L’Exposition« , page 77 ;

ni ne se confine dans cette « vision d’horreur«  à la « Psychose«  d’Alfred Hitchcock, où ne se voit que « le visage de la mère grimée sur le visage du fils« , à la page page 78 de cette même « Exposition« 

comme y songe la narratrice de l’enquête, se remémorant l’aventure de son « exposition » envisagée (une « carte blanche » laissée, donnée) au « musée de C… » ; et finalement (la « carte blanche » retirée…) avortée.

Comme dans le monologue intérieur du narrateur de « Zone« , Francis Servain Mirković, s’apprêtant à se « défaire«  (à Rome…) de son passé (avec « massacres« ) un peu trop lourd et encombrant, dans un « congédiement » en forme de pied-de-nez et de « retour aux envoyeurs » de mauvais traitements.

Dans un cas _ celui au féminin de « L’Exposition«  _, elle, Nathalie Léger,

procède par « passages«  _ au nombre de 100 _ et « sauts » _ au nombre de 99 ;

dans l’autre _ celui au masculin de « Zone«  _, lui, Mathias Énard,

par une unique phrase (ou souffle) de 517 pages, mais avec un rythme infiniment coulé, souple, avec des ruptures (un musicien dirait « hémioles« ) de signification

(ou encore, un philosophe attentif, « embardées«  : le mot qu’utilisa, à partir du « bricoles«  de Claude Lévi-Strauss, Élie During à propos de mon propre style ; cf mon article du 23 mai « Lire, écrire, se comprendre : allers et retours de “bouteilles à la mer” : la vie d’un blog…« ),

qui sont autant d’appels à la mémoire (lieuse), en voie de constitution du lecteur, à partir de la mémoire collective (du temps ; de l’époque) ; qui est elle-même aussi une construction (de « liens« , de « sauts« ).

Dans les deux cas,

Nathalie Léger comme Mathias Énard ont une culture infiniment luxuriante, précise et souple, procédant par « liens » infiniment riches de sens…

Auxquels « liens » (et « sauts« ), nous, lecteurs, sommes conviés à « réagir« , avec richesse, souplesse et inventivité, à notre tour…


Et tout l’art du récit auquel est convoquée l’activité de la mémoire, la culture et l’imagination du lecteur,

est dans la souplesse de ces « sauts » (-« embardées« ) de pensée…

Le « modèle » littéraire libérateur de ces formidables dispositifs d’écriture/lecture étant, au choix, l' »Ulysse » de James Joyce (en 1922) ;

ou « Le Bruit et la fureur » de William Faulkner (en 1929)…


Voilà, j’ai trouvé :

ce qui m’enchante dans ces « immenses livres » que sont « Zone » et « L’Exposition« ,

c’est leur rythme formidablement puissant et assez follement syncopé (par « hémioles« ),

si riche de tant de dynamique de sens,

en une poiesis à la Walt Whitman, si l’on veut :

par leur très long souffle « avec embardées » ;


mais c’est aussi le style tranquille, plein, toujours dansant, et éclatant d’humour « à la Montaigne« …

Titus Curiosus, ce 17 juin 2009

Post-scriptum :

On peut écouter le très riche entretien de Nathalie Léger avec Bernard Laffargue à propos de « L’Exposition« , enregistré le vendredi 12 juin dans les salons Albert Mollat ; il dure _ les échanges de Nathalie Léger avec le public n’ayant pas été « conservés » pour cette diffusion _, moins de 50 minutes :

c’est un régal de précision et de souplesse (« hémioles« ) d’analyse !!!

la jubilante lecture des grands livres : apprendre à vivre en lisant « L’Exposition » de Nathalie Léger

15juin

Un grand livre _ tel que « L’Exposition » de Nathalie Léger _ est un livre qui vous entraîne, vous lecteur, à sa suite, dans une découverte, avec jubilation : la découverte d’un secret, d’abord enfoui dans (et sous) beaucoup d’apparences, sous beaucoup d’ignorance (et de naïveté de votre part ; comme, tout d’abord, en amont, celle de l’auteur, en son travail même d’écriture) ; tant objectivement _ en soi, dans le réel (touffu _ et dangereux !) auquel il (le livre !) se confronte _ que subjectivement _ pour soi-même, lecteur, a priori vierge (comme tout nouveau venu au monde) de beaucoup de bien des connaissances nécessaires pour seulement en venir à partager (en se forgeant de bric et de broc, toujours, quelque « expérience » qui tienne un tant soit peu la route ; et aide à cheminer, avancer, accomplir son chemin) ;

en venir à partager, donc, quelques « coins » de ce « secret » que l’auteur va peu à peu, au fil des lignes, des phrases, des pages, et par bribes _ lui aussi ! _, « exposer« , « révéler« , « mettre au jour« .

En cela, tout grand livre est une chasse au trésor…

Avec le risque qu’à la fin, en dépit de mille péripéties haletantes, et souvent exaltantes, entre quelques passages (reposants) de temps morts relatifs (pour souffler, récupérer, faire un peu le point, avant d’affronter une nouvelle étape affolante de découverte, par escalier), on se dise parfois : ce n’était donc que ça ? Tout ça rien que pour ça ?..

Tout grand livre est, en microcosme, ce que toute vie dans le monde (et face à lui et à ses dangers : le réel, on s’y heurte, on s’y blesse ; il a parfois trop vite raison de nous ; et on finira bien, un jour ou l’autre, de toutes façons, par en mourir : devoir baisser le pavillon ; définitivement en rabattre, en quelque sorte ; nos réserves d’énergie épuisées : la vie nous écartant alors, sous l’injonction salutaire : « au rebut » ! « place aux jeunes » !) ;

ce que toute vie dans le monde est : l’apprentissage d’une survie, à défaut, dans les meilleurs des cas, d’un accomplissement (demeurant, pour tant et tant, au stade seulement de promesse non tenue…).

Ne passez pas à côté !!!

Eh bien ! « L’Exposition » de Nathalie Léger,

comme « Zone« , de Mathias Enard,

comme « Traité des Passions de l’âme » d’Antonio Lobo Antunes,

comme « Entre nous » d’Elisabetta Rasy,

comme « Les Disparus » de Daniel Mendelsohn,

est de ces grands livres jubilants, chacun en son genre (parfois singulier), qui vous emportent et vous font découvrir (= partager un peu) un savoir formidable et irremplaçable sur le monde, le réel, la vie et les vivants, que chaque lecteur est amené à fréquenter, aux risques et périls de toute vie. En cela _ mais sans didactisme aucun ! _, ces grands livres nous font faire d’énormes bonds dans l’apprentissage du « métier de vivre« , comme l’appelait le très inquiet lui-même Cesare Pavese…

La quête _ et le schéma narratif _ de « L’Exposition » est très simple :

il s’agit d’une commande, passée à l’auteur, d’un « chargé de mission » à la direction du Patrimoine du ministère de la culture, d’organiser une exposition patrimoniale. Lisons :

« Je travaillais alors à un projet sur les ruines« , indique l’auteur, page 13, « encore un, une carte blanche proposée par la direction du Patrimoine. Il était question de « sensibilité de l’inappropriable », d’« effacement de la forme », de « conscience aigüe d’un temps tragique » _ indications de direction de recherche non négligeables, bien qu’ouvertes, laissant de la marge… « Chaque intervention devait se faire dans un monument historique. On me proposait le musée de C…«  _ ville marquée par le Second-Empire et l’empreinte de Napoléon III… « Il fallait choisir une seule pièce dans leur collection, puis « broder sur le motif », ainsi que me le recommanda le chargé de mission de la direction du Patrimoine avec un petit rire gêné comme s’il venait de faire une plaisanterie salace. Il fallait ensuite mettre en valeur la pièce choisie en sollicitant auprès d’autres musées le prêt d’œuvres contemporaines« _ de la « pièce » patrimoniale élue… Après une première piste bien vite abandonnée en découvrant que la « photographie » envisagée _ « l’étrange et fameuse image d’un vallon morne jonché de boulets, à moins que ce ne soient des pierres ou des crânes disposés régulièrement sur une nature trépassée« , issue d’un « reportage de Roger Fenton, le photographe britannique envoyé par la reine Victoria sur le front de la guerre de Crimée« _ ne faisait pas partie des collections du musée«  ; « c’est alors, tout en attendant l’inventaire que le chargé de mission avait promis de m’envoyer, c’est alors que j’ai cherché dans ma bibliothèque le catalogue sur cette femme, la Castiglione, ce catalogue que j’avais acheté _ par attraction _ et rangé aussitôt _ par répulsion : deux mouvements conjoints d’importance dans le processus même que va décrire « L’Exposition«   _, et dans lequel se trouvaient plusieurs documents appartenant au musée de C… .« 

Ce « passage«  _ l’écriture de Nathalie Léger procède par « passages« , séparés par des blancs, formant des « sauts« , à la façon d’un Pascal en ses « Pensées » ; ou d’un Nietzsche dans la plupart de ses essais (par exemple « Le Gai savoir« , ou « Par-delà le Bien et le mal » ;

les « sauts et gambades« , eux, d’un Montaigne, en ses « Essais » apparemment touffus (nous sommes dans une écriture maniériste) sont, très espièglement de la part de leur auteur, beaucoup plus complexes, défiant très crânement, et on ne peut plus ouvertement dès l« Avis au lecteur » liminaire, « l’indiligent lecteur« , eux !!!) _

ce « passage« , donc, est le sixième du livre (qui en comportera 100, tout rond !) ; il se trouve aux pages 13 et 14.

Si j’analyse les « passages » précédant celui-là, voici ce que cela donne :

Le premier « passage« , de six lignes seulement, en ouverture du livre, page 9, est une sorte de vademecum (pour soi) de l’auteur se mettant au travail (d’écrire _ et se livrant à son « génie » singulier…) :

« S’abandonner, ne rien préméditer, ne rien vouloir, ne rien distinguer ni défaire, ne pas regarder fixement, plutôt déplacer, esquiver, rendre flou et considérer en ralentissant la seule matière qui se présente comme elle se présente, dans son désordre, et même dans son ordre » _ je l’ai commenté dans mon article précédent, hier : « Sur la magnifique “Exposition” de Nathalie Léger, Prix Lavinal 2009 : l’exposition de la féminité et l’exhibition (sans douceur, ni charme = sans joie) comme privation de l’intime« …


Le second « passage » porte déjà sur l’apparent « sujet » de l’enquête : le secret de la beauté (ainsi que de la fascination pour sa propre image photographique) de la Castiglione, dont le nom même n’est pas encore mentionné dans les citations qui la désignent, cette beauté, ou plutôt la fascination (médusante ; ou jalouse, meurtrière) qu’elle exerce sur les autres femmes (page 116, on trouvera sur ce contexte d’extrême violence de la cour (impériale) en partance, sur les quais de la gare du Nord, pour Compiègne, l’expression : « des enjeux terribles, des haines, l’arrière-boutique saignante de la parade« ) ; les hommes, quant à eux, s’y laissant volontiers prendre, et succomber : ces citations, pages 9 et 10, sont empruntées à la princesse de Metternich. La narratrice commente simplement : « On contemplait sa beauté comme on allait voir les monstres« ...


Le troisième « passage » porte sur la découverte « par hasard » de la Castiglione et de ses images photographiques par la narratrice du récit, sous la forme d’un « catalogue » d’exposition de photographies, « La Comtesse de Castiglione par elle-même«  :

« C’est par hasard, en haut d’un petit escalier de bois dans la librairie délabrée d’une ville de province, que je suis tombée sur elle, frappée à mon tour, mais pour d’autres raisons _ qui vont faire rien moins que le « motif » discret de « L’Exposition«  Une femme a fait irruption sur la couverture d’un catalogue, « La Comtesse de Castiglione par elle-même« . J’ai été glacée par la méchanceté _ oui _ d’un regard, médusé par la violence _ oui _ de cette femme qui surgissait dans l’image. J’ai simplement pensé sans rien y comprendre _ alors _ : « Moi-même par elle contre moi » _ une expression (de « travail sur soi » : dialectique) qui ira s’éclairant… ; et combien superbement ! _, dans un bredouillement de l’esprit qui s’est un peu apaisé lorsque j’entendis _ de retour à Paris ? _ sur le trajet du 95 une femme faire à une autre le long récit gémissant des circonstances de sa jalousie _ un terme en effet intéressant. Au moment de descendre, elle lâcha pour résumer : « Tu comprends, mon problème, c’est pas lui, c’est elle, c’est l’autre« . Sur le trajet un peu sinueux de la féminité _ l’expression est magnifique : voilà le sujet de « L’Exposition » !!! le « motif » qui va travailler et l’auteur, et le livre… avant le lecteur ! ensuite… _, le caillou sur lequel on trébuche _ avant que de devoir « se rétablir«  _, c’est une autre femme (« l’autre » _ c’était ainsi que nous avions nommé la femme pour qui mon père avait quitté ma mère _ « Lautre », c’était devenu son nom, un nom qui permettait d’annuler sa qualité pour ne s’attacher qu’à sa fonction _ en effet ! _ ; « Lautre », celle qui n’était pas légitime, celle qui n’était pas la mère ; « Lautre », quoi qu’elle fasse, on la hait, on la désire _ dans l’ambivalence _ ). » Le dispositif narratif (de ces « passages«  : c’est mieux que « paragraphes«  !..) se met peu à peu et implacablement en place… Jusqu’à l’ultime mot, lors du centième, page 157 : « Atropos : l’Inexorable« … Mais, alors, ce sera gagné… Nous aurons, avec l’auteur _ sans doute… _, « vaincu«  : c’est-à-dire « surmonté« 

Le quatrième « passage » décrit une scène : de théâtre ? à moins que ce ne soit, plus surement, une photo : peut-être celle-là même de la couverture du « catalogue«  qui vient d’être évoqué : « Elle entre. Elle est dans le plein mouvement de la colère et du reproche. Elle fait irruption sur la droite de l’image _ le terme est important _ comme d’une coulisse masquée par un rideau _ est-ce à dire que le théâtre n’est, ici, que « métaphorique » ?.. De quoi est-ce donc ici l’« ekphrasis » ?.. Elle tient dans sa main ramenée contre sa taille un couteau qui luit obliquement en travers de son ventre. Le visage est fermé, la bouche mince, les lèvres serrées, le regard clair et dur, les cheveux sont plaqués en deux petits bandeaux secs séparés par une raie impitoyable, le couteau« … etc… « Tuerie de théâtre ? Oui, personne ne peut en douter, elle est sur une scène et fait mine de prendre soin que tout ça ait l’air véridique. Mais comme toute grande actrice, elle fait semblant de faire semblant« … Elle ne fait donc pas vraiment semblant… Du « vrai«  sourd de l’image… Le « passage » se conclut par la formule : « Cette femme entre, elle veut tuer. » Se venger…

Quelle place assigner à ce quatrième « passage« , pages 11 et 12, dans la progression de ce début de récit de « L’Exposition » ? Il semble bien, pourtant, qu’il s’agisse, déjà là, d’une « image » de la Castiglione se mettant elle-même en scène, dans le studio Mayer & Pierson (dont la mention n’apparaîtra qu’au onzième « passage« , page 19 _ mais lire, pour le lecteur, c’est nécessairement se souvenir ; opérer des connexions…) ; et sous l’objectif de Pierre-Louis Pierson, dont le rôle et le travail assigné par la commanditaire, est présenté et remarquablement détaillé _ Nathalie Léger est toujours magnifiquement (quoique toujours très sobrement : rien de trop) « détaillante« … _ dans le douzième « passage« , pages 20 et 21…

Enfin, le cinquième « passage« , juste avant celui de la « carte blanche » de « commande » d’une exposition pour la direction du Patrimoine, décrit la « re-découverte » du catalogue par la narratrice :

« J’ai recherché dans ma bibliothèque _ où il avait été enfoui, sinon même englouti, parmi tous les autres livres qui la constituent : c’est aussi à cela que servent les bibliothèques (cf le délicieux petit livre de Jacques Bonnet « Des Bibliothèques pleines de fantômes« ) _ le catalogue sur elle, ce catalogue que j’avais acheté et rangé aussitôt. J’y ai retrouvé immédiatement le dégoût _ très vif, et lancinant (comme une carie avancée avant qu’elle soit soignée) _ de ces images, de cette férocité, de cette mélancolie sans profondeur _ la formule, terrible, assassine, si l’on veut bien s’y arrêter un peu… _, de cette défaite » _ soit l’image faite chair de la « ruine«  Avec cette conclusion, tout de suite : « j’ai eu l’impression étrange _ cette « Inquiétante étrangeté« , « Das Unheimliche » dans l’article que lui consacre Freud en 1919 (cf « L’Inquiétante étrangeté et autres essais« ), et qu’il vaudrait mieux traduire, me semble-t-il, par « bizarre familiarité » _ de rentrer à la maison et, bien que cette maison soit détruite, d’y rentrer avec crainte, avec reconnaissance«  _ toujours cette même « ambivalence« , et comme pour « mettre enfin au clair«  des miasmes bien trop délétères encore, sinon…

Je ne reviens pas sur le sixième « passage« , décisif pour le dispositif narratif de « L’Exposition« .

Suivant, forcément (!), ce sixième « passage » de la commande de l’exposition (avec « le musée de C… » pour partenaire « proposé« ),

arrive le septième, qui « brode« , lui, dans l’esprit « en chantier » de la narratrice, sur le concept de « sujet« 

à partir d’une savoureuse _ on l’entend légèrement rouler les r _ remarque de Jean Renoir : « Le sujet m’a totalement boulotté ! Un bon sujet, ça vous prend toujours par surprise, ça vous amène«  : ça vient formidablement soulever et féconder votre inspiration, à partir d’un « terreau » qui dormait en attendant cette occasion de « s’éveiller » et de « se déployer » enfin ; d’exhaler toute la palette de ses fragrances ne demandant qu’à s’aviver… La « bête » (du « sujet« ), tel un python venant fasciner sa victime avant de la « boulotter« , très effectivement _ Nathalie Léger raconte, page 15 :

« Ce jour-là, j’ai pris un livre au hasard, c’était un livre sur les pythons, la dévoration par les pythons« , plus exactement, même... _ ; la « bête« , alors, « vous fait cracher ce que vous vous êtes enfoncé dans l’esprit, un sujet énorme et dissimulé _ enfoui, et sans doute même « refoulé« , dirait Freud ; cf ici le « Vocabulaire de psychanalyse«  de Laplanche et Pontalis _, incompréhensible _ tout d’abord _, puissant, plus puissant que vous, et d’apparence ténue le plus souvent, un détail, un vieux souvenir, pas grand chose _ apparemment, du moins ! d’abord… encore et toujours _, mais qui vous prend _ tel le serpent Python (celui-là même dont Apollon, le dieu de la lumière, du Soleil, de la musique et des Muses, débarrassa le territoire, devenant alors « sacré« , de Delphes, au pied du Montparnasse ; où s’installa alors l’oracle de la « Pythie«  _, mais qui vous prend et inexorablement _ ce sera, nous venons de le voir (et le dire), le mot de la fin du livre, « Atropos : l’Inexorable« , page 157 : mais enfin vaincu ! _, vous confond en lui pour régurgiter lentement quelques fantômes inquiétants, des revenants égarés mais qui insistent« , pages 15 et 16… Ces « fantômes » « égarés » et qui ne partent pas, mais « reviennent » et « insistent« , restent et campent là implacablement, nous allons les retrouver, dans les traits mêmes, s’épaississant de leur charbon (de noirceur), de la comtesse de Castiglione.

Ainsi, ce « passage«  sublime, qui débute page 77 :

« Il y avait dans la chambre d’enfant un placard dans le mur, une sorte d’armoire. On ouvrait ses lourds battants ouvragés avec une grosse clé, mais au lieu de trouver la profondeur obscure et mate d’un rangement silencieux _ muet, mutique : laissant en paix _, piles de draps ou de livres, on tombait brutalement sur son propre visage,

soi-même inattendu dans le miroir qui surmontait un petit lavabo et son nécessaire à toilette

soi-même pétrifié de se trouver là avant même de s’être reconnu _ en une opération laissant tranquillement le temps de s’identifier soi-même ; c’est la surprise ici qui oblitère cela ; ôte les défenses et boucliers traditionnels ; et nous livre au « médusement«  sans appel de Méduse… _,

inconnu _ ainsi, dans la surprise _,

s’égarant dans son propre regard _ qui n’a pas le temps d’opérer les efficaces « focalisations » habituelles _,

dépossédé de ce qu’on croyait pourtant le mieux à soi _ la contenance de son visage, celui que nous offrons quotidiennement à autrui dans le « commerce » de la socialité urbaine inter-humaine… _,

on se perd si facilement,

ou plutôt on se confond,

mais là, soudain, par surprise, tombant sur soi _ le miroir, lui, était caché dans l’armoire ! on ne s’attendait pas à ce qu’il allait, ainsi, nous montrer, nous imposer, sans nulle « préparation« , de nos propres traits… _,

c’est-à-dire précisément sur d’autres _ que soi en nous : nous y voilà donc !!! _,

on découvrait en un éclair la superposition de figures innombrables _ voilà ce qu’est être un « très grand écrivain » !.. _,

l’entassement des spectres qui n’en font d’ordinaire trompeusement qu’un«  _ soit soi-même comme un « spectre » abusé de ne pas savoir encore de quelles pyramides d’autres « spectres«  il est tout rapiécé !.. Nathalie Léger est une très très grande !!!

Le « passage » des pages 77 à 79, un des sommets de cette « Exposition » se poursuit par une parenthèse plus prosaïque, sous la forme d’une conversation (entre amies) :

« (Je me souviens d’une conversation _ un écrivain fait « feu de tout bois« , « convoque«  (comme il peut…) l’infinité de ses souvenirs, comme de ses lectures _ en sortant d’une exposition sur le portrait _ à ce propos, on pourra se reporter au très intéressant « cahier » sur le portrait, « Actualité du portrait« , dans le numéro de juin 2009 de « La Revue des Deux Mondes« … _ : « Comment tu te décrirais, toi ? Il ressemblerait à quoi ton propre portrait ? » _ dans, aussi, ce qu’est devenu l’état de notre langue orale… _, et mon amie essayant les mots, les appliquant à son visage avec la même incompréhension lente, le même sentiment d’étrangeté qu’on peut avoir lorsqu’on enfile un vêtement dont on ne comprend pas la forme : « Je ne sais pas, je ne me vois pas. Quand je me regarde dans un miroir, celle que je vois, c’est ma mère ; c’est elle que je vois lorsque je me regarde, moi, dans le miroir ; mais c’est une vision d’horreur, c’est « Psychose« , le visage de la mère grimée sur le visage du fils ») ».

Ce qui suit, la fin du « passage« , va encore plus loin, page 78 :

« Je m’enferme, je me déshabille, je m’approche _ en un double sens _, je regarde _ sans complément d’objet, intransitivement en quelque sorte… C’est incompréhensible, comme toujours _ cf les portraits et les auto-portraits « terribles«  de Francis Bacon ; et de Lucian Freud, plus encore : sublimes !!! _, c’est effrayant, cette forme en amande, ce trou, des plis, l’ombre noire qui cille autour, la clarté, la matière, et le trou,

j’écarte un peu : le trou reste le même, c’est toujours autour que ça s’agrandit, la clarté devient démesurée mais le trou reste le même, je regarde fixement, ce n’est plus l’œil, c’est le regard, mon regard qui me fixe et ne scrute de lui-même qu’un trou.« 

Avec ce commentaire, alors, emprunté au « Michel Strogoff » de Jules Verne _ je j’ai lu, quant à moi, enfant, dans l’édition en deux volumes de la Bibliothèque verte… :

« Ne reste que les larmes pour noyer cette vue, pour me sauver de l’aveuglement, comme Michel Strogoff échappant au bourreau qui l’aveugle grâce aux larmes qui noient son regard à la vue de sa mère tant aimée, « Ma mère ! Oui ! Oui ! A toi mon suprême regard ! Reste là, devant moi ! Que je voie encore ta figure bien aimée ! Que mes yeux ne se ferment en te regardant », mais les larmes ne viennent pas« …


Et ces deux autres « passages« -ci, très forts, aussi, sur les spectres « en soi« , page 118 et page 146 ; mais à nouveau à propos de la Castiglione :

le premier concerne

« le vrai cabinet, le vrai boudoir d’outre-tombe » de la Castiglione, tel que le révèle « une photographie opaque, presque noire, intitulée « Effet de clair-obscur » », parmi des « documents appartenant à Robert de Montesquiou sur la Castiglione« … « Le cabinet tel qu’il fut _ « rue Cambon, au-dessus de chez Voisin« , avait-il été indiqué page 44 _, surgissant sous mes yeux dans une étrange lueur trouée d’obscurité, est ici comme un gouffre caverneux enseveli sous un plissé blafard qui révèle sa vraie nature de suaire ;

sur le divan, la forme abandonnée d’une houppelande ou d’un tapis de peluche, à moins que ce ne soit l’inertie de la poussière qui forge dans ses remous _ car même la poussière a des remous : on peut même les lui demander… _ un fantôme livide _ de qui ? _ ;

quant au miroir, c’est une surface glauque agitée comme une goule et qui maintient sous son eau le portrait informe, le seul portrait en vérité _ de la Castiglione, en dépit de la multiplication forcenée des séances de pose et les clichés sans nombre (plus de 500 de répertoriés) pris dans l’« atelier de photographie«  de Pierre-Louis Pierson, et cela jusqu’à la mort de son « sujet« , le 28 novembre 1899… _, amas de figures passées, concrétion monstrueuse de souvenirs, le vrai visage de cette femme, un vrai visage«  _ enfin ! pas ces poses indéfiniment recherchées…

et le second, à l’occasion d’une réflexion fantasmée sur l’hypothétique « rencontre« , à Paris, « un matin du mois de juillet 1900« , lors de « l’Exposition universelle de 1900« , « au Champ-de-Mars« , de Sigmund Freud, en visite à Paris et de « l’exposition«  qui avait été bel et bien envisagée et « se serait appelée « La Plus Belle Femme du siècle » » de la collection des portraits photographiques de la comtesse de Castiglione :

« Sigmund Freud aurait visité l’exposition en se demandant, songeur : « Mais que veut la femme ? » On ne sait pas, on ne peut pas savoir ce qu’elle veut _ poursuit l’auteur, page 146 _, mais on peut savoir ce qu’elle fait en regardant les photos de la Castiglione : elle danse. Ça ne se voit pas, c’est invisible, mais, du matin au soir, dès qu’elle se retrouve sous le regard d’un autre _ et le point est crucial _, elle danse. On ne voit presque rien de cette danse-là. Seule la photographie rend visible ce mouvement incessant des spectres en elles _ voilà le fond de ce réel traqué ! _, ces allers et retours vers l’autre, ces reprises, ces sauts, en faisant paraître ce que certains chorégraphes nomment la « fantasmata »… ».

L’analyse de Nathalie Léger se fait très savante et plus que jamais perspicace ici, page 147 _ et me rappelle ce que mes propres recherches (sur la collection de manuscrits musicaux des ducs d’Aiguillon, conservée à Agen) m’ont fait entr’apercevoir à propos de cette forme de « danse«  ou « ballet«  que fut la « pantomime«  vers 1739-40, lors du passage à Paris de la Barbarina et de son chorégraphe Antonio Rinaldi, dit Fossano _ :

« C’est un maître ancien, un certain Domenico da Piacenza, qui en parle le premier vers 1425 dans son « De arte saltandi et choreas ducendi« . Le corps doit danser par fantasmata. Qu’est-ce que c’est ? C’est la manière avec laquelle, une fois le mouvement achevé, on immobilise le geste « comme si on avait vu la tête de Méduse ». Pour accomplir le mouvement, il faut figer un instant l’esprit du corps _ sic _, « fixer sa manière, sa mesure et sa mémoire, écrit-il, être tout de pierre à cet instant » _ la citation (de 1425) est merveilleuse ! _ ; l’esprit de la danse _ re-sic ; mais l’expression peut nous être cette fois davantage familière… _ est dans cette immobilisation de la figure, dans cet arrêt sur image _ pour le destinataire _ qui donne seul le sens _ c’est-à-dire « l’indique«  _ du mouvement. Et Nathalie Léger d’appliquer ce concept de « fantasmata«  aux photos de la Castiglione… La photographie permet de saisir, dans la danse incessante de la femme sous le regard de l’autre _ et cela va certes au-delà du cas particulier de la Castiglione ; et, plus loin encore : qu’en est-il de ce que devient aussi la gestuelle (« gestique«  existe-t-il ?) des « hommes«  aujourd’hui, je m’y interroge au passage… _, cet état de pierre qui révèle l’instantané d’un secret. C’est cela qu’elle _ la Castiglione _ aurait voulu exposer » _ en ses photos : dans le souci des « destinataires«  éventuels


Après ce passablement long développement autour du concept de « sujet » présent dans le septième « passage«  (pages15 et 16),

il me reste à indiquer que le quinzième « passage« , pages 26 et 27, déploiera le « sujet » en « motif » grâce à l’attention recueillie au « génie » même de Cézanne… Mais cela, je l’ai développé dans mon article d’hier, « Sur la magnifique “Exposition” de Nathalie Léger, Prix Lavinal 2009 : l’exposition de la féminité et l’exhibition (sans douceur, ni charme = sans joie) comme privation de l’intime« …

Page 27, encore dans la phase de « présentation » de sa « recherche« , de son « enquête« , en laquelle consistera ce livre de « L’Exposition« ,

Nathalie Léger se demande : « Quel est mon motif ?« 

Et répond : « Chose petite, très petite, quel en sera le geste ?« 

Un geste de congédiement…


Pour le moment,

tout au récit de l’aventure de l’exposition pour le « chargé de mission » de la direction du Patrimoine,

et se centrant sur l’étrangeté des photos de la Castiglione,

elle répond, page 27 :

« Je regarde son visage, ce « Portrait à la voilette relevée » de 1857, ses yeux tombant, cette bouche si lasse, pincée, cet air de deuil » _ Virginia Elisabetta Luisa Carlotta Antonietta Teresa Maria Oldoïni, née à Florence le 23 mars 1837 et morte à Paris le 28 novembre 1899, n’a pourtant, en 1857, que vingt ans !!! La tristesse de cette femme est effroyable _ ce mot tue ; et c’est là la raison de la si violente répulsion que suscitent, après sa beauté marmoréenne, de son vivant, ces photos conservées, désormais qu’elle est morte _, une tristesse sans émotion, la vraie défaite de soi _ rien moins !!! et à plate couture ! sans rémission ! _, un effondrement intérieur, la désolation » _ d’où cette misérable fin dans le « gourbi » de l’« entresol« , rue Cambon… Et Nathalie Léger d’introduire ce « coin » si pertinent entre « sujet » et « motif« , page 27 toujours : « La photographie peut en donner une image, mais pour en faire un motif, il faut autre chose, il faut par les mots, rapprocher, conjoindre, faire pénétrer« …


Ce que l’écriture de « L’Exposition » réalise par cette procédure des « passages » qui se suivent, s’entrecroisent avec suffisamment de « sauts » et d' »espaces » pour donner

_ à l’auteur écrivant comme au lecteur en sa lecture (ainsi qu’au jeu des « passages » eux-mêmes ; et à l’articulation des divers « documents » rassemblés) _

assez d’espace et de temps

_ « déplacer« , « esquiver« , « rendre flou » et « considérer en ralentissant (!!!) la seule matière qui se présente, dans son ordre et même dans son désordre« , a-t-elle commencer par prévenir, en son « passage » d’ouverture de « L’Exposition« , page 9 ! c’est on ne peut plus clair et précis, comme énoncé de « méthode«  d’écriture ! _

pour vraiment, et à assez de « profondeur« , réfléchir ; en s’appuyant sur un art très sûr _ de spécialiste du travail d' »archives« , à l’IMEC ?.. _ des citations, accès inespéré à ces « voix » que nous pouvons dès lors percevoir, jusqu’aux timbres de ceux qui les prononcent, polyphoniquement…

Pour le reste,

on lira soi-même l’histoire s’avançant de cette « enquête » méthodique et passionnée, d’une « exposition » (patrimoniale, à partir d’une photographie élue) en définitive avortée ;

qui ne donnera, en forme de merveilleuse compensation (mais probablement au centuple !!!) aux avanies endurées et pieds de nez, à « exposer« , d’une autre façon, à ceux qui, par leurs manœuvres (ou inertie), l’ont fait échouer,

que cet extraordinaire petit livre, tout menu, de 157 pages,

dont le « motif » de fond,

au-delà du « sujet » premier et apparent

_ mais les deux appartiennent au genre de « l’exposition » : sur l’extension du terme lui-même, découvrir page 111 ce qu’en propose magnifiquement le « Trésor de la langue française » _

n’est autre que « le trajet sinueux de la féminité«  (la formule se trouve page 11, dès le troisième « passage« )…

Et je conclurai sur cette  autre « révélation » du projet de fond, autour de ce « motif« , donc, à la page 108 :

« De quoi voulais-je parler ?

Aux abords de ce corps audacieux _ ce corps qui fend « l’espace du grand salon, la salle de bal, Compiègne, ou les Tuileries« , page 107 ;

« elle entre si assurée d’elle-même« , toujours page 107,

car « son corps lui va de soi » (page 108) ;

« elle traverse le vide immense du grand salon sans défaillir, elle entre dans le cercle éblouissant des regards, elle entre dans la salle de bal, elle fait le vide, laissant les autres (les inquiètes, les scrupuleuses, les attentives) se défaire autour de leur fragile et ardent secret » (page 108 encore) _,

(aux abords) de cette présence impétueuse,

de quel corps timide _ celui-ci : nous y voici !.. _ s’avançant contre son gré dans la lumière,

de quelle poussière, de quelle crainte, de quel regret ? »


Oui, ce livre a pour « motif » de fond « le trajet un peu sinueux de la féminité«  (page 11) de quelques unes, « aux abords » _ ne pas s’en laisser trop impressionner ! _ de quelques autres ;

ce que confirme encore cette note de l’auteur à la lecture d' »un journal » _ sans davantage de précision _, page 101 :

« Je lis dans le journal les propos d’une femme connue et célébrée pour sa beauté. On l’interroge : « Quel est votre meilleur ennemi ? » Elle répond : « la féminité »… ».

L’expression « meilleur ennemi » est celle-là même que Nietzsche réserve au véritable ami, dans son beau chapitre « De l’ami » de la première partie d' »Ainsi parlait Zarathoustra » :

« on doit avoir en son ami son meilleur ennemi » _ celui qui vous stimule (et aide) à vous dépasser effectivement vous-même afin de « devenir » enfin « ce que vous êtes » encore seulement en puissance pour ce moment…

Alors, il ne me semble pas que ni la mère

(pourtant quittée _ un moment ? _ pour « Lautre » : cf page 11 : « l’autre _ c’était ainsi que nous avions nommé la femme pour qui mon père avait quitté ma mère » ;

page 46, aussi, on a pu lire ces paroles de la mère : « Attention ! me dit doucement ma mère tandis que je me penchais pour embrasser le front de l’homme qu’elle avait aimé, attention, il est froid !« …),

ni sa fille

(en ce moment, « malgré l’avertissement maternel, je posai mes lèvres sans aucun pressentiment de ce que pouvait être ce froid, le froid de la mort, la dureté du visage glacé, l’entrechoquement des lèvres sur le visage du père fixement retenu dans ses traits,

absenté, tombé au fond de son propre masque, donné comme jamais (jamais je n’aurais osé poser sur lui mes lèvres avec cette dévotion) et retiré à jamais,

non pas fuyant, non pas insaisissable comme une présence qu’on voudrait retenir et qui échappe (…), non pas cette course éperdue vers ce qui se détourne, vers ce qui est douloureusement vivant et qui s’esquive précisément parce qu’il est vivant,

mais un visage,

ce visage,

entièrement offert et désormais inaccessible, platement retiré, placé bêtement à part, là dans la mort«  _ pages 46 et 47 _

soient des femmes rompues…

Un formidable livre d’apprentissage de l’important (du vivre)

et à mille lieues des pesanteurs du didactisme et des (atroces) clichés du « prêt-à-penser » et de la « bien-pensance« ,

que cette « Exposition » de Nathalie Léger,

et qui,

au passage, aussi,

honore grandement, de sa liberté comme de sa justesse et sa beauté _ son élégance _, le prix Lavinal 2009…

Titus Curiosus, ce 15 juin 2009 

« Two Lovers » _ ou de l' »humanité » vraie du « care » dans le regard cinématographique de James Gray

21nov

Sur le bouleversant film « Two lovers » de James Gray, sur les écrans français depuis mercredi 19 novembre ;

et son « usage » sublime du « care » :

Je sors ébloui et ravi de la première séance (de 11 heures) du 4ème film de James Gray : « Two lovers« 

_ ou quelque chose, pour moi, comme « du care«  :

après trois œuvres déjà impressionnantes (de beauté) dans le genre « polar » de ce « très grand » James Gray : « Little Odessa« , en 1994 ; « The Yards« , en 2000 ; et « We own the night » (ou, en français, « La nuit nous appartient« , il y a tout juste un an), en 2007…

Déjà le titre

_ en dépit qu’au générique (celui de la v. o.) le titre « Two lovers«  suive immédiatement les noms des deux « premiers » interprètes : Joaquin Phœnix et Gwyneth Paltrow  ; s’agirait-il donc, quant à ces « two lovers« , des deux personnages _ Léonard, Michelle _ que ces deux acteurs-là, ainsi mis en relief, incarnent ?.. _,


déjà le titre _ « Two lovers« _, donc,

est ambigü ;

même si l’amour est d’abord, le plus visiblement _ bien sûr ! _, une relation duelle

(de deux corps…) ;

car dans ces relations
_ plurielles ! _ d’amour-là, dans ce film-ci, « Two lovers« , de James Gray,
la relation n’est,

apparait-il ici

_ et davantage, pourrait-on, donc, dire, que jamais ! : sublimement !!! _ ;

la relation n’est

jamais, en aucun de ces (divers) cas d’amour-là (de ce film), simplement

et uniment

duelle…

Pareille « ambiguïté« ,

si telle ambiguïté il y a bien

_ ou complexité de quelque chose comme une ambivalence au cœur même de l’amour, ou du désir (amoureux), éprouvé _ ;

pareille complexité (d’ambivalence) et ambiguïté

est-elle,

même,

profondément voulue _ jusqu’à en faire le cœur battant du titre de son film-œuvre _ ;

profondément voulue, donc, par l’auteur,

l’immense artiste qu’est James Gray ?..


Il nous faut, nous

_ chacun des « spectateurs«  (actifs

cf sur ce qu’est

« être vaiment » « spectator »

et « L’Acte esthétique« , de Baldine Saint-Girons ;

et « Homo spectator« , de Marie-José Mondzain) _;

il nous faut nous y interroger :

car c’est d’abord à cette énigme (fondamentale !)-là

de la relation (d’amour) entre deux êtres « humains«  : « non-inhumains« , veux-je dire

_ cf Bernard Stiegler en son « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » ;

je reviens toujours, forcément, aux mêmes fondamentaux de ma réflexion æsthétique _ et « humaniste » !.. : les deux sont viscéralement liés, conjoints ! ;

que ce film « tendre »

vient frontalement

et en _ et par _ son immense et terrible douceur _ à distance océanique du mélo !!! _

sublimement _ Baldine… _ nous confronter…


Nous sommes confrontés, tout en douceur et délicatesse, à,

et profondément émus, touchés et complètement remués et retournés, par
les permanentes ambivalences de l' »humain » le plus authentique, en cette ambivalente complexité même (de l’amour vrai), qu’il _ nous _ faut, en effet, nous _ « spectateurs » _, « assumer » : comme assez rarement au cinéma,
en une véritable (modeste en même temps, et sans esbroufe) « œuvre » (d’art) cinématographique.


De même que les personnages, eux aussi _ (l’amant _ the « lover« ) Léonard, (l’amante _ the « lover« ) Sandra, (l’amante _ the « lover« ) Michelle _, évoluent, changent, se métamorphosent,

à la fois lentement, quasi insensiblement, sans manœuvre brutale (= esbroufe) de la caméra, ni changement grossier (= vulgarité) du décor _ même si on change (et magnifiquement) de « quartier » (de New-York :

ô combien amoureusement la ville de James Gray est-elle ici filmée par cet enfant de Brighton Beach, à Coney Island, qu’est James Gray !) _,

tout est doux, tout se déploie sans brusquerie aucune, ni coup de revolver, pour une fois,

et sous le choc des « accidents » _ contingents _ qui les effleurent, touchent, blessent, jettent à terre, et, même, à l’occasion, presque les noient,

littéralement,

ces « personnages »…


qui ont

_ ou/et connaissent, ainsi :

et il leur faut un minimum de temps, forcément, pour essayer de « s’en remettre » _

leurs chutes de tension _ dé-préssurisation _, là, à terre…

Le personnage de Léonard Kraditor _ qu’incarne « magiquement », et magistralement dans sa quintessence (sublime) d' »humanité » !.. ; quel « acteur » !.. ;

en ses métamorphoses physiques,

de la balourdise la plus traînante (et courbure de dos, juste ce qu’il faut, pataude),

à la grâce de la lumière, et de la danse, et de l’éclat _ de diamant _ de son regard, perçant et « droit »sous le velours d’un voile infinie de tristesse,

un plus qu' »évident » Joaquin Phœnix _ ;

le personnage de Léonard Kraditor, donc,
un trentenaire célibataire qui vit, loge, habite et travaille chez « papa et maman »,
est partagé,

sans compter la toute première fiancée partie, enfuie

_ présente en forme de photo encadrée au chevet de son lit, dans sa chambre _,

qu’il n’a pas pu

_ pour raison médicale (leurs enfants auraient été « porteurs malades » d’une maladie dont ces deux fiancés-là étaient et sont « porteurs sains ») _ ;

sans compter, donc, la toute première fiancée qu’il n’a pas pu

épouser ;

qui l’a quitté et mis au désespoir

en s’enfuyant,

et sans que, pour jamais, il puisse la « re-joindre »

_ d’où plusieurs tentatives de suicide

dont celle par noyade en ouverture, sublime, du film

_ tranquillement alentie :

juste avant, le convoyeur (de la blanchisserie paternelle, nous le découvrirons un peu plus tard) laisse glisser à terre, sur le ponton, ou pont-passerelle, l’étui à vêtements (nettoyés à sec) qu’il était chargé, donc, de convoyer à un client de la blanchisserie : se lit par dessus le porte-manteau du vêtement nettoyé : « we love _ avec un gros cœur rouge _ our customers« … _

dont celle par noyade en ouverture, donc,

du film, de depuis un ponton, ou un pont-passerelle, pour piétons : la scène, dans la douceur moite d’un crépuscule d’automne new-yorkais, est proprement « magique » ! ;

en plus de s’être tailladé les veines du poignet gauche ;
et de divers séjours à l’hôpital pour « troubles bi-polaires« … ;


le personnage de Léonard Kraditor, donc, est partagé

entre deux femmes qu’il aime

_ et aime aussi physiquenent, charnellement (à l’écran, dans ce que nous donne à voir, ou nous montre, de l’intimité ;

(sur cette « intimité » du personnage de Léonard,

je pense ici au magnifique « La Privation de l’intime » de Michaël Foessel ;

cf mon article « La pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie »  ;

ainsi qu’au très beau « Amitier » de Gilles Tiberghien :

cf mon article « L’acte d' »amitier » : pour une anthropologie fondamentale (du sujet actant)« ) ;

dans ce que nous donne à voir de l' »intimité »

_ = « des liens à » (d’autres sujets _ et non « objets » _ humains), nous a excellemment montré Michaël Foessel _,

de Léonard

et des autres _ au moins deux, si l’on en croit le titre : « Two lovers » _ des « lovers in love« ,

la caméra pudique

_ toujours superbe de puissance autant que de délicatesse, quant à ce qui secoue physiquement ces amants… _

du magnifique James Gray) :

la brune Sandra Cohen

_ qu’incarne l’excellente, toute de sobriété attentive et tendre (« care« ), Vinessa Shaw _

qui l’a « remarqué », lui, Léonard, à la boutique (de blanchisserie-teinturerie) où il traîne tant bien que mal sa dégingandée carcasse (et promène erratiquement, sans se fixer sur grand chose, ses yeux de velours) ;

et à laquelle il plaît (déjà) bien… ;

et que les deux familles (les Kraditor et les Cohen _ professionnellement alliés : en voie d’association) voudraient (bien) lui voir épouser ;

et Michelle, une intrigante superbe « voisine » blonde, tout récemment installée _ par un (riche) amant marié _, de l’autre côté de la cour de l’immeuble (de briques de couleur ocre) ;

tandis que ce personnage de Michelle

_ qu’incarne (avec beaucoup, beaucoup d’élégance, et de charme, et jamais trace d’hystérie) Gwyneth Paltrow _

ne parvient pas, « de son côté », à quitter

l’homme marié
_ riche, et d’une génération plus âgée que la sienne
(ce dernier, Ronald Blatt, confie à Léonard qu’il a lui-même un fils _ d’une trentaine d’années, vraisemblablement, lui aussi _ qui lui ressemble étrangement, en son allure quelque peu « empruntée »… _) ;

ne parvient pas à quitter l’homme marié, donc,

qui lui-même ne se décide décidément pas à quitter sa (propre) femme-épouse
pour épouser (et vivre complètement avec) sa maîtresse,
qu’il vient
,
quand débute le film,
d’installer (faire aménager), donc, dans le quartier _ un peu délabré : Brighton Beach, sur Coney Island, à New-York  _ où habite encore sa propre mère âgée…

Soit un portrait d' »humanité »,

notamment, et d’abord, de Léonard _ qu’incarne si magistralement Joaquin Phœnix (Chapeau !) ;

et de Sandra _ splendidement attentive et bienveillante (ou le « care » :

Sandra offre à Léonard une paire de gants protecteurs),

en ce qu’en donne la très belle, elle aussi, et non transparente, Vinessa Shaw ;

sans oublier la figure extraordinairement attentive de la mère, Ruth Kraditor, portée par une radieusement sobre et belle (et aimante) Isabella Rossellini

_ fille d’Ingrid Bergmann et Roberto Rossellini ;

à la formidable « humaine » présence…

Soit une œuvre (de cinéma) majeure _ sublime, oui ! _ de James Gray, que ce « Two lovers« ,

sur ce qui demeure, encore, un peu, de plus « humain » _ si vulnérable _ dans notre humanité de plus en plus inattentive (= « in-humaine« , barbare)…

Titus Curiosus, le 21 novembre 2008

De _ et autour de (« sur les pas de ») _ Cézanne : avec Rilke ; et Jaccottet

09oct

A propos de deux publications autour de Paul Cézanne :

une « merveille » : les « Lettres sur Cézanne » de Rainer Maria Rilke, traduites _ de l’allemand _ par Philippe Jaccottet (aux Éditions du Seuil, en janvier 1991) ;

et une _ relative _ déception (commandée _ en anglais) : « Hidden in the Shadow of the Master _ The Model-Wives of Cézanne, Monet & Rodin« , par Ruth Butler (à la Yale University Press, en 2008)

D’abord, le récit d’un « génie » _ tel que Rilke _ détaillant

_ et comment !!! « la clairvoyance fervente, la densité et la cohérence« , en dit Philippe Jaccottet en ouverture de sa préface, page 7)_,

à l’automne 1907, à sa jeune épouse, le sculpteur Clara Westhoff, demeurée, elle, loin de Paris, son émerveillement _ « presque chaque jour en vrai pélerin » (dit la Préface de Philippe Jaccottet) _ devant le « travail » des « Cézanne » exposés au « Salon d’automne » ;

et ce que le poète y « découvre », avec l’humilité d’une extrême concentration d’attention, du « travail de création » d’un « génie » tatonnant, lui aussi, mais pinceau à la main, et avec sa palette de couleurs _ se « salissant » copieusement : des photos de 1906 en témoignent ! _, face au(x) motif(s)…

mais « en peinture »…

Ce dialogue patient de deux poïesis, auquel Rilke convie, par la correspondance

_ « dans cette forme de relation à distance, il trouvait la conciliation idéale entre ses exigences de solitude et son besoin de l’autre _ son besoin, aussi, soyons juste, d’aider l’autre » (dit Jaccottet, page 9) _,

son épouse sculptrice,

est littéralement « merveilleux » :

« C’était quelqu’un de raffermi, de fortifié, conscient d’avoir progressé dans son long _ propre _ apprentissage _ de la poésie _

qui allait découvrir, à travers cette première rétrospective Cézanne _ d’octobre 1907 _, une confirmation, vraiment admirable dans sa souveraine plénitude, de son propre choix _ d’artiste créateur _, sur le plan de l’art comme de celui de la vie (qu’il ne pouvait, ni ne voulait séparer) » _ page 11.

La « leçon de  Cézanne« , « est celle de l’objectivité sans limites« 

_ dit Philippe Jaccottet, page 12 :

« Le peintre lui apparaît tel un humble et patient ouvrier, un artisan anonyme,

quelqu’un qui ne laisse pas ses sentiments ou ses idées personnelles interférer dans son travail,

quelqu’un qui ne fait pas de charme, qui ne cherche pas à séduire,

qui ne fait pas non plus de commentaires sur son œuvre« …

(comme c’est remarquablement interprété ! pages 12 et 13).


Et « Cézanne est aussi

quelqu’un qui ne fait pas de différence entre le beau et le laid, le noble et l’ignoble ;

qui accueille avec équanimité _ quelle justesse de Jaccottet ! _ la totalité du réel dans son œuvre » _ page 13.

Et encore : sachant « rester en permanence à l’intérieur de son travail »,

« Cézanne avait pu produire des œuvres parfaitement closes, « miraculeusement absorbées en elles-mêmes », ces œuvres où tout est dans le commerce des couleurs _ mais oui ! _ entre elles

_ là il faut suivre dans leur plus parfait détail

(au sens de « dé-tailler », remarque de détail après remarque de détail, au fil de la plume, comme au fil du regard)

les phrases de Rilke en ces admirables lettres à sa femme _

dans l’échange de la moindre parcelle du tableau avec toutes les autres ;

grâce à quoi la réalité,

toute la réalité,

est à la fois transfigurée

et sauvée dans la peinture«  _ pages 13 et 14…

Quant au livre de Ruth Butler,

c’est ma curiosité envers l’œuvre en train de se faire de Cézanne,

à Aix tout particulièrement

(et au Jas de Bouffan,

et à l’atelier du chemin des Lauves,

et alentours _ au dit « terrain des peintres« , face à la Sainte-Victoire),

qui m’a fait remarquer la mention de la parution de ce livre,

en une édition _ sur le net _ du New-York Times ;

et un questionnement sur la sensualité _ je préfère le dire ainsi _ de Paul Cézanne,

jusqu’aux années 1902-1906,

pour ses « Grandes Baigneuses« 

_ et même « Baigneurs »

(cf le magnifique album « Cézanne en Provence » ;

ainsi que mes articles sur « Cézanne et Aix » :

« Art et tourisme à Aix _ la mise en tourisme des sites cézanniens 1, 2, 3 & 4 « ),

aussi…

Aussi, une « recherche » sur le rôle de l’épouse

_ tardivement épousée : Hortense Fiquet _

de Paul Cézanne en son travail de peinture

(éventuellement comme « muse », inspiratrice, ou _ et surtout (?) _ protectrice

_ cf aussi le rôle de « Nena »,

elle aussi tardivement épousée,

la « protectrice » (romaine) de l’autre grand peintre aixois François-Marius Granet :

je n’avais guère développé ce « pan » de « curiosité » en mon article « Admirable tremblement du temps : Aix-Paris-Rome » sur Granet)

m’avait incité à rechercher à lire ce livre

sur les « Model-Wives« …

Qui demeure, in fine _ las !.. _, assez extérieur

_ c’est-à-dire, en fait, hélas, anecdotique  _

quant au processus poïétique,

sur les traces duquel je m’étais « figuré » (a priori) aller un peu…

l’ouvrage appartenant, probablement, au genre

à la mode, assez ravageuse

_ aux États-Unis, mais ailleurs, maintenant aussi (cf Judith Butler : par exemple, « Trouble dans le genre : le féminisme et la subversion de l’identité« …) _

des « gender studies« …

Peu de profit de découverte,

encore moins d’émerveillement

_ ce que j’ose attendre de mes lectures des livres ! _

à sa lecture, a posteriori, donc :

Se plonger, et mille fois, dans les lettres

(somptueuses, tant elles sont éblouissantes de perspicacité _ et en 1907, qui plus est !  _, elles)

de Rilke,

donc…

Jaccottet concluait sa préface, page 14, ainsi :

« Ne nous étonnons pas que Rilke ait su

si bien voir

et si bien dire

l’œuvre de Paul Cézanne »

_ les deux allant, pour lui et avec lui (génialement !), de pair…

Cependant, et à la relecture de cet article-ci,

il n’est sans doute pas facile, pour Ruth Butler, de succéder, à la lecture

ni à Rainer Maria Rilke

_ dont je n’ai presque pas cité d’extrait (des lettres à sa femme, Clara Westhoff) : tout y est admirable de précision (= d’opération de « détail-lage », si j’ose dire) _ ;

ni à Philippe Jaccottet

_ lui aussi (et quel !) poète ! : existe-t-il, « au monde », plus précise (détaillée et vibrante) écriture (du rythme du « faire » ?..) _ ;

et pourtant, son enquête est intéressante

_ sur les conditions de « cohabitation », à Paris, à l’Estaque

(et bientôt Hortense réside, elle, à Marseille, rue de Rome),

et partout ailleurs, en de multiples

(avec combien d’incessants déménagements !)

« résidences » ;

sur les conditions de « cohabitation »

_ et « la vie », « toute la vie » : la vie en général… _

avec un artiste « au travail » :

la « cohabitation » fut particulièrement difficile

pour Paul et Hortense, et très bientôt Paul « junior »,

dans de très pauvres (et très petits, « étroits ») logis ;

l’artiste-créateur ayant « spécifiquement » besoin de concentration, de silence, de lumière,

tant intérieure qu’extérieure,

si tant est qu’elles soient seulement dissociables !.. _ ;

de même que rétrospectivement _ mais elle, Ruth Butler, ne « fouille » pas assez loin _, quand,

« enquêtant »,

elle va rencontrer Philippe Cézanne à propos de ce que son père, Jean-Pierre Cézanne (né en 1918),

ou sa tante, Aline Cézanne (née en 1914),

ont pu recueillir de la bouche de leur père, Paul Cézanne fils (1872-1947), sur Hortense Fiquet-Cézanne (1850-1922)…

L’enquête mérite de se poursuivre bien davantage, me semble-t-il…

Et le temps (des témoins : sollicitant leur mémoire « vive »…) presse…

De même

qu’il n’est pas nécessairement, non plus, « commode »

d’être fils

d’un artiste « génial », travaillé en permanence et en priorité (pour lui) par son « génie » propre, singulier

_ furieux, gourmand, insatiable, gargantuesque _,

à enrichir, certes, mais aussi à protéger, de tout le reste,

y compris d’autres désirs _ sensuels, nous y revenons _ qui vivent, frémissants, à côté (et « sur les bords » même) du désir d' »œuvrer » de l’artiste…

Ainsi, qu’est-ce,

aussi

_ à côté de qu’est-ce qu’être « épouse-modèle », ou « muse » (et « protectrice ») d’artiste ? _,

qu’est-ce

qu’a pu être fils

_ fils de Matisse, pour un Pierre Matisse

(cf le passionnant « Matisse père & fils » de John Russel, aux Éditions de La Martinière, en avril 1999) ;

ou fils de Picasso, pour un Pablito ?.. _ ;

qu’est-ce, donc

_ à côté de « Qu’est-ce qu’être Hortense Fiquet-Cézanne  ? » _,

qu’a pu être

« fils de Cézanne« 

pour un Paul Cézanne le fils (1872-1947) ?..

Il y a là matière à rêver, mener et écrire

d’autres enquêtes

sur « les sentiers« 

_ rives et abords _

« de la création« …

Titus Curiosus, ce 9 octobre

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