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Face à la déculturation : (re-)penser l’école pour apprendre à apprendre à penser (et « bien faire l’homme » !)

03sept

Nicolas Truong, en son (toujours passionnant et plus que nécessaire !) Théâtre des Idées d’Avignon,

nous offre un superbe entretien _ justissime ! _ sur les fondamentaux _ tant pratiques que théoriques _ de l’école (plus que jamais à re-penser, et plus encore urgemment ! _ tout retard, et toute régression, ont ici des effets très rapidement catastrophiques, à l’échelle du renouvellement (pas seulement biologique de la reproduction génétique !!!) des générations _ à remettre (au plus vite ! contre les démagogues populistes auxquelles sont livrées maintenant _ ici en France comme presque partout aujourd’hui dans le monde, ultra-libéralisme (plus idéologie du « moderne«  et de l’efficacité hyper-pragmatique et rentable de l’« utile« ) aidant… _ les clés des pouvoirs de lÉtat !) sur les pieds d’un chantier enfin « debout » : la tête en haut !

donné sur le site (et la page-papier) du Monde : Contre l’idéologie de la compétence, l’éducation doit apprendre à penser

Ce très important entretien entre Marcel Gauchet et Philippe Meirieu répondant aux questions de Nicolas Truong

s’est construit et déployé lors d’un échange qui s’est déroulé le 13 juillet, dans le cadre du Théâtre des idées, cycle de rencontres intellectuelles du Festival d’Avignon.

Dans quelle mesure l’évolution de nos sociétés ébranle-t-elle les conditions de possibilité de l’entreprise éducative ?

Marcel Gauchet : Nous sommes en proie à une erreur de diagnostic : on demande à l’école de résoudre par des moyens pédagogiques des problèmes civilisationnels _ voilà le fond de la chose et l’enjeu importantissime ! _ résultant du mouvement même de nos sociétés, et on s’étonne qu’elle n’y parvienne pas _ envisagée rien que techniquement et technocratiquement, et à elle seule… Quelles sont ces transformations collectives _ socio-politico-économico- civilisationnelles _ qui aujourd’hui posent à la tâche éducative des défis entièrement nouveaux ? Ils concernent au moins quatre fronts : les rapports entre la famille et l’école, le sens des savoirs, le statut de l’autorité, la place de l’école dans la société.

A priori, famille et école ont la même visée d’élever les enfants : la famille éduque, l’école instruit, disait-on jadis. En pratique, les choses sont devenues bien plus compliquées.

Aujourd’hui, la famille _ et les individus (officiellement, mais très à la marge !, « parents d’élèves«  !) moins que jamais « sujets«  de leurs existences, tant individuelles que collective, en dépit de ce qui s’auto-baptise assez cyniquement « démocratie«  ! _tend à se défausser sur l’école, censée à la fois éduquer et instruire. Jadis pilier de la collectivité, la famille s’est privatisée _ rongée par le mercantilisme sur ce qui pouvait rester d’« âme«  ! _, elle repose désormais sur le rapport personnel et affectif _ mal (névrotiquement !) sur-investi ! _ entre des êtres à leur bénéfice intime exclusif _ cf encore ici le beau livre si lucide de Michaël Foessel : La Privation de l’intime. La tâche éducative est difficile à intégrer à ce cadre visant à l’épanouissement affectif des personnes _ à distinguer des mirages de l’hédonisme de l’agréable.

Philippe Meirieu : Nous vivons, pour la première fois, dans une société où l’immense majorité des enfants qui viennent au monde sont des enfants désirés _ névrotiquement sur-investis trop souvent : de même que « le couple » (cf l’expression « mon couple » !!!). Cela entraîne un renversement radical : jadis, la famille « faisait des enfants », aujourd’hui, c’est l’enfant qui fait _ et le plus souvent mal : cf l’inflation galopante des recompositions inchoatives _ la famille. En venant _ trop mécaniquement : c’est si facile de procréer ! _ combler notre désir _ confondu (hélas ! avec le « besoin« , trop souvent ; pour ne pas dire le « caprice«  d’adultes demeurés infantiles… _, l’enfant a changé de statut et est devenu notre maître _ bonjour les dégâts ! Il n’y a plus d’adultes ! _ : nous ne pouvons rien _ modèle consumériste aidant _ lui refuser, au risque de devenir de « mauvais parents »… _ le tsunami du principe de plaisir emportant les malheureuses (non hédonistes !) digues du principe de réalité !!!

Ce phénomène a été enrôlé _ très fructueusement  ; cf le Propaganda, dès les années vingt aux États-Unis, d’Edward Bernays, neveu de Siegmund Freud, demeuré lui à Vienne… : le modèle de ce qui allait devenir les recettes du marketing efficace et juteux ! _ par le libéralisme marchand : la société de consommation met, en effet, à notre disposition une infinité de gadgets que nous n’avons qu’à acheter pour satisfaire _ pas vraiment : le processus est bel et bien, de facto, une vis sans fin de frustrations : Locke (le fondateur de la pensée « libérale« ) avait déjà parfaitement analysé le mécanisme de cette machine « à profits » à mettre en place (par ce qui allait devenir le capitalisme)… _ les caprices de notre progéniture _cf ici les travaux parfaitement lucides de Dany-Robert Dufour ; à paraître : L’Individu qui vient après le libéralisme

Cette conjonction entre un phénomène démographique et l’émergence du caprice mondialisé _ bravo pour l’expression ! _, dans une économie qui fait de la pulsion d’achat _ bravo encore ! _ la matrice du comportement humain, ébranle les configurations traditionnelles du système scolaire.

Dans quelle mesure le face-à-face pédagogique est-il bouleversé par cette nouvelle donne ?

Ph. M. : Pour avoir enseigné récemment en CM2 après une interruption de plusieurs années, je n’ai pas tant été frappé par la baisse du niveau que par l’extraordinaire difficulté à contenir _ voilà ! _ une classe qui s’apparente à une cocotte-minute _ inchoative…

Dans l’ensemble, les élèves ne sont pas violents ou agressifs, mais ils ne tiennent pas en place. Le professeur doit passer son temps à tenter de construire ou de rétablir un cadre structurant _ on ne saurait mieux dire. Il est souvent acculé à pratiquer une « pédagogie de garçon de café », courant de l’un à l’autre _ comme c’est réaliste _ pour répéter individuellement _ et dans l’espace comme dans le temps : avec des mémoires infantiles devenues celles de poissons rouges ! _ une consigne pourtant donnée collectivement, calmant les uns, remettant les autres au travail.

Il est vampirisé _  oui ! quelle énergie devoir rassembler pour réussir à y résister ! Il faut être en forme olympique ! _ par une demande permanente d’interlocution individuée. Il s’épuise à faire baisser la tension pour obtenir l’attention _ -concentration : base de tout travail et de toute œuvre ; que de pathologies avérées ici ! Dans le monde du zapping et de la communication « en temps réel », avec une surenchère permanente des effets qui sollicite la réaction pulsionnelle immédiate _ cf ici les travaux de l’ami Bernard Stiegler _ , il devient de plus en plus difficile de « faire l’école ». Beaucoup de collègues buttent au quotidien sur l’impossibilité de procéder à ce que Gabriel Madinier définissait comme l’expression même de l’intelligence, « l’inversion de la dispersion » _ c’est parfaitement exprimé ; cf ici, sur cette attention-concentration, l’entretien de Danièle Sallenave (à propos de son La Vie éclaircie) avec Francis Lippa, le 23 mai dernier dans les salons Albert-Mollat ; cf aussi mon article sur ce livre : Les rencontres heureuses et la vitalité généreuse d’une attentive vraie, Danièle Sallenave : l’état (= bilan provisoire) de sa « Vie éclaircie » _ somptueuse lumière d’un livre majeur !).

Dès lors que certains parents n’élèvent plus leurs enfants dans le souci du collectif, mais en vue de leur épanouissement personnel, faut-il déplorer que la culture ne soit plus une valeur partagée en Europe et comment faire en sorte qu’elle retrouve sa centralité ?

M. G. : Le savoir et la culture étaient posés comme les instruments permettant d’accéder à la pleine humanité _ voilà : bien sûr, elle se construit ; et sa destruction (ou régression) se nomme « la barbarie«  _, dans un continuum allant de la simple civilité à la compréhension du monde dans lequel nous vivons _ c’est très clair et justissime ! C’est ce qui nourrissait l’idéal du citoyen démocratique. Ils ont perdu ce statut. Ils sont réduits à un rôle utilitaire (ou distractif) _ ah ! les délices de l’entertainment !

L’idée d’humanité s’est dissociée _ tragiquement : nous en avons sous les yeux (et quotidiennement !) de tristes exemplaires !!! _ de l’idée de culture. Nous n’avons pas besoin _ comme si le besoin (animal) était le criterium de l’« exister » humainement ! Qu’en penserait un Aristote ? _ d’elle pour exister. Nous sommes submergés par une vague de privatisation qui nous enjoint de vivre _ hédonistement, mais en consommant des biens (et services) dits « culturels«  : à acheter… _ pour nous-mêmes et, surtout, de ne pas perdre notre temps _ il est si précieux : « Time is money » ; et « jouissons sans entraves !«  _ à chercher à comprendre ce qui nous environne _ vivent les moutons de Panurge !

Derrière le slogan _ de l’ultra-libéralisme _ apparemment libertaire « faites ce que vous voulez ! » _ là-dessus, lire et relire toujours Gorgias de Platon, et son portrait de Calliclès ! l’ultra-capricieux ! _, il y a un postulat nihiliste _ parfaitement !!! _ : il ne sert à rien de savoir, aucune maîtrise du monde n’est possible. Contentez-vous de ce qui est nécessaire pour faire tourner la boutique _ ou, en sa version moderniste : « gérer«  ! _, et pour le reste _ puisque « vous le valez (si) bien«  ! _, occupez-vous de vous ! _ lire aussi le portrait du « dernier homme«  de Nietzsche dans le sublimissime Prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra !..

L’école est prise dans ce grand mouvement de déculturation _ voilà ! _ et de désintellectualisation _ aussi ! vivent la panse et le nombril, l’estomac et les intestins ! cf quelques remarques bien senties là-dessus de Jean Clair, à propos du symptomatique trash intestino-stomachal dans l’art contemporain, in L’Hiver de la culture  _de nos sociétés qui ne lui rend pas la tâche facile _ y résister ! Les élèves ne font que le répercuter avec leur objection lancinante _ pseudo-utilitariste _ : à quoi ça sert ? Car c’est le grand paradoxe de nos sociétés qui se veulent _ mais seulement idéologiquement ! hélas… _ des « sociétés de la connaissance » : elles ont perdu de vue la fonction véritable _ de vrai bonheur par une vraie libération (véritablement épanouissante : lire ici Spinoza…) ; ainsi que sa dynamique ! _ de la connaissance.

C’est pourquoi nous avons l’impression d’une société sans pilote _ en tout cas sans pilote sage : pas de ces caricatures de petits chefs ne songeant qu’à la jouissance sadique du pouvoir (de s’en mettre _ eux et leurs proches _ plein les poches !). Il n’y a plus de tête pour essayer de comprendre ce qui se passe : on réagit, on gère, on s’adapte. Ce dont nous avons besoin _ et collectivement (dans une vraie république, dans des États qui soient vraiment restaurés en de plus vraies « démocraties«  ; lire et relire ici Alain !), et individuellement (c’est-à-dire personnellement : en vrais « sujets«  (du moins si peu que ce soit) de nos existences, au lieu de n’être que des marionnettes pour des comptables statisticiens calculant leurs profits… _ , c’est de retrouver le sens _ aussi désintéressé et passionné _ des savoirs et de la culture.

Est-ce à dire que l’autorité du savoir et de la culture ne va plus de soi, classe difficile ou pas ? Et comment peut-on la réinventer ?

M. G. : L’autoritarisme est mort, le problème de l’autorité commence ! Le modèle de l’autorité a longtemps été véhiculé par la religion (puisque les mystères de la foi vous échappent, remettez-vous en au clergé) et par l’armée (chercher à comprendre, c’est déjà désobéir) _ ce à quoi se sont opposé les Lumières : « Sape audere ! » signifie  « Ose juger !, te servir de ton propre entendement !«  Ces formes d’imposition sans discussion _ que refusait le démon de Socrate : et qui valut à ce dernier la mort par la cigüe… cf l’Apologie de Socrate _ se sont écroulées, et c’est tant mieux ! Mais il faut bien constater qu’une fois qu’on les a mises à bas, la question de l’autorité se repose à nouveaux frais _ face aux opinions toutes faites et autres conformismes massifs et intimidants. Pourquoi cette question est-elle si importante à l’école ? _ lire ici Condorcet, sur les conditions de la démocratie en une république ; puis Jules Ferry, et Alain…

Tout simplement parce que l’école n’a pas d’autre moyen d’action que l’autorité _ de l’intelligence et de l’affectivité saine : « autorité«  entendue comme le contraire de la violence _ : l’emploi de la force y est exclu et aucune contrainte institutionnelle n’obligera jamais quelqu’un à apprendre _ to learn. La capacité de convaincre _ et non de persuader _ de l’enseignant dans sa classe repose sur la confiance _ intelligente (et donc toujours sujette à discussion et débat, y compris entre soi et soi, eu égard à l’autorité idéale de la raison universelle) : à distinguer de la crédulité, aveugle et niaise (voire fanatique) _ qui lui est faite en fonction du mandat qui lui est conféré _ avec la légitimité d’une légalité saine : ici encore, trop de rebuts aujourd’hui… _ par la société et garanti par l’institution _ quand celle-ci est vraiment fiable, et non fruit de l’intrigue. Nous sommes là pour l’appuyer dans ce qui est une mission collective _ en effet.

Or ce pacte est aujourd’hui _ surtout par des ignares et des aigris bourrés de ressentiments en tous genres… _ remis en question. Les enseignants en sont réduits à leur seul charisme _ sans lui, en effet, pas d’issue… Ils travaillent sans filet et sans mandat institutionnel clair. La société n’est plus derrière eux, à commencer par leur administration _ quand celle-ci cède aux pressions et à la lâcheté… C’est ce qui aboutit à la crise de l’autorité à l’école : les enseignants sont là au nom d’une collectivité qui ne reconnaît pas le rôle qu’ils exercent.

Ph. M. : L’autorité est en crise parce qu’elle est individuée et qu’elle n’est plus soutenue _ cf Michel Crozier : L’Acteur et le système _ par une promesse sociale partagée _ d’où la montée des ressentiments (absurdes)… Le professeur tenait son autorité _ d’abord _ de son institution. Aujourd’hui, il ne la tient plus que de lui. L’école garantissait _ aussi _ que l’autorité du professeur était promesse de réussite _ différée, mais réelle _ pour celui qui s’y soumettait.

Aujourd’hui, la promesse scolaire est éventée et le « travaille et tu réussiras » ne fait plus recette. L’école, qui était une institution, est devenue un service _ voici : et si celui-ci s’achetait (sur-le-champ et sans efforts de soi de la part de l’adolescent), cela conviendrait encore davantage ! _ : les échanges y sont régis par les _ seuls : tristement pauvres ! _ calculs d’intérêts à court terme _ le diplôme comme viatique pour un travail… Le pacte de confiance entre l’institution scolaire et les parents est rompu. Ces derniers considèrent souvent l’école comme un marché dans lequel ils cherchent le meilleur rapport qualité/prix _ tel est pour eux la donne ; et le plus tôt le résultat est atteint, leur sera à eux aussi le mieux…

Le défi qui s’ensuit est double. Nous devons d’abord réinstitutionnaliser l’école jusque dans son architecture. Si les lycées napoléoniens ont si bien fonctionné, c’est qu’à mi-chemin entre la caserne et le couvent, ils alliaient l’ordre et la méditation _ voilà ! Réinstitutionnaliser l’école, c’est y aménager des situations susceptibles de susciter les postures mentales _ absolument : et en prenant en compte leur dimension temporelle ; leur suivi… _ du travail intellectuel.

Il est essentiel d’y scander _ clairement _ l’espace et le temps, d’y structurer des collectifs, d’y instituer des rituels _ oui ; et vraiment joyeux ! _ capables de supporter l’attention et d’engager l’intention _ profonde et enthousiaste si possible : dans la joie de l’effort et de la curiosité _ d’apprendre…

Nous devons ensuite, contre le savoir immédiat et utilitaire _ mécanique ! _, contre toutes les dérives de la « pédagogie bancaire » _ excellente expression encore ! _, reconquérir le plaisir _ généreux _ de l’accès à l’œuvre _ ceci est capital !!! en la richesse de sa nécessaire complexité… La mission de l’école ne doit pas se réduire à l’acquisition d’une somme _ réductivement simplifiée et capitalisable _ de compétences, aussi nécessaires soient-elles, mais elle relève de l’accès à la pensée _ en tant qu’aventure (complexe) sans cesse en chantier. Et c’est par la médiation _ mais oui ! _ de l’œuvre artistique, scientifique ou technologique _ forcément elle-même construite, en sa relative complexité et richesse ! _ que la pensée se structure et découvre une jouissance qui n’est pas de domination, mais de partage _ voilà : une distinction éminemment cruciale ! Soit encore Socrate versus Calliclès…

La réinvention de l’école passe donc aussi par un réexamen critique de nos outils pédagogiques ?

Ph. M. : L’accès _ artistique _ à l’œuvre _ et pas seulement d’Art : scientifique et technologique aussi… Le génie (humain) est invention, intuition et (longue) patience… _, parce qu’elle exige de différer _ voilà : dans l’épaisseur de la durée du temps vivant _ l’instrumentalisation _ technico-commerciale seulement _ de la connaissance _ processus lui-même non mécanique _ et d’entrer dans une aventure intellectuelle _ ouverte : c’est un pléonasme ! cf l’essentiel là-dessus L’Acte esthétique de Baldine Saint-Girons qui en détaille, à propos de l’œuvre d’art,  la merveilleuse délicatesse de complexité _, se heurte à notre frénésie _ assez stupide, par son inconsistance même _ de savoir _ informatif : pauvre d’intelligence _ immédiat. Car les enfants de la modernité veulent _ ou plutôt désirent : très superficiellement ! _ savoir _ ce qui n’est en rien connaître, mais seulement détenir, et très superficiellement (et provisoirement, face à l’oubli !), une minimale opinion : par ouï-dire (cf les divers « genres de connaissance«  selon Spinoza !). Ils veulent même  tout _ n’importe quoi et n’importe comment _ savoir _ sans rien construire (de sens) qui se tienne si peu que ce soit : cf ici la distinction de la connaissance (et la science) et de l’opinion (et la croyance) par Platon…

Mais ils ne veulent pas vraiment _ les malheureux ! de quelles joies ils se privent ! _ apprendre _ quelle (lamentable) tristesse que la paresse intellectuelle et l’incuriosité ! Ils sont nés dans un monde où le progrès technique est censé _ par auto-promotion commerciale mensongère ! populiste… _ nous permettre de savoir _ mécaniquement, voire automatiquement _ sans apprendre : aujourd’hui, pour faire une photographie nette, nul n’a besoin de calculer le rapport entre la profondeur de champ et le diaphragme, puisque l’appareil le fait tout seul…

Ainsi, le système scolaire s’adresse-t-il à des élèves qui désirent _ très superficiellement _ savoir _ en fait croire ! _, mais ne veulent plus vraiment apprendre _ véritablement : toujours à son corps défendant : tout savoir vrai s’incorpore ! Des élèves qui ne se doutent pas le moins de monde _ la massivité des réflexes auxquels les conditionnent les médias ne les y aide certes pas _ qu’apprendre peut être occasion de jouissance _ et quelles ! Ce qui est a contrario le cas de l’artisan comme de l’artiste en son apprentissage et à l’œuvre, pour se cantonner à ces exemples d’apprentissage…

Des élèves rivés sur l’efficacité immédiate de savoirs instrumentaux acquis _ le plus paresseusement possible _ au moindre coût _ surtout de sa petite personne ! à commencer physiquement, et même physiologiquement ! _, et qui n’ont jamais rencontré _ les malheureux : faute de maîtres qui leur ouvrent un tant soit peu les yeux… _ les satisfactions fabuleuses _ mais oui ! _ d’une recherche exigeante _ en ses processus comme en ses finalités : mais ceux-là, eux, probablement, « ne le valent pas bien«  C’est pourquoi l’obsession de compétences _ mécaniques et mécaniciennes (et évaluées ainsi) _ nous fait faire _ collectivement _ fausse route _ tragiquement. Elle relève du « productivisme scolaire », réduit la transmission à une transaction _ sans la moindre générosité ! _ et oublie que tout apprentissage est une histoire _ un peu complexe ; et une aventure en partie imprévisible et imprévue…

En réalité, la culture française a toujours été rétive _ ici c’est l’analyste de la pédagogie qui parle en Philippe Meirieu _ aux théories de l’apprentissage _ Henri Wallon, René Piaget… _, pour leur préférer les théories de la connaissance _ déjà constituée _ : « l’exposé des savoirs en vérité » _ coupés de la genèse (progressive) de leur dynamique _ apparaît ainsi comme la seule méthode d’enseignement, qu’elle prenne la forme de l’encyclopédisme classique ou des référentiels de compétences béhavioristes _ amertume ici de Philippe Meirieu : à nuancer sans doute un peu… Il n’y a pas que des enseignants stupides et complètement insensibles à (et ignorants de) la constitution effective (et aventureuse) des savoirs qu’ils sont censés pas seulement diffuser, mais bien faire connaître (et faire comprendre !) : mais cela demande aussi, forcément, et du temps, et du suivi, et de la patience ; à l’heure des drastiques réductions d’horaire ; et émiettages en tous genres…

Dans cette perspective, le savoir programmatique est à lui-même sa propre pédagogie, et toute médiation, tout travail sur le désir _ essentiel, en effet : mais pas forcément selon les conceptions du marketing d’un Edward Bernays ! _, relèvent d’un pédagogisme méprisable. Je regrette profondément l’ignorance de l’histoire de la pédagogie dans la culture française : elle nous aiderait à débusquer nos contradictions et nos insuffisances, et à réinventer _ sur le terrain : en la salle de classe _ l’école.

M. G. : Que savons-nous de ce que veut dire « apprendre » ? _ c’est la question du Ménon de Platon. Presque rien, en réalité : nous passons sans transition du rat de laboratoire et de la psychologie cognitive aux compétences qui intéressent les entreprises. Mais l’essentiel se trouve entre les deux, c’est-à-dire l’acte d’apprendre _ to learn _, distinct de connaître _ et acte-processus qui est la condition concrète effective de la constitution de tout savoir personnel tant soit peu incorporé _, auquel nous ne cessons, à tort _ par paresse quant aux processus effectifs (et aux efforts qu’ils nécessitent) _, de le ramener. Apprendre, à la base, pour l’enfant, c’est d’abord entrer _ et ce portail est décisif (et dure toute la vie !) _dans l’univers des signes graphiques par la lecture et l’écriture, et accéder par ce moyen aux ressources du langage _ voilà : en son infinie richesse ouverte : cf Chomsky _ que fait apparaître son objectivation écrite _ ce à quoi revient inlassablement Bernard Stiegler livre après livre…

Une opération infiniment difficile avec laquelle nous n’en avons jamais fini, en fait _ voilà ! Car lire, ce n’est pas seulement déchiffrer _ eh ! oui ! _, c’est aussi comprendre _ en s’investissant dans l’effort. Cela met en jeu une série d’opérations complexes d’analyse, de contextualisation _ oui _, de reconstitution sur lesquelles nous ne savons presque rien. Comment parvient-on à s’approprier le sens d’un texte ? _ d’abord par la curiosité et la qualité de notre attention-concentration !

On constate empiriquement que certains y parviennent sans effort, alors que d’autres restent en panne, de manière inexplicable _ faute de curiosité, d’attention-concentration, de patience ? Au moins autant affectivement qu’intellectuellement. Sur tous ces sujets, nous sommes démunis : nous nous raccrochons à un mélange de routines plus ou moins obsolètes et d’inventions pédagogiques plus ou moins aveugles.

Ph. M. : De même qu’aucun métier _ jamais strictement mécanique, par là ? _ ne se réduit à la somme des compétences nécessaires pour l’exercer, aucun savoir ne se réduit à la somme des compétences nécessaires pour le maîtriser. Les compétences graphiques, scripturales, orthographiques, grammaticales suffisent-elles pour entrer dans une culture lettrée ? Je n’en crois rien, car entrer dans l’écrit, c’est être capable de transformer les contraintes de la langue _ qui sont aussi des bases et des rails directionnels de l’intellection _ en ressources pour la pensée _ en sa quête de sens, quand (et si) quête de sens il y a ; et donc désir de sens… Il faut ici donner à apprendre à prendre confiance en ses propres efforts, et les encourager (et toujours avec exigence _ subjectivée _ de lucidité sur l’exigence objective de la qualité)…

Ce jeu _ mais oui ! et il doit même devenir succulent pour la personne… _ entre contraintes et ressources relève d’un travail pédagogique _ de la part du maître _, irréductible à l’accumulation de savoir-faire et à la pratique d’exercices mécaniques _ de la part de l’élève. Il renvoie à la capacité _ en le maître _ à inventer des situations génératrices de sens _ à vérifier en permanence, plus encore que ludiquement : joyeusement ! _, qui articulent étroitement découverte et formalisation _ voilà ! Or, nous nous éloignons aujourd’hui à grands pas de cela avec des livrets de compétences _ réduits et réducteurs _ qui juxtaposent des compétences aussi différentes que « savoir faire preuve de créativité » et « savoir attacher une pièce jointe à un courriel » _ noyant l’essentiel dans le très secondaire intellectuellement… Soit la confusion de la hiérarchie (même un peu plastique et souple) des fins et des moyens…

Que peut bien signifier alors _ et pour quel bureaucrate servile ? _ « l’élève a 60 % des compétences requises » ? La notion de compétence renvoie tantôt à des savoirs techniques reproductibles _ mécaniques, voire automatisables _, tantôt à des capacités invérifiables _ car plus subtiles : de finesse (non quantifiable, déjà) _ dont personne ne cherche à savoir comment elles se forment. Ces référentiels atomisent _ = émiettent désespérément _ la notion même de culture _ de même qu’est « atomisée«  la personne même : cf le concept (et ses applications) de « ressources humaines«  !!! _ et font perdre de vue _ avec des dégâts considérables _la formation à la capacité _ personnelle _ de penser _ au profit de réflexes (cf la logique du « temps de cerveau disponible«  ; et du « vu à la télé« …).

A l’heure où nous passons des connaissances aux compétences, quels sont les leviers politiques qui permettraient de réinventer l’école ?

M. G. : L’école est à réinventer, mais elle ne pourra pas le faire seule dans son coin. Ce n’est pas un domaine de spécialité comme un autre qu’il suffirait de confier aux experts _ purement techniques et techniciens de la chose… _ pour qu’ils trouvent les solutions. Le problème éducatif ne pourra être résolu dans ces conditions. C’est une affaire qui concerne au plus haut point _ tant importent les valeurs et finalités commandant ces processus _ la vie publique _ et au premier chef politique, à l’aune de l’idée (vraie, et non menteuse, démagogue, populiste) de « démocratie«  _, qui engage l’avenir de nos sociétés _ et cultures/incultures _ et ne peut être traitée que comme une responsabilité collective qui nous concerne tous _ en une démocratie qui soit « vraie«  _, et pas seulement les parents d’élèves.

L’une des évolutions actuelles les plus inquiétantes réside dans l’installation au poste de commandement _ des pouvoirs _ d’une vision purement économique _ et c’est peu dire : cf les aspects idéologiques du thème de la « dette«  publique ! _ du problème, élaborée et développée à l’échelle internationale _ par l’ultra-libéralisme ; cf de Michaël Foessel, l’excellent État d’urgence _ critique de la banalité sécuritaire, aux Éditions Le Bord de l’eau.

Ce que résume l’écho donné aux résultats des enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), pilotées par l’OCDE. Le ministère de l’éducation nationale ne fait plus que répercuter _ voilà _ des conceptions très discutables du type de performances auxquelles doivent tendre les systèmes éducatifs.

Très discutables, je le précise, y compris du point de vue de l’emploi et de l’efficacité économique. Qui peut prendre au sérieux _ mais est-ce seulement un souci ? Que valent seulement ces segments de population-là ?.. _ le livret de compétences introduit au collège dans le but de mieux évaluer les acquis des élèves ? _ on atteint en effet ici des sommets de ridicule bureaucratique…

Dans le travail comme dans le reste de l’existence _ en effet ! _, c’est avec de la pensée _ seulement ! _ que l’on peut progresser, à tous les niveaux. La fonction _ finalité suprême _ de l’école, c’est tout simplement d’apprendre _ à l’enseigné _ à penser, d’introduire à ce bonheur _ oui ! _ qu’est la maîtrise par l’esprit _ devenant un peu plus intelligent _ des choses que l’on fait, quelles qu’elles soient. C’est, de très loin, la démarche la plus efficace _ comment peut-il être nécessaire d’avoir à en convaincre les décideurs ?.. Mais combien préfèrent les machines, et, à défaut, les esclaves ; et les abrutis !..  L’illusion du moment est de croire qu’on obtiendra de meilleurs résultats pratiques en abandonnant cette dimension humaniste _ cf aussi l’important livre de Martha Nussbaum dont vient de paraître la traduction en français : Les Émotions démocratiques _ comment former le citoyen du XXIe siècle

Ph. M. : Je suis entièrement d’accord avec Marcel Gauchet sur l’importance d’une mobilisation politique sur la question de l’éducation, qui dépasse d’ailleurs celle de l’école _ cf les dégâts (d’ampleur considérable) de la pratique des médias, les jeux vidéos, etc. ; et l’impact (énorme) des diverses propagandes… Les programmes éducatifs des deux principaux partis politiques français ne proposent rien de plus que de nouvelles réformes scolaires : il n’y est nullement question de la famille, du rôle des médias, de la présence des adultes dans la ville, des relations transgénérationnelles _ cf les travaux de Bernard Stiegler ; par exemple, Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations

Marcel Gauchet et Philippe Meirieu, alors que vous appartenez à des mouvances différentes, vous avez cherché à dépasser l’opposition entre « pédagogues » et « républicains », cette vieille querelle qui divisait les soi-disant partisans des savoirs de la transmission et ceux qui prônaient l’exclusive transmission des savoirs. Est-ce le signe de la fin d’un clivage tenace mais sclérosant ?

M. G. : L’opposition entre pédagogues et républicains me semble derrière nous. Je m’en félicite, car j’ai toujours travaillé à la dépasser. La divergence très relative entre Philippe Meirieu et moi-même tient simplement à la différence de point de départ. Philippe Meirieu part de la pédagogie, là où je pars d’une préoccupation plus politique.

Il est certes important de connaître le patrimoine pédagogique, mais je suis peut-être plus sensible que Philippe Meirieu au caractère inédit de la situation. Aucun discours hérité ne me semble immédiatement à la hauteur _ voilà _ de la réalité scolaire _ dans toute son amplitude (et sa complexité) : au travail ! _ dont nous faisons aujourd’hui l’expérience.

Ph. M. : A l’heure actuelle, l’essentiel est d’inventer une école qui soit délibérément un espace de décélération _ facteur très important ; cf l’essai d’Harmut Rosa : Accélération _, un lieu d’apprentissage de la pensée _ ce qui demande toujours du temps et du suivi dans l’investissement (et l’incorporation même de ce qui s’apprend) : quand, à l’inverse, on nous émiette et atomise et désintègre tout !!! _ et d’expérience d’un travail collectif solidaire _ aussi ! Or, sur ces questions, le patrimoine pédagogique _ Marta Nussbaum y insiste, elle aussi, en son Les Émotions démocratiques _ comment former le citoyen du XXIe siècle _ m’apparaît d’une extrême richesse. Le clivage politique, quant à lui, se situe entre ceux qui chargent l’école de transmettre une somme de savoirs techniques garantissant _ qu’ils disent ! _ à terme l’employabilité du sujet _ item au sein de la masse de la « ressource humaine«  à gérer en ses flux et cohortes… _, et ceux pour qui l’école a une vocation culturelle _ des personnes (et citoyens d’une vraie démocratie) _ qui dépasse la somme _ quantitative _ des compétences techniques _ et commerciales _ qu’elle permet d’acquérir.

C’est là une question de société qui appelle un véritable débat démocratique _ et comment !

Marcel Gauchet, historien et philosophe

Né en 1946, est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et au Centre de recherches politiques Raymond-Aron. Rédacteur en chef de la revue « Le Débat » (Gallimard), qu’il a fondée avec Pierre Nora en 1980, il a récemment publié « La Condition historique » (Stock, coll. Les Essais, 2003), un entretien avec François Azouvi et Sylvain Piron qui retrace son parcours intellectuel et politique depuis 1968, « L’Avènement de la démocratie », t. 1 « La Révolution moderne », t. 2 « La Crise du libéralisme » et t. 3 « A l’épreuve des totalitarismes, 1914-1974″ (Gallimard, 2007-2010).
Sur l’école, il a publié, en collaboration avec Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi, « Pour une philosophie politique de l’éducation » (Hachette Littératures, 2003) et « Les Conditions de l’éducation » (Stock, 2008).

 Philippe Meirieu, pédagogue et essayiste

Né en 1949, Philippe Meirieu a été instituteur, professeur de collège et de lycée (général et professionnel). Il est aujourd’hui professeur des universités en sciences de l’éducation. Il fut responsable d’un collège expérimental, rédacteur en chef des « Cahiers pédagogiques », formateur d’enseignants. Il participa à la création des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), présida la consultation Quels savoirs enseigner dans les lycées ? en 1997-1998. Il dirigea l’Institut national de recherche pédagogique et l’IUFM de l’académie de Lyon. Actuellement vice-président de la région Rhône-Alpes délégué à la formation tout au long de la vie, il a notamment écrit, aux éditions ESF, « Le Choix d’éduquer » (1991), « Frankenstein pédagogue » (1996), « Faire l’école, faire la classe » (2006). Il vient de publier un livre d’entretiens avec le psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis, « L’Ecole et son miroir » (Jacob-Duvernet, 144 p., 24,95 €).

« Les retours du dimanche », une émission France Culture-« Le Monde »

Chaque dimanche, de 17 à 18 heures, l’émission « Les retours du dimanche », coproduite et coanimée par Agnès Chauveau, directrice exécutive de l’Ecole de journalisme de Sciences Po et Nicolas Truong, responsable des pages « Débats » du « Monde », proposera un retour critique et éclairé sur les temps forts de l’actualité de la semaine. Un ou deux invités d’honneur, choisis pour la qualité de leurs analyses et le caractère intempestif de leur pensée, tenteront d’élucider des faits notables de l’actualité. Autour de ce grand entretien, une chronique sur la vie des idées, un tour du monde des débats et des extraits sonores jouent les éclaireurs.

C’est dans ce tempo propice d’une journée tournée vers la détente mais aussi vers la réflexion que « Les retours du dimanche » se pencheront avec des intellectuels sur les « infos » les plus saillantes afin d’aiguiser le sens critique des auditeurs de France-Culture et des lecteurs du « Monde ».

(Première émission, le 4 septembre).

Article paru dans l’édition du 03.09.11 du Monde.

Brefs des questions éminemment pratiques essentielles

quant au devenir _ et collectif, et personnel _

de l’humanité.

Titus Curiosus, ce 3 septembre 2011

La décidément obligeante question « Qu’est-ce que l’homme ? » dans le numéro de mars-avril 2010 de la revue Esprit : « L’Etat de Nicolas Sarkozy »

20mar

Un passionnant numéro de réflexion de philosophie et histoire (contemporaine !) politiques, que le numéro de mars-avril 2010 de la revue Esprit _ que dirige Olivier Mongin _, intitulé « L’État de Nicolas Sarkozy« 


J’y relève tout particulièrement les contributions du philosophe Michaël Foessel, l’auteur de « La Privatisation de l’intime« , aux Éditions du Seuil _ cf mon article du 11 novembre 2008 « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie«  _ :

outre

deux très remarquables entretiens _ passionnants et cruciaux ! _ l’un avec la philosophe Myriam Revault d’Allonnes et l’autre avec la juriste (et professeur au Collège de France, à la chaire d’études juridiques comparatives et internationalisation du droit, depuis 2002) Mireille Delmas-Marty :

« Le Sarkozysme est-il la « vérité » de la démocratie ?« , pour le premier de ces deux entretiens, pages 43 à 53 ;

« Détruire la démocratie au motif de la défendre« , pour le second, pages 145 à 162 (Michaël Foessel étant accompagné ici, aux questions, par Clémence Lalaut et Olivier Mongin),

ainsi que la présentation générale (avec Marc-Olivier Padis, rédacteur en chef de la revue) de ce numéro de mars-avril de la revue Esprit, intitulée, elle, « Les Nouveaux contours de l’Etat. Introduction« , pages 6 à 11 ;

Michaël Foessel présente une très remarquable contribution personnelle, aux pages 12 à 23, intitulée « La Critique désarmée« , et sous-titrée « L’Antisarkozysme qui n’ose pas se dire » ;

et dont voici les titres des étapes du cheminement :

_ après une présentation (sans titre) du « problème » à explorer (et formuler, penser, cerner, identifier), aux pages 12 à 14 ;

_ « L’Antisarkozysme qui ose se dire«  _ sur ce qui est le moins instructif, mais seulement superficiellement médiatique, journalistique : cf le livre récent de Thomas Legrand : « Ce n’est rien qu’un Président qui nous fait perdre du temps«  (paru aux Éditions Stock au mois de janvier 2010) que critique au passage Michaël Foessel… _, aux pages 14 à 16 ;

_ « Critique du sarkozysme et autocritique de la gauche«  _ probablement une contribution majeure ! qui m’a particulièrement impressionné ! et rencontre quelques unes de mes intuitions… _ :

« la gauche ne peut parvenir à retrouver son rôle d’opposition sans faire au préalable l’autocritique de ses propres conceptions du pouvoir, de l’économie et des réformes« , résume fort pertinemment l’auteur lui-même, page 1, au début du sommaire des articles ;

ajoutant : « Mais pourquoi est-ce si difficile ?«  Et il y répond ! ; cela, aux pages 16 à 21 ;

_ « Les Nouveaux horizons du conflit« , aux pages 21 à 23 ; dont je retiens surtout ceci :

« La crise de la social-démocratie dont on parle beaucoup est aussi une crise de ses élites qui s’étonnent de ne pas avoir perçu les effets néfastes de la globalisation, alors même qu’elles profitaient _ ces dites élites de la social-démocratie… _ de ses bienfaits. A cet égard, le devenir professionnel de Blair ou de Schröder (le premier dans la finance internationale, le second chez le géant russe de l’énergie gazière) est un peu plus qu’un détail _ comme c’est parfaitement jugé ! Même si une telle promiscuité avec les milieux d’affaires affecte moins _ à y regarder, tout de même, d’un peu près… c’est toujours dans les détails que le diable se cache… _ la gauche française, les pratiques hexagonales du « (rétro)pantouflage » ne garantissent pas un point de vue lucide sur le prix politique de la culture de marché« , page 22.

Le questionnement avance encore un pas plus loin, page 23, non sans s’être référé juste auparavant au travail (important !) de la philosophe américaine Wendy Brown (« Les Habits neufs de la politique mondiale« )… :

« Au-delà de la fausse alternative entre l’horreur économique et les vertus émancipatrices de l’individualisme, le débat se situe au niveau des normes que l’homo œconomicus fait peser sur la citoyenneté. Pour éviter la « mélancolie », la gauche réformiste devrait se pencher sur ce qui, dans le monde contemporain, s’est décidé sans elle en termes de valeurs » _ voilà bien le cœur du débat !!! comme c’est excellemment perçu, cher Michaël !

Et encore un peu plus loin,

après une réflexion sur « retrouver le sens de la conflictualité » _ la plus authentiquement démocratique ! le débat et la discussion véritablement informés : sur les fins et les moyens mis à leur service ; sans faire erreur sur leur hiérarchie ! à rebours des divers réalismes seulement machiavéliques ! _

et sur le caractère on ne peut plus « indésirable«  de « phénomènes indésirables«  tels que ceux que défend et promeut l’action du sarkozysme et des sarkozyens avec la mise en place d’un « système libéral-autoritaire« 

(avec « l’invocation de l’Etat en même temps que la culture de l’entreprise, le dirigisme régalien accordé à l’affaiblissement des institutions _ démocratiques _, le discours sécuritaire au service de la liberté _ débridée _ d’entreprendre : tous ces paradoxes s’éclairent lorsqu’on les confronte à la mise en place d’un système libéral-autoritaire« ),

ceci : « L’antisarkozysme conséquent devrait prendre la mesure des bouleversements que son adversaire exprime plus qu’il ne les cause. Cela veut peut-être dire inventer une nouvelle langue _ ou encore : problématiser à nouveaux frais… _ capable de traduire l’exigence de justice _ un point capital ! _ en d’autres termes que ceux de la maximisation des profits« .

Soit « à l’opposition, il revient désormais _ la tâche et le travail : c’est tout un ! _ de redécrire le réel _ = mieux le penser et ainsi mieux le faire comprendre ! toujours une affaire du mieux juger ! _ pour empêcher qu’une seule voix puisse s’en réclamer. Dans ce domaine aussi les territoires abandonnés sont irrémédiablement perdus ».


Michaël Foessel a on ne peut mieux raison de prendre à cet endroit-ci la question.

Je me permets de reprendre aussi ici la « présentation » (telle que la propose et résume le sommaire de la revue) des entretiens avec Myriam Revault d’Allonnes et Mireille Delmas-Marty,

dont les deux récents livres _ tout fraîchement parus, aux Éditions du Seuil, tous deux _ sont très importants, tout à la fois urgents et admirables, tous deux, chacun en son domaine :

« Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie«  ;

et « Libertés et sureté dans un monde dangereux«  !

Pour l’entretien de Michaël Foessel avec Myriam Revault d’Allones, cela donne ceci, page 1 :

« L’exercice actuel du pouvoir nous apprend-il quelque chose sur la démocratie ? Si le sarkozysme bouscule les équilibres instables de notre régime, n’est-ce pas vers celui-ci qu’il faut tourner les critiques? Les nouvelles formes de « gouvernementalité » et les conceptions sous-jacentes de l’individu qu’elles expriment vont-elles transformer, au-delà des pratiques du pouvoir, notre conception même de la démocratie ? Comment, dès lors, défendre notre attachement à ce régime ?«  ;

et pour l’entretien de Michaël Foessel, Clémence Lalaut et Olivier Mongin avec Mireille Delmas-Marty, ceci, encore, page 3, cette fois, du sommaire :

« En partant de l’analyse d’une décision troublante, la création d’une « rétention de sûreté », la juriste montre comment celle-ci témoigne d’une transformation internationale du rapport au droit et à la sûreté dans un monde plus dangereux. Si cette évolution est frappante dans le cas français, elle n’est néanmoins pas isolée et traduit une évolution plus large des grands régimes juridiques à travers le monde« 

_ ce qui n’excuse certes rien ; mais au contraire justifie les luttes et les résistances démocratiques, et sur tous les fronts, notamment celui du droit et celui de l’action politique dans les démocraties telles qu’elles existent encore…

Bref, comme on le constate, j’espère, à cette lecture de présentation rapide de ce numéro

« L’Etat de Nicolas Sarkozy« 

de la revue Esprit de mars-avril 2010,

une contribution particulièrement notable à la réflexion et au débat démocratique

de l’état présent et à venir (= à construire) de notre Etat, de notre république, de notre démocratie française !

L’enjeu de fond

étant de définir (sans réduction !!!) ce qu’il en est de l’homme.

Soit redéployer, pour aujourd’hui, une réflexion anthropologique ;

d’où la question « Qu’est-ce que l’homme ? » de mon titre…

Ici, je veux relever quelques mots particulièrement essentiels de l’analyse que mène Myriam Revault d’Allonnes, page 50 :

A la question de Michaël Foessel : « On a coutume d’interpréter le culte de la performance, la valorisation de la concurrence et du profit (« travailler plus pour gagner plus ») d’un point de vue économique ou moral. En quoi de telles pratiques jouent-elles aussi un rôle politique dans les formes contemporaines de « subjectivation » de l’homme démocratique ?« ,

voici ce que répond Myriam Revault d’Allonnes :

« Cette perspective va très loin. Certes elle tend à induire, comme je viens de le dire, un certain type de comportement économique et moral. Mais elle ouvre aussi la voie à l’élaboration d’une nouvelle anthropologie _ c’est cela qui me sollicite, et même passionnément ! _ où les notions d’intérêt et de concurrence régleraient aussi bien l’action individuelle que l’action collective, restreignant ainsi _ très gravement !!! mortellement ; c’est une régression barbare ! _ la pluralité des formes d’existence des individus.

Les modes de subjectivation des individus n’engagent pas seulement leur rapport au pouvoir, mais leur rapport à eux-mêmes, la façon dont ils se constituent _ rien moins ! nous touchons ici au fondamental de l’humanisation ! _ à travers ces rapports de pouvoir. Ce culte de la performance, de l’efficacité, de la rentabilité vise à instaurer un nouveau type de normativité morale et politique _ rien moins !

C’est ainsi que sous couvert de produire de la certitude, elle tend à effacer la figure du sujet-citoyen au bénéfice d’un sujet calculant, entièrement _ et pauvrement, misérablement même, par cette « réduction«  terrible et proprement terrifiante pour si peu qu’on se mette à y réfléchir… _ rationnel _ = comptable ! _, entrepreneur de lui-même, déconnecté de l’horizon du « commun » _ partagé.

Par exemple, la notion de « responsabilité » qui se caractérise classiquement par l’imputation d’un acte à son auteur _ encore un concept-clé ! _ est vidée de son sens au profit d’un calcul rationnel des conséquences (qu’ai-je _ moi, moi seul ; sans les autres, réduits, eux, à de stricts moyens ; ou concurrents ; voire ennemis ! voici venir un monde « sans autrui«  ; vide de « personnes » (et de ce qu’elles sont, les unes vis-à-vis des autres, et avec elles, et ensemble ; un monde sans amitié ni amour, donc ; qu’on y médite !.. _ à gagner ? qu’ai-je à perdre ?). Toute l’épaisseur morale _ ainsi qu’existentielle ; est-ce séparable ? _ de la responsabilité _ avec les dilemmes qui l’accompagnent _ disparaît au profit de choix purement stratégiques voire tactiques.

Cette tentative pour « conduire les conduites » est une rationalité globale qui vise à uniformiser _ voilà ! _ nos manières d’être et nos pratiques et à réduire la pluralité de nos expériences _ ici, on relira « L’Homme unidimensionnel » de Herbert Marcuse, écrit aux États-Unis en 1964 et paru en traduction française (aux Éditions de Minuit) en 1968 : une anticipation lucide de ce qui se profilait déjà ; il est vrai que Marcuse (Berlin, 19 juillet 1898 – Starnberg, 29 juillet 1979) avait été témoin de l’Allemagne sous le totalitarisme nazi…

Dans quel « monde » serions-nous si cette rationalité venait à s’accomplir : un tel « monde » _ à la Carl Schmitt (1888 – 1985 ; lui n’a pas quitté l’Allemagne nazie…) ; cf « Le Nomos de la Terre«   _ serait-il encore habitable ? « …

Myriam Revault d’Allonnes prend donc position, page 52, et au nom de « l’exigence démocratique« , en faveur d’« une anthropologie de l’indétermination _ souple face à la pluralité ouverte des possibles _, de la pluralité et du conflit«  _ de la discussion et du débat informés et pacifiques _ ;

une « exigence démocratique«  qui « ne s’épuise pas dans la forme procédurale«  _ avec ses dangers de pragmatisme utilitariste à courte vue _ ; même si cette dernière « est fondamentale, car, au-delà d’arguments strictement défensifs (défense des libertés individuelles, du principe de l’équilibre _ et d’abord de la séparation et de l’indépendance _ des pouvoirs) elle porte en elle le principe de l’affirmation des droits.« 

On ne peut donc certes pas « se débarrasser de la démocratie«  !

conclut Myriam Revault d’Allonnes cet entretien avec Michaël Foessel , page 53.

Les conclusions de l’entretien avec Mireille Delmas-Marty vont aussi dans ce sens :

« En somme, une communauté de destin, dans un monde imprévisible, c’est une communauté capable d’anticiper sans renoncer à l’indétermination _ voilà : celle de sujets existentiels libres et responsables… _ et de s’adapter _ mais aussi accommoder le réel à leurs projets  _ en innovant, dans le domaine technologique, mais aussi juridique _ et d’autres : je pense ici aux thèses de Cornelius Castoriadis en sa magnifique « Institution imaginaire de la société«  Dépasser la contradiction entre liberté et sûreté, entre anthropologie guerrière et anthroplologie humaniste, entre droits et devoirs, c’est le défi lancé aux « forces imaginantes du droit »« ,

comme aux autres « forces imaginantes » (et civilisationnelles), aussi, du génie humain…

Une lecture éminemment conseillée donc

en ce moment, ce samedi, de réflexion électorale aussi

que ce numéro de mars-avril 2010 de la revue Esprit : « L’État de Nicolas Sarkozy« 


Titus Curiosus, ce 20 mars 2010

« Crise des Humanités : l’éducation en danger », par Barbara Stiegler ; et « L’Ethique en questions », une « Journée d’études » : des conférences de philosophie en ce début juin à Pessac et Bordeaux

31mai

Une actualité philosophique (aquitaine) « à noter » _ afin d’y participer activement ! _,

en une fin d’année scolaire marquée d’inquiétudes (assez malsaines) diverses ;

et un peu trop loin de la sérénité qui sied au vrai « travail de fond » des établissements d’instruction scolaires et universitaires ; dont la mission était jusqu’ici (avant l’ère _ pauvrement politicienne _ des « ruptures » !) de « former sur le fond« 

(des finalités ; et pas de simples moyens, ou instruments, ou outils : des techniques ; mais au service de quoi donc ? de quelles finalités ? ou intérêts ? si on commençait par s’y _ et s’en _ interroger vraiment ?)

dont la mission était de « former sur le fond« , donc,

de futurs adultes responsables (et d’eux-mêmes ; et des autres) « majeurs« 

_ cf Kant : l’indispensable « Qu’est-ce que les Lumières ? » _,

tant comme personnes que comme citoyens

(et pas en tant que « cœurs de cible » des opérateurs du marketing,

cette discipline fort efficace, mise au point par l’habile neveu (parti aux Etats-Unis) de Sigmund Freud, Edward Bernays : auteur de « Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie« )…

Voici donc cette double annonce que je me réjouis d’aider à diffuser ici :

D’abord,

le jeudi 11 juin à 18h 30, Barbara Stiegler, maître de conférence en philosophie à l’Université Bordeaux3-Michel de Montaigne, donnera une importante conférence, « Crise des Humanités : l’éducation en danger« , à l’auditorium de la Médiathèque de Pessac, dans le cadre des « Forums de Pessac » : sur une question d’actualité brûlante !

Et pas seulement pour des raisons (de court terme) de calendrier électoral ; et de vote-citoyen éclairé !

Et ensuite,

le samedi 13 juin, à partir de 10 heures 15, se tiendra au Lycée Montaigne, Cours Victor Hugo, à Bordeaux, une « Journée d’études » de l’Association des Professeurs de philosophie de l’Enseignement public d’Aquitaine, consacrée à « L’Ethique en questions« ,

avec des interventions de Claudie Lavaud, Professeur de philosophie à l’Université Bordeaux3-Michel de Montaigne, à 10h30, sur le sujet de « A quoi sert l’Ethique ?«  ;

Cédric Brun, ATER à l’Université Bordeaux3-Michel de Montaigne, à 14h, sur le sujet de « Principe de précaution : principe éthique ou scientifique ?«  ;

et Fabienne Brugère, Professeur de philosophie à l’Université Bordeaux3-Michel de Montaigne, à 15h, sur le sujet de l' »Actualité de la philosophie du Care » ;

ainsi que des témoignages de parcours en master professionnel de « philosophie pratique, vie humaine et médecine«  de Marie Gomes-Saint-Bonnet (professeur de philosophie) et Laura Innocenti (Institut Bergonié).

Cette « Journée d’études » sera présentée à 10h15 par la présidente de l’Association des Professeurs de philosophie de l’Enseignement public d’Aquitaine, Brigitte Bellebeau.

Ici encore, les liens entre la « mise en avant » de l’éthique et les urgences

(de long terme : les enjeux sont proprement civilisationnels ; et concernent la transmission et formation d’une culture authentique _ je veux dire autre que strictement instrumentale et « intéressée » ; c’est-à-dire sans générosité ni le moindre égard de « solidarité » envers les autres que son petit « soi » !)

de la citoyenneté politique en une authentique démocratie

_ dont la « crise » et les « faux-semblants » atteignent ces derniers temps un seuil de gravité plus que dangereux !.. _,

peuvent être lucidement éclairés par la lecture du très grand livre (de salubrité publique) de Bernard Stiegler « Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations« …

C’est du devenir de l’espèce, face au péril de l' »in-humanité » qu’il s’agit donc, très pratiquement ;

je veux dire tant éthiquement que politiquement (et économiquement) dans le moindre de nos « faire » quotidiens…


Titus Curiosus, ce 31 mai 2009

Crétinisation versus « apprendre à vivre » : comment former, à l’école et ailleurs, à l’essentiel ?

14mai

Une interview opportune et urgente d’Edgar Morin sur la « crise » de la « formation » des personnes, des personnalités, des citoyens _ = « crise de l’éducation » _, afin qu’ils soient _ = nous soyons ! _ de « vrais humains » (se dépassant eux-mêmes, en permanence), au lieu de n’être que de la « ressource » disponible (sur un marché : concurrentiel) en « moyens«  (pour « services » de « ressources humaines » en mal d' »efficacité » à court terme _ en attendant « la chute« …),

dans Le Monde du 13 mai 2009 :

« Edgar Morin : « On devrait instaurer une année propédeutique de culture générale obligatoire »…« 

Opposé au cloisonnement des savoirs, le sociologue et philosophe Edgar Morin, qui a élaboré la théorie de la « pensée complexe« , défend ici l’idée d’une culture qui relie _ du latin « religare« , et en français « relier«  _ nos connaissances éparses.

Qu’est-ce que la culture générale et à quoi sert-elle ?

C’est ce qui, à partir des écrits, des arts, de la pensée, aide à s’orienter dans la vie et à affronter les problèmes de sa propre vie. La lecture de Montaigne, La Bruyère, Pascal, Diderot ou Rousseau nourrit notre esprit pour nous aider à résoudre nos problèmes de vie.

Autrement dit, c’est vital.

Non seulement on ne peut pas s’en passer, mais il faut la régénérer _ en ce moment se tient aussi, à Grenoble, à l’initiative de « la république des idées« , un colloque sur la question de « rénover la démocratie«  _, parce qu’elle est elle-même victime du mal principal qui frappe les connaissances, c’est-à-dire la compartimentation et la fermeture. Si, comme on l’a toujours fait _ enfin, presque… _, on veut réfléchir sur l’être humain, la nature, la réalité et l’univers, on a besoin d’incorporer les acquis qui viennent des sciences. Je crois qu’il faut régénérer _ est-ce plus précis et plus juste que « rénover » ?.. probablement… _ la culture générale parce que chacun a besoin, pour savoir ce qu’il est en tant qu’être humain, de se référer à sa situation dans le monde.

Comment la régénérer ?

J’ai fait des propositions pour des réformes de l’enseignement radicales _ prises à la racine. L’enseignement fournit _ entre « fourguer » et « gaver«  _ des connaissances séparées, cloisonnées et dispersées, qui deviennent affaire d’experts fonctionnant sur des problèmes particuliers, mais incapables de voir les problèmes fondamentaux et capitaux.

Dans « Les Sept Savoirs nécessaires à l’éducation du futur » (Seuil, 2000), je donne des thèmes _ ou pistes ? _ de réflexion. Par exemple : qu’est-ce que l’être humain ? Cela n’est enseigné nulle part _ la question « Qu’est-ce l’homme ? » est la principale de tout enseignement-questionnement philosophique, tout de même, selon Kant !.. _, car tout ce qui concerne l’être humain est dispersé. Pas seulement dans la biologie ou les sciences humaines et la philosophie _ !!! _, mais aussi dans la poésie et la littérature, qui sont des sources de connaissance de l’humain, mais sont considérées _ par certains, beaucoup, trop… _ comme des luxes _ ou « suppléments d’âme«  _ esthétiques, et non pas des sources de connaissances.

Une sorte de méta-savoir ?

Plutôt une façon de faire communiquer _ activement, en les dynamisant _ les savoirs et de les rendre nourriciers _ voilà ! et à foison… _ pour l’esprit de chacun. De plus, la culture ne peut pas se réduire aux savoirs transmis par le langage _ articulé, en la langue. La musique, par exemple, nous transmet des messages affectifs que nous traduisons très mal en mots. Mais il y a une pensée derrière la musique. Il y a une pensée derrière les œuvres de Beethoven. Il y a aussi une pensée derrière Rembrandt et Michel-Ange _ voir la (scandaleuse !) misère de l’initiation artistique au lycée (et au collège). Quant à la poésie, elle emploie les mots non pas dans un sens de dénotation instrumentale, mais dans un sens d’évocation que le langage dénotatif ne peut pas dire _ ou la palette ouverte d’un style. La culture inclut tous les arts _ et comment !!!

La pensée complexe, qui est au cœur de votre travail, n’est-elle pas l’illustration de cette culture qui relie les savoirs ?

On nous enseigne l’analyse et la séparation. Très bien ; mais on ne nous enseigne ni la synthèse ni la liaison. J’ai voulu montrer quelles sont les méthodes _ cf le très important « La Méthode«  _ qui permettent de relier. Dans « L’Homme et la mort » (Seuil, 1951), j’ai fait appel à l’ethnographie, à la préhistoire, aux sciences religieuses, à la poésie, à la littérature… Mon problème était de ne pas juxtaposer ni empiler ces connaissances, mais de les relier en leur donnant un sens.

Tout le contraire des disciplines scolaires bien séparées.

Les savoirs fermés et séparés doivent être ouverts et reliés. On devrait instaurer une année propédeutique de culture générale obligatoire pour tous, en fin de lycée ou en première année de fac. Et puis, il faudrait former ou réformer les formateurs. Je l’ai appliqué ces dernières années au Mexique, au Brésil et au Pérou, où j’ai fourni les éléments des « sept savoirs capitaux » à développer. Je leur enseigne ce qu’est la rationalité, la complexité. J’introduis les problèmes de notre civilisation ignorés dans les cours d’économie ou de sociologie. Par exemple, sur la fabrication des médias, le consumérisme des classes moyennes, l’intoxication publicitaire ou automobile. Ça fait partie de la culture générale. Dans « Emile ou de l’Education« , quand Jean-Jacques Rousseau demande à l’éducateur ce qu’il veut faire, celui-ci répond : « Je veux lui apprendre à vivre. »

D’où l’importance aussi de « La Princesse de Clèves » ?

Je fais des critiques politiques au président Sarkozy, mais je ne l’attaquerai pas sur le plan de la culture. Je ne le critique pas de ne pas connaître « La Princesse de Clèves« . Je le critique s’il propose de nous en détourner.

N’est-il pas contradictoire de dire que nous sommes dans une société de la connaissance tout en tournant le dos à la culture ?

On n’est pas dans une société de la connaissance. On est dans une société des connaissances séparées _ et pratiquées instrumentalement pour une utilité technicienne à courte vue. Le vrai problème, c’est qu’il faut tout réformer. Mais on ne fait que des « réformettes » ; le secondaire occulte le principal ; et l’urgence occulte l’essentiel ; alors que l’essentiel est devenu urgent _ formules capitales ! assassinées par la pseudo-« culture«  de l’évaluation comptable (dite « du résultat » ; cf mon article du 28 avril : « de quelques symptômes de maux postmodernes : 2) “l’inculture du résultat”, selon Michel Feher « ) : c’est si commode…

Si la culture relie les savoirs, ne s’en prend-on pas aux savoirs en jugeant la culture superflue ?

On relègue les savoirs dans les mains de spécialistes ; et on dépossède tous les autres. Par ailleurs, on est complètement ignorant sur les qualités vitales de la culture générale.

Ne croire qu’en des spécialités, c’est ne croire qu’en une vision de l’être humain borné et incapable de se poser des problèmes _ clé de l’intelligence (ouverte et ouvrante) du réel (en sa complexité). C’est du crétinisme. De plus, c’est une illusion ; car, aujourd’hui, dans certaines entreprises, au lieu de recruter des polytechniciens, on recrute _ de fait : on ne peut plus « réalistement« , comme ils pensent… _ des normaliens. On cherche des gens ayant des aptitudes « tous terrains » plutôt qu’une aptitude limitée _ obtuse _ à un seul terrain. Il est démontré que le développement des aptitudes de l’esprit humain à traiter des problèmes généraux leur facilite le traitement _ inventif, créatif, « avec génie« _ des problèmes particuliers.

Propos recueillis par Ma. D.

Article paru dans l’édition du 13.05.09

Mais qui veut vraiment cela

parmi ceux qui « occupent«  les manettes ? En lieu et place de fructueusement (pour eux !) « faire affaire«  avec ceux qui « vendent du temps de cerveau humain disponible » ?..

Titus Curiosus, ce 14 mai 2009

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