Posts Tagged ‘Francis Ponge

Vacances venitiennes (II)

17juil

Si vous avez assez de patience pour « suivre » jusqu’au bout les fils effilochés de mes rhizomes,
voici le second des articles de ma série de l’été 2012 sur « Arpenter Venise »
http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2012/09/04/la-chance-de-se-livrer-pour-larpenter-parcourir-au-labyrinthe-des-calli-de-venise/
série postérieure d’un peu plus d’une année _ le temps d’une bonne décantation _ à mes déambulations lors d’un séjour (enchanté !) à Venise de 5 jours en février 2011,
au moment du colloque (les 10-11-12 février) Un Compositeur moderne né romantique : Lucien Durosoir (1878 – 1955), au Palazzetto Bru-Zane _ situé à la lisière nord-ouest du sestiere de San Polo _,
où j’ai donné 2 contributions sur ce compositeur singulier (et sublime : écoutez le CD Alpha 125 de ses 3 Quatuors à cordes, de 1919, 1922 et 1934, par le Quatuor Diotima) :
à propos duquel je me suis interrogé sur ce que pouvait être, ce en quoi pouvait consister, au sens fort,
la singularité d’un auteur, son idiosyncrasie _ cf Buffon : « le style, c’est l’homme même » _, ou encore « son monde »,
accessible, pour nous, via l’attention ardemment concentrée à son œuvre et ses œuvres.
L’œuvre musical de Lucien Durosoir est réalisé entre 1919 et 1950, mais surtout jusqu’en 1934 et la mort de sa mère, son interlocutrice majeure :
là-dessus, lire l’intégralité de mes 2 contributions à ce colloque Durosoir de février 2011, à Venise,
dont les Actes ont été publiés aux Éditions FRAction en juin 2013 _ mais tout est accessible via le site de la Fondation Bru-Zane ; et les deux liens ci-dessus.
Peut-être y découvrirez vous quelques clés pour bien vous perdre dans Venise…

Ma déambulation de presque six jours à Venise _ du mercredi 16 (à 13 heures, où je débarquai, Piazzale Roma, en descendant avec mon bagage-à-roulettes, du bus-navette de l’aéroport : il pleuvait assez dru) au lundi 21 février 2011 (10 heures, où je remontai dans le même bus-navette, avec mon bagage-à-roulettes à peine un peu plus lourd, au même Piazzale Roma : il faisait très beau), pour être très précis _ résultait d’une invitation reçue à donner deux contributions au colloque « Lucien Durosoir (1878-1955) : un musicien moderne, né romantique« , qui se tiendrait les samedi 19 et dimanche 20 février au Palazzetto Bru-Zane _ à la limite du Sestiere San Polo et du Sestiere Santa Croce : le rio San Giacomo dell’Orio, là, les sépare, dans le prolongement du rio Marin. La proposition initiale (en l’espèce d’un tout premier « Avant-projet« ) m’avait été adressée par un courriel de Georgie Durosoir le 24 février, à 20h 33 ; et je l’avais agréée par retour de courriel ce même 24 février 2009 à 21h 02) : entre le 24 février 2009 et le 19 février 2011, deux ans, à cinq jours près venaient de s’écouler… Et, pour des raisons d’opportunité de frais de transport, il avait été décidé que je prendrais un avion au départ de Roissy-Charles-De-Gaulle, le mercredi 16 (l’avion décollant à 9h 55 et atterrissant à Venezia-Marco-Polo à 11h 35. L’avion du retour à Roissy décollant de Marco-Polo le lundi 21, à 12h 20. Le colloque débuterait le samedi à 9h et se clôturerait le dimanche, vers 17h – 18h… Un concert (avec au programme les Aquarelles de Lucien Durosoir) par Vanessa Szigeti, violon, et Lorène de Ratuld, piano, ouvrirait _ en beauté ! _  les festivités, le vendredi soir, à 20h : rendez-vous au Palazzetto à 19h30… Indépendamment du stress _ éminemment jouissif ! _ de mes interventions _ la première à 10h 30 et la seconde, à 14h 30, le samedi _, je disposais de deux belles journées et demi vénitiennes : le mercredi après-midi, le jeudi et le vendredi jusqu’à 19h30, juste avant le concert _ magnifique ! en un lieu éclatant de beauté : le salon de musique du palazzetto ! ; concert suivi d’un délicieux et très sympathique buffet au Palazzetto pour les intervenants-invités au Colloque, afin de faire agréablement connaissance _, plus un petit bout de matinée le lundi, jusqu’à 10h, pour « arpenter » de long en large le plus indéfiniment possible (!) les Sestieri de Venise, et tout particulièrement ceux que je connaissais pas du tout et désirait apprendre à découvrir, indépendamment de tout programme tant soit peu « culturel« … : c’étaient la ville de Venise et la vie qu’y vivaient les simples Vénitiens qui faisaient l’objet de ma curiosité…

Enfant, j’étais venu trois fois à Venise avec mes parents (et mon frère) _ mes parents (qui aimaient beaucoup voyager en Italie) étaient déjà venus, et à plusieurs reprises, à Venise : je les entends encore raconter avoir entendu pour la première fois la chanson « Bambino » qu’allait bientôt populariser Dalida (ensuite ce serait « Gondolier« …), à la terrasse d’un café : le Florian ? le Quadri ? place Saint-Marc, par une chanteuse qui les avait impressionnés… Ainsi font (et vont) les souvenirs ! ma première « image«  de Venise était une chanson ; pas la lecture des Pierres de Venise de Ruskin, pour le petit Marcel… _ ; mais nous ne logions pas à Venise même ; et nos « passages » dans la ville manquaient par là du minimum de la « profondeur » et continuité de durée requise pour une vraie déambulation, quasi infinie : celle-là même dans le labyrinthe égarant des calli… Car les voies un peu trop rectilignes des calli boutiquières (à-touristes) des Mercerie, entre la tour de l »Horloge de la Piazza San Marco et le pont du Rialto, ne sont pas représentatives de la vraie vie de Venise, pas plus que de la vraie vie des vrais Vénitiens ; sinon de la bien réelle « touristification » de la cité…

Je me souviens d’avoir visité, avec eux et mon frère, et en écoutant les explications savantes d’un guide, la basilique Saint-Marc et le palais des doges, ainsi que la Ca’ d’Oro ; je me souviens aussi des trajets en vaporetto : la première fois, arrivée par le parcours (royal !) du Grand Canal, en son entier ; la seconde fois, raccourci par la Canal Nuovo et jusqu’à la Ca’ Foscari, pour rejoindre là le Grand Canal _ ce trajet de vaporetto a été depuis supprimé : il occasionnait trop de dégâts aux fondations des bâtiments sur les rives de ces rii… _ et atteindre, à nouveau, le débarcadère du môle de la Piazzetta. La fois suivante, depuis le parking du Tronchetto _ qui ne cessait, à chaque retour en voiture à Venise, de gagner en extension : je me souviens de m’en être fait la remarque alors _, nous prîmes la ligne de vaporetto qui contourne Venise par la zone maritime de Santa Marta au sud-ouest, et emprunte le Canal de la Giudecca pour atteindre _ en traversant splendidement ! le Bassin de Saint-Marc, devant l’île de San Giorgio Maggiore _ le palais des doges sur la Piazzetta, toujours.  Nos parents appréciaient un peu trop à notre goût les boutiques (de verroterie et bijoux plus ou moins de pacotille) des Mercerie ; et je ne me souviens pas d’avoir mis le moindre pied, avec eux, à l’Accademia, ni, encore moins, à la Scuola San Rocco, lors de ces promenades vénitiennes un peu trop rapides (et succinctes) -là…

La fois où, en voyage pour la Yougoslavie et la Grèce _ à quatre en 2 CV : l’été 1972  _, j’étais adolescent, et nous campions _ pas nécessairement en plantant la tente : que de délicieuses nuits à la belle étoile, le long de la côte dalmate ; en Chalcidique (avec des tortues sauvages…) ; sous un olivier entre Delphes et Perachora ; en face de Corinthe, dans les ruines d’un temple de Médée ; ou sur une plage non loin de Nauplie… Ayant passé le début de la matinée à visiter Milan (Sant’Ambrogio…) sous la conduite d’une amie étudiante, nous ne fîmes que consacrer une (bonne) après midi à arpenter _ en débarquant (depuis le Tronchetto) à la Piazzetta _, la Place Saint-Marc, le Rialto, le Sestiere San Polo : et je me souviens, en ayant longé la Scuola San Rocco, avoir fort pensé alors au Tintoret ; et nous être « égarés«  pas mal dans les calli de San Polo et de Dorsoduro _ il y a pourtant bien pire à Venise pour se perdre en un dédale !.. _, faute d’un plan auquel plus sûrement nous repérer, pour gagner la pointe de la Dogana et la Salute (sinon les Zattere : je n’avais pas encore lu le Dorsoduro _ traduit en français De Venise à Venise _ de Pier-Maria Pasinetti) ; et retour depuis le Rialto en vaporetto par le Grand Canal pour rejoindre notre 2 CV au Tronchetto : le soir même, nous passâmes la frontière italo-yougoslave, juste au nord de Trieste _ à hauteur de Duino _, et dormîmes en Slovénie dans un si beau pré, tout près de Lipizza _ nous allions visiter, le lendemain matin les très vastes grottes de Postojna, dans le Karst, avant de rejoindre la côte de l’Istrie (Piran, Porec, Rovinj, Pola, etc. : des cités qui avaient été, et demeuraient, profondément vénitiennes…) _, que, lors de notre voyage de retour de Grèce, via Skoplje et Belgrade, nous parcourûmes énormément de kilomètres le soir tombé et la nuit bien entamée, depuis Zagreb et Ljubljana, rien que pour le plaisir de planter notre tente de nouveau dans un si sublime _ tel celui de Francis Ponge au Chambon-sur-Lignon ; lire sa Fabrique du Pré, dans la merveilleuse collection des Sentiers de la Création, chez Skira… _ ; dans un si sublime pré, donc ; nous avions plein loisir d’attendre et contempler des étoiles filantes parmi le firmament de la douce nuit étoilée de notre jeunesse…

Depuis cette année 1972, mes voyages en Italie ne m’avaient plus ramené à Venise… En Toscane et en Ombrie _ j’aime tant Sienne et sa campagne sublime, Pérouse, Assise, Orvieto… _ ; et à Rome et dans le Latium, à plusieurs reprises ; mais jamais à Venise, depuis lors…

Je décidai que le temps qui me serait disponible à Venise, en dehors du Colloque de musicologie, serait consacré à la découverte surtout des quartiers de la ville, et de la vie qui s’y menait, indépendamment des musées, palais et autres lieux dévolus à l’Art (ou au tourisme) : à l’exception, cependant des églises, chaque fois que j’en trouverais une d’ouverte ; ce qui fut le cas, dès ce mercredi après-midi, pour San Nicolo dei Tolentini, tout proche de l’Hôtel Al Sole _ un palazzo de la famille Marcello ! _, où beaucoup d’entre les intervenants du colloque étions (superbement, au moins dans mon cas !) logés _ mais ce ne fut pas le cas pour San Giobbe, trouvé deux fois, deux jours de suite, fermé ! et je ne visitais pas non plus les synagogues du Ghetto, que je traversais pour la première fois, ce mercredi après-midi-là _ ; Sant’ Alvise ; la Madona dell’Orto ; San Giovanni Crisostomo ; San Giacomo di Rialto, pour le premier après-midi (de pluie importante, quasi incessante depuis notre arrivée)… Revenant, passé le pont du Rialto, par le Campo San Polo, le Campo San Agostin et le Campo San Stin _ ces deux derniers déserts : à un point qui me surprenait ! _, je découvrai la Corte sur laquelle donne le jardin du Palazzetto Bru-Zane ; ainsi que le merveilleux _ ou sublime _ portail de Pietro Lombardo, entre San Giovanni Evangelista et sa Scuola. Et je regagnai l’Hôtel Al Sole, au premier pont, sur la Fondamenta Minotto, en longeant Santa Maria Gloriosa dei Frari et San Rocco (et sa Scuola). Le soir, dîner entre amis au restaurant Ribot, sur le même quai que l’hôtel, et à moins de cent mètres ; et, juste après le dessert, acqua alta ! Les sirènes qui n’avaient pas servi depuis l’hiver précédent, étaient en panne, et, n’ayant pas retenti, n’avaient pu prévenir personne… Le restaurant nous distribua de grands sacs-poubelles en plastique noir pour y protéger nos pieds et jambes : l’un des deux sacs s’est troué ; et je suis me retrouvé mouillé jusqu’un peu plus haut que la cheville : un joyeux souvenir vénitien !..

Le lendemain, jeudi, la pluie s’était calmée, et le temps, d’abord maussade, allait s’améliorer dans la journée. Après un excellent petit-déjeuner à 7h, je repris mes pérégrinations. Le matin, je pris la direction du Campo Santa Margherita, par l’église San Pantalon, puis, après San Barnaba et son ravissant Campiello, et le coin de la Toletta, je gagnai San Trovaso, les Zattere _ toujours cette vue si belle ! sur la Giudecca _ et les Gesuati _ avec ses Tiepolo… _, pour gagner, après la calle del Vento, le quartier presque trop tranquille de San Sebastiano (avec ses Veronese : il y avait des visiteurs !), Sant’ Angelo Raffaello (là, personne !), et, au bout d’un quai désolé _ j’en éprouvais une impression de quasi sinistre… _, le curieux et très intéressant San Nicolo dei Mendicanti (deux visiteurs en même temps que moi). Je rejoignais Santa Maria del Carmini, assez stupéfait du nombre _ vertigineux ! étourdissant ! _ d’immenses toiles peintes couvrant quasi toute la surface des murs _ ce que me fit comparer la situation de la peinture sur toile dans les églises de Venise, avec celle de Rome… Je regagnai l’hôtel par le Campo Santa Margherita : afin de tâcher de trouver une place pour le déjeuner de midi _ qui allait être  succulent ! _ à la trattoria Dalla Marisa, au Ponte dei Tre Archi : vers 13 heures. L’établissement qui n’est pas grand _ sans tables dehors, les mois d’hiver, sur le quai du Canal de Cannaregio à l’approche de sa sortie sur la lagune _, était bondé, comble ! La serveuse me trouva une petite place, non loin de la cuisine et près du bar, sur le fond de la salle _ il y avait quelques autres convives dans une autre petite salle vers la cuisine _, à la table d’un Vénitien, ouvrier sur un chantier, qui approchait de la fin de son repas. J’échangeai quelques mots avec lui. Quand il eut achevé son repas, il fut remplacé à cette petite table (à deux places) par un professeur (de mathématiques) à l’université toute proche, un peu plus loin sur le quai, dans une partie de ce qui était, il n’y a pas si longtemps, les Abattoirs… Un merveilleux repas vénitien : le menu, avec les plats du jour, est inscrit sur une ardoise ; et la serveuse les énonce à toute vitesse : peut-être même en vénitien… Ce jeudi, après des antipasti, les pâtes que je pris « al ragu » !) étaient absolument délicieuses ; un poisson ; un dessert, du vin blanc frizzante, et un café : tout parfait ! Je me promis de revenir le lendemain !

En traversant le pont des Trois Arches, je fis un crochet vers la rive de la lagune, à la Sacca di San Girolamo, puis regagnai, carte à la main, en passant par des venelles à peine publiques, l’église Sant’Alvise, qui était fermée la veille… Je longeai les Rii tranquilles et très beaux della Misericordia, della Sensa, di Sant’Alvise ; et appréciai cette Venise populaire vierge alors de touristes, mais vivante _ venant de me procurer (très récemment ! et a posteriori, donc, de mon séjour à Venise…) le Dictionnaire amoureux de Venise, de Philippe Sollers, je remarque qu’il ne fréquente guère ces coins-là ; son tropisme le portant aux Zattere du côté des Gesuati, et des beaux quartiers, surtout, de Dorsoduro et de San Marco… Avec bien peu d’attention de sa part à la vie des Vénitiens : ce qui orientait ma propre curiosité… Je refis un tour par le Ghetto, où j’avais repéré la veille une pâtisserie juive _ me ressouvenant des délices de celle (fermée hélas une fois sur deux qu’on y passe !) du Ghetto de Rome, au coin occidental de la Via dell’ Portico d’Ottavia… _, Volpe… Je tâchai d’apercevoir, au bout en cul-de-sac _ mais avec un tout petit bout de vue sur la lagune ! _, de la toute petite Fondamenta dell’Abbazia, au coin de Santa Maria della Misericordia ; d’apercevoir, par-dessus la Sacca della Misericordia remplie de bateaux amarrés ; d’apercevoir le Casino degli Spiriti, qui fascinait Nietzsche qui logea non loin des Fondamente Nuove, du côté du Palazzo Dona, où habita Jean Clair… Je revis, de la lagune, ce Casino degli Spiriti quand j’empruntai la ligne 42 (ou 41) du vaporetto. Les perspectives sur la lagune sont raffraîchissantes, en mettant un coin de nez, pour un moment, hors du labyrinthe parfois tellement resserré que très sombre, ombreux même quand il fait grand soleil _ comme entre le Campo San Giacomo dell’Orio et le Campo San Cassiano, vers  l’est du Sestiere de Santa Croce _ des calli : même si ce quartier au nord-est de Cannaregio, est aussi celui de la maladie et de la mort (à Venise), à côté de l’Ospedale du rio dei Mendicanti, et avec l’Oratorio dei Crociferi et la toute baroque Santa Maria Assunta dei Gesuiti _ fermée les deux fois que j’y passai ! _, et juste au face de l’île-cimetière de San Michele ; c’est aussi par ce côté de la lagune que souffle la bora (qui souffle aussi à Burano, un peu au nord-ouest encore, dans la lagune)…

Mais me plut bien ce quai des Fondamente Nuove, avec quelques cafés et son kiosque bien pourvu en DVD de films italiens : à mon premier passage, je me pourvus de quelques films sur lesquels je ne réussissais pas jusqu’alors à mettre la main, tel La Notte d’Antonioni… Je trouvai ce coin _ du passage obligé du vaporetto vers Murano, Burano et Torcello _ bien animé ; et il me plût : il est vrai que c’est la plaque tournante vers les îles du nord de la lagune ; et vers l’aéroport Marco Polo par la lagune… Je continuai sur cette Fondamenta ouverte sur la lagune jusqu’au Rio dei Mendicanti, le long duquel je pris sur ma droite, pour gagner le Campo dei Santi Giovanni e Paolo, avec la statue du Colleone de Verrochio, la belle façade de la Scuola San Marco ; et où je visitai la très vaste église dominicaine, que les Vénitiens appellent Zanipolo… Nous sommes dès ici dans le Sestiere de Castello. Je pénétrai dans la librairie française ; puis découvrit un marchand de masques, qui accepta de colorier, pour quand j’y reviendrai _ deux jours plus tard _, un masque d’Arlequin, ce personnage qu’aime tant mon petit-fils Gabriel…

Je poursuivis par San Francesco della Vigna, dont je pus jeter un coup d’œil aussi sur les cloitres attenants… Puis je traversai vers le sud l’est de cette partie de Castello avant l’Arsenal, dans des ruelles sombres et qui m’apparurent étrangement désolées, du côté du Campo delle Gatte _ je me souviens d’en avoir relevé le nom, sur une plaque, afin de m’en ressouvenir. De là, je pénétrai dans la sombre Scuola di San Giorgio dei Schiavoni, où je pus découvrir les originaux de ces toiles de Carpaccio qui m’avaient si vivement impressionné dans le beau volume Skira _ Les Créateurs de la Renaissance, par Lionello Venturi _ que m’avait valu le Prix d’excellence en Terminale (en 1964 _ il y aura cinquante ans l’an prochain…) : un livre qui m’a marqué (et initié aux arcanes d’un des sommets de l’art occidental : Giotto, Simone Martini et les Siennois, Mantegna, Piero della Francesca, les Ferrarais, etc. : peut-être jusqu’aux Bellini…), et que je possède toujours… Un peu plus tard, je lus les Esthétiques sur Carpaccio, virtuoses !, de Michel Serres… Je continuai par San Giovanni in Bragora _ où fut baptisé Vivaldi _, et poussai jusqu’à l’entrée monumentale de l’Arsenal et l’extrémité de la Via Garibaldi… Je rentrai vers Santa Croce par le vaporetto qui passe par le Canal de la Giudecca. Le soir, un dîner avec quelques amis du Colloque, à un restaurant tout voisin de notre hôtel, l’Osteria ae Cravate : mais sans acqua alta ce soir-là !

Je commençais à me familiariser un peu avec le jeu à surprise des calli de Venise, à la recherche, un peu, de la vie vénitienne _ le plus loin possible des touristes ; ou de ceux qui ne fréquentent que les quartiers un peu chics, et surtout avec vue ! Près de l’hôtel, sur le coin du Campo de San Nicolo dei Tolentini, je remarquai un minuscule bar à cheval sur le Campo et le coin du pont du rio dei Tolentini : les verres de spritz et les assiettes de cichetti reposant sur quelques barriques ; et les conversations des convives me paraissant à la fois joyeuses et tranquilles, chaque soir que je passais par là, en revenant, par exemple de la station Ferrovia du vaporetto, en ayant traversé le Ponte dei Scalzi sur le Canal Grande, et la Fondamenta _ joyeusement animée toujours ! _ San Simeone Piccolo. Je regrettais de ne pas parler assez bien italien ; et a fortiori vénitien _ même si j’arrivai à me débrouiller avec les serveuses de la Trattoria Da Marisa, au Ponte dei Tre Archi… De même, j’osais encore moins m’arrêter à la Cantina Do Mori _ toujours bondée _, non loin de la Rugha Vecchia San Giovanni, dans le quartier toujours très animé du Rialto…

Le vendredi matin, toujours après un très copieux et très agréable petit-déjeuner buffet à l’excellent Hôtel Al Sole _ ma chambre était aussi magnifique ! _, je me décidai à explorer le quartier Santa Croce , juste au nord du Palazzetto, en commençant par l’église San Giacomo dell’Orio : dès l’ouverture de l’église à la visite. Et je découvris que le quartier que je parcourus vers le nord ouest, à bonne distance du Grand Canal, formait un extraordinairement sombre et dense dédale _ et alors que ce vendredi, lui, était ensoleillé ! Je passai ainsi par Santa Maria Mater, ouverte, et San Cassiano, ouvert, d’où je rejoins le  Canal Grande sur la Riva dell’Olio, puis la Pescheria et les autres divers marchés, particulièrement animés, les matins, du quartier du Rialto ; puis je passais le Pont, et me dirigeai vers l’adorable marmoréenne Santa Maria dei Miracoli, puis vers Santa Maria Assunta dei Gesuiti _ décidément toujours fermée _, et repassai au Kiosque des DVD, sur les Fondamente Nuove, pour m’apercevoir, en échangeant un peu avec le kiosquier cinéphile, que j’aurais pu commander des DVD : par exemple celui de Prima della Rivoluzione, de Bernardo Bertolucci, film _ avec Adriana Asti ; et un passage, au milieu, en couleurs : le début et la fin étant en noir et blanc _ que j’avais adoré à sa sortie en France… Je repassai par Zanipolo, où mon masque d’Arlequin n’était pas encore terminé, puis la Calle Lunga Santa Maria Formosa _ avec une autre boutique riche en DVDs _, pour découvrir le Campo Santa Maria Formosa et son église.

Je revins à l’hôtel, pour me reposer un peu _ je marchais sans cesse _, avant de repartir déjeuner, toujours royalement, vers midi, à la trattoria Dalla Marisa… L’après-midi, visite de l’Accademia, le seul musée que je m’autorisai, mais avec beaucoup de plaisir : de tous les peintre vénitiens, Giovanni Bellini m’impressionnait décidément le plus, par son calme éminemment vénitien. Je franchissais le pont et gagnais le Sestiere San Marco…

A suivre…

Titus Curiosus, le 23 septembre 2012

Ce mardi 17 juillet 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

A méditer pour réfléchir sur les mésusages idéologiques de la littérature (et des Arts)

24déc

Pour donner à méditer sur des brouillages malencontreux entre Art et idéologie, entre littérature et communication,

voici _ et tels quels, sans nulle farcissure de ma part _ deux articles donnant _ à chacun _ à penser _ par devers soi, davantage qu’à polémiquer en place publique _ :

Sur littérature et communication.

Ces deux articles d’André Markowicz et de Bernard Chambaz

https://m.facebook.com/andre.markowicz/posts/2053869254825376

André Markowicz : « Aux Invalides, c’était juste la vieille droite »


Qu’a fait Jean d’Ormesson, à part avoir « bien écrit », pour qu’un hommage national lui soit rendu ? Dans une tribune au « Monde », le traducteur et poète s’interroge sur le geste politique d’Emmanuel Macron.

LE MONDE | 11.12.2017 à 11h01 • Mis à jour le 11.12.2017 à 11h25 | Par André Markowicz (Traducteur et poète)

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/11/andre-markowicz-aux-invalides-c-etait-juste-la-vieille-droite_5227896_3232.html#f5OMvy0qjW3BH2iO.99

Ca avait commencé le jour d’avant. J’avais vu passer une déclaration de Françoise Nyssen, mon éditrice, une personne que je connais depuis plus de vingt-cinq ans, qui disait qu’il serait bon de rendre un hommage national à Jean d’Ormesson et à Johnny Halliday. Sur le coup, j’ai cru que ça devait être un hommage conjoint, dans la même fournée, et j’ai pensé _ qu’elle me pardonne _ qu’elle déraillait. Et bon, vous savez comme c’est, il y a plein de choses qui se passent en l’espace d’une heure, j’ai oublié cette déclaration, j’avais d’autres choses à faire.

Quand un ami m’a dit qu’un hommage national serait rendu à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday, j’ai cru qu’il me faisait marcher. Mais non, c’était vrai. Quand, ensuite, on m’a dit que l’hommage à Jean d’Ormesson lui serait rendu aux Invalides, j’ai eu peine à y croire, mais non, pas de doute, là encore, c’était vrai.

J’avoue d’emblée que je n’ai jamais pu lire trois pages d’affilée des livres de Jean d’Ormesson – je le dis sans trop de honte. J’en ai feuilleté quelques-uns, sur les tables de libraires, et c’était toujours, comme on dit en français (et seulement en français) « bien écrit ». Quand je traduisais Les Démons, de Dostoïevski, je voyais se profiler des auteurs comme d’Ormesson derrière la figure de l’écrivain Karmazinov, qui, de fait, « écrit bien », et termine son œuvre en disant « merci ». D’Ormesson, lui, c’est par ça qu’il avait commencé : Au revoir et merci… Merci à ses lecteurs, merci à l’existence et à qui vous voulez – il était très content. Ça fait toujours plaisir de voir un homme content. J’ai toujours pensé qu’il était l’exemple parfait de « petit maître », issu d’une tradition bien française qui date du XVIIe siècle.

Bref, pourquoi d’Ormesson ? Et pourquoi aux Invalides ? Malraux avait eu droit à un tel hommage, mais Malraux avait été ministre, c’était une figure du siècle ; pareil, d’une autre façon, pour Césaire (au Panthéon). Mais qu’avait-on fait à la mort de Claude Simon, de Samuel Beckett et même d’Yves Bonnefoy ?

« Génie national »

Quand j’ai écouté le discours d’Emmanuel Macron, les choses se sont mises en place. C’était un beau discours, un discours littéraire, qui multipliait les citations, un hymne à « ce que la France a de plus beau, sa littérature »… Un discours mimétique, aussi : on aurait dit que le président de la République française se livrait à un pastiche du style de d’Ormesson pour prononcer son éloge funèbre,

La suite de l’article d’André Markowicz, ici :
https://m.facebook.com/andre.markowicz/posts/2053869254825376

Ou ici.


Tribune.

Mireille aux Invalides.
Macron, d’Ormesson et Johnny, images de la France.

Ça avait commencé le jour d’avant. J’avais vu passer une déclaration de Françoise Nyssen, mon éditrice, une personne que je connais depuis plus de ving-cinq ans, qui disait qu’il serait bon de rendre un hommage national à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday. Sur le coup, j’ai cru que ça devait être un hommage conjoint, dans la même fournée, pour ainsi dire, et j’ai pensé, — qu’elle me pardonne — qu’elle déraillait. Et bon, vous savez comme c’est, il y a plein de choses qui se passent en l’espace d’une heure, j’ai oublié cette déclaration, j’avais d’autres choses à faire.

Quand un ami m’a dit qu’il y aurait un hommage à Jean d’Ormesson aux Invalides, j’ai cru qu’il me faisait marcher. Bon, je l’avoue d’emblée, je n’ai jamais pu lire trois pages d’affilée de ses livres — et dire que je suis mort de honte à l’avouer serait mentir. J’en avais feuilleté quelques-uns, sur les tables de libraires, et c’était toujours, comme on dit en français (et seulement en français) « bien écrit », comme si ça voulait dire quelque chose, de bien écrire, pour un écrivain. Mon ami Armando, à la Sorbonne, faisait ça : il regardait systématiquement les premières pages des romans sur les tables des libraires, et il livrait son jugement : « Oui, c’est pas Dante ».

Et donc oui, oui, oui, Jean d’Ormesson écrit bien. Il a une « belle langue ». Et non, Jean d’Ormesson, ce n’est pas Dante. Quand je traduisais « les Démons », ce sont des gens comme d’Ormesson qui m’ont servi d’images pour la figure de l’écrivain Karmazinov, qui, de fait, « écrit bien », et qui finit son œuvre en disant « merci ». Merci à ses lecteurs, merci à l’existence, merci à qui vous voulez — qui finit très content. Parce que c’est vrai que c’est très important, d’être content dans la vie. Parce que ça fait plaisir à tout le monde. D’abord à ceux qui vous lisent, et ensuite à soi-même. Et donc, bon, j’ai toujours pensé qu’il était, au mieux, l’exemple parfait du « petit maître », issu d’une tradition, là encore, bien française, qui date du XVIIe. C’est vrai, du coup, il représente une « certaine image de la France » — d’une certaine tradition française de la littérature, ridicule pour toute l’Europe depuis le romantisme — et qui n’est pas moins ridicule aujourd’hui.

Ce n’était pas une blague. Il y a eu un hommage aux Invalides. Pourquoi aux Invalides ? Est-ce que d’Ormesson avait, je ne sais pas, accompli des actes héroïques au service de la France, ou est-ce qu’il avait été victime du terrorisme ? Etait-il une figure de l’ampleur de Simone Veil ? Et quel écrivain français a été l’objet d’un tel hommage avant lui ? — Il y avait eu Malraux, je crois. Mais Malraux avait été ministre, il était une figure du siècle. Mais qu’a-t-on fait à la mort de Claude Simon ou de Beckett ou, je ne sais pas, celle de Francis Ponge ou de René Char, sans parler de Foucault, de Barthes ou de Derrida — et même d’Yves Bonnefoy ? — Il y a eu des communiqués de l’Elysée (ce qui est bien normal), mais jamais un hommage aux Invalides, c’est-à-dire un hommage de la République, en présence, qui plus est, des deux anciens présidents de la République encore ingambes que nous avons, à savoir Nicolas Sarkozy et François Hollande. — Qu’est-ce que ça veut dire, qu’on rende hommage à d’Ormesson de cette façon ? C’était ça, ma question.

Et puis, j’ai écouté le discours d’Emmanuel Macron. Et là, les choses ont commencé à se remettre en place : non, Françoise Nyssen n’avait pas déraillé du tout. Elle avait exprimé l’idée. Parce que ce discours est un moment majeur, pas seulement pour d’Ormesson, ou, plutôt, pas du tout pour d’Ormesson, mais pour la vision à long terme de la présidence de Macron — pour sa vision de la France. De sa France à lui.

Objectivement, c’était un discours formidable. Un discours littéraire, qui multiplie les citations, qui est un hymne à « ce que la France a de plus beau, sa littérature »… Un discours formidable aussi parce que mimétique : on aurait dit que Macron (ou Sylvain Fort, mais ça n’a aucune importance — en l’occurrence, c’est Macron, je veux dire le Président de la République française) faisait un pastiche proustien du style de d’Ormesson lui-même pour prononcer son éloge funèbre, en construisant, avec des imparfaits du subjonctifs gaulliens (et grammaticalement indispensables) un éloge de la clarté, qualité essentielle du « génie national». Et puis, j’ai entendu cette phrase : « La France est ce pays complexe où la gaieté, la quête du bonheur, l’allégresse, qui furent un temps les atours de notre génie national, furent un jour, on ne sait quand, comme frappés d’indignité. »

Dites, — comment ça, « on ne sait pas quand » ? Si, on sait parfaitement quand : d’abord, — non pas en France, mais dans l’Europe entière, au moment du romantisme, et de la Révolution française. Quand, d’un seul coup, c’est le monde qui a fait irruption dans les livres, et pas seulement dans la beauté des salons. C’est le moment du grand débat entre Racine et Shakespeare, oui, dans l’Europe tout entière. Et la remise en cause de la « légèreté comme génie national de la France », c’est, par exemple, tout Victor Hugo. Et puis, il y a ce moment de désastre, d’éblouissement qui reste, jusqu’à nous, une déchirure « irréfragable », selon le beau mot employé par Macron, le moment de Rimbaud — qui trouve la légèreté verlainienne, sublime, à la limite extrême de l’indicible, et la transforme en cette légèreté atroce et impensable, « littéralement et dans tous les sens », des « Derniers vers », et qui le laisse dévasté, Verlaine, et qui s’en va, en nous laissant, oui, aujourd’hui encore, nous tous qui parlons français, béants et bouleversés : et c’est après la catastrophe de Rimbaud que viendra, par exemple, celle d’un poète comme Paul Celan (qui lui est si proche).

Emmanuel Macron a cité les amis de Jean d’Ormesson : Berl, Caillois, Hersch, Mohrt, Déon, Marceau, Rheims, Sureau, Rouart, Deniau, Fumaroli, Nourissier, Orsenna, Lambron ou Baer… — Bon, Orsenna… 


Hersch… C’est Jeanne Hersch ? Et Sureau, c’est François Sureau (dont j’apprends qu’il écrivait les discours de Fillon) ? Et les autres… Berl, Mohrt, Déon, Marceau, Rheims, Rouart, Fumaroli, c’est, de fait, « une certaine idée de la France », — une idée dont je ne pourrais pas dire qu’elle est franchement de gauche. C’est de cette longue lignée dont parle le Président pour peindre, aux Invalides, dans le cadre le plus solennel de la République, la France qu’il veut construire. Et il le fait sans avoir besoin de dire l’essentiel, qui est compris par toute l’assistance : nous sommes dans le cercle du « Figaro », dans le cercle — très ancien — de la droite française la plus traditionnelle, celle des « Hussards », des nostalgiques de l’aristocratie. Parce qu’il faut bien le dire, quand même, non ? — la « légèreté » de Jean d’Ormesson, c’était quand bien ça qu’elle recouvrait : la réaction la plus franche — même si Dieu me préserve de mettre en cause son attachement à la démocratie parlementaire. —

Michel Mohrt, Marceau (Félicien, pas Marcel…), Michel Déon, Paul Morand, toute, je le dis, cette crapulerie de l’élitisme de la vieille France, moi, je ne sais pas, ça ne me donne pas l’image d’une France dans laquelle je pourrais me reconnaître.

L’impression que j’ai, c’est que par l’intermédiaire de Jean d’Ormesson, le Président rendait hommage à cette France-là, en l’appelant « la France », et c’est à propos de cette France-là qu’il parlait de son « génie national ». Et sans jamais employer de mot de « réaction », ou le mot « droite ».

Les Invalides, c’était pour ça. Pour dire la France dans laquelle nous vivons, maintenant que la gauche n’existe plus. Depuis qu’il n’y a plus que la droite. Dans cette légèreté des beautés esthétiques — et cela, alors même, je le dis en passant (j’en ai parlé ailleurs) que la langue française disparaît, en France même, par les faillites de l’enseignement, et, à l’étranger, par les diminutions drastiques et successives du budget alloué à l’enseignement du français. On le sait, la littérature, la beauté, c’est, je le dis en français, l’affaire des « happy few ».

Et puis, pour les « unhappy many », le lendemain, c’était l’hommage à une autre France, celle des milieux populaires, celle, censément, de Johnny Hallyday. Les deux faces du même.— En deux jours, les deux France étaient ainsi réconciliées par une seule voix, jupitérienne, celle des élites et celle du peuple. Je ne dirai rien de ce deuxième hommage, je ne me reconnais ni dans d’Ormesson, ni dans Johnny (que j’avais vu très grand acteur avec Godard). Mais paix à l’âme de Johnny, que la terre, comme on le dit en russe, lui soit « duvet », qu’elle lui soit, c’est le cas de le dire, « légère ».

Il y a eu deux hommages, un appel aux applaudissements dans le second, un silence grandiose à la fin du premier, et, moi, parmi les citations du Président, il y a en une sur laquelle j’ai tiqué, parce que, vraiment, je n’arrivais pas à la situer (je dois dire que je ne me souvenais pas de celle de « La Vie de Rancé », mais qu’elle est grande !..). Non, à un moment, Macron parle de Mireille.

« C’est le moment de dire, comme Mireille à l’enterrement de Verlaine: «Regarde, tous tes amis sont là

C’est qui, Mireille ? Dois-je avoir peur d’afficher mon inculture ? J’ai fouillé tout Paul Fort (enfin, pas tout…), il y a un poème célèbre qui devenu une très belle chanson de Brassens sur l’enterrement de Verlaine (Paul Fort y avait assisté)… et pas de Mireille. Je demande autour de moi, je regarde sur Google, il y a une autre chanson de Paul Fort, à « Mireille, dite Petit-Verglas », — mais, là encore, cette citation n’y est pas. Est-ce une espèce de condensé d’une citation de Brassens ? Sur le coup, dans ma naïveté, je me suis demandé s’il ne voulait pas parler de Mireille, vous savez, qui avait fait « le petit conservatoire de la chanson » à l’ORTF… Je me demande d’ailleurs si le jeune Johnny n’est pas passé chez elle. — Je plaisante. Et puis, Mireille, même si quand j’étais enfant, elle était vieille, elle n’était pas vieille à ce point-là. Donc, je ne sais pas qui est Mireille.

Je me demande ce qu’elle vient faire, cette Mireille, aux Invalides pour dire « tous tes amis sont là »… Si c’est une bourde (je ne vois pas laquelle), ou si, d’une façon plus bizarre, ce n’est pas comme une blague, procédé bien connu parmi les potaches, de fourrer au milieu d’une vingtaine de citations véritables, une citation totalement débile, que personne ne remarquera, histoire, justement, de ne pas se faire remarquer, parce qu’il ne faut pas dire que le roi est nu. — De mon temps, des copains khâgneux avaient fait une série de références à la pensée héraclitéenne de Jacob Delafond, auteur d’un « Tout s’écoule ». C’était, de la part de ces jeunes gens, un signe de mépris envers leur prof. De quoi serait-ce le signe ici ?…

Quoi qu’il en soit, cette Mireille, aux Invalides, elle participe à la construction de l’image de la France du président Macron. — Non, non, notre roi n’est pas nu. Il porte les habits de la « vieille France ». Ils sont très beaux. Ils sont très vieux. Mais ce ne sont pas ceux des grands auteurs du classicisme, — ce sont plutôt ceux des petits marquis.

Et puis, enfin, bizarrement, je ne sais pas comment dire : j’ai le cœur serré en pensant à Verlaine.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/11/andre-markowicz-aux-invalides-c-etait-juste-la-vieille-droite_5227896_3232.html#f5OMvy0qjW3BH2iO.99

http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/12/bernard-chambaz-alors-d-ou-vient-mireille_5228645_3232.html

Bernard Chambaz : « Alors, d’où vient Mireille ? »

Dans une tribune au « Monde », l’écrivain revient sur l’analyse de l’hommage d’Emmanuel Macron à Jean d’Ormesson du traducteur et poète André Marcowicz.

LE MONDE | 12.12.2017 à 18h19 • Mis à jour le 12.12.2017 à 18h21 | Par Bernard Chambaz (Ecrivain)

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/12/bernard-chambaz-alors-d-ou-vient-mireille_5228645_3232.html#SOdM1gWXSLz6i53C.99

Tribune.

Mireille m’avait échappé. André Markowicz l’a sortie pour moi de l’ombre dont les Invalides ne l’avaient pas sauvée.

Au cas où Mireille serait encore dans les limbes, le peu que j’aurais à en dire est ceci : Mireille n’est pas Mireille, mais Eugénie Krantz, dite Nini-Mouton, moitié mondaine moitié artiste de music-hall. Après l’enterrement de Verlaine (1844-1896), elle vendra ses porte-plumes sinon ses crayons, beaucoup de porte-plumes, et même plusieurs fois son dernier encrier. Je crois qu’elle n’a pas dit « tous tes amis sont là » mais « tous les amis sont là », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Accessoirement, elle ne l’a pas dit d’une voix posée, mais elle l’a crié pour qu’on l’entende, qu’on sache que c’était bien elle qui détenait l’héritage. C’est seulement en fin d’après-midi, après la cérémonie officielle, que Philomène Boudin qui aimait vraiment Verlaine est venue déposer son petit bouquet de violettes au pied d’une montagne de rubans.

Il paraît qu’Eugénie était plutôt désagréable, le teint rougeaud, le visage ridé, « les yeux petits et méchants ». Peu importe, Verlaine la considérait comme sa « presque femme » et il habitait chez elle, rue Descartes. Le soir, ils s’étaient disputés. Elle avait crié plus fort que lui, elle ne l’avait pas relevé quand il était tombé du lit, elle s’en était allée, et il avait passé la nuit à se mourir à moitié nu sur le plancher gelé.

Fadaises

Sa tombe à lui est aux Batignolles. Depuis la Contrescarpe, ça fait une trotte, mais heureusement il y a des escales. Une messe basse par un froid de canard à Saint-Etienne-du-Mont, le premier Rossignol national veillé par une garde d’honneur avant qu’il ne reçoive l’hommage des clochards et des pierreux. Un adieu devant le Panthéon, une halte à côté de l’Opéra, le cortège battant la semelle derrière le corbillard « tout argenté de glaçons ». On peut parier que les sept discours sur sa tombe, il les a trouvés longs et que c’étaient des fadaises.

Alors, d’où vient Mireille ? A relire la nomenclature sempiternelle du discours, j’ai vu soudain passer le nom de Berl (1892-1976). On sait que son prénom est Emmanuel ; et je me suis rappelé qu’il avait eu une belle histoire d’amour avec Mireille, la chanteuse. Avec les préparatifs pour la Madeleine à la gloire de Johnny, on peut imaginer que la boucle était bouclée.

Franchement n’y-a-t-il pas un peu d’indécence à enrôler Verlaine dans ce compliment ?
Ce serait l’occasion ou jamais de rappeler le salut adressé par Léon Bloy (1846-1917) à « cet indigent qui avait crié merci dans les plus beaux vers du monde ».

Bernard Chambaz a notamment reçu le prix Goncourt du premier roman en 1993 pour L’Arbre de vies (F. Bourin). Il est l’auteur, entre autres, de 17 (Seuil, 144 pages, 15 euros) et d’A tombeau ouvert (Stock, 2016).

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/12/bernard-chambaz-alors-d-ou-vient-mireille
_5228645_3232.html#SOdM1gWXSLz6i53C.99

A porter sereinement au débat…

Titus Curiosus, ce dimanche 24 décembre 2017

 

La chance de se livrer pour l’arpenter-parcourir au labyrinthe des calli de Venise

04sept

Ma déambulation de presque six jours à Venise _ du mercredi 16 (à 13 heures, où je débarquai, Piazzale Roma, en descendant avec mon bagage-à-roulettes, du bus-navette de l’aéroport : il pleuvait assez dru) au lundi 21 février 2011 (10 heures, où je remontai dans le même bus-navette, avec mon bagage-à-roulettes à peine un peu plus lourd, au même Piazzale Roma : il faisait très beau), pour être très précis _ résultait d’une invitation reçue à donner deux contributions au colloque « Lucien Durosoir (1878-1955) : un musicien moderne, né romantique« , qui se tiendrait les samedi 19 et dimanche 20 février au Palazzetto Bru-Zane _ à la limite du Sestiere San Polo et du Sestiere Santa Croce : le rio San Giacomo dell’Orio, là, les sépare, dans le prolongement du rio Marin. La proposition initiale (en l’espèce d’un tout premier « Avant-projet« ) m’avait été adressée par un courriel de Georgie Durosoir le 24 février, à 20h 33 ; et je l’avais agréée par retour de courriel ce même 24 février 2009 à 21h 02) : entre le 24 février 2009 et le 19 février 2011, deux ans, à cinq jours près venaient de s’écouler… Et, pour des raisons d’opportunité de frais de transport, il avait été décidé que je prendrais un avion au départ de Roissy-Charles-De-Gaulle, le mercredi 16 (l’avion décollant à 9h 55 et atterrissant à Venezia-Marco-Polo à 11h 35. L’avion du retour à Roissy décollant de Marco-Polo le lundi 21, à 12h 20. Le colloque débuterait le samedi à 9h et se clôturerait le dimanche, vers 17h – 18h… Un concert (avec au programme les Aquarelles de Lucien Durosoir) par Vanessa Szigeti, violon, et Lorène de Ratuld, piano, ouvrirait _ en beauté ! _  les festivités, le vendredi soir, à 20h : rendez-vous au Palazzetto à 19h30… Indépendamment du stress _ éminemment jouissif ! _ de mes interventions _ la première à 10h 30 et la seconde, à 14h 30, le samedi _, je disposais de deux belles journées et demi vénitiennes : le mercredi après-midi, le jeudi et le vendredi jusqu’à 19h30, juste avant le concert _ magnifique ! en un lieu éclatant de beauté : le salon de musique du palazzetto ! ; concert suivi d’un délicieux et très sympathique buffet au Palazzetto pour les intervenants-invités au Colloque, afin de faire agréablement connaissance _, plus un petit bout de matinée le lundi, jusqu’à 10h, pour « arpenter » de long en large le plus indéfiniment possible (!) les Sestieri de Venise, et tout particulièrement ceux que je connaissais pas du tout et désirait apprendre à découvrir, indépendamment de tout programme tant soit peu « culturel« … : c’étaient la ville de Venise et la vie qu’y vivaient les simples Vénitiens qui faisaient l’objet de ma curiosité…

Enfant, j’étais venu trois fois à Venise avec mes parents (et mon frère) _ mes parents (qui aimaient beaucoup voyager en Italie) étaient déjà venus, et à plusieurs reprises, à Venise : je les entends encore raconter avoir entendu pour la première fois la chanson « Bambino » qu’allait bientôt populariser Dalida (ensuite ce serait « Gondolier« …), à la terrasse d’un café : le Florian ? le Quadri ? place Saint-Marc, par une chanteuse qui les avait impressionnés… Ainsi font (et vont) les souvenirs ! ma première « image«  de Venise était une chanson ; pas la lecture des Pierres de Venise de Ruskin, pour le petit Marcel… _ ; mais nous ne logions pas à Venise même ; et nos « passages » dans la ville manquaient par là du minimum de la « profondeur » et continuité de durée requise pour une vraie déambulation, quasi infinie : celle-là même dans le labyrinthe égarant des calli… Car les voies un peu trop rectilignes des calli boutiquières (à-touristes) des Mercerie, entre la tour de l »Horloge de la Piazza San Marco et le pont du Rialto, ne sont pas représentatives de la vraie vie de Venise, pas plus que de la vraie vie des vrais Vénitiens ; sinon de la bien réelle « touristification » de la cité…

Je me souviens d’avoir visité, avec eux et mon frère, et en écoutant les explications savantes d’un guide, la basilique Saint-Marc et le palais des doges, ainsi que la Ca’ d’Oro ; je me souviens aussi des trajets en vaporetto : la première fois, arrivée par le parcours (royal !) du Grand Canal, en son entier ; la seconde fois, raccourci par la Canal Nuovo et jusqu’à la Ca’ Foscari, pour rejoindre là le Grand Canal _ ce trajet de vaporetto a été depuis supprimé : il occasionnait trop de dégâts aux fondations des bâtiments sur les rives de ces rii… _ et atteindre, à nouveau, le débarcadère du môle de la Piazzetta. La fois suivante, depuis le parking du Tronchetto _ qui ne cessait, à chaque retour en voiture à Venise, de gagner en extension : je me souviens de m’en être fait la remarque alors _, nous prîmes la ligne de vaporetto qui contourne Venise par la zone maritime de Santa Marta au sud-ouest, et emprunte le Canal de la Giudecca pour atteindre _ en traversant splendidement ! le Bassin de Saint-Marc, devant l’île de San Giorgio Maggiore _ le palais des doges sur la Piazzetta, toujours.  Nos parents appréciaient un peu trop à notre goût les boutiques (de verroterie et bijoux plus ou moins de pacotille) des Mercerie ; et je ne me souviens pas d’avoir mis le moindre pied, avec eux, à l’Accademia, ni, encore moins, à la Scuola San Rocco, lors de ces promenades vénitiennes un peu trop rapides (et succinctes) -là…

La fois où, en voyage pour la Yougoslavie et la Grèce _ à quatre en 2 CV : l’été 1972  _, j’étais adolescent, et nous campions _ pas nécessairement en plantant la tente : que de délicieuses nuits à la belle étoile, le long de la côte dalmate ; en Chalcidique (avec des tortues sauvages…) ; sous un olivier entre Delphes et Perachora ; en face de Corinthe, dans les ruines d’un temple de Médée ; ou sur une plage non loin de Nauplie… Ayant passé le début de la matinée à visiter Milan (Sant’Ambrogio…) sous la conduite d’une amie étudiante, nous ne fîmes que consacrer une (bonne) après midi à arpenter _ en débarquant (depuis le Tronchetto) à la Piazzetta _, la Place Saint-Marc, le Rialto, le Sestiere San Polo : et je me souviens, en ayant longé la Scuola San Rocco, avoir fort pensé alors au Tintoret ; et nous être « égarés«  pas mal dans les calli de San Polo et de Dorsoduro _ il y a pourtant bien pire à Venise pour se perdre en un dédale !.. _, faute d’un plan auquel plus sûrement nous repérer, pour gagner la pointe de la Dogana et la Salute (sinon les Zattere : je n’avais pas encore lu le Dorsoduro _ traduit en français De Venise à Venise _ de Pier-Maria Pasinetti) ; et retour depuis le Rialto en vaporetto par le Grand Canal pour rejoindre notre 2 CV au Tronchetto : le soir même, nous passâmes la frontière italo-yougoslave, juste au nord de Trieste _ à hauteur de Duino _, et dormîmes en Slovénie dans un si beau pré, tout près de Lipizza _ nous allions visiter, le lendemain matin les très vastes grottes de Postojna, dans le Karst, avant de rejoindre la côte de l’Istrie (Piran, Porec, Rovinj, Pola, etc. : des cités qui avaient été, et demeuraient, profondément vénitiennes…) _, que, lors de notre voyage de retour de Grèce, via Skoplje et Belgrade, nous parcourûmes énormément de kilomètres le soir tombé et la nuit bien entamée, depuis Zagreb et Ljubljana, rien que pour le plaisir de planter notre tente de nouveau dans un si sublime _ tel celui de Francis Ponge au Chambon-sur-Lignon ; lire sa Fabrique du Pré, dans la merveilleuse collection des Sentiers de la Création, chez Skira… _ ; dans un si sublime pré, donc ; nous avions plein loisir d’attendre et contempler des étoiles filantes parmi le firmament de la douce nuit étoilée de notre jeunesse…

Depuis cette année 1972, mes voyages en Italie ne m’avaient plus ramené à Venise… En Toscane et en Ombrie _ j’aime tant Sienne et sa campagne sublime, Pérouse, Assise, Orvieto… _ ; et à Rome et dans le Latium, à plusieurs reprises ; mais jamais à Venise, depuis lors…

Je décidai que le temps qui me serait disponible à Venise, en dehors du Colloque de musicologie, serait consacré à la découverte surtout des quartiers de la ville, et de la vie qui s’y menait, indépendamment des musées, palais et autres lieux dévolus à l’Art (ou au tourisme) : à l’exception, cependant des églises, chaque fois que j’en trouverais une d’ouverte ; ce qui fut le cas, dès ce mercredi après-midi, pour San Nicolo dei Tolentini, tout proche de l’Hôtel Al Sole _ un palazzo de la famille Marcello ! _, où beaucoup d’entre les intervenants du colloque étions (superbement, au moins dans mon cas !) logés _ mais ce ne fut pas le cas pour San Giobbe, trouvé deux fois, deux jours de suite, fermé ! et je ne visitais pas non plus les synagogues du Ghetto, que je traversais pour la première fois, ce mercredi après-midi-là _ ; Sant’ Alvise ; la Madona dell’Orto ; San Giovanni Crisostomo ; San Giacomo di Rialto, pour le premier après-midi (de pluie importante, quasi incessante depuis notre arrivée)… Revenant, passé le pont du Rialto, par le Campo San Polo, le Campo San Agostin et le Campo San Stin _ ces deux derniers déserts : à un point qui me surprenait ! _, je découvrai la Corte sur laquelle donne le jardin du Palazzetto Bru-Zane ; ainsi que le merveilleux _ ou sublime _ portail de Pietro Lombardo, entre San Giovanni Evangelista et sa Scuola. Et je regagnai l’Hôtel Al Sole, au premier pont, sur la Fondamenta Minotto, en longeant Santa Maria Gloriosa dei Frari et San Rocco (et sa Scuola). Le soir, dîner entre amis au restaurant Ribot, sur le même quai que l’hôtel, et à moins de cent mètres ; et, juste après le dessert, acqua alta ! Les sirènes qui n’avaient pas servi depuis l’hiver précédent, étaient en panne, et, n’ayant pas retenti, n’avaient pu prévenir personne… Le restaurant nous distribua de grands sacs-poubelles en plastique noir pour y protéger nos pieds et jambes : l’un des deux sacs s’est troué ; et je suis me retrouvé mouillé jusqu’un peu plus haut que la cheville : un joyeux souvenir vénitien !..

Le lendemain, jeudi, la pluie s’était calmée, et le temps, d’abord maussade, allait s’améliorer dans la journée. Après un excellent petit-déjeuner à 7h, je repris mes pérégrinations. Le matin, je pris la direction du Campo Santa Margherita, par l’église San Pantalon, puis, après San Barnaba et son ravissant Campiello, et le coin de la Toletta, je gagnai San Trovaso, les Zattere _ toujours cette vue si belle ! sur la Giudecca _ et les Gesuati _ avec ses Tiepolo… _, pour gagner, après la calle del Vento, le quartier presque trop tranquille de San Sebastiano (avec ses Veronese : il y avait des visiteurs !), Sant’ Angelo Raffaello (là, personne !), et, au bout d’un quai désolé _ j’en éprouvais une impression de quasi sinistre… _, le curieux et très intéressant San Nicolo dei Mendicanti (deux visiteurs en même temps que moi). Je rejoignais Santa Maria del Carmini, assez stupéfait du nombre _ vertigineux ! étourdissant ! _ d’immenses toiles peintes couvrant quasi toute la surface des murs _ ce que me fit comparer la situation de la peinture sur toile dans les églises de Venise, avec celle de Rome… Je regagnai l’hôtel par le Campo Santa Margherita : afin de tâcher de trouver une place pour le déjeuner de midi _ qui allait être  succulent ! _ à la trattoria Dalla Marisa, au Ponte dei Tre Archi : vers 13 heures. L’établissement qui n’est pas grand _ sans tables dehors, les mois d’hiver, sur le quai du Canal de Cannaregio à l’approche de sa sortie sur la lagune _, était bondé, comble ! La serveuse me trouva une petite place, non loin de la cuisine et près du bar, sur le fond de la salle _ il y avait quelques autres convives dans une autre petite salle vers la cuisine _, à la table d’un Vénitien, ouvrier sur un chantier, qui approchait de la fin de son repas. J’échangeai quelques mots avec lui. Quand il eut achevé son repas, il fut remplacé à cette petite table (à deux places) par un professeur (de mathématiques) à l’université toute proche, un peu plus loin sur le quai, dans une partie de ce qui était, il n’y a pas si longtemps, les Abattoirs… Un merveilleux repas vénitien : le menu, avec les plats du jour, est inscrit sur une ardoise ; et la serveuse les énonce à toute vitesse : peut-être même en vénitien… Ce jeudi, après des antipasti, les pâtes que je pris « al ragu » !) étaient absolument délicieuses ; un poisson ; un dessert, du vin blanc frizzante, et un café : tout parfait ! Je me promis de revenir le lendemain !

En traversant le pont des Trois Arches, je fis un crochet vers la rive de la lagune, à la Sacca di San Girolamo, puis regagnai, carte à la main, en passant par des venelles à peine publiques, l’église Sant’Alvise, qui était fermée la veille… Je longeai les Rii tranquilles et très beaux della Misericordia, della Sensa, di Sant’Alvise ; et appréciai cette Venise populaire vierge alors de touristes, mais vivante _ venant de me procurer (très récemment ! et a posteriori, donc, de mon séjour à Venise…) le Dictionnaire amoureux de Venise, de Philippe Sollers, je remarque qu’il ne fréquente guère ces coins-là ; son tropisme le portant aux Zattere du côté des Gesuati, et des beaux quartiers, surtout, de Dorsoduro et de San Marco… Avec bien peu d’attention de sa part à la vie des Vénitiens : ce qui orientait ma propre curiosité… Je refis un tour par le Ghetto, où j’avais repéré la veille une pâtisserie juive _ me ressouvenant des délices de celle (fermée hélas une fois sur deux qu’on y passe !) du Ghetto de Rome, au coin occidental de la Via dell’ Portico d’Ottavia… _, Volpe… Je tâchai d’apercevoir, au bout en cul-de-sac _ mais avec un tout petit bout de vue sur la lagune ! _, de la toute petite Fondamenta dell’Abbazia, au coin de Santa Maria della Misericordia ; d’apercevoir, par-dessus la Sacca della Misericordia remplie de bateaux amarrés ; d’apercevoir le Casino degli Spiriti, qui fascinait Nietzsche qui logea non loin des Fondamente Nuove, du côté du Palazzo Dona, où habita Jean Clair… Je revis, de la lagune, ce Casino degli Spiriti quand j’empruntai la ligne 42 (ou 41) du vaporetto. Les perspectives sur la lagune sont raffraîchissantes, en mettant un coin de nez, pour un moment, hors du labyrinthe parfois tellement resserré que très sombre, ombreux même quand il fait grand soleil _ comme entre le Campo San Giacomo dell’Orio et le Campo San Cassiano, vers  l’est du Sestiere de Santa Croce _ des calli : même si ce quartier au nord-est de Cannaregio, est aussi celui de la maladie et de la mort (à Venise), à côté de l’Ospedale du rio dei Mendicanti, et avec l’Oratorio dei Crociferi et la toute baroque Santa Maria Assunta dei Gesuiti _ fermée les deux fois que j’y passai ! _, et juste au face de l’île-cimetière de San Michele ; c’est aussi par ce côté de la lagune que souffle la bora (qui souffle aussi à Burano, un peu au nord-ouest encore, dans la lagune)…

Mais me plut bien ce quai des Fondamente Nuove, avec quelques cafés et son kiosque bien pourvu en DVD de films italiens : à mon premier passage, je me pourvus de quelques films sur lesquels je ne réussissais pas jusqu’alors à mettre la main, tel La Notte d’Antonioni… Je trouvai ce coin _ du passage obligé du vaporetto vers Murano, Burano et Torcello _ bien animé ; et il me plût : il est vrai que c’est la plaque tournante vers les îles du nord de la lagune ; et vers l’aéroport Marco Polo par la lagune… Je continuai sur cette Fondamenta ouverte sur la lagune jusqu’au Rio dei Mendicanti, le long duquel je pris sur ma droite, pour gagner le Campo dei Santi Giovanni e Paolo, avec la statue du Colleone de Verrochio, la belle façade de la Scuola San Marco ; et où je visitai la très vaste église dominicaine, que les Vénitiens appellent Zanipolo… Nous sommes dès ici dans le Sestiere de Castello. Je pénétrai dans la librairie française ; puis découvrit un marchand de masques, qui accepta de colorier, pour quand j’y reviendrai _ deux jours plus tard _, un masque d’Arlequin, ce personnage qu’aime tant mon petit-fils Gabriel…

Je poursuivis par San Francesco della Vigna, dont je pus jeter un coup d’œil aussi sur les cloitres attenants… Puis je traversai vers le sud l’est de cette partie de Castello avant l’Arsenal, dans des ruelles sombres et qui m’apparurent étrangement désolées, du côté du Campo delle Gatte _ je me souviens d’en avoir relevé le nom, sur une plaque, afin de m’en ressouvenir. De là, je pénétrai dans la sombre Scuola di San Giorgio dei Schiavoni, où je pus découvrir les originaux de ces toiles de Carpaccio qui m’avaient si vivement impressionné dans le beau volume Skira _ Les Créateurs de la Renaissance, par Lionello Venturi _ que m’avait valu le Prix d’excellence en Terminale (en 1964 _ il y aura cinquante ans l’an prochain…) : un livre qui m’a marqué (et initié aux arcanes d’un des sommets de l’art occidental : Giotto, Simone Martini et les Siennois, Mantegna, Piero della Francesca, les Ferrarais, etc. : peut-être jusqu’aux Bellini…), et que je possède toujours… Un peu plus tard, je lus les Esthétiques sur Carpaccio, virtuoses !, de Michel Serres… Je continuai par San Giovanni in Bragora _ où fut baptisé Vivaldi _, et poussai jusqu’à l’entrée monumentale de l’Arsenal et l’extrémité de la Via Garibaldi… Je rentrai vers Santa Croce par le vaporetto qui passe par le Canal de la Giudecca. Le soir, un dîner avec quelques amis du Colloque, à un restaurant tout voisin de notre hôtel, l’Osteria ae Cravate : mais sans acqua alta ce soir-là !

Je commençais à me familiariser un peu avec le jeu à surprise des calli de Venise, à la recherche, un peu, de la vie vénitienne _ le plus loin possible des touristes ; ou de ceux qui ne fréquentent que les quartiers un peu chics, et surtout avec vue ! Près de l’hôtel, sur le coin du Campo de San Nicolo dei Tolentini, je remarquai un minuscule bar à cheval sur le Campo et le coin du pont du rio dei Tolentini : les verres de spritz et les assiettes de cichetti reposant sur quelques barriques ; et les conversations des convives me paraissant à la fois joyeuses et tranquilles, chaque soir que je passais par là, en revenant, par exemple de la station Ferrovia du vaporetto, en ayant traversé le Ponte dei Scalzi sur le Canal Grande, et la Fondamenta _ joyeusement animée toujours ! _ San Simeone Piccolo. Je regrettais de ne pas parler assez bien italien ; et a fortiori vénitien _ même si j’arrivai à me débrouiller avec les serveuses de la Trattoria Da Marisa, au Ponte dei Tre Archi… De même, j’osais encore moins m’arrêter à la Cantina Do Mori _ toujours bondée _, non loin de la Rugha Vecchia San Giovanni, dans le quartier toujours très animé du Rialto…

Le vendredi matin, toujours après un très copieux et très agréable petit-déjeuner buffet à l’excellent Hôtel Al Sole _ ma chambre était aussi magnifique ! _, je me décidai à explorer le quartier Santa Croce , juste au nord du Palazzetto, en commençant par l’église San Giacomo dell’Orio : dès l’ouverture de l’église à la visite. Et je découvris que le quartier que je parcourus vers le nord ouest, à bonne distance du Grand Canal, formait un extraordinairement sombre et dense dédale _ et alors que ce vendredi, lui, était ensoleillé ! Je passai ainsi par Santa Maria Mater, ouverte, et San Cassiano, ouvert, d’où je rejoins le  Canal Grande sur la Riva dell’Olio, puis la Pescheria et les autres divers marchés, particulièrement animés, les matins, du quartier du Rialto ; puis je passais le Pont, et me dirigeai vers l’adorable marmoréenne Santa Maria dei Miracoli, puis vers Santa Maria Assunta dei Gesuiti _ décidément toujours fermée _, et repassai au Kiosque des DVD, sur les Fondamente Nuove, pour m’apercevoir, en échangeant un peu avec le kiosquier cinéphile, que j’aurais pu commander des DVD : par exemple celui de Prima della Rivoluzione, de Bernardo Bertolucci, film _ avec Adriana Asti ; et un passage, au milieu, en couleurs : le début et la fin étant en noir et blanc _ que j’avais adoré à sa sortie en France… Je repassai par Zanipolo, où mon masque d’Arlequin n’était pas encore terminé, puis la Calle Lunga Santa Maria Formosa _ avec une autre boutique riche en DVDs _, pour découvrir le Campo Santa Maria Formosa et son église.

Je revins à l’hôtel, pour me reposer un peu _ je marchais sans cesse _, avant de repartir déjeuner, toujours royalement, vers midi, à la trattoria Dalla Marisa… L’après-midi, visite de l’Accademia, le seul musée que je m’autorisai, mais avec beaucoup de plaisir : de tous les peintre vénitiens, Giovanni Bellini m’impressionnait décidément le plus, par son calme éminemment vénitien. Je franchissais le pont et gagnais le Sestiere San Marco…

A suivre…

Titus Curiosus, le 23 septembre 2012

 

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur