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En ajout un peu philosophique à mon regard sur les regards d’Emmanuel Mouret, en sa « Mademoiselle de Joncquières », et Diderot, en son « Histoire de Mme de La Pommeraye », extraite de son « Jacques le fataliste et son maître » : sur la capacité de transcender ou pas le poids des normes sociales et du regard d’autrui, ou le qu’en dira-t-on…

24jan

En ajout un peu philosophique à mon regard sur les regards d’Emmanuel Mouret, en sa «  Mademoiselle de Joncquières« , et Diderot, en son « Histoire de Mme de La Pommeraye et du marquis des Arcis« , extraite de son « Jacques le fataliste et son maître« ,

qu’exprimait mon article du lundi 16 janvier dernier «  » _ auquel je tiens beaucoup, et ai enrichi déjà à plusieurs reprises _,

voici, tout spécialement repris ici, cette précision que je viens ce matin du mardi 24 janvier, de lui donner, à propos du sens final même qu’ont donné, et Diderot à l’entreprise de son récit, et Emmanuel Mouret à l’entreprise de son film :

Les réputations des personnes étant assurément puissantes dans le monde – et c’est là aussi un cadre social et moral tout à fait décisif de la situation que nous présente ici en son merveilleux film Emmanuel Mouret :

même éloignés de tout (et de presque tous : sauf, pour ce qui concerne Madame de La Pommeraye, de ce bien précieux personnage inventé ici par Emmanuel Mouret par rapport au récit de Diderot, qu’est cette amie-confidente go-between, qui vient de temps en temps lui rapporter, alors qu’elle-même prend bien soin de se tenir retirée en la thébaïde de sa belle campagne, ce qui se bruisse dans Paris, où l’on voit tout… et rapporte tout !) ;

en conséquence de quoi les regards du « monde » (mondain !) des autres pèsent de leur non négligeable poids sur la conscience et le choix des actes de la plupart des personnes (qui y cèdent ;

y compris donc Madame de La Pommeraye qui fait de ce qu’en dira-t-on l’arme tranchante de sa vengeance) ;

à part quelques très rares un peu plus indifférents (et surtout finalement résistants au poids pressant de ces normes mondaines-là), tels qu’ici, justement, et le marquis des Arcis, et Mademoiselle de Joncquières, qui se laissent, au final du moins (et là est le retournement décisif de l’intrigue !), moins impressionner, pour le choix de leur conduite à tenir, par les normes qui ont principalement cours dans le monde, ainsi qu’Emmanuel Mouret le fait très explicitement déclarer, voilà, au marquis des Arcis à sa récente épouse, pour, en un très rapide mot, lui justifier son pardon (pour s’être laissée instrumentaliser en l’infamie ourdie par Madame de La Pommeraye : « Je me suis laissée conduire par faiblesse, par séduction, par autorité, par menaces, à une action infâme ; mais ne croyez pas, monsieur que je sois méchante : je ne le suis pas« , venait-elle de lui signifier…

Emmanuel Mouret faisant alors explicitement dire au marquis, à 95′ 47 du déroulé du film, ce que ne lui faisait pas prononcer Diderot, mais qu’impliquait cependant, bien sûr, l’acte même, fondamental, du pardon de celui-ci envers son épouse :

« _ Je ne crois pas que vous soyez méchante. Vous vous êtes laissée entraîner par faiblesse et autorité à un acte infâme. N’est-ce pas par la contrainte que vous m’avez menti et avez consent à cette union ?

_ Oui monsieur

_ Eh bien, apprenez que ma raison et mes principes ne sont pas ceux de tous mes contemporains : ils répugnent à une union sans inclination » ;

c’est-à-dire que lui, marquis des Arcis, savait oser ne pas se plier aux normes courantes des autres, et se mettre au-dessus de ces normes communes, en acceptant et assumant pleinement, en conscience lucide et entière liberté, d’avoir fait, en aveugle piégé qu’il était au départ, d’une ancienne catin son épouse :

« Levez-vous, lui dit doucement le marquis ; je vous ai pardonné : au moment même de l’injure j’ai respecté ma femme en vous ; il n’est pas sorti de ma bouche une parole qui l’ait humiliée, ou du moins je m’en repens, et je proteste qu’elle n’en entendra plus aucune qui l’humilie, si elle se souvient qu’on ne peut rendre son époux malheureux sans le devenir. Soyez honnête, soyez heureuse, et faites que je le sois. Levez-vous, je vous en prie, ma femme; levez-vous et embrassez-moi ; madame la marquise, levez-vous, vous n’êtes pas à votre place ; madame des Arcis, levez-vous…« …

Oui, le marquis des Arcis, ainsi que sa désormais épouse, tous deux, savent, à ce sublime héroïque moment-ci, s’extraire non seulement, bien sûr, de toute la gangue de leur passé, mais du bien lourd poids, aussi, des normes dominantes et des regards d’enfermement des autres  même si, un lecteur un peu retord, pourrait ici me rétorquer, me vient-il à l’idée ce matin du 25 janvier, que Diderot, avec au moins son personnage-pivot de fin lettré qu’est le marquis des Arcis, mais peut-être pas avec l’autre de ses personnages-pivots qu’est l’un peu moins cultivée jeune épouse de celui-ci, cède, en ce presque final de son récit de l’ « Histoire de Mme de La Pommeraye et du marquis des Arcis« , à la mode très vive à ce moment-là, du « sublime » de la vague « Sturm und Drang« , qui déferle, après l’Allemagne, aussi en France : un mouvement auquel Diderot (1713 – 1784) et son cher ami le baron Grimm (1723 – 1807) n’ont pas manqué d’être éminemment sensibles… Et c’est même assez probablement là une des raisons du très précoce succès, via traductions et publications en 1785 et 1792, par Schiller (1759 – 1805) et Mylius (1754 – 1827), de ce « Jacques le fataliste et son maître«  de Diderot, précisément d’abord en Allemagne : « Comme le Neveu de Rameau, Jacques le Fataliste fut connu en Allemagne avant de l’être en France. Schiller en avait traduit, en 1785, l’épisode de Mme de la Pommeraye, sous ce titre : Exemple singulier de la vengeance d’une femme _ conte moral _ voilà ! _, pour le journal Thalie. Il en tenait la copie de M. de Dalberg. Il parut, en 1792, une traduction du roman sous ce titre : Jacob und sein Herr (Jacques et son Maître), par Mylius. Le traducteur disait : « Jacques le Fataliste est une des pièces les plus précieuses de la succession littéraire non imprimée de Diderot. Ce petit roman sera difficilement _ tiens, tiens… _ publié dans la langue de l’auteur. Il en existe bien une vingtaine de copies en Allemagne, mais comme en dépôt. Elles doivent être conservées secrètement et n’être jamais mises au jour. Une de ces copies a été communiquée au traducteur, sous la promesse solennelle de ne pas confier le texte français à la presse »… » Et en 1794, « l’institut de France s’organisait. Un de ses premiers soins fut de s’occuper de dresser une sorte de bilan des richesses perdues de la littérature français _ du fait de la Révolution. On s’inquiéta, entre autres choses, d’un chant de Ver-Vert intitulé l’Ouvroir, qu’on crut être entre les mains du prince Henri de Prusse. Ce prince, qui, après avoir montré qu’il était bon capitaine, dut se réfugier dans une demi-obscurité pour ne pas risquer de trop déplaire à Frédéric II, son frère _ voilà  ! _, occupait noblement ses loisirs en cultivant les lettres, les arts et les sciences. Il était un des souscripteurs à la Correspondance de Grimm. Il s’intéressait particulièrement à Diderot _ voilà ; et nous savons qu’on parlait en permanence français à la cour de Berlin du roi Frédéric II. La lectrice de sa femme, Mme de Prémontval, dont il sera question dans le roman, avait pu lui en parler de visu. Ce n’est pas cependant par elle, comme l’a cru l’éditeur Brière, qu’il eut communication de Jacques le Fataliste, puisqu’elle était morte plusieurs années avant que ce livre fût écrit. Il _ le prince Henri de Prusse, donc (1726 – 1802) _ en possédait une copie au même titre que la vingtaine d’autres personnes dont parle Mylius. Seulement, il ne se crut pas obligé à la tenir secrète, et, en réponse à la demande du chant de Ver-Vert _ de Jean-Baptiste Gresset (1709 – 1777) _ qu’il n’avait pas, il offrit Jacques le Fataliste, qu’il avait _ voilà ! Il reçut des remercîments, et on le pria de mettre à exécution cette louable intention. Il répondit par cette nouvelle lettre : « J’ai reçu la lettre que vous m’avez adressée. L’Institut national ne me doit aucune reconnaissance pour le désir sincère que j’ai eu de lui prouver mon estime : l’empressement que j’aurais eu de lui envoyer le manuscrit qu’il désirait, s’il eût été en ma puissance, en est le garant. On ne peut pas rendre plus de justice aux grandes vues qui l’animent pour mieux diriger les connaissances de l’humanité. » Je regrette la perte que fait la littérature de ne pouvoir jouir des œuvres complètes de Gresset, cet auteur ayant une réputation si justement méritée. J’ai fait remettre au citoyen Gaillard, ministre plénipotentiaire de la République française, le manuscrit _ nous y voilà ! _ de Jacques le Fataliste. J’espère que l’Institut national en sera bientôt en possession. Je suis, avec les sentiments qui vous sont dus, votre affectionné, Henri ». Voici donc comment le texte original de Denis Diderot d’après lequel a été enfin diffusé en France ce très précieux « Jacques le fataliste et son maître« … Et fin ici de cette bien trop longue incise, simplement documentaire, rajoutée le 25 janvier.

Ce mouvement d’exhaussement sublime au-dessus des normes communes qui est aussi, au final, ce que Diderot lui-même a voulu lestement et subtilement mettre en valeur en son magnifique récit à rebondissements qu’est ce « Jacques le fataliste et son maître«  _ prudemment non publié par Diderot lui-même de son vivant (Diderot est décédé le 31 juillet 1784) en France, mais laissé au jugement plus distancié de la postérité…

C’est donc cette formidable capacité de gestes impromptus de liberté qu’Emmanuel Mouret vient nous laisser appréhender sur l’écran via la très vive mobilité en alerte et à certains moments décisifs jouissivement surprenante pour notre curiosité, des personnages virevoltants et, à ces moments-là au moins, imprévisibles, de ses films :

Emmanuel Mouret, ou les jubilatoires délicieuses surprises du pouvoir même de la liberté ainsi délicatement, avec douceur, finesse et subtilité, pour notre plaisir, si brillamment filmé.

Ce mardi 24 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

« A quoi pense l’Art contemporain ? », une conférence d’Elie During pour la Société de Philosophie de Bordeaux, au CAPC, Musée d’Art Contemporain de Bordeaux, mardi 7 avril à 18h30

05avr

Dans le parfait prolongement du sujet (et questionnement) de l’article précédent _ « Energie, joie, reconnaissance _ et amitiés aussi : la grâce des oeuvres et de l’Art : François Noudelmann, Gilles Tiberghien, Bruce Bégout« , à propos de l’articulation entre Art et Philosophie,

mardi 7 avril prochain, à 18h 30, au CAPC

_ Musée d’Art Contemporain de Bordeaux, Entrepôt Laîné, 7 rue Ferrère à Bordeaux _ ;

dans la salle de conférence,

la Société de Philosophie de Bordeaux

recevra pour la dernière conférence de sa saison 2008-2009

Elie During,

sur le sujet de « A quoi pense l’art contemporain ?« …

En voici l’argumentaire :

 Que l’art, cosa mentale _ selon la formule de Léonard de Vinci _, ait quelque chose à voir avec la pensée, et même la philosophie ; qu’il dispose des éléments sensibles en vue de faire « penser plus », comme disait Kant, nous le savons depuis longtemps. S’il y a à cet égard une spécificité du régime « contemporain » de l’art _ voilà l’objet sur lequel va se focaliser notre attention _, c’est dans la manière dont il réarticule les termes du problème en faisant de la pensée son objet _ rien moins ! C’est à tort qu’on s’imagine que la théorie est convoquée par les artistes contemporains comme un discours de surplomb censé apporter un « supplément d’âme » _ selon la formule bien connue de Bergson dans « Les Deux sources de la morale et de la religion«  _ à des productions sans consistance : même chez les mauvais artistes, c’est d’une tout autre relation qu’il s’agit _ une relation latérale, mais effective, beaucoup plus intéressante que celle que prescrit le commentaire ou l’illustration. La théorie y est d’emblée envisagée comme partie prenante de la machine artistique et de sa puissance d’invention formelle. Il y aurait ainsi une plastique du concept _ formule cruciale ! _, qui ne relèverait ni de l’exemplification ni de l’allégorie, ni du schème ni du symbole. Les concepts s’exposent : il faut l’entendre littéralement. La pensée a une forme, mais la forme elle-même doit se comprendre dans toute son extension, de façon à y inclure formats et dispositifs, gestes et procédés _ concepts à explorer… Deux exemples historiques, Marcel Duchamp et l’art conceptuel, permettront de préciser la portée de ces remarques, avant d’en examiner les prolongements sur quelques cas plus récents.

Elie During est Maître de conférences à Paris X – Nanterre et chargé de séminaire à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Ses recherches sur les formes de l’espace-temps le conduisent à l’intersection de la philosophie des sciences, de la métaphysique et de l’esthétique. Il a consacré plusieurs articles et textes de catalogues à des artistes contemporains _ dont Tatiana Trouvé : « 4 between 3 and 2« _, mais aussi au cinéma _ cf sa participation au recueil « Matrix : machine philosophique«  _ et à la musique. Son édition critique du livre de Bergson sur la relativité, « Durée et simultanéité« , paraîtra en 2009 aux Presses Universitaires de France.


Titus Curiosus, ce 5 avril 2009

Incarner la voix ferme, vibrante et chaleureuse _ mains comprises _ de Montaigne sur la scène : le « Montaigne » de Thierry Roisin (et Yannick Choirat) au TnBA

11fév

Chaque lecteur de ce formidable livre _ parlant _ que sont les « Essais » de Michel de Montaigne

a probablement « son » Montaigne _ et variant, encore (= s’enrichissant !), au fil des années, et de ses (renouvelées) lectures ; tant mille sentiers (d’infinis trésors) partent, en la moindre de ses (longues) phrases, des bonheurs d’expression (et pensée : intimement mêlés comme bien rarement !) « à sauts et à gambades« …

Le « Montaigne » de Thierry Roisin

s’incarne, magnifiquement vivant, en la performance

_ jusqu’à sa (propre) mise à nu d’auteur-écrivant, je veux dire, lui, Montaigne (28 février 1533 – 13 septembre 1592), osant parler, comme bien rarement jusque là ! à la première personne du singulier : à son secrétaire _ ici absent : sans doute hors-scène _ qui note, et souvent à la volée _ du moins c’est ce que je me représente, de mon fauteuil _ ;

qui note, et souvent à la volée, donc,

cette pensée sans cesse naissante et renaissante, florissante ; et se précisant en s’allongeant plutôt qu’en se coupant, ou s’abrégeant ; cette pensée de chair _ comme rarement, en les Lettres de notre pays ; pensée issue aussi, et à brassées, des émotions du corps et des affects sensibles, ultra-sensibles _ ; cette pensée qui court et vole et s’enrichit en permanence : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , dit-il ; et tant que lui-même, Montaigne, aura, du souffle… _


Le « Montaigne » de Thierry Roisin

s’incarne, donc, et combien magnifiquement,

en la performance épatante _ même si le plus souvent parfaitement sereine _ de Yannick Choirat,

le comédien seul à parler et se mouvoir _ sur le tapis-roulant de la vie (ou « branloire pérenne » probablement héraclitéenne : « tout coule » ; « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » : la Dordogne, en ce cas…) _

sur une scène-tapis roulant sans cesse en mouvement ;

mais selon divers rythmes toutefois :

« je « passe » le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas « passer » ; je le retâte ; je m’y tiens ; il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon« , dit-il, en son « dictionnaire tout à part » lui… ;

rythmes

que scandent les deux musiciens, Agnès Raina, flûtiste, et Samuel Maître, clarinettiste, interprétant une musique originale de François Marillier ; et hors tapis-roulant, eux deux, de chaque côté de la scène et sur le devant ;

avec même, à la fin, en ce tapis-roulant, une prairie (de vrai gazon, d’herbe vraie : afin de reposer, enfin, peut-être, et se décomposer en douceur, en l’humus commun ;

quand il s’agira d’avoir à cesser _ enfin… _ de bouger _ soi-même, du moins) ;

au TnBA (jusqu’à vendredi soir prochain, 13 février)

face aux choses

_ et même oiseaux, en couple (et « mouches à miel », en ruches) _


venant, chacune _ les choses, chacune à son rythme _ à son heure, à sa rencontre,

en la surprise, chaque fois (éclairage et musiques le ponctuant de leurs variations sensibles rythmées) de leur inépuisable _ merci la vie ! _ diversité ;

dans le dispositif d’incarnation _ vraiment ! _ du texte (ou plutôt parole vivante) des « Essais« , en extraits choisis pour nous _ et disponibles intégralement sur le programme ad hoc)

qu’a conçu et réalisé le dramaturge metteur en scène _ périgordin lui-même !!! de la vallée de la Dordogne (au Bugue) _, Thierry Roisin…

Car Montaigne « s’essaye » en permanence à nous parler, à nous, chacun, au-delà du cercle de ses parents et proches auxquels ce « portrait en pied » que sont les « Essais » est d’abord, en priorité, destiné, avec une formidablement joyeuse liberté ; et de ton, et de sens !!!

Et le livre, inaugurant la vraie modernité du « sujet » (humain)

_ « Bien faire l’homme« , nous dit-il en son ultime essai « De l’expérience« , livre III, chapitre 13 : et c’est même le dernier mot de ce Montaigne-ci _ le « personnage » représentant l’auteur toujours vivant des « Essais« , sur ce tapis-roulant d’herbe verte-là ! _,

assumant sa pensée et sa parole (singulières, propres) ;

et le livre

donne tout aussitôt naissance _ lui, Montaigne, n’étant alors plus là _ au « genre » _ tout à la fois libre et exigeant ; et aussi exigeant que « libre » ! _ des « essais«  : en commençant par Bacon en Angleterre (où les « Essais » ont été très vite traduits, par Florio) ;

Bacon, initiateur de la méthode expérimentale dans les sciences…

« Genre » tout neuf, s’inspirant, donc, en sa vivacité joyeuse _ et tout aussitôt féconde _, de la visée d’honnêteté libre et objective, autant que ludique et ouverte, de Montaigne ;

visée exemplaire

sans s’être jamais voulue didactique ou doctorale : par la seule vertu vive, allègre (et sans lourdeur), de l’exemple « honnête », plus qu' »utile », d’abord ;

cf le titre de l’essai inaugural du livre III : « De l’utile et de l’honnête« …

Et Yannick Choirat a cette merveilleuse vitalité-là ; ludique, tonique, et pleine de sainte colère, aussi, parfois :

il incarne à généreuses brassées la jeunesse portante (et inspirante sans didactisme) de Montaigne ;

ainsi que la liberté de sa totale nudité

pour le lecteur qui sait le lire ; et converser _ aussi librement que lui _ avec lui, en lucide confiance, sans finasseries ou détours : car « un parler ouvert ouvre un autre parler

et le tire hors,

comme fait le vin

et l’amour » _ oui ! au chapitre 1 « De l’utile et de l’honnête« , en ouverture du Livre III des « Essais« .

Et le texte des « Essais » est si riche, déjà (à incroyable profusion !),

que ce sont mille découvertes, pour nous qui regardons et écoutons, en 80 minutes, à peine, sur cette scène tapis-roulant…

Qui connaît les mille perspectives, échappées sur la campagne, et aussi luxuriants recoins, des « Essais« , en mille et unes couches proliférantes superposés ?..

Ainsi, qui avait déjà fait son miel de ce sublime passage _ incarné si épatamment ici par le jeu flamboyant, éloigné de tout maniérisme : vif, tout simplement ! _, des « mains parlantes » de Yannick Choirat ?

Le voici donc, pour le seul plaisir _ faute du jeu (magnifique) du comédien sur la scène _, du texte ici

(dans l’essai 12 du livre II, « Apologie de Raimond Sebond« ) :

« Quoi des mains ? nous caressons, requérons ; nous promettons, appelons, congédions, menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, comptons, confessons, repentons, craignons, vergognons, doutons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons, accusons, condamnons, absolvons, injurions, méprisons, défions, dépitons, flattons, applaudissons, bénissons, humilions, moquons, réconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, réjouissons, complaignons, attristons, déconfortons, désespérons, étonnons, écrions, taisons » _ aussi, provisoirement…

Montaigne est, fondamentalement, ce « rencontreur » que Thierry Roisin et Yannick Choirat, aidés de quelques autres _ comme cela se doit au théâtre _, nous donnent, à notre tour, à « rencontrer » ici, sur la scène du TnBA, ainsi : venant nous parler avec les mains aussi

_ soit « mains comprises » !… _

comme font les Gascons, du midi…

Bon « Montaigne«  _ « mains comprises », donc ! _ de Thierry Roisin (et Yannick  Choirat) !

Titus Curiosus, ce 11 février 2009

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