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L’empire de l’illusion : pour tenter de comprendre enfin ceux qui n’ont pas bien su voir venir la dévoration du Cyclope nazi

08fév

Comme promis hier,

en mon troisième article à propos de 1938, nuits :

j’en viens à l’amorce de solution qu’esquisse, peu à peu _ sans cuistrerie surplombante, et sans lourdeur jamais, tout est parfaitement le plus discret-léger et subtil possible _, Hélène Cixous, en son 1938, nuits,

à l’énigme de ceux qui se sont _ peut-être incompréhensiblement, du moins invraisemblablement, pour nous aujourd’hui, en un regard rétrospectif nôtre souvent beaucoup trop généralisateur, pas assez attentif-respectueux, porté à-la-va-vite qu’il est la plupart du temps !, de l’idiosyncrasie de détail des situations personnelles particulières, voire singulières, ainsi que des macro- ou micro-variations de celles-ci aussi, et c’est crucial, dans le temps… _ progressivement laissés piéger, et in fine briser-détruire, par les mâchoires du Cyclope nazi _ « Clac ! Cyclope amélioré » _,

dont ils n’ont pas assez su bien voir venir _ pour prendre des mesures préventives suffisamment efficaces pour leur sauvegarde vitale personnelle ! _ la dévoration.

Et dont cet opus-ci tout entier, 1938, nuits,

avec son amorce de solution _ nous le découvrirons _ à l’énigme que je viens d’évoquer _ celle de la dévoration dont ont été victimes un grand nombre des siens _,

se révèle constituer, pour Hélène Cixous, l’auteure et narratrice du récit, une sorte de moyen de fortune _ d’imageance par l’écriture _ pour parvenir à « soulever » et « toucher » vraiment Omi _ ces mots absolument cruciaux sont prononcés à la page 107, et c’est pour moi rien moins que le (discret) cœur battant de ce livre !!! _, Omi sa grand-mère _ décédée le 2 août 1977 _afin de réussir par là à obtenir de celle-ci  une sorte d’analogue _ les personnalités, bien sûr, diffèrent beaucoup ! _  à la très chère conversation post-mortem qu’Hélène maintient et perpétue, avec une formidable vivacité, avec Ève, sa mère, plus récemment _ le 1er juillet 2013 _ décédée…

Continuer de très richement converser post-mortem avec ses plus proches,

sur les modèles donnés par Homère _ avec Ulysse _, Virgile _ avec Énée _, Dante _ avec lui-même et Virgile _,

et aussi Montaigne, Shakespeare, Proust, Kafka, etc. _ soit la plus vraie et belle littérature comme secours de vie, par transmission de la benjaminienne Erfahrung aussi.

La splendide _ quel art ! _ expression « Clac ! Cyclope amélioré » _ à la pointe de la modernité technique et technocratique de dernier cri ! des nazis (au premier chef desquels le diaboliquement ingénieux Reinhard « Heydrich SS Gruppenführer« ) _, page 116,

utilisée à propos de cette dévoration d’un grand nombre des siens par l’hyper-efficace ogre nazi,

intervient au sein d’un _ admirable, une fois de plus _ essai de caractérisation, pages 115-116, de ce que fut, d’abord _ en quelque sorte prototypique _, l’Aktion nazie :

« L’Action ?, dit mon fils _ c’est lui qui parle ici, dans la conversation suivie, de fond (effective ou bien imaginée par l’auteure, à son écritoire), avec Hélène, sa mère ; lui, ainsi que sa sœur : les deux assistant activement (dans le récit, au moins, mais effectivement déjà aussi, c’est plus que possible : probable) leur mère dans son enquête-méditation. Hélène Cixous, comme Montaigne, n’aime rien davantage que converser vraiment, en pleine vérité, ou recherche impitoyable et sans concession aucune, de vérité-justesse. Avec des absents comme avec des présents. Et avec certains absents (tels que certains défunts, aussi), la conversation-interlocution peut aller parfois plus profond dans le questionnement-méditation de fond réciproque : Montaigne nous en donne l’exemple parfait en ses Essaisafin de pallier la terrible défection de son irremplaçable partenaire de conversation, La Boétie.

En-acte s’oppose à en-rêve.

L’Action consomme le rêve _ le court-circuite et détruit.

C’est pas imaginable

_ pour des personnes en pleine santé mentale ; ce qui peut aider à comprendre la réelle difficulté d’anticipation-représentation de la part de pas mal, sinon la plupart, des contemporains de ces « Événements » nazis, en commençant par les victimes elles-mêmes, foudroyées dans leur sidération et, bientôt, tétanie (et nous ne quittons certes pas ainsi la question

(à venir dans la méditation-conversation du texte ; je veux dire le dialogue poursuivi entre Hélène et ses deux enfants ; et parfois même aussi sa mère, Ève, quand celle-ci, quoique décédée le 1er juillet 2015, décide d’intervenir d’elle-même en un rêve de sa fille, Hélène)

de l’illusion : nous y venons, tout au contraire !) _,

on n’imagine pas,

_ mais _ on le fait _ ce si peu « imaginable« « on«  l’agit-exécute, cet inimaginable, pour ce qui concerne les « Aktionneurs« -exécuteurs, rendus absolument serviles, à la seconde même de l’ordre, des décideurs-donneurs d’ordre, en leur obéissant aveuglément-automatiquement, à ces ordres, à la seconde même, de la dite « Aktion« .

Les prisonniers _ bétail à KZ, ici _ ne pouvaient _ eux-mêmes _ imaginer _ avec tant soit peu de réalisme prospectif lucide _ les nazis,

ces gardiens

qui eux-mêmes non plus, méthodiquement décérébrés qu’ils sont ; cf la très intéressante analyse du détail du processus de décérébration proposée par Harald Welzer en son très intéressant Les Exécuteurs _ des hommes normaux aux meurtriers de masse _ n’imaginent pas

et qui font _ appliquent-exécutent à la seconde même (selon l’élémentaire schéma-réflexe, Stimulus/Réaction) de tels ordres reçus-aboyés.

Les gens d’Aktion ne se représentent pas _ ni eux-mêmes, ni ce qu’ils font ; et encore moins autrui (autrui n’existant plus, annihilée-néantisée-pulvérisée qu’est désormais la personne).

Ils dorment _ absolument : d’un sommeil de massue ! _ sans rêve.

Ça s’appelle Aktion

parce que c’est _ _ seulement faire.

Même pas seulement faire.

Pouf ! Pan !

Un mouvement _ unique : même pas en deux temps – trois mouvements ; ce serait bien trop complexe (pouvant laisser le temps d’une malencontreuse seconde de prise de conscience-réflexion-interrogation-doute : contreproductive ! _ : c’est fait.

Je reste saisi _ au masculin : c’est donc le fils d’Hélène qui décompose ici, devant sa  mère, la mécanique foudroyante hyper-efficace de l« Aktion » !.. _

devant l’Aktion _ emblématique de bien d’autres qui vont bientôt la suivre _ de la Nuit de Cristal

_ cette nuit-« Événement » déjà un peu spéciale (ne serait-ce qu’en tant que la toute première de son espèce, et devenant modèle) du 9 au 10 novembre 1938:

il est minuit trente _ le 10 novembre 1938 _ ? Aktion !

Le mot _ -ordre aboyé _ parcourt l’Allemagne, c’est-à-dire le Reich en un instant

_ comme une foudre sans coup de tonnerre un tant soit peu préalable d’avertissement, sans le plus infime recul de léger décalage-délai d’une seule seconde de battement, ni pour les acteurs-Aktionneurs, robotisés, ni pour les victimes-Aktionnées, tétanisées et capturées ;

à confronter cependant à l’image de la nuée d’orage, développée à la page 51, à propos de ce à quoi pouvaient s’attendre, et surtout ne s’attendaient pas (les situations et les réactions, toujours un peu diverses, des uns et des autres, sont toujours un peu elles-mêmes, sur l’instant qui les surprend, en balance…), en matière de déluge, « depuis l’attentat de Vom Rath« , le 7 novembre 1938 à Paris (Vom Rath ne meurt de ses blessures que le 9), Hermann et Siegfried Katzmann, à Osnabrück, la nuit du 9 au 10 novembre 1938 :

« ils s’y attendaient sans conviction _ voilà _ avec un espoir idiot _ le pire n’étant, certes, jamais tout à fait sûr ! la question se posant cependant de savoir si cet « espoir idiot« -là, est, ou n’est pas, du simple fait qu’il est déjà « idiot« , de l’ordre de l’illusion ?.. _, on voit _ certes : suffisamment visibles ils sont… _ les nuages noirs accroupis _ voilà _ au-dessus du ciel comme des géants en train de faire _ concocter-mitonner-usiner _ l’orage, pendant des jours ils poussent, éjectent des éclairs menaçants _ ici, c’est un adjectif, et pas un participe présent _ le déluge se prépare _ voilà : il est très méthodiquement organisé-machiné _, ça tonne, et puis parfois _ hasard, accident, ou stratégie perverse ? _ le déluge se retire, je reviendrai une autre fois _ fanfaronne-t-il…, mais _, quand on le croit passé alors l’orage se déchaîne » _ d’autant plus terriblement que nulle parade un peu efficace de sauvegarde n’aura été mise sur pied… :

soient les sans conteste difficiles et un peu complexes tergiversations de la (à la fois frêle et terriblement puissante) croyance, face à l’ambigüité entretenue avec soin des signes objectifs, eux, du réel. Et anticiper avec un tant soit peu de réalisme, pour ceux d’en face et en bas, peut s’avérer aussi plus compliqué à réaliser en actes, cette anticipation et ses réponses, pour certains que pour d’autres…

« _ On n’a pas la même mentalité, dit Ève _ à qui dit-elle cela ?

était-ce à Fred, il y a quelques années ? mais Ève se détournait vivement de telles conversations (absolument stériles et contre-productives, pour elle : « elle est contre le couteau dans la plaie« , page 79) à propos du passé, et qui plus est lointain ;

ou bien est-ce présentement à sa fille Hélène, en leur conversation post-mortem de cet été 2018 à la maison d’écriture d’Arcachon ? Plutôt ! Et c’est bien Hélène qui, soit engage, soit accepte, pareille conversation-enquête sur le passé, avec sa mère, décédée… L’enjeu final étant ici de parvenir à mieux comprendre, via le cas de Siegfried-Fred Katzmann en 1938 (à partir du témoignage de son Bericht) les tergiversations singulières d’Omi, de janvier 1933 à novembre 1938, ne le perdons jamais de vue… _,

je n’étais pas à Osnabrück en 1933, déjà en 1930 _ et même 1929 _ j’étais partie _ dit Ève _,

_ On n’a pas la même mentalité, dit Fred _ à qui Fred dit-il cela ?

est-ce, ou bien était-ce, à son amie Ève ? (« Fred, nous l’avons connu, il était le dernier ami _ à partir de 1986, après leurs retrouvailles de 1985 à la cérémonie d’hommage du 20 avril 1985, à Osnabrück _ de ma mère _ dit Hélène, page 26 : voilà, c’est là dit on ne peut plus clairement _, finalement nous ne l’avons pas _ vraiment _ connu _ un peu vraiment en profondeur… _, dit ma fille. Il a passé inaperçu« , ajoute aussitôt Hélène, page 26 ; « c’était un intellectuel discret« , dit la fille d’Hélène, page 85) ;

ou est-ce plutôt à Hélène que le dit maintenant Fred, au cours de cet été 2018 d’écriture-méditation-enquête d’Hélène Cixous, à Arcachon ?… _,

c’est moi qui suis allé tout seul contre Goliath, faut-il le rappeler à Ève, « , page 52 ; et là ce serait Hélène qui serait directement prise à témoin par Fred-Siegfried, post mortem, maintenant.

Et Hélène de conclure l’échange, toujours page 52, par cette réplique, terrible de bon sens, de sa mère Ève :

« _ A quoi ça sert dit ma mère _ Ève, donc, essentiellement pragmatique ! _ attendre _ passivement _ pour aller en prison, aller dans les camps, est-ce que c’est nécessaire ? » _ ce n’est même pas d’abord utile ! Autant tout faire pour éviter naïveté et procrastination. Unreadiness.

Nous voilà donc toujours ici, page 52, dans les prémisses de la révélation à venir, et ce sera un peu plus loin (la première occurence du mot se trouvera à la page 60), du concept (freudien, et cette paternité sera clairement évoquée, page 107) d’illusion


C’est alors, toujours page 52, et juste avant cet échange imaginé (ou rêvé) par Hélène, l’auteure, entre Ève et Fred,

que l’auteure pense à « faire la liste _ en quelque sorte récapitulative _ de tous ceux qui sont Dehors  _ des « Mâchoires du Cyclope« « Léviathan«  nazi… _ dans les années étranges _ de janvier 1933 à novembre 1938 _ où il y a encore _ bien provisoirement, mais ça, on ne le sait pas, ni ne peut le savoir vraiment ! _ un couloir _ étroit et fragile, certes, mais encore un peu accessible à certains _ entre Dedans et Dehors et entre dehors et dedans un passage avec une porte _ frontalière _ surveillée, et qui _ incroyablement ! pour nous, du moins, qui regardons maintenant rétrospectivement et de loin… _ échangent _ à contresens de l’Histoire !!! _ le dehors où ils logent _ à un moment _ pour le dedans de la cage » _ mot terrible.

et l’auteure précise cette liste, pages 53-54 :

« de ceux qui _ tel Fred, ou plutôt ici et alors, en 1938, Siegfried Katzmann, à Bâle, où il vient d’achever ses études de médecine, et obtenu son diplôme terminal _ sont en Suisse en sécurité _ de l’autre côté de la frontière _ et qui reviennent « chez nous » _ c’est peut-être Ève qui parle _ sans sembler voir _ comprendre _ qu’ils font le voyage de retour dans la cage _ le mot terrible est donc redit _,

et qui confondent _ mortellement pour leur sauvegarde ! _ danger et sécurité,

et de ceux qui dorment profondément _ un péril colossal pour de tels endormis ! _ pendant le déchaînement ?

ceux qui sont arrêtés, envoyés dans un camp pour Feindlicher Ausländer _ par exemple en France : à Gurs, au Vernet, à Rivesaltes ou à Saint-Cyprien, tel un Felix Nussbaum en mai 1940 _, ou dans un Konzentration Zenter première édition _ tel Siegfried Katzmann lui même, encore, à Buchenwald, le 12 novembre 1938 _, qui cessent _ d’un coup de massue _ de ne pas savoir et sont jetés d’un jour à l’autre dans l’impitoyable savoir _ voilà ! et donc devraient perdre (et perdront, de ce coup violentissime !) leurs illusions _ ayant pour exemple _ le peintre _ Felix Nussbaum _ Osnabrück, 11 décembre 1904 – Auschwitz, 9 août 1944. En voilà un qui découvre _ déjà _ Auschwitz _ avant Auschwitz _ à Saint-Cyprien _ en France, à côté du Canet-en-Roussillon _ avec une différence : il n’est pas impossible _ là, dans la France encore de la République parquant déjà ses propres indésirables, et qui va très vite devenir, dès le mois de juillet suivant, la France de Vichy _ de prendre la fuite. En voilà un qui prend la fuite et la suit, mais seulement pour quelques mois _ retournant en Belgique (occupée) _ et quelques tableaux. Ensuite la fuite s’épuise, on la perd, (…)

_ ceux qui sont en Suisse _ tel Siegfried Katzmann, à Bâle, en 1938 _, ils jouent avec suicide, dit ma mère _ Ève ; et c’est sa fille, Hélène, qui rapporte ici son lapidaire propos _

selon moi, Onkel André _ qui parle ? Les voix rapportées interfèrent : s’agit-il ici de la voix d’Ève, la nièce, effectivement, d’Andreas Jonas ? ou bien de la voix d’Hélène, sa petite-nièce, une génération plus tard ?.. _ qui était jusqu’en Palestine _ Eretz-Israël, c’est déjà loin d’Osnabrück ! _ à Tibériade en 1936, il a fait de gros efforts pour revenir _ certes ! _ à Osnabrück depuis Tibériade _ c’est loin ! _, un petit homme commandé par sa brutale Berlinoise _ Tante Else, née Cohn : ici, c’est Ève qui parle _, selon moi _ Ève, par conséquent _ il est déjà mort à Tibériade de mauvais traitements familiaux _ de la part de sa tendre fille Irmgard, qui le chasse de son kibboutz _ et c’est donc _ en quelque sorte _ un _ déjà _ mort qui est rentré _ suicidairement, nazis aidant seulement, à la marge, à pareille autolyse… _ se faire assassiner _ et ce sera effectivement accompli pour lui à Theresienstadt, le 6 septembre 1942 _, comme si c’étaient les nazis _ voilà ! _ et non pas _ en réalité _ la famille _ sa fille Irmgard, donc _ qui l’avaient tué, et en vérité c’était la méchanceté qui se répandait _ oui _ un peu partout en Europe _ une remarque historiquement importante ! _ avec rapidité et virulence comme une _ hyper-ravageuse pandémie de _ grippe espagnole… Il semble qu’ici se mélangent, et le jugement lapidaire, implacablement ironique et formidablement tonique, toujours, d’Ève, la mère, et le commentaire, un peu plus circonstancié et distancié, de sa fille, Hélène, qui tient au final la plume de ce récit, à la fois rapport, conversation et réflexion-méditation, non dénué d’un formidable et merveilleux humour, qui transporte en un continu d’allégresse (grave) le lecteur…

Un peu plus loin, page 57,

l’auteure envisage une autre source-cause d’« envoûtement«  des futures victimes,

encore innocente, enfin presque, celle-ci ;

« envoûtement«  subi par ceux qui ne se décidaient pas à fuir enfin (!) « la cage » nazie _ au nombre desquels, décidément, sa grand-mère Omi :

peut-être soucieuse, elle, de ne surtout pas perdre ses partenaires attitrés de bridge (« Quand Ève revient en 1934 encore une fois et pour la dernière fois rendre visite _ et c’est à Dresde _ à Omi, sa mère ma grand-mère _ raconte Hélène, pages 93-94 _ joue au bridge comme d’habitude, bien des dames jouent encore, ça pourrait être pire, dit ma grand-mère, elle ne comprend pas Ève » ; et Omi ne veut pas partir : le souci de ne pas rompre le fil de ses habitudes joue donc, et puissamment, lui aussi.

Le mot « cage«  se trouvait répété page 52 et 53.

Mais restons ici à ce passage de la page 57 :

« Selon moi _ dit Hélène, page 57 _, parmi les divers et nombreux envoûtements qui ont ensorcelé _ tel le filtre de la magicienne Circé dans l’Odyssée d’Homère _ tant de compagnons d’Ulysse juif,

il y en a un dont le pouvoir trompeur _ non intentionnel, non malveillant, ici _ne sera jamais assez dénoncé, c’est le Visum. Le Visum est _ qu’on le veuille ainsi ou pas _ l’arme du diable : on promet, on promet, on séduit _ et nous avançons ici vers le concept (freudien) d’illusion, où le désir a son rôle (projectif séducteur) pour aveugler sur la qualité et la valeur de crédibilité de la représentation subjective apposée-plaquée sur le réel objectif, quand on confond (et prend) le réel désiré avec (et pour) la réalité objective même _, on enduit, on hypnotise, on transforme des êtres humains _ séduits par leur propre désir ainsi avivé _ en hallucinés, en paralytiques volontaires,

des philosophes

_ tels un Walter Benjamin ou une Hannah Arendt ;

cf l’admirable récit Le Chemin des Pyrénées de Lisa Fittko : à découvrir de toute urgence ! Lisa Fittko a partagé la réclusion

(préventive des Allemandes et amalgamées, même Juives et anti-nazies, comme mesure de rétorsion prise par le gouvernement de la IIIéme République, en France, à la suite du Blitzkrieg d’Hitler envahissant la Belgique et le Nord de la France, le 10 mai 40)

au camp de Gurs, les mois de mai et juin 1940, avec Hannah Arendt, ainsi que leur fuite ensemble, après le 18 juin, vers Lourdes (à Lourdes où se terre alors en une chambre d’hôtel Walter Benjamin) ;

et c’est aussi elle, Lisa Fittko, qui a ouvert, au dessus de Banyuls, ce qui sera nommé, par la suite, la « voie Fittko«  : pour aider à fuir en Espagne (franquiste) ceux qui cherchaient à échapper coûte que coûte aux griffes et mâchoires de l’ogre nazi ; avec, pour le tout premier passage ainsi organisé par les Fittko en Espagne, Walter Benjamin, justement !, qui se fera arrêter au premier village de la redescente du col, Port-Bou, et s’y suicidera (le 26 septembre 1940) de désespoir : sur la menace d’être prestement renvoyé (par la Guardia civil de Franco) d’où il venait… Fin de l’espoir ? ou fin de l’illusion ?) _ ;

(on transforme, donc) des philosophes

en primitifs fétichistes _ forcenés _ de formulaire administratif,

partout sur la terre pétrifiée errent des Suspendus,

suspendus à la poste, suspendus d’être suspendus de tempsau crochet de l’attente _ quel art sublime de l’écriture ! _,

le poil hérissé, les oreilles dressées, la poitrine contractée,

cela rend les gens irritables, nerveux, maniaques, méconnaissables, abattus _ sans assez de ressorts de survie : suicidaires… _,

Brecht _ lui _ aussi attend, _ en Suède _ le sésame américain n’est pas encore, toujours pas, arrivé,

en Suède aussi _ la Suède est théoriquement protégée par sa neutralité ! _ on s’attend à ce que le nazi arrive plus vite que les visas,  »

_ soulignons encore et toujours, au passage, combien est admirable l’écriture ultra-précise et si libre, en même temps que nimbée d’une sublime poésie et d’un humour « ouragant« , d’Hélène Cixous…

« on vit maintenant dans une vie-à-visa _ voilà ! quelle puissante et magnifique formulation ! _,

il faut un visa pour traverser la rue dit Kafka _ expert s’il en est en Château et Procès _, un visa pour aller chez le coiffeur,

vivre est hérissé de guichets _ et contrôles policiers : comme tout cela est merveilleusement dit ! _,

de plus il n’y a pas _ in concreto ! _ de visa, dit Brecht,

le mot de Visum est dans toutes les têtes mais _ hélas _ pas dans les boîtes aux lettres,

et il n’y a pas de visa pour les bibliothèques », pages 57-58  _ on admirera une fois encore le style de l’auteure, sa subtile profonde poésie du réel le plus juste, nimbée d’un merveilleux humour perpétuellement frémissant et rebondissant …

Et encore ceci, pages 58-59 :

« La cousine Gerda _ Gerta Löwenstein (Gemen, 17 octobre 1900 – Auschwitz, août 1942), fille d’une des sœurs aînées d’Omi, Paula Jonas, et d’Oskar Löwenstein ; et épouse de Wilhelm Mosch, décédé comme elle à Auschwitz en août 1942 _, ma préférée, dit Ève, d’une gentillesse infinie, quand elle est coincée à Marseille, avec les enfants _ Bruno et Anneliese Mosch, qui, eux, survivront _, avec son mari _ Wilhelm Mosch enfermé, lui _ à Gurs, je lui écris _ dit Ève _ viens ici, il y a encore un bateau pour Oran, elle reste dans le crocodile _ voilà ! _, et pour qui ? Ça ne peut pas être pour le mari, laid, joueur, paresseux, violent, sans qualités, je ne comprends pas ces femmes qui aiment ce qu’elles n’aiment pas, il y a un défaut dans la vision _ et voilà que recommence à pointer le détail de la mécanique de l’illusion ! _, et pourtant c’est lui _ Wilhelm Mosch _ qui louche, est-ce qu’elle a trouvé une raison à Auschwitz ? »

« Et il y a aussi les anciens combattants, ceux qui font corps avec leur croix de fer » (…),

« et les veuves de guerre, elles aussi » _ telle Omi Rosie, dont le mari, Michaël Klein, est tombé sur le front russe le 27 juillet 1916 _ (…)


Fin ici de l’incise ;

et je reprends maintenant le fil du texte de la page 115 à propos de l’Aktion :

il est minuit trente ? Aktion !

Le mot parcourt l’Allemagne, c’est-à-dire le Reich en un instant _ cette nuit du 9 au 10 novembre 1938.

Toutes les vitres juives tombent _ à la seconde _ dans tout l’Empire, simultanément _ quel génie (Reinhard Heydrich ?) de conception (technico-administrativo-policière) de la précision d’horlogerie de l’enchaînement mécanique de pareil ordre-commandement-exécution-résultat ! _,

ça ne se pense pas _ ça s’obéit-exécute, en robot, à la seconde : par l’Aktionneur.

L’Aktion est une destruction et une consommation.

Une anticréation _ néantisante _ éclair _ Blitz _

effectuée selon le principe _ de rationalité économique _ du moindre temps _ moindre coût, poursuit page 116, le fils d’Hélène.

La Grande Mâchine _ à crocs monstrueux (de « crocodile«  déchiqueteur démesuré : le mot comporte trois occurrences aux pages 58 et 59) _ ouvre ses mâchoires

et referme le verbe est à l’intransitif.

Clac !

Cyclope amélioré« 

_ la technique devenue technologie a progressé à pas de géants depuis le temps d’Homère et de l’Odyssée

Dans ce passage-ci, pages 115-116,

le mécanisme de l’illusion est abordé-commencé d’être un peu détaillé en l’articulation complexe de ses divers rouages,

mais non pas, cette fois, du côté de ceux qui « se font des illusions« , et vont s’y enliser-perdre-détruire,

mais du côté de ceux qui vont organiser l’efficacité optimale de ce dispositif illusionnant de séduction-sidération-capture-dévoration cyclopéen

_ mensonges colossaux, avec un minimum d’anesthésie préalable des piégés (à surprendre-prendre-capturer, sans déclencher de fuite immédiate !), compris _

pour que les malheureux illusionnéss’illusionnant _ l’un renforçant l’autre, et retour-montée en spirale et accélération du processus fou d’encagement, si difficile à rompre !.. _ n’en réchappent sûrement pas _ cf le processus nécessairement très lent d’ébouillantement de la grenouille en son bocal doucement et très progressivement chauffé jusqu’à finale ébullition, pour éviter un saut au dehors immédiat ! La grenouille se laissant ainsi ébouillanter…

A plusieurs reprises dans le récit,

Hélène la narratrice se heurte à la difficulté

rémanente,

résistante aux pourtant tenaces tentatives d’élucidation siennes _ et de ses enfants : sa fille et son fils, qui l’y aident : s’entrecomprendre est facilitateur.

Mais elle non plus, Hélène,  pas davantage qu’Ève sa mère, n’abdique pas, jamais :

à essayer sans cesse ni relâche de comprendre

_ et de comprendre chacun, si possible, en son idiosyncrasie de situation (ainsi que dans le temps, qui diversifie les perspectives) _ ;

de même que sa mère, ne renonçait jamais à se tenir prête (« ready. The readiness is all« ) à agir

dans la brève fenêtre de temps Kairos oblige… Ève le sait parfaitement ! _ qu’il fallait mettre très vite à profit : à temps ;

et pas à contretemps… :

« Aucune explication

_ qui soit enfin, et au final, satisfaisante ! Même si « la bêtise, c’est _ parfois, souvent, toujours _ de _ précipitamment _ conclure« … La phrase, nominale, est a-verbale.

Je ne comprends _ décidément _ pas pourquoi je ne comprends pas« ,

se répète obstinément, et assez stupéfaite, Hélène, page 107

_ et ces mots-là (« Je ne comprends pas pourquoi je ne comprends pas« ) sont repris tels quels, au mot près, en haut de la seconde page du très clair et absolument lumineux Prière d’insérer volant _ ;

plutôt irritée _ contre elle-même et l’inefficacité de ses efforts renouvelés d’élucidation de ces illusions peut-être singulières des siens (et surtout, in fine, d’Omi, sa chère grand-mère) ; dont parvient encore, souvent (mais pas toujours), à lui échapper l’ultime infime ressort de sa conduite, mortifiée… _, à vrai dire,

que vraiment désespérée face à la chose _ elle-même :

elle cesserait, sinon, de continuer à rechercher toujours et encore à vraiment comprendre ces diverses complexités, l’une après l’autre in fine singulières, oui, car tenant à la particularité (peut-être infinie…) du détail (à retrouver et élucider) des situations effectivement particulières de chacun (soit le pascalien « nez de Cléopatre« …) ; détail qu’il faut alors, chacun après chacun, réussir à débusquer et éclairer pour arriver à vraiment bien comprendre ces complexités idiosyncrasiques singulières ! ;

et avec le recul du temps, et la minceur (ou carrément absence, bien souvent !) de certains témoignages, cette recherche minutieuse infiniment pointue dans le détail (et c’est bien là, en effet, que le diable se cache !) tient quasiment de l’exploit ; telle cette recherche-ci, à partir du cas (et Bericht) de Siegfried Katzmann, et de ce que ce cas-ci peut révéler, ou pas, du cas, à élucider et comprendre, surtout !, celui de la grand-mère d’Hélène : Omi ; recherche-enquête-méditation-réflexion à laquelle se livre ici, et à nouveau, mais jamais complètement toute seule (ses enfants sont eux aussi bien présents auprès d’elle!), dans ce magnifique 1938, nuits, Hélène Cixous ;

or, plus que jamais, la voici qui résiste aux moindres tentations de défaitisme, à tout relâchement de renoncer (à comprendre vraiment !)… _, page 107, donc.

Et, page 101 déjà,

et à propos de ceux qui sont rentrés à la maison

_ tel « Oncle André«  de retour d’Eretz-Israël en 1936, à un mauvais moment (du développement du nazisme), mortellement dépité qu’il était par le comportement que leur avait réservé, à lui et son épouse Else, venus à Tibériade la rejoindre, leur chère tendre fille Irmgard (une Regane, hélas, et non une Cordelia, du roi Lear !), qui les avait repoussés-chassés de son kibboutz du Lac de Tibériade, renvoyés, morts de chagrin les deux, en Allemagne :

d’où cet impossible si absurde retour d’Andreas Jonas et son épouse, née Else Cohen, à Osnabrück… _ :

« Ceux qui sont rentrés à la maison

_ comme, donc, Oncle Andreas Jonas et son épouse, Tante Else, à Osnabrück _,

alors qu’objectivement on ne pouvait _ déjà _ plus _ avec un minimum de lucidité et bon sens… _ rentrer à la maison,

je ne cesse de me dire

que _ décidément, non _ je ne les comprends _ toujours _ pas.

Mais pourquoi _ donc _ je ne les comprends pas ?

_ voilà ce qui obsède plus encore, de façon lancinante au fur et à mesure de ses efforts en continu, la lumineuse Hélène en sa méditation-réflexion-conversation, menée et poursuivie avec ardeur avec ses proches (présents au moins en pensée et imageance), à son écritoire d’été, aux Abatilles, en ce 1938, nuits. Et qu’il lui faut absolument mieux résoudre si peu que ce soit. Une mission impérative ! Parce que y renoncer serait renoncer à ce qui fait le vrai sol (ou les plus solides « racines« ), voilà, de son soi ; ainsi que son œuvre propre.

Et pourquoi mon esprit revient-il _ si obstinément, et patiemment _ depuis tant d’années

cogner _ sans parvenir encore à l’éclaircir-ouvrir vraiment enfin, tout à fait _

à la vitre _ décidément encore opaque et obstruée  _

de cette scène ? »

_ de cet absurde retour (tellement suicidaire, dans le cas de l’« Oncle André«  !) à Osnabrück, « dans la gueule du loup«  nazi…

Voilà un des défis

que se lance à elle-même, en ce 1938, nuits,

celle qui ne cesse, année après année, été après été, en sa Tour d’écriture d’Arcachon-les-Abatilles,

et tant qu’il y aura au monde de l’encre et du papier,

de se lancer-jeter à corps perdu, mais âme bien affutée,

dans l’écriture-imageance visionnaire

de ses questionnements de fond lancinants : pour comprendre.

Comprendre vraiment ce qui advint.

À ses proches.

Et qui quelque part _ plus ou moins insu, mais encore et toujours au travail… _ est aussi fondateur

du vrai soi _ son vrai soi,

qui opus après opus, se découvre-réalise. Splendidement.

« L’Artiste est celui qui n’est pas là et qui _ pourtant _ regarde,

l’invisible qui admire,

le sans nom qui est caché sous le rideau noir et laisse la lumière ruisseler _ plus généreusement _ sur les créatures« , page 27.

C’est là ce que l’auteure nomme le « paradoxe _ visionnaire, en et par le travail de son imageance propre _ de la Création« .

J’en arrive donc à l’apparition progressive des occurrences, dans le texte, du mot (et concept)

d’illusion,

même si à nul moment la méditation-enquête d’Hélène Cixous ne dérive dans le conceptuel ! et encore moins le dogmatique. Certes pas.

Il s’agit d’un voyage d’imageance. D’Art _ en effet ; et pas de philosophie, ni de recherche historique ; même si peuvent en être tirées de telles applications, mais seulement à la marge de cet Art.


En même temps que,

à un détour de la page 60, et presque anecdotiquement à première lecture,

le concept et le mot d’illusion apparaissent,

à propos du lieu _ Bâle _ de la soutenance de thèse de médecine, « en janvier » 1938, de Siegfried Katzmann,

apparaît aussi pour la première fois

le nom même de Freud

_ il y en aura dix occurrences, avec en plus la référence (sans mention alors du nom de l’auteur : « un texte publié en 1916 (…), le sujet : l’illusion« , simplement…) à son L’Avenir d’une illusion, page 107… _

dans cet opus-ci, 1938, nuits.

_ (…) Fred _ ou plutôt Siegfried Katzmann, alors, en 1938 _, dit alors, page 60, Hélène à sa fille, « a soutenu sa thèse de médecine en janvier, Où ? » _ et elle cherche… _

« Où ? Á Munster ? Pas à Munster,

à Hamburg ? non,

à Dresden, c’est non,

l’idée naïve ? non,

désespérée ? non,

auto-illusoire _ nous y voici ! et c’est là carrément un pléonasme ! Peut-on jamais être victime d’une illusion sans en rien ni si peu s’illusionner déjà soi-même ? _

de soutenir sa thèse _ de médecine _ en Allemagne en 1938 quand on est devenu _ voilà ! _ Juif-à-détruire depuis _ déjà _ 1933,

voilà une des idées sur lesquelles Freud _ nous y voici toujours ! _ songe _ tout spécialement, lui-même _ à écrire

s’il a encore _ à bientôt 82 ans, et, qui plus est, rongé-usé par son cancer à la mâchoire _

le courage d’écrire en 1938 _ il va bientôt quitter Vienne (pour gagner Londres) le 4 juin 1938, après l’Anschluss du 12 mars ; et il mourra à Londres le 23 septembre 1939… _

quand lui-même se surprend si souvent _ alors _ dans la position anti-réelle _ donc s’illusionnant ! Oui, lui Freud, lui aussi… _ de saint-Antoine courtisé et jusqu’à harcelé par _ les voici : elles arrivent ! _ les Illusions tentatricesfilles, bien sûr, de ses propres désirs ! y compris, et d’abord, des désirs masochistes, et Thanatos, la sournoise puissante pulsion de mort… _,

des idées en tutu qui viennent faire des pirouettes gracieuses et terriblement perverses autour de la cervelle du vieux sage,

qui font la queue dans la Berggasse en lui sussurant des messages de sirènes _ et re-bonjour Ulysse ! _,

reste avec nous mon chéri, tout cela ne va pas durer, tu ne vas pas changer de carapace à ton âge, ma vieille tortue, un peu de patience, et tous ces tracas seront transformés en mauvais souvenirs,

et lui de se boucher _ à la différence d’Ulysse ligoté sur son mat à l’approche des sirènes dont lui Ulysse ardemment désirait apprécier sans danger (ligoté qu’il était) le chant si beau !… _ les oreilles

et secouer la tête pour ne plus _ cependant _ les entendre _ ainsi _ froufrouter _ quel admirable style, une fois encore ! et quel humour décapant-« ouragant«  ! _,

il y aura _ au futur, mais pas au conditionnel _ une étude à faire _ voilà, voilà ! _ sur la prolifération _ historique, ces années trente-là… _ des automensonges, mauvaises bonneraisons, sophismes auto-immunitaires

_ soient diverses espèces (ou facettes) du phénomène irradiant et irisé de l’illusion !.. _

qui infecte _ vilainement _ les facultés mentales de toute une population

lorsqu’elle se trouve soudain enfermée dans l’enceinte invisible mais infranchissable d’une Allemagne envoûtée et mutée _ tout d’un coup de cliquet sans retour à chaque cran passé _

comme une forêt maléfiée _ victime de quelque maléfice lancé sur elle _ dans la Jérusalem délivrée _ du Tasse.

Tout le monde _ et pas que les victimes juives _ est sous maléfice _ généralisé ! _ dans le pays,

mais ce n’est pas moi qui l’accomplirai

_ cette « étude«  à réaliser… _,

trop vieux, trop tard, pense _ à ce moment 1938 _ Freud à Vienne

à qui _ aussi, peut-être depuis Bâle _ pense Fred _ à lui écrire : la lettre partira ! mais restera sans réponse… _

tandis qu’il volète à l’aveuglette comme un insecte désorienté,

jusqu’à ce qu’il cesse de se cogner à la muraille de verre _ des multiples interdits vis-à-vis des Juifs ;

là-dessus se reporter à l’inifiniment précieux (irremplaçable !) témoignage au jour le jour de Victor Klemperer, dresdois, en son sublimissime Journal (1933 – 1945) _

et se retrouve par miracle _ lui Fred, ou plutôt lui encore Siegfried _ en Suisse en janvier 1938  _ Freud, lui, se trouvant encore à cette date (de juste avant l’Anschluss du 12 mars 1938) à Vienne. À Bâle.

Á ce moment-là, il est _ le bienheureux Siegfried ; mais mesure-t-il assez bien sa chance ? Non ! _ à l’extérieur du _ vaste _ Camp _ tout _ envoûté _ « maléfié« , qu’est désormais le Reich…

Alors le père _ Hermann Katzmann _,

qui est _ lui _ à l’intérieur de l’envoûtement

lui envoie _ d’Osnabrück _ quelques Illusions _ de type familialiste : comme venir à Osnabrück embrasser sa mère (« quand je suis revenu, le 14 octobre ma mère a pleuré de soulagement« , raconte Fred à la page 55 ; et « quand j’ai disparu le 9 novembre, ma mère a pleuré d’épouvante dit Fred, c’est ce qu’on appelle bitter ironie, qui sait ce que le sort nous réserve« , poursuit-il sa phrase, page 55…).

Fred _ ou plutôt Siegfried _ revient _ ainsi, séduit par ce malheureux appât d’affection familiale _ à Osnabrück _ le 14 octobre 1938, page 55, toujours _ juste à temps pour se faire arrêter _ moins d’un mois plus tard _ le 9 _ non déjà le 10 _ novembre _ dans la nuit, à deux heures du matin : eh! oui, nous sommes dèjà le 10 ! _ 1938 avec son père _ Hermann Katzmann.

_ Tu vois, tu vois, dit ma mère _ Ève, à la page 61 : en ce début d’été 2018 de l’écriture, à Arcachon, de 1938, nuits _,

qu’est-ce que tu penses de ça ? _ envoie-t-elle directement à sa fille _

un homme jeune, en bonne santé, pas marié, avec un diplôme, il ne manque pas d’un peu d’argent, l’anglais il parle déjà très bien un peu de français, il est libre _ surtout, bien sûr ! _, il a une chance suisse _ voilà ! _ que des milliers lui envient qui sont déjà derrière les barreaux à venir _ à partir du 10 novembre 1938 : mais c’est très bientôt ! _,

et il rentre lui-même _ le 14 octobre, page 55 _ dans la cage _ nouvelle occurrence de ce terrible mot, page 61 _

pour se faire arrêter _ le 10 novembre suivant _ avec son père, et ça n’a pas tardé,

ça ne me dit rien qui vaille _ conclut ici Ève, à propos des qualités de vigilance-lucidité de son nouvel (et « dernier« , page 26) « ami«  Fred :

« c’était un intellectuel discret (soulignera, à son tour, page 85, la fille d’Hélène),

et pas un pragmatique sur le qui-vive et perpétuellement aux aguets, comme Ève, _,

en 1938 à Osnabrück _ ou bien plutôt à Dresde ? _

avec son frère _ Andreas, ou avec quelque autre de ses parents Jonas et alliés, si c’est à Dresde ;

demeure là, depuis, déjà au moins Gare d’Osnabrück, à Jérusalem, un point d’ambiguïté sur la domicilation d’Omi, tant en 1934, lors de la visite d’Ève Klein, sa fille, à sa mère, Rosie, qu’en novembre 1938, lors du départ-déguerpissage d’Allemagne, enfin, d’Omi, sur les conseils pressants du consul de France à Dresde… A Dresde, avait exercé un temps (puis ensuite à Essen) le beau-frère banquier de Rosie, Max Stern, le mari de sa sœur Hedwig, dite Hete, et née Jonas ; Max Stern est décédé à Theresienstadt le 8 décembre 1942 ; alors que sa veuve, Hete-Hedwig, lui a survécu, et est décédée, un peu plus tard, d’un cancer, aux États-Unis ; et ils avaient une fille, Ellen Stern. Il ne m’est pas encore  aisé de bien me repérer dans les parcours de vie (et mort) des divers membres des fratries Jonas… _

Omi non plus je ne la comprends _ décidément _ pas _ ajoute encore Ève, au bas de la page 60 _,

_ C’était pour attendre mon Visum pour les États-Unis, écrit _ écrit Fred (au lieu de dit ?), écrit Fred dans le Bericht ? Ou bien plutôt dans la correspondance retrouvée plus récemment chez sa mère Ève, par Hélène, correspondance échangée à partir de 1985 (et conservée) entre sa mère Ève, et Fred, « le dernier ami de ma mère » (selon la formule d’Hélène, à la page 26)… _

écrit _ donc _ Fred _ alors encore Siegfried, ces années-là, afin de se justifier de son retour si terriblement malencontreux à Osnabrück le 14 octobre 1938, lit-on, immédiatement en suivant, en haut de la page 61.

_ Ach was ! J’appelle ça un manque de bon sens,

ma mère _ Ève _ balaie _ aussitôt _ Fred le jeune _ c’est-à-dire encore Siegfried en 1938 _,

qui sait si Fred 1985  _ ou 1986 : ce serait-là le moment d’un tout premier échange (et dispute) épistolaire entre Fred, rentré d’Osnabrück (où il s’était rendu pour la rencontre-hommage aux Juifs d’Osnabrück du 20 avril 1985) chez lui à Des Moines, et Ève revenue elle aussi (de la rencontre-hommage d’Osnabrück) chez elle à Paris… _ a changé ? » _ s’interroge avec sa foncière prudence pragmatique Ève Cixous, à ce stade de leurs retrouvailles, qui vont se révéler de stricte « utilité«  de compagnonnage touristique d’agrément (de par la planète), du moins pour elle ; page 61.

Apparaissent donc concomitamment pour la première fois, page 60,

et le mot d’illusion,

et le nom de Freud.

…     

Nouvelles occurrences (au nombre de quatre en cinq lignes) du mot illusion, à la page 63,

lors d’une conversation, en 1937 _ semble-t-il, ou peut-être 1935 ; la mémoire de Fred manque ici de sûreté temporelle… _ à Paris, de Siegfried Katzmann avec Walter Benjamin, « dans le café près de l’ambassade des États-Unis » _ la mémoire visuelle étant plus fiable, pour lui _, en vue d’obtenir le fameux Visum pour gagner les États-Unis d’Amérique :

« il s’agissait de visas,

il faut être sans illusion,

le visa me sera sans doute _ probablement _ refusé _ ou peut-être pas ! _,

mais une petite illusion doit être entretenue,

on ne peut pas ne pas espérer _ voilà : ce serait trop désespérant ! L’espoir aide beaucoup à vivre…

Mais comment distinguer vraiment l’espoir, tant soit peu réaliste-rationnel dans le calcul de ses perspectives, malgré tout,

de l’illusion, aveuglante ?

Même Walter Benjamin a un peu de mal (et en aura jusqu’à sa propre fin ! le 26 septembre 1940, à Port-Bou) à ne pas les amalgamer…

Il n’y aura pas de réponse

_ du moins un peu rapide de la part de l’ambassade américaine, en 1937 ; en tout cas pas avant cette sinistre Nuit de Cristal du 10 novembre 1938, pour Siegfried ; pas plus pour Walter Benjamin, non plus, d’ailleurs…

Gardons l’illusion _ subjective _, dit Benjamin _ plutôt que l’espoir (un tant soit peu réaliste) ? Penser cela semble plutôt désespérant !..

Et Fred _ ainsi conforté, en 1937, par l’autorité du philosophe de renom qu’est Walter Benjamin _ garde _ par conséquent _ une petite illusion« 

_ or ce fut peut-être ce visa américain-là qui, de façon complètement inespérée, surtout à ce moment (de décembre 1938) de l’enfermement de Siegfried à Buchenwald, réussira à le faire quasi miraculeusement sortir, le 13 décembre 1938, de la « cage«  du KZ de Buchenwald (ainsi que de la « cage«  du Reich ! quelques mois plus tard, début 1939) ;

même si le récit,

pas plus celui du Bericht de Fred, en mars 1941,

que celui d’Hélène, en ce 1938, nuits de 2018,

n’en dit (et heureusement) rien.

Car cela tiendrait un peu trop du trop beau pour être vrai ! lieto fine opératique, ou du happy end cinématographique hollywoodien, pour être cohérent, et avec le caractère d’absolue vérité tragique du Bericht, et avec la volonté de lucidité-vérité jusqu’au bout de l’écriture-Cixous elle-même… Et on imagine ici ce que serait le commentaire ironique d’Ève !!! Ces récits risquant de prendre bien trop, par une telle chute, une allure idyllique de conte de fées…

Si un timide espoir luit, au final de ces deux récits, celui du Bericht de Fred, comme celui du 1938, nuits d’Hélène Cixous, c’est très discrètement, et fort brièvement, dans les deux cas de ces deux récits ; mais tout (et même l’impossible !) peut toujours arriver et se produire-survenir au pays de l’Absurdie…

Car cette notule d’« espoir » (plutôt que d’« illusion« … : mais peut-on vraiment, et comment ?, absolument les départir ?…),

est tout de même bien présente in extremis, le lecteur le découvrira,

et dans le Bericht de Fred, de mars 1941, ne serait-ce que parce que Siegfried aura très effectivement survécu à de telles épreuves pour avoir pu, devenu Fred, en témoigner de fait ainsi,

et dans le 1938, nuits d’Hélène, de cet été 2018, que nous lisons, avec un tel dernier chapitre intitulé « Je voudrais parler de l’espoir«  ;

même si c’est assez indirectement, mais pas complètement non plus, dans le Bericht de Fred : page 55, nous avons pu en effet lire sous la plume de Fred : « à la fin est arrivé le Visum pour les États-Unis _ voilà ! c’était annoncé dès ici !, page 55 _, mon père venait de partir pour le Pérou, la lettre de Freud n’est jamais arrivée, ça ne veut pas dire qu’elle ne soit pas partie de Vienne, tout peut ne pas arriver  » ; l’auteure a ainsi l’art de brouiller aussi un peu, mais pas trop, non plus, jusqu’à complètement nous perdre !, ses pistes, histoire de ne pas trop faciliter, non plus, le jeu amusant de nos propres efforts d’orientation de lecteurs, en son récit volontairement un peu éclaté (soit ce qu’elle-même nomme « le poème effiloché d’Osnabrûck« , l’expression se trouve à la page 103) aussi de sa part… C’est là aussi une manifestation de son humour un peu vache… Mais, à qui, lecteur, fait l’effort de chercher et patiemment bien lire, pas mal des pièces du puzzle sont déjà bien là présentes, sur les pages ; à nous d’apprendre à efficacement les ajointer ! Et c’est un des plaisirs fins de la lecture Cixous…

Et c’est à la page 107

que nous trouvons un long développement, important

_ mais toujours léger et sans cuistrerie, ni le moindre dogmatisme de la part de l’auteure-narratrice : ce sont de simples hypothèses envisagées et essayées dans la conversation avec ses proches par Hélène _,

concernant à la fois,

et la personne de Freud,

et le mot/concept d’illusion

_ avec trois occurrences de ce mot en cette page 107 ; et une quatrième à la page suivante, page 108:

« Moi aussi _ c’est Hélène qui parle,

et elle se réfère ici aux lettres-prières pragmatiques, demeurées sans succès, de sa mère, Ève Cixous, née Klein, cherchant à convaincre sa propre mère Rosie Klein, née Jonas (soit Omi, grand-mère, pour Hélène), de venir (d’Osnabrück ; ou de Dresde ?) prestement la rejoindre à Oran, où Ève réside désormais, de l’autre côté de la Méditerranée, depuis son mariage, le 15 avril 1936, à Oran, avec le médecin oranais Georges Cixous, qu’elle a rencontré à Paris en 1935 _ 

je lui écris _ à Omi, et en toute imageance ; c’est donc Hélène qui s’exprime ici _,

en vain _ pour oser espérer quelque réponse effective d’elle !

Et c’est probablement ici la raison de fond ultime et vraiment fondamentale de tout cet opus-ci, pas moins !, qu’est ce 1938, nuits :

obtenir enfin quelque réponse et reprise de conversation avec Omi, en ayant su trouver « les mots qui pourraient la soulever » et devraient « la toucher« , va écrire juste aussitôt après sa petite-fille, Hélène !… _,

je ne connais pas son adresse _ post mortem, à la différence de l’adresse post mortem de sa mère Ève, avec laquelle la communication-conversation, plus que jamais vive et vivante, est et demeure presque continue entre elles deux (soit dans les rêves, la nuit, soit dans l’imageance, les jours de l’écriture…), elles deux qui ont si longtemps vécu côte à côte, tout spécialement les dernières années d’ultra-dépendance d’Ève, décédée le 1er juillet 2013 en sa 103 ème année…  _,

dans les rêves _ voilà ! _ on n’a jamais l’adresse de la grand-mère,

je ne sais pas _ bien _ les mots qui pourraient _ et devraient _ la soulever _ maintenant ! au point de l’amener à y répondre vraiment autrement que par son silence… _,

je lui envoie un texte de Freud _ L’Avenir d’une illusion ! _ ça devrait la toucher _ et susciter sa réaction : une réponse un peu précise, comme celles que sait si bien lui donner, et régulièrement, Ève, sa mère… ; 1938, nuits, est donc aussi (et c’est peut-être même là le principal !!!) une tentative de susciter quelques réponses d’outre la mort, de sa grand-mère Omi, de la part d’Hélène, cette fois-ci, et via cet envoi de l’opus _,

dans sa rêverie trempée de sang le soldat meurt saintement pour l’Allemagne, il laisse derrière lui femme et enfants à manger pour l’Allemagne,

un texte _ de Freud _ publié _ effectivement _ en 1916,

en 1916 le mari d’Omi _ Michaël Klein _ est tué sur le front _ russe _,

le sujet : l’illusion.

Moi aussi _ dit Hélène, au présent de son écriture _ je me fais des illusions _ par partialité, forcément, du point de vue, au moins de départ, de la réflexion (et des échanges) _ : parce qu’Omi est ma grand-mère, et la mère d’Ève.

Pendant qu’elle _ Omi, à Osnabrück ; mais Omi, en 1938, ne se trouve-t-elle pas plutôt à Dresde ?.. Car c’est bien, page 104, le consul français à Dresde qui finit par la décider, aussitôt après la Nuit de Cristal, à quitter dare-dare l’Allemagne, afin de rejoindre sa fille Ève en Algérie… ; de même que c’était à Dresde, aussi, qu’Ève était venue pour la dernière fois, en 1934, en Allemagne, rendre visite à Rosie pour quinze jours… Que penser de cette persistance de Dresde (en 1934, en 1938) dans la vie d’Omi ?.. À méditer ! Bien sûr, la communauté juive d’Osnabrück a bénéficié d’un colloque marquant, le 20 avril 1985 ; et des pavés dorés sur les trottoirs marquent désormais les anciens lieux de résidence des Juifs assassinés par les nazis, dont les Jonas, à Osnabrück… Ce qui n’est peut-être pas le cas à Dresde… _

répond par lettre à sa fille _ Ève _, en Afrique tout le monde est noir (sic),

la brigade Kolkmeyer défile sur la place _ d’Osnabrück _

mais tout est illusion

_ comment vraiment bien comprendre cette formulation ? Est-ce là s’incliner devant un invincible perspectivisme, d’ordre par exemple monadologique, à la Leibniz ? Page 46, se trouve la formulation « Chacun sa tragédie, chacun pour soi«  ; et nous retrouvons à nouveau ici la très grande difficulté de parvenir à vraiment « s’entrecomprendre«  (le mot se trouve à la page 101) ; cf mon précédent article du 6 février dernier :  _,

je n’arrive pas à croire _ se disent définitivement, et Ève, et Hélène _ qu’Omi ne déménage pas demain.

Elle récite _ irréalistement, se berçant-grisant d’illusions humanistes inappropriées à la situation du nazisme… _ du Gœthe.

_ Ce n’est pas un raisonnement, dit ma fille, c’est un comportement conjuratoire _ une conduite irrationnelle magique.

On n’arrive pas à croire _ vraiment _ ce qu’on voit » _ sans le voir vraiment, non plus,

en ses trop partiales focalisations.

Or, quand Siegfried Katzmann réussit

_ par quels invraisemblables biais ? nous ne le saurons pas, du moins directement ; probablement grâce à l’obtention inespérée du visa américain demandé à Paris en 1937 ; mais lui-même, Fred, par anticipation, l’a annoncé, mais comme subrepticement, pour nous lecteurs; à la sauvette, à la page 55 : « à la fin est arrivé le Visum pour les États-Unis«  _

à quitter le camp de Buchenwald, en décembre 1938 (le 13 ?),

mais on ignore _ et le lecteur ici ne l’apprendra pas ! _ par quels détours compliqués ou absurdes des administrations _ américaine et allemande nazie _ ;

et que,

« la tête rasée« ,

il croise-contemple, au passage, la maison de Gœthe, à Weimar _ qu’il traverse en quittant Buchenwald, tout proche _,

« relâché _ qu’il vient d’être du KZ _ dans les rues de la ville,

chaque rue 1939 _ ou plutôt 13 décembre 1938 ? _

qui autrefois _ à lui, lui aussi, lecteur de Gœthe _ lui était aussi familière qu’une cousine _ assez régulièrement fréquentée _

est maintenant irréparablement _ voilà ! _ étrangère.


C’est Siegfried qui a changé : il est devenu orphelin d’illusions
« 

_ maintenant décédées au KZ de Buchenwald ;

car un très crucial fil matriciel a été, et possiblement pour jamais (mais qui sait vraiment ?)

rompu, tranché net,

sans retour.

Le mot illusion revient encore une avant-dernière fois à la page 111 :

en son voyage-aller vers Buchenwald, dans l’Omnibus _ « C‘était un Mercedes, puissant, avec cette carapace qui donne à ces véhicules l’allure d’un mastodonte. On se sent enfourné dans un ventre, petite bouchée de viande mastiquée« qui transporte les Juifs prisonniers vers le KZ,

Siegfried-Fred est particulièrement sensible, durant tout le trajet, au « Silence.

Un silence armé violent, silence _ terrorisé _ de plomb.

Même l’oiseau que Fred a cru entendre,

illusion, plomb« .

Et encore une toute dernière occurrence de ce mot « illusion« , à la page 139,

en la page d’ouverture du quatrième et dernier chapitre, intitulé « Je voudrais parler de l’espoir » _ et c’est Hélène qui parle, avec recul, en ce titre de dernier chapitre _ :

« à aucun moment _ là c’est Fred qui raconte en son Bericht de mars 1941 _ on n’a pensé _ car c’était bien impossible, et le « on«  est un « on«  collectif des prisonniers du KZ… _ à _ raisonnablement _ espérer

_ et il était encore bien plus difficile alors, forcément, de se laisser aller-bercer-prendre à s’illusionner ! _,

chaque minute était abrupte _ et d’une violence implacable, en son tranchant comme en sa terrible écrasante pesanteur _ comme un rocher,

on ne pense rien,

on va _ seulement _ de défaite en défaite

_ voilà !

nul espace mental, pas davantage que physique, ne laisse, ici et alors, le moindre interstice pour quelque projection fantasmatique que ce soit, de désirs à plaquer sur pareille massivement « abrupte«  violentissime absurde effroyable réalité ! Désirs et réel étant totalement absolument incompossibles, voilà !, en cet Enfer du KZ !!! ;

je pense ici au détail descriptif si remarquable de l’Être sans destin, d’Imre Kertész, qui se déroule, lui aussi, comme le Bericht de Fred Katzmann, en grande partie à Buchenwald ; ainsi, encore, qu’à son saisissant et extraordinaire récit de retour, Le Chercheur de traces, de Kertész lui-même se racontant, très ironiquement, revenant longtemps après son premier séjour au camp, à la fois à la gœthéenne Weimar, qu’il visite, et à un Buchenwald muséifié (de même qu’à Zeitz, un camp-chantier subordonné à Buchenwald, et laissé, lui, quasiment tel quel ; ce texte admirable, publié en 1977 à Budapest, a été aussi republié plus tard, après 1989-90 et la chute du Mur, au sein du superbe recueil Le Drapeau anglais ! _,

on n’a pas d’illusion _ à laquelle tenter d’imaginer se raccrocher fantasmatiquement si peu que ce soit,

se bercer… _,

on n’a rien _ rien du tout _,

on ne veut pas, c’est tout,

il n’y a que du temps à l’infini le même

et pas d’avenir » _ sans destin, donc ; soit l’intuition même de Kertész !

Avant qu’in extremis,

ne surgisse l’improbable libération _ « du kamp et pour la vie« , page 144 _ d’un prisonnier,

Max Gottschalk, d’Osnabrück

_ « le fils du marchand de bestiaux« , page 144, dont ses concitoyens prisonniers au KZ savaient tous qu’il avait sollicité un visa de sortie d’Allemagne pour les États-Unis _,

donnant enfin une mince occasion,

à chacun de ses concitoyens et coréligionnaires d’Osnabrück,

d’espérer si peu que ce soit aussi, à son tour, et pour soi-même,

car « tous ceux d’Osnabrück savaient que Gottschalk avait demandé un visa pour l’Amérique.

C’est comme s’il l’avait eu dans sa poche » :

« Chacun a sursauté en sentant revenir _ _ l’espoir

_« dans les ténèbres une lueur d’espoir. Schimmer. Scintille« , page 143 _

dans le cadavre _ en putréfaction déjà _ de l’existence » _ dans le KZ de Buchenwald _, page 143…

A coté de la dangereuse illusion,

scintille donc une mince lueur d’espoir, un tout petit peu réaliste, ou rationnelle, par conséquent

_ mais espoir et illusion sont toujours si difficiles (ou impossibles ?) à distinguer-dissocier…

Mais il faut souligner aussi que

c’était alors l’époque _ cet automne 1938-là _ où Hitler ne désirait pas encore nécessairement _ et surtout n’avait pas commencé d’entreprendre très méthodiquement _ la destruction massive immédiate de tous les Juifs d’Europe (dont, aussi, ceux d’Allemagne),

commençant par mettre en œuvre d’abord la simple expulsion _ soit le plan dit Madagascar _ de ses Juifs hors du territoire du Reich ;

c’est ainsi qu’allait être organisée en octobre 1940 la déportation au camp de Gurs, par train,

dans le lointain sud-ouest de la France, au pied des Pyrénées, 

des Juifs du Land de Bade

_ parmi lesquels Wilhelm Mosch, mari de Gerta (ou Gerda) Löwenstein,

la cousine « préférée«  et « d’une gentillesse infinie » d’Ève ! comme Ève l’indique à la page 58 de 1938, nuits) ;

Gerda et son mari finissant un peu plus tard en fumée à Auschwitz, au mois d’août 1942.

Il y a donc bien des illusions mortelles.


Ce vendredi 8 février, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’humour « ouragant » d’Hélène Cixous : de Siegfried Katzmann lecteur de Freud et Walter Benjamin, en 1937-38, à Fred Katzmann, « petit homme gallinacé » et « le deuxième ultramoche parmi les prétendants » d’Eve, après 1985-86

07fév

Hier, au terme de mon second article à propos de 1938, nuits, d’Hélène Cixous

_ soit d’abord, en prologue,  le 4 février,

puis  hier 6 février _,

j’en suis venu à désirer placer maintenant le focus de mon regard-lecture-analyse

sur un élément à mes yeux capital de l’œuvre d’Hélène Cixous :

son formidable et merveilleux humour

_ et c’est un élément tout spécialement actif, en contrepoint (permanent ; et c’est un trait de famille : son père, Georges Cixous, sa mère, bien sûr, Ève Klein-Cixous, ses deux enfants, sa fille et son fils, sa tante Erika Klein-Barme, etc.) de l’horreur narrée, en cet opus nouveau-ci, 1938, nuits,

et cela tout particulièrement à propos du personnage-pivot de cet opus qu’est Fred Katzmann,

qu’Hélène, elle, à la différence de son fils et de sa fille (chez laquelle Fred a, avec Ève, au moins résidé quelques jours, « à Ithaca New-York« , « en 1988« , comme indiqué, au passage (page 86) de la conversation d’Hélène avec sa fille et son fils, conversation développée aux pages 84 à 88) ;

Fred Katzmann, donc,

qu’Hélène, donc, n’a peut-être jamais (dans le récit, la chose demeure dans le flou) rencontré de son vivant (Fred Katzmann étant décédé à Des Moines, Iowa, le 18 septembre 1998 ;

cependant, page 10, Hélène dit ceci, à propos de sa mère Ève :

« Bien des fois, j’ai cru la perdre _ pour un homme, qu’Ève aurait donc suivi ? _, je l’ai perdue _ en vrai ? du vivant d’Ève ? qui serait de fait partie rejoindre un homme ? ou bien s’agirait-il bien plutôt, voilà !, d’une perte (par intermittences) de rêve, ou dans les rêves ?.. Ève se mettant à déserter les rêves de sa fille, Hélène ? Á ce stade du tout début de l’opus, page 10, le lecteur est incapable de savoir sur quel pied il va bien pouvoir danser, en ce récit sans guère de repères sur lesquels pouvoir un peu compter pour se fixer tant soit peu en une relative stabilité de l’ordre du discours : la narratrice jouant à s’amuser un peu de nous, ses lecteurs un peu désorientés… Tout flotte encore un peu, avec légèreté, dans de l’indécidable ; et c’est une forme d’humour de l’auteur vis-à-vis des lecteurs entamant ici avec confiance leur lecture… _, elle est revenue.

Cela me fait penser _ nous y voilà donc _ au voyage _ lequel ? Fred et Ève en firent plusieurs, dans des pays lointains, pour des vacances (nous l’apprendrons plus loin, aux pages 85, 86, 88, par exemple : Hawaï, New-York, Istanbul, Buenos Aires, Majorque…) ; qu’a pu donc avoir de particulier ce voyage (de « road movie« , évoqué page 10 : qu’est-ce à dire ?) auquel Hélène fait allusion ici ?.. _ qu’elle _ Ève _ a  fait avec Fred _ nous y voilà ! Et telle est la première apparition (onirique ? et de quand daterait un tel rêve ?..) de Fred Katzmann dans cet opus, 1938, nuits _

j’étais occupée _ en réalité bien effective ? ou seulement en pensée ou imagination, voire en un rêve ?à Des Moines, en Iowa, en 2000 _ mais à cette date, Fred, lui, est déjà mort (le 18 octobre 1998) ! S’agirait-il ainsi, là, d’un rêve ?.. C’est bien possible : Hélène sait aussi en jouer… _,

Fred avec sa Cadillac blanche, c’est lui qui conduisait _ où, dans l’Iowa, à partir de Des Moines ? et quand donc ? En un rêve rêvé par Hélène en 2000 ? Ou bien un rêve censé se dérouler, lui, en 2000 ? Et pourquoi alors une telle date ?.. Du fait du nombre rond ?.. _, il est un peu plus jeune qu’elle _ de deux ans _, il n’a pas tout à fait 90 ans _ en effet, en 2000 : né en 1912, et décédé en 1998, Fred ne les atteindra pas vraiment ; il aura seulement 86 ans… ; mais en 2000, il serait bien né il y aurait 88 ans… _, elle dit : il fait plus vieux que moi.

Je les ai regardés prendre la grande route, pour leur road movie _ comment l’interpréter ? s’agit-il là d’un pur cliché onirique ? Hélène s’amuse avec nous, ses lecteurs… _ Fred s’était fait une élégance de fiancé américaine, américaine l’élégance, une rose blanche à la boutonnière, Ève comme d’habitude, pantalon, bons souliers _ de marche ou de randonnée _, prête, ready, the readiness is all _ Shakespeare, Hamlet, V, 2 _, tu connais ça ? _ serait-ce à Fred que s’adresserait ici Ève ? Probablement oui, même en ce rêve d’Hélène… Selon Ève, c’est du Heine, Fred démarre deux secondes trop tard, ils entrent dans l’immense route américaine.

Cinq jours passent, ont passé _ sans recevoir de nouvelle d’eux deux et de leur Cadillac… _, à la fin je n’ai plus retenu mon angoisse ou ma colère, après cinq jours s’ils étaient morts sur la route, j’en mourrais, s’ils n’étaient pas morts une énorme colère me transporterait _ de n’avoir pas reçu de nouvelles _, et le sixième jour j’ai éclaté. Ève n’avait pas vu le temps passer _ ni pensé seulement  à passer quelque petit signe, un petit coup de fil à Hélène, pour la prévenir que tout allait bien... Pour Fred non plus le temps ne passe pas _ d’abord depuis (et du fait) qu’il est décédé ; nous savons, à ce stade du récit, page 190, si peu de choses de lui ; il n’est guère davantage qu’une mince silhouette, de quelques rares traits. Vous auriez pu m’appeler ! criai-je. Assassins !

Ils changent de temps selon la langue de leur échange. En 2000 _ Fred est mort depuis le 18 septembre 1998  _ ils voyageaient en anglais, mais pour se disputer venait l’allemand. Avec moi, le français. Je criais en français » _ dans ce rêve, rêvé en 2000 par Hélène, ou bien se déroulant en 2000 pour Hélène ? Mais qu’est-ce qui donc, à ce moment-là du passé, aurait pu lui faire penser-rêver à ce Fred ? Hélène est donc encore bien loin d’avoir découvert le Bericht qui va lui faire regarder d’un tout autre œil celui qui était demeuré pour elle un simple « M. Katzmann«  !..

On ne sait pas non plus ce qui dans les faits advenus permet au fils d’Hélène de parler, lui aussi, comme sa sœur, assez précisément, et avec humour, de Fred Katzmann, aux pages 85 à 88 (« C’était le deuxième ultramoche parmi les prétendants _ des vieux jours d’Ève : en 1986, Ève (née le 14 octobre 1910) a atteint les 76 ans _, dit mon fils, mais le contraire du premier ultramoche _ sans plus de précision ! _ que je haïssais, je le trouvais _ lui, Fred _ sympathique _ le fils d’Hélène a donc connu au moins ces deux prétendants-là, « ultramoches«  _, l’œil vif, le pas petit saccadé comme d’une poule. D’une marionnette « , page 86) ; il se peut ainsi que lui aussi l’ait très effectivement rencontré, et observé ; et possiblement, comme sa sœur, aux États-Unis… ;

et, d’autre part, Hélène, quant à elle, pourrait, aussi, c’est une autre éventualité-hypothèse, ne s’être rendue (mais était-ce en réalité vraie ? ou seulement en rêve ?.. Se pose la question !) à Des Moines, Iowa, qu’en 2000, soit postérieurement au décès de Fred Katzmann (survenu le 18 septembre 1998) : qu’y serait-elle venu y faire, ou y chercher ? et pour quelles obscures raisons ? Elle ignorait tout alors de ce petit « trésor«  (page 9) qu’allait devenir pour elle le Bericht de Fred ! Au cas où ce ne serait pas en rêve qu’elle s’y serait rendue, à Des Moines, Iowa… ;

en se souvenant de cette remarque de la page 10 (à propos d’un voyage de road movie, en Cadillac blanche, de Fred et Ève), à saisir (ou manquer) au vol de la lecture qui débute, mais trop elliptique pour ne pas demeurer au lecteur, et encore ! si il y fait attention, plutôt énigmatique, à la seconde page, page 10, donc, de 1938, nuits : le lecteur, surtout rapide, ne prend guère garde alors, à ce moment, à pareille allusion pour lui bien vague (et très anecdotique) au point de lui sembler carrément gratuite !), faute de référentiel factuel un peu solide auquel pouvoir, dès ici de son début de lecture, se raccrocher… : « j’étais occupée _ à quoi donc faire de beau ou d’utile ? _ à Des Moines, en Iowa, en 2000« , déclare ainsi ici, à la volée, et quasi clandestinement, Hélène, la narratrice ; à moins que ce séjour d’Hélène à Des Moines Iowa, soit sans le moindre rapport avec la personne de Fred Katzmann, vague compagnon de voyage occasionnel de sa mère…

Et c’est là un des traits assez marquants, à mes yeux du moins, des récits parlés (telle une conversation devant un amical lecteur un peu attentif…) d’Hélène Cixous ; soit une façon aussi d’allumer-attiser un peu, sur le vif, la curiosité du diligent (et bienveillant) lecteur complice, comme le dirait un Montaigne :

Siegfried-Fred Katzmann (Burgsteinfurt, 15 août 1912 – Des Moines, 18 septembre 1998), donc :

il est un personnage éminemment tragique en son présent, puis passé, de Siegfried Katzmann en Allemagne, lors de l’épouvantable effroi des nuits d’Enfer de 1938 (et peut-être 39), à Osnabrück, puis Buchenwald ;

puis, il est devenu un personnage un peu comique, du moins à partir de 1985 et ses retrouvailles, le 20 avril de cette année-là, à Osnabrück, avec sa coréligionnaire et concitoyenne de jeunesse, à Osnabrük, avant 1929, Ève Klein, (devenue en 1936, par son mariage à Oran avec Georges Cixous, né, lui, à Oran le 9 mai 1908 et décédé à Alger le 12 février 1948, Ève Cixous),

du moins aux yeux d’Ève (« on le reconnaît à coup sûr à son petit format cagneux, voix sonore, petit homme », dit-elle, page 14), mais aussi des enfants d’Hélène, sa fille et son fils, qui l’ont semble-t-il un peu rencontré, notamment à New-York, en 1988 (et quid, ici du « restaurant de la rue de Trévie«  (à New-York ?..) dans lequel Fred « s’est fait voler son portefeuille«  resté dans une poche de sa veste accrochée à un portemanteau du restaurant ?, ainsi que l’évoque la fille d’Hélène, à la page 86.

Existerait-il donc une « rue de Trévie » à New-York ??? :

métamorphosé qu’il s’est, ce Siegfried allemand d’Osnabrück, en traversant l’Atlantique en mars 1939 sur un bateau néerlandais, le « Nieuw Amsterdam« ,

en Fred Katzmann américain de Des Moines, médecin orthopédiste pour enfants, porteur, à l’occasion, de « chemises hawaïennes et de colliers de fleurs« , voyageant en vacances de par le vaste monde, avec Ève, retrouvée par lui à Osnabrück le 20 avril 1985, pour une cérémonie d’hommage aux Juifs d’Osnabrück :

« Il avait envie de jouir de la vie, on parlait restaurant _ c’est ici la fille d’Hélène qui raconte, page 85 _, ils _ Fred et Ève _ vont à Hawaï ; je vois les photos de Fred avec la chemise hawaïenne et le collier de fleurs, une des raisons pour lesquelles on _ un référentiel collectif, qui semble réunir ici Hélène et ses deux enfants _ n’a jamais tenté d’accéder _ vraiment _ à lui

_ vraiment, et vraiment sérieusement ; avant de découvrir son Bericht (rédigé en 1941), laissé sur une étagère de son couloir par Ève, et qui dormait là, sans avoir été lu par quiconque (pas même Ève, fort peu soucieuse du passé : « Ma mère laisse traîner le rapport de Fred, sur une étagère depuis l’année 1986, elle ne le lit pas. Ça ne sert à rien, elle est contre le couteau dans la plaie« , page 79), avant qu’Hélène ne le découvre, ce Bericht (« c’est de l’or« , « ce trésor« , page 9), en 2018… _,

c’est quelqu’un qui ne faisait pas d’histoires » ; et qui a cependant été « le « personnage familier » pendant plusieurs années _ une dizaine d’années tout au plus, à partir de 1986, énonce ici la fille d’Hélène, toujours page 85, pour de banals voyages de tourisme de par le monde, en compagnie de sa grand-mère, Ève…

Une pièce rapportée par Ève, qu’aurait-il _ donc bien _ pu dire _ d’un peu original et vraiment intéressant, autre que des clichés _ à la famille d’Ève ? » ;

mais aussi, et c’est l’expression immédiatement suivante, probablement encore dans la bouche de la fille d’Hélène ; mais ce pourrait être aussi dans celle de son frère : car ils sont bien d’accord sur leur image de Fred, l’un deux laissant échapper un « On en a vu défiler des hommes à côté d’Ève«  (toujours page 85) ; une remarque apparemment anodine, mais factuellement assez intéressante : Ève, toujours active et en chemin, souliers de marche ou randonnées aux pieds, était éminemment pragmatique, et restée jeune, et pas seulement d’esprit, longtemps ; et quasiment jusqu’au bout… ; cela, nous l’apprenons ici, au détour de ces remarques plutôt anodines… ;

et avec lequel Fred,

je reviens ici sur la focalisation du discours-conversation sur lui spécialement entre Hélène et ses deux enfants,

il semble bien qu’Ève a effectivement fait pas mal de voyages (de tourisme) à travers le monde : « Pour Ève, Fred servait (sic : Ève est fondamentalement une pragmatique !) à voyager. Istanbul. Buenos-Aires. Majorque« , page 88 ; le narrateur demeurant ici indistinct au lecteur ;

lui, Fred, avait peut-être vis-à-vis d’Ève, quelque arrière visée matrimoniale (Fred était en effet devenu veuf, à Des Moines, en 1983) ;

mais, outre qu’il était « ultramoche«  (page 86 ; et le criterium esthétique est rédhibitoire pour Ève ! elle le proclame bien fort, à propos des hommes : « J’ai pas rencontré tellement d’hommes intéressants. J’ai vu pas mal de médecins _ Ève Cixous, devenue veuve le 12 février 1948, avait créé à Alger une clinique d’accouchements ; elle était sage-femme. Ils étaient mariés. René, c’était un bon camarade. Un garçon bien, intelligent, honnête, on a fait des voyages, c’était pas la grande générosité mais il était gentil.

Finalement Fred, le seul Allemand, un médecin, et pas marié _ en fait veuf depuis 1983. Un homme très intelligent. Mais, qu’est-ce que tu veux, la limite, c’est mon sens de l’esthétique« , page 15 : Fred était « ultramoche« , page 86…),

« Ève avait _ aussi _ dit qu’il était impuissant » (page 85) ;

en conséquence de quoi « Ève ne pouvait _ décidément _ pas être amoureuse de lui c’était un intellectuel discret » (énonce encore l’un des deux enfants d’Ève, pour justifier leur absence de vraie curiosité à son égard, toujours page 85)… _

j’en suis donc venu à penser à placer maintenant le focus de mon regard-lecture

sur un élément à mes yeux capital de l’œuvre d’Hélène Cixous :

je veux dire son formidable et merveilleux _ toujours présent _ sens de l’humour.

Un humour tout à la fois extrêmement léger,

mais aussi proprement « ouragant«  _ au participe présent ! cette forme verbale de l’action étant utilisée par l’auteure à la page 24 de 1938, nuits ;

et en voici l’occurrence :

l' »Événement » (et il s’agit, en cette occurrence-là, de celui de la « Kristallnacht » !« advient partout, imprévisible, ouragant, déchaînant des éléments encore inconnus, émissaire de la fin du monde«  ; c’est dire là toute la démesurée puissance de ce qui vient ouraganer…

Ouragant au passage aussi le lecteur ! qui en est bouleversé…

Et cet humour, Hélène,

qui le partageait tellement

_ et même, et peut-être surtout, au cours de leurs épiques disputes _

avec sa mère Ève,

continue de le partager aussi _ mais sans se disputer ! _ avec ses deux enfants,

avec leur regard à la fois terriblement amusé _ et amusant _,

en même temps que terriblement lucide

sur les traits _ défauts comme qualités _,

les travers,

des personnes croisées et rencontrées,

tel ici ce pauvre Fred, le médecin orthopédiste pour enfants de Des Moines, Iowa,

et compagnon de quelques uns des voyages tardifs d’Ève, de par le monde, à partir des années 1986-87-88,

_ et suite à leur(s) rencontre-retrouvailles (depuis 1929) à Osnabrück le 20 avril 1985,

pour le colloque en hommage aux Juifs d’Osnabrück, organisé par Peter Junk et Martina Sellmayer _

et qui a eu de plus en plus de mal à marcher

au fur et à mesure de son vieillissement…

Cet humour ouragant, donc,

que Hélène Cixous partage avec les plus grands,

tels Montaigne, Shakespeare, Proust,

ou Kafka.

Je parlerai de Freud et de l’illusion

dans mon prochain chapitre

à propos de ce très riche récit _ « une banque de graines« , « des graines de vérité« , des expressions cruciales : à prendre très à la lettre ! (page 11) ;

ou encore « un trésor » (page 9) _,

nous avait averti l’auteure,

en ouverture de ce récit sien,

et à partir de sa lecture comme « hypnotisée » du Bericht de Siegfried-Fred Katzmann,

rédigé par ce rescapé de Buchenwald

en une semaine « hallucinée » de mars 1941, à Des Moines, Iowa,

à la page 11, de 1938, nuits


Ce jeudi 7 février 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Qu’il y a couples et couples : sur « L’Art d’aimer » d’Emmanuel Mouret (suite de la méditation sur l’amour vrai, versus l’angoisse _ et aussi le déni et l’anesthésie _ de son absence…)

21avr

En méditant sur la réalité-vérité (versus l’apparence-illusion-mirage ! ) des couples vrais du passionnant film-comédie L’Art d’aimer d’Emmanuel Mouret, c’est-à-dire Zoé-Jérémie, Vanessa-William, Emmanuelle-Paul, et peut-être, et même surtout (!) _ si nous assistons bel et bien, les 80 minutes de ce film, à la naissance-éclosion (oui !) de tels vrais couples : ce qui sera ma thèse ! _ Achille-sa voisine, et, plus encore, Isabelle-Boris,

versus le faux couple, lui _ anesthésié ! _, d’Amélie-Ludovic (en dépit de l’incapacité tenace d’Amélie à l’infidélité, mais pour des raisons étrangères _ même si elle n’en a pas bien conscience _ à l’amour !..),

il me faut ici méditer et approfondir ce qui fait la particularité de la série _ à variations ! et son découpage en séquences… _ des premiers, les vraies relations d’amour,

face au contre-exemple du second, le fait social du couple (en son anesthésie semi-volontaire)…

_ existe encore le cas de l’angoisse de l’absence d’un tel amour vrai : celle qui, en ouverture des variations du film, taraude (et peut-être tue prématurément) Laurent, le compositeur, qui désirait en vain aimer vraiment, en désespoir de la bonne rencontre !..

Mais angoisse d’absence qui affecte aussi ceux des personnages en mal, plus ou moins conscient, de cet amour vrai ! Telle la patiente et réservée Isabelle. Et même l’adorable voisine d’Achille… Qui ne cultive jamais, aujourd’hui, le rêve secret de son prince (ou princesse) charmant(e) ?…

Ou encore ce qui distingue _ au-delà d’une doxa que l’on pourrait qualifier grosso modo « de gauche«  _ la générosité vraie d’une Zoé (à prêter son Jérémie _ in la séquence 1, « Il ne faut pas refuser ce que l’on nous offre«  _ à son amie Isabelle _ afin de lui « faire un petit peu du bien«  ; car « on peut faire du bien à quelqu’un même si on est amoureux d’une autre personne : c’est ça la bonté, la générosité, l’amitié en quelque sorte…«  _)

de l’incapacité à la générosité, précisément ! _ en dépit de ses intentions exprimées, et en dépit, ou plutôt à cause de ce que l’on pourrait nommer, symétriquement, une doxa grosso modo « de droite« … _ _, d’une Amélie à l’égard de son ami Boris, et par rapport à son cher (et pas si tendre que cela…) époux, le très, très, trop affairé Ludovic _ in la séquence 3, « Il est difficile de donner comme on le voudrait«  ; et la (très remarquable) interprétation distanciée d’un Ludovic « ailleurs«  par Louis-Do de Lencquesain, est parfaite !)…

Et encore ce qui distingue la force (à toute épreuve !) d’un amour vrai _ le film teste ainsi la force des amours de Vanessa et William (in la séquence 7, « Arrangez-vous pour que les infidélités soient ignorées« …), ainsi que celle d’Emmanuelle et Paul (in la séquence 6, « Sans danger, le plaisir est moins vif« …), à défaut de mettre à l’épreuve la force de celui de Zoé et Jérémie : nous n’y assisterons pas ici ; les deux autres exemples devant suffire à l’exposé… _,

versus la fausse force _ celle de l’incapacité d’Amélie à sortir de sa fidélité seulement convenue (de bourgeoise bon chic bon genre) à son Ludovic de mari… _ du non-amour _ un amour de couple conventionnel seulement… _ d’Amélie et Ludovic..,

c’est que dans le cas des amours vraies

où s’entend sonner clair et fort la fameuse « musique particulière » _ ou plutôt « singulière«  ! _ « au moment où l’on devient amoureux » _ mais ensuite aussi, et c’est là sa puissance ! ; en particulier au moment des « épreuves« , ou aussi des « expériences«  ! _ évoquée par la voix-off (de Philippe Torreton _ pour nous donner à entendre, non sans beaucoup d’humour, la voix forcément grave du point de vue, surplombant, de Sirius !.. _) à propos de l’absence d’amour un tant soit peu vrai et substantiel

_ n’allant guère plus loin hélas, dans le cas du malheureux (bien que beau : trop beau ?..) compositeur Laurent  : un romantique !, que quelques minces « bribes« , ou ersatz, d’amour ; et qui n’ont donné lieu, en le travail de composition du musicien que celui-ci est, qu’à « deux-trois notes » ou « à peine plus…«  de musique, au lieu de la pleinement belle  « mélodie«  ardemment espérée et attendue mais en vain de lui en sa trop brève vie… _ ;

à propos de l’absence d’amour un tant soit peu vrai et substantiel,

absence douloureusement ressentie de la part du compositeur Laurent, en la séquence 0 d’ouverture du film, « Il n’y a pas d’amour sans musique » ;

c’est que dans le cas des amours vraies, donc,

c’est à de parfaites singularités _ et parfaitement identifiées comme telles, en leur épanouissement-éclosion, une fois extirpées de la nécessaire chrysalide commune de départ : absolument irremplaçables, non plus qu’interchangeables ! dès lors… _, que nous avons à faire : celles de vraies personnes absolument uniques ; et qui, via la puissance de l’amour pleinement et frontalement éprouvé et ressenti, sont fort bien engagées sur la voie (radieuse) d’accomplissement et épanouissement de leur être _ en cet élan de joie dont, en son Éthique (= « art de vivre et s’épanouir« …), Spinoza affirme qu’il témoigne lumineusement qu’alors, en lui , « nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels«  ; j’y reviendrai !

Personnes singulières, qui adviennent ainsi et se révèlent à elles-mêmes comme à l’autre, par cette métamorphose (amoureuse), grâce à la chance insigne _ de fait pas forcément très courante : une grâce !.. _ de s’être rencontrées et avoir su _ ce qui ne va pas non plus de soi : cela s’apprend, et seulement sur le tas… _ se reconnaître (et ne pas se manquer !), et puis, assez vite, s’entendre à merveille : en cet amour vrai !

A côté des rebondissements syncopés _ à la vitesse de l’art de la comédie tout en élégance (à la Marivaux…) d’Emmanuel Mouret ! _ des péripéties de l’apprentissage de la découverte de « la complexité de (leurs _ peut-être… _) sentiments » par Achille et son adorable à la fois simple et un peu compliquée voisine,


j’en prends pour principale (et magnifique !) illustration,

les paroles lumineusement significatives de Boris à celle qu’il prend encore pour son amante (de dans le noir), Amélie, à la suite de ses deux premières séances d’amour dans le noir à l’hôtel West-End, avec celle qu’il ne sait pas encore être Isabelle _ une parfaite inconnue de lui jusqu’ici ! _ :

« La première fois, je ne voulais pas y croire !

Mais tu _ Boris confond avec son amie Amélie celle qu’il a tenue dans ses bras deux fois à l’hôtel, dans le noir, et qu’il ne sait donc pas encore être Isabelle (qu’il n’a, de plus, jamais vue, de ses yeux vue, jusqu’ici) ; et Amélie n’a pas encore essayé de les mettre en présence visuelle, cette fois, l’un de l’autre (mais sans leur annoncer qui est l’autre !) à ce moment ; ce qu’au constat de l’évolution ultra-rapide et ultra-envahissante de Boris, elle va tenter très bientôt à deux reprises : à la librairie de Boris, Passage Verdeau, d’abord ; puis lors d’une réception d’amis (nombreux), à son propre domicile… ; mais sans que jamais Boris et Isabelle se plaisent le moins du monde, en se regardant à peine l’un l’autre, les deux fois !) _ ;

mais tu es amoureuse autant que je le suis ; je le sais, j’en ai eu deux fois la preuve (incontestable ! dans la chambre d’hôtel dans le noir !). Il ne peut pas exister une si parfaite (c’est tout dire !) complicité (telle que jouie par les deux partenaires du noir) si elle n’est pas partagée. Ton corps, ta peau, tes gestes  (de dans le noir) m’ont dit (sans nul besoin de mot ni parole d’aucun des deux) que tu _ Boris ignore encore qu’il s’agissait d’Isabelle ! _ m’aimais ! Il faut se rendre à la raison ! Ludovic s’en remettra ; et nous, nous n’avons plus un instant à perdre !« 

La fameuse musique de l’amour a donc bel et bien retenti, pour Boris et celle _ il était bien forcé de s’en rendre compte !.. _ qu’il tenait dans ses bras à l’hôtel, dans le noir et sans parole !!! Alleluhia !!! Joie !!!

Et Boris de balayer alors, dans l’élan irrésistible _ d’autant que Boris est quelqu’un de très retenu et d’une politesse parfaite ! _,

et Boris de balayer alors, dans l’élan irrésistible de son absolu (tout frais et tout neuf) enthousiasme amoureux _ la chose est proprement « magique » !, selon le mot de Boris lors d’une conversation précédente avec Amélie : avec son ancienne compagne, Marie, « ils s’entendaient bien, mais sans plus… Ce n’était pas magique«  !.. _, les réticences persistantes de la pauvre Amélie, qui non seulement n’est pas celle des séances de dans le noir, mais n’a _ surtout _ jamais entendu retentir semblable musique de sa vie !


Et non seulement Amélie ne connaît pas cette musique, mais elle est à mille lieues du soupçon de sa réalité !

Et il est probable qu’elle ne prendra pas conscience de son ignorance de cela ! : « n’est-elle pas« , selon son expression de satisfaction à Boris, « en couple«  ?..

Tout au plus, Amélie a-t-elle avoué se sentir travaillée par quelque chose comme une « insatisfaction« … : « J’ai l’impression que ma vie manque de sens. (…) J’aimerais donner… » ; elle ne se rend tout simplement pas compte _ elle n’est pas la seule ainsi en ce monde… _ que c’est d’amour vrai que sa vie manque ! ; et la bourgeoise bon chic bon genre qu’elle est (et continuera d’être probablement toujours), n’en prendra vraisemblablement jamais conscience !!! ;

Et Boris de poursuivre l’exposé enthousiaste _ à une Amélie proprement éberluée (alors qu’elle est censée en avoir le savoir le plus brûlant ! de ce qu’elle a partagé dans la singulière expérience de dans le noir !..) de l’évolution d’une situation qui complètement lui échappe ! _ de sa propre révélation-illumination amoureuse : « Rien ne passera ! Ce qui nous arrive _ Boris croit forcément s’adresser à sa partenaire de dans le noir à l’hôtel ; ne sachant ni ne soupçonnant bien sûr pas qu’il s’agissait d’Isabelle !, totalement incapable de pouvoir s’imaginer avoir eu à faire à un coup fourré d’Amélie et à une substitution de personne !!! (comme chez Feydeau, Goldoni, Marivaux, Shakespeare, Plaute…) _ ;

 Ce qui nous arrive est unique ! Je n’ai jamais ressenti ça !  _ avec aucune de ses compagnes, ce n’avait été ainsi « magique«  !..

Pourquoi laisser le temps filer ? Je ne peux plus me passer de toi ! Je n’ai plus envie de rien d’autre que de nous ! Je ne vais pas te laisser une seule seconde de répit, mon amour ! _ dit-il à celle qu’il prend pour sa partenaire de dans le noir à l’hôtel  West-End Le seul repos _ capable d’apaiser, non pas le désir ou la pulsion sexuels, mais bel et bien le transport de l’amour vrai ! _ que l’on peut trouver maintenant, c’est chacun dans les bras de l’autre !« … _ et qu’est donc l’amour si ce n’est ce désir permanent de la présence absolue, et de jamais assez près, de l’autre ?!..

Ce qu’Amélie, aux abois de la tournure que prennent ces choses qu’elle ne contrôle pas du tout !, rapporte très vite ainsi à Isabelle : « Écoute, je ne sais pas ce qui s’est passé entre vous _ deux _, mais (le résultat des séances dans le noir à l’hôtel est que désormais) il est persuadé que je suis _ en fait que tu es, toi, Isabelle ! _ la femme de sa vie !..« 

Quant à apprendre d’Isabelle ce que cette dernière ressent de cette nouvelle _ et tout de même scabreuse ! pour elles deux, comme pour l’inconnu de dans le noir… _ situation _ dont cependant le double anonymat des deux partenaires de dans le noir, continue pour le moment de les protéger, elle, Isabelle, comme lui, Boris, de trop fâcheuses suites ! _, Amélie _ bien moins intime avec Isabelle qu’elle ne l’est avec son « meilleur ami«  Boris _, n’en tirera rien ;

d’autant qu’Isabelle demeure complètement persuadée, que le comportement dans le noir de l’inconnu sans nom _ qu’elle voudrait, à certains égards, continuer de n’être pour elle que « le meilleur ami d’Amélie«  ; en luttant contre une autre part d’elle-même pour ne pas le considérer autrement que cela… _, ne s’adresse en rien à elle-même, Isabelle (puisque cet inconnu ne la connaît pas, ne l’a jamais ni vue, ni entendue ! et est dupe du subterfuge de la substitution…), mais seulement à l’Amélie que l’inconnu croit que sa partenaire du noir est !!!

Comme dans la dramaturgie de Marivaux, ou dans celle de Shakespeare _ sinon celle de Feydeau, voire de Musset, selon le topos de l’Amphitryon de Plaute… _, la comédie des masques (et des erreurs !) fonctionne à plein dans le cinéma jubilatoirement drôle _ et diaboliquement tiré au cordeau ! _  d’Emmanuel Mouret !..

Isabelle est néanmoins fort troublée de cette tournure à tous égards surprenante des choses : prise qu’elle est entre sa terrible timidité foncière, et l’agrément que toutefois aussi, elle ne peut s’empêcher de constater, bien sûr !, qu’elle y prend, et dont son partenaire du noir se rend, lui aussi, mieux que compte !..

Isabelle, en effet, ne sait pas trop comment interpréter et mettre au clair ce qu’elle ressent de ces séances dans le noir, même si elle se rend à ces séances de plus en plus jubilatoirement, comme l’image sur l’écran _ et, comme celui, entre retenue de l’homme bien élevé et réjouissance jubilatoire qui finit par transpirer et éclater, du Boris du magnifique Laurent Stocker, le jeu mi-contrit, mi-réjoui de l’Isabelle de la stupéfiante Julie Depardieu, est absolument délicieux ! _ ;

comme l’image sur l’écran nous le montre épatamment bien ! Car Isabelle, ainsi troublée, est aussi très loin d’être une dévergondée matérialiste purement cynique…

Et c’est de la surprise de l’amour vrai _ comme dans le théâtre parfait de Marivaux _ qu’il s’agit bien ici, en ce cinéma parfaitement épatant d’Emmanuel Mouret !

Jusqu’à l’épisode conclusif _ et plus encore climax grandiose ! _ de la  rencontre par hasard, lors de la fête d’anniversaire de Zoé _ chez Zoé et Jérémie : la séquence 9 bouclant le fil de l’intrigue ouvert par la séquence 1, celle du rêve (avec Zoé, en forêt) d’Isabelle, suivi de la conversation consécutive entre Isabelle et Zoé (dans Paris), quant à l’absence d’amour depuis un an d’Isabelle… _ ;

Jusqu’à l’épisode conclusif de la rencontre par hasard _ et retrouvailles : ni l’un ni l’autre (encore sous le choc des conséquences du subterfuge tramé par l’ingénuité niaise d’Amélie, et de l’accident de sa mise au jour !) n’avait cherché à se revoir… _ d’Isabelle et de Boris ; car cette fois-ci, et pour la toute première fois, chacun des deux, Isabelle comme Boris, sait qui est l’autre !!!

Et leur compréhension-parfaite-entente _ mettant à profit une courte panne d’électricité ! : une ultime fois dans le noir !!! _ sait parfaitement se passer alors de paroles…

Fin du rapport sur ce qui advient du retenu Boris et de la très timide Isabelle, en les péripéties de la succession de leurs rencontres (dans le noir)…

Maintenant, et sur le fond des choses, comment distinguer l’amour vrai (de ceux qui entendent bien distinctement la « mélodie » de sa musique…),

de l’absence d’amour (ou, pire, de l’illusion d’amour) de ceux qui ne l’entendent pas, ou, sinon, seulement deux-trois « bribes » de-ci de-là ?

Quel statut, ainsi, donner aux déclarations de la directe et délurée, mais aussi amoureuse vraie de Jérémie, Zoé,

comparant l’acte de chair _ afin de « faire un petit peu du bien«  à un autre ?.. _ à un massage un peu plus généralisé que le massage d’un kinésithérapeute, soit « un massage qui ne fait pas qu’avec les mains« , mais sans avoir « besoin d’être amoureux d’un kinésithérapeute » ?

S’agit-il là seulement d’une technique (pouvant s’apprendre en suivant mécaniquement un mode d’emploi ou une recette) thérapeutique ? _ il est vrai que la lucide Zoé distingue fort clairement le partage volontaire, dont on peut être fier, de ce qui « fait du bien«  de de ce qui se pratique en catimini « dans le dos«  de la compagne, et suscite, de fait, la jalousie…

Ou bien d’un « art » : un « art d’aimer » ?..


A tout le moins le passage à l’acte semble être ici une voie d’accès possible, sinon inévitable, à l’amour vrai (et à sa « mélodie« …)  : ce serait là ce qui pourrait se déduire de l’exemple des péripéties de la rencontre et de la relation entre Achille et son adorable et affriolante voisine, laquelle prône aussi (et au nom d’un certain « sacré » : elle prononce avec une touchante fraîcheur ce mot…) une certaine « retenue » _ et à l’inverse de trop de « légèreté«  _, du moins provisoirement… Comme en préambule et approches préalables, de (ou à) l’exemple principal ici, en la comédie de ce film, de l’aventure « dans le noir » d’Isabelle et Boris…

..

Et que penser de la comparaison que le rêve d’Isabelle prête à la figure _ fantasmée ? ou pas ?.. _ de son amie (« de gauche« ) Zoé, entre l’échange monétaire et l’échange de services sexuels ou/et amoureux ?.. :

« On paie bien des impôts à la communauté afin d’aider les plus pauvres… Pourquoi on ne prêterait pas son compagnon à celles qui _ célibataires _ en sont démunies ?..« 

Le partage des gestes physiques de l’amour est-il assimilable à la redistribution, par solidarité bien comprise, des ressources financières, aux nécessiteux ?..

Si l’argent peut être défini comme « l’équivalent général des marchandises« ,

l’amour _ et lequel ? seulement la réalisation des pulsions de la Libido ?.. _ est-il lui aussi redistribuable et partageable, non pas même selon les particularités (plus ou mois partagées en une population donnée) des personnes, mais étant donnée l’absolue et irréductible singularité _ du moins quand singularité effective et vraie il y a ! _ de celles-ci ?.. Tout est là !

Même si Zoé, assurément, sépare et distingue qualitativement, l’amour vrai _ et son unique musique, si « singulière«  (plutôt que seulement « particulière« …) !!! _ de la simple gymnastique des « massages qui ne se réduisent pas aux mains » et « font un petit peu du bien«  _ rien que, même si c’est nécessaire et « hygiénique« , pour la santé du corps biologique… 

A relier encore au comportement de cette autre amoureuse vraie (de son compagnon William), qu’est la jeune Vanessa,

qui, amusée (« il a tellement de désir pour moi que ça me donne envie« ), veut bien se prêter à une brève et unique expérience sexuelle (« légère » !), avec son collègue de travail si empressé, Louis, qui doit partir le lendemain pour le Brésil, tant qu’il ne s’agit entre eux que de choses « légères » : « Tu me plais bien ; et voilà tout ! » ; « Je pensaisdit-elle à regret de leur malentendu, à Louis, en lui signifiant son impossibilité de poursuivre l’aventure _ qu’entre nous, ce serait simple et léger« …


Mais Vanessa interrompt net l' »expérience » dès qu’elle s’avise que Louis est bel et bien tombé amoureux d’elle : « Je ne savais pas que tu étais amoureux ; sinon, je ne serais pas venue. Non, maintenant que je sais que tu m’aimes, ce n’est plus possible !« … Et cela, lui répond-elle encore, « parce que je suis amoureuse » (vraiment) : de William… C’est en effet là un absolu qui n’est pas négociable et dont je dirai _ à la Spinoza : « sub specie æternitatis«  _ qu’il a bel et bien une très effective « dimension d’éternité« …

Et tant pis pour le malheureux Louis éconduit : « Je t’aime, Vanessa. Je t’aime depuis la première seconde où je t’ai vue. C’est comme si je t’avais reconnue, comme si je t’attendais depuis toujours« . Et Louis de commenter sa situation, et de plaider encore sa cause : « Je sais que ce genre de chose n’arrive qu’une seule fois dans une vie« … Mais justement ! Il y a là incompatibilité absolue…

Car indépendamment de sa situation temporelle, tout amour vrai a très effectivement dimension d’éternité,

tellement que rien ne peut et ne pourra jamais affecter son irréfragable consistance, et faire comme s’il n’avait jamais été !!!

Voilà un aspect de sa formidable puissance… Face au temps, à la mort et au néant, l’amour vrai dispose d’un pouvoir de consistance absolue et d’irréversibilité sans égal…

Même si beaucoup n’accèdent jamais, de fait, à ce savoir _ toujours particulier, et même singulier ! _ d’expérience…

Alors, pouvons-nous séparer d’un trait-fossé infranchissable, à la coupure franche et sans rémission,

les amours vraies,

des illusions d’amour et des absences d’amour ?..

Et que faire de _ et comment les situer ?.. _ ces « bribes » d’amour parfois éprouvées _ comme par le compositeur Laurent, ici dans le film _, incapables cependant de donner lieu à une vraie, consistante et vraiment belle, « mélodie » ?..

De celles qui expriment _ et donnent à la réception de leur expression, en et via une œuvre (musicale, poétique, ou autre…) d’Art : le film nous le donne à contempler avec les images de ce que ressentent certains des auditeurs au concert de musique de Laurent, à l’ouverture du film… _, en l’irradiant, de la joie…

Ou bien, est-ce, à son tour, s’illusionner, que de penser-croire entendre résonner pareille « mélodie » amoureuse ? là où tant d’autres, se contentant de relations « légères« , ludiques, ou au moins « hygiéniques« , n’entendent jamais _ ni n’aspirent même pas à entendre quelque jour, réalistes matérialistes (et pratiquant le rasoir d’Occam) qu’ils sont… _ pareille musique ?

A l’instar du pari de l’existence _ et non mirage ! _ de pareilles vraies mélodies amoureuses par Emmanuel Mouret en la comédie de son film, dont c’est là le fil rouge,

et à contrepied des minimalismes cyniques,

j’applaudis à mon tour à cet article de foi qui s’expérimente

très effectivement dans le cas de certains ; mais jamais, dans le cas d’autres

qui ne l’expérimenteront donc pas !…

La prise de conscience plus ou moins progressive, ou instantanée _ cela pouvant beaucoup varier ! _, des sentiments, et de leur « complexité » (selon la juste formule de la quête de la voisine d’Achille recherchant un livre sur ce sujet dans la librairie de Boris, Passage Verdeau),

demande, pour être effectivement activée _ et non déniée et anesthésiée, comme dans le choix d’existence confortable d’une Amélie… _ de la probité, à tous égards,

et un effort intense et courageux de clarification des opérations de la conscience

_ opération à laquelle l’Art, quand il en témoigne du détail, peut nous initier _ ;


ce qui à la fois requiert une lucidité dans l’aventure de la nouveauté la plus déstabilisante et de la fraîcheur, toujours d’abord perturbante pour le confort, de l’instant,

mais aussi une capacité de progresser dans l’évolution (ou histoire) de la relation affective

à travers l’évolution, parfois  bouleversante, des situations…

Il me semble aussi que de très effectifs seuils existent,

et qui ne sont pas de purs mirages ou illusions, plus ou moins théâtralisées, comme le penserait un empiriste tel que un David Hume.

Pour ma part, je préfère la foi  vitaliste et rationaliste d’un Spinoza, avec son affirmation que notre existence d’humains temporelle (et par là mortelle, parmi les espèces sexuées, qui ne se perpétuent qu’à travers le renouvellement et remplacement des générations) comporte aussi, et vitalement tissée à elle, une dimension d’éternité.

Cette dimension d’éternité de l’existence humaine temporelle _ vivante, et par là même mortelle ; même si, comme le rappelle fort justement Spinoza, « la philosophie est méditation de la vie, non de la mort«  ! _,

cette dimension d’éternité, donc,

seul la sent et l’expérimente

et apprend à la connaître en profondeur

celui qui sait en prendre progressivement _ c’est-à-dire peu à peu et avec patience ! _ mieux conscience (au lieu de la fuir : dans le déni de l’anesthésie)

et en approfondir sa connaissance par la réflexion et la méditation

vaillantes, courageuses

et un minimum aussi _ sans jamais en exclure la fondamentale dimension d’humour ! _ sérieuses.

Alors que » l‘ignorant » ne sait pas _ et n’apprendra, bien sûr !, jamais à _ donner consistance à son existence qui passe (et fuit ; et va mourir, comme toute autre…),

« le sage« , lui, réussit à avancer dans la connaissance de sa nature, en l’éventail large de ses potentialités disponibles, et leur vocation à se réaliser effectivement ;

et il accède à leur épanouissement…

Ce dont vient lui donner l’assurance (éminemment sensible), le sentiment _ actif _ de la joie à distinguer de la passivité du couple, seulement mécanique, lui, du plaisir et de la douleur !!..

A terme, Spinoza nomme cela, la « béatitude« …

Et c’est cette musique-là

que la comédie virevoltante de L’Art d’aimer d’Emmanuel Mouret, vient parfaitement figurer cinématographiquement

dans la batterie syncopée de ses très jouissives variations…

Titus Curiosus, ce 21 avril 2012

Le « n’apprendre qu’à corps (et âme) perdu(s) » _ ou « penser (enfin !) par soi-même » de Dominique Baqué : leçon de méthodologie sur l’expérience « personnelle »

23déc

Retour réflexif sur la lecture de

E-Love _ petit marketing de la rencontre“, par Dominique Baqué, aux Éditions Anabet ;

de Méfiez-vous, fillettes d’Yves Michaud, en son blog « Traverses » (sur le site de Libération) ;

ainsi que de mon propre « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne)« , mon article tout frais d’hier soir, sur ce même blog, « les carnets d’un curieux« …

Ma perspective, cette fois, « réflexive« , sera méthodologique ;

et portera

_ dans la perspective du « se conduire »

(et « conduire« , comme faire se peut, et tant bien que mal, à la va comme je te pousse, « sa vie« ) _

sur les modalités de l' »apprendre » ;

je veux dire de l' »apprendre par soi« ,

et seulement (= rien que !) à son corps

_ « corps et âme« ,

ainsi que le dit Nietzsche en son important « Des contempteurs du corps« , du début d’« Ainsi parlait Zarathoustra » _ ;

sur les modalités de l' »apprendre par soi« , donc,

et seulement (= rien que !!!) à son corps _ « corps et âme« , donc _ défendant…

Ainsi que le pratique Dominique Baqué elle-même

dans son (très) courageux et rageur _ ou rageur et (très) courageux _ « E-Love » : « petit marketing de la rencontre« ,

ainsi qu’il est sous-titré sur la couverture du livre ;

ou encore « E-Love » : « Amours & Compagnie« ,

ainsi que cela apparaît, comme variante (à noter !!!), en page 1 du livre…

A mes yeux, cet « essai » « à cœur et corps perdu« 

_ ainsi qu’elle-même l’écrit à l’ouverture même (page 3) de son livre :

je relis ce début :

« Divorcée. Me voici donc divorcée. Je répète ces mots avec incrédulité comme s’ils ne me concernaient pas, comme s’ils n’avaient pas pu _ les mots ? la chose ? l’ambiguïté, déjà, est bien intéressante _ m’arriver, à moi. Surtout avec cet homme que j’avais aimé à corps et cœur perdus.« _  ;

cet « essai » « à cœur et corps perdu« , donc, représente un modèle

_ oui ! par son simple et tout à fait modeste exemple : l’« essai » n’est-il pas qualifié, sur sa propre couverture, de « pamphlet » ?.. ;

et je voudrais méditer, aussi, sur l’exemplarité ! _

cet « essai » « à cœur et corps perdu«  représente un modèle, donc

_ je reprends et continue ma phrase… _,

de ce qu’est l' »apprendre à penser » : par soi-même ;

en apprenant _ learning _ de son expérience tâtonnante (de l' »apprendre » à se conduire soi-même ; se conduire : raison et appétits « humainement«  emmêlés ;

prendre garde, cependant _ et Montaigne, et Pascal, nous en avertissent ! _ à « ne pas faire la bête » à trop « vouloir faire l’ange« …)

Étant « enfants avant que d’être hommes« ,

ainsi que le dit _ et à plusieurs reprises en son œuvre _ Descartes ;

et pour commencer en la seconde partie de son « Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et trouver la vérité dans les sciences » ;

voici le passage :

« Pour ce que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes,

et qu’il nous a fallu _ par incontournable « passage«  ! _ longtemps être gouvernés _ il faut bien des boussoles à qui subit l’attraction des aimants (et des sirènes) !.. _ par nos appétits

et nos précepteurs,

qui étaient souvent contraires _ indice avertisseur d’incertitude et, forcément, erreur ! _ les uns aux autres,

et qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut être pas toujours le meilleur _ invite pressante ! à nous y ajuster… _,

il est presque impossible que nos jugements soient si purs, ni si solides qu’ils auraient été,

si nous avions eu _ oh ! l’idéalisation ! _ l’usage entier _ mais sera-ce jamais le cas ? même à suivre l’œuvre entier de Descartes ? _ de notre raison dès le point de notre naissance,

et que nous n’eussions jamais été conduits _ nous, « humains«  (en notre condition de l’« union intime de l’âme et du corps« ) _ que par elle.

Il est vrai que nous ne voyons point

_ en 1637, nous n’en sommes qu’à l’orée de la modernité ; et son endémique prurit de « réformes«  (ou « réformite« ) !..

Et les terriblement sanglantes « Guerres de religions« , en voie de s’achever en 1648 (au « Traité de Westphalie« ), vont peu à peu s’apaiser, tout de même, en seulement (moins brutale) « Querelle des Anciens et des Modernes«  _

qu’on jette par terre toutes les maisons d’une ville,

pour le seul dessein _ esthétique : Descartes le prend peu au sérieux… _ de les refaire d’autre façon _ = de pure forme _,

et d’en rendre les rues plus belles ;

mais on voit bien que plusieurs font abattre les leurs pour les rebâtir,

et que même quelquefois ils y sont contraints,

quand elles sont en danger _ technique : critère plus sérieux, pour Descartes ! _ de tomber d’elles mêmes,

et que les fondements n’en sont pas bien fermes

_ ce que Descartes prend au sérieux, c’est la très concrète (et imminente) menace de ruine : l’écroulement !

A l’exemple de quoi

je me persuadai (…)

que pour toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance,

je ne pouvais mieux faire que d’entreprendre, une bonne fois, de les en ôter,

afin d’y en remettre par après,

ou d’autres meilleures,

ou bien les mêmes,

lorsque je les aurais ajustées _ voilà le criterium : l’ajustement ! par la sagacité !!! _ au niveau de la raison _ la faculté fondatrice.


Et je crus fermement que, par ce moyen,

je réussirais à conduire ma vie _ c’est l’enjeu ! _ beaucoup mieux que si je ne bâtissais que sur de vieux fondements,

et que je ne m’appuyasse _ pratiquement _ que sur les principes que je m’étais laissé persuader en ma jeunesse,

sans avoir jamais examiné s’ils étaient vrais…« .

J’en reviens à la démarche _ en son « essai » _ de Dominique Baqué ;

à son courage (acquis : sur sa témérité) ;

à sa sagesse (acquise : sur son « innocence« , sa bêtise, et ses aveuglements _ ou « illusions« , dirait un Freud _ ;

de même que pour tout un chacun, bien sûr ! nul n’ayant _ pareil prodige se saurait (et se célèbrerait !) vite !!! _ la sagesse infuse !..

et tant que la techno-science demeure(ra) impuissante à greffer (tout) un cerveau (!) _ et avec « mode d’emploi » « incorporé« , qui plus est (ou « serait« ) !!!

En quoi a donc pu consister sa niaiserie-naïveté-innocence ?

Sinon d’avoir « envisagé » de (= « cherché à« ) rencontrer, via un « site de rencontre » du Net, à l’âge de 51 ans (elle en affichera « 45« ), « un homme (40-50 ans), cultivé et curieux, tendre et cérébral,

pour construire une relation authentique« , (page 14) _ voilà la réalité escomptée :

« il me fallait un compagnon ; et vite«  (page 8), a-t-elle constaté « décidément« , « après une telle épreuve de plusieurs mois » (page 5) de « silence » « minéral«  (page 5) de solitude : « la réalité était sans appel : il n’y avait personne à mes côtés » ; « rien, absolument rien ne se présentait _ force m’était de le constater«  (page 6).


Avec l’aide _ « généreuse » _ d’« un ami » _ Jean-François _ d’« une de » ses « meilleures amies » _ Sandrine _,

la « véritable stratégie de séduction » de l’annonce en quoi consiste « l’inscription sur un site de rencontres » (page 11) donne lieu à une « séance » qui « va être une épreuve pour moi », anticipe rétrospectivement en son récit, Dominique, au chapitre « L’annonce, la photographie« , page 12. « Séance«  qui permet de faire alors « réalistement«  le point sur ce que « cherche«  réellement Dominique ;

sur ce

à quoi, grâce à l’avisé Jean-François, elle va pouvoir, sinon savoir, du moins apprendre (= découvrir), à quoi « s’attendre«  un peu « réalistement« , donc ;

ainsi qu’à la « présentation«  d’elle-même qu’elle doit alors (ici et maintenant) échafauder et mettre au point pour le site…

« Jean-François, homosexuel, drôle, extraverti, ayant le goût du théâtre et de la mise en scène«  (page 12) dispose ainsi de « tout ce qui peut m’aider« , fait ainsi le point Dominique.


« Jean-François me demande ce que je recherche exactement. Un peu prise de court, je réponds spontanément : « Un compagnon ». Voilà qui est on ne peut plus clair.

« _ Peut-être, mais ton compagnon, tu ne vas pas le trouver _ soit le mot-clé ! _ la semaine prochaine

_ non plus que « sous les sabots d’un cheval au galop« , pourrait-on ajouter…

_ Oui, j’imagine ».

En fait, je n’imagine rien : je ne sais rien _ en effet ! _ de ce monde _ des « sites de rencontres« .

_ « Il faut _ et c’est de la plus élémentaire prudence… _ que tu saches _ et le mot veut bien dire ce qu’il dit ! _ qu’il y a plein de mecs qui vont sur le Net pour baiser. Et beaucoup sont mariés. Ils ne te le diront pas… ».

Pour être franche, l’information est rude. J’accuse le coup _ (page 13) : ce monde des annonces du Net est lardé de chausse-trapes…

 Etc… Le détail du récit est tout bonnement passionnant.

Après l’épreuve (« d’une heure d’écriture et de retouches« ) de la rédaction de l’annonce

et avant celle de « la séance photo« ,

« Jean-François, qui a bien conscience que je n’entends rien _ d’où danger ! _ au réseau, me prodigue ensuite quelques _ réalistes _ conseils et avertissements :

_ « Il arrivera peut-être que tu aies une histoire avec un mec, mais cela ne l’empêchera pas de continuer à être _ actif, et même hyper-actif _ sur le site ».

Je suis offusquée de cette mise en garde : j’ignore encore à quel point elle s’avèrera pertinente…

_ « Certains vont te demander de chatter. Laisse tomber. (…) Comme tu frappes lentement, tu vas t’énerver, et eux ils vont quitter le chat ».

(…)

_ « Enfin, tu ne fais jamais venir un homme chez toi la première fois ».

Mais on n’apprend (après entendre !) jamais « vraiment«  que sur le tas, à l’épreuve frontale (et blessante) du réel lui-même ; le reste ne faisant que « glisser«  au vent…

C’est ce que va faire aussi notre encore assez « innocente« , à tout du moins « inexperte« , « Alice« -« Cendrillon« 

en ce pays des fausses merveilles du virtuel (et du mensonge) affiché sur l’écran, en avant du « réel« 

Sur « Alice » et les pays du « virtuel«  et du « réel« , lire _ au delà de l »Alice au pays des merveilles » de Lewis Caroll _ ; lire la passionnante lecture qu’en propose le _ plus que jamais, combien nous pouvons nous en rendre compte aujourd’hui ! sagace Gilles Deleuze en son « Logique du sens » (en 1969) … Fin de l’incise carollo-deleuzienne !


« D’autant

_ comme j’y ai insisté en mon article précédent : « le bisque ! bisque ! rage ! de Dominique Baqué : « E-Love » _ l’impasse amoureuse du rien que sexe » _

que la haine _ ou la rage ! _ se nourrit de vengeance, et que, oui, je voulais me venger de ce bonheur trop expansif que D. affichait, jusque dans les rues, m’avait-on rapporté«  (page 8) ; et que cette « donnée«  participe d’un certain aveuglement de Dominique,

qui désire tellement « rendre«  à son « ex-mari«  « la monnaie de sa pièce«  d’un « compagnonnage«  trop complaisamment exhibé !!!

« Nul n’est exempt de dire des fadaises. Le malheur _ ou le ridicule ! _ est de les dire curieusement« 

_ c’est à dire avec un trop grand soin (= efforts de sérieux, componction, fatuité ; manque d’humour) ;

alors que ce qui échappe, avec légèreté, à la vigilance (par nonchalance),

est (beaucoup) plus excusable par l’interlocuteur, ou lecteur.

Montaigne, entamant avec son humour coutumier, le troisième livre _ ce sera le dernier _ de ses « Essais« , en 1592, demande au lecteur-interlocuteur un symétrique recul (d’humour) en sa lecture par rapport à l’humour que lui-même revendique en l’écriture de ces « essais » de son esprit

_ sur l’esprit, lire de Bernard Sève, le merveilleux et prodigieux (de sagacité) « Montaigne. Des Règles pour l’esprit« , paru aux PUF en novembre 2007 ;

ainsi, en forme d’hommage, que mon article du 14 novembre : « Jubilatoire conférence hier soir de Bernard Sève sur le “tissage” de l’écriture et de la pensée de Montaigne« 

Je poursuis, pour le pur plaisir, le discours de présentation de Montaigne :

Montaigne cite d’abord l‘ »Heautontimoroumenos » de Térence (auteur comique !) :

« Assurément, cet homme va se donner une grande peine pour dire de grandes sottises« .

Et il poursuit : « Cela ne me touche pas. Les miennes m’échappent aussi nonchalamment qu’elles le valent. D’où bien leur prend. Je les quitterais soudain, à peu de coût qu’il y eût. Et ne les achète, ni les vends que ce qu’elles pèsent. Je parle au papier comme je parle au premier que je rencontre. Qu’il soit vrai, voici de quoi… »

Et il entame la réflexion sur son sujet (« De l’utile et de l’honnête« ) :

« A qui ne doit être la perfidie détestable, puisque Tibère la refusa à si grand intérêt… »

Etc.


Fin de l’incise montanienne sur les fadaises (de la niaiserie)…

Il faudra bien (forcément !..) inlassablement et sans trop de relâche se coltiner aux efforts (et écorchures plus ou moins graves _ et cicatrisables !.. _ en résultant…) de l’apprentissage : par la méthode des essais _ et rectifications des erreurs :

parce que si « errare humanum est« , en revanche « perseverare diabolicum » !

C’est par là que

le « teaching » _ de l’enseignant, du maître _ peut sans doute un peu un petit quelque chose

à l’égard du « learning » _ de l’enseigné (actif), de l’élève (en voie de « s’élever« …) _

de tout un chacun ;

et là se trouve l’enjeu majeur des tâches d’éducation et enseignement

(ainsi _ car cela en est rien moins que le noyau ! _ que d’acculturation) ;

et des responsabilités

tant individuelles et personnelles _ je les distingue _,

que collectives : sociales, économiques et politiques ;

tout particulièrement à l’heure de la particulièrement grave « crise » de « démocratie« 

_ versus « gouvernance«  (de raffarinienne mémoire !) _

auxquelles tâches

(d’éducation et enseignement _ et acculturation :

versus décérébration à méga échelle de l’entertainment marchand _)

et responsabilités

(sociales, économiques, et surtout politiques)

nous nous trouvons, de par le monde entier (« mondialisation » aidant), tout spécialement confrontés en ce moment même ; et pas qu’en France, en Grèce, ou ailleurs encore en Europe, ce mois de décembre-ci…

La « crise » dépassant largement la « crise financière«  des banques et du capitalisme (« de spéculation » des actionnaires et, en amont, des entrepreneurs investisseurs marchands),

pour faire bien clairement ressentir à tous,

et d’abord aux jeunes mêmes,

que la « crise » (ou « tournant de l’Histoire« ) de ce moment-ci porte sur l’échelle même des valeurs ;

et que c’est bien de cette « réalité« -là dont il s’agit,

de la valeur du (vrai) travail,

des (vrais) efforts,

du (vrai) temps et de la (vraie) attention et du (vrai) soin

investis dans de (vraies) activités qui soient aussi de (vraies) œuvres…

Une des ironies du phénomène étant, par ailleurs _ à la marge _, le retour « à la mode » d’un Karl (et pas Groucho) Marx…

Aussi,

et au-delà de l’investissement financier en direction des faiblesses _ de fiabilité (et de confiance) _ soudainement « avérées« 

_ et en cascade, à partir de la déclaration (forcément peu discrète !) de faillite, le 15 septembre dernier, de la banque Lehman Brothers, à New-York _

des établissements bancaires de par le monde entier,

s‘agirait-il de se mettre à réfléchir

enfin

un peu (= beaucoup !) plus sérieusement

à de profonds investissements culturels et éducatifs

_ loin des seules logiques de « bouclage«  (à la Éric Woerth) strictement d’« économie budgétaire«  des États…

Soit une affaire de (vrai) « pouvoir«  : entre les hommes…

« Yes, we can » : sera-ce un peu plus qu’un slogan électoral (même à succès) pour un 4 novembre d’un Barack No Drama ?..

Nous _ sur toute la planète _ allons y être forcément attentifs…

De vraies grandes (larges et profondes) « réformes » s’imposent ici ;

et pas à la marge

_ ainsi que feint de s’étonner, en France, le ministre en charge de l’Éducation,

devant l’ampleur des « résistances » lycéennes à sa pourtant « bien modeste » _ dixit lui-même _ « réforme » de la seule classe de « seconde » des lycées…

« Réformes » qui devraient mettre en cause aussi et d’abord _ en le débranchant quelque peu _ l’ignoble outil de propagande par l’entertainment qui crétinise à longueur de temps des millions et milliards de cerveaux

(et leur « temps disponible« 

_ selon la parole (d’expert) de Patrick Le Lay, répercutée par la fameuse dépêche AFP du 9 juillet 2004 _

qui n’est pourtant pas infini, ce « temps disponible » : « Memento mori !« )

par connection, techno-économiquement à la portée de la plupart, sur toute la planète

et les conditionne à l’addiction aux marques _ « Coca-Cola« , etc. _ et à une peu réfléchie consommation (marchande) de masse…

Mais, je reviens à mon sujet :

le courage versus la témérité ;

la lucidité versus l’aveuglement

de Dominique Baqué

les « cinq mois de pratique intensive du Net« ,

ainsi qu’elle le formule à l’ouverture du chapitre final (« Une affaire de marketing…« ), page 119, de son « pamphlet » « E-Love« ,

afin, aussi, de mettre en garde contre l’addictivité aux pratiques des « sites de rencontre« , et de ce qui s’ensuit _ bien réellement, via un « sexuellement » effectif, bien qu’éphémère, et si superficiel (en surface, sans « attachement« ) : « on » « passe » immédiatement à « autre chose« , en passant « au suivant ! » ; et si peu différent de la série de tous ceux qui viennent de le précéder (sur ce « marché » via le Net) !.. _ ;

et de ce qui s’ensuit, donc,

de destructeur de (et pour) la personne qui tombe

_ et pour quelque raison que ce soit : la rage (féroce) d’un divorce très mal subi ; la jalousie (panique) d’un « bonheur » (de remplacement) si complaisamment « affiché » (et plus ou moins innocemment « rapporté » par d’autres…) _

dans ces rets-là ;

et de destructeur de « l’intimité« ,

ce si précieux (gratuit, généreux, incalculé) « lien à l’autre« ,

ainsi que l’analyse brillamment Michaël Foessel dans son très important

_ démocratiquement ; et « civilisationnellement » _

« La Privation de l’intime_ mises en scène politiques des sentiments« , paru aux Éditions du Seuil, ce mois d’octobre dernier ;

et comme je le rapporte dans mon article du 11 novembre : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » …

En lieu et place du (vrai) désir,

le désir mimétique de l' »envie » (de l' »envieux » : cf les œuvres de René Girard : « Vérité romanesque et mensonge romantique« , « La Violence et le sacré« , « Le Bouc-émissaire« , ou « Shakespeare : les feux de l’envie« , par exemple…).

Apprendre, c’est toujours se déniaiser ; et c’est en cela, aussi, que le critère de l’amour authentique, est de connaître vraiment _ = en vérité et plénitude ! _ l’autre ; de même que s’y découvrir, en même temps, et par là même, soi-même, par cette ouverture que constitue le lien _ et don : gratuit et généreux _ de l’intimité :

« à cœur et corps perdu« , comme l’énonce si bien elle-même Dominique Baqué…

L’amour vrai n’est certes pas aveugle ;

ce qui est aveugle, ce n’est que

l’illusion amoureuse (ou « rêve d’un amour« ) : sa (triste) contrefaçon ;

son envers ; et sa caricature…

Quant à la bêtise, c’est la fatuité ; le contentement de soi ; le refus de chercher à comprendre en cherchant bien, plus loin, et un peu mieux…

« La bêtise, c’est _ ainsi _ de conclure« , l’a mieux dit que d’autres, Flaubert, en son « Dictionnaire des idées reçues« …

On lira aussi, là-dessus, l’excellent « Bréviaire de la bêtise » d’Alain Roger…


Reste l’abîme terrifiant de la trahison,

que ce soit la trahison d’un amour, ou la trahison d’une amitié ;

voire des deux à la fois ;

ainsi qu’en dessine un portrait singulièrement brûlant, le grand, l’immense, Sandor Maraï, dans un de ses chefs d’œuvre : « Les Braises« 

Qu’en était-il

_ rétrospectivement,

pour nous qui nous le demandons, maintenant, au présent, et face à un passé qui vient de nous « lâcher » _ ;

qu’en était-il donc de nos propres sentiments, quand tout s’effondre, et que nous découvrons bernés ;

peut-être d’abord par notre propre bêtise ; par l'(incroyable !) aveuglement de nos illusions ?..


C’est ce cauchemar rétrospectif _ et mélancolique _ là

que rencontre et affronte Dominique Baqué,

trahie, ici, par son mari…

C’est déchoir

de l’espèce (infiniment profuse et généreuse, à l’infini) de l’éternité

à l’espèce aride d’une temporalité soudain devenue pingre (et comptable) pour nous…

Pour le reste, il n’y a rien à chercher ;

encore moins rechercher ;


seulement se tenir disponible,

afin d’accueillir _ avec pureté et générosité _ une nouvelle rencontre…

Quant à l' »apprendre par soi-même« , que met en œuvre assez superbement, et à son corps défendant, a posteriori, Dominique Baqué dans « E-Love« ,

il me rappelle

le très beau travail de penser (et d' »essai« ) de Stanley Cavell, que, sur les conseils de Layla Raïd, je viens de découvrir _ au cours de mon aller-retour Bordeaux-Marseille et Aix (du week-end autour du 13 décembre dernier), par le train : « Un ton pour la philosophie _ Moments d’une autobiographie » _ :

en voici la 4ème de couverture, afin de comparer ce qu’on peut en retirer

aux « leçons » de mon article à propos des démarches d’auteur(e) _ et philosophe ? _, de Dominique Baqué en son « E-Love » :

Rechercher « le ton de la philosophie« , c’est avant tout s’interroger sur
la voix du philosophe, sur sa prétention à parler au nom de tous, à
s’universaliser. C’est la question du statut de l’intellectuel qui est
alors posée, de sa capacité à dire «nous» à partir du «je», à être
représentatif. Cette question est au cœur du travail philosophique,
puisqu’elle accompagne son « arrogance »
_ ou du moins son « audace«  _ fondamentale, sa prétention _ son ambition _ à
éduquer et à parler pour.


Stanley Cavell nous livre ici le récit de certains moments fondateurs
de sa propre existence
, convaincu que l’autobiographie est un des
fondements de la philosophie. Dans le «nous» du philosophe, il y a
toujours un «je»
_ oui ! Comme pour un Montaigne; ou un Nietzsche : Cavell, lui, cite d’abord Emerson (et Thoreau)…

Revenir à la voix, c’est aussi inévitablement s’intéresser à nos
énoncés et à nos accords
_ avec les autres _ de langage, et donc finalement à la
démocratie, qui repose sur la capacité de chacun d’avoir ou, tout au
moins, de revendiquer une voix
_ qui soit écoutée ; et retenue, aussi…

C’est enfin rechercher une voix pure, une parole exemplaire, à travers le cinéma et l’opéra _ soient des Arts de la voix, qui touche…

C’est au prix de ces multiples détours _ l’autobiographie, le langage,
l’opéra
_
que l’on peut repenser l’acte même de philosopher et inventer
un nouveau ton pour la philosophie, celui de l’ordinaire.

Nous retrouvons bien, aussi, le sens même de la démarche de Dominique Baqué…

Titus Curiosus, ce 23 décembre 2008

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