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Les apprentissages d’amour versus les filiations, ou la lumière des rencontres heureuses d’une vie de Mathieu Lindon

14jan

Avec un lumineux très gracieux Ce qu’aimer veut dire,

qui parait ces jours de janvier 2011 aux Éditions POL,

Mathieu Lindon,

l’année de ses cinquante-cinq ans _ il est né en 1955 _,

nous offre,

avec la gravité éminemment légère _ et tendre ! _ de son écriture cursive

(sans la moindre lourdeur ! sa phrase (toujours !) « vraie » _ c’est là un de ses traits majeurs ! si jamais on s’avise d’y réfléchir un peu… car il n’y a certes là rien, ni si peu que ce soit, de l’ordre du didactique ! oh non ! tout y est jeune et constamment tout frais… _ ;

sa phrase (toujours !) « vraie« , donc,

va _ marche d’un bon pas vif : d’une jeunesse quasi constamment avivée… _

en des élans successifs toujours _ printanièrement en cette « fraîcheur«  même _ renouvelés :

des pas dansés souples assez rapides et relativement scandés, jusqu’à la rencontre, à l’occasion, parfois, et même souvent, mais sans jamais forcer quoi que ce soit _ tant tout est est toujours si splendidement fluide ! _ de plages (rencontrées !) de quelques figures-expressions un peu plus denses, alors, en leur étrangeté (légèrement _ telle une gaze _, méditative…) pour lui-même le premier : avec l’énigme se découvrant _ plutôt que découverte ; et sans avoir à être affrontée _ de ce qu’il apprend ainsi, au fil de cette écriture progressant et juste à peine _ un effleurement en douceur un peu grave… _ pensive…)

Mathieu Lindon nous offre, donc,

ses leçons apprises _ et non données _ (d’aimer)

et progressives _ en les diverses strates des « âges«  se vivant, successivement ; et déposant un limon qu’il faut un tant soit peu « reconnaître« , « assumer«  (tel un legs dont on serait le légataire : si l’on veut bien y consentir…), et aussi (à la Montaigne : c’est moi qui le « convoque«  maintenant et le dit, pas Mathieu Lindon lui-même : ses références ne sont presque jamais philosophiques…) « cultiver » _

d’une vie (la sienne : de cinquante-cinq années jusqu’ici) :

par la grâce

tant donnée que reçue _ ce sont aussi là des « arts«  qui s’apprennent : sur le tas ; face à de si improbables « visitations«  angéliques… _

de rencontres amoureuses _ courent-elles les rues ? et comment parvenir à ne pas les manquer ?.. _,

et cela quels que soient les écarts d’âge

des aimants (ou amants, ou amis

_ voire parents aussi, qui eux aussi « aiment« … :

et Mathieu Lindon de se pencher, et c’est l’autre des lignes de force de ce livre !, sur sa filiation paternelle (ses rapports de fils à Jérôme Lindon, son père) ;

de même qu’il se penche sur sa propre absence d’enfants biologiques : une absence qui l’interroge même puissamment ; et qu’il résout aussi à sa manière…) :

ainsi remarque-t-il _ tel un amer auquel s’orienter si peu que ce soit (et d’importance ! sublime !) parmi les flots sans marques, à perte de vue, de la vie océanique… _ les vingt-neuf années d’écart d’âge

entre l’ami _ et amour… _ (d’exception !) que lui fut (et lui est : à jamais !) Michel Foucault _ mort le 25 juin 1984 _

et lui-même,

et les vingt-neuf années d’écart d’âge

entre lui-même

et son ami _ et amour _ Corentin, rencontré en 2004 _ cf pages 291-292 : « La nuit où je rencontre Corentin, fin 2004, tout se passe merveilleusement, dans le bar puis à la maison.

On ne dort pas une seconde _ ça fait des années que ça ne m’est pas arrivé _, on s’aime et on parle« 


« Les chiffres me fascinent« ,

ponctue, par ce constat, Mathieu Lindon, page 295, sa réflexion sur les durées de temps passé avec les uns et avec les autres de ceux avec lesquels il a un peu (plus et mieux) appris (qu’avec d’autres) « ce qu’aimer veut dire » :

« Quelques années après sa mort _ il s’agit ici de l’ami Michel Foucault (15 octobre 1926 – 25 juin 1984) _,

je pensai que viendrait un moment où

le temps écoulé depuis la perte _ voilà ! _ de Michel _ voilà un terminus a quo de poids majeur ! _

serait supérieur à celui durant lequel je l’aurais connu _ soit six années : de 1978 à 1984 _ ;

et cette pensée a resurgi régulièrement _ par la suite : tel un amer, donc…

Quand Hervé  _ Hervé Guibert (14 décembre 1955 – 29 décembre 1991) ; cf sur eux ce que dit Hervé Guibert in L’ami qui ne m’a pas sauvé la vie... _ mourut,

ce jour _ « foucaldien«  d’échéance : calculé et retenu… _ était déjà _ depuis plus d’une année _ arrivé.

Et un autre jour est venu _ l’an 2004 _ qui fait que

même Hervé,

il y a plus longtemps qu’il est mort

que de temps _ « guibertien« , cette fois _ où nous avons été si proches _ treize années : de 1978 à 1991…

Avec mon père _ Jérôme Lindon (9 juin 1925 – 9 avril 2001) _,

évidemment, ça _ un tel jour d’« échéance«  : « lindonien«  cette fois... ; étant donné leurs quarante-six années de vie communes : de 1955, l’année de la naissance de Mathieu, le fils, à 2001, l’année de la mort de Jérôme, le père _ n’est pas près de se produire (si, un jour je _ né en 1955, donc _ deviens centenaire  _ ou presque : car c’est en 2047, soit 2001 + 46, que Mathieu, à l’âge de 92 ans, donc, verra(-it) se clore ce temps « lindonien«  paternel…).

Les six ans passés auprès de Michel représentent, en pourcentage, une part

de plus en plus infime _ quantitativement : à compter seulement (le nombre de jours) ! _

de mon existence

qui augmente cependant _ cette part-là ! qualitativement ! _ sans cesse

dans le plus sincère _ ou « vrai«  !.. probe ! _ de mon imagination _ mais pas sur le versant d’un pur et simple imaginaire, qui ne serait que fictif, ou nominal… 

Comparer des années à des années,

c’est _ certes _ additionner des tomates et des poireaux,

ça n’a rien à voir avec la mathématique _ affective existentielle : la seule qui importe vraiment ! _ de l’existence _ vécue : et c’est elle qui constitue en quelque sorte l’objet de réflexion (= les comparaisons) de ce livre si intensément sensible qu’est Ce qu’aimer veut dire

Mais les chiffres me fascinent«  _ à l’aune de sa propre vie qui s’augmente et, d’un même mouvement, passe, les deux : voilà le point d’arrivée de ce raisonnement des pages 294-295…


Avec son aboutissement, surtout, à Corentin :

« Cette première nuit _ de « fin 2004« , donc _, je m’informe sur lui

et Corentin m’apprend qu’il prépare l’École Normale supérieure, section philosophie.

Je l’interroge sur les philosophes contemporains

_ contemporains pour moi, il y a plus de vingt ans _ « fin 2004«  _ que Michel est mort _ le 26 juin 1984… _  _

et il me répond ne pas bien les connaître,

excepté Foucault

dont la lecture lui fait un bien fou.

Ce garçon me semble _ ainsi : voilà ! _ de mieux en mieux.

Je suis frappé de sa jeunesse.

Je lui demande son âge,

puis à la suite de cette réponse, sa date de naissance précise.

Il s’avère qu’il est né après la mort de Michel _ survenue le 26 juin 1984.

Je calcule vite que la différence d’âge _ voilà ! _ entre nous _ Mathieu Lindon est né en 1955 _

est la même _ soit vingt-neuf ans _ qu’entre Michel et moi« , page 295…


Et Mathieu Lindon de poursuivre :

« Au plus fort de mon affection pour Michel vivant,

j’avais espéré _ Mathieu avait entre vingt-trois et vingt-neuf ans : désirer (et aimer) être aimé est un trait de cet âge ; aimer s’apprend un peu mieux un peu plus tard… _ que,

lorsque j’aurais son âge,

il y aurait quelqu’un de l’âge que j’avais alors

pour m’aimer _ devenu âgé… _ autant

et m’être aussi dévoué

que moi _ en pleine jeunesse (d’état civil, au moins), alors _ envers lui.

Mais c’était une imagination _ voilà : un fantasme _ qui se projetait dans un si lointain avenir

que jamais je ne l’ai attendu pour de bon, comme une réalité.

C’était _ à l’imparfait d’un passé bien passé désormais…  _ surtout une manière de me complaire _ un peu égocentriquement… _ dans ma relation avec Michel,

de me repaître _ assez naïvement : mais c’est déjà une forme de force, en cet âge un peu neuf… _ de sa qualité _ qui n’est pas rien ! _,

une masturbation sentimentale _ voilà ! Mathieu Lindon est toujours d’une parfaite probité : lumineuse aussi pour nous qui le lisons…

Si bien que,

lorsque je me rends compte _ aujourd’hui ; ou du moins cette première nuit de « fin 2004«  alors évoquée, pages 295-296 _ de mon différentiel d’âge précis avec Corentin,

en réalité _ cette fois : voilà ! _,

ça ne m’évoque pas du tout Michel et moi :

il y aurait trop de prétention _ subjective _

et trop peu de vraisemblance _ objective _

à ce que je puisse m’identifier à lui,

ne serait-ce que sur ce point.

Ça m’apparaît plutôt comme une coïncidence,

une anecdote _ voilà : de pure conjoncture, ou quasi : rien de vraiment « historique«  !.. _

qui fait d’autant moins sens

que j’ignore _ à cet instant-là, de 2004… _ quel sera le futur de mon lien _ déjà… _ avec Corentin

avec qui je suis seulement en train _ ce jour de « fin 2004« , donc ! _ de passer une mémorable nuit,

même si j’ai tout de suite _ c’est à relever… _ l’impression

que ça débouchera _ dans la durée : seule vraiment significative (de quelque chose comme une profondeur, un relief de « vérité« )… _ sur autre chose _ de marquant : « vraiment«  !

Mais ce qui m’habite _ immédiatement et fort ! _ implicitement _ voilà… _

est que la différence d’âge _ factuelle _

n’a aucune influence _ dynamique _ néfaste,

qu’il n’y a pas _ comme la pression de la doxa y entraînerait… _ à la redouter.

Je suis confiant _ donc : voilà ! _ dans une telle relation,

je sais _ d’ores et déjà, sur le champ : par l’amer (et boussole) de la « relation«  d’« intimité«  vécue (« sentie et expérimentée« , dirait un Spinoza) avec Michel Foucault… _ que ça fonctionne.

Telle est une des leçons _ formidablement encourageante ! _ que j’ai retenues de Michel,

de Michel et de moi en fait _ en la « tension«  si chaleureuse et forte, puissante, de l’« intime«  : qui est une relation vectorielle… Cf ce qu’en analyse superbement l’excellent Michaël Foessel in La Privation de l’intime _,

et qui m’est même devenue si naturelle _ = consubstantielle de l’identité acquise en se formant peu à peu mais ferme désormais ainsi ! _

qu’il me faut la distance _ de regard (creuseur de « relief« ) _ de l’écriture

pour prendre conscience que j’aurais pu penser autrement« , page 296…

L’année suivante _ fin 2005, ou début 2006, et lors d’un voyage « de vacances à l’étranger » en compagnie de Corentin (page 296) _,

Mathieu manque mourir ;

et sa « survie«  _ grâce à une opération chirurgicale pratiquée très vite sur place… _

est « miraculeuse«  (page 298) :

« Je sors euphorique _ voilà ce qu’il conclut ! _ de ce voyage

 où j’ai gagné _ par aufhebung de ce qui a été « éprouvé », « dépassé« , « surmonté«  et « acquis«  désormais dans le détail de l’épreuve soufferte partagée… _ avec Corentin

une intimité plus forte

que celle que même le plus violent acide _ Mathieu Lindon se souvient ici d’un épisode particulièrement dramatique de la dernière année « rue de Vaugirard » de Michel Foucault : le détail de l’épisode (et de ce qu’il a apporté à la qualité de relation d’« intimité«  – complicité entre Michel Foucault et lui-même) est narré avec une belle précision et une émotion rare aux pages 129 à 143 _ peut offrir« 

Cette « intimité » « forte » _ et « vraie » ! _,

c’est

celle de l’amour « vrai » _ voilà ! Une force (« intégrée«  maintenant) pour la vie…

Mathieu l’évoque ainsi aussi, à nouveau, encore,

pour un autre de ses amours forts, Rachid _ l’écrivain Rachid O., qui vit à Marrakech… _ :

« une peur me lie à lui

depuis toujours,

une peur qui est l’amour« , page 305…

Et il poursuit :

« C’était pareil pour mon père

et Michel,

ça l’est aussi pour Corentin

et Gérard _ ami intime depuis 1978… _ :

la crainte _ la terreur _ de ne pas pouvoir _ par quelque faiblesse aussi de soi… _ empêcher

que le malheur s’attaque  _ à le détruire ! _ à l’être aimé« 

Et de commenter :

« Comme si je ne profitais pas

de _ la chance de _ ne pas être le père _ voilà la relation la plus difficile (tendue, « braquée« ) du point de vue de Mathieu… _

de ceux que j’aime,

de n’être pour rien, physiologiquement parlant, dans leur existence,

et que j’intégrais _ toxiquement, en quelque sorte _ malgré moi le mauvais côté _ trop pesant et mal sévère _ de la paternité,

une responsabilité qui braque _ voilà ! _

qui angoisse

et dénature _ l’intimité…

Il me faut _ tel l’enfant, mais pas vis-à-vis de ses parents _ l’aide _ amicale, amoureuse _ de l’autre _ ami, amour… _

pour _ en cette situation de faiblesse de l’« angoisse«  _ m’en tirer« , page 305…

« En tant que jeune

ou en tant que vieux,

entre deux êtres

que sépare une importante différence d’âge

_ et dont Mathieu se trouve être l’un de ces deux-là _,

c’est _ ainsi… _ toujours _ à chaque fois… _ moi

qu’on _ c’est-à-dire l’autre (que moi)… _ enseigne

_ et qui me trouve ainsi « enseigné« 

Je suis le héros _ en gestation indéfiniment : tel un fils à perpétuité… _ d’un roman d’apprentissage perpétuel,

de rééducation _ inquiète _ permanente« , page 306…

« Rachid et Corentin _ les plus jeunes amours de Mathieu _,

je perçois leur clairvoyance efficace

comme un lien générationnel

car c’est la norme que le plus jeune comprenne que tel comportement n’est pas justifié par la morale

mais par les obsessions et caractéristiques des plus âgés,

et se sente tenu (ou non) de faire avec,

protégeant ses aînés

comme j’ai eu cent fois le sentiment de le faire.

(Mais)

Je n’étais _ moi-même, alors, à leur âge de maintenant _ pas ainsi _ par moins de « clairvoyance efficace«  qu’eux deux… _ avec Michel.

J’aurais voulu qu’il _ Michel _ connaisse _ maintenant ! _ Rachid et Corentin

aussi pour les aider _ eux, comme Michel a aidé Mathieu de sa merveilleuse attention et délicatesse (d’ange ?) au temps de la « rue de Vaugirard«  _,

qu’il _ Michel toujours vivant, ou ressuscité ! _ fasse mieux que moi

_ mieux que moi, aujourd’hui, avec eux ; mieux que, autrefois, moi avec lui ;

et que lui (toujours vivant ; ou comme ressuscité d’entre les morts…) fasse encore aujourd’hui avec eux, aussi (et surtout), comme il fit (si merveilleusement) alors autrefois avec et pour moi :

Mathieu, peu narcissique, est infiniment profondément humble et modeste ; inquiet de ceux qu’il aime ;

et généreux !..

Bien sûr qu’il ne suffi pas d’avoir vieilli

pour être comme lui _ Michel Foucault avait cinquante-sept ans à la survenue de sa mort…

Et pourtant,

j’ai le sentiment que

Rachid et Corentin

et même moi

sommes dans la droite ligne de l’enseignement _ du « travail sur soi« _ qu’on peut tirer de L’Usage des plaisirs et du Souci de soi,

les deux livres parus quelques jours avant la mort de Michel

et sur lesquels il a tant travaillé,

Corentin les ayant lus

et Rachid sans.

J’aime la façon dont l’un et l’autre m’écoute

quand je parviens _ = réussis un peu mieux… _ à leur parler de lui.

J’aurais voulu être capable de répéter _ et faire rayonner _ l’enseignement de Michel,

j’ai été atterré de croire ça au-dessus de mes forces,

et c’est comme si une part de cet enseignement _ cependant, et en dépit des obstacles divers, dont l’humilité quasi janséniste de Mathieu _ se répétait de soi-même, mécaniquement _ presque sans Mathieu, en quelque sorte, donc… _,

de même que Michel m’a souvent laissé penser que, dans une psychanalyse, la qualité de l’analyste était secondaire par rapport au processus même.

Michel et mon père

m’ont

chacun

transmis _ très effectivement, les deux… _

une façon d’aimer, non ?

Chacun

deux _ même ! _ :

il y a la manière dont on aime

et celle _ aussi _ dont on est aimé«  _ transmises toutes deux _, page 307.

Sur cette comparaison

des deux rapports (intimes)

à l’ami-amour Michel Foucault, d’une part,

et au père Jérôme Lindon, d’autre part,

cette réflexion-ci, page 308 :

« Personne que moi

ne me demande d’être fidèle à Michel ;

alors que, mon père,

ne pas en déshonorer le nom

est mon affaire publique.

A dix, vingt, quarante-cinq ou cinquante-cinq ans,

j’ai toujours été fils,

tandis que Michel

n’aurait jamais été cet ami

pour un gamin de huit ans _ alors qu’il le fut pour le jeune homme de vingt-trois ans, en 1978…

Or telle est la paternité _ en sa noble pesanteur _ :

avoir déjà aimé l’enfant _ avant d’aimer l’adulte qu’il devient et sera devenu _,

l’avoir eu à sa merci _ d’éducateur viril sévère

surplombant…

En vis-à-vis de _ et opposition à… _ ce rôle paternel-là

(qui fut celui de Jérôme Lindon),

Mathieu Lindon de citer ce mot de (l’ami de l’âge adulte _ et des amours…) Michel Foucault

en son Usage des plaisirs:

« Que vaudrait l’acharnement du savoir

s’il ne devait assurer _ un objectif peut-être étroit _ que

l’acquisition _ capitalisée _ des connaissances

et non pas,

d’une certaine façon et autant que faire se peut,

l’égarement _ rien moins ! celui du questionnement éperdu de la recherche même (créative…) _

de celui _ sujet cherchant et créateur fécond, jouant… _ qui _ activement _ connaît ?

Il y a des moments dans la vie

où la question de savoir si on peut _ en terme de possibilité, mais plus encore de puissance ! _ penser autrement

qu’on ne pense

et percevoir autrement

qu’on ne voit

est indispensable

pour continuer _ seulement : cela ne pouvant pas être seulement répétitif ou mécanique… _

à regarder _ c’est une action aventureuse ! _

ou à réfléchir«  _ itou ! « vraiment«  !


Et de le commenter ainsi,

toujours page 308 :

« Penser autrement,

c’était aussi _ pour Michel Foucault, donc : ce vivant ! _,

en plus de ces moments _ ludiques et sérieux à la fois ! _ passés avec nous _ au premier chef desquels, en effet, Mathieu Lindon et Hervé Guibert, en leur âge de jeunes chiens fous… _,

ce qu’il cherchait

dans l’acide« 

_ et qui demeure encore étonnant (et détonant !)

pour le lecteur bien candide que je continue, à mon âge, d’être…

Mais, de fait :

« Vivre, c’est vivre autrement« , page 309 _ aventureusement et « vraiment«  : « en vérité«  et « relief«  !..

Aussi devons-nous convenir avec l’auteur

de cet intense, probe et généreux (et élégant ! en son extrême délicatesse du penser-méditer-se souvenir…) Ce qu’aimer veut dire,

que

« le legs _ non paternel, lui ; mais amoureusement amical, disons… _ de Michel,

c’est cette possibilité de créer _ ouvrir… _ des relations

_ avec d’autres humains « vrais«  : amoureuses et/ou amicales… _

inimaginables _ au départ : elles vont s’ouvrir, voilà !, pour fleurir considérablement… _

et de les cumuler _ en constellations ouvertes immensément fertiles… _

sans que la simultanéité _ ressentie et menée polyphoniquement, en quelque sorte… _ soit _ pour un tel sujet : formidablement courageux et généreux ! _ un problème« 

Avec ce commentaire pour soi, alors, de Mathieu, page 309 encore :

« D’un côté,

rien ne m’émeut autant que la fidélité _ amoureuse _ ;

d’un autre,

elle me paraît _ mais s’agit-il tout à fait de la même ?.. _ une immorale paresse

_ à mener une pluralité de liens forts et « vrais« , chacun, en sa vie affective pleine, ainsi de front

Michel s’amusait que les mil e tre partenaires

qui rendaient si monstrueux _ en effet ! _ Don Juan _ aimait-il ?.. _

étaient atteints par n’importe quel pédé sortant tous les soirs« 

_ quid de la qualité de l’« aimer« 

d’un « faire du chiffre« , cependant ?..

« Sortir«  et rencontrer ainsi suffit-il pour « aimer » « vraiment«  ? Voilà ce que, lecteur, je me demande…

Dans cette optique-là,

« il  m’arrive _ commente alors, pour lui, Mathieu Lindon _ de trouver l’exigence de fidélité sexuelle

une honte«  _ telle une lâcheté ! _ : dont acte ;

même si cela continue de demeurer quelque peu du chinois

pour le lecteur se le recevant que je suis…

C’est peut-être que l’absolu de l’amour (« vrai« , tout au moins…)

est, lui aussi,

et forcément sans doute,

en son « relief » si on le vit jusqu’au bout,

oxymorique !

Bravo l’artiste !

Ce qu’aimer veut dire est un très

très beau livre

« vrai » !

Titus Curiosus, le 14 janvier 2011

Post-scriptum :

Je m’avise a posteriori de la très grande pertinence de la « quatrième de couverture« _ en fait la reprise pure et simple d’un alinéa-clé (in extenso et sans modification aucune) de l’ouverture (« Les larmes aux yeux« , pages 9 à 26) du livre, à la page 15… _,

et en soi-même, d’abord _ magnifiquement synthétiquement ! de la part de l’auteur du livre _,

et, ensuite, en guise de « confirmation« , en quelque sorte,

des toutes simples « pistes de lecture » de mon commentaire

de ce très sensible Ce qu’aimer veut dire :

« En vérité _ oui ! _, la proximité la plus grande _ voilà ! toutes « proximités«  (d’« intimité«  inter-personnelle) aboutées et comparées… _ que j’ai eue _ = vécue ! _ fut avec Michel Foucault ; et mon père _ ici le contre-modèle : évidemment familier, par prégnance première (et basique) du familial… _ n’y était pour rien. Je l’ai connu six ans durant, jusqu’à sa mort, intensément _ le terme, appliqué à cette « connaissance«  (inter-personnelle) -ci, est très parlant : c’est cette « intensité« -là qui se hisse au-dessus de la simple rhapsodie des moments vécus ; et accède à une dimension (« transcendante« , si l’on veut) d’« éternité« , pour emprunter le vocabulaire (oxymorique : comment faire autrement ? pour désigner le « moins ordinaire« , mais « plus réel«  que le réel coutumier de l’« écume des jours« …) d’un Spinoza _, et j’ai vécu _ pas seulement « logé«  _ une petite année dans son appartement _ d’un huitième étage luxueusement vaste et immensément lumineux « rue de Vaugirard« 

Je vois aujourd’hui _ rétrospectivement et travaux de deuil aidant : par la méditation de l’écriture de ce livre-ci même… _ cette période comme celle qui a changé ma vie, l’embranchement _ voilà : la rencontre, sinon la « visitation« , de l’ange ! _ par lequel j’ai quitté un destin _ familialement un peu trop (lourdement : un rien suffit à faire pencher la balance) tracé… _ qui m’amenait dans le précipice _ d’une annihilation…

Je suis reconnaissant dans le vague _ sic _ à Michel, je ne sais pas exactement de quoi _ j’ai proposé le terme d’« amer » afin de « se repérer« « orienter«  si peu que ce soit dans l’un peu trop uniforme plaine (liquide) des flots océaniques des rapports humains… ; et l’écriture de ce livre a eu, parmi ses fonctions, d’éclairer ce « quoi« -là un peu mieux, pour Mathieu Lindon… _, d’une vie meilleure _ soit la finalité de toute philosophie comme « exercice spirituel« , aurait pu dire un Pierre Hadot : mais Mathieu Lindon ne se veut décidément pas « philosophe«  La reconnaissance _ voilà ! _ est un sentiment trop doux _ lénifiant ? jusqu’à l’écœurement ? seulement pour un porteur d’une un peu trop forte dose de masochisme ?.. et pour le fils d’un père (grand !) éditeur et ami très proche, par exemple, d’un génie tel que Samuel Beckett, aussi, parmi d’autres très grands écrivains qui ont été les « contemporains«  (et édités) de ce père : la contemporanéité m’apparaissant comme un des objets de méditation de ce livre-ci de Mathieu Lindon… _ à porter : il faut s’en débarrasser _ l’objectiver ! _ et un livre est le seul moyen honorable _ parfaitement à découvert et public _, le seul compromettant _ comme si seul le risque (ici celui du jugement du sublime tribunal de la littérature !) encouru et affronté validait « vraiment » l’« expérience« … A la façon de l’« épreuve«  de la corne du taureau pour le torero en la préface par Michel Leiris de L’Âge d’homme

Quelle que soit la valeur particulière de plusieurs protagonistes de mon histoire, c’est la même chose pour chacun dans toute civilisation : l’amour _ voilà _ qu’un père fait peser _ voilà ! via l’« Idéal du Moi » et le « SurMoi«  : surtout à pareille hauteur de « sublime » (via, ici, donc, la littérature, l’écriture : pour l’éditeur insigne qu’était Jérôme Lindon !)… _ sur son fils, le fils doit attendre _ eh ! oui ! _ que quelqu’un _ hors cercle de la famille _ ait _ et cela ne court pas forcément la rue _ le pouvoir _ d’un peu de biais _ de le lui montrer _ = faire voir, enseigner _ autrement _ voilà : avec la grâce, non fonctionnelle (ni a fortiori didactique), d’un minimum de « surprise » et de « gratuité«  : un « don«  gracieux (voire angélique !) à apprendre à « recevoir«  : tel ce qui est donné en une amitié et un amour « vrais«  _ pour qu’il puisse enfin saisir _ c’est toujours un peu tardif ; et rétrospectif (et chronophage), l’« expérience » (adulte)… : surtout mâtiné de « poétique« , comme, tout spécialement, ici… _ en quoi il consistait _ cet « amour«  (du père pour son fils)…

Il faut du temps _ mais oui ! à « passer » et « donner » (et aussi « perdre« ) ! ainsi que la chance de soi-même durer un peu longtemps… _ pour comprendre _ enfin et peut-être _ ce qu’aimer _ et cela en la variété plurielle (mais non innombrable, non plus) de ses formes : pas seulement paternellement et filialement, donc… _ veut dire«  _ voilà !..

Encore bravo !

et merci !

à Mathieu Lindon

pour ce si beau « s’exposer« 

en cette écriture au récit un peu tranquillisé _ = surmonté, mais sans didactisme : gracieux ! _

de telles cruciales _ formatrices… _ épreuves

par blessures de la vie…

De Mathieu Lindon,

je lis maintenant

Je t’aime _ Récits critiques,

publié aux Éditions de Minuit en mars 1993…

Jubilation de la déprise du cinéma d’Abbas Kiarostami : la question de l’amour du couple de « Copie conforme » ; et la profonde synthèse de la « lecture » de Frédéric Sabouraud en son « Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité »

23mai

Sur le film _ sublime ! _ d’Abbas Kiarostami Copie conforme

et l’essai de Frédéric Sabouraud : Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité

Il y a déjà quelque temps que me faisait signe l’œuvre de cinéma d’Abbas Kiarostami.

Une première fois, à travers un courriel de Marie-José Mondzain :

je m’étais alors procuré Où est la maison de mon ami ?, le DVD (aux Films du paradoxe) de l’opus d’Abbas Kiarostami , en 1987 ;

ainsi que ces initiations que sont le Abbas Kiarostami d’Alain Bergala (publié par les Cahiers du Cinéma/les petits cahiers/scérén-CNDP, en 2004)

et le Kiarostami _ le réel, face et pile de Youssef Ishaghpour (aux Éditions Farago, en 2001)…

La seconde fois,

ce fut la rencontre d’Alain Bergala himself (et le plaisir d’une longue conversation) à Aix-en-Provence, pour le vernissage de l’expo Plossu/Cinéma le 23 janvier dernier à la galerie La NonMaison ; cf mon article du 27 janvier : « L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre “Plossu Cinéma”« …

C’est la sortie du film « Copie conforme« , avec Juliette Binoche et William Shimell, qui m’a fait franchir allègrement le pas :

non seulement je suis allé regarder deux fois, à ce jour, le film (mercredi et vendredi derniers _ plus une troisième, ce vendredi 28 mai : avec encore plus de plaisir, tant le film porte de richesses !) ;

mais je viens de lire l’essai de Frédéric Sabouraud Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité, qui vient tout juste de paraître aux Éditions Universitaires de Rennes : une analyse fouillée et passionnante d’un artiste aussi original que radical en sa démarche et en sa probité !..

Copie conforme m’a littéralement émerveillé !

Cf ce mail (jeudi 20 mai) à Marie-José Mondzain qui connaît personnellement Abbas Kiarostami (qu’elle a rencontré aussi à Téhéran) :

De :  Titus Curiosus

Objet : « Copie conforme » d’Abbas Kiarostami
Date : 20 mai 2010 19:10:32 HAEC
À :   Marie-José Mondzain


Je suis allé voir hier « Copie conforme« , suite (et quasi tout de suite : le temps de déjeuner rapidement) à la présentation
qui en était faite sur France-Culture, avec Abbas Kiarostami,
Juliette Binoche et William Shimell.

J’ai beaucoup aimé l’humanité _ à la fois simple (= franche : vraie) et subtile (respectueuse de la complexité) _ de ce film,
il y a assez longtemps que je n’avais contemplé pareil regard sur les humains…


Je sais, Marie-José, que vous connaissez et appréciez le cinéaste.

J’ai l’intention aussi d’aller revoir le film
pour pénétrer _ mieux regarder _ un peu plus (et mieux) l’humour tendre qu’il comporte
sur notre humaine complexité (nos nœuds de désirs ; ou d’amour).


Il y a si peu de « regards » « humains », ces derniers temps qui courent…

Il se trouve, aussi, que je connais un peu cette région du sud de la Toscane _ ainsi Cortone et Arezzo, sinon Lucignano… _,
où j’avais séjourné une semaine _ nous rayonnions à partir de Cetona, près de Chiusi _ avec ma femme, notre fille aînée et un couple d’amis en 1979 : déjà !..
L’autre semaine, nous l’avions passée à (et autour de) Florence.

Bien à vous,

Titus

Après une seconde vision _ mais j’y reviendrai encore _ de Copie conforme,

je confirme découvrir là _ même si c’est tardivement _ un cinéaste du talent (ou génie) d’un Antonioni et d’un Rossellini ;

ou d’un Faulkner, d’un Joyce, d’une Virginia Woolf,

et d’un Thomas Bernhard ;

ou, un peu plus proches maintenant de nous _ ils sont toujours vivants et créatifs _ : d’un Lobo Antunes, ou d’un Imre Kertész ;

ou encore d’un Francis Bacon ou d’un Lucian Freud ;

ou en musique d’un Bartok :

soient des artistes et auteurs terriblement « vrais« 

qui nous obligent,

chacun en sa spécificité éminemment singulière,

à aborder le « réel » humain dans les détours délicieux et poignants de sa richesse éminemment complexe ;

en demandant sans cesse au lecteur, qui entre, avec eux, dans leur regard et leur phrasé

de méditer activement sur le jeu (presque pervers _ on ne peut pas faire autrement… _) de perspectives des « points de vue« , des regards se croisant _ jusques et y compris leurs aveuglements…

Cet écorché vif, lui aussi, qu’est Abbas Kiarostami, a une vision assez _ l’optimisme de la Théodicée en moins ! _ leibnizienne, à propos de monades (« sans portes ni fenêtres« ) ne parvenant jamais à coïncider véritablement _ alors copuler ! s’unir (ou ré-unir) à un autre en « composant«  avec cet autre ses propres « regards«  !..

Ici le regard (et le discours) de la protagoniste, « elle« , ne parvient pas vraiment à susciter le plein accord (« convaincre » est le terme que l’un et l’autre emploient ! du moins au début _ « elle » dit même, une fois, « prêcher » !..)

de son partenaire (l’écrivain britannique James Miller : « lui« ) de promenade (en voiture, d’abord _ sortir de la ville, demande-t-il _ et puis à pied : dans la petite bourgade médiévale de Lucignano : « spécialisée » dans les cérémonies de mariage)

et (partenaire de) conversation _ et beaucoup, beaucoup plus et mieux « si affinités« , qu’ils ne disent (certes !) pas, eux… : ni en français, ni en anglais, ni en italien, les trois langues qu’ils utilisent tour à tour : d’abord quasi exclusivement l’anglais (sa langue à « lui« ) ; puis les trois langues ; et, en les dernières séquences du film, quasi exclusivement en français (sa langue à « elle« ) : les axes de perspective se sont déplacés (c’est par ce presque imperceptible clinamen-là, infiniment doux et tranquille, que sublimement « joue« , cinématographiquement, la bouleversante extrême finesse du film !..)… _ ;

de même qu’elle échoue _ peut-être ! : le film s’interrompt juste (= une heure) avant… _ à lui faire renoncer à sa décision annoncée dès le départ, en fin de matinée (« elle » ne déjeunera pas avec sa sœur, prévient-elle celle-ci en prenant la voiture…), de la balade (d’Arezzo _ où « elle » dit (à un autre moment du film ; à la tenancière du petit café de Lucignano) résider : « depuis cinq ans« … ; et (probablement) « lui«  a été hébergé (en un local de l’université _ une faculté de Lettres est installée à Arezzo depuis 1969, en annexe à l’Université de Sienne _) ; et a passé la nuit (avec « elle« , dit-« elle« , « elle« , vers la fin…) ; « elle » dont le magasin d’antiquités (ou « galerie d’art« ) se trouve, dit-il « lui« , « à deux pas de l’université«  _)

de même qu’elle échoue _ peut-être, seulement : le film s’interrompant une heure (sur les coups de huit heures sonnant au clocher) avant (le train « à prendre«  de James) : ensuite, c’est la nuit qui (en accéléré) tombe sur Lucignano durant le déroulé du générique de fin : nous n’y prêtons peut-être pas assez attention, comme si le film était déjà terminé !.. _ à lui faire renoncer à sa décision

annoncée dès le départ de la balade, en fin de matinée,

de reprendre un train, à 21 heures : pour quelque obligation professionnelle ou autre, probablement ;

mais sans amertume d’aucun des deux, au final (du film) : ce point est capital _ la lumière en étant probablement l’élément déterminant, eu égard (de la part du cinéaste) à notre « réception » (de « spectateurs«  du film) de l’« état«  d’arrivée des personnages…

Si le théâtre de Marivaux concerne les inquiétudes vibrionnantes de la « naissance » _ quasi torturée : torturante du moins… _ de l’amour (quant à, d’abord, « sa vérité« ),

ce que l’on peut qualifier de « la dramatique » de Kiarostami _ cf déjà Le Rapport, en 1977 : le seul film de Kiarostami consacré, jusqu’à celui-ci en 2010, au couple (c’était au moment de sa séparation d’avec sa femme, nous apprend Frédéric Sabouraud en son passionnant Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité…) _

concerne la « poursuite » (ou pas) de la « relation » (amoureuse) ; voire l’éventualité (ou pas) de sa « re-prise«  si interruption de la « relation » il y a eu (cf les comédies dites du « remariage » : mais Kiarostami déteste que le film repose sur l’épine dorsale d’une « histoire« …) ;

en fait, et plus précisément,

elle concerne non pas le fait lui-même, mais les modalités _ qualitatives : à ressentir, éprouver, par nous « spectateurs« , à la suite des émotions des « personnages«  saisies frontalement (via l’incarnation des « acteurs« ) par la caméra de Kiarostami et exposées plein écran en leur sublime infinitésimalité _ chatoyantes (et blessées : jusqu’à une larme qui vient à couler, vers le premier quart ou tiers du film, quand prenant un café _ un « caffè lungo » pour « lui« , un « cappuccino » pour « elle«  _ pour la première fois ils se parlent en demeurant (assis qu’ils sont) face à face _ cela va continuer un peu plus tard : au restaurant « Da Toto« , vers cinq heures ; puis, plus tard encore, vers les sept heures, à la « pensione« , mais pas assis sur des chaises alors, dans la chambre _ dans le tout petit café de Lucignano ; lors de l’évocation, par « lui« , de leur « situation » alors (ainsi que de ce qui s’est passé, du côté de la Piazza della Signoria), à Florence, cinq ans auparavant… : le récit _ de « lui« _ comme la larme _ d’« elle«  : pour une sensation de « déjà vu« , dit-elle _ adviennent dans le tout petit café de Lucignano…)

elle concerne les modalités chatoyantes et blessées, et toujours à vif,

de la « poursuite » de la « relation » amoureuse ;

avec la tension, complexe et toujours mouvante (vivante !), des infra-mouvements d' »approche » de la « présence » et des infra-mouvements de « retrait » de l' »éloignement« , sinon de l' »absence«  totale _ niée par eux deux en une telle « extrémité«  : ils ne seraient pas là (comme le seraient deux étrangers) en train de continuer, continuer, continuer à converser… _, en regard, et en fait, de l’autre (= la tension propre de l’intimité) : un « battement » délicatement clignotant _ parfois sinusoïdalement _, avec ses intermittences d’intensité ; peu prévisible, car en rien mécanique !.. ;

modalités telles qu’elles sont appréhendées (exprimées _ par chacun, à son tour _ et plus encore reçues _ de l’autre ! et par l’autre… _ par les deux protagonistes : la caméra les saisit (en le paysage _ magnifiquement vivant et changeant : mouvant (cf la formulation si juste de Arnaud Hée : en son article de critikat.com…) _ de leur visage, surtout ! et son évolution ! _ le sien à « lui« , silencieusement ravagé (c’est un jour qu’il ne s’est pas rasé, de plus…), dans le miroir (ou faut-il dire « la glace » ?) du cabinet de toilette attenant à la « chambre nuptiale«  de Lucignano, est proprement bouleversant ! sans rien dire de la merveille d’« humanité«  de son sourire à « elle« , étendue quasi chastement sur le lit, juste à côté, et si proche en cette distance : dans les deux séquences _ prodigieuses ! d’« humanité« , donc… _ d’aboutissement du film… _)

la caméra les saisit

_ je reviens aux séquences qui précède les scènes (« anniversaire«  !..) à la « pensione«  nuptiale… : c’était là la surprise qu’« elle » « lui » a promis (« quelque chose qui va t’intéresser !« ), de manière on ne peut plus improvisée, cependant (en un éclair !) au départ d’Arezzo de leur balade dominicale en voiture : et « il«  s’y est livré, se laissant conduire par « elle« _

  • Juliette Binoche et William Shimell  dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

la caméra les saisit

presque exclusivement frontalement : tels deux monologues (et visages : face à face) dans lesquels, nous spectateurs du film, sommes  placés, à notre tour _ tel est le dispositif principal décisif (en abyme jubilatoire ! pour qui en accepte, du moins, le vertige !) du cinéma de Kiarostami ! _ dans la situation du récepteur ! _ « regardeur«  et « écouteur«  actif/passif de l’autre _ prenant, à notre tour, « tout » de plein fouet (= sans pouvoir nous y soustraire), au rythme des circonstances survenant : en leur « échange » de « face à face » _ particulièrement quand ils sont assis sur des chaises et se regardent et se parlent par dessus l’espace d’une table : dans le petit café ou dans la salle de restaurant (désertée de clients à cinq heures : alors qu’on se presse au jardin…).

Ce qu’Alain Bergala nomme un « agencement« …

Face à l’altérité-objet en mouvement (du visage de l’autre _ davantage que de son corps entier : assis, le corps est comme contraint, lui, à l’immobilité) qui se déploie sous _ et pour _ notre regard _ ainsi sollicité ! lui aussi ! : il y participe… _ et cependant en partie aussi nous échappe : en son énigme (fondamentale !)

Le cinéma de Kiarostami,

rappelant ici le plus « grand » de celui d’un Bergman _ Le Silence, Le Visage, Une Passion, Cris et chuchotements _

ou d’un Antonioni _ Le Cri, la trilogie de L’Avventura, La Notte, L’Eclisse, ou Identificazione di une donna et Al di là delle nuvole _,

est de ceux qui vont le plus avant (et loin ! vers le fond !)

dans la monstration

_ à l’image-en-mouvement qu’est l’art cinématographique : un des mediums de Kiarostami ; cf aussi la photo (par exemple Pluie et vent, paru en octobre 2008 aux Éditions Gallimard, avec une préface de Christian Boltanski) ; le poème (par exemple Un Loup aux aguets, ou Havres : le premier recueil traduit du persan par Nahal Tajadod & Jean-Claude Carrière, paru aux Éditions La Table ronde en octobre 2008 aussi ; et le second traduit par Tayebeh Hashemi & Jean-Restom Nasser, paru aux Éditions Eres ce mois de juin 2010) ; ou aussi diverses « installations«  _

des abymes vertigineux _ pardon du pléonasme ! _ de l' »humain » (amoureux ici),

à travers les « paysages » des visages…

En une sorte d’exploration sur un mode cinématographique de ce que la démarche de questionnement et méditation philosophiques d’un Vladimir Jankélévitch ou un Emmanuel Lévinas,

a pu, par eux, nous donner

à commencer à déchiffrer…

Dans son opus précédent, Shirin (1h 32),

critique  du film Shirin, réalisé par Abbas Kiarostami

© MK2 Diffusion

Kiarostami a filmé rien que les visages _ « paysages« , selon la magnifiquement pertinente expression d’Arnaud Hée en son bel article « Shirin : pays(vi)sages«  _ des spectatrices d’un film censées assister (et réagir _ = ressentir !) à la projection d’un film sur un écran en une salle de cinéma, à Téhéran :

« en contrepoint de la bande sonore d’un poème de Nezami Ganjavi, « Khosrow e Shirin » (1175), adapté par Mohammad Rahmanian (source Jonathan Rosenbaum, 31 août 2008)« , est-il indiqué page 309 de l’essai de Frédéric Sabouraud…

Mais « il _ Abbas Kiarostami _ a « avoué » après coup qu’elles étaient seules devant une feuille blanche

et qu’il leur avait demandé de penser à un épisode de leur vie qui les avait bouleversées…

« Voulez-vous dire que l’on n’est jamais bouleversé que par sa propre histoire? »

Il a répondu : « oui, je le pense » »…

A propos du tournage du Goût de la cerise (le film est sorti en 1997),

Kiarostami, page 88, « affirme à propos du tournage qu’aucun des acteurs n’a rencontré son partenaire«  (…) « C’est essentiellement lui, Kiarostami, qui donnait la réplique à l’un, avant de tourner plus tard avec l’autre en jouant une partie des dialogues.

Ce qui était au départ une contrainte de calendrier des acteurs

est devenu _ voilà ! _ une forme stylistique

qui a permis à Kiarostami de faire de la direction d’acteurs en direct (en imposant un rythme, un ton ; et aussi en intégrant _ à l’improviste _ des dialogues non prévus, par exemple).

Ce dispositif _ voilà ! ou « agencement«  _ accroît la sensation d’altérité _ c’est un point essentiel ! « altérité«  à découvrir et explorer = connaître et apprendre à aimer (et non pas fuir, ou tuer) ! _ que le découpage instaure _ de fait : au ciseau ! le montage (très remarquable ! en sa puissance de « retenue« …) est ici de Bahman Kiarostami _ entre les personnages, de par un léger décalage de jeu _ oui, oui : cela peut se ressentir aussi (légèrement) ici dans la séquence cruciale du repas à Lucignano, vers les cinq heures, à l’osteria « Da Toto«  _ entre les comédiens lié au fait qu’ils n’ont quasiment jamais joué l’un avec l’autre« , peut-on lire page 88, donc, de l’essai très éclairant de Frédéric Sabouraud, à propos du Goût de la cerise, alors, en 1997… _ on en mesure là le degré de qualité de regard de l’analyste !

Copie conforme n’était pas encore tourné lors de la rédaction de l’Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité de Frédéric Sabouraud ; ce devait être le comédien François Cluzet (Sami Frey fut aussi un moment pressenti _ et même Robert de Niro…) qui interprète l’écrivain, James Miller ; alors que ce fut le chanteur (d’opéra) William Shimell, l’été 2009…

La « vérité » de l’émotion du personnage interprété par l’acteur et que saisit la caméra du réalisateur

peut aussi passer _ pour « exister«  à l’écran pour le spectateur du film… _

par une certaine cruauté du réalisateur au tournage

afin de l’obtenir au mieux (!), sur le champ, de l’acteur-interprète…

Ainsi, aux pages 123-124 , Frédéric Sabouraud narre-t-il

comment Abbas Kiarostami a obtenu

(afin d' »atteindre cette justesse du jeu qui tourne chez lui à l’obsession« , page 123 :

« un film doit s’approcher, y compris et surtout dans sa logique de reconstitution, au plus près de la vérité qui est « l’essence même de l’art » », page 123 ;

« à condition pour le metteur en scène d’être doté d’une forme de perversion bien spécifique qui consiste à mettre les gens qu’on filme « en condition » pour « jouer vrai » », page 123 ;

« y compris en recourant parfois à des dispositifs fondés sur la cruauté et la souffrance« , page 123)

Frédéric Sabouraud narre alors, donc,

comment Abbas Kiarostami a obtenu

l’émotion bouleversante à l’écran de son petit interprète :

« L’exemple des larmes de Mohamed Reza Nematzadeh (interprété par Ahmad Ahmadpur) dans Où est la maison de mon ami ? est le plus connu,

raconté par Kiarostami lui-même avec une certaine candeur.

Celui-ci explique que

pour faire pleurer le jeune garçon,

il a déchiré devant lui une photo à laquelle il tenait beaucoup« , pages 123-124…

… 

Dans quelle mesure ce solipsisme _ définitif, sans remède, peut-être (ou pas)… _ des personnages

est-il issu de ce qu’a pu ressentir Abbas Kiarostami

d’un surcroît de pression sur les personnes de la part du régime politico-théologique iranien, instauré en 1979 ?

ou bien tient-il à la radicale séparation des sexes qui règne en Iran-Perse depuis bien longtemps ?

Ou bien, encore, à quelque idiosyncrasie d’Abbas Kiarostami lui-même,

ainsi qu’à son histoire personnelle (par exemple sa séparation assez douloureuse d’avec la mère de ses deux fils) ?..

Et que dire, encore, de la solitude _ égocentrée : sur du vide… _ des individus

dans le désert marchandisé qui s’émonde dorénavant presque partout sur la planète ?..

A quoi tient donc la grande difficulté, ici, de se comprendre et de s’aimer

en son cinéma ?..

  • Juliette Binoche et William Shimell  dans Copie conforme

© MK2 Diffusion


Notons toutefois qu’ici :

est-ce en partie dû au choix de (la si expressive !) Juliette Binoche (radieuse ! en le refus de son personnage de consentir définitivement à la situation _ d’éloignement, sinon de séparation (définitive) ou d’absence totale et irréversible (de l’aimé) _ qui lui est faite _ par l’autre…) comme interprète de la principale protagoniste (celle qui conduit la voiture, mène le couple des deux personnages, « couple » au moins d’un après-midi _ commençons-nous par penser durant le premier quart du film… _, en balade à la campagne, et tout particulièrement à Lucignano, jusque devant « l’arbre de vie » (d’or) auprès duquel défilent (et se font « immortaliser » en photo) nombre de couples lors des cérémonies de leur mariage _ à la queue-leu-leu ;

et notons bien qu’entre « copie conforme«  (le pluriel de « copia conforme« ) et « coppie conforme«  (le pluriel de « coppia conforme« ), il n’y a que le redoublement d’une lettre !

de même que la propre sœur, Marie, de l’héroïne de ce film (demeurée, « elle« , sans prénom prononcé : ni par son fils, Laurent, ni par James, peut-être son mari ; devant les spectateurs-récepteurs du film que nous sommes), admire le bégaiement de son mari l’appelant « M-M-M-Marie !..«  _, en Toscane) du film ?

ou à celui de la très fine _ elle est analyste ; je l’apprécie tous les jeudi matin, en sa chronique de 7h 25 sur France-Culture _ Caroline Eliacheff _ fille de Françoise Giroud et épouse de Marin Karmitz _ comme co-scénariste (avec Abbas Kiarostami) ?.. ;

notons _ encore _ toutefois

qu’ici, et pour la première fois dans l’œuvre d’Abbas Kiarostami, le « point de vue » dominant _ = l’initiative _ est

(et demeure : s’accentuant même jusqu’à la magnifique séquence mordorée finale _ dans la chambre (nuptiale) et le réduit attenant du cabinet de toilette où « lui«  se rafraîchissant le visage, s’aperçoit et se regarde alors, un moment, sans complaisance aucune, dans le miroir (et il se trouve que ce dimanche à Lucignano est un jour (sur deux !) où il ne s’est pas rasé, car il a décidé il y a bien longtemps de ne se raser qu’un jour sur deux ; et le contraste sur le visage est combien important !) ; c’est sans doute là, ce regard-ci dans le miroir, ce qu’a finalement obtenu (ou « gagné«  !) sa compagne (qui, elle, de temps en temps, consacre un moment à se maquiller et pomponner, de son côté…) : cette qualité d’attention au « chantier«  (continué) de leur « intimité«  (ou amour : ils « tiennent« « vraiment«  l’un à l’autre dans la tension (parfois blessée) de l’« écart«  de leur proximité toujours exacerbée (et pas du tout « refroidie« , elle)… ; le contraire d’une « absence« , donc ; même si « lui«  prendra (peut-être ! mais cela demeure pendant, ouvert, indéterminé quand vient tomber la nuit sur les toits de Lucignano vue, la-dite nuit, depuis, justement, la petite fenêtre du cabinet de toilette attenant à la chambre numéro 9 (de la « nuit de noces«  initiale, il a exactement quinze ans de là : c’est un anniversaire !) de la pensione de Lucignano)


même si « lui«  prendra (peut-être ! ou peut-être pas…) dans une heure un train : il ne faut que trente minutes pour gagner la gare d’Arezzo, distante de vingt kilomètres,

(probablement, même si cela n’est jamais formellement indiqué (ni reconnaissable) à l’image : il semble que ce soit principalement à Cortona, en effet, qu’ont été tournées les séquences de la « ville«  censée « être« , c’est-à-dire « figurant«  pour nous les spectateurs du film, Arezzo : c’est à Cortona que se trouve la boutique de « Capelli e Ombrelli » « Lorenzini« , longée au sortir de la conférence à l’université par « elle«  et son fils, Laurent, qui la suit, à distance…)

il ne faut que trente minutes pour gagner la gare d’Arezzo, distante de vingt kilomètres

de Lucignano, avions-nous appris au départ de la balade vers Lucignano… _ l’éloignant « lui« , peut-être, ou peut-être pas, sinon de la Toscane (pour la lointaine Angleterre, par exemple), du moins du domicile de son épouse et de leur fils… ; à moins qu’« il«  n’en soit « séparé«  (au point de « devoir loger«  soit à l’hôtel _ comme c’était semble-t-il le cas déjà  à Florence il y a cinq ans… _, soit en un hébergement ad hoc, par exemple dépendant de l’Université, comme la veille de ce jour-ci, à Arezzo, pour la conférence ; même si nous pouvons, aussi, nous demander où ils ont passé « leur nuit« , ainsi qu’« elle«  l’évoque ? dans la chambre (à l’étage) octroyée au « conférencier«  par l’université ? ou bien chez « elle«  ?.. D’où vient-« il«  quand il dépose provisoirement sa valise au rez-de-chaussée de la boutique d’antiquités ?.. On a alors un peu de difficulté à percevoir ce qu’« elle«  est en train de dire _ à sa sœur Marie ? ou serait-ce au téléphone ?.. Bien des blancs demeurent pour nous : à peine des éclats éparpillés d’indices : à reconstituer par nous, si nous voulons bien nous prendre à ce jeu proposé par le metteur-en-scène-auteur du film… _ au rez-de chaussée : elle aussi descendra, ainsi que le chat, l’escalier pour atteindre le sous-sol de la boutique et le rejoindre « lui« , qui l’attend, « elle« …):

dans quelle mesure est-il « possible« , ou pas, à James Miller de se (re-)trouver environ chaque semaine en compagnie (et au domicile) de son épouse et de leur fils ? ainsi qu’« elle » le laisse bel et bien entendre, à un moment du film (dans l’« étalage«  de ses griefs à son encontre à « lui«  : à l’encontre de ses « absences« …) ; ou bien réside-t-il (et vit-il à demeure) désormais beaucoup plus loin : en Angleterre ?.. ; ainsi que l’écrivain-conférencier le laisse supposer, quand il ne s’exprime qu’en anglais (et dans un italien assez approximatif, au tout début…) dans la séquence inaugurale (sa conférence à l’université à propos de son « Copie conforme« …) du film ?.. Le fait (scénaristique) demeure volontairement, bien sûr, « équivoque«  à nos esprits de « spectateurs«  du film : à nous de bien vouloir oser « interpréter« , nous demande expressément, nous intime en quelque sorte, le scénario d’Abbas Kiarostami _ avec Caroline Eliacheff…) ! _,

notons, donc, que pour la première fois dans l’œuvre d’Abbas Kiarostami, le « point de vue » dominant _ = l’initiative _ est (et demeure :

s’accentuant même jusqu’à la magnifique séquence mordorée _ oui ! _ finale

entre sept heures et huit heures du soir,

à la pensione (de la « nuit de noces » d’il y a juste quinze ans !) :

on entend _ et peut compter ! _ les huit coups au clocher de l’église voisine retentissant au dernier plan (long… et fixe ! immobilisé !) du film : la « vue » _ une veduta sublimement humble : à la Thomas Jones (1742-1803) à son séjour napolitain _ des toits avec la battue à toute volée des cloches au modeste clocher _ le générique de fin se déroulant, en prolongement de ce plan-ci, la caméra ne bougeant pas, sur la tombée, accélérée, elle, de la nuit sur Lucignano !.. _)

http://www.spamula.net/blog/i07/jones5.jpg

notons que le « point de vue » dominant, donc, est

celui d’une femme (et de ses attentes, son désir) ;

  • Juliette Binoche dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

et qu’il concerne ce qui peut se passer à l’intérieur de la « relation » _ longue et complexe : riche et mouvante, en le « feuilletage » non lisse, mais hérissé de piquants, de ses « strates«  : « pointes«  et « épines«  se chevauchant… _ d' »intimité » en tension, sur-attentive et vectorielle, entre un homme et une femme (en l' »histoire » de cette « intimité » en tension…) _ sujet non abordé depuis 1979 (= l’instauration de la république islamique en Iran) par Abbas Kiarostami : son précédent film là-dessus, Le Rapport, datant de 1977…


Même si le dernier visage (et regards) perçu(s) à l’image sur l’écran

est (et sont) celui (et ceux), bouleversant(s) _ des vagues sur la mer… _, de James, mal rasé, face à la glace du cabinet de toilette : le point d’arrivée de l’intrigue,

juste avant son regard à « lui » sur la veduta (superbe : à la Thomas Jones !) des toits et du clocher de San Francesco de Lucignano sonnant les huit coups de vingt heures…

Pour prolonger cette « introduction » à mon approche, plus détaillée, de Copie conforme,

voici, encore, deux articles découverts sur le net,

l’un d’Éric Vernay, « Copie conforme : leçon de magie signé Kiarostami« ,

l’autre de Mathieu Macheret _ cf sur ce critique mon article du 22 février 2009 : « La splendeur du style cinématographique d’Angela Schanelec _ en ses regards sur Marseille et Berlin (”Nachmittag” + “Marseille” en un très fort DVD !)« _, « Les statues meurent aussi : Copie conforme«  :

« Copie conforme : leçon de magie signé Kiarostami« 

Posté par Éric Vernay le 18.05.10 à 14:18

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Dans _ le film _ Le Prestige, de Christopher Nolan _ adapté du roman Le Prestige, de Christopher Priest _, on apprenait qu’un tour de magie doit se découper en trois étapes. La Promesse, d’abord, où le prestidigitateur _ soit l’artiste ! _ montre au public quelque chose qui semble ordinaire, mais ne l’est pas _ quelque chose y étant caché et à découvrir, révéler… Le Revirement ensuite, pendant lequel le magicien rend l’acte ordinaire extraordinaire. Le Prestige, enfin, où l’imprévu _ pour le naïf que nous, spectateurs fascinés, sommes tout d’abord… _ se produit.

Copie conforme, le film d’Abbas Kiarostami présenté en compétition à Cannes cette année, ne procède pas autrement. Tournant pour la première fois hors de ses terres iraniennes, avec un casting international (franco-italo-anglais), le réalisateur retrouve son obsession de la frontière entre réel et fiction _ peut-on dire cela ?.. Rien n’est fantastique dans le cinéma de Kiarostami !.. Lecteur allergique au spoiler, passe ton chemin, la suite de ce post en contient.

Un homme rencontre _ il s’est déplacé pour cela : jusqu’à Arezzo, en train : puis jusqu’au magasin d’antiquités, à pied ; puis en venant à Lucignano, dans la voiture de celle qui lui a proposé de passer cette journée de dimanche d’été en la compagnie l’un de l’autre… _ une femme. Ils se retrouvent _ après quelles péripéties ? ce point-ci est crucial ! _ en Italie, en Toscane : Promesse _ dans l’esprit surtout de quelques spectateurs… _ d’une belle histoire d’amour. Leur discussion _ académique, d’abord _, portant sur la valeur de la copie par rapport à l’original dans l’art, les mène dans un petit bistrot où la femme, par jeu, prétend _ ou plutôt laisse dire (et penser) à la patronne du café _ que l’homme _ l’écrivain, auteur du livre « Copie conforme«  : James Miller, anglais _ est son mari. Lequel se prend au jeu avec une telle aisance _ lui qui disait ne parler qu’anglais, va se mettre bientôt à manier aussi bien et le français et l’italien, que son interlocutrice ! _, qu’il pose question _ au spectateur que nous sommes : à la manière (mais non fantastique, cependant, ici) dont procède (et nous subjugue) un David Lynch dans « Lost highway«  _ sur la véracité de la première partie. Se connaissaient-ils _ donc _ avant ? Étonnant revirement _ comment interpréter alors l’attitude du fils turbulent (extrêmement bien interprété par le jeune et très malicieux Adrian Moore) de ce pseudo couple, au comportant totalement étranger, apparemment, lui, à cet homme : « l’écrivain », le nomme-t-il ?.. Et comment comprendre le « rappel«  d’une « situation« , à Florence, épiée répétitivement, est-il dit, depuis la fenêtre d’un hôtel où séjournait James Miller, puis d’une conversation à demi-perçue Piazza della Signoria, il y a cinq ans ?.. Alors que le vrai-faux couple déambule dans une Toscane saturée _ le village de Lucignano, avec son précieux « arbre de vie«  d’or… _ d’amoureux de tous âges, comme autant de copies incarnées d’un original _ nuptial _ chimérique _ à diverses reprises « moqué«  par « lui«  : comme une illusion méchamment porteuse d’amertumes ne manquant pas de survenir… _, le Prestige s’accomplit, rendant l’illusion aussi solide _ enfin : est-ce alors seulement rien qu’une « illusion«  ?.. je ne le pense personnellement pas ! _ que le réel : certitude _ désirée, du moins… _ d’un amour au centre d’un indécidable entre-deux _ plutôt : qui continue (encore ; toujours…) de « battre«  Le Voyage en Italie de Rossellini flirte alors avec Mulholland Drive _ ça, c’est à discuter !

Grâce à une direction d’acteurs _ en effet ! Kiarostami est d’une poigne implacable ! _ extraordinaire (sublimes _ oui ! _ Juliette Binoche et William Shimell, célèbre baryton débutant _ ici _ au cinéma _ après avoir été dirigé par Abbas Kiarostami en un Cosi fan tutte à Aix-en-Provence l’été 2008, sous la direction musicale de Christophe Rousset : les deux acteurs sont sous sa direction prodigieux ! tous deux !), et à la précision d’une mise en scène dévouée au miroitement _ oui ! _, au cadre (passionnant travail sur le champ/contre-champ _ oui ! _), et à la mise en abyme, Kiarostami insuffle au brillant de son tour de passe-passe scénaristique l’ampleur émotionnelle d’un grand mélo _ sans y faire adhérer par une quelconque « identification«  les spectateurs !!! toutefois… _, tout en poursuivant _ en nous faisant constamment nous y associer… _ sa réflexion théorique _ éminemment questionneuse, fouailleuse… _ sur le cinéma en train de se faire. Malgré l’artifice (_ brechtiennement _ affiché) du dispositif, la magie _ de la virtuosité de ce questionnement induit _ opère en effet _ oui _ et le trouble persiste _ oui ! _ longtemps après _ oui ! _ la séance : un grand Kiarostami _ en effet.

Et le second article, du très doué Mathieu Macheret :

Les Statues meurent aussi

Copie conforme

réalisé par Abbas Kiarostami

18 mai 2010

critique du film Copie conforme, réalisé par Abbas Kiarostami

© MK2 Diffusion

Pour la première fois, Kiarostami quitte l’Iran _ en effet _ au profit d’une petite balade en Europe _ entre Arezzo et Lucignano : bourgade médiévale où l’on court se marier… Copie conforme est un film diablement retors _ oui, da… _, comme semble l’indiquer son casting : une Juliette Binoche confirmée y apparaît en compagnie de William Shimell, fameux baryton anglais et pur débutant à l’écran _ magistralement : quel magnifique comédien ! Sur les traces du cinéma italien d’après-guerre (notamment celui de Rossellini), il réserve au spectateur ce genre de vertige typiquement kiarostamien _ oui ! et c’est un délice sans maniérisme ni préciosité : chapeau ! _, dans la lignée de Close Up, un doute fondamental _ radical et peut-être perpétuel _, un appel d’air susceptible de l’aspirer tout entier. Gare, donc _ voilà !..


Le dernier film d’Abbas Kiarostami est comme foudroyé, en plein milieu, par un violent éclair _ silencieux, sans cri et sans pathos : tout de « retenue« , tant des interprètes que du cinéaste. Ou, disons plutôt, rayé de haut en bas par une larme, s’écoulant doucement _ oui ! _ sur la joue de son actrice principale, Juliette Binoche _ dont le personnage demeure pour nous sans nom, faute d’être appelée jamais par son prénom ou son nom : par personne dans ce qui nous est donné à voir et à entendre ici… La larme procède d’un irrésistiblement poignant sentiment de « déjà vu«  éprouvé par le personnage… Avant cela, on assistait à une étrange comédie romantique, version Gentleman Farmer, de deux adultes dans la fleur de l’âge qui se rencontrent _ lui auteur, elle, lectrice _ à l’occasion d’une conférence en Toscane. Lui, directement sorti d’un roman Harlequin _ à nuancer : ce n’est pas si caricatural… _, est l’auteur grisonnant _ séduisant ; et tout de flegme britannique : il est aussi en représentation lors de la conférence initiale devant un public de lecteurs, à l’université _ d’un ouvrage sur l’art intitulé « Copie conforme« , qu’il présente et dédicace à son lectorat italien. Elle, directement sortie _ mais sans affèterie _  d’un élégant magazine féminin, tient une galerie d’art _ un magasin d’antiquités _ et s’intéresse _ déjà professionnellement ; même si celle-ci exerce sa profession sans passion, presque « par hasard« , dit-elle… _ aux thèses soutenues par l’écrivain, sans pour autant les partager complètement _ et pour cause ! Un voyage en voiture typique du cinéaste _ auteur de plusieurs « car-films«  _, au cours duquel les reflets du décor toscan défilent sur le pare-brise et se surimpriment sur les visages des passagers, les voit débattre de la question _ des valeurs respectives _ de la copie et de l’original. Lui défend la valeur intrinsèque de la copie _ éventuellement _ comme un chemin conduisant à l’original _ mais qui permet surtout de se passer très commodément, pragmatiquement, de l’original… _, et réfute toute hiérarchisation _ substantialisée _ des deux termes _ un clou chassant l’autre… Elle nuance ses propos et le ramène sans cesse sur le terrain de la pratique _ existentielle _, des réalités _ plus objectives des choses mêmes : c’est que du « réel« , ils n’ont pas tout à fait les mêmes critères… C’est lors d’une petite escale _ pause _ dans un café _ accueillant et réparateur (ils n’ont pas déjeuné : seulement discuté…) _ que le film, d’une manière inattendue, se plie en deux _ oui !

Quelque chose n’allait pas. Binoche _ = son personnage _ semblait _ jusqu’alors _ trop à l’étroit, compressée par un environnement où sa pétulance _ de femme (et sujet) désirant(e) _ faisait tache. William Shimell _ une sorte de Jeremy Irons encore plus tranquille en son élégance : mais pas glacé !!! il « vibre«  en son silence et en ses défausses, sans jamais rompre la « relation«  _ semblait trop parfait, trop absolument séduisant, trop en carton pour ne pas risquer de se retourner soudainement sur lui-même. Ce couple, on le connaît, on l’a déjà vu mille fois _ sur des écrans. A ce moment du film, on se dit _ quoi qu’on sache (même un peu) déjà de la malice d’un Kiarostami… _ qu’on sait trop exactement où il va. Dès que la larme est lâchée, un second film commence _ oui ! _ et dévoile plus clairement le projet _ déstabilisant ou même dynamiteur (mais sans déflagration tonitruante) des clichés _ de Kiarostami _ en direction des spectateurs que nous sommes. Il fallait toute une première partie _ le premier quart du film _ parodique (la comédie romantique, le soap) pour annoncer le parcours d’un film qui, lui aussi, marche d’un pas souverain _ oui ! _ de la copie à l’original _ peut-être bien… On apprend alors _ ou plutôt on se demande : à partir de quelques indices qui se découvrent : si on y prête assez attention ; même si beaucoup semblent continuer de nous échapper… _ que les deux personnages ne viennent peut-être pas de se rencontrer _ en effet : leur échange n’est pas de nature simplement touristique ou culturelle… _, mais se connaissent depuis longtemps _ quinze ans ! Qu’ils forment déjà un couple _ qui poursuit sa « relation » complexe et riche… Qu’ils sont mariés depuis quinze ans. Que le fils _ de treize-quatorze ans : il vient de fêter son anniversaire la semaine qui précède… _ de Juliette, qu’on croise au début du film, est aussi le fils de l’écrivain _ tiens donc ! Rien n’en fournissait jusqu’ici, du moins à la première apparence, le moindre début d’un indice… Qu’ils n’ont jamais cessé _ par exemple cinq ans auparavant, à Florence, déjà, Piazza de la Signoria : leur fils Laurent avait huit ans, apprend-on au passage d’une réplique… _ de se connaître _ elle se plaint de son « absence«  : au propre comme au figuré _ et que le simulacre de rencontre _ à la conférence, puis après : mais à mieux regarder la séquence d’ouverture du film, on s’aperçoit qu’ils se trouvaient ensemble, tous les trois, à l’entrée de la salle de conférence… _, de fraîcheur, d’affinité, de séduction, de désir, qu’ils nous ont joué jusqu’alors _ du moins depuis le départ de cette escapade hors la ville : en effet ! _ devait bien nous conduire à la vérité _ oui ! _ de leur couple : la désunion, l’effritement, le doute _ à moins qu’il ne s’agisse d’efforts pour « surmonter«  tout cela ! _ la crise _ James Miller emporte avec lui sa valise ; et a fixé comme terme à la balade dans la campagne toscane l’heure (21 heures) du train qu’il doit (re-)prendre : pour où ? Ce n’est pas un avion qu’il va prendre ; du moins tout d’abord… Une interférence s’installe, vertigineuse _ mais pas du registre du fantastique (comme à la Lynch) ici… On pourrait alors penser que Kiarostami soumet ses personnages aux besoins esthétiques _ tiens donc ? _ d’une expérience de traversée du miroir. Mais pas du tout _ en effet ! Celle-ci permet au contraire de saisir leur naissance _ ou passage, transitoire _ à la fiction _ = un jeu subtil et stylé de grandes personnes sans la moindre hystérie _ d’une manière infiniment délicate _ absolument ! _, de les voir émerger d’un glacis plat _ convenu (= attendu en nos têtes) _ et prendre petit à petit du relief, de la profondeur _ pour nous : en même temps que nos questions (se bousculant) de « spectateurs«  de ce jeu. Et cette émergence passe par une redécouverte _ oui ! _, le second apprentissage _ voilà ! _ des gestes fondamentaux de l’amour _ vivant ; et non ranci (même en sursis…) _ : poser sa main sur l’épaule de sa femme _ comme le conseille un Don Alfonso français, interprété avec tout ce qu’il y faut d’élégance par Jean-Claude Carrière, comme sortant tout frais d’un film du corrosif Bunuel _, se faire belle pour son mari, se regarder, s’écouter _ l’un l’autre. Réapprendre des gestes, c’est passer une seconde fois _ mais différemment : avec expérience _ par un même trajet, s’insérer dans la trace d’une inscription, la réécrire, repasser par dessus _ et dépasser (= « surmonter« ) l’innocence naïve de la première fois. En somme, tout le travail du copiste qui tente de reproduire _ mais fait beaucoup mieux que cela ! _ les formes de l’original. Copie conforme est un film qui se lit dans les deux sens. De la copie à l’original. De l’original à la copie. Du début à la fin. De la fin au début. D’où la rayure centrale, cette pliure laissée par la larme de Juliette Binoche _ au rappel, par « lui« , le narrant, d’une sensation de « déjà vu« , pour « elle« , Piazza della Signoria : nous n’en saurons pas davantage, cependant… _ et qui dessine, à l’échelle du film, comme un plan de réflexion (au sens géométrique du terme) _ et qui vaut discrètement (sans didactisme aucun) pour les spectateurs autant que pour les personnages ainsi « exposés«  par l’auteur : à la façon d’un conte subtil de Diderot…

Il est tout naturel qu’un film sur la copie nous conduise de la parodie _ des clichés hollywoodiens _ au modèle _ d’un amour réel, lui, et « vibrant«  Ce couple qui tente de freiner son entropie  _ oui ! _, de remonter ses pendules _ si l’on veut : pour qui sonne le glas ? cf le plan final des cloches sonnant les huit heures du soir au clocher de Lucignano _ en tournant autour des œuvres du passé _ le souvenir de la « scène«  à demi-perçue (vue sans être complètement entendue) de la Piazza della Signoria, il y a cinq ans ? par exemple ?.. _, marche du même pas que l’Ingrid Bergman et le George Sanders de Voyage en Italie. Les deux films ne proposent rien moins, en guise de palliatif au déclin amoureux, qu’une épreuve du temps _ et de la capacité « humaine«  de murissement : même quand (presque) tout se met à aller bien trop vite… Mais le parcours que Copie conforme destine _ quoique demeurant ouvert ! c’est important ! _ à ses deux personnages s’avère autrement plus terrible _ en matière de douleur éprouvée _ que la montée vers la grâce rossellinienne. Ils s’embourbent, ils s’écroulent _ craquent. Elle s’embourbe _ à un moment _ de maquillage et s’affuble de colifichets (des boucles d’oreilles très toc) quand, lors d’un repas terriblement gênant _ il est, sur les cinq heures, l’acmé (doublement colérique) de la « crise«  _, elle essaye encore une fois de plaire à son mari. Lui s’écroule _ telle est une de ses « pentes«  ; mais ce n’est pas la seule… _ dans une mauvaise humeur terne, une lâcheté de chaque instant _ pas tout à fait… _, avec cette façon de botter en touche, de tout refuser comme un petit garçon boudeur et orgueilleux. Chacun en prend pour son grade _ certes _ alors que chaque tentative de rapprochement _ elles se multiplient ! _ débouche sur une égratignure _ c’est tout à fait cela ! C’est la grande problématique du miroir : il met en contact deux mondes qui ne se rencontrent jamais _ du moins pas tout de suite : c’est plus complexe à « réaliser » : il faut redoubler d’efforts mutuels (mais ils y progressent) Deux mondes semblables mais inversés. Diamétralement opposés. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la caméra de Kiarostami se substitue si souvent à un miroir _ qui nous implique nous aussi, « spectateurs«  ! _, face auquel le visage des personnages, dès qu’ils s’isolent, nous apparaît plein cadre. Ils traduisent l’isolement _ oui ! _ de chaque terme _ les monades « sans portes ni fenêtres«  de Leibniz ; mais ici sans « harmonie préétablie«  ; sans deus ex machina, désormais… _ face à lui-même _ ou son vide ? avec pour première direction immédiatement disponible, celle du misérable « désir mimétique » (conformiste)… _, devant sa propre incapacité à faire rentrer _ ou enfin entrer ? y fut-il jamais déjà, jusqu’ici ?.. _ l’autre dans son champ _ il s’en faut d’un geste (donné) ; ou de son acceptation (donnée, elle aussi)… De même que de s’envisager soi-même comme un autre, ainsi que l’exprime si bien un Paul Ricœur ! Ces plans frontaux, qui cherchent le plus grand dénuement _ la nudité conjuguée de l’acteur et du personnage (en une adresse au « spectateur«  (invité) que nous sommes, en regard) _ claquent les uns contre les autres dans un choc tout aussi frontal _ mais sans pathos, ni grandiloquence surlignée : tout est « en retenue« , chaque fois. Ils sont comme les coulisses _ oui : brechtiennes _ d’une guerre sourde, d’une lèpre irréversible qui déforme les êtres et les fige dans leur plus grotesque posture _ s’ils n’apprennent pas à le « surmonter«  : tel est le défi !.. Le propos de Kiarostami _ mais il n’est certes pas un didacticien, un donneur de leçon (morale ou existentielle) lourdingue : il s’intéresse seulement à la « prise en compte«  (fine, incroyablement légère ! quel art subtil ! sublime !) à la « prise en compte«  purement et simplement (mais que d’efforts, pour chacun d’entre nous, pour accéder à cela !) « réaliste«  du « réel » ! ce qui n’est certes pas peu ! en sa visée de « vérité«  profonde : fondamentale, quant à l’« humain«  _ sur le mariage est terrifiant : après la parodie, la pétrification _ du moins pour qui laisse dégénérer les choses, le processus…

Mathieu Macheret


Alors, maintenant

mon regard sur ce film.

Après un long plan fixe sur la tribune d’une salle de conférence (d’une université : à Arezzo : la Faculté des Lettres et Philosophie y est une annexe de l’Université de Sienne, depuis 1969), tribune sur laquelle s’aperçoivent rien que deux micros et un livre (dont on peut lire le titre, en italien : « copia conforme » : au singulier _ avec pour illustration deux têtes (se faisant face) du David de Michel-Ange : si l’original de la statue est à l’Accademia, une copie s’en trouve sur la Piazza della Signoria, à Florence _),

et suivi d’une annonce d’un léger retard du conférencier (« hébergé » cependant pas plus loin qu’à l’étage _ et pas ailleurs ! _, est-il annoncé, par celui qui n’est autre que le traducteur en italien du livre _ et qu’interprète Angelo Barbagallo, qui intervient aussi dans la production du film, pour Bìbì : le film est en effet une production MK2 en coproduction avec l’italien Bìbì et France 3 Cinéma, et avec le soutien de Canal Plus, du CNC et de la Commission du Film de la Province de Toscane),

nous apercevons _ mais sans que la caméra s’y focalise : c’est à la seconde vision du film que je m’en suis aperçu, en tâchant de mieux percevoir (et retenir) un peu de ce qui m’avait échappé la première fois… _ l’arrivée du conférencier qu’interprète William Shimell,

accompagné d’une femme et d’un jeune garçon _ de treize-quatorze ans _ qui demeurent d’abord, un instant, ces deux-là, debout au fond de la salle (et ayant fait signer à l’auteur, là, deux exemplaires de son livre : un pour un « Pierre« , l’autre pour le garçon, Laurent ; mais sans qu' »elle » demande au conférencier-auteur (« lui« ) d’écrire aussi, en plus de ce prénom, « Laurent« , le nom de famille du garçon, qui s’en plaindra par la suite : « ayant un nom de famille ! moi aussi !« , dira-t-il à sa mère _ et apprendrons-nous, un peu plus tard : au café où le garçon, affamé et assoiffé, se restaure…),

tandis que le conférencier-auteur _ qui demande à deux autres de ses lecteurs de bien vouloir attendre la fin de la conférence pour qu’il leur dédicace leur exemplaire de son livre _ gagne promptement, seul, la tribune et le micro… Ce jour-ci, samedi, il est rasé de près…

Puis, cette femme viendra s’installer au premier rang (parmi les places « réservées« ), tout à côté du traducteur du livre en italien ;

pendant que le garçon (âgé de treize-quatorze ans ; très brun _ et ressemblant de façon assez  troublante à Juliette Binoche _), refusant de s’asseoir, vient, devant, lui aussi, non loin de l’estrade, se tenir debout contre un mur, de l’autre côté que sa mère, et tripotant fébrilement un jeu électronique…

Le conférencier James Miller, qui refuse de se définir comme « historien de l’art » académique, présente alors _ il s’efforce de dire, un peu maladroitement, quelques mots en italien avant de s’exprimer exclusivement en anglais _ la thèse paradoxale de son essai : une copie n’a pas moins de valeur _ en soi _ qu’un original… Ce qui importe, en fait, et seulement, est l’usage _ tout subjectif _ qu’on (= chacun) en fait pour soi ; le plaisir que le regard subjectif est capable d’en retirer (= pour soi) _ soit une thèse (qui sera réitérée plus tard !) dans le droit fil des positions empiristes des Anglais, Écossais et autres Irlandais du XVIIIème siècle à propos du sentiment (ou jugement de goût) esthétique, tels que Shaftesbury, Hume ou Burke… Ainsi que des thèses, en suivant, au XIXème siècle, des pragmatistes anglo-saxons : Stuart-Mill, Emerson, William James… Soit un régime de stricte équivalence purement utilitaire (pragmatique) et du seul point de vue (égocentrique) de l’usager…

La jeune femme, qu’interprète, la quarantaine rayonnante, la lumineuse _ et elle le sera bien davantage au fur et à mesure du déroulé du film _  Julienne Binoche, quitte prématurément la conférence, et amène le garçon _ dont l’agitation l’agaçait fortement : il avait faim et soif ! et elle doit se le coltiner ! _ dans un bar de la ville _ les images semblent avoir été tournées à Cortona : par exemple, le magasin de « Cappelli e Ombrelli Lorenzini«  devant la devanture duquel ils sont passés… _ : afin de consommer quelque hamburger / coca cola ;

pendant que celui-ci, commentant le petit mot que celle-ci (« elle« ), a glissé (pas assez discrètement pour que cela échappe au garçon, en tout cas) au traducteur _ « ce type«  ami du conférencier, dit le garçon… _ du livre à destination du conférencier (« lui » : ou « l’écrivain« , dit le garçon ironiquement à sa mère ! il ne dit certes pas « papa » ; ni « mon père » ! il cherche plutôt à les éloigner ! séparer !..),

pendant que le garçon

ironise sur le désir de sa mère de rencontrer (en un rendez-vous) « le conférencier«  _ en lui faisant communiquer (par le traducteur : « ce type« , dit-il) le numéro de téléphone où la joindre, probablement ; ou quelque autre indication ad hoc ! _ : la mère et son fils se parlant tout le temps, eux, en français…

Que déduire, a posteriori, de cette « pique » du garçon à sa mère ? Quel indice (malicieux, citronné : le garnement a l’esprit vif et déluré !) constitue-t-il _ et peut-il nous fournir rétrospectivement, à nous « spectateurs«  du film : auxquels, au présent (vif, rapide) de la séquence, le contexte fait, forcément, défaut à la première vision… _ à propos de l' »état« , alors _ à ce moment (de départ ! le samedi) du déroulé des deux journées du film : l’équipée à Lucignano aura lieu, elle, le lendemain, le dimanche après-midi : ils quitteront la ville, Arezzo, vers la fin de la matinée… _ à propos de l' »état« , alors, des « rapports » entre les deux principaux protagonistes ?.. A nous de le décrypter ! au passage et au vol

_ à l’instar du gamin (excellent Adrian Moore ! avec sa frange très brune qui lui mange les yeux, très noirs),

le spectateur de Kiarostami doit lui aussi s’initier, et vite, à l’exercice au vif du juger et former sur le tas (de la circonstance déboulant _ à la vue comme à l’oreille : les deux souvent en décalage ! _) sa sagacité !

malheur ici (où les dialogues, spécialement, pétillent, pétaradent, à fleurets bien près d’être démouchetés !..), ainsi que dans la « vie moderne«  accélérée (cf là-dessus Paul Virilio…), malheur aux lents, aux lourds, et autres ahuris : les largués s’excluent de la séance (en protestant qu’il s’y ennuyaient : c’est une des ironies fines du paradoxe !)…

La séquence suivante a lieu le lendemain matin _ à Arezzo : nous apprendrons, en effet, que depuis cinq ans c’est là que réside (après avoir vécu auparavant à Florence) la française ; juste « à deux pas, à pieds«  de l’université : au magasin d’antiquités (en sous-sol) qu’« elle«  tient (« I Sirene » peut-on lire au générique final…), avec l’aide, probablement, de sa sœur Marie : elles se parlent (on n’aperçoit jamais Marie à l’image) au moins trois fois dans le film : à l’arrivée, puis au départ de James à et de la boutique d’antiquités, le dimanche matin ; puis, un peu plus tard, au téléphone portable, vers 14 heures, quand Marie ne sachant plus comment « gérer » le comportement de son turbulent neveu Laurent, suite au report d’une heure de sa « leçon particulière«  : il prétend aller « patiner«  entre-temps à la patinoire !., joint sa sœur qui vient d’arriver à Lucignano ; et lui demande de se débrouiller…

Le conférencier anglais _ il dépose préalablement sa valise à roulettes en haut d’un long escalier descendant vers le sous-sol _ se rend au sous-sol, où se tient une partie au moins de la boutique. Mais, dès que l’aura rejoint l’antiquaire _ on l’entendait échanger quelques mots avec vraisemblablement sa sœur Marie, au rez-de-chaussée _, laquelle, parvenue au sous-sol, entame la conversation en attaquant bille en tête le paradoxe (du livre) de la prétention à l’équivalence des copies et de l’original, « lui » lui exprimera son désir de sortir de la ville et prendre l’air à la campagne _ « elle«  s’était mise à sa disposition pour l’accompagner là où il lui plairait d’aller : mais faire des courses un dimanche : les magasins sont fermés !.. Au moins aller prendre un café…

Les « copies » _ j’y reviens ! _ pourraient-elles désigner, ainsi, d’autres femmes (telles que des maîtresses : « amante« , en italien et au pluriel) ? et « l’original« , l’épouse, la toute première aimée ? Ce sera une piste de questions qu’effleurera, mais sans s’y attarder le moins du monde _ pas davantage que le dialogue ni le scénario du film ne s’y appesantissent _ la tenancière (perspicace et bienveillante) du tout petit café à Lucignano ; lors de la séquence-tournant-du-film, un peu plus tard : celle-ci (une sexagénaire pleine de sagesse) fera un vif éloge du statut de « femme mariée » (« donna sposata« ) _ excellente Gianna Giachetti !..

En gagnant la voiture de la jeune femme, muni de la valise légère qu’il avait déjà _ et qu’il avait déposée (avant d’entreprendre la descente, par un vieil et assez étroit, et long, escalier de pierre, au sous-sol) _ en arrivant au magasin d’antiquités _ et qu’il a donc reprise au rez-de chaussée du magasin _, et à la question de savoir où il désire être conduit se promener,

« il » répond que peu lui importe où ils iront en balade,

son unique contrainte personnelle étant de devoir _ absolument _ reprendre le train ce soir à 21 heures : lui « accordant » sa journée, ainsi _ il est assez peu vraisemblable qu’il accorderait ainsi sa journée à une totale inconnue de « lui« 

Non sans un éclat de gourmandise dans le sourire, la pupille,

« elle » lui annonce alors, en un éclair d’improvisation malicieux, qu’elle va le conduire à quelque chose qui va l' »intéresser » ; et constituer pour « lui » une « surprise » ;

et il y en a, dit-elle alors, à peine pour une demi-heure de route _ la distance entre Arezzo et Lucignano est d’environ vingt kilomètres…

Commence alors une (permanente et virevoltante) conversation en voiture,

que la caméra de Kiarostami « suit » frontalement (et fixement) à travers le pare-brise ;

pendant que s’aperçoivent, à travers la lunette arrière surtout (mais aussi les vitres des côtés), après le lacis des voies de circulation plus ou moins encombrées de la ville où ils commencent par tourner, errer, quelques vues de la (superbe) campagne toscane (ensoleillée).


« Elle » en profite pour « lui » faire signer, tandis qu’ils commencent à rouler, encore en ville, six nouveaux exemplaires de son livre : l’un avec une dédicace pour sa sœur Marie (dont le mari bégaie, on ne peut davantage amoureusement : « M-M-M-M-Marie« , ainsi qu’il l’appelle-t-il joliment sans cesse ! mais c’est aussi un homme qui n’a guère de tropisme envers le travail…) ; une autre pour un « Alain » ; un troisième pour un « Professeur MIAO » ; et les trois autres sans dédicace : juste la signature…


Ce n’est pas tout à fait par hasard que la conductrice les mène _ la route est souvent à flanc de collines, et passe entre des rangées prestes et élégantes de très vénérables cyprés _ à Lucignano, une bourgade médiévale _ qui fut siennoise avant d’être florentine (et péruginoise aussi ; ainsi qu’arétine), et qui, de sa position sur la colline, domine le Val di Chiana : maintenant, la ville fait administrativement partie de la province d’Arezzo _,

une cité où les couples viennent nombreux, quasi en foule _ c’est une tradition qui « marche«  très fort ! on le constate aussi ce jour-là : un dimanche… _ se marier, accourant se faire photographier devant un majestueux « arbre de vie » (étincelant de ses ors et pierreries), splendeur d’orfèvrerie accessible (en une pièce à lui seul consacrée) au musée municipal, désormais : ce chef d’œuvre d’orfèvrerie médiévale ayant la réputation de « porter bonheur » aux nouveaux époux…

C’est ainsi qu’un jeune couple de tout frais mariés demande à ce « beau couple » resplendissant que, en effet, tous deux, elle, la française, et lui, l’anglais _ c’est en anglais exclusivement que jusqu’ici tous deux conversent entre eux… _ forment maintenant, « en la fleur de leur âge« ,

de se joindre à eux pour une photo « porte-bonheur » devant « l’arbre de vie«  d’or de Lucignano

_ James se faisant, toutefois, « prier«  ; il n’avait pas voulu aller (re-)voir (ayant déclaré, aussi, n’être jusqu’ici « jamais venu«  à ce village !) la sculpture monumentale, s’étant assis sur le seuil de la pièce où celle-ci se visite, et décidé à n’en pas bouger pendant qu’« elle » allait contempler « l’arbre de vie«  en sa magnificence ; c’est la jeune mariée qui finira par obtenir _ « c’est mon mariage«  ! _ qu’il vienne tout de même se joindre à eux (et à « elle« ) pour prendre place sur la photo « porte-bonheur«  (« Auguri !« , dit-on en italien)…

Les deux protagonistes tournant dans les ruelles pavées _ « elle » regrettant alors de n’avoir aux pieds ou à portée (dans sa voiture) que des paires de chaussures à haut-talon… _ concentriques de Lucignano (parsemé de ses kyrielles de couples de nouveaux mariés)

sont fréquemment interrompus dans leur conversation (acérée : ils ne sont pas d’accord et joutent à affronter leurs « convictions » respectives _ sur copie et original) par des appels comminatoires _ stridence des sonneries ! _ sur leur portable

_ lui, pour des raisons en partie professionnelles : il « se consacre«  à son travail, semble-t-il, même un dimanche ;

elle, par des appels de sa sœur Marie (dont elle est très proche ; et qui s’occupe aussi, très vraisemblablement, avec elle et du magasin d’antiquités et de Laurent, son neveu, quand la mère de celui-ci s’absente, comme c’est le cas cet après-midi-ci…)

et de son fils, Laurent, qui recherche un ustensile (nécessaire à sa « leçon particulière« ) dans l’appartement, et qui a parfois du mal à « se tenir«  à ses tâches scolaires (en l’occurrence cette « leçon particulière«  d’une heure, à domicile, ce dimanche après-midi, à deux heures : elle est « repoussée«  d’une heure par le professeur : à trois heures…) :

un thème très présent (par exemple, en 1989, le court-métrage Devoirs du soir…) dans l’œuvre cinématographique d’Abbas Kiarostami ; le garçon (qu’interprète ici excellemment le jeune Adrian Moore) fait partie de ces adolescents « curieux » et « obstinés«  kiarostamiens expérimentant les premiers affres (= un passage obligé !) de la conquête de leur autonomie face aux adultes et éducateurs (cf ici un beau passage sur ce point, citant Kant en son Qu’est-ce que les Lumières ?, pages 118-119 de l’essai de Frédéric Sabouraud)…

C’est lors d’une de ces interruptions

_ « lui«  vient de sortir du petit café, dans une de ces belles ruelles courbes et très étroites de Lucignano, pour répondre à un appel sur le portable : le « telefonino« , comme le désignent les Italiens : un appel professionnel ? une autre femme (ou « amante« , ainsi que l’envisage, mais sans lourdeur ni malveillance aucune, la patronne du tout petit café…) ?.. _

c’est lors d’une de ces interruptions intempestives qui caractérisent désormais notre modernité, que la jeune femme, « elle« , répond à la tenancière (affable, aimable, « maternelle« …) du petit café, qui les prend pour un couple (et un « beau couple » !) marié…

Comme l’a bien noté Mathieu Macheret en son article mentionné plus haut, c’est là

_ avec la « larme«  (d’« elle« ) qui va suivre (par sentiment de « déjà vu«  !!!) lors du récit par « lui«  de ce qu’« il«  observa cinq ans auparavant lors d’un séjour (il logeait à l’hôtel) à Florence : et qui est à l’origine, ainsi qu’il l’affirme à ce moment même du film, de son essai « Copie conforme«  :

à la fois la vision répétée (depuis la fenêtre de la salle de bains : au sortir de la douche, dit-il, d’une chambre d’hôtel, à Florence, donc) d’une mère ralentissant sa marche (les bras croisés…) afin d’attendre son fils qui traîne, un peu trop loin, à sa suite, à chaque coin de rue ;

  • Juliette Binoche dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

et celle d’un échange de paroles (à demi perçu seulement ; à demi deviné, par conséquent : par « lui« …) entre cette même mère et ce même fils devant la statue (une copie : l’original est à l’Accademia !) du (célèbre) David de Michel-Ange, Piazza della Signoria (toujours à Florence !) ;

et ce, à partir d’un souvenir personnel d’Abbas Kiarostami lui-même : à l’origine de ce film, par là !.. : le cinéaste en a fait la confidence avant le début du tournage en Toscane, en juin-juillet 2009 (repoussé d’une année pour raisons d’indisponibilité en mars-avril 2008 de Juliette Binoche, au jeu de laquelle Abbas Kiarostami tenait absolument ! comme il avait raison ! ;

et ce qui lui a, aussi, permis d’« apprécier«  les magnifiques aptitudes de comédien-acteur du baryton William Shimell en le dirigeant sur la scène à Aix, en juillet 2008 _ après avoir pressenti, pour son rôle, et Robert de Niro, et Sami Frey, et François Cluzet : une palette fort diverse de « potentialités« , comme on voit…

c’est là

le tournant de Copie conforme.

Au retour de James _ la tenancière (une figure maternelle, donc _ qu’incarne splendidement ! Gianna Giachetti : magnifique en ce rôle-clé sans en avoir l’air…) lui offrant un nouveau « caffè«  : l’autre ayant « refroidi«  : ô la belle métaphore ! _ dans le minuscule local de ce café d’une ruelle courbe de Lucignano,

le couple formé de la française et de l’anglais se met alors à « jouer » ce nouveau « jeu » du « couple marié« … _ du moins est-ce que nous, « spectateurs« , commençons par « penser« , nous « figurer«  ;

sur un site italien (du Val di Chiana), en date du 24 septembre 2008, on peut découvrir ceci, à propos de la trame du scénario envisagé (pour ce film à tourner sur son territoire) : « Per la trama, per ora trapelano poche notizie : sembra che si tratti della storia di una coppia francese, divorziata, che si ritrova successivamente in Italia dove inizia un nuovo rapporto«  ; c’est un indice intéressant !.. : à ce stade de la gestation du film…

Et déboulent alors, en avalanche difficilement arrêtable, des griefs :

c’est « elle » qui mène l’offensive et parle _ de son « absence«  à « lui » : endémique ! et au propre comme au figuré ! _ ; « lui » se défend ou se tait…

Mais désormais ils parlent tous deux _ et tous deux couramment, désormais ! avec beaucoup de brio, les deux ! _ en français et italien, et plus seulement en anglais, comme jusqu’ici _ dans le « jeu«  précédent (beaucoup plus « abstrait«  !), celui de « l’auteur et de l’admiratrice«  (même un peu critique)…

La rencontre impromptue d’un couple d’un certain âge de touristes français _ c’est « pour la quatrième, ou plutôt cinquième fois«  qu’ils viennent « ici«  (« ou en Italie« , du moins, peut-être), dit celle qu’interprète Agathe Natanson _,

sollicité de donner un avis _ « esthétique » comme « existentiel«  : plus encore… _ sur le « couple » de dieux (une déesse posant sa tête au creux de l’épaule du dieu ; ou du monstre…) statufié _ c’est une réalisation du décorateur du film ! _ au milieu de la fontaine monumentale _ montée ad hoc _ de la piazzetta,

est l’occasion, en aparté, d’un conseil « paternel » du mari (interprété par un Jean-Claude Carrière « royal« … : ami commun, à la ville, d’Abbas Kiarostami et Juliette Binoche) à James :

ce dont « elle » a « besoin » _ et cela la « guérira » de son « problème«  !.. _,

c’est seulement du geste de passer son bras (à « lui« ) sur son épaule (à « elle« ) ;

nous ne sommes pas en Iran, ici…

Et de fait, James accomplira très bientôt ce geste…


De même qu' »elle » aussi se laissera aller à appuyer sa tête sur l’épaule de son compagnon…

  • William Shimell et Juliette Binoche  dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

Mais les « égratignures » (réciproques) vont continuer un peu encore ; les blessures et les habitudes ne s’effacent pas (ni ne sont surmontées _ à la Hegel ; cf son concept de aufhebung) d’un seul coup de baguette, fût-elle « magique« …

Une habitude a un pli : on a tendance à y retourner…

Au sortir de l’église (San Francesco) de Lucignano

_ « elle«  ne s’y est pas rendue pour « prier« , dit-elle ; mais seulement pour ôter son soutien-gorge qui l’oppressait : l’église même où ils se seraient mariés il y a quinze ans : et ce jour-ci étant même (!) le lendemain du jour anniversaire de leur mariage !!! ainsi qu’« elle«  l’énonce (et même l’actrice en bafouillant un peu : mais la prise a été _ volontairement _ conservée !), à un moment donné : à l’Albergo-Osteria « Da Toto« , au « five o’clock« ,

http://www.ilterzogirone.it/immagini_minisito/thumb.php?file=images/big/fotohome_181009_1188920325.jpg&size=480&quality=100&nocache=0

à l’acmé de leur réciproque « irritation« … :

à l’évocation, alors, de la nuit qu’ils viennent de passer ensemble (pour cet anniversaire ! James est venu pour cela à Florence ! et « elle«  lui en sait gré…), mais où « lui » (« fatigué« ) s’est trop vite endormi ; cela étant énoncé, et avec douceur cette fois, dans la séquence radieuse (finale) de la chambre de leurs noces, il y a quinze ans… _,

et en même temps qu’un vieux couple _ il y en a donc _ dont la femme porte une attelle à la main gauche (avec deux doigts bandés) ; et l’homme qui la soutient, s’appuie, tout courbé, sur une canne,

« elle » « le » mène à l’hôtel (une « pensione« ) juste en face _ mais « lui » l’a apparemment « oublié« , en ce « petit-jeu«  là, du moins… _ où ils auraient passé, il y a quinze ans tout juste, donc, leur « nuit de noces » ;

ils gagnent même, par un escalier tout étroit, la chambre _ numéro neuf _ (lumineuse au couchant) au troisième étage et à hauteur des toits (« tranquilles« ), où se découvrent des colombes ;

http://www.spamula.net/blog/i07/jones4.jpg

mais « lui » ne se souvient, décidément, de « rien« , quand « elle » se souvient, « par le détail« , de « tout« …

Ils sont cependant tous deux « apaisés » ; et se sourient maintenant (ils se regardent et s’écoutent ; tous deux ont déposé aussi leur veste) : une lumière chaleureuse _ mordorée ! _ de fin d’après-midi (d’été) irradie la scène et le moment de sa grâce _ une lumière que l’on trouve dans les « Annonciations«  de Fra Angelico…

Image

Les cloches de l’église voisine se mettant à carillonner le long du plan final, comme extatique : sur les toits de Lucignano perçus (par la caméra) d’une des (petites) fenêtres grande ouverte _ celle du cabinet de toilette où « lui » est allé se rafraîchir et s’est aperçu (et miré) dans le miroir… _ de ce troisième étage nuptial d’il y a quinze ans déjà _ précédant le déroulé tranquille, ensuite, du générique de fin, sur lequel la nuit vient tomber progressivement (mais en accéléré, aussi) : sur le même plan (immobile, arrêté…) de « toits tranquilles avec clocher« .

Et même si

« il » reprendra peut-être, sinon probablement _ comme convenu à l’avance « entre eux«  deux le matin, un peu avant midi, au départ de la balade dominicale (de la boutique d’antiquités d’Arezzo) _, le train, à 21 heures _ mais nous n’en saurons rien… _,

la conclusion de « l’histoire » n’est cependant pas fermée (ni amère : c’est la douceur qui triomphe _ du moins à mon regard...)…

L’évolution tout au long des 106 minutes du film des visages des deux protagonistes _ « lui » rasé le samedi, pas rasé le dimanche, par exemple ; « elle » de plus en plus détendue au terme de ce dimanche… _

est, elle aussi _ et dans le même mouvement cinématographique, si je puis dire _, merveilleusement signifiante, en sa sobriété ;

avec le mutisme tout de pudeur sur les sentiments éprouvés

qui l’accompagne…

Une ouverture d’éventualités diverses demeure

_ ainsi que dans presque tous les films d’Abbas Kiarostami…

A « eux » _ les deux protagonistes, ainsi qu’à nous, aussi, les « spectateurs«  : en miroir un tant soit peu « réfléchissant« _ de faire, agir,

choisir,

un (tout petit) peu plus _ c’est infinitésimal, mais crucial… _ consciemment maintenant :

quitte à accepter et laisser faire, et approuver _ surtout ! _,

plus généreusement, et de meilleure grâce

_ voilà ce qui émerge peu à peu et finit, à mon regard du moins, par l’emporter sur tous le reste _,

approuver, donc, les initiatives _ et l’idiosyncrasie : aimée _ de l’autre :

avec (et dans) cette lumière chaleureuse et tendre _ mordorée _ de fin d’après-midi d’été toscan…

  • Juliette Binoche dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

Don Alfonso, dans Cosi fan tutte _ qu’a mis en scène à Aix Abbas Kiarostami (avec William Shimell dans ce rôle de Don Alfonso) en juillet 2008 _, a un (tout petit) peu plus de recul, lui, que James Miller, ici, dans Copie conforme : un temps d’avance _ celui aussi d’Abbas Kiarostami : lui est né le 22 juin 1940…

C’est peut-être simplement le recul _ de « distanciation« , en progrès, de l’âme _ de l’âge…

Toutefois : quelle est donc la « leçon »,

sinon de Mozart, en sa musique,

au moins celle de Da Ponte, en son livret

de Cosi fan tutte (ossia la scuola degli amante…) _ qui peut aussi se retourner en un « cosi fan tutti » : au masculin ?..

Restant encore à méditer « ce » qui, en ce drama giocoso (de 1790), distingue une Fiordiligi (et un Ferrando : les deux) d’une Dorabella (et un Guglielmo : les deux) _ c’est un des charmes (profond !) de cet opéra déconcertant autant que solaire !.. Déjà !

C’est pourquoi je « trouve«  que le Lucignano d’Abbas Kiarostami, sur sa colline en surplomb du Val di Chiana, a « reçu«  quelque chose de la Naples, sur sa baie, du Cosi de Da Ponte et Mozart _ musique, comprise, bien entendu ! Et via le passage de William Shimell du chant (sur la scène à Aix) au jeu d’acteur de cinéma (ici filmé à Lucignano)…

Pour lesquels (d’entre ces quatre de Cosi : Fiordiligi, Dorabella, Ferrando, Guglielmo) y a-t-il, déjà (et en ouverture de série ouverte, si je puis dire…), « copie conforme » :

de l’une à l’autre (et de l’autre à l’un) ?..

A creuser…

Et le personnage de James

  • William Shimell dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

semble lui-même commencer _ car ce n’est pas fini ici ; en dépit du train qui va (peut-être) être pris par « lui« -même, à 21 heures à la gare d’Arezzo… _ à y réfléchir _ devant le miroir du cabinet de toilette de la chambre nuptiale (numéro 9) d’il y a quinze ans (avec nous « spectateurs«  du film témoins de ce mouvement capital !!! de l’esprit de James : capté par le miroir !) : comme si la vie

(et le personnage de sa compagne lui soufflant mais sans pression alors : « Reste !… » ; et en jouant à bégayer sur son prénom : « J-J-J-J-James« ...)

lui faisai(en)t infirmer et renverser in fine la thèse exposée, soutenue et défendue en son livre : la non-prévalence de l’original sur ses copies ;

il est vrai, toutefois, que le « sous-titre«  de l’essai (moins « vendeur« , aux dires de l’éditeur, que le « titre«  retenu, « Copie Conforme« …) était « La Copie : un chemin vers l’original« … : soit un éloge de la « reprise-poursuite-approfondissement« , alors, peut-être… ; ou aufhebung _,

dans la magique séquence finale…

Quels sens donne à un tel scénario _ via ses « tireurs de ficelles«  : Don Alfonso et Despina _ un Da Ponte, en son livret en son « dramma giocoso » ?

Et qu’en fait un Mozart, ensuite (et génialement !), d’après ce (premier) fil (italien : veneto-napolitano-ferrarais…)-là du livret et des dialogues, en sa géniale musique ?..


Et qu’en a « appris » Abbas Kiarostami _ ainsi que William Shimell, aussi ! _ lors de la mise en scène aixoise opératique de l’été 2008 ?

Fin de l’incise à partir de l’anecdote mozartienne :

Abbas Kiarostami ayant finalement choisi de remplacer, à l’écran, François Cluzet _ initialement pressenti pour le rôle de « lui« , face à la (sublime !) « elle«  de Juliette Binoche, nous révèle, page 146 de son superbe et très éclairant Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité, Frédéric Sabouraud : quant à cette « piste«  de distribution initiale ; le livre ignorant (encore, à sa parution) le choix de distribution effectif… _ par l’étrangeté (virile) qui « résiste » (pas mal du tout… : quelle belle « douceur » froide, mais combien « vibrante« , à la fin ! sur son visage si éloquemment « remué » mal rasé…) du baryton anglais William Shimell

dont le metteur-en-scène auteur du film avait pu tout spécialement « apprécier« , déjà, le « jeu » en le dirigeant (en chanteur, cette première fois-là : mais c’était le chant qui, là, faisait presque tout !), sur la scène du Festival d’Aix-en-Provence,

dans le rôle du « tireur de ficelles » de Cosi : Don Alfonso,

en juillet 2008 (à huit reprises : du 4 au 19 _ et il se trouve que j’étais présent à Aix ce 19 juillet-là ! à rencontrer Michèle Cohen pour préparer ma future conférence à La Non-Maison (elle eut lieu le 13 décembre suivant) sur le sujet de « Pour un Nonart du rencontrer«  !.. _  sur les tréteaux de bois du Théâtre de l’Archevêché aixois, donc).

Pari superbement réussi.

Le « James Miller » _ « Jacques Meunier« , en français _ de ce film étant sans doute aussi, pour partie au moins, quelque « morceau » _ d' »absence » ferme, élégante et comme flegmatique : à la fois « froid«  et « doux« , « lui«  dit-« elle« , en la séquence finale du film, allongée sur le lit dans sa robe flottante marron tendre ; et tout sourire ; « froid« , non, lui répond-il… _ d’Abbas Kiarostami lui-même, face _ peut-être ? mais je n’en sais rien ! _ à celle qui avait été sa partenaire (« réelle« ) dans la vie :

soient lui-même et la mère de ses fils ;

ayant eu, de facto, à se séparer : dans les années 70…

Sur le sentiment qu' »elle« , dans Copie conforme, éprouve de son « absence«  (« absence » à « elle » ainsi qu’à leurs fils) à « lui » (flegmatique, faisant le choix existentiel de n’être (presque) rien qu' »en son monde » (surtout professionnel _ cf l’échange décisif ! avec la patronne maternelle et perspicace dans le petit café de Lucignano) à « lui » _ ainsi qu’il en revendique « le droit« _ ; et pas assez « avec » « elle« , ni avec leur fils ; et qui porte son nom de famille…), dans le film,

cet excellent « résumé » de Jean-Luc Douin dans un très pertinent article (à part le malencontreux choix du titre (sans doute n’est-il pas, lui, pas de l’initiative de l’auteur de l’article !) : « « Copie conforme » : Kiarostami, un virtuose de l’illusion » :

Kiarostami étant fondamentalement et viscéralement un « réaliste » :

c’est seulement parvenir à percevoir et comprendre (puis nous le faire ressentir) le « réel » en toute sa complexité !

ses effets (en volutes et feuilletages ! mais ô combien « réels » _ à la Ronald Laing : Nœuds ; le livre est paru en 1970… _) de malentendus autant que d’ententes : tissant et retissant, en tensions, leurs croisements et décroisements quasi permanents et renouvelés_ à jours ! : une dentelle charnelle à vif !!! _, tout particulièrement !

qui, et de part en part, et rien que cela, et radicalement,

le « mobilise » !!!)

article paru sur le site du « Monde » , le 18 mai :

« On ne peut parler de guerre des sexes chez Kiarostami,

mais plutôt de malentendu _ oui ! mais vertigineux et assez douloureusement sensible en la spirale et l’induration de ses effets et conséquences croisés : la distance, l’absence, l’éloignement, la séparation, la rupture, le divorce ; entremêlés d’élans d’amour et de tendresse, et pas que de désirs (même charnels : en leurs rapprochements)…

Les hommes, chez lui, vivent dans l’illusion _ égocentrée _ que l’amour des femmes leur est acquis _ voilà _ et qu’ils n’ont pas besoin _ voilà encore _ de donner _ eh! eh ! _ sans cesse des preuves _ un tant soit peu tangibles, signalétiques _ d’affection.

Tandis que les femmes ont une conscience _ moins égocentrée _ aiguë de l’insécurité _ qui les trouble et les agite. Elles craignent d’être délaissées _ quittées : pour une autre ? ou pour le travail (parfois passionné de certains hommes) _ et réclament des gages _ plus perceptibles, sinon ostensibles _ d’amour, des rappels _ voilà _ de complicité _ se tissant… Leur sérénité _ à conquérir et établir, construire, fonder _ passe par la certitude _ subjective et « demandée«  sans cesse : à sans cesse « recevoir » du partenaire la leur « donnant«  _ de pouvoir compter _ subjectivement _ sur un homme assumant _ et en en donnant quotidiennement quelques signes, quelques marques : renouvelées _ ses devoirs d’époux et de père. Un homme qui serait là _ présent, et non absent : ni au figuré, ni au propre ! voilà l’axe du film ! _ aux bons moments, qui n’oublierait pas leur anniversaire de mariage et qui aurait conservé, comme elles, le souvenir des heures magiques de leur idylle«  :

c’est très parfaitement résumé là !..

Confiance et entente (amoureuses : intimes !) se forgeant dans la douceur et la tendresse au fil _ rasséréné _ des jours (l’intimité est « un rapport » ! dynamique, elle est une tension vectorielle…) ; l’époque présente étant, elle _ tellement bousculante et bousculée qu’elle est : elle tend le plus souvent à « consister« , hélas, seulement en son « inconsistance«  même, sinon carrément son vide abyssal… _ plutôt « au stress » : stress qui nous expulse de tout, en nous mettant sans cesse hors de nous et hors de liens vivants et aimants et confiants à quelques autres, proches, très proches ; ou croisés et rencontrés :

cf l’analyse là-dessus, de Michaël Foessel, le très important (lucidissime et très fin) : La Privation de l’intime (+ mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« )…

A propos de Don Alfonso _ j’y reviens in extremis _,

ainsi que du « touriste français » « d’un certain âge » (superbement) incarné par Jean-Claude Carrière, croisé sur la piazzetta de Lucignano _ dans la fiction du film, du moins _, et « donneur » _ gratuit et généreux (gentil ! partageur d’« humanité« …) en cette rencontre impromptue (alors qu’il sait aussi se mettre en colère : avec un correspondant  au telefonino ! en un détail de mise en scène qui a son sens, comme tout dans le cinéma si « riche«  de Kiarostami !) _ du « bon conseil« ,

ceci _ encore, et pour finir _ :

Vive l’attention ! Vive la déprise (de l’humour sur soi) ! Vive l’ouverture de l’amour vrai !

Vive la sagesse du mûrir

et du questionnement distancié…

Vive la générosité !

Quant à l’essai _ très éclairant ! _ de Frédéric Sabouraud, Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité,

il balaie magnifiquement

en fouillant vraiment en profondeur

tout le champ de l’œuvre kiarostamien _ avant Copie conforme tourné en 2009 _ en 322 pages :

à la fois il l’analyse de très près ;

et il le « situe« 

_ cf l’usage de ce concept de « situation«  par Martin Rueff en son important « Différence et identité _ Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel« …

et cf à la suite mes articles : « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff _ deuxième parution »

et « De Troie en flammes à la nouvelle Rome : l’admirable “How to read” les poèmes de Michel Deguy de Martin Rueff _ ou surmonter l’abominable détresse du désamour de la langue«  _

et en la culture iranienne _ depuis le zoroastrisme ! bien plus loin que l’Islam, même shiite _  ;

et dans le champ de la modernité, tant cinématographique et artistique que philosophique…

Les titres de ses chapitres

(depuis l’Introduction : « Questions autour de la modernité » jusqu’à la Conclusion : « Peut-on encore être persan ?« )

sont déjà, en leur imparable justesse, parfaitement éclairants :

I _ « L’étrange proximité de la fiction kiarostamienne« 

II _ « Un récit d’émancipation et de contournement« 

III _ « Le cinéma rendu visible« …

Car l’étrangeté _ et la grâce ! _ de ce cinéma-là, si puissamment singulier, d’Abbas Kiarostami, en son œuvrer,

consiste à intégrer dans l’intelligence et sensibilité à l’époque

_ ainsi qu’à la condition de « sujet humain«  (moins « in-humain«  !) ; sujet s’extirpant du statut réificateur d’« objet«  ! _,

car l’étrangeté _ et la grâce ! _ de ce cinéma-là, si puissamment singulier, d’Abbas Kiarostami, en son œuvrer

consiste à

intégrer dans le dispositif _ ou « agencement«  _ d’intelligence et sensibilité à l’époque

la place _ et la dynamique _ du spectateur activement attentif, donc _ « revisitant » ainsi « le cinéma«  ! _,

à ce que l’auteur, en l’occurrence ce génial Abbas Kiarostami, réussit à lui donner, le lui montrant,

en son art

qui tout à la fois lui-même et se montre et s’efface _ par sa propre « retenue » et son auto-ironie _

au profit de l' »évidence« 

_ laquelle est un un événement (et un avènement) ! cf l’analyse que fait de ce concept Jean-Luc Nancy :

« l’évidence pensive«  (celle d’« un autre monde qui s’ouvre sur sa propre présence par un évidement« ),

« est celle qui, dans son sens fort, n’est pas ce qui tombe sous le sens,

mais ce qui frappe

et dont le coup ouvre une chance pour du sens.

C’est une vérité, non pas en tant que correspondance avec un critère donné, mais en tant que saisissement.

Ce n’est pas non plus un dévoilement _ ponctuel et définitif _,

car l’évidence garde toujours un secret ou une réserve essentielle : la réserve de sa lumière même, et d’où elle provient«  :

cette citation de « L’Évidence du film : Abbas Kiarostami » (aux Éditions Yves Gevaert, en 2001) se trouve page 97 de l’essai de Frédéric Sabouraud : Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité_


au profit de l' »évidence » _ ainsi nancéennement entendue _ du seul « réel« 

à découvrir « vraiment » : le plus « réalistement » possible, par conséquent !

par nous…

Nous sommes là à mille lieues du fantastique ! et de sa « poudre aux yeux »

détournant de la quête

de la vérité du « réel »

D’où cette articulation prodigieuse _ comme rarement en d’autres œuvres ! j’en ai cité plus haut quelques unes qui lui sont fraternelles : Faulkner, Joyce, Virginia Woolf, Thomas Bernhard, Antonio Lobo Antunes, Imre Kertész, Francis Bacon, Lucian Freud, Bela Bartok… _

de la « visibilité » même « du cinéma«  (en effet ! mais sans maniérisme, ni hystérisation de l’artiste ! ainsi « revisité » ! le titre de Frédéric Sabouraud est parfaitement justifié !)

et d’une « proximité » éminemment lucide à ce qui nous est ainsi (= ainsi dégagé, exhumé, désensablé par cet art) montré, découvert _ mais avec une fondamentale « retenue » aussi, de la part d’Abbas Kiarostami ! _ à partager-constater _ en y faisant (= y jouant) « notre partie«  de l’effort pour y accéder : c’est un apprentissage, une conquête toujours personnelle ! _ du « réel« ,

avec (et par) la médiation la plus fine et légère (ou la moins épaisse et lourde : « retenue » ! donc, elle aussi…) possible

d’une conscience de la « distanciation » _ brechtienne ! et benjaminienne, aussi… _ de la part du « spectateur » que nous sommes, ou devenons _ = avons à devenir : c’est un appel ! sinon une « vocation«  _, en acte,

« appelés« , nous aussi, à devenir, à notre tour, « sujets de nos vies« ,

à travers la circonstance _ j’en fais un concept : au singulier ! _ en majeure partie fortuite

de nos rencontres…

Un éclairage passionnant que ce très riche et très juste essai de Frédéric Sabouraud, Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité : très vivement recommandé !..


Titus Curiosus, ce 23 mai 2010

_ avec quelques rajouts (suite à ma troisième vision du film Copie conforme, le vendredi 28 mai ; puis la quatrième, le vendredi 4 juin : toujours avec le plus vif plaisir de découvrir de nouveaux « détails« )…

Bernard Plossu de passage à Bordeaux : la photo en fête ! pour un amoureux de l’intime vrai…

14fév

Pour résumer ma « perception » du passage à Bordeaux de l’ami Bernard Plossu _ très « objectivement » le « principal«  photographe français contemporain vivant depuis la disparition de Henri Cartier-Bresson ; la modestie « vraie » de Bernard dût-elle en souffrir… _,

je me bornerai à simplement re-produire le message que je viens d’adresser à notre amie Michèle Cohen, la directrice de la galerie La NonMaison à Aix-en-Provence…

Le voici tel quel :

De :   Titus Curiosus

Objet : Hier soir Bernard à la Bibliothèque municipale de Bordeaux
Date : 13 février 2010 09:25:53 HNEC
À :   Michèle Cohen


Finalement,
pour préciser ce que serait ma (modeste !) « participation » (de faire-valoir…) à la manifestation « Bernard Plossu » à la Bibliothèque municipale de Bordeaux

_ « M’apprêtant à gagner l’auditorium de la Bibliothèque Municipale (de Bordeaux) où va intervenir Bernard : il m’a dit qu’il aurait peut-être besoin que je « dialogue » avec lui : nous verrons bien« ,
avais-je indiqué à Michèle lors de mon message précédent, la veille, peu avant 18 heures _,

finalement,  ce fut une (toute simple) conversation (improvisée, comme j’aime ! _ « conversation » : voilà ! un processus « vrai«  trop rare ! _) avec Bernard, après la projection du magnifique _ film (de 20 minutes environ) _ « Marseille en autobus« ,
et suite à un premier commentaire
_ génial ! _ de Bernard à partir de son « photographier » montré, tel que, et commenté par lui en ce film si beau et passionnant
(sur la « poïétique » de Bernard : à l’œuvre : photographiant !!!)
de Hedi Tahar…

Déjà, quel plaisir de voir ce film ; après le _ film _ « Sur la voie » (de Hedi Tahar aussi) que j’ai pu voir et regarder au FRAC à Marseille

_ cf mon article du 27 janvier dernier sur les deux expos (au FRAC de Marseille et à La NonMaison d’Aix-en-Provence) ainsi que sur le (superbissime !) livre « Plossu Cinéma » : « L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre “Plossu Cinéma”« 

Le facile de l' »entretien » avec Bernard, est qu’il suffit de l’écouter bien et de le faire « rebondir«  sur une expression, un concept de son « Nonart » _ ou « Nonstyle Plossu » : il a repris cette expression que je proposais.

J’ai avec Bernard la même connivence (joyeuse, jubilatoire : parce que gourmande et comblée : avec ces joyeux-là ! autant que sérieusement « vrais » !..) qu’avec Yves Michaud _ cf le podcast de mon entretien avec Yves Michaud dans les salons Albert-Mollat le 13 octobre dernier, à propos de son si lucide « Qu’est-ce que le mérite ?« , aux Éditions Bourin _,

ou Marie-José Mondzain…

Ecouter et faire rebondir : la vraie conversation ! Avec probité (vérité) et liberté…

D’où la joie : et elle rayonne…

Au fond, nous croisons dans la vie assez peu de vrais joyeux ; hormis quelques philosophes et artistes un peu plus « vrais » !!!! que tant d’autres, de l’espèce proliférante, elle, des « faiseurs » et des carriéristes,
qui font, eux _ pas besoin d’en citer ! _, les têtes d’affiche des medias _ plus on est dé-culturé, plus on les croit…

Bernard, Yves, Marie-José
_ Baldine Saint-Girons aussi : lumineuse ; elle m’avait immédiatement très fortement impressionné lors de sa conférence bordelaise (à l’annexe de La Machine à lire) à propos de son si juste « L’Acte esthétique » : quelle présence ! quelle générosité !.. _,

ce sont des joyeux (généreux)
_ et moi aussi : si je puis le dire entre nous (!), Michèle, et sans trop de fausse modestie, j’espère ;

même s’il m’a fallu du temps _ = prendre de l’âge _ pour oser « faire« , agir, ainsi, moi aussi _ si j’ose m’exprimer de la sorte : sans forfanterie…
Avant, j’avais l’impression d’être tout petit-petit (à côté de « grands« ) ; et puis j’ai appris, peu à peu _ en rencontrant des philosophes à notre Société de Philosophie de Bordeaux _, à démythifier tout ça _ les fausses « grandeurs«  ! pas les « vraies« , bien sûr : celles qui, en plus, sont modestes !.. Et cela va de pair (en compagnie de l’humour) !!!

Je sais que tu comprends toi aussi ce langage…

J’en ai touché deux mots à Mélanie Gribinsky avant-hier soir au vernissage de _ l’exposition _ « Hirondelles andalouses » à la galerie « Arrêt sur l’image » de Nathalie Lamire-Fabre (excellente ! elle aussi !) ;

et Mélanie me disait qu’elle avait fait ta connaissance à Marseille, il y a un bon moment, par Patrick Sainton :

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Patrick Sainton 2000 © courtesy La NonMaison Aix-en-Provence

j’ai pu montrer à Mélanie la photo de Patrick dans le _ livre _ « Plossu Cinéma » que j’avais amené ;

je voulais que Bernard m’y griffonne un mot…  _ au passage : cette petite merveille de 192 pages est désormais disponible en librairie !.. Un très grand livre !!! Sans doute la meilleure clé à ce jour de l’Art (ou plutôt « Nonart« ) de Plossu…

Bref, il nous faut aussi un peu de temps _ et de vie ! _ pour mûrir et oser… Après (et avec) un peu d' »expérience« , c’est plus facile… Il faut aussi de la chance (quelques rencontres « positives » ; et à ne pas trop gâcher, si possible)…

Le public _ d’amateurs « vrais » de photos _,

je reviens à hier soir à la Bibliothèque municipale,

a immédiatement été « dégelé« , par Bernard, si chaleureux _ comme toujours _ ;

et il y a eu de remarquables échanges, en particulier sur le « danser » du photographe en son « photographier« …

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Michèle 1963 © courtesy La NonMaison Aix-en-Provence

Une jeune femme, danseuse, a raconté qu’elle était passée de la danse à la photo après s’être cassé la jambe…

Sans compter l’immense culture et pertinence de conception de ce qu’est le « photographier » de Bernard :

ainsi Bernard a-t-il a évoqué l’idée de réaliser un grand livre des photographes oubliés, négligés par la critique,
un bon nombre d’entre eux ayant même complètement « renoncé » à continuer de photographier _ du moins à le donner à partager avec quelque public : en expos et en livres…

Je pensais par devers moi alors au « retrait » _ comment le qualifier sinon ainsi ?.. _ de son grand ami chilien (de Valparaiso) Sergio Larrain ; mais combien d’autres, pour Bernard !!!

Ainsi a-t-il parlé, hier soir, d’un certain John Cohen ;
et aussi d’une photographe (déjà âgée) qu’il était venue rencontrer en son village perdu d’Española au Nouveau-Mexique _ elle n’en revenait pas !!!…

Et tant d’autres : mais il suffit de le lui demander…

Les « vrais » grands ne sont pas les (ou rien que les) plus (et efficacement) médiatisés…
La notoriété n’est pas le meilleur critère, hélas.

Et sur l’échelle des « vraies » grandeurs (modestes, en plus !),
Bernard a un œil infaillible !!!

Bref, il y a là un projet passionnant et d’expo et de livre, me semble-t-il, Michèle…

Ne serait-ce qu’en le concevant comme un « dialogue » _ par (et à partir de) photos _ entre Bernard et chacun d’entre ces « oubliés« -là… _ oubliés de la critique et des medias, qui font, par leur pia-pia entêtant, la pluie et le beau temps de la notoriété ! et s’ils sont encore de ce monde, en leur demandant d’y participer s’ils le souhaitent…

Bernard s’est inscrit expressément dans la filiation d’Edouard Boubat ;

moi je pensais aussi à Eugène Atget _ le flamboyant (et si discret !) libournais ! Qu’on contemple ses photos !!! Une extase !!! sans chi-chis…

Une filiation (ou une amicale…) de photographes de la douceur…

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Massif Central 2007 © courtesy La NonMaison Aix-en-Provence

Même si n’a pas été prononcée hier soir l’expression (« inadmissible douceur« ) de Denis Roche à propos de Bernard Plossu

_ cf par exemple la reprise de cette expression par Gilles Mora en sa belle « présentation« , page 12, du très vaste (et nécessaire !) « Bernard Plossu : Rétrospective 1963-2005« 

Un jeune photographe bordelais, Joseph Charroy _ je ne le connaissais pas _, est venu présenter à Bernard une série de ses photos : remarquables !
Bernard lui a donné l’adresse d’un excellent professeur de « tirage » de photos, Yann de Fareins, à Uzès.
Et quelques conseils pratiques pour se faire « reconnaître » un peu _ en commençant par un projet de « manifestation« , peut-être, à Bordeaux : d’images de Bordeaux…

La ville de Bordeaux _ qui avait été candidate au label « Capitale européenne de la culture » : et c’est Marseille qui l’a emporté ! _ en a plutôt besoin…

Comme d’un développement conséquent de manifestations photographiques
_ Nathalie Lamire-Fabre s’y consacre ardemment, et de longue haleine, depuis sa (très belle) galerie « Arrêt sur l’image« , au Hangar G2 donnant lumineusement sur le Bassin à Flot n°1…

Car il demeure toujours assez difficile _ que de circonlocutions ! _ d’obtenir des synergies fécondes à Bordeaux, me semble-t-il, du moins…
Et comme j’aimerais me tromper sur cette appréciation de la situation bordelaise !..

Je regrette, ainsi _ dans ce même registre _, que le rayon Beaux-Arts de la librairie Mollat continue de demeurer, endémiquement, un peu trop chiche en livres de photos de Bernard Plossu _ j’y regarde de temps en temps : je suis curieux… _,
alors que je viens assez souvent fréquenter ses tables (et ses rayons en hauteur) ; et « parler photo« , entre autres, avec Paul, Chantal, les deux David, tous très très gentils et remarquablement compétents ! _ et tout particulièrement en ce chapitre-ci du rayon, qui a pris pas mal d’ampleur ces dernières années…

Est-ce une affaire de distribution des livres (de photo) ? Ou de nombre d’exemplaires trop limité des tirages !
_ hier soir, a été ainsi évoqué le cas du splendide « Couleur Fresson » de Bernard (à l’occasion d’une exposition à Nice _ la dame « qui dansait » (et s’est cassé la jambe) avait pu se le procurer en visitant l’expo au Musée, à Nice) ! le tirage semble en être déjà épuisé… Paul Roger m’avait déjà parlé de ce phénomène (endémique, en effet !) ;

aussi, ne jamais laisser passer l’occasion de se procurer un (splendide) livre de photos ! quand il est là, et qu’on le feuillette ; car il est toujours en voie d’« épuisement«  !.. Demain, il sera « introuvable«  !

Pourtant, quand je m’étais rendu à la librairie « Ombres blanches » à Toulouse, à l’occasion d’une virée d’une demie-journée pour le vernissage d’une expo de Bernard Plossu et Françoise Nuñez,

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Françoise 1980 © courtesy La NonMaison Aix-en-Provence

dans les jardins « Raymond VI » jouxtant le très beau lui-même Musée des Abattoirs,

j’avais pu « réaliser » une ample moisson de livres de photos de Bernard Plossu !!!
Fin de l’incise sur les synergies bordelaises…

Bref, ce fut très bien, hier soir à l’auditorium de la Bibliothèque municipale, grâce à Michèle Pasquine, son active et chaleureuse responsable ;

comme avant-hier soir, au vernissage de l’expo « Hirondelles andalouses » à la lumineuse, donc, galerie de Nathalie Lamire-Fabre « Arrêt sur l’Image« … _ bien des amis de Bernard avaient fait le déplacement de Bordeaux pour l’occasion…

A suivre, comme toujours,

Titus

Soit un message (à l’amie Michèle Cohen, à Aix) qui me semble parler, sans plus de commentaire, de lui-même…

Comme quoi, en s’adressant à quelqu’un, en sa singularité même de personne (unique !) , on peut aussi se faire entendre de plusieurs, me semble-t-il…

Titus Curiosus, ce 13 février 2010

L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre « Plossu Cinéma »

27jan

Ce week-end des 22 & 23 janvier, j’ai fait le voyage de Marseille et Aix-en-Provence pour découvrir les expos « Plossu Cinéma » du FRAC (1 Place Francis Chirat, à Marseille, dans le quartier du Panier : bravo Pascal Neveux !) _ pour la période 1966-2009 _ et de La NonMaison (22 rue Pavillon, à la périphérie du quartier Mazarin, à Aix-en-Provence : merci Michèle Cohen !) _ pour la période 1962-1965 _ ; et être présent à la « rencontre », « Le cinéma infiltré« , entre Alain Bergala & Bernard Plossu, en guise (luxueuse ! autant que simplissimement amicale !) de vernissage à la NonMaison de mon amie Michèle Cohen…

Couverture, Porquerolles 1963

Couverture, Porquerolles, 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Il existe une énigme de la renversante beauté du Nonart _ comme il pourrait se penser (sans même le dire) à La NonMaison… _ de Plossu : sa clé étant peut-être l’impact du geste aimant photographique… En marchant et dansant, d’abord, probablement… C’est aussi une affaire de « rapport à » l’objet _ c’est-à-dire un « rapport à«  l’autre, autant qu’un « rapport au«  paysage ; les deux n’étant pas, non plus, dissociés : en tension douce ; et même d’une douceur extrême ; mais invisible, cependant, sinon par cet infime (et très rapide) geste à peine perceptible d’un photographier un instant effacé (instantanément) par ce qui suit, et reprend, et prolonge, poursuit, très simplement, la courbe (très douce) du mouvement précédent… Photographier fut à peine une parenthèse ; exquisément polie ; avec le maximum et optimum d’égards…

Ou le moyen tout simple qu’a bidouillé le bonhomme Plossu pour « être de plain-pied avec le monde et ce qui se passe« , ainsi que lui-même a pu l’énoncer _ cf le très bel article de présentation de Pascal Neveux, « Bernard Plossu /// Horizon Cinéma« , pages 6 à 9 de « Plossu Cinéma«  _ le livre, magnifique, est une co-édition FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Galerie La Non-Maison & Yellow Now / Côté photo _, avec ces mots de commentaire de Bernard Plossu : « En apparence mes images sont poétiques et pas engagées. Mais pratiquer la poésie, n’est-ce pas aussi résister à la bêtise ? La poésie est une forme de lutte souterraine qui contribue à changer les choses, à améliorer la condition humaine« 

Déjà, nous ne pouvons que prendre en compte, forcément _ face à ce (minuscule) fait (si discrètement) accompli ! _ la dimension temporelle _ cf ce doublement crucial « être de plain-pied avec » et « avec ce qui se passe« , ce qui advient et va (bientôt : tout de suite, instantanément) passer… _ du processus _ mais qui dure, qui ne s’interrompt pas, mais se poursuit, très simplement ; sans pose, ni pause… _ dont l’image photographique va, elle, (un peu) demeurer _ un peu plus longtemps, du moins… _ : quelque amoureuse trace sur une pellicule _ bande passante _ développée ; et voilà qu’il nous la donne _ on ne peut plus gentiment ! _ à regarder, et à partager, pour peu que cela, bien sûr, nous chante ; et nous enchante, alors !.. Quelle improbable joie ! et qui nous comble ! ainsi généreusement offerte et, en effet, partagée.

L’expression qui m’est venue est : « la renversante douceur Plossu » ; l’expression de mon titre _ elle m’est survenue à Aix, en repensant à tout cela, le soir (la nuit) du vernissage, dans ma chambre (noire ; nocturne) ; tout cela doucement continuant de me « travailler«  dans l’obscurité d’un penser comme un refrain

Col, “Train de lumière”

Col, « Train de lumière« , 2000 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Et voilà que je découvre _ au matin _ que, page 130 du livre « Plossu Cinéma« , son ami Gildas Lepetit-Castel, dit, lui _ et à son tour, et avec les guillemets ! _ : « l’inadmissible douceur » !

Mexico City

Mexico City © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Je lis, c’est l’incipit de l’article : « Le regard de Bernard Plossu, beaucoup en ont parlé avec justesse, cherchant à percer le mystère de ces images _ les photos qu’il nous met sous les yeux… _ empreintes _ et en gardant le parfum, la trainée, d’autant plus prégnante que discrète _ d’une « inadmissible _ nous y voici ! _ douceur » » _ cette expression d’« inadmissible douceur«  est en effet empruntée à Denis Roche, en sa préface pour « Les paysages intermédiaires«  de Bernard Plossu, l’exposition et le livre (aux co-éditions Contrejour/Centre Pompidou), en 1988 ; elle a été mentionnée aussi, déjà, par Gilles Mora en son « Introduction« , page 12, au magnifique « Bernard Plossu : Rétrospective 1963-2006 » des Éditions des Deux Terres accompagnant l’exposition « rétrospective«  de même nom au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, du 16 février au 28 mai 2007…

Et Gildas Lepetit-Castel d’ajouter, on ne peut mieux : « Bien sûr, ce n’est pas seulement la douceur qui rend ces images si singulières, c’est également la justesse _ et comment ! et combien ! en plein dans le mille ! comme la flèche de l’archer zen ! _, l’émotion, l’élégance _ magnifique, en sa fondamentale discrétion _, le refus de l’effet _ qui serait facile ; et vulgaire : jamais, au grand jamais, chez Bernard ; tout à fait comme dans le cinéma suprêmement élégant, lui aussi d’Antonioni (cf « L’Eclipse« ) ; et dans celui de Truffaut (« La Peau douce« )…

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Françoise, Toulouse 1982 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Et de poursuivre, encore : « autant de caractéristiques qui permettent de reconnaître son regard entre mille _ à coup sûr ! Certains n’y ont vu (sûrement par facilité _ en ce « ne… que« , en effet… _) que du flou _ le voici ! le fameux « flou Plossu«  _, car Bernard Plossu privilégie _ par fondamentale probité, en lui ! depuis son début, et toujours !!! sans jamais si peu que ce soit y déroger : c’est un juste ! _ l’authenticité à la netteté parfaite _ superficielle : sa « netteté«  à lui va plus loin ; elle est en vrai relief ! et condition de combien plus de « vérité«  !

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Phares, Ardèche 2005 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

D’où cette « infiltration » cinématographique _ c’est l’expression (lucidissime !) d’Alain Bergala _ de sa photo ; selon la formule radicale de Gilles Deleuze, il s’agit bien de « L’image-Mouvement« , en la photo, de Plossu, donc, aussi ; pas que dans le cinéma… Et pour Bernard Plossu, il y a davantage de mouvement (ultra-sensible et immédiat : vif ! au comble de la vivacité ! même…) en sa photo qu’en (presque) tout le cinéma ! Là se trouve sans doute l’intuition originelle de Michèle Cohen (quant à l’œuvre-Plossu), intuition à la source même _ faut- il le souligner ?.. _ de tout ce « Plossu Cinéma« -ci

Et Gildas de continuer : « Ces images ne sont pas floues, mais portent en elles la vie _ en son tremblé-dansé… _, elles témoignent _ tout simplement, en effet, rien que _ du bougé _ voilà _ du photographe, de l’empreinte du geste _ un élément capital ! _ qui les fait naître, comme la touche du peintre marque la toile _ par exemple chez un Fragonard : la couleur multipliant ainsi la vibration du saisi… La fixation s’opère dans l’acte créateur _ voilà _, cette faculté de savoir retenir _ mais parfaitement délicatement… _ les sensations _ en une esthétique stoïcienne, si l’on veut faire savant… _, et non simplement dans un rendu figé«  _ mis à l’arrêt, bloqué ; page 130, donc : c’est magnifique de précision dans la justesse !

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Patrick Sainton 2000 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Et voilà qui agace bien des grincheux… Eux « résistant » (très) dur à cette terriblement puissante _ mais c’est un oxymore _ « douceur Plossu« .

De même que Barthes disant que « désormais, l’obscène est le sentiment«  (pas le sexe) !..

Car nous voici, nous, l' »homo spectator » _ je renvoie ici à l’indispensable livre de mon amie Marie José Mondzain : « Homo spectator » _ tenus d’opérer, en suivant, dans le mouvement même, dans la danse qui, à notre tour, nous requiert _ de bouger, de danser, nous mouvoir… _, ce ce que mon amie Baldine Saint-Girons qualifie, elle aussi si justement, d' »acte esthétique » _ en son indispensable, lui aussi, « L’Acte esthétique« 

Je me propose, ainsi,

afin de me confronter ici-même, en cet article, à cette douce énigme _ celle d’un indéfinissable style (ou Nonstyle !!!) Plossu ! en sa fondamentale et fondante « douceur«  !.. _,

de confronter un texte mien, la dédicace à Bernard Plossu d’un essai (inédit, en 2007) : « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise«  ;

avec pour sous-titre _ ainsi que dans les essais américains : on aime là-bas ce genre de précision-ci ! _ : « un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni« , parce qu’un des pôles de ses analyses de la rencontre (de personnes) est la séquence ferraraise _ testamentaire ! à propos d’un amour de jeunesse ; peut-être seulement fantasmé, même… cf « Quel bowling sul Tevere » (« Ce bowling sur le Tibre« , aux Éditions Images modernes, en 2004 : un texte très précieux pour l’exploration du génie antonionien à son jaillir… _ du dernier chef d’œuvre de Michelangelo Antonioni, en 1995 (et avec, un peu, Wim Wenders : pour, d’une part, assurer des « liens » entre les séquences ; et, d’autre part (et surtout), rassurer les producteurs : dans l’éventualité où l’hémiplégique qu’était devenu, depuis son ictus cérébral (survenu en décembre 1985), Antonioni, ne pourrait mettre le point final à ce film…) : « Al di là delle nuvole » (« Par-delà les nuages« ) ;

soit une clé de tout l’œuvre antonionien ! :

je me propose de confronter, donc,

cette dédicace mienne

au texte _ tout bonnement magnifique ! _ qu’Alain Bergala a conçu, ce mois de janvier-ci, pour un mur de La NonMaison aixoise de Michèle Cohen,

en présentation d’un « Passage de l’intime à l’abstraction« , ces années 1962-1965 :

celui, « passage« , allant

des toutes premières photos de Bernard Plossu, celles de son amie Michèle Honnorat, aux alentours de la cinémathèque, à Chaillot, en 1962,

à l’aventure du « Voyage mexicain« , en 1965…

« L’exposition à La NonMaison à Aix est donc _ d’où sa radicale importance en tant que la source de tout l’œuvre Plossu ! pas moins ! _ le début et la fin d’un désir _ de cinéma _, ensemble« .

Et « Michèle incarne _ oui : c’est le mot parfaitement juste ! _ tout cela sans le savoir« , commente Bernard Plossu lui-même,

en dialogue maintenant,

et en voiture, entre La Ciotat et Aix _ cela a aussi son importance… _

avec Michèle Cohen :

car « Je rencontre Michèle Honnorat au début des années 60, et je suis frappé _ voilà ! _ par sa beauté cinématographique naturelle _ sic : 

l’élégance, même si un peu plus plus tard (!), d’une Claude Jade (celle de « Baisers volés » _ en 1968 _ et de « Domicile conjugal » _ en 1970 _, de Truffaut, mâtinée, pour le regard profond et sombre, d’une Lucia Bosè, celle de « Chronique d’un amour » _ en 1950 _ et « La Dame sans camélias«  _ en 1953 _, d’Antonioni, dont Lucia Bosè était alors la _ « sidérante« , en effet !.. _ compagne ; avant la sublime, elle aussi, Monica Vitti) _ ;

Michèle, Paris 1963

Michèle, Paris 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

je dis cinématographique parce qu’à l’époque j’allais

_ page 16 de ce livre « Plossu Cinéma« , Alain Bergala rapporte, aussi, cet éclairant auto-portrait-ci, aujourd’hui, de Bernard Plossu « en jeune homme«  de dix-sept-ans : « quand je fréquentais la Cinémathèque du Trocadéro : (j’étais) un peu de Truffaut, de Jean-Pierre Léaud et de Samy Frey« …  _

je dis cinématographique parce qu’à l’époque j’allais

tout le temps au cinéma _ d’une très grande qualité, alors _, et très souvent avec elle _ ce facteur-ci a lui aussi son importance.

Avec ma Rétinette Kodak, je n’arrêtais pas de la photographier. (…) Mon désir de la photographier me dévorait.

Dans ses regards, peu de sourires, une vraie beauté d’écran _ voilà !

Michèle, 1962

Michèle, 1962 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Une présence _ le terme capital ! _ incroyable _ tout l’art de Bernard Plossu est (ontologiquement !) une saisie (en quelque sorte : comme il le peut ! et il le peut !!!) de cette présence : « incroyablement« , en effet ; à nous « renverser«  !!! tel un Eugène Atget ! _ ; et moi je me sentais comme un petit garçon _ cela a-t-il fondamentalement changé, face au monde même, pour le grand Bernard Plossu ? _ avec juste mes 18 ans. Serais-je devenu photographe sans un tel modèle ? _ les questions de Michèle Cohen poussent loin, loin, l’introspection poïétique de Bernard Plossu, « entre La Ciotat et Aix-en-Provence« , et « entre août et octobre 2009« , et dans la voiture de Michèle, plus que probablement (cf page 176)…

Le travail de ce « Plossu Cinéma«  mène plus loin que jamais jusqu’ici l’analyse et la compréhension de l’œuvre-Plossu !!! Merci Michèle ! Je veux dire Michèle Cohen, ici…

En fait, avec elle

_ elle, Michèle Honnorat, en un mélange composé de quelque chose de Claude Jade et de Lucia Bosè ;

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Michèle, Trocadero © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

lui, Bernard Plossu, en un mixte et de François Truffaut et Jean Pierre Léaud (et, plus accessoirement, Sami Frey) :

Truffaut-Antonioni, voilà la boucle de mon « Plossu Cinéma«  à moi presque bouclée !.. _,

en fait, avec elle,

je me faisais mon film Nouvelle Vague à moi« , page 182 de l’« Entretien avec Bernard Plossu » de Michèle Cohen, qui court de la page 176 à la page 183 du livre « Plossu Cinéma« 

Ou comment passer de l’attraction du cinéma _ encore toute juvénile _ à la pratique passionnée (et vitale ! et artiste ! tout uniment ! les deux…) de la photographie !..

Ou, si l’on préfère, comment on devient le grand Plossu !

Avec cette question-clé, maintenant, que Bernard,

se faisant à son tour le questionneur,

se met à adresser à la questionneuse perspicace et tenace, dans toute sa (permanente) douceur, Michèle Cohen, page 178 _ soit l’arroseuse arrosée !

Michèle vient de dire : « Truffaut aussi séchait les cours pour aller à la Cinémathèque ; mais quand il est devenu réalisateur, il a séché la vie _ ce que Bernard n’était, n’est, et ne sera jamais, prêt à faire, lui !!! _ pour ne plus quitter les tournages de film.« 

Alors Bernard, piqué au vif, se fait le questionneur :

« Michèle, je te pose cette question : « Est-ce que, quand on arrive à la caisse d’un cinéma et qu’on achète son ticket, c’est pour la liberté ou l’esclavage ? » »

Michèle n’y répond pas ; esquive provisoirement la réponse… Celle-ci, cependant, affleure vite très peu plus loin, quand, page 179, Michèle déclare : « Dans le « Voyage mexicain« , tu écris que voyager, c’est crever les petits écrans du cinéma _ voilà ! _ pour rejoindre enfin _ voilà : de plain-pied ; sous son pas ; en marchant et cheminant ! _ les grands espaces… Voulais-tu tourner le dos au cinéma et à Paris ?« … Le jeu du questionnement commence à « brûler«  ; même si la voix de Michèle est très douce

Car Bernard répond, comme toujours !, sans barguigner : « Oui« .

Et il explique, en racontant : « Une après-midi pluvieuse au Quartier latin, en sortant d’un western, j’ai enfourché mon vélo et je me suis dit : « Qu’est-ce que je fous là ? » C’était plus fort _ en terme d’intensité du ressentir, c’est-à-dire du « vivre« , tout bonnement ! _ d’être à _ et avec ! « de plain-pied«  _ Big Sur pour de vrai _ voilà ! _ que de le voir _ seulement des yeux _ au cinéma _ sur un écran toujours trop « petit«  !.. J’avais 25 ans. Je suis allé voir le monde en relief _ et le saisir sur la pellicule ultra-sensible photographique à bout de bras… Ce « relief« -là même du « flou Plossu« , qui tient à la marche en avant _ la plante des pieds au sol ! _ du photographe en son acte décidé (et hyper-sensible : un million de fois plus que la pellicule), « à vif«  et tellement léger à la fois !, de photographier… Le pied, le bras, le doigt suffisent ! C’est un art hyper-gestuel ! Tout y est geste ! Y compris, forcément, les opérations du cerveau ! En hyper-accélération !..

Bref, « les salles de cinéma, c’était l’enfermement«  : voilà donc la réponse !

La stagnation stérile…

« Et depuis que _ parce que « vivre, c’est tellement mieux que d’aller au cinéma » (en position de « spectateur » seulement…) _ je suis revenu en Europe, je suis souvent _ quand Bernard n’est pas « sur le terrain« , ou bien sur la route (ou en train), en « campagne » hyper-active (mais hyper-patiente et hyper-tranquille : hyper-attentive ! à l’imprévu !) photographique ! _ chez moi ; je ne « sors pas le soir » ; je lis _ voilà la nourriture plossuïenne. La lecture a remplacé le cinéma _ moins substantiel dorénavant pour lui : il n’y va quasiment plus.

Je lis beaucoup, à 80 % la littérature italienne _ Rosetta Loy (l’auteur de « La Première main« ) et Elisabetta Rasy (l’auteur d’« Entre nous«  et maintenant « L’Obscure ennemie« , sa très exacte suite), pour commencer !.. tellement sensitives ! ces deux Romaines magnifiques… _, les nouveaux écrivains de polars réalistes _ pour leur ontologie fruste (du réel!)… En voyage aussi je lis. Je prends le train exprès _ en effet ! _ pour lire !

Avec les paysages français, italiens ou espagnols _ cf son merveilleux « L’Europe du Sud contemporaine« , aux Éditions Images en manœuvres, en 2000 : un des chefs d’œuvre de Plossu !.. Cherchez-le ! _ qui passent à la fenêtre _ quel luxe, en effet ! qu’un tel défilement (de beauté de paysage) à portée de regard ! Parfait.« 

Voici donc,

après cette clé du « Cinéma » de Plossu, délivrée à la curiosité tranquille et douce, patiente, profonde et juste _ hyper-attentive elle-même, comme il se doit : c’est là le gisement à éveiller de sa création personnelle à elle… _, de Michèle Cohen,

voici ma dédicace (en 2007) à « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise » ;

puis la suivra le texte du mur : magnifiquement intitulé, par Alain Bergala, « Le Sentiment de l’essentiel » _ qu’a (et qui possède) Bernard Plossu…

A Bernard Plossu, photographe
si juste,
dans ses photos comme dans la vie


qu’on peut dire
de ce qu’on peut identifier, instantanément,
d’une somptueuse et sans chi-chi évidence,
comme « son style« ,

instantanément et à la perfection « identifié », et reconnu de soi, en effet
_ d’où pareille stupéfiante « justesse » : on s’y arrête, on ne peut que l’approuver et même la « saluer »,
et bien bas,
d’une quasi imperceptible inclination du menton,
seulement,
tant elle est légère, délicate, discrète,
mais pas moins non plus ! _,

un « style » avec ce que d’aucuns,
le « pointant » en zigzaguant un peu de l’index,
seraient tentés, en balbutiant un peu aussi , de « baptiser »
_ selon les canons plus ou moins en cours, c’est-à-dire quelques habitudes un peu installées _
« le flou » ;
ou, du moins, « avec parfois du flou« ,
car cela n’a rien, bien sûr, de « systématique » : un style ne peut pas être systématique !

mais pas « n’importe quel » « flou« , oh que non ;
ni n’importe quel « avec parfois » :
il lui faut, justement, à ce « flou« ,
et en « son » occurrence précise, en « son bain », en « son jus », en « son contexte »,
en cette circonstance-ci, toute particulière, et si singulière,
peut-être rare, et peut-être même unique, dans sa contingence absolue,
tout en étant, l’occurrence (= ce qui arrive, qui survient,
et qui, d’avoir surgi, maintenant est là,
tout à fait là,
on ne peut même guère davantage être plus là,
comme à son comble de présence),

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Modène 2001 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

tout en étant, donc,
la plus constante, banale, quotidienne _ « le fil même des jours » : surtout lui ! _ ;
il lui faut, donc, à ce « flou« -ci, ce « poudroiement »,
ce doux et léger sillage de mouvement
avec sa mince, imperceptible
et donc invisible trainée
de poudre-poussière,
telle celle d’une étoile filante, d’une comète, de quelque angélique « voie lactée » :
il lui faut, à cette image _ qui reste,
et va, ne serait-ce qu’un peu, en son instant,
demeurer sous et pour nos regards _ ;
il lui faut
cette époustouflante sidérante qualité _ est-ce de grain ? _ de toute simple et immédiate « évidence »
d' »allure », de « mouvement de danse », de « glissé »
(de ce qui suit et accompagne amoureusement « l’élan » :
comme un halo
à peine _ c’est si légèrement _ vibré ou tremblé)
_ jusqu’à presque, mais juste avant (par l’é-gard) la caresse _
il lui faut donc cette qualité, ou grain, d' »allure » quasi dansé
du « vrai vivant » et du »vivant vrai »
_ « qualité de grain d’évidence » combien rare, certes :
ailleurs qu’en ses photos et que dans lui, au quotidien, veux-je dire _
il lui faut
 » la justesse », en toute sa précision _,

qu’on peut dire _ j’y suis _
de ce style « si juste »
et si précis

_ dans, et par, cette sorte de brume qui nimbe
(pas tout à fait cependant jusqu’à l’embrouillamini et les carambolages du « brouillard »)
de ce « flou » _ allons-y donc, aussi _,

qu’on peut dire de ce style
qu’il est « à la Plossu« 

_ marque de fabrique libre, formidablement libre
_ ça aussi, comment ne pas le remarquer et le dire ? _
sans avoir eu jamais besoin d’être déposée ;
sans exportation ni contrefaçons possibles, en conséquence :
pour réussir à contrefaire la « marque de fabrique »,
ou ce « style« , « Plossu« ,
il faudrait parvenir à devenir
ce que la palette bariolée des multiples, divers, variés, vastes, aux dimensions de tous les continents de la planète, et tortueux aussi parfois, chemins de sa vie,
y compris passages d’épreuves et par le(s) désert(s) _ ô combien divers, les déserts _,
sont arrivés à faire du « bonhomme Plo«  _ ou, mieux encore, « plo« , sans majuscule (ou « b« , ou « ploplo« ) _,
comme il lui arrive de conclure avec prestesse ses merveilleux _ de justesse (et beauté : mais est-ce distinguable ?) _ mails,
mieux repéré dans le monde de la Photo et de l’Art sous l' »identifiant » « Bernard Plossu »

Saludo, o Abrazo, y Gracias, amigo.

Et maintenant,

« Le Sentiment de l’essentiel« , par Alain Bergala _ avec quelque farcissures miennes : en prolongement de son penser… _ :

« Les photographes qui inventent vraiment en photographie, ceux qui trouvent _ en général tout de suite _ leur photographie _ = leur style _, sont rarement ceux dont la visée _ carriériste _ est d’entrer dans l’institution de la photographie, d’endosser le rôle social de « photographe » _ Plossu n’est pas « social« , en effet ; ni idéologique ! Il n’est pas dans le « rôle«  Ce sont d’abord les images dont ils ont besoin _ en une très impérieuse « nécessité«  de (tout) leur être-au-monde (d’artistes : dont ils ressentent l’« appel«  profond !) _, et dont le modèle n’existe pas _ ni, donc, nulle part ne pré-existe _, qui les fait s’emparer _ tel est le geste fondateur, et quasi anodin, en même temps _ d’un appareil photo. N’importe quel appareil photo, la technique dans ce premier temps leur importe peu _ c’est seulement l’image elle-même, et en son geste unique, aussi, qu’il leur faut, et urgemment, « sauver«  : en la captant, tel un pauvre croquis sur un carnet à tout faire… Leur horizon de création n’est pas la photographie en elle-même ni pour elle-même, mais d’abord un besoin personnel, impérieux _ de toute première nécessité : en effet ! _, pas forcément conscient : celui de faire des images qui répondent _ en se traçant si peu que ce soit ainsi _ à leur propre désir _ à eux, ces « inventeurs«  _ d’entrer avec le réel _ au lieu de lui passer à côté ! sans que rien du tout en résulte… _ dans un rapport _ ontologique, de vérité : actif (à la puissance mille) ! voilà ! _ qui soit le leur _ en s’y glissant : tout en douceur, en ce rapport « leur« , idiosyncrasique, au réel… ; ne pas passer à côté de sa (seule vraie) vie !!! _, et dont ils n’ont pas forcément les mots _ ce serait déjà trop long _ pour le dire ou le penser _ c’est le dispositif photographique (dont soi-même on est un simple morceau, un simple rouage, une petite bielle : quasi modeste) qui seul agit ! Rien n’est moins futile _ certes : c’est de l’ordre de la gravité ! même si ultra-légère ! et ultra-rapide ! sans la moindre lourdeur ; laquelle, malheureux !, plomberait vilainement tout… _ que ces photos dont quelqu’un a eu intimement besoin _ c’est très exactement cela ! _ dans son rapport au monde _ qui le fait exister, aussi, lui, s’accomplir, se déployer : _ se déployer avec et vers l’objet saisi ; avec (= en compagnie de) et vers (en direction de) l’autre de ce rapport ; et autre absolument capital ! C’est une affaire de respiration (vitale !) : versus asphyxie… Ce qui est futile, c’est de faire de la photographie pour toute autre raison _ certes ! petite, sinon minable ! eu égard à ce « cela«  vital, capital, lui ! _, même artistique au sens social du terme _ et qui ne vaut pas grand chose (trop de pose ! et un penchant de fausseté !), face à pareil « absolu » !.. « Il n’y a pas photo«  du tout, en pareil choix, en pareille alternative !!! forcément rencontrée par tout artiste… D’où la fondamentale probité Plossu. Et la force de vérité des images qui en résultent et qu’il nous donne ! De quoi faire rager bien des jaloux, évidemment ; et leur ressentiment d’« inadmissible » face à la pureté, en effet, quasi angélique, mais oui ! _ et scandaleuse alors ! cf Pasolini ! Par exemple, en son « Théorème« _, de la vérité d’image du réel que sait capter si délicatement Bernard Plossu : tout innocemment, lui !..

Regardez bien la vibration _ oui ! _ à nulle autre pareille _ en effet ! _ de ces photos de femme _ Michèle Honnorat avait dix-huit ans, au Trocadéro, en 1962 _ dont il veut enregistrer la beauté sidérante _ voilà _ qui le charme autant qu’elle l’inquiète _ en effet ! et il lui tourne inlassablement autour ;

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Michèle 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

cf aussi les deux photos éblouissantes de Michèle

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Michèle, 1963  © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

sur le pont du bateau au large de Porquerolles, l’année suivante, en 1963 : peut-être le sommet de toute cette séquence de l’expo à la NonMaison ! _,

un ami _ Dominique Vialar _ dont il veut capter la croyance _ = confiance _ qu’il a en lui

Dominique Vialar, Paris 1963

Dominique Vialar, Paris, 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

_ une image d’une suprême élégance ! : à comparer avec celles (de groupe) des copains de ces années-là, dans cette mine qu’est le « Plossu : Rétrospective 1663 – 2006 » de Gilles Mora, aux pages 29 & 31 du chapitre « Génération nouvelle vague » : images plus anecdotiques, sociologiques (ou biographiques) seulement… : c’est du moins mon point de vue… _,

un coin de rue du Mexique où résonne sourdement son propre imaginaire cinéma _ tel un bagage en fond sonore du regard.

Ce qu’il cherche à apprivoiser _ oui ! du réel qu’il aborde (ontologiquement, en quelque sorte) à travers ces divers  « rapports«  aux choses, aux lieux et aux êtres (de chair et de sang)… _ avec ces photos, c’est le mystère du rapport qu’il entretient _ oui, c’est aussi comme une lutte amoureuse… _ avec ces sujets _ lieux et moments compris ! _ proches et pourtant si insaisissables _ faute d’être avec eux tout à fait « de plain-pied«  ! mais l’est-on jamais complètement ?.. Nous cesserions de continuer de marcher… Tout est dit ici, Alain ! Le jeune homme _ de dix-sept et vingt ans _ qui les a prises ne jouait _ certes _ pas au photographe. Au contraire : c’est lui et son rapport à la vie, aux autres, qui était en jeu _ de fait _ dans ces images _ en jeu grave, comme pour le (grand) Michel Leiris de « L’Âge d’homme » et de « La Règle du jeu« , ajouterais-je, pour ma part… Par quel miracle Plossu n’a-t-il jamais perdu _ en effet ! _ ce sentiment du personnellement essentiel _ c’est très exactement cela !!! _ qui imprègne _ et nimbe, si légèrement ; et avec quelle joie luminescente d’exister ! _ ces photos initiales ? _ Merci, Michèle,

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Michèle Cohen et Bernard Plossu, La Ciotat août 2009, par Guy Jungblut © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

de nous les faire découvrir, « à la source«  même _ « poïétiquement« , pour reprendre le terme du philosophe de l’Esthétique Mikel Dufrenne, en son passionnant « Le Poétique » (aux PUF), en 1963… _ de Plossu, en 1962… C’est proprement à la « poïétique« , même, donc _ rien moins !!! _ de Bernard Plossu que nous fait accéder par son intuition initiale, dès avant l’été 2008, Michèle Cohen, en étant à la source de ce « Plossu Cinéma«  ; je veux dire par là : et les deux expos du FRAC PACA de Marseille et de La NonMaison d’Aix-en-Provence ; et la si belle réalisation du livre qui en témoigne, par Guy Jungblut (avec l’œil _ unique ! _ de Bernard Plossu), de ce « Plossu Cinéma« , aux Éditions Yellow Now   Cet homme-là a toujours eu _ oui ! _ un besoin intime _ merveilleusement fort en sa terrible douceur ; d’aucuns (trop cérébraux ! ceux-là…) ne le supportent pas ! cela leur est « inadmissible«  ; mais oui, Gildas ! tant pis pour ces tristes !!! et jaloux… _ des photos qu’il a prises toute sa vie » _ sur la privation endémique et galopante de l’intime par nos contrées aujourd’hui, lire, de Michaël Foessel, « La Privation de l’intime » ; cf mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« 


Alain Bergala, janvier 2010

Voilà nos manières d’approcher peut-être l’énigme de la douceur du rapport au monde _ et toujours parfaitement « intimement«  ! _ du bonhomme Plossu ; notre ami…

Le monde en est meilleur !

A votre tour,

laissez vous gagner (à la stoïcienne !) à son contact…

Titus Curiosus, ce 27 janvier 2010

Post-scriptum :

Cette (double) exposition (marseillaise et aixoise) m’est d’autant plus _ un peu personnellement _ chère

que je fus aussi _ un peu, donc _ sur ses fonts baptismaux, avec Michèle Cohen et Pascal Neveux,

au domicile de Bernard Plossu, le 22 juillet 2008 ;

sur une intuition fécondissime de départ de Michèle… Vivent les nuits d’été !

Et enfin,

cerise sur le gâteau,

c’est à l’objection de Valéry Laurand, philosophe (spécialiste des Stoïciens) : « et la « rencontre », si ce n’était que du cinéma ? » _ de la « pose« , en quelque sorte ; du théâtral : menteur… _

que je me suis « essayé » à répondre

en un (long) essai (inédit : je l’ai adressé seulement à Bernard Plossu et à Michèle Cohen ; car ma réflexion est partie de ma propre rencontre avec le bonhomme Plossu _ et ses diablesses de photos : d’une douceur « confondante » !.. pure, angélique !.. _) intitulé « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise » ;

car la vérité de ce que nous donne à regarder, en son cinéma, Michelangelo Antonioni _ comme en la séquence ferraraise (inaugurale tout autant que testamentaire) de « Al di là delle nuvole« , en 1995… _,

moi, j’y crois !

Aussi, suis-je personnellement ravi que la (double) photo de couverture

Couverture, Porquerolles 1963

Couverture, Porquerolles, 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

_ sublime en sa « séquence » (horizontale, panoramique : la ligne d’horizon de la mer prolongeant la ligne du dos de la jeune fille) à la fois contrastée (le charnu d’un corps de jeune femme étalé se livrant, de dos, les yeux clos, au soleil sur le pont d’un bateau / quelques rochers dressés, pointus, hostiles sur une côte d’île au milieu de la mer, sur la droite de l’image), et (très discrètement) signifiante de la complexité de ce qu’est la vie ; et même les amours… _ de ce si beau livre qu’est « Plossu Cinéma« , aux Éditions Yellow Now, et dans la collection Côté photo _ merci Guy Jungblut pour votre travail, une fois de plus, parfait ! si élégant et si juste ! c’est essentiel ! c’est magnifique ! dans toute la diversité, aussi, du « regard«  (unique !) de Bernard Plossu… _, soit la succession de deux images prises l’une juste après l’autre _ et se succédant sur la planche-contact _, l’été 1963 au large de Porquerolles _ la photo de « quatrième de couverture » (avec un superbe cactus proliférant sur la petite terrasse face à la mer)

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Quatrième de couverture © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

est sous titrée, de l’écriture claire, vive et pausée, tout à la fois, de Bernard Plossu : « La maison de Pierrot le Fou à Porquerolles, en 1976«  ; un hommage à Godard, elle, dont la Marianne et le Pierrot nous ont, pas mal d’entre nous, pas mal marqués (en 1965)… _,

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signature © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

la succession _ séquentielle ! cf là-dessus la très riche réflexion de l’article « Photographier en cinématographe«  de Núria Aidelman, en présentation de la section « Le Déroulement du temps«  de l’expo au FRAC de Marseille, aux pages 84-85 du livre…  _ de deux images _ à gauche, Michèle Honnorat prenant le soleil sur le pont du bateau ; à droite, la côte rocheuse, noire, au large, mais pas loin, vers Porquerolles _ sur la planche-contact, qui rappellent, en radieuse beauté, l’Antonioni de soleil et d’ombre de « L’Avventura« , en 1960 _ dont la (magnifiquement) longue séquence de (quasi _ le tout début se passe à Rome…) ouverture se déroule au large de, et puis sur l’îlot (seulement rocheux, peu accueillant à arpenter…) de Lisca Bianca, la plus petite des Îles Lipari (ou Îles Éoliennes), chères aussi (depuis) à Bernard Plossu…

Je suis _ personnellement _ particulièrement heureux, donc, de ce choix (et hommage) « antonionien » !!! pour ce livre magnifique _ de 192 pages, avec un éventail très généreux de merveilleuses photos _ qu’est ce « Plossu Cinéma« , nous donnant à regarder le parcours d’artiste de Bernard Plossu, de 1962 à 1965, puis 1966 à 2009.

Le livre est ainsi,

par cette « récapitulation » d’un bonheur vrai _ d’artiste et d’homme, tout uniment !

et c’est crucial en ce cas d’espèce ! la perspective « poïétique«  sur la gestation du génie Plossu

_ Alain Bergala use, lui, de l’expression, également très juste, de « cinéma séminal«  ! pour intituler sa très substantielle et éclairante contribution : « Le Cinéma séminal de Bernard Plossu« , aux pages 16 à 27 de « Plossu Cinéma«  _

issue du regard (profond !) de Michèle Cohen

étant à mes yeux la nouveauté fondamentale et capitale, pardon d’enfoncer ainsi le clou !, de ce livre-ci, « Plossu Cinéma« , sur l’œuvre : photographique,

mais aussi cinématographique !

_ cf les deux films projetés en permanence et en continu au FRAC :

soient « Almeria, La Isleta del Moro« , une vidéo couleur de 50′ de Bernard Plossu lui-même, en 1990 ;

et « Sur la voie« , un documentaire réalisé par Hedi Tahar, sur une idée de Bertrand Priour, en 1997, une production La Houppe, pour FR3 : « sur la manière de photographier«  de Bernard Plossu « depuis les vitres d’un train«  : ici « pendant le trajet La Ciotat-Lyon-La Ciotat, via Marseille, en hommage aux frères Lumière« , Bernard Plossu commentant tout le long ce qu’il voit : « L’équipe avait une 16 mm, une caméra vidéo qui prenait aussi le son ; et moi, j’avais une petite caméra super8. C’est ce jour-là que j’ai filmé ce qui est devenu ensuite la série de photogrammes « Train de lumière« . Comme j’avais aussi mon appareil photo Nikkormat, j’ai collé la caméra super8 au viseur du Nikkormat, et j’ai filmé à travers : verticale et horizontale, double vision !« , commente Bernard Plossu lui-même

+ la (double) projection, et en avant-première, au Cinémac, du Musée d’Art Contemporain de Marseille, le samedi 27 février prochain, de 14h à 17h, des deux films : « Le Voyage mexicain« , film super8 en couleurs tourné en 1965-1966 (de 50′), par Bernard Plossu lui-même ; puis « Un Autre voyage mexicain« , film en couleurs tourné en 2009 (de 110′) par Didier Morin ;

de même que « Le Voyage mexicain«  de Bernard Plossu sera redonné le samedi 20 mars au FRAC de Marseille, à 14h30, en présence de Bernard Plossu et de Dominique Païni ; Dominique Païni a écrit l’article de présentation (aux pages 158 à 161 de « Plossu Cinéma ») qu’il a intitulé « Vierge, vivace et le bel aujourd’hui« , consacré aux films de _ ou avec la participation de _ Bernard Plossu : une sélection de photogrammes extraits des films « Train de Lumière », « Sur la voie« , « Le Voyage mexicain«  et « Almeria« , sont visibles aux pages 162 à 175 de « Plossu Cinéma« . Fin de la (beaucoup trop) longue incise à propos de l’œuvre cinématographique (à découvrir !) de Bernard Plossu : tout aussi libre et juste que sa photo… _

Le livre est ainsi

_ je reprends ma phrase commencée plus haut _,

par cette « récapitulation » d’un bonheur vrai _ d’artiste et d’homme, tout uniment ! _ conquis sur fond de deux ou trois précipices, bien réels eux aussi ;

le livre est ainsi

magnifiquement plossuïen _ j’espère qu’on voudra bien pardonner l’étalage ici de mon enthousiasme… Mais il n’est pas si fréquent d’approcher d’un peu près, au point d’y participer même un peu, à la joie généreuse d’un tel artiste « vrai«  !

D’où le qualificatif (rochien) d’« inadmissible » _ de la part des malheureux qui « résistent«  des quatre fers à l’évidence Plossu… : dans leurs forteresses froides (et hyper-sèches) germano-pratines ! _ pour ce que je ressens _ on ne peut plus joyeusement, dans mon cas, provincial que je suis, moi aussi, et du pays (rieur) de Montaigne ! _ comme une « renversante«  « douceur » : étonnamment discrète et pudique _ et la boucle est bouclée…

Pour prolonger la conférence d’hier soir de Fabienne Brugère : penser la « sollicitude » et l' »intime »

26nov

Pour prolonger la conférence d’hier soir de Fabienne Brugère, sur « Le Sexe de la sollicitude« 

_ dans les salons Albert-Mollat,

et dans le cadre de la saison 2008-2009 des conférences de la Société de philosophie de Bordeaux _,
ce petit mot (à un ami) :


Cher Rolandas,

Après Fabienne,
c’est Guillaume
qui hier soir, en aparté à la conférence _ salle pleine (des salons Mollat illuminés) _ de Fabienne _ en forme olympique _
m’a « confié » qu’il s’était mis à « re-lire » « La Privation de l’intime« 

(de Michaël Foessel)

que je t’ai chaleureusement recommandé (cf mon article du 11 novembre : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la démocratie«  ;

en convenant que le faisceau du projecteur en direction du phénomène de « pipolisation »
n’était, en effet que marginal dans l' »économie » du livre _ ainsi que je le lui avais bien soutenu en notre échange téléphonique de dimanche après-midi…

Quant à Fabienne,
elle a, elle aussi, convenu _ au sortir de la conférence, et en nous dirigeant vers le restaurant du repas convivial qui allait suivre (au « Café Louis« , du Grand-Théâtre),
que la conception de « l’intime » de ce livre (de Michaël Foessel)
s’attachait bien à un rapport d’attention à
(la personne de) l’autre (comme sujet ; et « aimé » vraiment…) ;
et pas à quelque repli sur quelque « intériorité » (d’un Moi séparé, en quelque « fort » _ sic _ intérieur ; vis-à-vis de quelque « objet » _ ou « moyen » _ que ce soit…) ;

ainsi qu’au concept _ si crucial _ de « vulnérabilité » « humaine »…

Et que la troisième partie de « La Privation de l’intime » était, en effet, très riche
de bien fécondes perspectives (quant au devenir démocratique)…

Pour ce qui concerne le fond de la conférence de Fabienne hier soir,
je vais tâcher d’en rédiger un article (sur mon blog) ;

et pour ce qui concerne « la forme »,
Fabienne l’avait hier soir
:

claire, précise sur les détails de ses analyses,
_ encore mieux que dans son livre, ai-je « trouvé »…

Il n’empêche,
le fond

_ sinon une quasi « fusion », du moins de très fortes « passerelles » revendiquées,

du « descriptif » (disons, de nature sociologique) et du questionnement (proprement philosophique, lui) de ce qui peut venir « fonder » des normes (morales, sociales, politiques) _

continue de, « quelque part », « me gêner » un peu (aux entournures)…

Céline Spector, avec sa clarté synthétique coutumière _ bien précieuse ! _,
a tranquillement ouvert le débat avec cette question _ de fond, cruciale _
quant au statut de la « sollicitude » (et du « care« ) :
la visibilité
_ « demandée » (par Fabienne, et à plusieurs reprises, je l’avais repéré, dans le livre) _ ne tombe-t-elle pas (un peu) sous les coups
des critiques du tout-Etat-Providence ?..

même si Fabienne, en son exposé, avait solennellement « récusé » par avance les arguments _ type Michel Schneider _ anti « Big Mother » : in « La confusion des sexes » (paru aux Éditions Flammarion en février 2007)…

Quelle est donc « l’authenticité » d’une « croisade » (en faveur de cette « sollicitude« -là) ?

Que penser des arguments cherchant à bien dissocier la « sollicitude« ,
et de la « compassion«   ;
et, plus encore, de la « charité »
_ présentée comme illégitime
parce que prétendant se fonder sur quelque transcendance (divine) ?..

Je me le suis demandé à la lecture du « Sexe de la sollicitude« ,
et continue de m’y interroger après ce (très) clair exposé
de la conférence d’hier soir…

Bref, cette « sollicitude« -là _ et à l’égard de quels « pauvres« , de quels « blessés » (de la vie) ? _
sur quoi donc vient-elle « se fonder » ?

Parvient-elle à échapper, et comment, au statut (et fonctions) de l' »idéologique » ?

Voilà qui continue pas mal de me « travailler » encore…

Et sur quoi se détermine la différence entre « le proche« 

_ ayant « droit » à de « pleins » rapports de réciprocité _
et « le lointain« 

_ « réduit », lui
(sur « qui » on vient alors « se pencher » : le « surplombant« …),
à des rapports a-symétriques ?

même si la « liberté » de chacun d’eux est très clairement revendiquée,

et notée « à respecter »…

Par quel « sur-plomb »

qui soit « de droit » ?..
et pas rien que « de fait »…

Bruce et Christophe
se le demandaient aussi…

N’y a-t-il pas là quelque chose comme de l' »inauthentique »,
ainsi que quelque chose comme des « larmes de crocodile » _ « Où sont les caméras ?« ..

Voire : n’y aurait-il pas, ici,
rien que cela ?..

Le « second » dix-huitième siècle, enivré de « vertu »

_ et de « larmes » (je pense ici aux beaux livres de Chantal Thomas : « Les Adieux à la reine » ; « La reine scélérate. Marie-Antoinette dans les pamphlets » ; « Sade » ; « Sade, la dissertation et l’orgie » ; « Casanova. Un voyage libertin« ) _ sous le règne de ce brave bougre de Louis XVI _,
n’aboutit-il pas

aux paniers de sciure des têtes coupées (à la « réception » du couperet de la guillotine)

de la Terreur robespierrienne…

Du Laclos des « Liaisons » _ dangereuses, en effet, certes ! _
au Beaumarchais de la « Mère coupable » ;
et, immédiatement après, au Sade des « Infortunes »

de cette « vertu« …

De même,
l’expression de Fabienne

_et dans son livre,
et lors de sa conférence _,
d’un « usage de la politique« 
me fait toujours assez (fortement) « question » ;

me « trouble »…

Tout cela n’étant vraisemblablement pas sans nul rapport, non plus,
avec les querelles, pressions, cris d’orfraies
du congrès _ et suites _ du PS,
en train de s’achever pendant que nous dînions _ fort agréablement, et convivialement _ hier soir…

Voilà de toutes premières réflexions sur cette conférence

très réussie

d’une Fabienne très en forme,
dans ce si beau lieu,
si bien éclairé,
des salons Albert-Mollat, hier soir…


Bien à toi,

Titus

qui tâchera de rédiger quelque chose sur « Le Sexe de la sollicitude » aussi sur son blog…


La question de l' »authenticité » n’en paraît que plus « forte » ;
ainsi que la question des « fondements » _ et de l' »autorité » _,
en régime

_ désormais : Fabienne citait très justement la position, notamment, de David Hume _ ;

en régime d’immanence,

de la « sollicitude »…

Sur le terrain de l’esthétique,
je n’ai pas encore lu « L’expérience de la beauté : essai sur la banalisation du beau au XVIIIe siècle » de Fabienne (Brugère),
mais _ j’avais écouté Fabienne en (bien) parler sur France-Culture ;
à l’émission de Raphaël Enthoven, il me semble me souvenir _ ;

je ne me situe personnellement pas tout à fait
sur ce champ
_ rien que « de fait » _ de la « banalisation » des valeurs (esthétiques ; et autres !)…

Idem quant aux réflexions de l’ami Bruce (Bégout),
avec lequel j’ai échangé quelques mots hier soir, à la conférence (mais lui participait à un autre « banquet philosophique »),
sur le « quotidien » (in la « Découverte du quotidien » ; cf aussi « De la décence ordinaire« , qui est sur ma table de chevet)…

« Banal » ; « quotidien« 
versus _ peut-être ?… _ « intime« , en quelque sorte (pour se référer au livre si riche de Michaël Foessel
et versus, aussi, le « sublime«  de l’amie Baldine Saint-Girons (« Le Sublime » ; cf aussi son très beau « L’Acte esthétique« )…

ou l' »indécrottable » point de vue du « baroqueux »
que je demeure ad vitam æternam !..


Dernière chose :


j’ai très envie de « lire » Stanley Cavell,
notamment son « Déni de savoir » :

au repas hier soir, Layla Raïd me l’a présenté très favorablement,
à partir des mots de « rencontre » et de « conversation« 

_ qui sont, aussi, de « mon » vocabulaire, comme de celui de Layla :
le vocabulaire de l' »intime« 
, donc,

cher Rolandas…

J’espère ne pas trop te faire perdre de ton temps en étant si prolixe…
à rebours du B-A BA de l' »art de la conversation », justement : sans pesanteur, lui…
Vive Marivaux !

Titus Curiosus, ce 26 novembre 2008

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