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La merveille Scarlatti par le prodigieux Pierre Hantaï (suite)

30avr

Pierre Hantaï nous offre cette fin du mois d’avril 2016 un stupéfiant (de beauté !) quatrième volume des Sonates de Domenico Scarlatti (CD Mirare 285).

Voici donc que Pierre Hantaï _ que l’on sait perfectionniste, alors qu’il nous donne à espérer depuis pas mal de temps le Deuxième Livre du Clavier bien tempéré, de Jean-Sébastien Bach _,
après nous avoir donné il y a déjà pas mal de temps _ 2002, 2003 et 2005 : déjà ! _ trois magnifiques CDs de Sonates de Domenico Scarlatti,

voici que Pierre Hantaï nous fait la surprise d’un extraordinaire et époustouflant Scarlatti 4 ! _ seule la sonate en la majeur K. 208, notée adagio e cantabile, déjà présente en 2002 sur le premier CD Scarlatti de Pierre Hantaï (en 3′ 27) est ici jouée à nouveau (en 3′ 34) : une merveille !..

Extraordinaire et époustouflant, car c’est ici la perfection même, idéalement et charnellement incarnée ; et pour un compositeur, Domenico Scarlatti, lui même parfait…

Et l’expérience, forgée au cours des ans, de cette singulière merveilleuse musique _ comment se peut-il que l’écoute de Scarlatti ne soit pas encore remboursée par la Sécurité sociale ?! _ nous vaut, de l’interprète, trois lumineuses pages du livret _ pages 6 à 8 _, intitulées « Quelques remarques sur la chronologie de l’œuvre de Scarlatti« ,

d’ailleurs reprises du coffret des 3 précédents CDs Scarlatti de Pierre Hantaï, qui était paru, lui, en 2014 _ était-ce donc pour nous aider à patienter ?…

Je viens de ré-écouter à la suite ces 4 CDs _ soit 4h 45′ et 26″ de musique merveilleuse… _,

en me souvenant d’un certain désaccord de ma part, lors de la première écoute, à l’égard du premier de ces CDs, en 2002 : un peu trop expérimental à mon goût de la part de l’interprète, quasi « hystérisé » même, me semblait-il, du moins pour quelques unes de ces sonates, prises dans un excès de vitesse qui m’avait étonné et agacé… Alors que j’avais été magnifiquement convaincu de la parfaite et admirable « justesse » d’interprétation des deux CDs Scarlatti suivants de Pierre Hantaï, en 2003 et 2005 : impériaux, eux !

Eh bien ! ce Scarlatti 4 est tout simplement enivrant de jubilation !!! Et combien merveilleusement fidèle au « Vive felice ! » de Domenico Scarlatti !

Et quel plaisir de l’enchaînement-montage _ par Pierre Hantaï lui-même _ de ces 17 sonates, et de ces 76’…

Le plaisir est absolu !!!

Ce CD est tout simplement un chef d’œuvre !

On voudrait donc demander alors à Pierre Hantaï comment il a procédé à ses choix de sonates _ parmi les 555, ou un peu plus, de Scarlatti… _, ainsi qu’à leur montage _ au cordeau ! _ sur chacun de ces CDs.

Le livret du coffret des 3 CDs Scarlatti de 2014 comportait une très éclairante « Conversation avec Pierre Hantaï sur la musique de Scarlatti et son interprétation« , avec Christophe Robert,

qui aurait mérité, elle aussi, une ré-édition dans le livret de ce Scarlatti 4

J’y remarque ainsi cette affirmation de Pierre Hantaï à propos de la très judicieuse question de la « singularité » de Scarlatti :

« Le plus curieux, le plus éminemment personnel, c’est cette manière de brosser de petits tableaux, de rendre des climats variés par la répétition de courts motifs tournant sur eux-mêmes et enchaînés sans transition les uns aux autres, sans beaucoup d’intérêt pour le détail « .

Et plus loin, à propos de l’utilisation _ enthousiaste et à foison _ par Scarlatti _ (1685-1757) et cela à la différence d’un Bach (1685-1750), qui en fait, lui, très peu usage ! _ du _ tout nouveau alors _ tempérament égal :

« Scarlatti, lui, s’engouffre aussitôt dans ce nouveau monde, d’une manière autrement ludique _ que Bach ; et ce « ludique«  constitue bien la clef d’entrée la mieux éclairante dans l’univers musical si singulier (et unique !) de Domenico Scarlatti !

Et cette façon de se promener dans les modulations les plus étrangères, de parcourir les nouveaux chemins de la tonalité, est à mon avis sans comparaison avec ce qu’ont entrevu ses contemporains… (…) L’œuvre de Scarlatti reste comme un îlot au sein du XVIIIe siècle, aussi bien par cette étonnante recherche harmonique, ces rythmes d’origine populaire, l’exploration _ j’ai envie de dire « maladive » _ d’un unique genre musical _ cette sonate brève en un seul mouvement de Scarlatti  _, mais bien plus encore par ce langage novateur, très éloigné des concepts musicaux de la période qui l’a vu naître« .


Pierre Hantaï souligne aussi l' »incroyable » fait que « ses contemporains, à part quelques proches on l’imagine, n’auront pas accès _ matériel _ à son œuvre« , car « après la publication des Essercizi _ éditées par Scarlatti en 1738 à Londres… _, n’auront pas accès à son œuvre« , car « Scarlatti, après cette première livraison imprimée _ et « il va vivre presque vingt ans encore et composer l’essentiel de ses sonates dans son grand âge » : cette donnée est capitale !.. _, a renoncé à faire connaître sa musique par l’édition, et a ainsi stoppé sa diffusion pour longtemps » _ en effet, l’approche de cette musique demeurera très longtemps, aux XIXe et premier XXe siècles, limitée et semée d’embuches, pour la plupart des musiciens et interprètes.

Chopin constituant l’une des rares exceptions, selon Pierre Hantaï, à cette surdité de réception, qui fut d’abord celle de ses confrères compositeurs, à la singularité scarlatienne ; pour ne rien dire de la surdité, aussi et encore, des interprètes eux-mêmes (pas mal de pianistes surtout, jusqu’il y a peu, toujours selon Pierre Hantaï…) de la musique de Scarlatti.

Il me semble que cette surdité de réception à la singularité scarlatienne mériterait à elle seule une enquête tant soit peu fouillée…

Pour Pierre Hantaï, « c’est la culture andalouse _ loin de celle de la cour de Madrid ; et de fait, la princesse Maria Barbara (1711-1758, et dont Domenico Scarlatti était le claveciniste depuis 1720, à Lisbonne : elle avait neuf ans), et son époux (depuis 1729) Ferdinand (1713-1759), prince des Asturies (avant de devenir le roi Ferdinand VI, en 1746) ont vécu longtemps à Séville ; la seconde épouse, depuis 1714, de Philippe V, la très ombrageuse Elisabeth Farnèse (1692-1766), n’appréciait pas ce fils du premier lit du roi (sa mère était Marie-Louise de Savoie, 1688-1714), et le tenait éloigné de Madrid… _, qui doit nous indiquer le chemin, c’est-à-dire la couleur, le caractère propre à ces musiques. La tradition dans ces régions est _ toujours, pour nous _ suffisamment forte, je pense, pour laisser transparaître _ à notre sensibilité, toujours un peu trop malhabile _ ce que Scarlatti a pu entendre et voir _ et qui l’a inspiré.

Ce qu’on perçoit _ dans la musique de Scarlatti _ de la danse particulièrement, est en totale opposition avec le style français, répandu partout alors _ et particulièrement à la cour de Madrid. A aucun moment, on ne trouve cette souplesse si particulière des articulations, cette délicatesse, cette manière de rebondir avec légèreté sur le sol, proche du vol, et ces chevilles et poignets si souples… Chez les Espagnols, au contraire, tout est plus tendu, les danseurs se tiennent aussi droits et fiers que possible, et, surtout, il y a ce contraste saisissant entre un calme apparent du haut du corps, et, plus bas, une fièvre, des trépignements, enfin toute une suractivité invraisemblable au niveau du sol. Je crois que la seule danse qui ait véritablement inspiré Scarlatti, c’est celle-là. (…) Le flamenco, tel qu’on le voit aujourd’hui, ce n’est pas quelque chose de chaleureux, ni de charmant. C’est plutôt un monde fier, passionné, empreint même d’une certaine rudesse. »

Aussi faut-il à Scarlatti « des interprètes fiers, coloristes, passionnés par les rapides changements de texture  » _ tels qu’un Pierre Hantaï.

Et « Scarlatti il faut l’aimer _ vraiment ! passionnément ! _ pour le jouer ».

Même si, pour Pierre Hantaï, « l‘interprète doit choisir _ parmi « cette effrayante quantité de musique. Sur le nombre, il y a bien évidemment des pièces qui ne méritent pas la postérité« ...  _, et choisir le meilleur. Et accepter qu’on ne peut obtenir l’excellence en tout » _ mais en approcher parfois, voire souvent, si !  

Titus Curiosus, ce 30 avril 2016

Post-scriptum :

J’ai plaisir à comparer la situation (d’isolement _ protecteur d’une vraie et probe singularité ! _ de la cour) de Domenico Scarlatti (Naples, 26-10-1685 – Madrid, 23-7-1757) auprès de sa protectrice et employeur Maria-Barbara et de son époux l’Infant Don Fernando,

à la situation (de semblable isolement à l’égard de la cour) de Luigi Boccherini (Lucques, 19-2-1743  – Madrid, 28-5-1805) auprès de son protecteur et employeur  _ du 8 novembre 1770 au 7 juillet 1785 : comme « violoncelliste de sa chambre et compositeur de musique«  _ Don Luis de Bourbon (Madrid, 27-7-1727 – Arenas de San Pedro, 7-8-1785), le dernier fils du roi Philippe V et de sa seconde épouse Elisabeth Farnese.

Don Luis, dernier fils de Philippe V, et initialement voué à une carrière ecclésiastique _ il fut consacré cardinal dès l’âge de 8 ans _, renonça à cette condition ecclésiastique au décès de son père Philippe V, en 1746, mais se heurta à son frère, le futur roi Charles III (à partir de 1759), dont il contrariait les projets de succession à la couronne d’Espagne de ses propres fils _ nés à Naples, quand Charles était lui-même roi des Deux-Siciles : roi de Naples en 1734, et roi de Sicile en 1735 _ ; Don Luis fit un mariage morganatique, le 27 juin 1776 avec Maria Teresa de Valabriga, et fut contraint à résider loin de la cour de Madrid, à San Pedro de Arenas, un village perdu de la province d’Avila. Et c’est là que Luigi Boccherini fut un si singulier « violoncelliste de sa chambre » et « compositeur de musique«  _ si merveilleuse ; on ne l’écoute pas assez…

Mais cette situation loin des modes de cour a permis à ces deux exilés italiens, le napolitain Domenico Scarlatti et le lucquois Luigi Boccherini, de composer deux des plus belles, en leur splendide singularité et probité, œuvres de musique du XVIIIe siècle, et de toujours !

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