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En répertoriant les entretiens enchanteurs accessibles d’Hélène Cixous, admirer la gamme chantée des infinies inflexions signifiantes de sa voix

01jan

Pour débuter en beauté l’année 2022,

choisir d’écouter la voix _ tant parlée que transposée en écriture dansante _ enchanteresse, avec son incroyable gamme d’inflexions signifiantes modulées-chaloupées, d’Hélène Cixous parlant d’expérience puissamment incarnée de son enthousiasmant formidablement minutieux travail d’écriture in progress,

voici ce très varié, en fonction de la grande diversité des interlocuteurs de ses entretiens, échantillon-ci :

_ en 2013 : Hors-Champs, avec Laure Adler (44′ 27)

_ le 15 novembre 2013 : Les Matins de France-Culture, avec Marc Voinchet (48’52)

_ le 9 décembre 2015 : Écrire la nuit (13′ 39)

_ le 28 septembre 2017 : L’entretien complet à Télérama, avec Fabienne Pascaud (52 01°

_ le 26 janvier 2019 : la Masterclass d’Hélène Cixous à la BnF, avec Caroline Broué (84′ 21)

_ un entretien vraiment magnifique ! Très précis et très détaillé, grâce à un superbe travail préparatoire ultra compétent et sérieux de Caroline Broué, lectrice souple et minutieuse … Un modèle-exemple d’entretien !

_ le 23 mai 2019 : Sur « 1938, nuits« , avec Francis Lippa (62′ 23), à la librairie Mollat

_ une entretien attentif très sereinement centré, sans hâte, sur les détails très précis et patiemment assimilés de ce livre ;

avec le relevé, au pasage, par Francis Lippa, de la difficulté persistante pour lui d’admettre la réalité de la coexistence, réaffirmée pourtant d’un mot par Hélène Cixous, du départ d’Osnabrück (et non pas de Dresde !) de sa grand-mère Omi, au lendemain de la Kristallnacht, du 10 novembre 1938, avec l’affirmation que ce départ précipité d’Allemagne ait pu se produire sur les conseils très avisés et salvateurs ! du Consul de France à Dresde (« Madame, vous devriez partir« , lisons-nous à la page 104 de « 1938, nuits« ) ;

Dresde, où Rosie Jonas (Osnabrück, 23 avril 1882 – Paris, 2 août 1977), veuve Klein (depuis le 29 juillet 1916), avait rejoint sa sœur Hete (Hedwig) Jonas (née le 20 octobre 1875), épouse du banquier (à la Dresdner Bank) Max Meyer Stern, après le départ de la maison Jonas d’Osnabrück, de sa fille Eve Klein (Strasbourg, 14 octobre 1910 – Paris, 1er juillet 2013), en 1929…

Cette maison Jonas de Nicolaiort, 2, d’Osnabrück, dont le propriétaire, après le décès, à Osnabrück, le 21 octobre 1925, de Hélène Meyer, veuve d’Abraham Jonas (Borken, 18 août 1833 – Osnabrück, 7 mai 1915), était désormais l’oncle André, Andreas Jonas (Borken, 5 février 1869 – Theresienstadt, 6 ou 9 juin 1942), l’époux d’Else Cohn (Rostock, 9 juillet 1880 – Theresienstadt, 25 janvier 1944).

Cf aussi mon article sur ce très beau « 1938, nuits« , en date du 4 février 2019 :

À quel moment exactement Omi avait-elle quitté son Osnabrück natal, pour gagner cette Dresde où résidait sa sœur Hete et son banquier de beau-frère Max Meyer Stern ?.. Le Livre n’en dit rien. Et toute sa vie Omi demeura si discrète…

_ le 28 septembre 2020 : Hélène Cixous écrivaine et intellectuelle, avec Charlotte Casiraghi et Fanny Arama (23′ 29)

_ le 25 octobre 2020 : Hélène Cixous, la Vie par la littérature, avec Guillaume Erner (50′ 25)

_ le 11 mars 2021 : Si toutes les femmes du monde, avec Elisabeth Quin (10’39)

_ le 7 octobre 2021 : Hélène Cixous en rêve, avec Augustin Trapenard (32′ 54)

Ècouter Hélène Cixous parler en entretien _ avec un interlocuteur qui l’a au moins un peu lue _ de l’incessant passionnant working progress de son magique écrire

est presque aussi merveilleux et enrichissant que lire les Livres absolument extraordinaires qui lui ont échappé !

Bonne année 2022 !

Bonnes écoutes de ces entretiens fastueux

quand rayonne la lumineuse grâce du merveilleux parler si vivant de l’autrice !

Et bien mieux encore :

Bien heureuses lectures de ces profus et foisonnants Livres magiques

d’Hélène Cixous !!!

Et vive Kairos !

Ce samedi 1er janvier 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

P. s. :

En ouverture de mon entretien du 23 mai 2019 à la Station Ausone de la librairie Mollat, à Bordeaux,

pour présenter à l’assistance l’autrice éminemment singulière que j’avais le très grand honneur de recevoir,

j’ai employé les expressions un peu approximatives _ j’étais bien sûr, bien que tout à fait serein, assez ému aussi… _ de :

« un écrivain de première grandeur,

peut-être nobelisable, si les titres valent quelque chose,

en tout cas, c’est un écrivain TRÈS important que nous recevons ce soir« …

Et depuis j’ai appris,

à l’occasion, justement, d’un de ces entretiens dont je donne ci-dessus les liens aux vidéocasts,

que son ami Jacques Derrida qualifiait Hélène Cixous de « plus grand écrivain de langue française » actuellement vivant.

C’est là une appréciation que je partage…

Et depuis,

le 13 octobre 2021, et pour l’ensemble imposant de son œuvre,

Hélène Cixous vient de recevoir le Prix 2021 de la Bibliothèque nationale de France :

le jury de ce prix a désiré ainsi saluer la large palette de « cette autrice engagée, à l’œuvre littéraire inclassable », dans laquelle « se rencontrent la profondeur d’une réflexion, l’écho d’engagements dans la vie intellectuelle, une recherche intime dans les méandres de la mémoire, une écriture d’une rare poésie », a déclaré en commentaire la présidente de la BnF, Laurence Engel…

Et quand les prix savent, à l’occasion (pas si fréquente), saluer une vraie valeur,

pourquoi ne pas se permettre, en parfaite liberté, non servile, sans donc y attacher plus d’importance que cela ne le mérite _ car c’est au fond simplement anecdotique, périférique, quasi parasite _, et avec léger sourire en coin,

de le remarquer et relever-noter au passage ?..

Rien ne valant l’avis que soi-même, d’expérience singulière _ sans se calquer sur des avis pré-formés et des clichés à emprunter-recopier-suivre… _, on apprend à finement peser, au délicat risqué juger de ses propres appréciations, de mieux en mieux éclairées, de lecteur scrupuleusement attentif de tout l’œuvre, en son incroyablement profuse richesse, qui se donne, à portée de lecture.

Et c’est bien alors à nous, lecteurs, d’apprendre à accueillir-recueillir le tout profus, jusqu’au moindre détail, de cet œuvre livré par l’encre sur le papier, du mieux qu’il nous est possible.

Sinon, « Indiligent lecteur, quitte ce livre« ,

prévenait aimablement le cher Montaigne en l’Ouverture lumineusement irradiée d’humour de ses « Essais« …

A propos du « Défions l’augure » d’Hélène Cixous : un article et deux interviews

02mar

Hélène Cixous vient de faire paraître, aux Editions Galilée, Défions l’augure

_ le titre reprend un mot de Hamlet, avant son duel avec Laerte, à l’acte V de la pièce de Shakespeare.

Le supplément littéraire du Monde consacre sa dernière page à Hélène Cixous,

avec un bel article de Bertrand Leclair _ auteur de l’excellent La Guerre sans fin aux Éditions Maren Sell _

intitulé « La Digression est l’âme de la littérature« .

D’autre part,

on peut écouter la belle et si juste voix d’Hélène Cixous, à propos de ce même Défions l’augure,

dans deux entretiens radiophoniques :

l’un (de 31′), sur France-Inter, dans l’émission Boomerang, le 7 février,  avec Augustin Trapenard :

De bon augure 

_ à l’audition, je ne suis pas du tout sûr que l’interlocuteur ait vraiment lu le livre ;

il l’a probablement seulement survolé, comme le font les journalistes pressés… _ ;

l’autre (de 59′), sur France-Culture, dans l’émission Par les temps qui courent, le 19 février, avec Marie Richeux :

L’Amour ne survit pas dans la société, il faut le tenir secret, dans l’abri

_ la rencontre, là, cette fois-ci, est tout à fait passionnante ;

non seulement l’interlocutrice est véritablement entrée dans le livre, et pose de justes questions, ou propose de légitimes relances,

mais, surtout, la parole (parfaitement libre, et très inspirée) de l’auteur se déploie absolument merveilleusement !!! Un très, très beau moment…

En forme d’introduction à tout cela,

ce bel article, La Peau du temps, de René de Ceccatty, le 8 septembre 2006 dans Le Monde des livres,

à propos de ce que celui-ci qualifiait alors de « la limpidité de ses derniers livres parus« 

dans le livre Hyperrêve, en 2006 _ il y aura bientôt douze ans _ :

La peau du temps

Hélène Cixous explore les tragédies
de l’intime dans Hyperrêve, un récit habité par le vieillissement de sa mère
et le deuil du philosophe Jacques Derrida


Certains lecteurs ont perdu le sens musical _ remarque et expression justissimes ! _, celui qui leur permettrait de retrouver, chez un auteur, les tonalités familières _ immédiatement reconnues à l’oreille de la lecture _ qui leur donneraient le sentiment d’être en sécurité _ c’est-à-dire en terrain de reconnaissance ! mais pour aller bien plus loin que le déjà su… _, le temps de la lecture _ « Le style, c’est l’homme même« , avait excellemment compris Buffon, dès la fin du XVIIIe siècle. Les mélomanes connaissent bien cette sensation _ oui _ qui fait que, entendant pour la première fois une pièce musicale, ils l’attribuent sans difficulté _ avec amour (ou haine) : en tout cas par passion bien incarnée en eux _ à un compositeur. Hélène Cixous, pour être lue et aimée, demande que les lecteurs récupèrent cette faculté _ d’oreille musicale, donc. Elle a construit son œuvre, contrairement aux préjugés qui traînent encore et qui en ont interdit l’accès à ceux qui seraient prêts à y entrer, avec une parfaite liberté _ celle des vrais créateurs (et non des suiveurs, profiteurs de modes…).

Joyce, auquel elle a consacré sa thèse, lui a montré une voie. Puis Kafka, puis Proust. Et il y a l’ami « pour toujours » _ d’éternité, donc _, Jacques Derrida, avec lequel elle a entretenu un dialogue constant, qu’elle prolonge _ tout naturellement _ au-delà de la mort du philosophe _ un vrai dialogue ne s’interrompt jamais : il marche de plain-pied dans l’éternité de ce qui fait (et ouvre) nourricièrement sens : le plus essentiel parmi ce qui peut se rencontrer de vraiment substantiel en une vie… La mort, donc, n’y peut rien, tant que survit la mémoire de l’autre ; voire que vit et resplendit l’œuvre, pour qui sait apprendre à la lire, l’écouter, la regarder, se prêter, jour après jour, à sa lumière… Là est la puissance (et le critère implacable) de tout art vrai, au regard du public. Et le théâtre, pratiqué essentiellement avec Ariane Mnouchkine et parfois avec Daniel Mesguich, l’a incitée à adopter une autre forme de communication, se tournant vers d’autres mondes, sans se couper d’elle-même.

Depuis quelques livres, on dit qu’Hélène Cixous est devenue « plus facile ». Elle a rendu plus directe _ voilà _ une réflexion sur son père, sur sa mère, sur son fils né handicapé et disparu très petit, sur ses ascendances juive et allemande _ ses proches, auxquels elle est profondément reliée _, sur sa jeunesse algérienne. Mais les thèmes _ à variations à venir _ étaient tous là, dès les premiers livres. De même que demeure toujours ici l’usage très vif _ qui nous incombe aussi, à tous ! _ de la mythologie, de la psychanalyse, de la littérature aimée (Stendhal, Montaigne, Balzac et bien d’autres). Toujours, Hélène Cixous a parlé de sa vie familiale _ à la fois très ouverte et durement bousculée par l’Histoire (avec l’enjeu de la survie) _, de ses rencontres, du monde extérieur et intérieur – les guerres, les violences politiques, l’existence quotidienne, les liens affectifs, et quelques lieux _ mais oui : ceux où l’esprit souffle (et qu’on le ressent) ! _, près d’Oran, près d’Arcachon, dont la tour du château de Montaigne _ qui m’est viscéralement chère : de chez moi, dès ma petite enfance, je m’y rendais à pied _, au sens symbolique très fort – dans un monologue que suspendent parfois des saynètes oniriques ou que viennent tempérer des dialogues très simples, très vivants, très drôles : avec son frère qu’elle avait un peu prématurément décidé, dans un livre précédent, de réduire au silence, et avec sa mère.

Stupéfiante digression

Cette mère, Eve Klein, d’origine allemande, est le centre de ce récit. Disons plutôt que c’est un thème _ au sens musical, donc _ principal _ mais pas unique. Ce n’est pas la première fois, mais jamais il n’avait été traité avec autant de présence, de ferveur, de précision _ remarque puissante et cruciale pour le lecteur que nous allons être aussi : qu’attendons nous donc d’un livre, d’une œuvre, d’un chef d’œuvre ? Présence et ferveur ; via la plus grande précision. Elle est atteinte d’une maladie de peau, rarissime, auto-immune, qui n’affecte que les nonagénaires et exige des soins quotidiens (que sa fille, Hélène, lui prodigue). Cette intimité ne provoque chez le lecteur aucun sentiment de gêne. Pas plus que la réflexion de l’auteur, qui la sait « avant la fin », c’est-à-dire au seuil de la mort. Le lecteur n’est pas embarrassé, parce qu’il ne s’agit pas d’impudeur : tout est _ en effet ici, au fil superbe des divers flux du texte _ matière à approfondissement, à intériorisation, à connaissance de soi et de l’autre _ voilà : l’aventure risquée d’une connaissance exploratoire hyper-attentive de (et à) ce qui est là, rendant pleinement grâce, par dû, mais aussi pleine reconnaissance de ce dû, à ces vies. Ne sont gênants _ en effet _ en littérature que les allusions _ opaques _, les appels usurpés à une basse _ par sa vulgarité _ complicité, les demi-mesures. Le traitement frontal d’un sujet ne suscite aucun malaise _ c’est juste. « Je serai cette peau demain » _ voilà ! un augure… _, tranche l’auteur en oignant le corps de sa mère. Cela suffit à déchirer le voile de distance _ de notre part aussi _ que pourrait tendre une excessive crudité.

Le vieillissement d’un être cher ne peut être aussi que le nôtre _ en effet ! La peau d’Eve devient alors l’image visible _ et qui nous est commune, générale _ du temps. « Tu es le temps », répète Hélène à sa mère _ le temps si précieux (quans nous accédons à la grâce inespérée de moments, parfaitement sensibles, d’éternité) de la vie. Et le livre tout entier apparaît comme un chant lyrique _ une célébration _ adressé au temps _ même. « Quand je peins ma mère, je peins la peau du siècle. Ce vingtième siècle si grand vu de loin, si petit vu de l’intérieur quand on est dans son wagon archiplein à ramper pour trouver une couchette et qui n’a pas arrêté un instant de faire l’histoire de ma mère _ comme d’autres parmi nos proches : pour moi, au premier chef, mon père. Chaque fois qu’un ulcère cicatrise il y en a un autre qui prend la suite du pus. On ne peut pas guérir. » De ce temps circulaire _ si cruellement répétitif ! _ se détachent quelques dates, quelques événements. Non pas seulement l’année 1971 où Eve Klein a dû quitter l’Algérie où elle avait vécu, en exerçant le métier de sage-femme. Mais des dates qui appartiennent à un « patrimoine de l’humanité ». La particularité du « ton Cixous » est qu’avec le plus grand naturel _ voilà ; et ô combien poétique sans le moindre pathos ! _, l’écrivain passe de tableaux intimes et familiaux à des analyses politiques et culturelles. De la scène intime à la scène publique. C’est, du reste, une des leçons du Théâtre du Soleil, qui pour toute évocation d’un drame historique ou politique a, en général, préféré le langage individuel, de personnages obscurs à la représentation démonstrative des grands de ce monde.

Un événement familial très étrange (la récupération d’un sommier de Walter Benjamin, à la fin des années 1930 _ était-ce dans le quartorzième arrondissement, où vivait Benjamin ? _) est le point de départ d’une stupéfiante digression. « Ton livre est sur Benjamin ? dit mon frère. – Sur les astres du déménagement dis-je, sur les trous dans les murs du dernier refuge, sur l’état des tapisseries. – C’est étrange, dit mon frère. J’aimerais comprendre. »

Le deuil de Jacques Derrida envahit, bien sûr, ces pages. Mais d’une autre manière que dans les essais que l’écrivain lui a consacrés (Portrait de Jacques Derrida en Jeune Saint Juif, Voiles, ou, plus récemment, Insister). Le philosophe est là, avec quelques-unes de ses phrases qui résonnent encore douloureusement : « On peut toujours perdre encore plus. » Ou « Moi, je suis toujours et chaque fois en train de lui rappeler, de mon côté, qu’on meurt à la fin, trop vite. » Ou le commentaire de la phrase de saint Augustin « Sero te amavi » (« Je t’ai aimée trop tard »). Il faut lire ces pages comme des échos d’analyses plus discursives que l’on trouvera ailleurs. Comme des échos tremblants d’émotion _ voilà : « admirable tremblement du temps« , a dit Chateaubriand… _, dans cette zone intermédiaire entre les visions du sommeil et leur description éveillée. Hélène Cixous a rédigé son livre, ses livres, dans cette marge-là _ nourricière, inspiratrice, ô combien vivante en sa vibrante et douce intensité.

René de Ceccatty

….

Relire Hélène

Bien que l’on ait dit qu’Hélène Cixous avait « changé de style » avec Or, Les lettres de mon père, suivi par Osnabrück (éd. Des femmes, 1997 et 1999) et par Les Rêveries de la femme sauvage (Galilée, 2000) qui ouvre un véritable cycle autobiographique – Le Jour où je n’étais pas là (ibid. 2000), Benjamin à Montaigne (2001), etc. –, il n’est pas d’œuvre plus fidèle au projet initial, lancé par sa thèse sur Joyce, L’Exil de Joyce ou l’art du remplacement (Grasset, 1968). Si, depuis son premier recueil, paru chez Grasset en 1967 (Le Prénom de Dieu), suivi par son prix Médicis, Dedans (ibid. 1969), ses publications se sont divisées en « fictions », « théâtre » et « essais », croisant souvent son travail d’enseignante à l’université de Vincennes (qu’elle a cofondée), puis de Nanterre, poursuivi par son séminaire au Collège international de philosophie et ses activités de dramaturge dans la compagnie d’Ariane Mnouchkine, elles ne sont jamais fermées sur elles-mêmes, mais se renvoient l’une à l’autre.

Et l’on est en présence d’un ensemble d’une rare cohérence : chaque livre pouvant servir de filtre ou de clé aux précédents. La multiplication de ses éditeurs (outre ceux qui ont été cités, Gallimard, pour La, 1976, et Le Livre de Promothéa, 1983, le Seuil pour Tombe, 1973, Prénoms de personne, 1974, Révolution pour plus d’un Faust, 1975) est à l’image non de ses hésitations, mais des incertitudes éditoriales _ hélas _ et des influences internes _ tristement parasites _ aux grandes maisons. Il est temps de relire les premiers livres d’Hélène Cixous, Neutre, Illa, Souffles, Angst (disponibles pour la plupart aux éditions Des femmes), à la lumière limpide des derniers (parus chez Galilée).

R. de C.

 

Ce vendredi 2 mars, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

 

A méditer pour réfléchir sur les mésusages idéologiques de la littérature (et des Arts)

24déc

Pour donner à méditer sur des brouillages malencontreux entre Art et idéologie, entre littérature et communication,

voici _ et tels quels, sans nulle farcissure de ma part _ deux articles donnant _ à chacun _ à penser _ par devers soi, davantage qu’à polémiquer en place publique _ :

Sur littérature et communication.

Ces deux articles d’André Markowicz et de Bernard Chambaz

https://m.facebook.com/andre.markowicz/posts/2053869254825376

André Markowicz : « Aux Invalides, c’était juste la vieille droite »


Qu’a fait Jean d’Ormesson, à part avoir « bien écrit », pour qu’un hommage national lui soit rendu ? Dans une tribune au « Monde », le traducteur et poète s’interroge sur le geste politique d’Emmanuel Macron.

LE MONDE | 11.12.2017 à 11h01 • Mis à jour le 11.12.2017 à 11h25 | Par André Markowicz (Traducteur et poète)

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/11/andre-markowicz-aux-invalides-c-etait-juste-la-vieille-droite_5227896_3232.html#f5OMvy0qjW3BH2iO.99

Ca avait commencé le jour d’avant. J’avais vu passer une déclaration de Françoise Nyssen, mon éditrice, une personne que je connais depuis plus de vingt-cinq ans, qui disait qu’il serait bon de rendre un hommage national à Jean d’Ormesson et à Johnny Halliday. Sur le coup, j’ai cru que ça devait être un hommage conjoint, dans la même fournée, et j’ai pensé _ qu’elle me pardonne _ qu’elle déraillait. Et bon, vous savez comme c’est, il y a plein de choses qui se passent en l’espace d’une heure, j’ai oublié cette déclaration, j’avais d’autres choses à faire.

Quand un ami m’a dit qu’un hommage national serait rendu à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday, j’ai cru qu’il me faisait marcher. Mais non, c’était vrai. Quand, ensuite, on m’a dit que l’hommage à Jean d’Ormesson lui serait rendu aux Invalides, j’ai eu peine à y croire, mais non, pas de doute, là encore, c’était vrai.

J’avoue d’emblée que je n’ai jamais pu lire trois pages d’affilée des livres de Jean d’Ormesson – je le dis sans trop de honte. J’en ai feuilleté quelques-uns, sur les tables de libraires, et c’était toujours, comme on dit en français (et seulement en français) « bien écrit ». Quand je traduisais Les Démons, de Dostoïevski, je voyais se profiler des auteurs comme d’Ormesson derrière la figure de l’écrivain Karmazinov, qui, de fait, « écrit bien », et termine son œuvre en disant « merci ». D’Ormesson, lui, c’est par ça qu’il avait commencé : Au revoir et merci… Merci à ses lecteurs, merci à l’existence et à qui vous voulez – il était très content. Ça fait toujours plaisir de voir un homme content. J’ai toujours pensé qu’il était l’exemple parfait de « petit maître », issu d’une tradition bien française qui date du XVIIe siècle.

Bref, pourquoi d’Ormesson ? Et pourquoi aux Invalides ? Malraux avait eu droit à un tel hommage, mais Malraux avait été ministre, c’était une figure du siècle ; pareil, d’une autre façon, pour Césaire (au Panthéon). Mais qu’avait-on fait à la mort de Claude Simon, de Samuel Beckett et même d’Yves Bonnefoy ?

« Génie national »

Quand j’ai écouté le discours d’Emmanuel Macron, les choses se sont mises en place. C’était un beau discours, un discours littéraire, qui multipliait les citations, un hymne à « ce que la France a de plus beau, sa littérature »… Un discours mimétique, aussi : on aurait dit que le président de la République française se livrait à un pastiche du style de d’Ormesson pour prononcer son éloge funèbre,

La suite de l’article d’André Markowicz, ici :
https://m.facebook.com/andre.markowicz/posts/2053869254825376

Ou ici.


Tribune.

Mireille aux Invalides.
Macron, d’Ormesson et Johnny, images de la France.

Ça avait commencé le jour d’avant. J’avais vu passer une déclaration de Françoise Nyssen, mon éditrice, une personne que je connais depuis plus de ving-cinq ans, qui disait qu’il serait bon de rendre un hommage national à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday. Sur le coup, j’ai cru que ça devait être un hommage conjoint, dans la même fournée, pour ainsi dire, et j’ai pensé, — qu’elle me pardonne — qu’elle déraillait. Et bon, vous savez comme c’est, il y a plein de choses qui se passent en l’espace d’une heure, j’ai oublié cette déclaration, j’avais d’autres choses à faire.

Quand un ami m’a dit qu’il y aurait un hommage à Jean d’Ormesson aux Invalides, j’ai cru qu’il me faisait marcher. Bon, je l’avoue d’emblée, je n’ai jamais pu lire trois pages d’affilée de ses livres — et dire que je suis mort de honte à l’avouer serait mentir. J’en avais feuilleté quelques-uns, sur les tables de libraires, et c’était toujours, comme on dit en français (et seulement en français) « bien écrit », comme si ça voulait dire quelque chose, de bien écrire, pour un écrivain. Mon ami Armando, à la Sorbonne, faisait ça : il regardait systématiquement les premières pages des romans sur les tables des libraires, et il livrait son jugement : « Oui, c’est pas Dante ».

Et donc oui, oui, oui, Jean d’Ormesson écrit bien. Il a une « belle langue ». Et non, Jean d’Ormesson, ce n’est pas Dante. Quand je traduisais « les Démons », ce sont des gens comme d’Ormesson qui m’ont servi d’images pour la figure de l’écrivain Karmazinov, qui, de fait, « écrit bien », et qui finit son œuvre en disant « merci ». Merci à ses lecteurs, merci à l’existence, merci à qui vous voulez — qui finit très content. Parce que c’est vrai que c’est très important, d’être content dans la vie. Parce que ça fait plaisir à tout le monde. D’abord à ceux qui vous lisent, et ensuite à soi-même. Et donc, bon, j’ai toujours pensé qu’il était, au mieux, l’exemple parfait du « petit maître », issu d’une tradition, là encore, bien française, qui date du XVIIe. C’est vrai, du coup, il représente une « certaine image de la France » — d’une certaine tradition française de la littérature, ridicule pour toute l’Europe depuis le romantisme — et qui n’est pas moins ridicule aujourd’hui.

Ce n’était pas une blague. Il y a eu un hommage aux Invalides. Pourquoi aux Invalides ? Est-ce que d’Ormesson avait, je ne sais pas, accompli des actes héroïques au service de la France, ou est-ce qu’il avait été victime du terrorisme ? Etait-il une figure de l’ampleur de Simone Veil ? Et quel écrivain français a été l’objet d’un tel hommage avant lui ? — Il y avait eu Malraux, je crois. Mais Malraux avait été ministre, il était une figure du siècle. Mais qu’a-t-on fait à la mort de Claude Simon ou de Beckett ou, je ne sais pas, celle de Francis Ponge ou de René Char, sans parler de Foucault, de Barthes ou de Derrida — et même d’Yves Bonnefoy ? — Il y a eu des communiqués de l’Elysée (ce qui est bien normal), mais jamais un hommage aux Invalides, c’est-à-dire un hommage de la République, en présence, qui plus est, des deux anciens présidents de la République encore ingambes que nous avons, à savoir Nicolas Sarkozy et François Hollande. — Qu’est-ce que ça veut dire, qu’on rende hommage à d’Ormesson de cette façon ? C’était ça, ma question.

Et puis, j’ai écouté le discours d’Emmanuel Macron. Et là, les choses ont commencé à se remettre en place : non, Françoise Nyssen n’avait pas déraillé du tout. Elle avait exprimé l’idée. Parce que ce discours est un moment majeur, pas seulement pour d’Ormesson, ou, plutôt, pas du tout pour d’Ormesson, mais pour la vision à long terme de la présidence de Macron — pour sa vision de la France. De sa France à lui.

Objectivement, c’était un discours formidable. Un discours littéraire, qui multiplie les citations, qui est un hymne à « ce que la France a de plus beau, sa littérature »… Un discours formidable aussi parce que mimétique : on aurait dit que Macron (ou Sylvain Fort, mais ça n’a aucune importance — en l’occurrence, c’est Macron, je veux dire le Président de la République française) faisait un pastiche proustien du style de d’Ormesson lui-même pour prononcer son éloge funèbre, en construisant, avec des imparfaits du subjonctifs gaulliens (et grammaticalement indispensables) un éloge de la clarté, qualité essentielle du « génie national». Et puis, j’ai entendu cette phrase : « La France est ce pays complexe où la gaieté, la quête du bonheur, l’allégresse, qui furent un temps les atours de notre génie national, furent un jour, on ne sait quand, comme frappés d’indignité. »

Dites, — comment ça, « on ne sait pas quand » ? Si, on sait parfaitement quand : d’abord, — non pas en France, mais dans l’Europe entière, au moment du romantisme, et de la Révolution française. Quand, d’un seul coup, c’est le monde qui a fait irruption dans les livres, et pas seulement dans la beauté des salons. C’est le moment du grand débat entre Racine et Shakespeare, oui, dans l’Europe tout entière. Et la remise en cause de la « légèreté comme génie national de la France », c’est, par exemple, tout Victor Hugo. Et puis, il y a ce moment de désastre, d’éblouissement qui reste, jusqu’à nous, une déchirure « irréfragable », selon le beau mot employé par Macron, le moment de Rimbaud — qui trouve la légèreté verlainienne, sublime, à la limite extrême de l’indicible, et la transforme en cette légèreté atroce et impensable, « littéralement et dans tous les sens », des « Derniers vers », et qui le laisse dévasté, Verlaine, et qui s’en va, en nous laissant, oui, aujourd’hui encore, nous tous qui parlons français, béants et bouleversés : et c’est après la catastrophe de Rimbaud que viendra, par exemple, celle d’un poète comme Paul Celan (qui lui est si proche).

Emmanuel Macron a cité les amis de Jean d’Ormesson : Berl, Caillois, Hersch, Mohrt, Déon, Marceau, Rheims, Sureau, Rouart, Deniau, Fumaroli, Nourissier, Orsenna, Lambron ou Baer… — Bon, Orsenna… 


Hersch… C’est Jeanne Hersch ? Et Sureau, c’est François Sureau (dont j’apprends qu’il écrivait les discours de Fillon) ? Et les autres… Berl, Mohrt, Déon, Marceau, Rheims, Rouart, Fumaroli, c’est, de fait, « une certaine idée de la France », — une idée dont je ne pourrais pas dire qu’elle est franchement de gauche. C’est de cette longue lignée dont parle le Président pour peindre, aux Invalides, dans le cadre le plus solennel de la République, la France qu’il veut construire. Et il le fait sans avoir besoin de dire l’essentiel, qui est compris par toute l’assistance : nous sommes dans le cercle du « Figaro », dans le cercle — très ancien — de la droite française la plus traditionnelle, celle des « Hussards », des nostalgiques de l’aristocratie. Parce qu’il faut bien le dire, quand même, non ? — la « légèreté » de Jean d’Ormesson, c’était quand bien ça qu’elle recouvrait : la réaction la plus franche — même si Dieu me préserve de mettre en cause son attachement à la démocratie parlementaire. —

Michel Mohrt, Marceau (Félicien, pas Marcel…), Michel Déon, Paul Morand, toute, je le dis, cette crapulerie de l’élitisme de la vieille France, moi, je ne sais pas, ça ne me donne pas l’image d’une France dans laquelle je pourrais me reconnaître.

L’impression que j’ai, c’est que par l’intermédiaire de Jean d’Ormesson, le Président rendait hommage à cette France-là, en l’appelant « la France », et c’est à propos de cette France-là qu’il parlait de son « génie national ». Et sans jamais employer de mot de « réaction », ou le mot « droite ».

Les Invalides, c’était pour ça. Pour dire la France dans laquelle nous vivons, maintenant que la gauche n’existe plus. Depuis qu’il n’y a plus que la droite. Dans cette légèreté des beautés esthétiques — et cela, alors même, je le dis en passant (j’en ai parlé ailleurs) que la langue française disparaît, en France même, par les faillites de l’enseignement, et, à l’étranger, par les diminutions drastiques et successives du budget alloué à l’enseignement du français. On le sait, la littérature, la beauté, c’est, je le dis en français, l’affaire des « happy few ».

Et puis, pour les « unhappy many », le lendemain, c’était l’hommage à une autre France, celle des milieux populaires, celle, censément, de Johnny Hallyday. Les deux faces du même.— En deux jours, les deux France étaient ainsi réconciliées par une seule voix, jupitérienne, celle des élites et celle du peuple. Je ne dirai rien de ce deuxième hommage, je ne me reconnais ni dans d’Ormesson, ni dans Johnny (que j’avais vu très grand acteur avec Godard). Mais paix à l’âme de Johnny, que la terre, comme on le dit en russe, lui soit « duvet », qu’elle lui soit, c’est le cas de le dire, « légère ».

Il y a eu deux hommages, un appel aux applaudissements dans le second, un silence grandiose à la fin du premier, et, moi, parmi les citations du Président, il y a en une sur laquelle j’ai tiqué, parce que, vraiment, je n’arrivais pas à la situer (je dois dire que je ne me souvenais pas de celle de « La Vie de Rancé », mais qu’elle est grande !..). Non, à un moment, Macron parle de Mireille.

« C’est le moment de dire, comme Mireille à l’enterrement de Verlaine: «Regarde, tous tes amis sont là

C’est qui, Mireille ? Dois-je avoir peur d’afficher mon inculture ? J’ai fouillé tout Paul Fort (enfin, pas tout…), il y a un poème célèbre qui devenu une très belle chanson de Brassens sur l’enterrement de Verlaine (Paul Fort y avait assisté)… et pas de Mireille. Je demande autour de moi, je regarde sur Google, il y a une autre chanson de Paul Fort, à « Mireille, dite Petit-Verglas », — mais, là encore, cette citation n’y est pas. Est-ce une espèce de condensé d’une citation de Brassens ? Sur le coup, dans ma naïveté, je me suis demandé s’il ne voulait pas parler de Mireille, vous savez, qui avait fait « le petit conservatoire de la chanson » à l’ORTF… Je me demande d’ailleurs si le jeune Johnny n’est pas passé chez elle. — Je plaisante. Et puis, Mireille, même si quand j’étais enfant, elle était vieille, elle n’était pas vieille à ce point-là. Donc, je ne sais pas qui est Mireille.

Je me demande ce qu’elle vient faire, cette Mireille, aux Invalides pour dire « tous tes amis sont là »… Si c’est une bourde (je ne vois pas laquelle), ou si, d’une façon plus bizarre, ce n’est pas comme une blague, procédé bien connu parmi les potaches, de fourrer au milieu d’une vingtaine de citations véritables, une citation totalement débile, que personne ne remarquera, histoire, justement, de ne pas se faire remarquer, parce qu’il ne faut pas dire que le roi est nu. — De mon temps, des copains khâgneux avaient fait une série de références à la pensée héraclitéenne de Jacob Delafond, auteur d’un « Tout s’écoule ». C’était, de la part de ces jeunes gens, un signe de mépris envers leur prof. De quoi serait-ce le signe ici ?…

Quoi qu’il en soit, cette Mireille, aux Invalides, elle participe à la construction de l’image de la France du président Macron. — Non, non, notre roi n’est pas nu. Il porte les habits de la « vieille France ». Ils sont très beaux. Ils sont très vieux. Mais ce ne sont pas ceux des grands auteurs du classicisme, — ce sont plutôt ceux des petits marquis.

Et puis, enfin, bizarrement, je ne sais pas comment dire : j’ai le cœur serré en pensant à Verlaine.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/11/andre-markowicz-aux-invalides-c-etait-juste-la-vieille-droite_5227896_3232.html#f5OMvy0qjW3BH2iO.99

http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/12/bernard-chambaz-alors-d-ou-vient-mireille_5228645_3232.html

Bernard Chambaz : « Alors, d’où vient Mireille ? »

Dans une tribune au « Monde », l’écrivain revient sur l’analyse de l’hommage d’Emmanuel Macron à Jean d’Ormesson du traducteur et poète André Marcowicz.

LE MONDE | 12.12.2017 à 18h19 • Mis à jour le 12.12.2017 à 18h21 | Par Bernard Chambaz (Ecrivain)

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/12/bernard-chambaz-alors-d-ou-vient-mireille_5228645_3232.html#SOdM1gWXSLz6i53C.99

Tribune.

Mireille m’avait échappé. André Markowicz l’a sortie pour moi de l’ombre dont les Invalides ne l’avaient pas sauvée.

Au cas où Mireille serait encore dans les limbes, le peu que j’aurais à en dire est ceci : Mireille n’est pas Mireille, mais Eugénie Krantz, dite Nini-Mouton, moitié mondaine moitié artiste de music-hall. Après l’enterrement de Verlaine (1844-1896), elle vendra ses porte-plumes sinon ses crayons, beaucoup de porte-plumes, et même plusieurs fois son dernier encrier. Je crois qu’elle n’a pas dit « tous tes amis sont là » mais « tous les amis sont là », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Accessoirement, elle ne l’a pas dit d’une voix posée, mais elle l’a crié pour qu’on l’entende, qu’on sache que c’était bien elle qui détenait l’héritage. C’est seulement en fin d’après-midi, après la cérémonie officielle, que Philomène Boudin qui aimait vraiment Verlaine est venue déposer son petit bouquet de violettes au pied d’une montagne de rubans.

Il paraît qu’Eugénie était plutôt désagréable, le teint rougeaud, le visage ridé, « les yeux petits et méchants ». Peu importe, Verlaine la considérait comme sa « presque femme » et il habitait chez elle, rue Descartes. Le soir, ils s’étaient disputés. Elle avait crié plus fort que lui, elle ne l’avait pas relevé quand il était tombé du lit, elle s’en était allée, et il avait passé la nuit à se mourir à moitié nu sur le plancher gelé.

Fadaises

Sa tombe à lui est aux Batignolles. Depuis la Contrescarpe, ça fait une trotte, mais heureusement il y a des escales. Une messe basse par un froid de canard à Saint-Etienne-du-Mont, le premier Rossignol national veillé par une garde d’honneur avant qu’il ne reçoive l’hommage des clochards et des pierreux. Un adieu devant le Panthéon, une halte à côté de l’Opéra, le cortège battant la semelle derrière le corbillard « tout argenté de glaçons ». On peut parier que les sept discours sur sa tombe, il les a trouvés longs et que c’étaient des fadaises.

Alors, d’où vient Mireille ? A relire la nomenclature sempiternelle du discours, j’ai vu soudain passer le nom de Berl (1892-1976). On sait que son prénom est Emmanuel ; et je me suis rappelé qu’il avait eu une belle histoire d’amour avec Mireille, la chanteuse. Avec les préparatifs pour la Madeleine à la gloire de Johnny, on peut imaginer que la boucle était bouclée.

Franchement n’y-a-t-il pas un peu d’indécence à enrôler Verlaine dans ce compliment ?
Ce serait l’occasion ou jamais de rappeler le salut adressé par Léon Bloy (1846-1917) à « cet indigent qui avait crié merci dans les plus beaux vers du monde ».

Bernard Chambaz a notamment reçu le prix Goncourt du premier roman en 1993 pour L’Arbre de vies (F. Bourin). Il est l’auteur, entre autres, de 17 (Seuil, 144 pages, 15 euros) et d’A tombeau ouvert (Stock, 2016).

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A porter sereinement au débat…

Titus Curiosus, ce dimanche 24 décembre 2017

 

Pour saluer Charles Ramond et le rayonnement de son action pour la philosophie

25juin

Pour saluer Charles Ramond _ quittant Bordeaux-3 pour Paris-8 _,

et le rayonnement chaleureux de son action _ spinozienne ! _ en faveur de la philosophie à Bordeaux,

et témoigner de la très amicale et chaleureuse fête organisée hier soir à l’UFR de philosophie de Bordeaux-3-Michel de Montaigne,

ce petit message à Céline Spector _ de retour de son semestre passé à Chicago ; et présidente actuelle de notre « Société« … _,

pour « marquer » à ma façon, et à mon tour, la fête et les services rendus, avec élégance, panache et une générosité efficientes, communicatives, par Charles, du temps de sa présidence (et impulsions magnifiques), à la tête de notre « Société de philosophie de Bordeaux« , et aussi ensuite _ Charles a promis de revenir nous rendre visite de temps en temps à Bordeaux !

De :   Titus Curiosus

Objet : A Stanford, en 1983, Philippe Muray
Date : 25 juin 2010 06:16:21 HAEC
À :   Céline Spector

Cc :   Charles Ramond, Barbara Stiegler, Valery Laurand, Emmanuel Bermond, Layla Raid, Jean-Philippe Narboux, Cédric Brun, Brigitte Geonget, Denis Roux

Voici le témoignage de Philippe Muray dont je t’ai parlé hier soir,
paru dans le cahier Livres de Libération du jeudi :
les remarques sur le calvinisme US sont réjouissantes !


La petite fête a été très réussie (amicale, chaleureuse !) ;
et je suis particulièrement reconnaissant à Charles
de tout ce qu’il a fait pour le rayonnement de la Société de philosophie ;
et qu’a fort bien illustré son discours sur la _
derridéenne (La carte postale : de Socrate à Freud et au-delà : aux Éditions Flammarion, en 2004 _ carte postale (et la bouteille à la mer).

Cf mon plus récent article
qui a dans son titre cette métaphore de « la bouteille à la mer » :

Retour de bouteille à la mer : (passionnante !) réponse de Christophe Pradeau à ma lecture de sa “Grande Sauvagerie”
et qui fait suite à celui-ci
(qui commente la réponse de l’auteur (du livre commenté : le superbe La Grande Sauvagerie de Christophe Pradeau) à mon précédent article (sur ce roman)) :
Cultiver (en son regard !) la lumière de la luciole et subvertir la carole magique : l’enchantement de l’écrire de Christophe Pradeau

Merci aussi à toi
et à Barbara !
_ présidente par interim de notre « Société » durant le semestre américain de Céline, à Chicago…

La philosophie a besoin de « passeurs » enthousiastes
(et un peu moins de carriéristes égocentrés…)…

A mercredi 7 juillet !

Titus


24/06/2010 à 00h00

«C’est fini, réglé, raté»

Extrait d’une lettre inédite, écrite en Californie

En 1983, Philippe Muray enseigne la littérature un semestre à l’université de Stanford, en Californie. Il y infusera les textes qui lui permettront d’écrire le Dix-neuvième Siècle à travers les âges. Muray n’est pas heureux à Stanford : il découvre l’empire non-fumeur du bien et du politiquement correct à l’état naissant, et l’explique à sa femme dans une lettre, inédite, dont voici un extrait _ confondant de lucidité décapante ! Lire tout Philippe Muray !..

«Palo Alto, 29 janvier 1983. Céline était encore bien optimiste quand il disait qu’il suffisait de rester longtemps quelque part pour que les choses et les gens se mettent à pourrir autour de vous. Moi, quand j’y arrive, tout de suite ça y est ! _ cela, c’est quant à lui… ; à usage interne… C’est fini, réglé, raté. […] Depuis une semaine, les tempêtes succèdent aux tempêtes. Ce pays est si stupide, si ridicule, si profondément sous-développé _ voilà où il veut en venir : il regarde ! _, que la moindre avalanche d’eau se transforme en catastrophe. Les Américains sont des Belges qui n’arrêtent pas de croire qu’ils se soignent _ cela devient très vite assez génial ! _ […] Je n’ai jamais rien vu de plus raté, de plus prostré, que ces suites _ voilà !!! _ d’un lointain débarquement de protestants sur des terres inhospitalières _ comme c’est magnifiquement perçu ! _ […]. N’importe quelle province française _ Bordeaux, par exemple, la Gironde (Cérons)  ; ou la Drôme, les Baronnies, où vient de poser son bagage Barbara ; ou la Provence (La Ciotat), ou le Dauphiné (le Vercors) dont a parlé Brigitte Geonget… _ a des allures de casino chic _ c’est merveilleux de vista ! _, parce que même dans sa plus profonde ignominie _ car cela peut lui arriver… _, elle ne peut pas être tout à fait mauvaise, n’étant pas calviniste _ prosélyte : voilà ! C’est une forme de ce fanatisme dont s’irrite ici, à Stanford, donc (Californie), l’épiderme lucidissime de Philippe Muray… Le calvinisme est un lapsus qui a échappé à l’Allemagne _ via Luther, bien sûr ! : Jean Calvin, l’implacable contempteur d’hérésies genevois, étant natif de Noyon, en Picardie, lui… _ et qui a été entendu jusqu’ici _ c’est grandiose  de perspicacité !.. Enfin, il y a _ pour le consoler, lui, en cet exil en terres dépolluées… _ de grandes promesses _ apocalyptiques ! _ sismiques, comme tu sais, d’engloutissement. Espoir tellurique de justice divine ! _ çà, c’est l’humour de Muray… La faille du Pacifique ! _ ou de San Andreas… Ah ils vont apprendre _ parce que leurs tout petits ego l’ignorent encore : pas assez décentrés ; pas assez généreux ; pas assez aimants et vraiment charitables (à l’altérité de leurs prochains !..)… _ ce que c’est que la faille, tous ces Californiens Réformés et régulièrement inondés ! Ils vont savoir ce que c’est qu’un sujet collectivement schizé sur mille kilomètres, les jungiens d’ici qui croient à l’inconscient collectif !

«Il y a partout ici de charmantes collines où ils ont leurs maisons _ leurs propriétés, avec barrières parfaitement peintes de blanc _, sur des pentes. Eh bien, en ce moment, avec les pluies en torrents, les pentes glissent et leurs villas de sportifs milliardaires (ce n’est pas qu’ils soient milliardaires qui m’est insupportable, c’est qu’ils soient sportifs _ ah ! le souci de la perfection de la santé : ils méconnaissent donc l’un peu plus complexe « grande santé » nietzschéenne !..) _ glissent avec les pentes dans la boue. […] Pour être juste, je crois que Stanford c’était ce qu’il y avait de pire pour moi _ c’est une affaire de compatibilité d’humeurs : comme toujours… Le léché allemand belge néerlandais _ quelle vista, toujours… _, où il faut trois kilomètres pour se débarrasser d’un détritus _ trop polluant = dégoûtant ! ah ! la prophylaxie ! l’hygiénisme !.. Où ils vous sourient tous, tout le temps _ voilà l’american modern way de la bigoterie… Où ils courent partout, tout le temps _ pour la santé de leur si cher petit corps… Berkeley, qui n’est qu’à 80 kilomètres à peu près, c’est tout à fait autre chose. D’abord à l’intérieur d’une ville. Et puis crasseux dans le genre Censier en 68 en beaucoup plus grand. Avec un côté révolte étudiante définitivement compromise, mais traînant encore par impossibilité de trouver une idée de rechange _ quel régal… Ça nous rapproche de l’Europe, du socialisme à visage crasseux, routinier, passé en habitude _ quel humour sur nous, aussi : bien sûr !.. Alors que Stanford, c’est le socialisme à visage suisse, capitaliste _ voilà ! Celui qui a tant prospéré depuis 1983… Deux prostrations différentes pour la même cause (le vouloir-se-soigner _ voilà ! la (toute) « petite santé » de Nietzsche : celle du « dernier homme » (« qui vivra le plus longtemps« ) du sublime Prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra : plus que jamais une urgence !.. _, c’est-à-dire le vouloir-être-Belge, c’est-à-dire le vouloir-être-socialiste), c’est beaucoup pour une seule mort, une seule cause de pulsion de mort…» _ comme c’est superbement regardé !

Voilà !

Merci à Charles Ramond.

Merci à Céline Spector, à Barbara Stiegler, et à tous les chers confrères de notre vivante « Société de philosophie de Bordeaux« …

Merci à la philosophie, radicale et éclairante !


Titus Curiosus, ce 25 juin 2010

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