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Call me by your name : le captivant film de Luca Guadagnino

12mar

J’ai pu voir cette fin de matinée le film de Luca Guadagnino Call me by your name, en version originale _ mêlant anglais, italien et français, en fonction des  adresses à leurs divers interlocuteurs des divers personnages du film : ainsi, par exemple, la mère d’Elio, Annella Perlman, étant à demi-italienne (par son père, prénommé déjà Elio ; et juif…) et à demi française (par sa mère), s’adresse à Elio en français ; de même que c’est en français que conversent Elio et sa bientôt petite amie Marzia ; etc. D’autant que les interprètes de ces divers personnages d’Annella (Amira Casar), Elio (Timothée Chalamet) et Marzia (Esther Garrel) sont au moins eux-mêmes à moitié français. De même, d’ailleurs, et c’est un élément très important, que le réalisateur lui-même, Luca Guadagnino, par sa mère, elle-même à moitié algérienne et française, est imprégné de cette perception française (soit un certain tropisme classique : à la Ravel, disons…) de son esprit et de ses goûts, du moins me le semble-t-il… Une certaine culture française imprègne donc pas mal (et irradie sur) ce film, en plus d’une certaine culture juive, d’une culture italienne, bien sûr, et même de ce que j’oserai qualifier de « culture gay » : un éloge du métissage, de l’ouverture, et de l’accueil à l’altérité des minorités (âmes en peine des déplacés et errants)… Et je n’ai même pas parlé de la très importante part française, aussi, de ce juif italo-turc francophone venu d’Alexandrie qu’est André Aciman, l’auteur du roman de départ du scénario, Appelle-moi par ton nom

D’abord, voici, à titre d’introduction ici,

et précédant ma vision du film

une présentation _ il s’agit à l’origine d’un courriel : j’aime m’adresser à un interlocuteur particulier, et en rien anonyme _ préliminaire, factuelle, à propos de ce que j’ai pu, de bric et de broc, reconstituer tant bien que mal de la genèse _ assez longue et tortueuse _ de la conception, puis fabrication du film :

Ce matin,
je vais pouvoir aller voir Call me by your name en salle _ n’allant que très rarement au cinéma ; seulement quand un film me fait vraiment envie. Ce qui renforce mon désir du film…
Et cela, afin de confronter à la réalité du film en son entièreté les premières impressions _ forcément très partielles _ issues des clips fragmentaires et divers commentaires et interviews nécessairement partiels.

Même si celle-ci n’est qu’anecdotique, l’histoire de la gestation du film en amont de sa réalisation est assez intéressante.

L’achat des droits d’auteur en vue de la réalisation à venir d’un film
précèderait même, paraît-il _ mais oui ! aussi étrange que cela puisse paraîttre !!! _, la sortie (en 2007 et aux États-Unis _ en anglais, donc _) du livre d’André Aciman !!!
Ah ! ah !

C’est en effet une équipe _ solide, soudée _ de producteurs (homosexuels et juifs californiens _ installés à Los Angeles-Hollywood _) autour de Peter Spears (né en 1965) et Howard Rosenman (né en 1945),
ainsi que de l’agent des stars _ dont le jeune Timothée Chalamet… _ Brian Swardstrom (né en 1962 ; et compagnon de Peter Spears),
qui ont réalisé en 2007, il y a 11 ans !, l’achat de cette option sur une adaptation cinématographique à réaliser du livre même pas encore paru _ mais on devait déjà en parler ! : il faudrait creuser cela plus avant… _ d’Aciman.

Ainsi, pour le projet de ce film,
et au sein de cette équipe de producteurs _ californiens, à Hollywood _ possédant les droits d’adaptation du roman,
l’italien Luca Guadagnino a-t-il été _ la précision des dates serait ici pour sûr intéressante _ successivement consultant _ probablement au triple titre, aux yeux de l’équipe des producteurs réunie autour de Peter Spears, d’italien (ayant une bonne du terrain, en l’occurrence les divers lieux en Italie évoqués parfois très allusivement dans le roman), de cinéaste, bien sûr, et enfin de gay… _, puis producteur exécutif, puis co-scénariste (avec le grand James Ivory), et enfin le réalisateur unique _ on imagine le terreau riche de conflits de toutes sortes (et concurrentiel) qui constitue le contexte de gestation de ce passionné et de très longue haleine projet cinématographique, avec les rivalités de conception qui n’ont pas manqué de l’entourer-constituer, au long de ses diverses péripéties à rebondissements… Au point qu’on pourrait presque s’étonner, au su de cette genèse cahotée, de son résultat apollinien si abouti, si maîtrisé, si apaisé…

Avant Luca Guadagnino_ l’heureux réalisateur in fine _,

avaient été successivement pressentis à cette réalisation, avant de s’en retirer _ pour des raisons que j’ignore _ : Gabriele Muccino, Sam Taylor-Johnson, puis James Ivory.
Et sont cités aussi _ sans préciser leur part d’investissement (ou pas) au travail collectif _ les noms de Ferzan Oztepek et Bruce Weber…

De fait, James Ivory a travaillé 9 mois à l’adaptation du roman d’Aciman : de septembre 2015 à mai 2016.
Et ce serait, semble-t-il, principalement son âge (approchant les 90 ans _ il est né le 7 juin 1928 _) qui l’aurait fait exclure par certains des financeurs de la production (notamment français)
de la tâche de réalisation du film ;

ainsi laissée à Luca Guadagnino _ le réalisateur d’Amore (sorti en 2009) et A Bigger splash (sorti en 2015)..

Le tournage, autour de chez lui à Crema, en Lombardie _ non loin de Crémone _,

Crema où réside Luca Guadagnino,

eut lieu en moins de six semaines, du 11 mai au 20 juin 2016 _ et chaque soir du tournage, le réalisateur-maître d’œuvre du film, rentrait dormir dans son lit, a-t-il raconté, en riant, à diverses reprises…

Timothée Chalamet, quant à lui, était venu plus tôt séjourner à Crema : 5 semaines avant ce début du tournage, soit à partir du 6 avril 2016, en se mêlant (incognito !) aux jeunes de son âge de la petite ville, à travailler à s’imprégner de son personnage d’Elio, et, à raison de une heure et demi chaque séance (soit quatre heures et demi en tout), à parfaire sa connaissance du piano, à apprendre à jouer de la guitare, et maîtriser sa pratique de la langue italienne ; cf cet article du Los Angeles Times du 17 novembre 2017 : Timothée Chalamet is Hollywood’s next big thing with ‘Call Me by Your Name’ and ‘Lady Bird’  ; ou celui-ci de Libération du 26 février 2018 : Timothée Chalamet, appelez-le par son nom… Fin de l’incise.


On voit par là combien Luca Guadagnino a fait de ce film une affaire toute personnelle !!!

Et cette intimité-là, avec son équipe de tournage comme avec ses acteurs, se ressent très positivement à la vision fluide et intimiste, sereine et heureuse, du film…

« J’ai trouvé Elio ! », déclara l’agent des stars Brian Swardstrom à son compagnon le producteur Peter Spears, à propos de Timothée Chalamet (qu’il avait vu dans la saison 2 de Homeland en 2012), dont il devient tout aussitôt l’agent _ Timothée Chalamet avait alors 16 ans ; c’était donc en 2012, puisque Timothée est né le 27 décembre 1995.
Et c’est en 2013 que Swardstrom présente Timothée Chalamet à Luca Guadagnino, qui l’intègre aussitôt au casting du film à venir.

Quant à Armie Hammer,
c’est Luca Guadagnino _ tombé amoureux de lui (dixit le réalisateur lui-même) en voyant The Social Network (de David Fincher), en 2010 : Armie Hammer y tient avec maestria les rôles de deux jumeaux : Cameron et Tyler Winklevoss _ qui l’intègre au casting du film en 2013, lui aussi, après l’avoir vu dans The Lone Ranger (de Gore Verbinski)_ le film est sorti sur les écrans américains le 3 juillet 2013…

Dernière chose sur ce très remarquable et magnifique acteur, lui aussi :
Armie Hammer a une superbe voix grave, profonde et très ductile à la fois ;
et les extraits de sa lecture du roman d’Aciman auxquels on peut accéder, sont carrément impressionnants ! : nous tombons immédiatement sous le charme ;
l’acteur est donc vraiment très bon,

et n’est pas seulement

_ et l’article, en anglais, auquel envoie ce lien quasi anodin (!!), est le plus juste de tous ceux que j’ai lus jusqu’ici sur ce film !!! _  

juste un beau gosse _ une expression que je n’aime pas _, ou un bel homme pour l’affiche…

Le contraste, d’ailleurs,

entre son interprétation magistrale et parfaitement évidente du très fin et élégant, ainsi que retenu et secret _ sans, par son naturel éminemment fluide et sobre, en donner le moindre soupçon : si c’est une certaine partie de son jeu qu’il cache, ce n’est certes pas la plus grande partie de son corps exposé au soleil  _ personnage d’Oliver _ son seul moment d’un peu d’extraversion, avant les moments de relations plus intimes avec Elio (mais très discrètement filmés, avec pudeur et sans exhibitionnisme, par le réalisateur), est la sublime séquence (de 44 ‘) dans laquelle, yeux et poings fermés, Oliver se lâche presque dionysiaquement sur la piste du dancing de Crema, sur le rythme lancinant de Love my Way _,

et ses prestations extraverties d’acteur faisant la promotion du film,

est, lui aussi, marquant : c’est dire combien la direction d’acteurs de Luca Guadagnino est elle aussi excellente ; autant que sont vraiment parfaits ses acteurs dans l’incarnation subtilissime des moindres nuances de leurs personnages !!!

A nous, aussi, de bien les percevoir…

Ainsi, dans la gestation de ce film,

le choix, au casting, des titulaires _ Armie et Timmy, donc _des deux principaux protagonistes _ Oliver et Elio _, dès 2013,

précède-t-il donc _ il faut le noter _ celui, final, de Luca Guadagnino comme réalisateur,
même si celui-ci a fait très tôt partie de l’équipe aux commandes _ la date en serait à préciser, ainsi que son pourquoi et son comment… _ dans ce projet _ au long cours et à rebonddissements divers _ de production : d’abord comme consultant.

Tout cela est donc assez intéressant ; même si cela reste malgré tout anecdotique par rapport au principal : la valeur artistique du film…
Je vais bien voir !

A suivre…
Je pars au cinéma…

P. s. :

Timothée Chalamet :


Timothée Hal Chalamet naît le 27 décembre 1995 dans le quartier de Hell’s Kitchen, à New York. Il est le fils du français Marc Chalamet, ayant travaillé _ comme éditeur _ pour l’UNICEF, et de l’américaine Nicole Flender _ née en 1960 _, diplômée de Yale, actrice, danseuse à Broadway, puis agent immobilier. Il étudie au lycée LaGuardia pour jeunes artistes, d’où il sort diplômé en 2013. Il a une sœur aînée, Pauline, une actrice qui vit à Paris.


Depuis son enfance, Timothée Chalamet et sa famille ont régulièrement passé des vacances _ l’été _ au Chambon-sur-Lignon _ haut-lieu de la résistance civile (protestante) au nazisme ! cf l’admirable travail de Jacques Sémelin : Persécutions et entraides dans la France occupée : comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort ; et mon article du 30 juin 2013 : « …  _, en Haute-Loire, dans une maison où habitaient son grand-père paternel Roger Chalamet, pasteur _ voilà ! _, et sa grand-mère Jean, une canadienne _ née Jean Elizabeth Asthworth, et décédée en octobre 2010.


La famille de sa mère, d’origine juive russe et autrichienne _ tiens, tiens ! _, est très présente dans le cinéma : son grand-père maternel est le scénariste _  new-yorkais, né dans le Bronx _ Harold Flender (1924 – 1975), son oncle Rodman Flender _ né le 9-6-1962 _ est réalisateur et producteur, et sa tante Amy Lippman, épouse de celui-ci, également productrice _ et dialoguiste.


De nationalité américaine et française _ les deux ! _, il parle couramment l’anglais et le français _ dont acte.

Puis, ce courriel à un ami, cet après-midi, à mon retour du cinéma :

Cher …,

tu serais, je pense, bien plus critique que je ne le suis à l’égard de ce film _ attentif aux chicanes de premiers émois amoureux au moment de l’entrée dans l’âge adulte _ : je suis, en effet, assez bon public _ au moins a priori : la critique est plus aisée et prompte que l’art ! L’œuvre, que ce soit de cinéma, de littérature, de musique, ou toute autre, a besoin d’abord être accueillie et reçue avec un minimum d’attention bienveillante (et d’appétit…) ; le regard critique ne doit pas être un a priori fermé et massif comme un coup de gourdin ; mais ne venir qu’après, avec finesse et à bon escient ; soucieux de ce qu’on peut estimer constituer les visées de fond de l’œuvre en question… Du moins quand, public, nous avons fait l’effort d’aller à la rencontre de cette œuvre-ci : en l’occurrence nous déplacer jusqu’à la salle de cinéma… Et je remarque, qu’au cinéma, les projections des subjectivités des spectateurs, se déchaînent sans vergogne ! Les unes et les autres reprochant au film de ne pas leur offrir ce qu’eux, tout spécialement et très égocentriquement, les spectateurs se trouvent parfaitement légitimes d’en attendre ! C’est le monde à l’envers ; et c’est infantile… Il faut commencer par accepter de décentrer son regard de ses habitudes subjectives. Et accueillir vraiment l’altérité de l’objet offert…

Le point de vue privilégié par le réalisateur du film _ Luca Guadagnino, à la suite, et dans les pas, du point de vue choisi par le romancier, André Aciman _ est celui du regard, mi-neuf, mi-perspicace (en analyses de signes à décrypter : Aciman a dû lire le Proust et les signes de Deleuze…), du jeune garçon _ vierge, puceau (au moins quant à l’homosexualité : il vient juste de faire l’amour avec Marzia…) _ de 17 ans, Elio, face au très séduisant inconnu, Oliver, qui débarque au mois de juillet dans la demeure familiale _ ouverte et accueillante (même si discrète, par tradition familiale, en Italie, sur sa judéité) _, près de Crémone,

et auquel, en la fougue de ses élans pulsionnels adolescents, le très fin, intelligent, sensible et cultivé, Elio est assez vite _ à condition, bien sûr, de se voir vraiment agréé aussi, et non rudement refusé, par l’aimé _ prêt à se livrer _ corps et âme… Mais les signaux, les feux verts, et cela des deux côtés, manquent encore de clarté, ainsi que de constance : d’où des blessures (réciproques) et des retards par divers malentendus et quiproquos successifs…
Nous sommes en 1983 _ a choisi le réalisateur Luca Guadagnino, plutôt qu’en 1987, à l’origine dans le roman d’André Aciman _, dans une Italie d’avant Berlusconi _ c’est le moment, confus, de Benito Craxi _, et d’avant le Sida…

Le choix de ce point de vue du regard d’Elio

facilite, bien sûr, l’identification avec le personnage d’Elio _ très brillamment interprété par le merveilleusement  expressif (ses regards !) Timothée Chalamet _, de pas mal des spectateurs _ à commencer, bien sûr, par le vaste public (visé ?) des jeunes ; mais pas seulement lui : il est bien connu de tous que, quand on aime, on a toujours vingt ans ; et c’est vrai ! L’élan est puissant.

L’astuce romanesque _ du film comme du roman _,

c’est que le bel objet désiré, le splendide _ mais pas que _ universitaire américain _ il enseigne déjà à Columbia et publie ses livres : et c’est précisément pour préparer l’édition en traduction italienne de son travail sur Héraclite (dit l’Obscur) qu’il est venu en Italie, et chez le Professeur Perlman, cet été là, au moment de ses propres vacances universitaires : il s’est d’abord rendu en Sicile, puis va passer un mois et demi (soit quasiment la même durée que le tournage !) dans la résidence d’été du Pr. Perlman et sa famille _, Oliver,

qu’interprète avec beaucoup d’élégance et brio et finesse, Armie Hammer,

use de pas mal d’artifices de fuite (later, later, ne cesse-t-il de répéter pour se défiler des approches _ il les voit, bien sûr, venir ! _

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et tentatives d’emprise sur lui du jeune Elio… _ et le titre du roman choisi lors de sa première parution en français, en 2008, aux Éditions de l’Olivier, était Plus tard ou jamais ; de même que le titre de la première partie du roman  d’Aciman est Si ce n’est plus tard, quand ? ; c’est à relever… Il y comme de l’urgence dans l’air ; le temps leur est compté… _ ) ;

mais longtemps dans le film, nous non plus, n’en pénétrons pas bien les raisons…


Á la suite d’Elio,

dont nous ne cessons à nul moment de partager et suivre le regard, l’angle de vue, le cadrage, au présent de la survenue frontale des événements (et non rétrospectivement, au filtre de la mémoire),

nous aussi, spectateurs, nous sommes souvent déroutés par le comportement d’Oliver…

Et c’est là un élément décisif _ voulu par le réalisateur, à la suite du choix, aussi, du romancier _ de notre perception de l’intrigue  !!!

Ce sont donc ces yeux-là d’Elio,

non seulement hyper-curieux, mais aussi extrêmement inquiets car follement épris et séduits,

que nous, spectateurs du film, avons sans cesse

pour le beau et très retenu, et discret _ à l’exception de sa plastique exposée au soleil _, sinon secret, Oliver !

Et ce ne sera qu’a posteriori _ après le retour chez lui aux États-Unis d’Oliver, une fois son stage de six semaines auprès du Professeur Perlman terminé, et le texte de sa traduction en italien scrupuleusement revu et achevé _,

in extremis donc,

que nous comprendrons que ces diverses esquives _ arrogance ? timidité ? goujaterie ? s’était-on demandé _ et mesures dilatoires _ later, later... _ du bel Oliver

étaient, tout au contraire, chargées d’infiniment d’égards et de délicatesse _ protectrice ! _ envers le jeune Elio _ de 17 ans ; et le contraste physique entre eux deux est très net ! _,

eu égard aux obstacles auxquels lui-même, Oliver, s’était, en sa récente adolescence _ lui-même n’a, après tout que 24 ans ! _, heurté et durement blessé,

et probablement se blessait maintenant encore, chez lui aux États-Unis (à commencer en son milieu familial)

_ fort discret (c’est-à-dire prudent ! : larvatus prodeo…), Oliver parle d’autant moins de lui-même, nous semble-t-il, que c’est seulement via le regard d’Elio que nous, spectateurs, dans le film, avons accès à lui, c’est-à-dire à ses gestes et expressions, mais pas à ses sentiments et pensées : à cet égard le film, moins bavard (et cahoté) quant aux élucubrations du garçon ne sachant jamais sur quel pied danser avec Oliver, est beaucoup mieux réussi que le roman !)  ; Elio ne cessant passionnément d’essayer (non seulement il est d’un naturel extrêmement curieux de tout, mais il est surtout très épris !), de percer à jour d’abord ce que ressent l’apparemment versatile Oliver, mais ensuite surtout peut-être le tréfonds de ses secrets… _ :

afin de tempérer (un peu) et filtrer (sinon les refroidir vraiment, car le désir, nous le découvrirons, est bel et bien _ mais à partir de quel instant ? c’est très difficile à situer en regardant pour la première fois le film, assez subtil en cela… _ réciproque…) les fougueuses ardeurs du jeune garçon, Elio :

d’où la succession de péripéties à rebondissements de l’intrigue _ retournements de situations, surprises après atermoiements, révélations, semblants de démentis, prises de conscience… _ survenant _ et nous surprenant, nous aussi ! _ le long des 2 heures du film.

Il s’agit donc ici, d’abord _ mais immédiatement derrière, même si c’est habilement et très discrètement suggéré, sont tapis les secrets de la vie (passée, présente, mais à venir aussi…) d’Oliver : car celui-ci a des projets, tant professionnels que personnels (voire conjugaux et de paternité aussi), déjà en voie de formation, et à mener à long terme… _,

de la première (mais décisive) éducation sentimentale _ qualifions-la ainsi ! _ d’Elio _ pour la vie ! : avec une dimension verticale (et fondamentale !) d’éternité. Qu’en adviendra-t-il donc ? Et pour l’un, et pour l’autre ?..

Pour la vie est aussi _ il faut le noter _ le mot d’Elio lui-même pour sa proclamation _ émue et parfaitement sincère _ d’amitié envers Marzia, sa petite amoureuse _ très joliment interprétée par Esther Garrel _, une fois que celle-ci a bien compris, et osé très ouvertement le lui déclarer, que c’était d’Oliver qu’Elio était vraiment épris, et non d’elle _ qui ne l’en aimait pas moins, pour autant !.. Car Elio est fondamentalement honnête ! S’il lui arrive _ souvent désemparé qu’il se trouve, bousculé par ce qui survient de non anticipé par lui, pourtant si réfléchi _ d’être indécis et partagé, Elio n’a rien d’un traitor

Car il se trouve, aussi, qu’ici nul des protagonistes _ pas un seul ! _ n’a de mauvaises, ni a fortiori perverses, intentions ! Pas un seul méchant ou salaud…

Même ceux qui sont déçus ou blessés :

tous ceux qui s’expriment à propos de leurs relations inter-personnelles, sont ce qu’on appelle maintenant _ même si je n’aime pas du tout cette expression _ de belles personnes

Et cela agace, voire irrite, certains spectateurs, soucieux de davantage de réalisme cinématographique.

Et reste _probablement pour les faire davantage encore enrager de trop de concentré de beauté ! _,

au dessus de tout, la sublime lumière _ magnifiée par le doigté magique du chef opérateur d’Apichatpong Weerasethakul : Sayombhu Mukdeeprom ! C’est mon amie Marie-José Mondzain (cf le podcast de mon entretien avec elle sur ce livre, le 16 mai 2012) qui me les a fait découvrir et connaître en son Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs _

qui nimbe la luxuriance tranquille des verts paysages de Lombardie _ y compris Bergame et la montagne bergamasque, pour les Alpi Orobie, à la fin du séjour italien d’Oliver, en grimpant vers les cimes, à la montagne… _ en ce si bel été qui va être brutalement interrompu.


Ainsi que l’intérieur du très beau palazzo de la Villa Albergoni, à Moscazzano, dans  la province de Crémone…

Et avant le vespéral paysage de neige de la nuit de décembre, le soir de Hanouka,

à la fin du film…

Le point culminant du film est probablement la double réaction finale _ chacun de son côté, et en deux temps nettement séparés, au mois d’août, puis au mois de décembre _ des deux parents d’Elio :

d’abord, et immédiatement, au mois d’août, le regard et les gestes compréhensifs et très tendres de sa mère (la très belle, et toujours parfaite, sublime, Amira Casar), au moment du départ _ pour jamais ? _ du bel américain, lors du parcours du retour en voiture d’Elio, en larmes _ telle Ariane abandonnée de Thésée à Naxos _, à la maison ;

et plus encore le sublime discours détaillé (et les confidences très personnelles à son fils) de son père, le Professeur Perlman (Michaël Stuhlbarg, d’une splendide humanité !), révélant à Elio, six mois plus tard, en hiver, tout à la fin du film, son admiration _ admiration tue de sa part, il le lui dit, à tout autre que lui, Elio : y compris son épouse Annella… _ pour la chance qu’Elio, lui et au contraire de lui-même, en sa propre jeunesse _, a su _ not too late !!! sur cela, et pour célébrer cette fois le miracle de la naissance d’une amitié (et pas d’un amour), cf en mon Pour célébrer la rencontre rédigé au printemps 2007, ma référence au divin Kairos et à l’impitoyable châtiment (de la main coupée !) infligé à ceux qui (too late !) ont laissé passer leur chance et voulu, mais trop tard, la ressaisir… _ courageusement saisir à la volée _ au contraire de lui-même, donc ; avec les regrets qui lui en demeurent encore maintenant, mais oui !, et il le confie alors, magnifiquement, à son fils _, et lui conseillant d’en tirer (sans amertume ou aigreur, ni oubli _ ou refoulement _ non plus) le meilleur pour la suite de sa vie adulte qu’adviendra-t-il donc de la vie amoureuse future d’Elio ?.. Le film, à très bon escient, en restera là…

Mais des suites viendront, très probablement, dans quelques années : le passage du temps ayant fait son office…


Soit, ici avec ce père intelligent si magnifiquement humain… _ une autre identification possible pour les spectateurs de ce film.

Et je suppose que c’est bien pour faciliter ces diverses identifications des spectateurs à ces divers personnages du film, face à la relative énigme _ qui demeure en grande partie à la fin du film (et à la différence du roman) _ du personnage d’Oliver

_ bien différent en cela de l’ange terrible qu’incarne Terence Stamp dans le brûlant Théorème de Pasolini _,

que,

prenant en mains la réalisation du film,

Luca Guadagnino a choisi de renoncer au procédé du commentaire _ rétrospectif, mélancolique, un peu trop auto-centré sur les regrets du narrateur : passéiste ; à rebours des très vifs effets de présent recherchés en ses spectateurs par le cinéaste !.. _

par une voix-off,

qu’avait d’abord retenu James Ivory !

Et c’est probablement le jeu très précis, subtil et infiniment nuancé _ leur incarnation de ces nuances complexes de leurs personnages est vraiment magnifique ! _ des acteurs

qui produit _ en plus de cette merveilleuse lumière qui nimbe les paysages de l’été italien _ le principal impact,

émotivement très puissant,

de ce si émouvant et si beau film.


La poursuite de ce décryptage par le spectateur de ces images en mouvement que sont un film _ mieux capter chacune de leurs nuances furtives, à l’instar du regard scrutateur et interrogatif d’Elio lui-même _ accroît ainsi

l’urgence d’aller revoir un tel film,

avec un nouveau surcroît d’attention de notre regard

pour le moindre de ses détails qui nous aura échappé…

Tu vois comme je suis gentil.

Parmi les critiques du film que j’ai lues _ aucune de très subtile ni de vraiment fouillée jusqu’ici ; mais je ne m’abreuve probablement pas aux meilleures sources !

Cf cependant celle-ci, par Isabelle Régnier, dans Le Monde du 28 février dernier : « Call Me by Your Name » : entre ombre et secret, l’été amoureux de deux garçons … ;

ou celle-là, quoique un peu trop contournée pour mon goût, par Johan Færber, dans la revue Diacritik du 27 février :  Call Me By Your Name : l’académisme est un sentimentalisme… _,

certaines trouvent au film trop de longueurs ;
alors que, à l’inverse, d’autres se plaignent que le film _ d’une durée paraît-il de 4 heures en sa toute première version _ souffrirait un peu trop des ellipses _ notamment concernant les personnages secondaires _ résultant des coupures opérées au montage pour améliorer le rythme du récit.

Pour ma part, je n’ai éprouvé aucune de ces deux impressions ; et j’ai regardé le film avec une forme d’empathie _ la mienne a priori quand (et puisque) je décide d’aller voir un film, de lire un livre, d’écouter un CD : la critique sera seulement a posteriori ; je me répète… _ pour les divers protagonistes, très humains _ chacun à sa manière… _ de cette intrigue…

Lequel d’entre nous _ qui sommes sexués _ ne tombe pas un jour amoureux ?.. et passera complètement à côté d’émotions questionnantes de ce genre ?..

Ou ignorera complètement les chagrins d’amour ?


Et cela, ici, à la vision de ce film, avec un très grand plaisir : celui de baigner pleinement par le regard dans les parfums, saveurs et couleurs d’une Italie aimée ;

tout en sachant aussi que l’Italie est certes loin de se réduire à ces images idylliques _ ce qui ne manque pas d’agacer, voire irriter, certains des spectateurs du film, jugé par eux trop idyllique…


De même que semblent, malgré tout, encore assez menues, et surtout peut-être réparables, les blessures infligées _ par de tels chagrins _ à la personnalité des principaux personnages, notamment le jeune Elio…

Mais là je suis peut-être un peu trop optimiste…

D’abord, en effet, un premier amour n’a pas de substitut ! Sa marque, oui, indélébile, est et demeure pour toujours la référence…

Ici, je repense, a contrario, à l’humour acéré et absolument terrible de Pasolini (Théorème _ en 1968 _)…
Ou à la verve pleine de charge comique très incisive d’un Fellini (Amarcord _ en 1973 _)…

Mes références _ et alors que je suis d’abord un très fervent antonionien (Par delà les nuages, Identification d’une femme, L’Eclipse, sortis respectivement en 1995, 1982 et 1962…) _ seraient plutôt ici les auras solaires d’un Bertolucci (La Luna _ en 1979 _) ou d’un Rosi (Trois frères _ en 1981 __ qui me comblent aussi ; même si, à la revoyure de ces films, je m’aperçois bien que chacun d’eux et tous comportent une dose très importante de réalisme tragique ; aucun d’eux n’est vraiment idyllique…

Mais le tragique, ici, est d’un autre ordre.

Bref, j’y ai éprouvé du plaisir.
Comme celui pris aux films _ Chambre avec vue, Maurice, Retour à Howard Ends, en 1985, 1987 et 1992… _ de James Ivory : est-ce un hasard ?

Francis

P. s. :

Je viens de lire une interview particulièrement niaise (et donc agaçante) d’André Aciman _ vaniteux, pour aggraver son cas _, dans En attendant Nadeau _ il me faudra lire le roman afin d’être plus juste envers lui !..

Enfin,

existe en audio-livre, la lecture _ en anglais, bien sûr _, par le magnifique Armie Hammer

_ quelle spendide voix ! et quelle merveilleuse lecture ! Quel grand acteur il est donc !!! Et aurait-il pâti jusqu’ici, en sa carrière d’acteur (il est vrai à Hollywood surtout) de sa trop manifeste beauté ?.. Que l’on se donne la peine de revoir la scène magnifique (de 44 ‘) de sa danse presque sauvage, yeux et poings fermés, aux prises peut-être, seul avec quelque fantôme de son histoire, au milieu de la piste du dancing à Crema… ; et que l’on écoute, à côté, ses confidences amusantes (1 et 2) d’acteur sur les circonstances particulièrement « uncomfortable«  pour lui du tournage de cette sublime hyper-sensuelle séquence… _

du roman Call me by your name, d’André Aciman ;

la lecture _ splendide par cette voix si bien timbrée et si juste en ses intonations comme en sa fluidité ! _ dure 7 h 45 _ en existait bien un podcast, mais le lien en a été, depuis ma mise en ligne, effacé !

C’est superbe !

La principale question que pose toute rencontre, surtout, bien sûr, toute rencontre heureuse,

est celle de son devenir, par delà tout ce qui peut la menacer, corroder, ruiner ;

de son suivi, de ses suites ;

de la dynamique _ à inventer davantage qu’à subir _ de sa poursuite-perpétuation-renouvellement d’enchantement…

Et c’est bien ce qu’il y a de terrible

dans le dernier regard _ mouillé, car très probablement se sentant coupable de partir ainsi, sans projet de vraiment revenir bientôt (ou jamais) ; et le sentiment non dilatoire, cette fois, de quelque too late !.. _, dans le compartiment du train _ qui démarre et s’en va _, du personnage d’Oliver en direction du personnage d’Elio ;

Elio, demeuré, lui _ abandonné, telle Ariane à Naxos… _ à quai,

comme plombé, là, par la peine-douleur de cette séparation, sur le quai de cette toute petite gare de Clusone, au pied des Alpi Orobie livré, totalement, là en vrac, à son impuissance d’agir face au train qui imparablement éloigne Oliver vers Milan et les Amériques. Elio (qui va entrer en classe Terminale) n’a pas pu retenir Oliver, qui rentre (sans nul retour ?) chez lui, aux États-Unis, retrouver son travail et sa carrière à l’université, sa famille, ses projets déjà formés, etc. _ ;

et très bientôt en larmes.

Elio, totalement désemparé par cette séparation _ sans remède ? à jamais ? _ d’avec son amant de ces quelques journées volées au reste du monde, 

Elio, va, au téléphone public de cette gare perdue de Clusone _ n’existaient pas encore, en 1983, les telefonini dont vont très vite raffoler les Italiens _, prier sa mère de bien vouloir venir en voiture jusque là _ c’est assez loin de Crema : à plus d’une heure de route… _ le récupérer et le ramener chez eux…

Mais s’ensuivra, encore _ ultime rebondissement du lien (puissant…) entre Elio et Oliver dans le film _ la séquence finale du coup de fil d’Oliver à Elio, le soir de Hanouka, le 6 décembre 1983.

On comprend aussi combien est intelligent le choix

_ de classicisme et de ligne claire : à la française ; et à la Ravel, donc… _

de Luca Guadagnino

d’avoir interrompu à ce moment précis le récit des rapports entre Elio et Oliver,

sans le prolonger sur ce qui les suivra bien plus tard

_ mais ce sera là matière, pour plus tard, pour un ou plusieurs autres films, quand se retrouveront, et en quel état, à l’aune de l’éternité (car tel est là le critère !), Elio et Oliver _,

comme l’a fait André Aciman dans le roman.

C’est bien l’aune de l’éternité, en son impact _ hyper-puissant _ sur les personnages,

qui doit prévaloir

et triompher…

Ce lundi 12 mars 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

 

Les conditions de la survie : « Terre noire » de Timothy Snyder, un fort livre inquiet

30nov

Du magnifique historien américain Timothy Snyder,

après l’admirable Terres de sang _ L’Europe entre Hitler et Staline, en 2012,

et le passionnant et intrigant Le Prince rouge _ Les Vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg, en 2013

_ cf mes articles du 26 juillet 2012 et du 30 décembre 2013 : chiffrage et inhumanité (et meurtre politique de masse) : l’indispensable et toujours urgent « Terres de sang _ l’Europe entre Hitler et Staline » de Timothy Snyder  et La place du « rêve ukrainien » d’un Habsbourg, dès 1912, dans l’Histoire de notre Europe : le passionnant « Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg », de Timothy Snyder : sur les modalités de la faisabilité de l’Histoire _,

voici que paraît cet automne 2016 le très important Terre noire _ L’Holocauste et pourquoi il peut se répéter,

tous aux Éditions Gallimard.

Ce livre plus qu’inquiet sur la possibilité de nouveaux génocides au XXIe siècle,

s’inscrit à mes yeux dans le prolongement de l’extraordinaire Persécutions et entraides dans la France occupée _ Comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort, de l’immense Jacques Semelin, paru en 2013 aux Éditions Les Arènes et Le Seuil

_ cf mon article du 30 juin 2013 : Un monumental chef d’oeuvre de micro-histoire : « Persécutions et entraides dans la France occupée » de Jacques Semelin .

Fort de son travail si précieux sur les faits dans son plus qu’indispensable Terres de sang,

et rejoignant, aussi, les analyses de Hannah Arendt dans son essentiel Les Origines du totalitarisme,

Timothy Snyder met ici l’accent sur l’importance présente et à venir de l’existence effective d’institutions étatiques, capables, seules, de défendre l’existence de droits eux-mêmes effectifs et efficaces,

indépendamment et en plus, aussi, de la réalité, elle-même très effective et nécessaire !, mais plus rare et plus difficile en l’absence de l’existence d’États et de droits, quand ils sont détruits,

de la bonne volonté de « sauveteurs » des pourchassés

(cf le chapitre, immédiatement avant la Conclusion, significativement intitulé « La poignée de Justes« ) ;

et je pense aussi à l’admirable chef d’œuvre qu’est L’Allemagne nazie et les Juifs _ Les Années d’extermination _ 1939-1945, de Saul Friedländer

_ cf ici mon article récent, le 29 septembre 2016, à propos de Où mène le souvenir _ ma vie :

Saul Friedländer : la construction chahutée (par la vie) de l’oeuvre et de l’homme _ émergence et accomplissement d’une « vocation »

En cela, Timothy Snyder tente d’éclairer sur ce que des « leçons de l’Histoire » pourraient enseigner aux citoyens d’aujourd’hui que nous sommes, à l’heure de l’ultra-libéralisme et des critiques contre l’État…

Cf à ce sujet le récent retentissant article de Timothy Snyder, publié, entre autres journaux, par Le Monde :

20 Lessons from the 20th Century on How to Survive in Trump’s America

Americans are no wiser than the Europeans who saw democracy yield to fascism, Nazism or communism. Our one advantage is that we might learn from their experience. Now is a good time to do so. Here are 20 lessons from across the fearful 20th century, adapted to the circumstances of today.

1. Do not obey in advance. Much of the power of authoritarianism is freely given. In times like these, individuals think ahead about what a more repressive government will want, and then start to do it without being asked. You’ve already done this, haven’t you? Stop. Anticipatory obedience teaches authorities what is possible and accelerates unfreedom.

2. Defend an institution. Follow the courts or the media, or a court or a newspaper. Do not speak of “our institutions” unless you are making them yours by acting on their behalf. Institutions don’t protect themselves. They go down like dominoes unless each is defended from the beginning.

3. Recall professional ethics. When the leaders of state set a negative example, professional commitments to just practice become much more important. It is hard to break a rule-of-law state without lawyers, and it is hard to have show trials without judges.

4. When listening to politicians, distinguish certain words. Look out for the expansive use of “terrorism” and “extremism.” Be alive to the fatal notions of “exception” and “emergency.” Be angry about the treacherous use of patriotic vocabulary.

5. Be calm when the unthinkable arrives. When the terrorist attack comes, remember that all authoritarians at all times either await or plan such events in order to consolidate power. Think of the Reichstag fire. The sudden disaster that requires the end of the balance of power, the end of opposition parties, and so on, is the oldest trick in the Hitlerian book. Don’t fall for it.

6. Be kind to our language. Avoid pronouncing the phrases everyone else does. Think up your own way of speaking, even if only to convey that thing you think everyone is saying. (Don’t use the Internet before bed. Charge your gadgets away from your bedroom, and read.) What to read? Perhaps The Power of the Powerless by Václav Havel, 1984 by George Orwell, The Captive Mind by Czesław Milosz, The Rebel by Albert Camus, The Origins of Totalitarianism by Hannah Arendt, or Nothing is True and Everything is Possible by Peter Pomerantsev.

7. Stand out. Someone has to. It is easy, in words and deeds, to follow along. It can feel strange to do or say something different. But without that unease, there is no freedom. And the moment you set an example, the spell of the status quo is broken, and others will follow.

8. Believe in truth. To abandon facts is to abandon freedom. If nothing is true, then no one can criticize power because there is no basis upon which to do so. If nothing is true, then all is spectacle. The biggest wallet pays for the most blinding lights.

9. Investigate. Figure things out for yourself. Spend more time with long articles. Subsidize investigative journalism by subscribing to print media. Realize that some of what is on your screen is there to harm you. Bookmark PropOrNot and other sites that investigate foreign propaganda pushes.

10. Practice corporeal politics. Power wants your body softening in your chair and your emotions dissipating on the screen. Get outside. Put your body in unfamiliar places with unfamiliar people. Make new friends and march with them.

11. Make eye contact and small talk. This is not just polite. It is a way to stay in touch with your surroundings, break down unnecessary social barriers, and come to understand whom you should and should not trust. If we enter a culture of denunciation, you will want to know the psychological landscape of your daily life.

12. Take responsibility for the face of the world. Notice the swastikas and the other signs of hate. Do not look away and do not get used to them. Remove them yourself and set an example for others to do so.

13. Hinder the one-party state. The parties that took over states were once something else. They exploited a historical moment to make political life impossible for their rivals. Vote in local and state elections while you can.

14. Give regularly to good causes, if you can. Pick a charity and set up autopay. Then you will know that you have made a free choice that is supporting civil society helping others doing something good.

15. Establish a private life. Nastier rulers will use what they know about you to push you around. Scrub your computer of malware. Remember that email is skywriting. Consider using alternative forms of the Internet, or simply using it less. Have personal exchanges in person. For the same reason, resolve any legal trouble. Authoritarianism works as a blackmail state, looking for the hook on which to hang you. Try not to have too many hooks.

16. Learn from others in other countries. Keep up your friendships abroad, or make new friends abroad. The present difficulties here are an element of a general trend. And no country is going to find a solution by itself. Make sure you and your family have passports.

17. Watch out for the paramilitaries. When the men with guns who have always claimed to be against the system start wearing uniforms and marching around with torches and pictures of a Leader, the end is nigh. When the pro-Leader paramilitary and the official police and military intermingle, the game is over.

18. Be reflective if you must be armed. If you carry a weapon in public service, God bless you and keep you. But know that evils of the past involved policemen and soldiers finding themselves, one day, doing irregular things. Be ready to say no. (If you do not know what this means, contact the United States Holocaust Memorial Museum and ask about training in professional ethics.)

19. Be as courageous as you can. If none of us is prepared to die for freedom, then all of us will die in unfreedom.

20. Be a patriot. The incoming president is not. Set a good example of what America means for the generations to come. They will need it.


Les Américains ne sont pas plus avisés que les Européens, qui ont vu la démocratie succomber au fascisme, au nazisme ou au communisme. Notre seul avantage est que nous pouvons apprendre de leur expérience. C’est le bon moment pour le faire. Voici vingt leçons du XXe siècle adaptées aux circonstances du jour.

1. N’obéissez pas à l’avance. L’autoritarisme reçoit l’essentiel de son pouvoir de plein gré. Dans des moments comme ceux-ci, les individus prédisent ce qu’un gouvernement répressif attend d’eux et commencent à le faire de leur propre initiative. Ça vous est déjà arrivé, n’est-ce pas ? Arrêtez. L’obéissance anticipée renseigne les autorités sur l’étendue du possible et accroît la restriction des libertés.

2. Protégez les institutions. Respectez la justice ou les médias, ou bien un tribunal ou un journal en particulier. Ne parlez pas des « institutions » en général, mais de celles que vous faites vôtres en agissant en leur nom. Les institutions ne se protègent pas elles-mêmes. Elles tombent comme des dominos si elles ne sont pas défendues dès l’origine.

3. Souvenez-vous de la déontologie professionnelle. Lorsque des gouvernants montrent le mauvais exemple, les engagements professionnels envers des pratiques justes deviennent très importants. Si les avocats font leur travail, il sera difficile de détruire l’Etat de droit, et si les juges font le leur, de tenir des procès spectacles.

4. Quand vous écoutez des discours politiques, faites attention aux mots. Prêtez l’oreille à l’usage répété des termes « terrorisme » et « extrémisme ». Ouvrez l’œil sur les funestes notions d’« état d’exception » ou d’« état d’urgence ». Et élevez-vous contre l’usage dévoyé du vocabulaire patriotique.

5. Gardez votre calme quand arrive l’inconcevable. Lorsque survient l’attentat terroriste, rappelez-vous que les groupes autoritaires n’espèrent ou ne préparent de tels actes que pour asseoir un pouvoir plus fort. Pensez à l’incendie du Reichstag. Le désastre soudain qui nécessite la fin de l’équilibre des pouvoirs, l’interdiction des partis d’opposition, etc., est un vieux truc du manuel hitlérien. Ne vous y laissez pas prendre.

6. Soignez votre langage. Evitez de prononcer des phrases que tout le monde reprend. Imaginez votre propre façon de parler, même si ce n’est que pour relayer ce que chacun dit. N’utilisez pas Internet avant d’aller au lit. Rechargez vos gadgets loin de votre chambre à coucher, et lisez. Quoi ? Peut-être Le Pouvoir des sans-pouvoir, de Vaclav Havel ; 1984, de George Orwell ; La Pensée captive, de Czestaw Milosz ; L’Homme révolté, d’Albert Camus ; Les Origines du totalitarisme, de Hannah Arendt ; ou Rien n’est vrai tout est possible, de Peter Pomerantsev.

7. Démarquez-vous. Il faut bien que quelqu’un le fasse. Il est facile de suivre, en paroles comme en actes. Il l’est moins de dire ou de faire quelque chose de différent. Mais sans un tel embarras, il n’y a pas de liberté. Dès le moment où vous montrez l’exemple, le charme du statu quo se rompt, et d’autres suivent.

8. Croyez en la vérité. Abandonner les faits, c’est abandonner la liberté. Si rien n’est vrai, personne ne peut plus critiquer le pouvoir, puisqu’il n’y a plus de base pour le faire. Si rien n’est vrai, tout est spectacle. Le plus gros portefeuille paie pour les plus aveuglantes lumières.

9. Enquêtez. Découvrez les choses par vous-même. Passez plus de temps à lire de longs articles. Soutenez le journalisme d’investigation en vous abonnant à la presse écrite. Comprenez que ce que vous voyez à l’écran ne cherche parfois qu’à vous faire du mal. Ajoutez à vos favoris des sites comme PropOrNot.com, qui démystifie les campagnes de propagande en provenance de l’étranger.

10. Pratiquez une politique « corporelle ». Le pouvoir veut que vous vous ramollissiez dans votre fauteuil et que vos émotions s’évanouissent devant l’écran. Sortez. Déplacez votre corps dans des endroits inconnus au milieu d’inconnus. Faites-vous de nouveaux amis et marchez ensemble.

11. Echangez des regards, dites des banalités. Ce n’est pas seulement de la politesse. C’est un moyen de rester en contact avec votre environnement, de briser les barrières sociales inutiles, et d’en venir à comprendre à qui vous fier ou non. Si nous entrons dans une culture de la dénonciation, vous ressentirez le besoin de connaître le paysage psychologique de votre vie quotidienne.

12. Sentez-vous responsable du monde. Remarquez les croix gammées et les autres signes de haine. Ne détournez pas le regard, ne vous y habituez pas. Retirez-les vous-même et donnez l’exemple afin que les autres fassent de même.

13. Refusez l’Etat à parti unique. Les partis qui prennent le contrôle des Etats étaient autrefois autre chose. Ils ont su exploiter un moment historique pour interdire toute existence politique à leurs rivaux. Participez aux élections locales et nationales tant que vous en avez la possibilité.

14. Dans la mesure de vos moyens, faites des dons aux bonnes causes. Choisissez un organisme caritatif qui vous convient et configurez le paiement automatique. Vous saurez alors que vous avez employé votre libre-arbitre à encourager la société civile à aider les autres à faire quelque chose de bien.

15. Protégez votre vie privée. Les dirigeants peu scrupuleux emploieront ce qu’ils savent de vous pour vous nuire. Nettoyez votre ordinateur des logiciels malveillants. Rappelez-vous qu’envoyer un courrier électronique est comme écrire dans le ciel avec de la fumée. Pensez à utiliser des formes d’Internet alternatives, ou, plus simplement, utilisez-le moins. Cultivez les échanges de personne à personne. Pour la même raison, ne laissez pas irrésolus les problèmes juridiques. Les Etats autoritaires sont comme des maîtres chanteurs, à l’affût de tout crochet pour vous harponner. Essayez de limiter les crochets.

16. Apprenez des autres et des autres pays. Entretenez vos amitiés à l’étranger ou faites-vous y de nouveaux amis. Les difficultés que nous traversons ne sont qu’un élément d’une tendance plus générale. Et aucun pays ne pourra trouver de solution à lui tout seul. Assurez-vous que vous et votre famille avez des passeports en règle.

17. Prenez garde aux paramilitaires. Quand des hommes armés se prétendant antisystème commencent à porter des uniformes et à déambuler avec des photos du chef, la fin est proche. Lorsque ces milices paramilitaires, la police officielle et l’armée commencent à se mélanger, la partie est terminée.

18. Réfléchissez bien avant de vous armer. Si vous portez une arme dans un service public, Dieu vous bénisse et vous protège. Mais n’oubliez pas que certains errements du passé ont conduit des policiers ou des soldats à faire parfois des choses irrégulières. Soyez prêt à dire non. (Si vous ne savez pas ce que cela signifie, contactez le Musée du Mémorial américain de l’Holocauste et renseignez-vous sur les formations en éthique professionnelle.)

19. Soyez aussi courageux que vous le pouvez. Si aucun de nous n’est prêt à mourir pour la liberté, alors, nous mourrons tous de l’absence de liberté.

20. Soyez patriote. Le président entrant ne l’est pas. Donnez l’exemple de ce que l’Amérique pourrait signifier pour les générations à venir. Elles en auront besoin.

Timothy Snyder, professeur d’histoire à l’université de Yale, Etats-Unis. Traduit de l’anglais par Olivier Salvatori.

A bons entendeurs, salut !

Titus Curiosus, ce mardi 29 novembre 2016

Le diable se cache dans les détails : la fécondité des travaux de recherche de « micro-histoire »…

31août

Me consacrant, cet été 2013, à des recherches personnelles d’Histoire ultra-ciblées sur les parcours de quelques personnes, autour du camp de Gurs et du 526e Groupe de Travailleurs Étrangers (GTE) d’Oloron, en priorité,

je procède aussi à des lectures _ nécessaires et passionnantes _ notamment de « micro-histoire » concernant ce qui s’est passé là _ c’est-à-dire le piémont pyrénéen d’Oloron, la vallée d’Aspe, la vallée d’Ossau _, et, un peu plus largement, dans une large région (ce qui était la XVIIe Région, pour Vichy ; et la Région 4, pour la Résistance) ayant _ alors _ pour centre Toulouse (comportant les départements de Haute-Garonne, Ariège, Hautes-Pyrénées, Gers, Lot-et-Garonne, Lot, Tarn-et-Garonne et Tarn, ainsi que les parties des départements des Basses-Pyrénées, Landes et Gironde _ à l’exception, toutefois, des deux cantons de Sainte-Foy-la-Grande et de Pujols, rattachés, eux, au département de Dordogne, et donc devenant, eux, dépendants de la Région de Limoges _ demeurées à l’est de la ligne de démarcation), entre juin 1940 et août 1944 _ sachant que l’État français (du régime de Vichy) naît le 11 juillet 1940, le lendemain de l’octroi des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, le 10 juillet 1940 _, la région se libérant de l’Occupation allemande (intervenue, elle, le 11 novembre 1942 : en réplique au débarquement des Alliés en Afrique-du-Nord) au cours de la seconde quinzaine du mois d’août 1944 : les débarquements d’abord de Normandie (6 juin) et ensuite de Méditerranée (15 août) en étant, par le retrait précipité des troupes de la Wermacht vers l’Allemagne _ qui en est la directe conséquence _ qui s’ensuit immédiatement sur ordre de Hitler, la cause principale ; et les attaques de la Résistance sur ces troupes en fuite, y ayant aussi notablement contribué…

Outre mes démarches personnelles _ contacts avec d’éventuels témoins (encore de ce monde en 2013), avec divers historiens ayant « labouré » le sujet, premières visites à des Archives départementales... _,

j’ai été amené à procéder à de scrupuleuses lectures méthodiques, et pas seulement de « micro-histoire », afin de mieux asseoir mes repères historiques, en particulier sur ce que fut la (fort complexe) Résistance intérieure, ses mouvements, ses réseaux… Ainsi que de tâcher de beaucoup mieux accéder aux réalités locales « de terrain » : en particulier dans les Basses-Pyrénées (Gurs, Oloron, Izeste-Louvie-Juzon), ainsi qu’en Haute-Garonne (Toulouse, Beaupuy, Muret), pour ce qui concerne l’objet singulier de ma recherche factuelle.

Voici donc, déjà, une liste de ces lectures méthodiques de ces deux mois :

_ Histoire de la Résistance 1940-1945, d’Olivier Wieviorka (aux Éditions Perrin) _ complétée par des coups d’œil ponctuels sur le Dictionnaire historique de la Résistance, sous la direction de François Marcot _,

_ Persécutions et entraides dans la France occupée, de Jacques Semelin (aux Éditions Les Arènes/Seuil),

_ Camps de travail sous Vichy _ Les « Groupes de travailleurs étrangers » (GTE) en France et en Afrique du Nord 1940-1944, la très remarquable thèse de Peter Gaida,

_ Le Camp de Gurs 1939-1945 _ Un aspect méconnu de l’Histoire de Vichy, de Claude Laharie (J&D Éditions),

_ Le Camp de Gurs (1939-1945), de Martine Cheniaux et Joseph Miqueu (au Cercle historique de l’Arribère),

_ Le Chemin des Pyrénées, de Lisa Fittko (aux Éditions Maren Sell),

_ Les Camps de la honte, d’Anne Grymberg (aux Éditions La Découverte),

_ Basses- Pyrénées, Occupation, Libération 1940-1945, de Louis Poullenot (aux Éditions Atlantica),

_ Résistances en Haut-Béarn, de Michel Martin (aux Éditions Atlantica),

_ Arrêt sur Images : Oloron-Sainte-Marie 1908-1945, sous la direction de Pierre-Louis Giannerini,

_ Contribution à l’Histoire de la famille de Pierre Klingebiel, de 1919 à 1947 _ Correspondances et souvenirs, rassemblés par André Klingebiel,

_ Les Camps du Sud-Ouest de la France _ Exclusion, internement et déportation 1939-1944, sous la direction de Monique-Lise Cohen et Eric Malo (aux Éditions Privat),

Les Juifs à Toulouse et en Midi toulousain au temps de Vichy, de Jean Estèbe (aux Presses Universitaires du Mirail),

_ La  Résistance à Toulouse et dans la Région 4, de José Cubero (aux Éditions Sud-Ouest),

_ Libération de Toulouse et de sa Région, de Pierre Bertaux (aux Éditions Hachette-Littérature),

_ Les Hautes-Pyrénées dans la Guerre _ 1938-1948, de José Cubero (aux Éditions Cairn),

_ Vichy en Aquitaine, sous la direction de Jean-Pierre Koscielniak et Philippe Souleau (aux Éditions de l’Atelier)…

Je veux d’abord faire l’éloge des recherches de micro-histoire (ou histoire locale, voire histoire singulière), qui, indépendamment de tout désir d’enseignement, cherchent d’abord à établir la singularité même des faits, des événements affectant des personnes uniques…

Ainsi que l’affirme, au passage, en son Pour conclure, le très fin Jean Estèbe, page 299 de son magnifique Les Juifs à Toulouse et en Midi toulousain au temps de Vichy, bien au delà de ce qui « peut sembler inccongru et témoigner d’un certain provincialisme« , « l’avantage d’une observation régionale » est bel et bien « de faire apercevoir les faits avec plus de précision » : surtout quand ces faits sont demeurés inconnus ! L’affaire du choix de la focale dépasse donc, et très largement, le critère du qualitatif de l’analyse historienne…


Ainsi veux-je bien souligner, par exemple, l’importance de l’apport du travail de Bernard Reviriégo, en son article « Les GTE en Dordogne : des camps de travail forcé au service de Vichy« , pages 296 à 309 du passionnant, de bout en bout, Vichy en Aquitaine , qu’ont dirigé Philippe Souleau et Jean-Pierre Koscielniak, paru en octobre 2011 : un travail tout entier de « micro-histoire » extrêmement précise qui, grâce à la connaissance de très nombreux faits très précis, aide aussi à faire comprendre, par l’exemple chaque fois détaillé, le vécu de ces travailleurs étrangers des GTE de Vichy,

et qui vient compléter la thèse (essentielle !) de Peter Gaida, l’indispensable Camps de travail sous Vichy _ Les « Groupes de travailleurs étrangers » (GTE) en France et en Afrique du Nord 1940-1944, en 2008,

ainsi que le bel article de Christian Eggers « L’Internement sous toutes ses formes : approche d’une vue d’ensemble du système d’internement dans la zone de Vichy« , en 1995…


De même que l’excellent article de Lilian Pouységur, « Les Réfugiés républicains espagnols dans le sud-ouest de la France : l’exemple de la Haute-Garonne (1939-1944)« , pages 25 à 34 du très riche Les Camps du Sud-Ouest de la France _ Exclusion, internement et déportation 1939-1944, sous la direction de Monique-Lise Cohen et Eric Malo, en 1993.

Ainsi sur ce sujet des GTE de Vichy, bien des études locales demeurent-elles absolument indispensables. Ces GTE étant loin d’être à ce jour tous identifiés, reconnus, et a fortiori connus et étudiés….

Et je dois dire qu’il en va tout à fait de même des camps d’internement ; ainsi, par exemple, pour le camp du Ruchard, en Indre-et-Loirs, au sud-est de Tours : je l’ai cherché en vain dans la « somme » que constitue le riche La France des camps, l’internement 1968-1946 de Denis Peschanski (aux Éditions NRf) _ et j’en profite, au passage, pour remarquer le défaut, en nombre comme en qualité, des cartes dans les livres d’Histoire : défaut ô combien endémique en France, hélas ! il me faut bien le constater !..

En tout cas,

le chantier de cette nécessaire focalisation historique

demeure _ plus que jamais : les archives devenant plus aisément accessibles, puisque « la loi n’autorise la consultation des fonds concernant cette période qu’au terme de soixante années, sauf demande de dérogation«  ; ces « règles de communicabilité des archives » « en ayant longtemps rendu l’accès difficile à ceux-là-mêmes qui, concernés dans leur chair, étaient avides d’avoir accès à des informations vitales et douloureuses« , pour reprendre les mots de Bernard Reviriego, page 12 de son Introduction à son admirable Les Juifs en Dordogne 1939-1944 _ de l’accueil à la persécution, paru en 2003… _

ouvert, inlassablement à reprendre,

à préciser, rectifier, améliorer :

c’est une œuvre à la fois singulière et ollective…

Titus Curiosus, le 31 août 2013

Un monumental chef d’oeuvre de micro-histoire : « Persécutions et entraides dans la France occupée » de Jacques Semelin

30juin

Avec les 904 pages de Persécutions et entraides dans la France occupée _ Comment 75% des juifs en France ont échappé à la mort, paru ce mois de mars 2013 aux Éditions Seuil/Les Arènes,

Jacques Semelin nous offre un monumental chef d’œuvre de ce qu’on peut aujourd’hui nommer la micro-histoire, en l’occurence la micro-histoire de la Shoah _ cf Pour une micro-histoire de la Shoah, de Claire Zalc, Tal Brutmann, Ivan Ermakoff et Nicolas Mariot, soit le n° 52 de la revue Le Genre humain, aux Éditions du Seuil, en septembre 2012…

Et qui prend le relais de cet autre monumental chef d’œuvre que furent les deux volumes de L’Allemagne nazie et les Juifs, Les Années de persécution (1933-1939) et Les Années d’extermination (1939-1945), du très grand Saul Friedländer.

Je me souviens combien j’avais été impressionné, à sa lecture au printemps 2008, à découvrir cette admirable recension dans le détail de leur verbe, de ces extraordinaires témoignages qui (nous) demeurent _ via le papier de ces livres transmis _  des victimes alors anéanties.

Comme je me souviens, aussi, de ma réaction immédiate d’avoir demandé à l’ami Georges Bensoussan s’il pouvait faire quelque chose pour que soient réédités certains des admirables livres de témoignage, alors épuisés, de ces témoins assassinés _ ainsi par exemple, le Carnet d’un témoin : 1940-1943, de Raymond-Raoul Lambert : le tirage de 1984, épuisé, aux Éditions Fayard, n’a toujours pas été réédité ! _  ; de même afin que soient traduits en français et publiés ceux qui ne l’étaient pas encore…

Ici, Jacques Sémelin se penche sur des témoignages beaucoup plus fins _ qu’il suscite aussi de la part de ceux qui survivent encore, en ces années 2008- 2013 de l’écriture de cet immense livre… _ qui portent, pas seulement sur des actes _ héroïques, vu le danger osé assumer _ de « sauvetage« , mais sur des faits, bien plus discrets (et modestes) d' »entraide » qui ont aidé beaucoup des pourchassés à survivre : les personnes aidées s’en souviennent, elles, et pour toujours !!!..

Là-dessus, et avec la distinction opportune du concept d' »entraide » de celui de « sauvetage« ,

Jacques Semelin prolonge et approfondit, en l’affinant et complexifiant considérablement, l’analyse menée par le livre d’Asher Cohen, en 1993, Persécutions et sauvetages _ Juifs et Français sous l’Occupation et Vichy, aux Éditions du Cerf.

Au point de venir à discuter fort justement (!) les critères retenus par Yad Vashem pour établir le concept même de « Juste« …

Cf aussi le magnifique livre de Patrick Cabanel : Histoire des Justes en France, paru en février 2012 aux Éditions Armand Colin : Patrick Cabanel se fixant sur les reconnaissances officielles de ces Justes dûment établies par le comité de Yad Vashem…

 

Titus Curiosus, ce 30 juin 2013

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