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La somptueuse beauté, tendre et discrète, et qui touche, de François Couperin en ses Messes (II) : la « Messe pour les paroisses » (toujours en 1690), par Olivier Latry sur les Grandes Orgues de la Chapelle Royale de Versailles, et l’Ensemble vocal « Chant sur le Livre alterné », dirigé par Jean-Yves Haymoz…

11mai

En suite et continuité avec mon article d’avant-hier mardi 9 mai « « ,

je veux dire, ce jour 11 mai, mon égale admiration éperdue pour le second volet discographique des deux Messes de François Couperin (toutes deux de 1690) que propose l’excellent label Château de Versailles Spectacles _ dirigé par Laurent Brunner _,

cette fois le CD Château de Versailles CVS 083, consacré à la « Messe pour les Paroisses« , avec, pour le plain-chant alterné, cette fois-ci la Messe IV « Cunctipotens genitor Deus » _ choisie (et recommandée, donc) par François Couperin lui-même _,

toujours dans l’interprétation somptueuse et d’Olivier Latry, aux Grandes Orgues (de 1710) de la Chapelle Royale de Versailles, et de l’Ensemble vocal « Chant sur le Livre alterné« , sous la direction idoinement inspirée de Jean-Yves Aymoz…

Ces deux CDS constituant le n° 10 et le n° 11 de la collection « L’Âge d’or de l’Orgue français » de ce label CVS de la plus haute qualité.

Avec rappel de ces précisions extrêmement intéressantes- ci, 

rédigées de manière superbement détaillée et appropriée, pour Arques-la-Bataille en août 2018 _ pour les festivités organisés sous les aupices de l’ami Jean-Paul Combet _, par Michel Boesch,

à propos de ces deux sublimes Messes si délicates et prenantes en leur douceur, de François Couperin : 

Messes – Couperin

Messes - Couperin©Michel Boesch

Dire avec des sons ce que lisent les mots

Dans son Dictionnaire de Musique (1764), Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) affichait une double définition de l’exécution (= interprétation) musicale. La première relève de la perfection technique lorsque l’interprète « exécute correctement, sans hésiter et à la première vue, les choses les plus difficiles ». La seconde exige de sa part d’entrer « dans toutes les idées du compositeur, sentir et rendre le feu de l’expression ». Forcément réductrices, ces deux approches pourraient cependant catégoriser l’ample discographie consacrée aux Pièces d’orgues consistantes en deux Messes _ c’est là leur intitulé officiel, en 1690 _ composées par François Couperin (1668-1733) en 1690.

Une première catégorie d’enregistrements (souvent les plus anciens) privilégie le contenu purement musical et l’intelligence de l’œuvre. Si André Marchal (1894-1980), organiste né aveugle, fait figure de précurseur avec le label Erato (1959), il annonce des interprètes aussi emblématiques que Marcel Dupré (1886-1980), Michel Chapuis (1930-2017) ou André Isoir (1935-2016). Sur ces disques, la prise de parole est réservée _ exclusivement _ à l’orgue. L’instrument y intervient dans une succession de courtes séquences aux couleurs changeantes. Ce style reflète d’ailleurs les goûts d’une époque qui, comme en littérature, abandonne les longs développements de la première moitié du XVIIème siècle au profit d’œuvres brèves mais denses comme les fables de Jean de La Fontaine (1621-1695), les contes de Charles Perrault (1628-1703) ou les portraits moraux de Jean de La Bruyère (1645-1696).

En revanche, les parutions plus récentes, notamment à partir de la dernière décade du XXème siècle, ajoutent souvent _ voilà _ une dimension vocale à la musique d’orgue. Certains s’arrêtent à mi-chemin, comme Frédéric Desenclos et l’Ensemble Pierre Robert (collection Tempéraments, 2001). Ils glissent dans la suite des pièces d’orgue quelques petits Motets soutenus par des cordes. D’autres tentent l’expérience d’une reconstitution liturgique aussi proche que possible du cadre de référence de Couperin. Précédé par l’enregistrement de Marie-Claire Alain (1926-2013) et de la Compagnie Musicale Catalane (Erato, 1998), celui de Michel Bouvard et de la Schola Meridionalis (Diapason, 2015) semble considéré aujourd’hui comme l’un des plus réussis _ c’est à relever. Des plages de plain-chant et des séquences instrumentales se relayent pour tisser son programme. Ce procédé ancien est également connu sous le nom d’alternatim (dialogue) _ voilà _ : chaque partie de l’ordinaire d’une messe romaine (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei) est fragmentée en sections qui seront ensuite réparties, par alternance pair/impair, entre les voix et l’instrument. Ce dernier paraphrase alors par des sons _ voilà _ le sens des paroles que la voix aurait prononcées par le chant.

C’est précisément dans ces pas que Jean-Luc Ho et l’ensemble vocal Les Meslanges ont choisi de poser les leurs durant deux concerts donnés dans le cadre du vingtième Festival de Musique Ancienne en Normandie (21 au 25 août 2018) organisé par l’Académie Bach d’Arques-la-Bataille (Seine-Maritime). Pari d’autant plus audacieux que la musique d’orgue est réputée n’intéresser qu’un public averti, et que le plain-chant semble relégué au rang des antiquités, en compagnie de son complice, le latin d’église. Un pari risqué ? En tout état de cause, un défi remarquablement relevé à en croire les commentaires d’un public passé de surprises en découvertes. Avec cependant l’expression d’un regret. Celui de ne pas avoir été assez préparé _ ce public à ces deux concerts d’Arques _ à l’écoute d’un répertoire plutôt difficile et quelquefois énigmatique. Car, avec le plain-chant, c’est tout un pan des musiques du Grand Siècle qui sort timidement de l’ombre _ voilà _ écrasante des polyphonies d’inspiration versaillaise. Mais, pour en goûter pleinement le suc et le parfum, il est nécessaire de disposer au préalable de connaissances particulières. A nos yeux, un Festival peut être ce lieu d’initiation. D’ailleurs, l’Académie proposait, comme chaque année, quelques conférences consacrées à des répertoires atypiques inscrits au programme des concerts : sur la pratique du consort anglais, la poésie et la musique dans les œuvres de Guillaume de Machaut ou la musique de Santa Cruz de Coimbra. Alors, pourquoi ne pas livrer quelques clés pour faciliter l’entrée dans le monde mystérieux du plain chant et des modes ecclésiastiques ?

Car c’est une histoire mouvementée qui se dessine en filigrane des sons qui ont résonné ce 22 août 2018. Lorsque, dans sa Dissertation sur le chant grégorien (1683), Guillaume-Gabriel Nivers (1632-1714) analyse la position d’Aelred de Rievaulx (vers 1110- 1166 ?) sur la musique à l’église, il pose en réalité les termes majeurs d’un débat passionné qui rebondit précisément au XVIIème siècle. Ce moine « admet le son, pourvu qu’il ne soit pas préféré au sens des paroles sacrées ; et en admettant le son, il s’ensuit évidemment qu’il approuve l’Orgue (J’entends toujours pourvu qu’elle soit dans les Règles prescrites par les conciles et les Saints Pères) ». Ainsi, loin de laisser libre cours à la créativité et à l’inventivité des compositeurs et interprètes, la musique se voit solidement encadrée _ voilà _ par une double autorité : celle de la « parole sacrée » portée par le chant, et celle des « règles » s’appliquant à l’écriture musicale et à son exécution _ prescriptions tout à fait essentielles, en effet…

Même un compositeur âgé de moins de vingt-deux ans, comme François Couperin _ né le 10 novembre 1668 _, ne pouvait rien ignorer _ certes ! _ de ce faisceau de prescriptions _ et c’est bien là le terme adéquat. Juan David Barrera décrit remarquablement la « triple influence normative » à laquelle était alors soumis notre compositeur: « premièrement, la réglementation du cérémonial parisien de 1662 (conforme à l’esprit de la Réforme tridentine) qui cherche à circonscrire les prestations des organistes dans la liturgie ; deuxièmement, les préfaces des Livres d’orgue publiés à l’époque, textes explicatifs qui fixent les canons théoriques et esthétiques pratiqués ; finalement, comme résultat implicite des deux sources prescriptives précédentes, le principe de convenance _ voilà _, qui détermine la nature formelle et expressive du répertoire » (Bienséance et vraisemblance : le phénomène normatif dans la production musicale des organistes français de l’époque classique, Strathèse, Université de Strasbourg, juillet 2018).

Le Cæremoniale Parisiense ad usum omnium Ecclesiarum… aliarum urbis et Dioecesis Parisiensis (Cérémonial parisien en usage dans toutes les églises… de toutes les villes et du diocèse de Paris) se présente sous la forme d’un « code » à l’usage des maîtres de cérémonie chargés de coordonner les différents acteurs intervenant lors d’un office religieux. Observant que « chacun faisoit des cérémonies à sa mode, et introduisoit des coustumes nouvelles selon son esprit particulier », son auteur, le prêtre parisien Martin Sonnet, est chargé par l’archevêché « d’y apporter un ordre convenable » par la voie d’une uniformisation des pratiques. Le chapitre 6 de ce cérémonial traite De organista et organis (De l’organiste et de l’orgue). Les prescriptions qu’il contient sont de diverses natures. Morales dès le premier article (Organista bonis moribus praeditus/ l’organiste est doté de bonnes mœurs), elles s’insinuent jusque dans l’écriture musicale et la manière d’interpréter la partition : « on prendra garde de ne jamais toucher l’orgue de manière lascive ou impure». Elles précisent ensuite les parties de l’office durant lesquelles l’orgue est autorisé à sonner. Enfin, elles édictent les modulations que doit adopter l’organiste (« gravement », « suavement ») afin de « stimuler la dévotion des âmes du clergé et du peuple ». Seuls les moments de l’Offertoire, de l’Elévation et du Deo gratias annonçant la fin de l’office échappent quelque peu à ce cadre directif. Ils constituent alors de brefs moments de libre expression de l’organiste. En définitive, l’organiste français se trouve encadré par un système exigeant qui tranche _ et c’est intéressant à relever _ avec la liberté surveillée accordée aux organistes germaniques.

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Mais les organistes eux-mêmes s’érigent en prescripteurs de normes. Contentons-nous d’un exemple, celui du Livre d’orgue contenant cent pièces de tous les tons de l’Eglise (1662) de Guillaume-Gabriel Nivers. Dès la première page, il explique le rôle de l’orgue (« L’orgue étant institué dans l’Eglise pour l’ornement de la solennité et pour le soulagement du cœur ») et précise l’intérêt des huit tons de l’Eglise : « il est à propos de distinguer les Tons pour les voix basses, des Tons pour les voix hautes telle que sont celles des Religieuses en faveur desquelles il faut transposer ». D’ores et déjà apparaît la distinction parfaitement intégrée par Couperin _ en effet _ lorsqu’il compose ses deux Messes, l’une pour les paroisses, l’autre pour les couvents. Il donne ensuite une leçon à distance sur le toucher de l’orgue : le positionnement des doigts, l’art des tremblements, le façonnage des agréments, le mouvement des fugues ou la meilleure manière de combiner les jeux. Des enseignements qui, au fil du temps et de la parution de livres d’orgue comme ceux de Nicolas Lebègue (1631-1702) ou d’André Raison (1640-1719), finissent par acquérir une valeur de référence. Pour les organistes également, le processus de modélisation est en marche.

Mais pour être appréciée, encore fallait-il que cette musique corresponde _ aussi _ aux goûts de son temps. Certes, le cérémonial de 1662 interdisait de « produire aucun chant dont le caractère profane ou superficiel ne convienne pas à l’office ». Cependant, outre les styles associés de longue date à la musique d’église (comme le cantus firmus ou la fugue), les compositeurs se risquent néanmoins à concilier la tradition grégorienne avec l’actualité mondaine. Ainsi, dans ses Messes, Couperin acclimate des figures rythmiques propres aux danses, des passages lyriques caractéristiques de l’opéra et même des sonorités martiales échappées des fanfares de la Musique de la Grande Ecurie versaillaise. Pratique contrôlée mais non prohibée. Pourvu qu’elles obéissent aux règles de bienséance et de convenance ecclésiastiques _ voilà _, explique en substance André Raison lorsqu’il admet la transposition de rythmes de danses dans la musique d’orgue : « exceptée qu’il faut donner la cadence un peu plus lente à cause de la Sainteté du lieu ».

Un « cahier des charges » pointilleux pour Couperin et ses collègues organistes _ oui. Pourtant, malgré ce programme imposé, ils réussissent tous à faire œuvre originale _ oui. Leurs talents respectifs les distinguent, bien entendu. Un talent détecté précocement _ en effet _ pour François Couperin. Orphelin à onze ans, les marguilliers (membres du conseil de fabrique) de l’église Saint-Gervais, à Paris, tenaient tant à s’attacher ses services qu’ils réussirent à convaincre Michel-Richard de Lalande (1657-1726) d’assurer un intérim de plusieurs années jusqu’à ce que le jeune François atteigne sa majorité et puisse alors être nommé officiellement titulaire des orgues d’une église dans laquelle prêche parfois Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) et que fréquente Madame de Sévigné (1626-1696). De Lalande n’oubliera ni Saint-Gervais, ni Couperin. En effet, c’est au Surintendant de la Musique de la Chambre du Roi qu’échoit le soin de rédiger le texte du certificat qui accompagnera chaque partition commercialisée : « Je certifie avoir examiné les présentes pièces d’Orgue du sieur Couperin,… que j’ai trouvé fort belles, et dignes d’être données au public ».

Mais le talent n’est rien _ non plus _ sans l’instrument _ et chacun d’entre a sa singularité. D’ailleurs, Evrard Titon de Tillet le place au sommet de la hiérarchie des instruments : « L’Orgue doit être regardé comme le premier et le Roi de tous les instruments, puisqu’elle seule les contient tous » (Le Parnasse François, 1732). Or, l’orgue de l’église Saint-Gervais sur lequel Couperin a certainement mis ses partitions au banc d’essai, offre un large potentiel. Il dispose de quatre claviers (le Positif, le Grand Orgue, le Récit et l’Echo dont Couperin ne se servira pas) et d’un pédalier. Chacun de ces éléments est associés à des jeux (ou registres), le Grand Orgue étant le plus fourni (16 jeux) alors que le Récit n’en comporte qu’un seul, le Cornet. La science de la registration consiste à produire les sonorités voulues en combinant ces jeux. Une manière, en quelque sorte, de créer sa propre « orchestration ».

La musique de Couperin s’illustre par les effets de contraste produits par les deux claviers principaux : la puissance et la brillance du Grand Orgue et la sonorité plus sage du Positif. Quant aux parties solistes, elles sont généralement affectées au Récit tandis que le cantus firmus est interprété à la Pédale.

Cependant, aussi éclatant soit-il, l’orgue « n’intervient jamais qu’en intrus au sein d’un rituel « rempli » intégralement par le chant et les récitatifs » tient à préciser _ et c’est bien sûr à relever _  Jacques Viret (Le chant grégorien et la tradition grégorienne, 2012). Car c’est par le chant seul _ et le logos articulé en mots et phrases qu’il porte _ que se diffusent le message divin et les doctrines associées _ oui, et c’est fondamental pour son office sacré. En revanche, si le chant liturgique doit être accompagné, ce rôle est dévolu _ d’abord _ au serpent. Aujourd’hui quasiment disparu _ en effet _, voici comment le décrivait le Dictionnaire liturgique, historique et théorique du plain-chant (1864) de Joseph d’Ortigue (1802-1866) : « instrument à vent dont on se sert particulièrement dans les églises et dans la musique militaire, où il forme la basse… Gerbert dit que le serpent a été nommé ainsi à cause de sa forme ». Malgré les services rendus dans les lieux de culte dépourvus d’un orgue, sa réputation n’est pas flatteuse. Dans ce même Dictionnaire, le compositeur Adrien de La Fage (1801-1862) en donne _ au XIXe siècle, il faut le relever _ une description épouvantable : « Mon but principal en introduisant l’orgue dans le chœur, était l’abolition de cet abominable et honteux usage connu seulement en France, d’accompagner le chœur par le serpent, instrument grossier, si contraire aux voix, au goût et au bon sens ». C’est pourtant avec le serpent que Volny Hostiou a accompagné les parties vocales de nos deux concerts _ d’Arques. Avec une certaine grâce et beaucoup de virtuosité.

Ces quelques repères étant posés, nous pouvons maintenant pénétrer, en meilleure connaissance de cause, à l’intérieur de ces deux Messes. Si notre lecteur voulait approfondir l’étude technique et théologique de ces deux opus, nous l’invitons vivement à consulter la thèse de doctorat de Juan David Barrera (La musique pour l’orgue en France à l’âge classique : une représentation du sacré) soutenue le 3 mars 2017 à l’Ecole doctorale des Humanités de l’Université de Strasbourg. Par bien des aspects, elle nous a guidé dans la rédaction de notre _ bien utile _ compte rendu.

Messe à l’usage ordinaire des Paroisses pour les Fêtes solennelles

Ce titre appelle d’ores et déjà quelques préalables. Car, si l’ordinaire de la messe (ordo missae, l’ordonnancement d’une célébration de l’office divin) reste uniforme dans sa structure (toujours cinq mêmes pièces sont chantées), les mélodies doivent s’adapter aux particularités du calendrier _ oui. Ainsi, les antiphonaires (livres liturgiques rassemblant les partitions grégoriennes) et plus tard les missels consignent-ils dix-huit messes chantées différentes, classées de I à XVIII. Couperin a choisi _ pour cette Messe des Paroisses _ de mettre en musique la Messe IV Cunctipotens genitor Deus (Tout-puissant Dieu créateur), « base de toutes les messes d’orgue données dans le cadre séculier » précise Thomas Van Essen dans le texte de présentation des concerts de Dieppe et d’Arques-la-Bataille.

En outre, l’organiste devait avoir une connaissance précise du calendrier liturgique. Les fêtes y sont hiérarchisées et l’organiste est tenu « d’approprier son style et son jeu aux caractères des diverses solennités » (Joseph d’Ortigue). Ainsi, chaque degré de festivité porte un nom. Celui qu’emploie Couperin (fêtes solennelles) correspond aux fêtes doubles majeures dans le langage romain, « celles dont l’office est plus solennel et plus complet que celui des autres » expliquent les abbés Antoine Banier (1673-1741) et Jean-Baptiste Mascrier (1693-1760) dans leur Histoire Générale des cérémonies, mœurs et coutumes religieuses (1741).

Pour leur part, les chantres servent un répertoire en latin qui n’est plus guère pratiqué de nos jours : le plain-chant _ voilà. Ce terme traduit l’expression latine planus cantus, littéralement « chant qui plane », qui avance à pas égal, sans rupture ni altération. Dans son Traité théorique et pratique du plain-chant, appelé grégorien (1750), l’abbé Léonard Poisson (1695 ?-1753) le définit comme « le chant le plus grave, le plus simple, le plus naturel,… qui n’admet point cette multitude d’inventions de mélodie, et qui rejette cette variété d’harmonie, dont la plupart sont peu propres à la majesté de l’Office divin ». Le chant grégorien, né au VIème siècle _ voilà _, en constitue le socle. Mais au-delà, le plain-chant restera longtemps une musique vivante qui se renouvelle _ oui _ au gré de la refonte des bréviaires et des missels. Les plus talentueux musiciens du Grand Siècle participeront à sa rénovation _ voilà. Pour ce concert _ d’Arques-la-Bataille _, Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) livre deux pièces de sa composition.

L’Ensemble Les Meslanges a choisi d’interpréter les cinq parties d’un office extrait du Graduale Parisiense illustrissimi et reverendissimi in Christo patris D.D Francisci de Harlay…autoritate… editum (1689). Ce Graduel de Paris, conservé à la Bibliothèque Mazarine, a été publié sous l’autorité du quatrième archevêque de Paris, François Harlay de Champvallon (1625-1695). Celui-ci est à l’origine d’une réforme du plain-chant en réaction au courant conservateur prêchant le maintien d’une certaine austérité et au mouvement moderniste ouvert à l’intégration d’ornements empruntés à la musique profane contemporaine. En arrière-plan, deux partis enfiévraient le débat : les jansénistes furieusement traditionalistes et les ultramontains attachés aux rites définis par l’Eglise de Rome. Profondément gallican (favorable à l’Eglise de France) et réformateur, Monseigneur de Harlay lutte contre ces deux tendances et révise en profondeur Bréviaire (1680), Antiphonier (1681), Missel (1684) et Graduel (1689). C’est de ce dernier livre que sont extraites les séquences de plain-chant alternant avec les pièces d’orgue de Couperin.

Il est 11 heures à Dieppe. L’horloge de l’église Saint Rémy sonne les onze coups au moment même où Jean-Luc Ho fait résonner les premières mesures de cette première messe pour orgue. Une conjonction de sons délicatement complémentaires.

« On chante par neuf fois, à l’honneur des neufs Chœurs Angéliques, Kyrie eleison ; ce qui exprime les sentiments des Anges et des Prophètes au temps de l’ancienne Loy », explique Jean-Jacques Olier (1628-1657) dans son Explication des cérémonies de la grand’messe de paroisse selon l’usage romain (1687). Sur ces neuf versets, cinq sections sont interprétées à l’orgue (versets impairs), les autres étant confiés à Thomas Van Essen accompagné du seul serpent. Ces suites instrumentales sont construites en forme d’arche. Celle-ci est soutenue par deux puissants Grand Plein Jeu joués sur le Grand Orgue (1er et 5ème Kyrie). Conformément aux prescriptions du Cérémonial de Paris de 1662, un cantus firmus à la basse décline, en valeurs longues augmentées, la mélodie grégorienne de la Messe IV. La clé de voûte (3ème Kyrie) est dominée par un Récit de Cromorne au timbre doucement rauque (appelé « cruchement »). Juan David Barrera observe une simultanéité de l’emploi du Cromorne avec l’évocation de la figure du Christ. Une évocation mise en scène dans le 4ème Kyrie où le dialogue entre la Trompette au Grand Orgue et le Cromorne à la pédale pourrait évoquer le combat de Jésus (Cromorne) contre les forces du Mal (Trompette).

Le Gloria se distingue par son expressivité et concentre tout un répertoire de figures de style et de symboles. D’une façon encore plus apparente que dans la partie précédente, les notes traduisent exactement _ voilà _ le sens des mots inscrits dans le texte confié à l’orgue. Dès la première séquence en Plein Jeu, deux mondes s’unissent pour chanter de louange in excelsis Deo (à Dieu dans le ciel) : aux claviers, une écriture en imitation représente la multitude des cohortes célestes tandis que le monde terrestre murmure le cantus firmus au pédalier. La séquence suivante, celle du Benedicimus te (Nous vous bénissons), choisit la forme d’une petite fugue pour mêler deux sentiments. Le premier exprime au Cromorne la joie de la délivrance promise par le Christ ; le second s’effraye, par des chromatismes ténébreux, du prix à payer pour effacer le péché originel. Mais le passage le plus démonstratif est sans doute celui qui récite en musique le verset Domine Deus, Rex caelestis, Deus, Pater omnipotens (Seigneur Dieu, Souverain Roi du ciel, ô Dieu, Père tout-puissant). Dans ce récit associant basse et dessus, la fanfare des Clairons, Trompettes et Tierces célèbre sur le Grand Orgue le roi des cieux. Soudain, une tension s’exprime par un passage en mode mineur et la dislocation de la ligne mélodique : le pécheur craint Deus pater omnipotens, à la fois père exigeant et tout-puissant. Puis la fanfare s’impose à nouveau pour célébrer la majesté trinitaire.

Le Gloria « exprime que la pénitence des Anges n’altère point leur béatitude » explique Jean-Jacques Olier. Acquis à cette béatitude, Couperin va tenter de la faire partager par les fidèles. Pour pénétrer leur âme, il leur parle un langage familier. Déjà, le verset Glorificamus te (Nous vous glorifions) avançait au rythme d’une gigue. Maintenant, le Qui tollis peccata mundi (Vous qui effacez les péchés du monde) puise dans la tradition musicale des « sommeils » _ tel celui de l’Atys de Lully… Un Fond d’orgue joué sur une pédale de flûte somnole paisiblement tandis que le Cornet réalise son examen de conscience. Cette pièce mêle béatitude et mysticisme : d’une part, un corps au repos ; d’autre part, une âme qui s’élève au contact du divin. Une union qu’illustre également la séquence suivante (Quoniam tu solus Sanctus/ Car vous êtes le seul saint) dans un dialogue conduit par le registre Voix Humaine. Mouvements ascendants et descendants se croisent, rapprochant peu à peu les mondes célestes et terrestres. Le tout s’achevant dans la célébration d’un In Gloria Dei Patris (dans la gloire de Dieu le Père) sur les Grands Jeux. Cette séquence est divisée en trois parties comme si Couperin tenait à saluer, à tour de rôle, chacune des personnes de la Trinité par une couleur sonore singulière : la puissance du grand clavier pour le Père, la fragrance caressante du Cornet pour saluer la bienveillance du Fils et l’explosion sonore pour exalter l’Esprit _ voilà.

« On joue des Orgues pendant le Gloria in Excelsis, pour dire que l’Eglise du Ciel représentée par les mêmes orgues, et celles de la Terre sont unies dans la louange de Dieu. Au Credo les Orgues ne jouent point, parce qu’il n’y a point de Foy au Ciel, mais seulement sur la Terre » justifie Jean-Jacques Olier. Il était en effet de tradition que, s’agissant de la profession verbale de la foi chrétienne, le texte devait être récité ou chanté dans son intégralité, mais sans intervention des orgues _ voilà.

Avec l’Offertoire, l’orgue signale l’ouverture de la seconde partie de la messe : l’Eucharistie. Il commémore trois moments de l’histoire du Christ : la présentation au Temple, la Passion et la Résurrection. Aussi Couperin propose-t-il trois tableaux contrastés _ voilà _ correspondant à ces trois temps liturgiques. Le premier est habillé en majesté par le Grand Jeu, le Cromorne et le Cornet. L’allure est solennelle et les sonorités éclatantes. L’écriture musicale d’une grande densité multiplie les effets de contraste et fait varier les plans sonores en changeant régulièrement de clavier pour y prononcer de courtes phrases. Le second adopte la technique du clair-obscur. Sur un mode mineur, le Cornet ouvre la séquence par un cri puis adopte un ton plaintif, comme effrayé devant la cruauté du sacrifice. Tandis qu’une pédale de flûte sanglote au loin, des chromatismes déchirants et des altérations rageuses suggèrent un tableau violemment coloré. Avec la Résurrection vient le moment du triomphe sur le péché. Une fugue enthousiaste redonne au Cornet tout son éclat. Peu à peu, elle prend de l’assurance, associant le Grand Orgue enfiévré par un rythme pointé. Ainsi, l’Offertoire s’achève-t-il en apothéose _ voilà.

« L’Orgue, qui signifie la musique du Ciel et les louanges des Bienheureux, joue au Sanctus : Il chante par deux fois Sanctus, pour représenter que cette louange est la louange du Ciel » analyse Jean-Jacques Olier. Couperin choisit la forme d’un canon interprété sur le Plein-jeu pour figurer l’union du ciel et de la terre. Comme cela lui est prescrit, le thème du plain-chant est interprété à la basse. Ouvert sur un jeu doux, le second Sanctus distingue un chœur céleste qui exprime sa félicité dans un récitatif joyeux joué au Cornet tandis que le chœur terrestre l’accompagne à la basse par des accords tranquilles aux graves profonds.

Juan David Barrera signale que, « dans la pratique liturgique de l’Eglise gallicane, le Benedictus était considéré comme un verset indépendant du Sanctus, placé soit pendant lElévation, soit immédiatement après ». Ce 22 août, le Benedictus de Couperin faisait suite au Sanctus, afin de permettre à Thomas Van Essen de rejoindre la tribune de l’orgue. Car, pour l’occasion, le concepteur du programme avait confié à Marc-Antoine Charpentier le soin de saluer la consécration du pain et du vin par l’un de ses nombreux motets pour l’élévation : Ascendat ad te Domine (Je m’élève vers toi, Seigneur). Une délicate mélodie aux reflets changeants, aux ornements perlés et aux mots soulignés par une diction parfaite.

Autant le Benedictus apparaissait comme une longue méditation dirigée par le Cromorne, autant l’Agnus Dei reprend des allures solennelles. La première invocation répond aux prescriptions du Cérémonial de 1662 (qui exige le Plein jeu). Mais sa tonalité contredit l’analyse de Jean-Jacques Olier qui y voit un appel à la « compassion de misère et de mon état ». Le Grand Orgue ouvre la séquence en imitation puis croise les lignes mélodiques tandis que le pédalier décline le thème de la Messe IV par un cantus firmus venu des profondeurs. Le second Agnus Dei adopte une allure plus légère et chantante. Le thème est d’abord énoncé sur le Positif puis amplifié par le Grand Orgue. Il glisse ensuite d’un clavier à l’autre, créant un contraste sonore par un jeu d’alternances piano et forte.

Tout office s’achève, en France, par l’hymne national royal appelant la protection de Dieu sur le Roi. Ici, le Domine Salvum fac Regem est de la main de François de La Feillée (vers 1700-1763), un élève et disciple de Nivers. C’est ainsi, accompagné du seul serpent, que cet hymne devait résonner dans la plupart des paroisses françaises. Hymne salué par une volée de cloches annonçant l’heure de midi. Comme pour le début du concert, cette convergence sonore tout à fait involontaire produit un effet saisissant.

Le chantre ayant lancé un mélodieux Ite missa est, le Deo gratias joué à l’orgue apporte sa note finale à l’office. Point de triomphalisme ici. C’est le Petit Plein jeuqui ordonne cette dernière génuflexion. Ecrite sur un mode mineur, elle honore un Dieu puissant autant qu’un Fils sacrifié pour le bien des croyants.

Messe propre pour les Couvents de Religieux et de Religieuses

A bien des égards, les deux Messes présentent des airs de ressemblance : même principe d’alternance, mêmes références spirituelles, mêmes instruments. Pourtant, une écoute attentive signale quelques différences notables _ certes.

Certaines sont liées au contexte de leur création. D’abord, la partition intéresse un lieu fermé _ le couvent _, dédié à la prière tout au long de la journée. Il en ressort un sentiment d’intimité plus marqué _ oui !!! _ et une dimension plus modeste _ oui : ce que j’ai en effet relevé en mon article d’avant-hier 9 mai. En outre, le Cérémonial de Paris ne s’applique pas aux couvents. Ceux-ci sont régis par les Règles spécifiques _ voilà _ de leur Congrégation. Le compositeur y trouve, par conséquent, une plus grande liberté d’expression _ oui. A titre d’exemple, il ne sera pas tenu par l’obligation d’évoquer systématiquement le thème grégorien par un cantus firmus. La tonalité peut donc être plus homogène. Enfin, l’organiste choisira la registration en fonction de sa propre lecture du texte dont il interprète le sens par des sons.

D’autres marges d’initiative, contemporaines cette fois, résultent du choix des concepteurs du programme _ de ce  concert d’Arques, en cette occurrence-là. Ils associent aux Pièces d’orgues de Couperin la troisième des Trois messes en plain-chant musical pour les festes solemnelles propres aux Religieux et Religieuses qui chantent l’office divin publiées en 1687 par Paul D’Amance (vers 1650-1718), religieux de l’ordre de la Sainte Trinité et rédemption des captifs de Lisieux. Pour mémoire, « le plain-chant musical » s’inscrit dans le prolongement des Cinq Messes en plain-chant… propres pour toutes sortes de Religieux et Religieuses, de quelque ordre qu’ils soient, qui se peuvent chanter toutes les bonnes festes de l’année publiées par Henry Du Mont en 1660 _ oui. Avec Nivers, Du Mont travaille activement au renouveau du plain-chant _ oui _ en le dotant de mélodies nouvelles et plus souples (plus « musicales ») sans pour autant trahir la rigueur et la simplicité _ voilà _ de la forme traditionnelle du grégorien.

Ce dialogue de l’orgue et du plain-chant _ oui _ est serti _ pour ce concert d’Arques _ dans une suite de motets de la plume de ces rénovateurs. Pour le Credo, Jean-François Lalouette (1651-1728) les rejoint avec un extrait de la Messe italienne qu’il aurait composée pendant ou à l’issue de son séjour à Rome, en 1681. Pour leur donner vie, cinq chantres prennent place autour d’un magnifique aigle-lutrin. Faisant suite à la remarquable démonstration soliste du matin, c’est en chœur qu’ils interprètent consciencieusement ce « plain-chant (qui) étant employé pour l’Office Divin, doit être chanté avec gravité, avec décence et piété » (Léonard Poisson). Cependant, pour le Credo, ils gratifient le public de la démonstration d’une forme nouvelle qu’emprunte ce chant si particulier. Celle-ci « renverse tout ce bel ordre, parce qu’en chantant à l’unisson, les basse ne pourraient se faire entendre », constate le Traité de Léonard Poisson. Ce nouveau-venu qui rompt l’unisson, c’est le Faux-bourdon. La partition s’enrichit alors de nouvelles harmonies (à quatre voix) et s’ouvre davantage à l’improvisation et à l’ornementation. L’Ensemble Les Meslanges en donnera une illustration absolument éblouissante.

Il est 20 heures. Le serpent donne le ton, aussitôt suivi par les cinq chantres interprétant lIntroït a capella. Première pièce chantée lors d’un office, elle célèbre le saint du jour. Ici, Guillaume-Gabriel Nivers a doté d’une ligne mélodique aux accents grégoriens un texte destiné à la célébration des Vierges et Martyrs, Sainte Cécile, en l’occurrence. La belle homogénéité des voix fixe l’attention des auditeurs, impressionnés par la gravité et la souplesse du chant.

Le premier Kyrie, joué au Petit Plein Jeu, s’avance majestueusement. Il se compose assez distinctement de quatre phrases qui se rejoignent dans une parfaite harmonie : les phrases extrêmes sonnent avec majesté tandis que les phrases intermédiaires sont traversées de dissonances. Une manière subtile d’évoquer la grâce et le péché qu’elle étreint. Les autres interventions de l’orgue, en alternance avec le plain-chant, conservent la même tonalité en la nuançant. Autant le second Kyrie lance une fugue au caractère triomphal, autant le premier Christe offre au Cromorne le soin de décrire le Christ par une mélodie pénétrée de tendresse. Si Couperin n’omet pas d’invoquer la figure trinitaire dans un Trio à deux dessus (4ème Kyrie), c’est pour mieux célébrer son triomphe dans un dernier Kyrie à la registration illustrative : la victoire finale sur le péché est interprétée par la Trompette sur le Grand Orgue quand la divinité trinitaire se manifeste sur le Positif par l’union de trois jeux : le Montre, le Bourdon et le Nazard.

L’hymne joyeux du Gloria s’annonce au Grand Plein Jeu. Les trois natures du Christ sont illustrées dès cette première intervention de l’orgue : une entrée puissante matérialise sa divinité, une ligne descendante évoque son Incarnation tandis qu’une succession d’altérations préfigure sa Passion. Couperin y multipliera ces images sonores. La joie que procure la bénédiction divine est magnifiée dans un duo aux allures de gavotte dans le Duo sur les Tierces. « Une écriture dessinant des demi-cercles, cherche à figurer la perfection divine » dans la Basse de trompettes, suggère encore Juan David Barrera. Sans omettre le métissage de la gravité et de la suavité dans le confondant récit du Cromorne commentant le 5ème verset du Gloria. Le Christ y est décrit dans un mouvement de joie mêlée de vénération signifiée par un paisible Fond d’orgue. Gravité et suavité qui révèlent « les mystères cachés… par le moyen de ces choses extérieures et sensibles », assure Jean-Jacques Olier.

Mystères sacrés que célèbrent les trois temps d’un majestueux Offertoire sur les Grands jeux. Enonçant successivement de courtes phrases sur les deux claviers principaux, il marie magistralement la profondeur du Positif à l’éclat du Grand Orgue. En pleine euphorie rythmique, l’âme de l’auditeur est aspirée vers le monde céleste. Une méditation sur le mode mineur évoque les souffrances du Christ, appelant le fidèle à un court moment d’introspection sur une suite d’accords à peine secoués par quelques trilles. Le Grand Jeu s’annonce maintenant en fanfare, couvert d’un habit de triomphe : le péché est vaincu. Enfin, un dernier mouvement, noté « Lentement », invite à rendre grâce au Sauveur.

Cette dominante jubilatoire marquera d’ailleurs les dernières pièces de cette Messe. Si le premier Sanctus résonne dans un Plein Jeu grandiose, le second s’anime délicatement au chant du Cornet. Les doubles croches de l’Elévation invitent l’âme à une ascension spirituelle que le pas tranquille du premier Agnus Dei ne viendra pas contrarier. Le second, en revanche, retrouve une allure fervente que sublimera un bref Deo gratias d’une admirable luminosité.

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Lorsque l’orgue s’est tu, un long silence a suivi. Le concert est-il achevé ? Ce n’est que lorsque Jean-Luc Ho a éteint l’éclairage du buffet de l’orgue que les applaudissements fusent. Signe manifeste de la découverte d’un versant méconnu _ voilà _ de la musique du Grand Siècle. Mais expression d’une gratitude pour avoir pu en apprécier quelques reflets, le temps d’une journée dédiée à la célébration du 350ème anniversaire de la naissance d’un compositeur que la feuille hebdomadaire L’avant-coureur désignait comme « le rival du grand Marchand, l’aigle de l’orgue » (17 juin 1765). De toute évidence, le champ des connaissances musicales s’est largement élargi _ ce soir-là, à Arques _ pour bon nombre d’auditeurs : un répertoire de musique d’orgue rarement inscrit au programme des concerts ; une forme de chant grégorien qui résonnait jadis à bien plus d’oreilles que les Grands Motets versaillais ; le serpent, cet instrument largement oublié mais dont la sonorité se propageait autrefois dans la très grande majorité des lieux de culte dépourvus d’un orgue. Les ovations ont donc salué la performance des artistes, tout à fait remarquable, autant que leur contribution à l’enrichissement de la culture musicale du public.

Publié le 15 sept. 2018 par Michel Boesch

Une musique sublime, ici à nouveau.

Ce jeudi 11 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

Benjamin Alard « dans la lumière de Bach », ou l’art tout à fait humble de la très simple et pure spontanéité : un passionnant entretien d’un merveilleux interprète ouvert, intelligent et honnête…

29jan

En quelque sorte en complément à mon article enthousiaste du 21 janvier dernier «  » à propos de la réalisation enchanteresse en concert à Madrid (et à l’enregistrement live qui en a été fait en CD _ le CD Marchvivo MV 007 _),

le site ResMusica vient de publier, le 25 janvier dernier, un passionnant entretien de Cécile Glaenzer avec Benjamin Alard, très simplement intitulé « Rencontre avec Benjamin Alard : dans la lumière de Bach« , à propos, surtout, de son extraordinairement belle entreprise discographique en cours d’interprétation _ magistrale et hyper-vivante !!! _ de tout l’œuvre pour claviers _ au pluriel : clavecins, orgues, clavicordes, etc.  _ de Johann-Sebastian Bach…

Voici donc ce très bel entretien _ avec quelques farcissures miennes, en vert _ :

Rencontre avec Benjamin Alard, dans la lumière de Bach

Depuis 2019, l’organiste et claveciniste Benjamin Alard s’est lancé dans ce qui représente un véritable Graal pour beaucoup de musiciens : l’enregistrement de l’intégrale de l’œuvre pour clavier _ au pluriel, donc ! _ de Johann Sebastian Bach. Sept volumes _ chacun de plusieurs CDs ! _ d’une collection qui devrait en comprendre dix-sept sont déjà parus. La grande originalité de cette entreprise est qu’elle fait alterner les trois instruments à clavier pour lesquels Bach a écrit : l’orgue, le clavecin et le clavicorde.

ResMusica : Comment se construit un tel projet? Aviez-vous une idée de l’ensemble au départ, ou empruntez-vous des chemins de traverse ?

Benjamin Alard : Il y a d’abord eu un projet en 2010 avec le label Alpha, _ et Jean-Paul Combet _ qui a commencé avec l’enregistrement de la Clavier-Übung I et II, et qui devait être _ voilà ! _ une intégrale des œuvres pour clavier de Bach éditées à son époque. Mais ce projet n’est pas allé au-delà de ces deux premiers volumes. Après une période d’interruption, je me suis alors tourné vers un programme qui suivrait une trame chronologique autour des dates-clefs de la vie de Bach. Ce projet a peu à peu évolué, passant de quatorze volumes prévus à dix-sept volumes de trois ou quatre CD _ chacun, voilà. Ce qui a guidé mes choix, c’est à la fois la chronologie de la vie de Bach et les références _ aussi _ aux compositeurs antérieurs qui ont pu l’influencer. Il me semblait important de me laisser guider par les évènements marquants de sa biographie : perte des êtres chers, rencontres, naissances, éducation de son fils aîné … C’est ainsi que dans les premiers volumes, on entend des musiques de Buxtehude, Pachelbel, Grigny, Frescobaldi et beaucoup d’autres, pour comprendre ce qui fait le lit musical de ses jeunes années _ et c’est assurément important. Et plus il avance dans sa vie, plus il va développer un style qui lui est propre.

« Cela prend du temps de réussir à s’affirmer complétement et d’être suffisamment libre pour oser des choses »

RM : La question du choix des instruments est particulièrement passionnante _ évidemment _ pour ce répertoire. Les chemins de traverse, cela peut être la rencontre avec un instrument auquel vous n’aviez pas pensé a priori. 

BA : Oui, c’est très juste. Par exemple, je n’avais pas imaginé enregistrer le clavierorganum (instrument qui réunit un orgue et un clavecin sur le même clavier). C’est une rencontre avec cet instrument si particulier à l’occasion d’un concert à la Cité de la Musique qui m’a fait découvrir la richesse de ce mélange de timbres pour la polyphonie, puisqu’on peut à la fois tenir les sons (orgue) et les rendre très clairs (clavecin). On ne sait pas si Bach a joué ce type d’instrument, mais ça m’est apparu très intéressant. Bien sûr, c’est un risque d’emprunter des chemins aussi inhabituels, mais c’est aussi ce qui fait la force d’une rencontre avec un instrument _ oui ! Et j’ai la chance que le label Harmonia Mundi me suive dans ces expérimentations. Il y a eu aussi le clavecin à pédalier et, dans le prochain volume, le clavicorde à pédalier, une autre véritable rencontre. Je voulais surtout éviter de faire une intégrale « encyclopédique » ; ce qui m’importe est d’apporter une écoute différente, et aussi de contextualiser les œuvres _ voilà. Il faut se rappeler qu’à l’époque de Bach, l’orgue n’était pas utilisé aussi souvent, il fallait la présence d’un souffleur, c’était un luxe exceptionnel. Donc, la fréquentation des instruments domestiques _ oui ! _ comme le clavecin ou le clavicorde munis de pédalier était primordiale. Rappelons nous aussi que ces œuvres n’étaient pas faites pour être entendues en concert _ oui. Le concert, c’est comme la fréquentation d’un musée, les œuvres y sont décontextualisées.

RM : Avez-vous une totale liberté dans le choix des instruments?

BA : Oui, je me sens très libre dans cette aventure. Le dialogue avec la maison de disques est très important pour la question des instruments. Harmonia Mundi me fait confiance _ c’est bien. Par exemple, pour l’enregistrement du Clavier bien tempéré, la rencontre avec l’extraordinaire clavecin Haas, qui est un peu comme un véritable orchestre, avec des possibilités de registrations si nombreuses, cela permet une nouvelle approche des Préludes et Fugues. Je dois beaucoup à la rencontre avec les instruments, les facteurs et aussi les lieux _ oui. C’est un gros risque, parce que parfois je n’avais pas prévu d’enregistrer une pièce de cette façon, et il me faut changer des choses en fonction de l’instrument.

RM : Vous aviez déjà enregistré plusieurs disques consacrés à JS Bach il y a plus de dix ans, en particulier les sonates en trio et la Clavier-Übung dont on a parlé. Avez-vous évolué dans votre approche ?

BA : Oui, bien sûr. En ce qui concerne les sonates en trio que j’avais enregistrées à l’orgue, je les ai jouées ici sur le clavecin à pédalier ou le clavicorde à pédalier, ça donne forcément autre chose. En ce qui concerne les registrations à l’orgue, on ne sait pas vraiment comment on registrait à l’époque _ voilà. Tout est basé sur le « bon goût » et le choix de l’interprète. Pour les Partitas et le Concerto italien, j’avais enregistré un clavecin d’Anthony Sidey dont je n’avais pas utilisé toutes les possibilités à l’époque, en particulier un jeu de nasal dont je n’avais pas osé me servir. Cela prend du temps _ certes ! _ de réussir à s’affirmer complétement et d’être suffisamment libre pour oser des choses _ et pareille simplicité de franchise fait très plaisir à constater... Je pense qu’avec ce projet j’avance dans les découvertes, je mûris _ bien sûr ! Et c’est très bien !


RM : On vous imagine volontiers comme un musicien nomade, allant à la découverte d’instruments rares. Comment cette familiarité avec Bach oriente-t-elle le choix de vos programmes de concerts?

BA : Souvent, on me demande de ne faire que ça. J’essaie toujours d’associer Bach à autre chose _ bravo ! _, de susciter des rapprochements. Bach fascine, mais il peut être complexe à écouter pour le public, et il peut être intéressant de faire entendre autre chose avant pour aider l’écoute _ oui _ et permettre de contextualiser _ voilà, voilà ! _ les œuvres de Bach et les rendre plus faciles à entendre. A ce propos, je voudrais évoquer la question de l’enregistrement. Aujourd’hui, beaucoup de concerts sont enregistrés, soit pour être archivés, soit pour se retrouver en ligne. C’est parfois difficile d’accepter ça. Il y a deux ans _ le 1er février 2020, à Madrid _, j’ai joué en concert un programme consacré à la famille Couperin, concert enregistré ; on m’a demandé par la suite d’éditer un disque avec cet enregistrement et, après l’avoir réécouté, j’ai accepté _ merci ! et l’enregistrement est mafnifique _ et ce disque va sortir prochainement _ il est sorti ; cf mon article du 21 janvier, cité plus haut. Le rapport à l’enregistrement a énormément changé aujourd’hui où tout le monde peut s’enregistrer facilement. Qu’on soit d’accord ou non, il y a un changement qui est maintenant bien établi. Ce projet m’a permis de complètement changer mon rapport à l’enregistrement.

« Ce n’est pas un problème de laisser certaines imperfections, c’est la vie, ça laisse une plus grande sincérité musicale »

RM : De quelle façon?

BA : Avant, à l’époque de mes premiers disques, il y avait le directeur artistique qui avait une empreinte forte sur l’enregistrement. Pour un disque, on disposait en gros d’une semaine d’enregistrement, c’était très confortable, il suffisait de faire confiance au directeur artistique. Peu à peu, pour des raisons principalement économiques _ de plus en plus pesantes et pressantes _, le directeur artistique et l’ingénieur du son sont devenus une seule et même personne, et la démarche est devenue plus analytique : on faisait une première prise, on écoutait, on discutait, on recommençait, on détaillait beaucoup. Aujourd’hui, lorsque je réentends mes disques d’il y a dix ans, comme la Clavier-Übung, je leur trouve ce côté analytique, moins spontané. J’ai laissé reposer tout ça, je n’ai plus enregistré que des disques en live _ voilà. Et quand il a été question de reprendre le projet d’intégrale, les conditions avaient beaucoup changé, je me suis retrouvé avec une semaine d’enregistrement pour trois ou quatre disques ! On a dû travailler vite, et j’ai expérimenté de nouvelles méthodes, comme d’enregistrer avec un casque sur les oreilles, ce qui m’a permis de me diviser en deux, d’avoir une oreille extérieure en même temps que le musicien s’exprime. On gagne beaucoup de temps. Cette manière de m’approprier ainsi le travail d’enregistrement _ voilà _, en parfait accord avec Alban Moraud (le preneur de son), permet de bien avancer. Cela demande un travail préparatoire colossal, mais on enregistre six disques en deux semaines _ mazette ! Et le résultat qui en ressort est plus vivant, plus spontané _ c’est très bien ! _, moins aseptisé. On corrige moins de détails, et l’ensemble gagne en patine. Plus on corrige, plus on risque de déstabiliser l’ensemble. Ce n’est pas un problème de laisser certaines imperfections, c’est la vie _ exactement ! _, ça laisse une plus grande sincérité musicale _ oui. C’est comme une photographie argentique où un petit défaut donne une âme à la photo alors que le numérique, avec sa définition trop parfaite, risque d’enlaidir parce qu’on découvre ce que l’œil ne voit pas _ excellente comparaison.

RM : Le dernier volume paru remet les chorals de l’Orgelbüchlein en situation : des préludes de choral qui introduisent la version chantée des textes luthériens. Comment avez-vous conçu ce programme original ?

BA: Ce travail a été initié avec Marine Fribourg il y a quelques années à Arques-la-Bataille, avec les chorals du Catéchisme. Pour l’Orgelbüchlein, il s’agit pour le compositeur de montrer ce qu’on peut faire à partir d’un choral, mais ça reste des préludes de chorals _ voilà _ destinés _ tout simplement, et très fonctionnellement… _ à introduire le chant d’assemblée. Il me paraissait donc important de connecter _ mais oui ! _ ces chorals avec la version chantée. Le chant du choral est au cœur _ mais oui _ de la foi luthérienne. J’ai choisi d’improviser l’accompagnement pour garder la spontanéité _ excellent ! _, et d’enchaîner le prélude et sa version chantée, comme au culte _ voilà. Après une première session avec l’ensemble Bergamasque, je me suis dit qu’il était indispensable de faire aussi appel à des voix d’enfants, comme c’était le cas à l’époque, et nous avons fait ce travail avec les enfants de la maîtrise de Notre-Dame. C’est très intéressant, parce que c’est l’orgue _ voilà _ qui donne l’impulsion _ c’est-à-dire l’élan de l’enthousiasme. Il y a eu un beau travail d’Alban Moraud pour reconstituer le son d’une assemblée, et c’est très réussi.

RM : Vous êtes pratiquement à la moitié du projet. Comment imaginez-vous la suite ?

BA : Avec le même appétit musical  _bravo ! _ que depuis le début ! Et en me laissant surprendre _ mais oui : accueillir ce qui vient et survient. Par exemple, je ne m’attendais pas à ce que le clavicorde apparaisse aussi tôt dans le déroulement de l’intégrale, c’est un peu la faute des mois de confinement _ forçant à la pratique la plus intime de la musique… Pour la suite, il y aura peut-être _ qui sait ? _ des instruments inattendus, utilisés de manière inattendue. Dans les prochains volumes, il y aura un chanteur pour une cantate en italien. Et puis la première version _ Wow ! _  du cinquième concerto brandebourgeois. J’espère pouvoir associer au projet des œuvres de musique de chambre _ mais oui _ et de petites cantates _ comme cela se pratiquait quasi au quotidien dans le cercle familial des Bach... _, pour montrer l’influence _ qui en résultait _ sur la musique de clavier. Avant tout, c’est l’écoute qui me guide. Je ne veux pas tout décider à l’avance _ bravissimo !!!

Crédit photographique : © Bernard Martinez

 

Un superbe entretien

avec un musicien magnifique, merveilleux, parfaitement honnête, ainsi que très intelligent…

Déjà accompli. Et c’est loin d’être fini…

Immense merci !

Ce dimanche 29 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Parmi l’offre discographique ravélienne (plus ou moins) récente, deux CDs de réunions d’oeuvres bien spécifiques : orchestrales, par John Wilson ; et pour violon et piano, par Elsa Grether et David Lively… Ou l’éloge du medium disque…

01sept

Ce soir du jeudi 1er septembre 2022, 

faisant une petite revue d’intéressantes _ ou enthousiasmantes ! _ productions discographiques ravéliennes des huit premiers mois de 2022,

je remarque d’une part le CD « Ravel Ma mère l’Oye Boléro (Premières recordings of original ballets) » du Sinfonia of London sous la direction de John Wilson _ le CD Chandos CHSA 5280  _

et d’autre part le CD « Ravel Complete Works for violin and piano » d’Elsa Grether, violon, et David Lively, piano et direction _ le CD Aparté AP295.


Pour le premier, c’est, en effet, un article de Bertrand Balmitgere, « Les Œuvres orchestrales de Ravel chez Chandos : le choc John Wilson« , paru sur le site Crescendo le 20 février 2022,

et pour le second, un article de Jean-Charles Hoffelé, « Paradis Ravel« , paru sur le site Discophilia, ce jour même, 1er septembre 2022,

qui ont sollicité et retenu ici mon attention _ mais j’aime tant Ravel…

Les œuvres orchestrales de Ravel chez Chandos : le choc John Wilson

LE 20 FÉVRIER 2022 par Bertrand Balmitgere

Maurice Ravel(1875-1937) :

La Valse, Ma Mère l’Oye (version ballet), Alborada del Gracioso, Pavane pour une infante défunte, Valses nobles et sentimentales, Bolero (version ballet 1928).

Sinfonia of London, John Wilson. 2021.

Livret en français, anglais et allemand.

83’45.

Chandos. CHSA 5280

 

La musique peut tout entreprendre, tout oser et tout peindre pourvu qu’elle charme et reste enfin, et toujours, de la musique. Comment ne pas penser à ces mots essentiels de Maurice Ravel _ restant à interroger ce que Ravel dit bien avec son expression de « rester enfin, et toujours, de la musique«  ; et ne pas devenir autre chose de parasite… _ alors que nous allons évoquer le dernier enregistrement consacré à une partie _ seulement _ de ses œuvres orchestrales par l’excellent chef britannique John Wilson à la tête du Sinfonia of London. Ce disque est une véritable tempête musicale et bouleverse _ voilà _ notre regard sur un pan essentiel _ oui ! _ du répertoire occidental du XXe siècle.

A qui doit-on ce bonheur ? A La fidèle restitution des intentions du compositeur par la Ravel Edition, à un orchestre en fusion ou au regard neuf que nous apporte Wilson ? En tout cas la rencontre de ces trois ambitions fait des merveilles pour ne pas dire des étincelles… Pour compléter notre propos nous vous renvoyons à l’interview très éclairante donnée _ à Pierre-Jean Tribot, pour Crescendo _ par le chef il y a quelques semaines _ le 22 janvier 2022 _ au sujet de cet opus _ discographique du label Chandos.

Armé d’une légitimité musicologique grâce au travail des équipes de François Dru _ je le connais et l’apprécie (et l’ai rencontré, au moment de ses très remarquables travaux pour Jean-Paul Combet et Alpha, il y a déjà pas mal d’années : il nous a même interviewés une heure durant pour France-Musique lors de célébrations musicales à Versailles, pour le dixième anniversaire du CMBV, en 1997)… _, Wilson peut laisser aller toute sa virtuosité et son allant qui n’ont de pair que celles de sa formation. Quel tandem !

Commençons notre tour d’horizon de ce qui est sûrement le disque de l’année 2022 _ rien moins ! C’est dire le niveau de l’enthousiasme de Bertrand Balmitgere … _avec Bolero (dans la version originale et inédite ballet 1928) qui est hors norme et justifie à lui seul _ voilà ! _ l’achat de cet album _ et c’est fait désormais. On en prend plein les oreilles pendant près de quinze minutes, une véritable invitation à la danse qui ne laissera personne stoïque. On en redemande !

Le plus dur est fait !? C’est que ce l’on peut se dire après une telle réussite, mais Wilson et ses Londoniens ne s’arrêtent pas là ! La Valse est renversante (c’est le principe vous me direz mais c’est tellement rare…) ! Un tourbillon de sonorités et d’émotions entremêlées, bien servi par des cordes tout simplement hallucinantes. Nous avons rarement entendu cela ces dernières années. Il faut également encenser la prise de son _ de Ralph Couzens _ qui est superlative et participe à la totale réussite de ce projet.

Le ballet intégral Ma Mère l’Oye (dans sa version originale inédite telle que restituée par la Ravel Edition _ et c’est bien sûr à relever aussi… _), les Valses nobles et sentimentales et Alborada del gracioso ne sont pas en reste, mais c’est Pavane pour une infante défunte qui achève de nous convaincre. Le rythme lent, élégiaque, sensuel nous étreint littéralement pendant six minutes. Les hautbois chantent, la douceur des harpes, la retenue des cordes, la grâce flûtes tout est là. C’est parfois si beau la tristesse et la mélancolie _ tout particulièrement chez Ravel…

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Bertrand Balmitgère

PARADIS RAVEL

Une Sonate avec un Blues, une autre Sonate qui regarde Debussy dans les yeux, un hommage à Fauré, un éblouissant numéro de virtuosité qui n’en est pas un (Tzigane), voilà tout ce que Ravel aura destiné au violon _ voilà _, capturant dans son écriture absolument originale les possibilités de l’instrument dont il magnifie les ondoiements et les griffes de chat.

Cette poésie fugace, cette opulence des couleurs, Elsa Grether les saisit du bout de l’archet, féline _ elle-même, donc, en son jeu _, subtile, d’une élégance sans failles, ravélienne absolument _ voilà _, et chantant comme les grands archets français, de Zino Francescatti à Jeanne Gautier, de Jacques Thibaud à Michèle Auclair, y auront chanté.

Le piano de David Lively n’est pas du genre à accompagner, d’ailleurs Ravel ne le lui permet pas : à lui l’imaginaire des timbres, soit gamelan, soit cymbalum, toujours impertinent, et poète aussi, et surtout un piano qui n’est pas qu’en noir et blanc : des couleurs, des respirations, des accents, du grand soleil et des sfumatos. Magnifique !, je rêve qu’il nous grave tout le piano solo, et les Concertos tant qu’à faire, car il a la sonorité naturellement ravélienne.

Tzigane fabuleux car jamais déboutonné, Première Sonate d’une eau de rêve, Sonate majeure pleine de fantasque, petites pièces parfaites (et de l’émotion dans les Mélodies hébraïques, même étranglées de pudeur), deux ajouts inédits, le songe du Concerto en sol pudiquement (et minimalement) arrangé par Samazeuilh _ je me souviens de lui aux derniers jours de sa vie (Bordeaux, 2 juin 1877 – Paris, 4 août 1967) : Gustave Samazeuilh, grand Monsieur très digne et extrêmement cultivé, était en effet un fidèle des conférences de la Société de Philosophie de Bordeaux, auxquelles il venait assister à l’Amphi Alline de la Faculté des Lettres, Cours Pasteur à Bordeaux, quand j’y étais étudiant… _, le Foxtrot de L’Enfant transformé café-concert par Asselin, quelle belle fête au cœur de l’été _ quel enthousiasme en cet article aussi…

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)
L’Œuvre complète pour violon et piano

Concerto pour piano et orchestra en sol majeur, M. 83 (extrait : II. Adagio assai – arr. pour violon et piano : Samazeuilh)


Sonate pour violon et piano No. 2, M. 77

Pièce en forme de Habanera, M. 51 (arr. pour violon et piano : Théodore Doney)

Sonate pour violon et piano No. 1, Op. posth., M. 12

Berceuse sur le nom de Gabriel Fauré, M. 74

Five o’Clock Foxtrot (d’après “L’Enfant et les sortilèges, M. 71”)
(arr. pour violon et piano : André Asselin)


Kaddisch (arr. pour violon et piano : André Asselin)


L’Énigme éternelle (arr. pour violon et piano : Lucien Garban)


Tzigane, M. 76 (Rapsodie de concert)

Elsa Grether, violon
David Lively, direction

Un album du label Aparté AP295

Photo à la une : la violoniste Elsa Grether et le pianiste David Lively – Photo : © DRà 

Réussir à saisir et donner, au concert comme au disque, l’extrême subtilité, si discrète, de la singulière magie enveloppante de l’infini profond mystère ravélien, au-delà de son extrême précision artisanale et étonnamment lumineuse clarté,

n’est certes pas donné à tous les interprètes…

Il nous faut donc rendre infiniment grâce à ceux-ci,

et remercier aussi le disque de nous permettre d’approfondir la découverte et l’enchantement de ces musiques ainsi interprétées à chaque ré-écoute et re-découverte, oui ! _ pour peu que nous y soyions nous-mêmes assez réceptifs : cela varie aussi… _, à loisir, de ces œuvres, telles qu’eux-mêmes, les interprètes, les ont rencontrées, ressenties, et ainsi données à en partager l’écoute, lors des prises des séances d’enregistrement en studio, ou du live du concert,

grâce à la permanence un peu durable _ et renouvelable, améliorable surtout, en s’affinant… _, pour nous, mélomanes, de l’objet disque, ainsi écouté et ré-écouté…

La gratitude est grande…

L’enchantement _ miraculeux, ces rares fois-là, il faut le reconnaître, des prises de tels enregistrements (et j’en ai eu l’expérience personnelle : réussir les prises est toujours infiniment délicat et assez difficile)… _ étant à même ensuite, là, à notre écoute et ré-écoute du disque, de se renouveler et, mieux encore, enrichir, affiner, venir nous surprendre et ré-enchanter _ l’expérience-épreuve de la ré-écoute étant à la fois nécessaire, et l’indice-preuve (résistante) confirmant, ou venant infirmer, cela arrive, la qualité supérieure de l’interprétation de la musique…

Merci à de tels disques !

Ce sont eux que nous attendons et désirons avec ardeur…

Ce jeudi 1er septembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Marie Leonhardt nous a quittés le 23 juillet dernier : un échange de courriels avec l’ami Jean-Paul Combet…

28juil

À propos du bien triste événement qui nous a touchés, la mort de Marie Leonhardt, le 23 juillet dernier à Amsterdam,

cet échange-ci de courriels, ce jeudi 28 juillet 2022, avec l’ami Jean-Paul Combet _ l’éditeur (Alpha) des derniers merveilleux CDs de Gustav Leonhardt…

« Apprenant ce matin _ « Décès d’Alice Harnoncourt et de Marie Leonhardt, une page qui se tourne dans la musique ancienne«  _ le décès de Marie Leonhardt,

je me souviens de ce superbe CD, Chaconnes & Passacailles, avec l’Ensemble Mateus, que tu as publié.
 
Je me souviens aussi de sa présence au repas au restaurant La Tupina rue Porte-de-la-Monnaie à Bordeaux _ le 14 juin 2001 _,
pour conclure l’enregistrement _ du 10 au 13 juin _ du CD de Gustav Leonhardt sur le Dom Bedos de l’abbatiale Sainte-Croix _ le CD Alpha 017 _,
autre CD évidemment mémorable.
 
En dehors des mémoires personnelles qui passeront avec nous,
restent quelques beaux « Tombeaux » de divers genres,
susceptibles de durer un peu plus que nos corps…
 
J’espère que tu te portes bien, ainsi que les tiens _ peut-être es-tu grand-père ? _ ;
et que tes projets te donnent satisfaction…
 
Francis » 7h 22
« Cher Francis,
 je suis heureux de recevoir ton message. C’est une drôle d’année, les 10 ans de la mort de Gustav _ le 16 janvier 2012 _, celle de la mort de Marie. Tu sais, je suis presque soulagé pour elle, sa fin de vie ayant été assez triste : plus de mari, plus de musique, plus la belle maison du Herengracht mais une horrible chambre de maison de retraite. J’espère qu’elle avait un peu perdu la tête pour que ces pertes ne l’aient pas trop fait souffrir à la fin. Une fin longue finalement, plus de 8 ans… Son mari est mort très vite, la décision a été prise en quelques jours. Je les ai vus chez eux le 26 décembre 2011, il m’a alors annoncé qu’il serait sédaté définitivement le lundi suivant et le corps a lâché le 16 janvier. Lorsqu’il est parti de chez lui, la maison était remplie d’objets d’art, c’était un musée qu’il avait constitué au fil des années, pour lui seul finalement car ni Marie ni ses filles n’étaient concernées. Et tout a disparu en quelques heures lors de la vente chez Sotheby’s. Marie avait donc tout perdu de la mémoire de sa vie, même son violon, vendu à Sophie Gent. Bien étrange destinée, non ?
Non, je ne suis pas grand-père, aucune perspective de ce côté pour le moment.
Je me suis beaucoup amusé cette année à donner une série de 10 conférences sur les Variations Goldberg, que je travaille au clavecin depuis 2 ans. J’en suis venu à bout, avec beaucoup de difficulté au début et de moins en moins en avançant. Ce qui me semblait infaisable est juste devenu difficile. J’ai décortiqué la construction de chaque variation et abordé des thématiques plus générales, techniques ou philosophiques. Bref, j’ai beaucoup appris. C’était parfois difficile à exprimer de façon compréhensible, car le public d’aujourd’hui n’a quasiment plus de contact avec la pratique musicale. J’aimerais bien redonner ce cycle de temps en temps, mais qui a encore la patience aujourd’hui de consacrer 10 séances à une chose unique, alors qu’on attend que tout se résume à un post Facebook de 30 secondes ?
Peu de choses m’apportent de la satisfaction : le « Guerre »  de Céline, un très chouette livre intitulé « Beyond Bach », revoir « les 400 coups ». C’est déjà bien.

Si ça t’amuse, je joins le fichier du texte qui sera publié en hommage à Leonhardt dans le programme du festival d’août. Merci de ne pas le diffuser et de le garder pour toi _ c’est fait : Arques le découvrira très bientôt ; et c’est excellent !.. J’aimerais partir de ce texte pour en dire plus sur la musique ancienne et sur la musique en général, mais l’écriture me pèse tant, je n’y trouve aucun plaisir.

J’espère moi aussi que tu te portes bien.

Amitiés,

Jean-Paul » 11h 34
« Rien à retrancher à ton texte pour Arques si juste…
Oui, les «
Goldberg « sont un incontournable insurpassé !
On ne peut pas s’en lasser. Et il faut bien le « 
Quodlibet « , puis le retour de l´ « Aria « , pour accepter de quitter ces « Goldberg « …

Tes remarques sur l’avisibilité de la musique me conviennent admirablement, de même que la méfiance à l’égard de l’interprétation…

Humilité foncière nécessaire de celui qui lit et joue ce que la partition nous transmet, en attente de sonner.

Toute une éthique du jeu musical…

Pour le reste, Gustav Leonhardt était tout braise en l’intensité très exigeante de son jeu : j’ai eu la chance  de l’entendre souvent jouer ainsi en concert à Bordeaux.

Le public présent se contentant d’assister lui aussi humblement à l’avènement sonore de la splendide, musique.

À suivre…

Francis » 14h 28

« oui, plus je côtoie les Variations, plus je ressens ce qu’écrivait Jankélevitch dans L’irréversible et la Nostalgie. Insouciance de quitter le port pour parcourir le monde, voyage jalonné d’épreuves et désir de retrouver son foyer. Mais le retour à Ithaque est à la fois une joie et une tristesse, comme le retour de l’Aria initiale. Bach a visé juste dans sa connaissance de l’humain, une fois de plus…
JP » 14h 35
Ce jeudi 28 juillet 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Parution du volume 5 de « The Complete Works for Keyboard » de Johann-Sebastian Bach par Benjamin Alard…

09déc

Avant de rendre compte, ce jeudi 9 décembre 2020, de la poursuite de l’Intégrale des Pièces pour divers claviers de Johann-Sebastian Bach, par le magnifique claviériste qu’est Benjamin Alard

_ nous en sommes au volume 5 ; et les volumes 6 et 7, déjà enregistrés, paraîtront au cours de l’année 2022, chez Harmonia Mundi ; et d’autres suivront… _,

je voudrais rappeler ici les précédents articles, que sur ce blog « En cherchant bien« , j’ai consacrés déjà à ce suprbe interprète :

_ l’article du 15 septembre 2009 : 

_ l’article du 20 mai 2011 : 

_ l’article du 19 février 2012 : 

_ l’article du 30 mars 2018 : 

_ l’article du 22 avril 2018 : 

_ l’article du 19 avril 2019 : 

_ l’article du 17 juin 2019 : 

_ l’article du 13 octobre 2020 : 

Ainsi que deux articles de chaleureux remerciements à son émouvante participation à la cérémonie très marquante des obsèques du cher Jacques Merlet,

à l’orgue Dom Bedos de l’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux,

le jeudi 7 août 2009.

Voici donc des liens à ces divers articles,

permettant de parcourir,

sinon l’exhaustivité de la carrière d’interprète de Benjamin Alard,

du moins l’histoire de mon écoute de ses interprétations, auxquelles j’ai eu accès :

_ l’article du 15 septembre 2009 : 

_ l’article du 11 décembre 2015 : 

Les 5 premiers coffrets _ soient les volumes 1, 2, 3, 4 et 5 _ de cette intégrale des Pièces pour divers clavier de Johann-Sebastian Bach, comportent à ce jour 3 + 4 + 3 + 3 + 3 CDs…

Benjamin Alard Alard manifestant un très vif désir de choisir pour chacune de ces diverses pièces l’instrument _ orgue historique, claviorganum, clavecin historique (ou copie d’après un instrument historique), clavicorde _ lui paraissant, bien sûr, le plus adéquat…

Et notre écoute, ainsi renouvelée, est, pour chaque pièce, une surprise qui, bien souvent, nous laisse pantois d’admiration…

Tant, forcément pour le génie du compositeur de la pièce, Bach, comme saisi lui-même à son clavier improvisant l’œuvre,

que pour la maîtrise inventive et fidèle de son interprète ici, Benjamin Alard…

Avant de me pencher d’un peu plus près sur ce volume 5 de 3 CDs,

demain,

voici,

en quelque sorte en hors d’œuvre musical,

une éloquente vidéo de 7′ 51 de la Toccata et fugue en Ré mineur BWV 565,

sur l’Orgue Quentin Blumenrœder (de 2009) du Temple du Foyer de l’Âme, à Paris…

À suivre…

Ce jeudi 9 décembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

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