Posts Tagged ‘Joseph Roth

Pour décrypter ce que peut être « un savoir gai » : un travail d’exploration de William Marx

15jan

Pour explorer et décrypter ce que peut être, en sa spécificité et son étrangement  _ qui est ici un substantif _, l’être-au-monde _ toujours en décalage et toujours au moins en léger déport de situation et vision _ d’un homosexuel _ lambda _,

par rapport à la situation et vision majoritaire et dominante des hétérosexuels _ si tant est que généraliser ait du sens : un peu, au moins, probablement ; et aboutisse à ce qui peut, au-delà de l’expression nietzschéenne de « gai savoir« , se nommer authentiquement un « savoir » un tant soit peu efficace et utile _,

vient à point, ce mois de janvier 2018, aux Éditions de Minuit,

Un savoir gai, de William Marx,

en 33 courts et vifs et alertes _ et ardents militants de la cause… _  chapitres, classés par ordre alphabétique (Altérité, Cabinet secret, Communauté _ voilà _, Communion virile, Contingence, Couples, Désastre, Égalité Liberté, Espérance de vie, Esthétique, Étrangement, Évangile, Fascination, Faux départs, Hypersexualisation _ certes ! _, Invisibilité, Libido sciendi, Littératures, Mathématiques, Mimétisme, Modèles, Pédophilie, Permutabilité, Prostitution, Refuges, Scepticisme, Signes et symétrie, Surface/profondeur, Taille _ du pénis _, Terreur, Urgence _ oui ! _, X, Zeus),

et un Préambule _ tout à fait judicieux, et intitulé, lui, Sexe et pensée.

« La sexualité informe ton esprit : elle lui donne forme.

Elle contribue à la singularité _ voilà _ de ton point de vue sur le monde«  ;

Avec encore cette précision informative sur la perspective de ce livre, page 9 :

« Ce n’est pas tout le sexe qui sera pensé ici, ni tout le sexe qui pensera.

Plutôt la partie désir _ voilà _ de la vie sexuelle,

la façon dont elle informe _ et forme aussi, en le dé-conformant du modèle majoritaire dominant _ l’individu, et dont elle l’informe sur le monde. Sur la culture et sur la société en particulier.

La sexualité implique un rapport particulier au vrai, au beau, au bien ;

autrement dit une épistémè, une esthétique, une éthique, une politique« .

… 

Avec pour conséquence que, page 10 :

« cette différence _ celle qui « t’a fait naître ou devenir amant de ceux de ton propre sexe » et qui « te sépare du plus grand nombre« est le levier _ voilà _ par lequel tu mettras en évidence l’imbrication _ oui _ du sexuel et de l’intellectuel. Toute connaissance _ et tout « savoir« , donc _ t’arrive transformée par cette orientation différente«  ;

si bien que, « à tout prendre, tu prétends davantage expliquer _ ici même _ aux hétérosexuels l’hétérosexualité _ qui, bien trop évidente, leur demeure impensée _ par le simple jeu des différences : on ne se connaît singulier que par la comparaison.

Le monde autour de soi est tellement univoque que les hétérosexuels n’ont guère l’occasion _ quant à eux _, à moins de la chercher, de se confronter à l’altérité« .

Et, page 11 :

« pour _ enfin un peu _ savoir il fallait d’abord ignorer, être perdu, désorienté _ et s’en apercevoir, le découvrir, en prendre peu à peu ou soudain conscience.

La note fondamentale de ton expérience, c’est _ donc _ l’étrangement »…

Et qui, pour le lecteur que je suis,

vient prolonger _ mais sur un tout autre mode d’écriture : analytique et disons sociologique, ici ; assez loin d’une investigation de la singularité idiosyncrasique (et littéraire) de l’auteur ! _ ce que j’ai pu découvrir et apprendre ces six derniers mois, en parcourant de fond en comble l’œuvre autobiographique passionnant à décrypter de René de Ceccatty,

à commencer, tout particulièrement, par cet extraordinaire et sidérant récit très détaillé, publié en septembre 1980 aux Éditions de la Différence, qu’est Jardins et rues des capitales, dont les trois chapitres s’intitulent respectivement : Hugues, Jacques ; Samuel en Samantha ; et Roma-Fanfilù _ une entreprise probe et courageuse de lucidité comme il en existe bien peu. Un chef d’œuvre !!!

Voir là-dessus mon article de synthèse, le 12 décembre dernier, sur Enfance, dernier chapitre : Lire, vraiment lire, ce chef d’œuvre qu’est « Enfance , dernier chapitre », de René de Ceccatty (et au-delà : à propos de tout l’œuvre autobiographique de René de Ceccatty) ;

et écouter le podcast de notre entretien sur ce merveilleux livre, tout de singularité, ainsi que sur la traduction de la Divine Comédie de Dante. 

L’entreprise, ici, de William Marx, a en effet d’abord et surtout, me semble-t-il,  une visée défensive de ce que je nommerai la communauté homosexuelle,

et cela en un temps d’offensives virulentes d’homophobie _ par exemple de la part de la-dite « manif’ pour tous«  à l’égard de ce qui a été nommé « le mariage pour tous« 

William Marx n’aborde pas frontalement ses expériences personnelles _ car tel n’est pas l’objet de son livre _ même s’il lui arrive, à l’occasion, de le faire : quand il s’agit de prendre des exemples précis…

En son important et fort intéressant chapitre « Scepticisme » (pages 139 à 142),

qui débute par ces phrases :

« Longtemps tu n’as pas su que tu étais gai.

Du moins en as-tu douté voilà _, alors même que tu as toujours été attiré par les jeunes gens un peu plus âgés que toi. Tu voulais les imiter dans leur façon de s’habiller. Tu cherchais les occasions de voir des corps masculins nus. Leurs organes sexuels te fascinaient. Par ailleurs, tu n’éprouvais aucun de ces sentiments à l’égard des jeunes filles et des femmes, qui te laissaient indifférent.

Pour autant, tu ne croyais pas _ voilà _ que ton attirance pour les hommes et les jeunes gens fût en rien sexuelle _ mais seulement pré-sexuelle, en quelque sorte. A tes yeux _ voilà _, cette attirance montrait justement que tu n’étais pas encore entré dans le monde _ actif et pragmatique _ de la sexualité, avec ses désirs et ses besoins _ efficients _ propres«  ;

et d’ajouter même, à la page 140 :

« Il n’est pas impossible que cette conviction ait _ carrément _ freiné l’épanouissement de ta sexualité physiologique. Tu ne découvris en effet la masturbation que vers la fin de ta dix-septième année _ en 1983 _, bien que tu en connusses l’existence théorique _ livresque seulement _ justement par ce livre d’éducation sexuelle _ que ses parents lui avaient en effet offert « vers l’âge de onze ou douze ans », soit dès 1977 ou 78. Mais tu ne savais pas comment procéder _ dans la pratique effective de la chose _ malgré tes efforts (…), et puis sans doute ce besoin organique ne se manifestait-il pas avec suffisamment de force pour t’obliger à trouver la solution ; celle-ci ne t’apparut que fort tard, donc » ;

au point même d’avoir cru « que ce retard _ physiologique _ était dû à ta suractivité intellectuelle, au fait que ta vie disparaissait tout entière dans les livres que tu lisais avec boulimie, arrêtant ainsi _ rien moins ! _ ton développement physiologique. »

Et ce n’est qu' »une fois découvert _ un peu plus tard _ le plaisir sexuel » que « tu sus alors fort bien que ton désir te portait vers ceux de ton sexe, puisque c’étaient les seuls _ par contre-épreuve _ qui excitassent ta sensualité. Mais longtemps _ encore _ tu n’osas croire à la réalité et au caractère définitif _ voilà le principal point d’incertitude alors _ de ton propre désir. (…) Tu pensas longtemps _ encore, par conséquent _ que ton développement sexuel _ normal, attendu : selon les normes du manuel de sexualité qui faisait autorité ! _ ne se terminerait pas là et que tu finirais par aimer les femmes. »

en son important et trés intéressant chapitre « Scepticisme« ,

William Marx narre, en effet, alors, page 140-141, un épisode charnière de sa vie affective et sexuelle, survenu en 1988, alors qu’il avait 22 ans, et qui allait asseoir enfin la conviction de son orientation sexuelle :

« A l’âge de vingt-deux ans _ en 1988, donc _, je voulus voir ce que donnerait l’amour avec une femme : l’acte fut accompli, at par deux fois même, mais sans désir et sans plaisir particulier.

Ce fut la preuve que tu attendais : tu n’aimais et n’aimerais jamais que des hommes, et tu en pris ton parti. Tu crus enfin en ton désir _ au-delà de ce qui pouvait n’apparaître que comme un pur et simple fantasme.

Ta vision du monde en fut _ totalement _ changée. Quelques semaines plus tard _ en 1988, donc _, tu déclaras ta flamme à celui _ Erwann ? _ qui deviendrait le compagnon de ton existence _ pour un moment ? pour jamais ? l’auteur ne le précise pas _ et autour duquel tu tournais depuis de longs mois déjà.« 

Avec ces bien intéressantes déductions, à la page 141 :

« Pour toi, l’apprentissage de la sexualité gaie coïncida avec celui d’un scepticisme généralisé. 

Scepticisme à l’égard de mon propre désir, d’abord, auquel tu n’osais pas accorder ta confiance.

Scepticisme à l’égard des discours, ensuite. De tous les discours, de tous les maîtres, même les plus autorisés ou, plus exactement, surtout ceux-là, c’est-à-dire ceux qui prétendent dicter ta vie : maîtres et discours politiques, religieux, philosophiques, scientifiques, dont, même si certains peuvent t’attirer, tu te sens toujours séparé, comme par une cloison mince quoique infranchissable. A la base de tout discours sur le monde, tu perçois _ du fait de cet étrangement de cette homosexualité hors normes dominantes ? _ une illégitimité. Tu te méfies des autorités. Tu te méfies des théories, de toutes les théories.

Mais tu te méfies également de toi-même, de ce que tu peux penser _ réduit ainsi à l’incertitude foncière et sans fond et sans fin du croire : sans jamais parvenir à la légitimité d’un savoir objectivement assuré.

Tu n’es pas certain de détenir une vérité.

A chaque phrase que tu écris, tu voudrais apporter un correctif, une concession _ à la Montaigne (« tant qu’il y aura de l’encre et du papier au monde« ), à la Proust, à la Shakespeare _,

parfois même écrire la phrase inverse.

Ecrire, c’est s’engager dans une instabilité profonde : tu dois croire au moins un instant à ce que tu penses pour pouvoir l’écrire.

Or pour toi le moteur de l’écriture réside au contraire dans la méfiance _ oui : le doute actif _ à l’égard de ce qui est jeté sur le papier, dans le besoin d’ajouter _ voilà ! _ pour corriger et compléter _ les deux !! _ ; et ainsi avance _ en effet ! _ le texte _ la ligne, la phrase, la page _, parce que, tu en as le sentiment profond, aucune phrase ne dit jamais _ à elle seule _ la vérité _ même celle-ci.« 

Je veux aussi m’arrêter aux remarques du chapitre « Terreur » (aux pages 153 à 155),

rédigées à l’occasion d’un rêve, ou plutôt un cauchemar, la nuit du 29 novembre 2015 :

« la date importe« , souligne William Marx en ouverture du chapitre, page 153 _ rappelant, à la page suivante, les « terroristes du 13 novembre 2015, quinze jours plus tôt » que ce cauchemar : « les terroristes de novembre ont pris ton inconscient en otage : tu découvres qu’il y a, tapie au fond de toi, la peur d’être visé en tant que gai, parce que gai«  _ ;

en voici le détail :

« Rêve cette nuit (29 novembre 2015 _ la date importe). Dans un paquebot, avec les officiers du commandement. (…) Tu te rends compte que tout l’équipage est gai. Un sentiment de familiarité _ communautaire, William Marx y revient à d’autres reprises, notamment à propos des sentiments (à la fois rassurants et euphorisants) que suscite en lui la Gay Pride, en son chapitre « Communauté«  (pages 27 à 30) _, de connivence, de joie tendre, d’excitation t’envahit.

Mais tu n’as pas le temps de profiter de ce bonheur. Tout à coup, les lumières s’éteignent au fond de la salle, puis de plus en plus près de toi, comme si des rangées de néon étaient mises successivement hors circuit. Tu entends des cris angoissants. L’ombre s’avance vers toi.  Elle va bientôt tout recouvrir. Au dernier moment, sur le point d’être atteint par la nappe d’obscurité, tu vois dans le noir une silhouette masquée poignarder _ voilà _ chaque participant à la fête, l’un après l’autre. Elle se précipite sur le nouveau commandant et son copain, les assassine, avance vers toi et te donne un coup de couteau dans le ventre. Tu te réveilles.

Le récit de ce rêve, que tu te lis, te terrorise encore.


Tu y trouves beaucoup d’échos
_ en tant que « restes diurnes » du rêve… _ de la journée précédente, où tu avais écrit un texte comparant la Cité radieuse de Le Corbusier _ à Marseille : ville portuaire… _ à un paquebot sans commandement ni équipage ; tu y évoquais le souvenir d’un bal masqué organisé sur le toit-terrasse. La veille au soir, tu avais également aperçu au théâtre _ à Marseille, aussi ? _ le beau Tancrède avec son copain, assis juste derrière toi. Tout ce vécu du jour d’avant explique parfaitement le rêve _ jusqu’à la scène finale exclusivement.

A partir de ce moment,

le rêve a associé spontanément la vie gaie _ ainsi donc raisonne, en cet essai, William Marx ; à la différence, me semble-t-il, de René de Ceccatty, en ses récits autobiographiques ; qui sont en permanence seulement au singulier, eux ; à l’exclusion de considérations communautaristes de quelque sorte que ce soit, y compris sexuelles… _

à la menace homophobe _ très vivement ressentie par William Marx _,

aux terroristes du 13 novembre 2015, quinze jours plus tôt,

à la Troisième Intifada (celle des couteaux),

et il a tourné instantanément au cauchemar.

La perception d’un bonheur gai idéal a créé d’elle-même son négatif, cédant la place à un sentiment de terreur.

Ce songe effrayant te révèle une peur que tu croyais ignorer : sans que tu t’en rendes compte, tu as assimilé confusément l’idée d’une menace _ générale _ planant sur les gais _ pris en tant que communauté. La terreur a gagné à ton insu. Le sentiment d’insécurité triomphe alors même que tu ne te savais pas en danger. Les terroristes de novembre ont pris ton inconscient en otage : tu découvres qu’il y a, tapie au fond de toi, la peur d’être visé en tant que gai, parce que gai.

Tu te souviens d’un soir dans ton quartier _ je suppose à Paris, cette fois, et non plus à Marseille _, il y a quelques années, où tu rentrais du cinéma en compagnie d’Erwann _ le compagnon de William Marx. Il était tard, il n’y avait personne, croyiez-vous, et vous vous teniez par la main. Tout d’un coup, dans le noir, des cris, des insultes : c’était un groupe de jeunes au fond de la rue, que vous n’aviez pas vus. Vous vous êtes lâché la main, vous avez pressé le pas, vous vous êtes demandé s’ils allaient vous poursuivre. C’était en plein Paris _ voilà.

Il y a toujours pour les gais _ du moins identifiés et repérés comme tels : sortis du placard… _, dans le noir, une menace _ de mort ! _ qui rôde, invisible, prête à surgir au dernier moment, à l’instant où ils s’y attendent le moins« …

Avec ces remarques de conclusion du chapitre, page 155 :

« Au cas où vous l’oublieriez, il se trouve toujours des gens de haute moralité _ et d’extrême et totale et parfaite bonne conscience d’eux-mêmes, et d’un déchaînement de haine proprement hallucinant : les haineux sauvages bon chic bon genre de la manif pour tous ! Jamais je n’avais vu dans des regards et entendu proférer dans des cris tant de haine qu’en croisant, par hasard, leur manifestation, place Gambetta, à Bordeaux ! Cf aussi le merveilleux portrait du Tartuffe de Molière… _ pour vous rappeler que vous vivez sous un régime d’excessive _ pour la parfaite suffisance fermée de leur absolue bonne conscience ! _ tolérance : ils défilent parfois sous des bannières à la gloire de la famille dite traditionnelle.

Tu as presque hont d’écrire cela en France aujourd’hui, dans cette ville et ce pays où deux hommes ou bien deux femmes peuvent se marier devant madame ou monsieur le maire, où chacun peut vivre sa sexualité plus librement que presque partout ailleurs dans le monde. Tu l’écris comme soulagé d’avoir échappé _ provisoirement du moins ; mais le limes ressenti demeure ineffaçable : il fonctionne comme avertissentent envers la menace des haineux : ah les excellents paroissiens ! _ à la traque, avec l’espoir que le cauchemar ne reste qu’un cauchemar.

A ta grande surprise la peur t’a rattrapé« .

Un regard assurément très intéressant.

Je dois cependant encore un peu affiner, compléter, corriger à la marge mon commentaire de ce très intéressant essai de William Marx ;

notamment commenter son excellente expression de « myriade de décalages », à propos de ce qu’il nomme « l’existence gaie », aux pages 27 -28 (dans la rubrique « Communauté ») :
pour lui, « un gai » n’est pas « qu’un homme qui aime les hommes en lieu et place des femmes, et rien de plus. Comme si cette différence était du même ordre qu’une préférence alimentaire ou esthétique. (…) Comme si cela n’engageait pas une myriade de décalages _ voilà _ qui font de cette vie tout autre chose que la vie d’un amateur de polars, de jaune canari ou de poires conférence ».
 
Ainsi, élargissant son éloge du jour de la Gay Pride, dit-il aussi, et là je tique un peu : « Tu ne diras jamais assez l’importance des amis gais. Tu en as d’hétérosexuels, bien sûr, et qui savent que tu es gai. Pourtant la communion _ voilà un terme qui me gêne _ ne sera jamais aussi complète _ quel étrange idéal ! _ qu’avec des gais, quand les sous-entendus et les implicites partagés autorisent la compréhension parfaite _ tiens donc ! _, celle qui n’a pas besoin de mots _ halte là ! _ et se contente d’un rire ou d’un regard complice _ c’est commode, mais c’est aussi assez superficiel, et ce peut être lourd de mé-compréhensions : pour ma part, je me méfie beaucoup de ce qui prétend faire l’économie du dicible et faire l’éloge de l’ineffable. Toute zone d’ombre a alors disparu : vous vivez alors, le temps d’une soirée, dans une transparence nouvelle _ vraiment ? _, celle-là même dont vous avez soif _ vraiment ? cette idée ne m’agrée pas du tout : ni l’amour vrai, ni l’amitié vraie n’ont pour but la transparence ou la fusion : seulement l’entente profonde de l’autre en son altérité (aimée et respectée, et en partie, mais dans la différence de l’altérité (aimée) de l’autre, partagée) _ le reste du jour et de la semaine. Ces moments-là sont délicieux. Les amis ont beau t’être chers, ce ne sont que des amis _ ah ! bon ! _, peu nombreux, triés sur le volet _ comme si faire nombre était ce qui importait ici à l’affaire ! Non ! La Gay pride, c’est la société tout entière. Elle en donne du moins l’illusion _ ici un éclair de lucidité… (…) Ce jour-là et lui seul, tu fais corps _ tiens donc ! _ avec autrui _ quelle illusion ! _, simplement, directement, totalement, comme le font _ tiens donc ! _ sans le savoir _ qu’est ce que cela peut-il donc être ? _ les hétérosexuels. (…) La vraie joie (…) est celle d’avoir aboli le limes qui te séparait du mondeComme s’il s’agissait d’être majoritaire… Cela me rappelle l’expérience forte et inoubliable (tout, et partout, dansait !!!) des fêtes de Pampelune (au terme de ma première année d’enseignement à Bayonne, au mois de juillet 1972, avec un ami basque, décédé depuis) : un très gai luron ! Sur la fête, lire les percutants et décapants Essais de Philippe Muray.
D’autre part, cette « myriade de décalages » de la part des écrivains qui me plaisent tout spécialement, et que je trouve chez certains écrivains ouvertement homosexuels, tels un Christopher Isherwood (par exemple en Un Homme au singulier) ou un E. M. Forster (par exemple en Maurice) ;  je la trouve aussi chez certains _ mais pas tous _écrivains juifs, tel un Joseph Roth (par exemple en La Marche de Radetsky ou La Crypte des Capucins), ou un Philip Roth (par exemple en Patrimoine, ou  Ma vie d’homme) ; et chez certains écrivains noirs, tel un Percival Everett (en Blessés ou Effacement). En chacun de ces regards d’écrivains, c’est la singularité de ces « myriades de décalages » qui est proprement irremplaçable à suivre et découvrir, et passionnante à partager…

Titus Curiosus – Francis Lippa, ce lundi 15 janvier 2018

La place du « rêve ukrainien » d’un Habsbourg, dès 1912, dans l’Histoire de notre Europe : le passionnant « Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg », de Timothy Snyder : sur les modalités de la faisabilité de l’Histoire

30déc

Ce chef d’œuvre

_ monumental ! et indispensable !!!  ; sur cet admirable (et nécessaire) monument de l’histoire contemporaine, cf mon article chiffrage et inhumanité (et meurtre politique de masse) : l’indispensable et toujours urgent « Terres de sang _ l’Europe entre Hitler et Staline » de Timothy Snyder du 29 juillet 2012 _

qu’est Terres de sang _ L’Europe entre Hitler et Staline, de Timothy Snyder,

mettait _ en 2010, à sa parution aux États-Unis _ en très grand appétit de lecture

la parution, en traduction française, de tout autre travail disponible de cet auteur,

a fortiori quand il s’agit, à nouveau, au cœur de ces vastes « terres de sang » de l’Europe orientale,

de l’Ukraine…


Même s’il s’agit cette fois d’un travail de micro-histoire,

centré sur « les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg« ,

celui qui fut un temps _ en 1918 et les années qui suivirent… _ surnommé, en Ukraine, « le Prince rouge » :

Guillaume de Habsbourg-Lorraine, né à Pula (alors base navale autrichienne sur l’Adriatique, au sud-ouest de l’Istrie) le 10 février 1895, et mort à Kiev (alors soviétique) le 18 août 1948.

Et même si la première lecture je l’ai lu quatre fois _ procure un curieuse sensation de romanesque quasi échevelé,

qui se dissipe cependant ensuite : l’auteur multipliant, en brèves notes de bas-de-pages, les références aux  sources (la plupart inaccessibles en français) où sa très minutieuse recherche a puisé et sur lesquelles elle s’est fondée ; et, de fait, Guillaume a bel et bien vécu plusieurs « vies secrètes« , jouant de divers patronymes, dont, surtout et à maintes reprises, celui, ukrainien, de « Vasyl Vyshyvanyi » :

« Guillaume arriva à la gare de Lviv au début de l’après-midi du 10 septembre 1917. Sa voiture parée de fleurs était suivie d’un comité d’accueil et d’un orchestre. Il s’adressa à Sheptytsky en ukrainien et en allemand, à la grande joie des spectateurs ukrainiens et du métropolite. Sheptytsky n’avait jamais rencontré Guillaume auparavant. A présent se tenait devant lui un jeune et bel archiduc _ il a vingt-deux ans _, parlant un ukrainien correct et l’accueillant devant une foule rassemblée au nom de son souverain _ l’empereur d’Autriche Charles Ier, cousin de Guillaume. Sous l’uniforme, comme le métropolite et la foule pouvaient le voir, Guillaume portait une chemise ukrainienne brodée. « Vyshyvanyi », s’écrièrent les spectateurs, un mot ukrainien désignant ce type de broderie. Ce mot allait devenir le nom ukrainien de Guillaume. Tout d’un coup, il reçut une identité ukrainienne complète : Vasyl Vyshyvanyi« , lit-on pages 112-113.

Et selon diverses sexualités aussi :

Guilllaume fait partie des archiducs demeurés célibataires (et sans postérité), jusqu’à alimenter parfois _ cf par exemple aux pages 203 à 218 _ la chronique « scandale » des journaux ; comme en France en 1934-1935 : Le Matin (« Une Escroquerie au rétablissement des Habsbourg« , 15-12-1934), Le Populaire (« La « fiancée » de l’archiduc Guillaume de Habsbourg est en prison depuis un mois« , 15-12-1934), Le Figaro (« Les Habsbourg vont-ils rentrer en Autriche ? », 4-7-1935 ; « La Fiancée d’un prétendant au trône d’Autriche« , 28-7-1935 ; « Une Lettre de l’archiduc Guillaume de Habsbourg-Lorraine« , 13-8-1935), L’Œuvre (« L’Archiduc de Habsbourg-Lorraine est condamné par défaut à cinq ans de prison« , 28-7-1935), Le Journal (« Il fallait d’abord faire manger le prince« , 28-7-1935)…

Mais au-delà de la biographie singulière de ce Guillaume de Habsbourg-Lorraine-ci,

c’est d’une biographie familiale, en fait, qu’il s’agit,

celle d’une des branches d’archiducs _ celle des Habsbourg-Teschen _ de la famille des Habsbourg,

dont constitua la souche l’archiduc Charles-Louis d’Autriche (né à Florence, le 5 septembre 1771 _ son père, avant de succéder à son frère Joseph II sur le trône impérial, en 1790, était alors Grand-duc de Toscane _, et mort à Vienne, le 30 avril 1847), archiduc d’Autriche, duc de Teschen, grand maître de l’ordre Teutonique de 1801 à 1805,

troisième fils de Léopold II (1747-1792), d’abord grand-duc de Toscane, puis empereur du Saint-Empire en 1790 au décès de son frère l’empereur Joseph II (1741-1790), le fils aîné de l’empereur François Ier de Lorraine et de l’impératrice Marie-Thérèse _ ;

et de son épouse Marie-Louise de Bourbon (1745-1792), infante d’Espagne, et fille du roi Charles III _ Charles III, qui lui-même avant de devenir roi d’Espagne (suite au décès de son demi frère Ferdinand VI) de 1759 à sa mort en 1788, avait été, à Naples, de 1735 à 1759, roi du royaume des Deux-Siciles, créé pour lui par son père Philippe V, lors du rétablissement, en 1735, des Bourbon à Naples, aux dépens des Habsbourg : par reconquête ; l’histoire de Naples est, elle aussi, passionnante, en ses rebondissements…

Mais les Habsbourg et les Bourbon cousinaient aussi : depuis le double mariage, le 18 octobre 1615, de Louis XIII avec l’infante Anne d’Autriche, et de sa sœur la princesse Elisabeth de Bourbon avec l’infant Philippe, le futur Philippe IV, avec échange des princesses à l’île des Faisans le 9 novembre 1615 ; cf aussi le travail de l’excellente Chantal Thomas, sur un autre de ces échanges de princesses à l’Île des Faisans, en 1722, cette fois : L’Échange des princesses_ ;

 

mais aussi fils adoptif de sa tante l’archiduchesse Marie-Christine d’Autriche (1742-1798) et de son époux Albert de Saxe (1738-1822), qui n’avaient pas pu avoir d’enfant _ Albert de Saxe-Teschen est le fondateur de la très importante et très prestigieuse collection d’art de l’Albertina, à Vienne…

L’archiduc Charles-Louis d’Autriche-Teschen _ né en 1771 _ est en effet le frère de François Ier (1768-1835), empereur d’Autriche (ou François II du Saint Empire) au décès leur père Léopold , en 1792 ; et de Ferdinand III (1769-1824), grand-duc de Toscane à partir de 1790.

Charles-Louis était ainsi le troisième fis de l’empereur Léopold II, lui-même second fils, après son frère l’empereur Joseph II (1741-1790), de l’empereur François Ier de Lorraine (1708-1765) et de l’impératrice Marie-Thérèse (1717-1780), les fondateurs de la dynastie des Habsbourg-Lorraine :

l’empereur Charles VI (1685-1740) _ lui-même frère cadet de l’empereur Joseph Ier (1678-1711), qui était mort sans descendance masculine _, lui-même encore sans descendance (ni masculine, ni féminine), ayant imposé par la Pragmatique sanction, en 1713 _ Pragmatique sanction qu’il parvint à faire ratifier par ses États généraux ainsi que par le concert des puissances étrangères en 1725 _, que lui succèdent sur le trône d’Autriche en priorité ses enfants à venir, et cela quel que soit leur sexe _ en l’occurrence, Léopold (1716-1716), Marie-Thérèse (1717-1780), Marie-Anne (1718-1844), Marie-Amélie (1724-1730) _, plutôt que les filles de son frère aîné, le défunt empereur Joseph Ier (1678-1711) : Marie-Josèphe (1699-1757), qui épousa en 1719 Frédéric-Auguste, électeur de Saxe, puis roi de Pologne (1696-1763) ; et Marie-Amélie (1701-1756), qui épousa en 1722 Charles-Albert, électeur de Bavière (1697-1763).

Et le 12 février 1736, la fille ainée de Charles VI, Marie-Thérèse, épousa son promis de très longue date, François-Étienne de Lorraine _ prince élevé à Vienne, à partir de 1724, à la fin toute spéciale, en effet d’épouser la fille aînée de Charles IV… Et le frère cadet de François-Étienne, le prince Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780), présent à Vienne, lui, à partir de 1735, épousera le 7 janvier 1744 la sœur cadette de Marie-Thérèse, Marie-Anne (1718-1744), qui meurt au mois de décembre 1744 des suites de sa première couche ; de même que meurt son bébé… En 1735, afin de faciliter l’acceptation de ce mariage de Marie-Thérèse et de François, et de ses conséquences pour l’équilibre européen, la dynastie de Lorraine consent à procéder à l’échange de son duché de Lorraine, au profit de Stanislas Leszczyński (et à terme de la France : à la mort de Stanislas…), avec le grand-duché de Toscane, à la mort du dernier des Médicis, Jean-Gaston (qui allait mourir sans descendance le 9 juillet 1737) : cet échange territorial, négocié en secret dès 1735 et effectif l’été 1737, est formalisé par le traité de Vienne en 1738… L’art de la diplomatie et des mariages était une spécialité des Habsbourg…

Bien qu’épileptique _ il y avait d’assez nombreux mariages consanguins parmi les Habsbourg, de même que parmi les Bourbon ; je reviens ici à la branche des Habsbourg-Teschen… _,

l’archiduc Charles-Louis fut très admiré en tant que commandant et réformateur de l’armée autrichienne, au cours des guerres napoléoniennes.

Et grâce à une sagace décision de son père le futur empereur Léopold II,

Charles-Louis, le troisième des fils de Léopold _ alors Grand-Duc de Toscane _,

fut adopté et élevé _ d’abord à Vienne, puis, ensuite à partir de 1780, au décès de son oncle l’archiduc Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780), qui était gouverneur général des Pays-Bas autrichiens, à Bruxelles _,

par sa tante Marie Christine d’Autriche (1742-1798) _ la fille préférée de l’impératrice Marie-Thérèse _ et son mari Albert de Saxe-Teschen (1738-1822) _ le quatrième des fils du roi de Pologne et électeur de Saxe, Auguste III (1696-1763) et de son épouse Marie-Josèphe d’Autriche (1699-1757) _,

tous deux, Marie-Christine et Albert-Casimir, étant demeurés sans enfant

et étant gouverneurs des Pays-Bas de 1780 à 1793 _ à Bruxelles, ces derniers avaient succédé comme gouverneurs des Pays-Bas, au frère de François et doublement beau-frère de Marie-Thérèse, Charles-Alexandre de Lorraine, puisque celui-ci avait épousé l’archiduchesse Marie-Anne d’Autriche, la sœur cadette de l’impératrice Marie-Thérèse…

À la mort de son oncle _ et donc père adoptif _ Albert de Saxe-Teschen, en 1822,

l’archiduc Charles-Louis hérite ainsi du duché de Teschen _ ce qui demeurait à l’Autriche de la Silésie, perdue en 1748 au profit du roi Frédéric II (et de la Prusse), au terme de la guerre de succession d’Autriche ; et limitrophe de la Galicie polono-autrichienne : un élément important de la saga de cette branche des Habsbourg-Teschen ; dont les châteaux familiaux, le château-vieux et le château-neuf, se trouvent à Zywiec (en allemand Saybusch), à l’est de Teschen (en polonais Cieszyn).

En 1722, le duché de Teschen avait été donné en cadeau personnel par l’empereur Charles VI, père de Marie-Thérèse, à son cousin et proche ami le duc de Lorraine Léopold Ier (1679-1729), père de François de Lorraine ; la mère de Léopold Ier était en effet Eléonore d’Autriche (1653-1697), elle-même quatrième fille de l’empereur Ferdinand III (1608-1657), et sœur de l’empereur Léopold Ier (1640-1705).

Puis, par le mariage, le 12 février 1736, du fils aîné du duc de Lorraine Léopold Ier, François,

avec la fille de Charles VI, Marie-Thérèse,

le duché de Teschen était redevenu un domaine de la couronne autrichienne.

Ensuite, après le décès de son époux l’empereur François Ier, le 18 août 1765, l’impératrice Marie-Thérèse avait, à nouveau, remis en cadeau personnel à un proche ce duché de Teschen : à son gendre Albert de Saxe, le jour de son mariage, le 9 avril 1766, avec l’archiduchesse Marie-Christine, la fille préférée de l’impératrice.

C’est ainsi que, plus tard, ce duché silésien de Teschen fut légué, à sa mort, par l’archiduc Charles-Louis, en 1847,

à son fils aîné l’archiduc Albert de Teschen (1817-1895).


Lequel, n’ayant pas eu de descendant mâle lui survivant,

le transmet, en 1895, à son neveu (lui-même fils cadet de son frère cadet l’archiduc Charles-Ferdinand, 1818-1874) et enfant adoptif, l’archiduc Charles-Étienne de Teschen (1860-1933) :

Charles-Étienne de Teschen, que Timothy Snyder nomme plus simplement Étienne.

Et dont le frère aîné Frédéric de Teschen (1856-1936) devait hériter, lui, surtout des territoires de Hongrie de leur mère, l’archiduchesse Elisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831-1903), une personnalité importante, sur laquelle Timothy Snyder n’attarde pas ici son projecteur ; le destin de cette branche familiale (celle de Frédéric de Teschen) était donc « hongrois« , plutôt que « polonais » ! ;

et en effet le fils (unique) de Frédéric, l’archiduc Albert-François (1897-1955) sera hongrois, et proche de l’amiral Horty : après la Première Guerre mondiale, cet archiduc Albert-François, cousin de Charles-Étienne (qui choisit, lui, d’être polonais), est candidat à la couronne de Hongrie, mais l’opposition des Alliés à la restauration des Habsbourg et la division des monarchistes hongrois l’empêchent de monter sur le trône. Durant la régence de Horthy, l’archiduc Albert-François de Teschen (1897-1955) devient membre de la Chambre haute hongroise et prend la tête de différentes organisations sportives et culturelles. Partisan d’Hitler, le dernier duc de Teschen quitte la Hongrie à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et s’installe en Argentine

Fin ici de l’incise hongroise ;

et retour à la branche polonaise ; cf page 55 :

« En 1994 et 1895, alors que Marie-Thérèse _ de Habsbourg-Toscane _ était enceinte de Guillaume _ le dernier de ses six enfants _, Étienne savait que sa destinée était sur le point de rejoindre celle de la Pologne. Albert _ duc de Teschen, son oncle et père adoptif _ était mourant. À sa mort _ le 18 février 1995 _, qui suivit de huit jours la naissance de Guillaume _ le 10 février  _, Étienne _ et pas son frère aîné Frédéric, faut-il déduire… : mais Timothy Snyder n’en dit rien ! _ hérita des domaines de Galicie. Il savait qu’il était l’archiduc le mieux placé _ mieux que son frère aîné l’archiduc Frédéric, donc : promis, lui, à un destin hongrois… _ pour régler la question polonaise, qui, après la question des Balkans, était le problème national le plus urgent dans l’Europe du moment« … 

Marié tardivement, en 1815 _ il a quarante-quatre ans _, l’archiduc Charles-Louis d’Autriche-Teschen _ je reviens donc à lui _ aura, outre deux filles, cinq fils :

l’archiduc Albert de Teschen (1817-1895) _ qui demeurera sans postérité masculine _,

l’archiduc Charles-Ferdinand d’Autriche-Teschen (1818-1874) _ le père de l’archiduc Charles-Étienne (1860-1933), lui-même époux, en 1854, de l’archiduchesse Élisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831-1903), et grand-père de l’archiduc Guillaume (1895-1948), notre « Prince rouge«  _,

l’archiduc Frédéric-Ferdinand (1821-1847) _ célibataire et sans postérité _

et l’archiduc Guillaume-François d’Autriche (1827-1894) _ célibataire et sans postérité, lui aussi.

Quant à l’archiduc Charles-Ferdinand d’Autriche et duc de Teschen _ auquel son frère aîné l’archiduc Albert, sur ordre de l’archiduchesse Sophie, la mère toute-puissante de l’empereur François-Joseph Ier, fera épouser le 18 septembre 1854 la princesse Élisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831- 1903), pour éviter que celle-ci épouse l’empereur ; l’empereur François-Joseph Ier épousera Élisabeth de Wittelsbach, « Sissi« , le 24 avril 1854… _,

il aura, lui, de son épouse Elisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831-1903),

quatre enfants :

l’archiduc Frédéric d’Autriche et duc de Teschen (1856-1936),

Marie-Christine d’Autriche (1858-1929), qui épousera Alphonse XII d’Espagne (1857-1885), et qui  sera la mère du roi Alphonse XIII ;

l’archiduc Charles-Étienne d’Autriche-Teschen (1860-1933) _ personnage crucial de la saga du « Prince rouge« , Guillaume, dont l’amiral Charles-Étienne est le père ;

les frères et sœurs de Guillaume sont : Éléonore (1886-1974), Renée (1888-1935), Charles-Albert (1888-1951), Mathilde (1891-1966) et Léon-Charles (1893-1939) ; Guillaume, le futur « Prince rouge«  d’Ukraine (1895-1945) est ainsi le plus jeune des six enfants de l’archiduc Charles-Étienne de Teschen et de son épouse l’archiduchesse Marie-Thérèse de Habsbourg-Toscane (1862-1933) _ ;

et l’archiduc Eugène d’Autriche-Teschen (1863-1954) _ connu, lui, pour sa chasteté ; et qui protégera un temps, à son retour en Autriche, son neveu Guillaume, à la mi-juin 1935, à Vienne.

En ce passionnant Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg, et pages 12-13 du Prologue,

Timothy Snyder fait débuter la focalisation sur cette branche des Habsbourg-Teschen

par l’énoncé de ce qu’il nomme « l’axiome » de l’archiduc (et amiral) Étienne :

les archiducs de Habsbourg-Teschen Albert (Charles-Albert, 1888-1951) et Guillaume (1895-1948) _ c’est sur eux deux principalement que Timothy Snyder se centre au long de son enquête _

« étaient nés à la fin du XIXe siècle et avaient atteint leur majorité dans un âge d’empires.

À l’époque, leur famille _ celle des Habsbourg-Lorraine _ était toujours à la tête de la monarchie autrichienne, la plus ancienne et la plus glorieuse entre toutes.

S’étendant des monts d’Ukraine _ c’est-à-dire les Carpates de Silésie ou Beskides _, au nord, jusqu’aux eaux chaudes de l’Adriatique _ l’Istrie et toute la Dalmatie croate _, au sud,

elle embrassait une douzaine de peuples sur lesquels elle régnait sans interruption depuis six cents ans _ le fief originaire des Habsbourg se trouve dans la Suisse du nord-ouest, dans le canton d’Argovie.

Le colonel ukrainien et le colonel polonais, Guillaume et Albert _ ainsi que leur frère Léon : Léon-Charles-Marie-Cyrille-Méthode (1893-1939), qui était promis, lui, à un destin balkanique, mais qui venait de mourir de tuberculose, dans un sanatorium près de Vienne, le 28 avril 1939, peu avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale _, avaient été élevés _ par leur père Étienne _ pour préserver et agrandir l’empire familial _ des Habsbourg _ dans une ère de nationalismes  _ dès 1815 et l’Europe du congrès de Vienne, et Metternich…

Ils devaient devenir des princes polonais et ukrainiens loyaux à l’égard de la monarchie et subordonnés à l’empereur _ en l’occurrence François-Joseph Ier, empereur régnant depuis 1848 : il mourra le 21 novembre 1916. 

Ce « nationalisme monarchique » était une idée de leur père Étienne.

C’est lui qui, délaissant le cosmopolitisme traditionnel de la famille impériale

pour se faire _ spécifiquement _ polonais _ et on ne peut plus effectivement : au moment de son installation au château de Zywiec (en allemand Saybusch) en 1907, au cœur des territoires du duché de Teschen (en polonais Cieszyn), dont ses frères Frédéric et Eugène et lui avaient hérité des territoires, au décès, le 18 février 1895, de leur oncle et père adoptif l’archiduc Albert de Teschen : celui-ci, après le décès de leur père, l’archiduc Charles-Ferdinand, le 20 novembre 1874, les avait en effet adoptés… _,

avait espéré devenir régent, ou prince, de Pologne _ de même que son frère aîné Frédéric, régent, ou prince, de Hongrie.

Albert, le fis aîné _ d’Étienne _, se voulait _ et sera, jusqu’au bout, en son attachement viscéral à la Pologne _ son fidèle héritier.

Guillaume, le cadet et rebelle, choisit _ lui _ une autre nation _ c’est-à-dire la nation ukrainienne, au lieu de la nation polonaise _,

mais les deux fils _ l’autre fils, Léon-Charles-Marie-Cyrille-Méthode, promis, lui, à un destin balkanique, meurt de tuberculose en avril 1939 _ adoptèrent l’axiome de leur père :

si le nationalisme est inéluctable, la destruction des empires, elle, ne l’est pas.

Faire un État de chaque nation ne libérerait pas pour autant les minorités nationales.

Au contraire, se figurait-il, cela ferait de l’Europe un assemblage sommaire d’États faibles dépendant de plus forts qu’eux pour survivre.

Les Européens, croyait Étienne, se porteraient mieux s’ils pouvaient concilier leurs aspirations nationales avec une allégeance supérieure à un empire _ en l’occurrence la monarchie des Habsbourg.

Dans une Europe imparfaite, celle-ci offrait la meilleure scène (!) possible pour abriter (!!) les drames (!!!) nationaux _ la traduction non plus n’est hélas pas parfaite ! Mais que font les relecteurs ?

Laissons les politiques nationales s’opérer, pensait Étienne, à l’intérieur des doux confins d’un empire tolérant, doté d’une presse libre et d’un Parlement« .

Et c’est ainsi que « Guillaume devint le Habsbourg ukrainien« , énonce Timothy Snyder page 13.

« Il apprit la langue, commanda des unités ukrainiennes pendant la guerre _ de 14-18 _ et s’attacha étroitement à sa nation élue _ la nation ukrainienne, donc.

Une opportunité sembla s’offrir à lui quand la Révolution bolchévique mit à bas l’empire russe en 1917 _ Guillaume avait alors vingt-deux ans _,

ouvrant l’Ukraine à la conquête.

Envoyé par l’empereur des Habsbourg _ le nouvel empereur (depuis le 21 novembre 1916, à la mort de François-Joseph), Charles Ier d’Autriche (1887-1922) ; lequel est doublement le cousin de Guillaume : et par la mère de Guillaume,  Marie-Thérèse de Habsbourg-Toscane (1962-1933), et par le père de celui-ci, Charles-Étienne de Habsbourg-Teschen (1860-1933), tous deux descendants de l’empereur  _

dans la steppe ukrainienne en 1918,

Guillaume s’efforça _ en particulier à la Sitch _ de susciter une conscience nationale parmi la paysannerie

et d’aider les pauvres à conserver les terres qu’ils avaient prises aux riches.

Il devint une légende à travers tout le pays : le Habsbourg qui parlait l’ukrainien,

l’archiduc qui aimait le peuple,

le « Prince rouge » ».

En ce mois de novembre 2013 de sa parution en traduction française

_ hélas bien peu soignée ! cette traduction d’Olivier Salvatori : à comparer avec l’excellence de la traduction de Terres de sang _ L’Europe entre Hitler et Staline, par les soins de l’infatigable Pierre-Emmanuel Dauzat, en avril 2012 ; l’édition originale était parue, elle, le 28 octobre 2010 aux Éditions Basic Books, aux États-Unis ; certains passages du Prince rouge sont même carrément incohérents et incompréhensibles ! :

ainsi, par exemple, aux pages 115-116, à propos de « deux exigences«  des diplomates ukrainiens, en janvier et février 1918, à propos des diverses républiques ou principautés ukrainiennes qui aspiraient à la reconnaissance :

« la première (de ces exigences) était que leur État indépendant ukrainien inclût une certaine région occidentale que les Polonais (de leur côté !) considéraient comme leur. La seconde était que la monarchie des Habsbourg reconnaisse (en leur empire) une province ukrainienne séparée (…) ; et « le 9 février 1918, l’Allemagne, les Habsbourg et les diplomates ukrainiens signèrent un accord connu sous le nom de « paix du pain ». L’Allemagne et la monarchie des Habsbourg étaient d’accord pour reconnaître la république ukrainienne (prise à la Russie), et la monarchie des Habsbourg, dans un protocole secret, promettait de créer un domaine royal ukrainien constitué de la Galicie orientale et de la Bucovine » : comment s’y retrouver ?.. ;

ou page 52, à propos de deux Mathilde de Habsbourg-Teschen, non assez clairement distinguées : Mathilde, la troisième fille du neveu, Charles-Albert (et plus jeune sœur de Guillaume, donc), née en 1891, et Mathilde, la seconde fille de l’oncle, Albert de Teschen, morte brûlée vive en 1867 « alors qu’elle essayait d’allumer une cigarette à son père«  _

en ce mois de novembre 2013 de sa parution en traduction française aux Éditions Gallimard, l’original étant paru en 2008, toujours aux Éditions Basic Books,

l’actualité ukrainienne de ce travail légèrement antérieur, donc, de Timothy Snyder qu’est Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg,

accède tous les jours à nos oreilles et nos yeux. Cf par exemple l’article de Timothy Snyder paru dans l’édition du Monde du vendredi 20 décembre dernier : Pourquoi l’indépendance est en danger à Kiev.

Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg,

ce nouvel opus de Timothy Snyder à propos de l’Histoire de l’Ukraine,

aborde cette fois ce sujet

à travers une focalisation sur plusieurs membres de la famille des Habsbourg-Teschen,

et tout spécialement Guillaume-François-Joseph-Charles de Habsbourg-Lorraine, « l’archiduc rouge« ,

dit aussi « Vasyl Vychyvany » à partir de 1918 :

ce qui signifie « Basile le brodé«  Description de cette image, également commentée ci-après

né à Pula, en Istrie, le 10 février 1895, et décédé à Kiev le 18 août 1948.

Ici, il est nommé Guillaume.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais aussi

son père, Charles-Étienne de Habsbourg- Teschen, archiduc d’Autriche et prince de Teschen :

né le 5 septembre 1860 à Groß Seelowitz, ou Zidlochovice (en Moravie), amiral de la flotte, et décédé le 7 avril 1933 : personnage majeur de la saga familiale.

Ici, il est nommé Étienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi que le frère aîné de Guillaume,

Charles-Albert-Nicolas-Léon-Gratien de Habsbourg-Altenbourg

né à Pula, le 18 décembre 1888, et mort à Östervik, près de Stockholm, le 17 mars 1951.

Il est nommé ici Albert.

Ce travail-ci de Timothy Snyder à propos des péripéties _ difficiles : encore en ce passage de 2013 à 2014… _ de la réalisation-accomplissement de l’Ukraine _ pas encore pleinement advenu en ces premiers jours de 2014… _,

je le relie aussi à la question des modalités de la faisabilité de l’Histoire,

telle que la pose excellemment Christophe Bouton, dans son très remarquable Faire l’Histoire, paru cet automne, aux Éditions du Cerf ;

ouvrage que Christophe Bouton, notre collègue philosophe à l’Université Bordeaux-3, est venu présenter dans le cadre de la saison 2013-2014 de notre Société de Philosophie de Bordeaux, dans les salons Albert-Mollat, le mardi 19 novembre dernier _ cf le podcast de cette présentation.

Et cette question de l' »ukrainisation » à accomplir de l’Ukraine,

telle que, très tôt et tout au long de sa vie _ il en est mort, de mauvais traitements et de tuberculose laissé sans soins, à l’hôpital d’une prison de Kiev, le 18 août 1848 _, l’archiduc Guillaume se l’est donnée comme programme à accomplir,

se trouve au cœur de cette présentation par Timothy Snyder du « Prince rouge«  ;

cf ce passage de présentation, page 13 du Prologue :

« Guillaume devint _ à partir de 1912 et d’un séjour au cœur des Carpates, dans la montagne, à Verokhta, au sud de Stanislawow, à l’extrême sud de la Galicie _ le Habsbourg ukrainien.

Il apprit la langue, commanda des unités ukrainiennes pendant la guerre et s’attacha étroitement à sa nation élue. Une opportunité sembla s’offrir à lui quand la Révolution bolchévique mit à bas l’Empire russe en 1917, ouvrant l’Ukraine à la conquête. Envoyé par l’empereur des Habsbourg _ l’empereur Charles Ier d’Autriche, qui succéda le 21 novembre 1916 à son grand-oncle, l’empereur François-Joseph Ier _ dans la steppe ukrainienne en 1918, Guillaume s’efforça de susciter _ à partir de ses succès à la Sitch _ une conscience nationale parmi la paysannerie et d’aider les pauvres à conserver les terres prises aux riches.

Il devint une légende à travers tout le pays : le Habsbourg qui parlait l’ukrainien, l’archiduc qui aimait le peuple, le « Prince rouge » « .

Et commentant un peu plus loin (pages 14-15) en ce même Prologue

ce que Timothy Snyder qualifie de « pouvoir de définir l’individu« 

_ un pouvoir d’imagination et d’auto-création que ces Habsbourg de Teschen avaient très à cœur de se donner… _,

Timothy Snyder distingue très fortement deux regards sur les individus, les peuples et les nations de l’Histoire,

celui des nazis et des Soviétiques,

et celui des Habsbourg :

« Pour les nazis comme pour les Soviétiques,

la nation exprimait des réalités immuables _ génétiques, raciales _ situées dans le passé,

non une volonté humaine dans le présent.

Parce qu’ils exercèrent leur domination sur une si grande partie de l’Europe

et d’une façon si brutale,

cette idée de race est restée parmi nous

_ main de zombie _ idéologiquement toujours très présente _ de l’Histoire

telle qu’elle n’est _ pourtant _ pas advenue _ durablement : le IIIe Reich nazi tout comme l’Union soviétique ont disparu !

Ces Habsbourg _ les archiducs Étienne (1860-1933), Albert (1888-1951), Guillaume (1895-1948) _ avaient une notion plus vivante de l’Histoire. (…)

Ils concevaient le temps comme une éternelle _ ou plutôt permanente… _ possibilité _ c’est mal traduit !, mais l’invocation de la dimension d’éternité au sein même de l’agir parmi le jeu (toujours mouvant) des possibles est, elle, une idée (spinoziste…) très forte et très juste de Timothy Snyder ; même si son traducteur échoue ici à la rendre en un français qui soit intelligible ! _,

et la vie comme une suite de moments emplis de halos de gloire naissants,

telle une goutte de rosée attendant _ telle la survenue de l’espiègle (et terrible) petit dieu Kairos _ la caresse du soleil pour déployer son spectre de couleurs. »

Et pages 15-16, Timothy Snyder poursuit :

« Est-il important _ = grave… Cela dépend de l’échelle sur laquelle on se situe ! Et l’échelle des peuples diffère certes de l’échelle des individus et personnes… _ que la goutte de rosée finisse sous la semelle noire d’une botte ?

Ces Habsbourg _ Albert, le polonais, Guillaume, l’ukrainien _ perdirent leurs guerres _ celles de Pologne, pour Albert, celles d’Ukraine, pour Guillaume, et cela en 14-18 comme en 39-45 _,

et échouèrent à libérer leurs nations de leur vivant ;

ils furent, comme ces mêmes nations qu’ils s’étaient choisies, vaincus par les nazis et les bolcheviks _ en 1945.

Mais les régimes totalitaires qui les avaient jugés et condamnés

passèrent eux aussi.

Les horreurs des systèmes nazi et communiste empêchent _ aujourd’hui _ de considérer l’Histoire du XXe siècle comme une marche en avant vers un plus grand bien _ = un progrès.

Pour une raison similaire,

il est difficile de voir dans la chute des Habsbourg en 1918

le prélude d’une ère de libération _ le regard de Timothy Snyder rejoint ici celui de Joseph Roth : cf La Marche de Radetzky et La Crypte des Capucins

Comment dès lors parler de l’Histoire contemporaine de l’Europe ?

Peut-être ces Habsbourg,

avec leur lassitude _ le contresens du traducteur est ici absolu ! quand il s’agit d’une inlassable volonté, au contraire… _ de l’éternité

et leur vision optimiste de la couleur du temps,

ont-ils quelque chose à nous offrir« .

Car « chaque instant du passé (…) contient aussi _ parmi ses diverses graines de virtualités _ ce qui semblait impossible

et s’est avéré _ cependant, puisque bel et bien advenu ! _ possible,

comme un État ukrainien unifié,

ou une Pologne libre dans une Europe unie.

Et si c’est vrai de ces  instants du passé,

ça l’est aussi du moment présent«  _ à l’aune de ce qu’il y a, pour nous tous, à construire…

Ainsi « l’idée _ forte d’un Étienne de Habsbourg _ que le patriotisme peut se concilier avec une loyauté européenne supérieure

semble _ dorénavant _ étrangement visionnaire« ,

s’autorise à affirmer Timothy Snyder, page 16

en conclusion de l’ouverture à son livre qu’est ce Prologue.

Et là l’intuition de Timothy Snyder qui commande tout l’élan de ce livre

rejoint l’idée-force de la faisabilité de l’Histoire

et de la validité persistante de l’idée-idéal de démocratie

_ et cela, quelles que soient les scories et difficultés de ses successives réalisations jusqu’ici _,

telles que les défend l’ami Christophe Bouton dans son passionnant Faire l’Histoire...

Et quelles que soient les difficultés de la réalisation de l’idée-idéal de démocratie

dans la construction brinquebalante des institutions européennes de l’Union européenne,

en lesquelles Timothy Snyder propose, semble-t-il, de voir une sorte d’application

transposée aujourd’hui

de l’idéal pragmatique et doux de « création » de ses Habsbourg

_ cf page 57 : « les archiducs de Habsbourg devraient se recréer eux-mêmes, à l’avance, en tant que dirigeants nationaux.

Avec Étienne montrant la voie,

les princes pourraient échanger leur rôle traditionnel de commandement militaire

pour une dignité nouvelle : la création de peuples« 

Ce qui est aussi _ page 64 _ rien moins que

« faire l’expérience de la liberté« …

Même si,

au final de l’existence de Guillaume, « au début des années cinquante« ,

« la Galicie multinationale, création des Habsbourg, n’avait pu survivre à Hitler et Staline.

En 1948, l’Europe habsbourgeoise,

faite de loyautés multiples et de nationalités ambiguës

semblait avoir vécue », pages 280-281.

Et page 292 :

« Avec Guillaume, un certain rêve ukrainien semblait _ à nouveau ce mot sous la plume de Timothy Snyder _ avoir péri.

Guillaume lui-même n’était qu’une victime parmi les dizaines de milliers d’hommes et de femmes tués par les Soviétiques à la fin des années 1940 pour leur engagement, réel ou supposé, dans des mouvements indépendantistes ukrainiens.

Beaucoup d’entre eux, sinon la plupart, étaient originaires de la zone qui avait été autrefois la Galicie orientale habsbourgeoise.

Guillaume incarnait,

peut-être plus que n’importe lequel d’entre eux,

la connexion ukrainienne entre la monarchie des Habsbourg et l’Occident,

les liens entre la culture européenne et les traditions qui distinguaient l’Ukraine,

aux yeux de tant de patriotes ukrainiens,

de la Russie.

Après avoir annexé ces territoires en 1945,

Moscou les avait délibérément coupés de leur histoire habsbourgeoise.

Le génocide et les nettoyages ethniques avaient déjà irrévocablement modifié la population.

Les Allemands avaient tué la grande majorité des Juifs entre 1941 et 1944 ;

les Soviétiques avaient ensuite déporté les Polonais (et les Juifs qui avaient survécu) en Pologne. » Etc.

Quant à l’Autriche _ pages 294-295 _,

« dans la mesure du possible, la façon dont elle se représentait elle-même,

évitait la politique

et insistait sur la culture,

et, au-dessus-de tout, la musique » _ l’immense Thomas Bernhard dit-il autre chose ? Qu’on le relise !!!

Parfois, cependant, la musique à Vienne était trop molle _ et kitch…

Les chefs d’orchestre et compositeurs juifs,

au centre de la culture viennoise depuis que Gustav Mahler avait pris la direction de l’opéra de la Cour, en 1897,

avaient fui le pays dans les années 1930, ou avaient été tués au cours de l’Holocauste »

_ là-dessus lire le beau travail de Jacques Le Rider, Les Juifs viennois à la Belle-Époque_

Et _ page 295 _ « l’Ukraine

était perdue pour l’Autriche

non seulement de l’autre côté du rideau de fer,

qui commençait à moins de quatre-vingt kilomètres à l’est de Vienne,

mais au-delà (? ou, bien plutôt, à l’intérieur !) des limites intellectuelles de la nouvelle identité nationale

que les Autrichiens s’étaient forgée _ encore une traduction aberrante !

Sous les Habsbourg, l’Autriche n’avait jamais été une nation ;

elle était d’une certaine manière

au-dessus des nations,

dans une identification avec la monarchie et l’empire.

Pour que l’Autriche devînt une nation,

elle devait descendre de son piédestal

et son peuple devenir comme les autres _ cela convient-il, cependant, à la France et au peuple français ?.. _ en Europe.

L’Autriche neutre _ d’après 1945 _

recherchait la sécurité,

penchant vers l’Ouest

et évitant les connexions à haut risque avec l’Est« …

Et _ page 296 _ « la guerre froide aussi connut son terme,

pas les Habsbourg.

Les femmes les plus importantes de la dynastie dans la vie de Guillaume,

sa belle-sœur Alice (1889-1985 : l’épouse de son frère Albert)

et l’impératrice Zita (1892-1989 : l’épouse de l’empereur Charles Ier),

vécurent assez longtemps pour assister au déclin de l’Union soviétique

et à l’émergence d’une nouvelle Europe« …


Jusqu’à _ page 297 _ « la fin de l’Union soviétique

et sa désintégration au profit des républiques qui la constituaient.

A la fin de 1991, l’Ukraine était un État indépendant.

Le court XXe siècle était terminé« …

Et _ pages 300-301 _ « La chute de l’Union soviétique en 1991 libéra l’Ukraine,

qui incluait la Galicie et la Bucovine,

toutes deux parties intégrantes de l’ancien domaine royal des Habsbourg« …

« Otto, le fils de Zita,

qui avait été élevé en vue d’une restauration de la monarchie dans les années 1930,

était toujours actif en politique,

soixante ans après,

en tant que membre du parti conservateur allemand de Bavière

et député au Parlement européen. (…)

En 1935, Guillaume était tombé à cause d’un scandale à Paris,

privant Otto du soutien d’un Habsbourg en Ukraine

et plongeant dans l’embarras toute la famille.

Sept décennies après cette déconvenue,

Otto parlait à nouveau de l’Ukraine.

A la fin de 2004, il déclara

que la nouvelle Europe se déciderait à Kiev et à Lviv.

Otto avait raison.

L’Ukraine était la plus grande et la plus peuplée des républiques postsoviétiques en Europe,

un pays de la taille de la France et de cinquante millions d’habitants.

A ce titre, elle faisait figure de test

pour savoir si la démocratie pouvait s’étendre à l’Europe postcommuniste. (…)

L’Ukraine, ancienne république soviétique,

n’avait guère connu d’existence indépendante _ c’est là au moins un euphémisme ! _

et devait créer de toutes pièces _ Cf le grand livre de Cornelius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société _ un appareil d’État autonome

en plus d’une démocratie et d’un marché.

Comme tous les pays qui avaient enduré le communisme depuis l’origine,

c’est-à-dire depuis la formation de l’Union soviétique,

l’Ukraine rencontrait des difficultés pour entreprendre une transformation aussi fondamentale.

L’idée de l’État comme réalité objective, par delà (?) le contrôle personnel de ses chefs,

était une chose entièrement nouvelle.

De même que d’immenses fortunes étaient réalisées dans une ère de privatisations des plus opaques,

l’État en vint à être considéré comme le protecteur des barons de l’économie, appelés oligarques.

Dans les premières années du XXIème siècle,

l’Ukraine glissait vers un autoritarisme oligarchique

qui voyait un président aux pouvoirs considérables gouverner avec un entourage fluctuant d’hommes et de femmes richissimes, qui, entre autres choses, contrôlaient les chaînes de télévision« …

Puis vint la « révolution orange« .

Page 302 : « En Russie, aux États-Unis et en Europe,

bien des gens comprenaient la « révolution orange« , comme on l’appelait,

en termes ethniques.

Les partisans de Iouchtchenko étaient décrits dans la plupart des médias

comme des Ukrainiens ethniques,

des gens dont les actes étaient en quelque sorte dictés par leur origine familiale.

Les adversaires de la démocratie étaient présentés, de manière non moins discutable, comme russes. (…)

Il n’y avait aucune raison pour que les journalistes associent ainsi ethnicité et politique.

La hâte irréfléchie _ essentiellement médiatique, journalistique, de bien pauvre connaissance historique ! _

à définir la politique est-européenne comme essentiellement raciale

était une victoire intellectuelle _ hum !.. _ des politiques nationales de Hitler et Staline

sur le legs plus doux et plus équivoque des Habsbourg »…

Alors que « la « révolution orange » en elle-même était la revanche politique des Habsbourg« .

Page 303 :

« Quand l’Union soviétique s’effondra, en décembre 1991,

l’Ukraine put se pourvoir d’une forme d’État qui lui convenait.

Les frontières de la république soviétique définissaient soudain un pays indépendant.

Lorsque le gouvernement ukrainien sombra dans la corruption,

l’idée nationale fut à nouveau disponible,

comme le gouvernement du peuple, ou démocratie _ mais que font les relecteurs ?


Pendant la « révolution orange » de 2004,

les patriotes ukrainiens prirent des risques pour défendre leur vision de l’Ukraine

dans laquelle les citoyens auraient leur mot à dire sur la gouvernance (!).

Dans les événements de 1991 et 2004,

la population de l’ancienne province habsbourgeoise de Galicie

joua un rôle disproportionné (!!!) _ au secours, les relecteurs !!! Réveillez-vous ! Vous dormez !

Bien des patriotes ukrainiens (…) défendaient la nation ukrainienne

non pour des raisons ethniques,

mais par choix politique.

Le courageux journaliste décapité _ Georgii Gongadze _ était né dans le Caucase, loin de l’Ukraine.

La ville où se déclencha la révolution ukrainienne, Kiev, parle russe.

La nation est une question d’amour plus que de langue« …

Page 304 :

« La « révolution orange » fut le combat pour la démocratie le plus important dans l’Europe du début du XXIe siècle « …

Page 306 :

« Guillaume _ qui n’avait certes pas défendu toujours des options démocratiques : dans l’espoir que Mussolini et Hitler bousculeraient les situations établies, en Ukraine soviétique, comme en Galicie devenue polonaise, Guillaume de Habsbourg avait adhéré dans l’entre-deux-guerres à ce que Timothy Snyder qualifie joliment de « fascisme aristocratique« _,

durant les années 1940,

comme des millions d’autres Européens,

avait amorcé un basculement intellectuel (!) certain vers la démocratie.

Celle-ci ne pouvait s’accomplir politiquement que sur la moitié du continent non communiste,

comme le démontrèrent _ en négatif… _ l’enlèvement de Guillaume

_ à la Südbahnhof de Vienne, le 26 août 1947 ; cf page 286 _

et sa mort en Union soviétique« 

_ « dans un hôpital de prison soviétique de Kiev »,  le 18 août 1948 ; cf page 290…

« Guillaume a été sauvé de l’oubli

par une poignée d’historiens et de monarchistes ukrainiens fervents.

Avec la fin du communisme, à la fin du XXe siècle,

et l’élargissement de l’Union européenne au début du XXIe,

les Histoires des nations européennes vont peut-être connaître une redéfinition

en termes plus cosmopolites ;

et Guillaume trouver sa place dans chacune d’entre elles.

Lui et les Habsbourg reviendront.

En fait, avec le réveil de l’Ukraine,

ils sont déjà là« …

Page 312 :

« Au début du XXIe siècle, l’Union européenne se trouve

dans ce que l’on pourrait appeler

« la position des Habsbourg » :

elle contrôle une immense zone de libre-échange,

au centre d’un paysage économique globalisé,

mais sans possessions maritimes reculées,

et dans l’incapacité de déployer une puissance militaire décisive, dans un âge de terrorisme imprévisible. (…)

L’Union européenne, comme la dynastie des Habsbourg,

est dépourvue d’identité nationale ;

et pourtant son destin est de résoudre la question nationale

au sein de ses parties constituantes

comme le long de ses frontières.

Les Habsbourg obtenaient les plus grands succès

lorsqu’ils abordaient les questions nationales

en mêlant tact, pressions économiques et promesses d’emplois bureaucratiques.

Les Européens, aux forces militaires extrêmement limitées,

n’ont pas d’autre choix que de les imiter.

En général, cela leur réussit plutôt bien« …

Page 316 :

« Même les plus libres des sociétés démocratiques

ne permettraient pas les sortes de choix que firent les Habsbourg« …


« La possibilité de se faire ou refaire une identité _ que Guillaume de Habsbourg sut saisir et se ménager et réaménager tout le long de sa vie… _

n’est pas très éloignée du cœur même de l’idée de liberté ;

elle consiste à s’affranchir de l’oppression d’autrui et à devenir soi-même.

Dans leurs meilleurs jours,

les Habsbourg jouirent d’une sorte de liberté

dont nous ne disposons plus :

celle d’une autocréation imaginative et résolue. (…)

Les Habsbourg bénéficièrent de la croyance qu’ils étaient l’État,

plutôt que les sujets de celui-ci.

Mais n’est-ce pas ce que tout individu libre espère :

prendre part à un gouvernement

plutôt que d’en être l’instrument ?« …

Le livre s’achève, page 323, sur la description aujourd’hui d’une petite place de Lviv

_ « Lviv est demeurée la plus fières des villes ukrainiennes, même sous la férule soviétique ; c’est aujourd’hui la plus patriotique de l’Ukraine indépendante«  _ :

« Dans un quartier tranquille,

une petite place porte le nom de Guillaume,

ou plutôt de Vasyl Vyshyvanyi.

Son seul ornement est une plaque de rue en noir et blanc.

En son centre, un socle gris ne supporte aucune statue.

Alentour, des balançoires et des bascules sont peintes de couleurs vives.

Vasyl Vyshyvanyi est un terrain de jeu.

Au cours d’un après-midi d’été,

des grands-mères assises sur un banc surveillent leurs petits-enfants.

Aucun d’eux ne saurait dire qui était Vasyl Vyshyvanyi.

Je leur raconte l’histoire de Guillaume« …

Pour le reste,

nous suivons le parcours européen de Guillaume,

de sa naissance à Pula, le 10 février 1895 _ où son père, amiral, dirige la flotte de l’Adriatique _,

à sa mort, à Kiev, le 18 août 1948.

En 1896, l’amiral Étienne de Habsbourg-Teschen prend sa retraite d’amiral,

et s’installe avec sa famille dans l’île de Losijn,

dans le palais Podjavori, « Sous les lauriers« …

Et c’est en 1907 que la famille s’installe dans le « Château-neuf » de Zywiec,

en Silésie polonaise habsbourgeoise…


Ensuite,

Guillaume se trouvera à Vorokhta, dans les Carpates, à l’extrême sud de la Galicie, l’été 1912 ;

puis, ayant terminé sa formation militaire à Wiener-Neustadt, le 15 mars 1915,

il gagne le front en Galicie le 12 juin 1915,

et participe à la reprise de Lviv sur les Russes, quatre jours plus tard.

Et voici quelques lieux  où se trouvera Guillaume, après Lviv :

Vienne, Lviv, Vienne, Kherson, la Sitch, Vienne, Spa, dans les plaines d’Ukraine, Odessa, Tchernivtsi, Lviv _ la Grande Guerre vient officiellement de se terminer le 11 novembre 1918 ; mais les hostilités se poursuivent à l’est jusqu’en mars 1921… _ ;

Boutchach (en Galicie sud-orientale), Bucarest, Kameniets-Podilsky (en Podolie) _ en septembre 1919 _, en Ukraine _ en novembre et décembre 1919 _, Bucarest _ de janvier à mars 1920 _ ;

Vienne _ du printemps 1920 à novembre 1922 _ ;

Madrid _ de novembre 1922 à 1926 _ ;

Enghien-les-Bains _ 1926-1931 _ ;

Paris _ d’octobre 1931 à la mi-juin 1935 _ ;

Vienne _ jusqu’au 26 août 1947 _ ;

Baden _ de septembre à décembre 1947_ ;

Lviv _ le 20 décembre 1947 _ ;

Kiev _ à partir de la fin décembre 1947, jusquà sa mort, le 18 août 1948…



Titus Curiosus, ce 30 décembre 2013

 

 

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur