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En forme de gratitude envers la grâce de l’art merveilleux d’Emmanuel Mouret

13jan

Cher Emmanuel Mouret,

 
il me paraît bien normal que les créateurs puissent, de temps en temps, recevoir quelques témoignages de « joie » et « gratitude »
de ceux qui ont reçu pareillement leurs œuvres…
 
Et c’est bien de la « joie » que procurent vos comédies on ne peut plus sérieuses quant au fond des choses aussi magnifiquement abordé
que dans « Un Baiser, s’il vous plaît ! »,
ou ce merveilleux « Mademoiselle de Joncquières » : un chef d’œuvre !..
 
À propos de celui-ci, 
je dois vous dire que j’admire tout particulièrement à la fois celles des scènes, mais aussi ceux des dialogues, qui semblent être entièrement de votre cru,
je veux dire ne reposant en tout cas pas sur le texte même de Diderot en son « Jacques le fataliste »…
Avec quelle justesse les avez-vous ainsi imaginés et inventés, ces scènes et ces dialogues : le résultat est d’une évidence et vérité magiques !
 
Et cela de façon à incarner extraordinairement lumineusement sur l’écran – et sans jamais la moindre lourdeur : tout ici virevolte ! -, ce qui n’est qu’à peine suggéré, très elliptiquement, par le texte même de Diderot.
Chapeau ! C’est admirable de justesse… 
Et Diderot, dont le récit manie habilement la vivacité malicieuse de l’ellipse (du récit de l’hôtesse, toute occupée et bousculée qu’elle est sans cesse par ses impérieux offices), n’aurait peut-être pas, voilà !, mieux fait…
 
Comment avez-vous donc procédé pour parvenir à ce résultat, avec une si formidable évidence ?
De quels textes, de quelles œuvres vous êtes-vous donc si merveilleusement inspiré ?
Il est vrai que la langue du XVIIIe français est très souvent magnifique
– et personnellement je porte au pinacle l’élégance pointue étourdissante de Marivaux…
 
Et je ne parle pas de tout le reste de vos choix : les lieux de tournage, les décors, les costumes, les musiques.
Et la magique direction des acteurs, bien sûr…
Non plus que la géniale invention de l’amie-confidente (mais non complice) de la marquise ;
ou la cruciale décision de changer ce nom de « Duquênoi » pour celui, noblissime, de « Mademoiselle de Joncquières » ; et d’en faire si justement le titre du film…
Une grâce même advient là.
 
Tout est ainsi parfait pour nous mettre immédiatement et continuement dans l’esprit de ce chef d’œuvre de Diderot qui a servi de base à cette histoire, au départ, de « saugrenu mariage »
qui vient sublimement renverser les perfides manigances vengeresses sournoises de Mme de La Pommeraye, persuadée qu’elle était d’avoir idéalement réussi son coup :
le furtif, à peine visible, mais bien perceptif mouvement de gorge que ne peut réprimer la marquise à l’ultime image du film étant le coup de grâce du puissant démenti que celle-ci se reçoit…
 
Ou ce qui, dans le jeu d’échecs des volontés et des déterminismes, vient malicieusement déjouer les plus machiavéliques calculs…
 
Voilà ce que je me demande, très admirativement, cher auteur
 
Et encore bravo pour cet extraordinaire travail de préparation et de réalisation.
 
 
Je n’ai pas encore eu accès au DVD de votre « Une autre vie » ;
et je m’apprête à regarder, non sans impatience, celui de « Chronique d’une liaison passagère », accessible à partir du 24 janvier prochain.
 
Mais j’aime décidément beaucoup votre jeu de variations sur ce thème auquel vous êtes fidèle, et qui vous réussit si bien…
 
Ce vendredi 13 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa
P. s. :
et pour bien mesurer le génial apport cinématographique du film aux ellipses du texte de Diderot (et du très malicieux récit de la truculente hôtesse un peu pressée et bousculée, mais qui sait si pertinemment tenir en haleine et relancer la curiosité de ses deux auditeurs impatients…) en son « Jacques le fataliste et son maître« ,
jeter aussi un coup d’œil à mes deux tout récents articles de lecture un peu attentive de ce texte si subtil et réjouissant de Diderot, les 8 et 9 janvier derniers :
Un tel art du récit peut donc tout aussi bien être cinématographique, comme le montre ce décidément délicieux « Mademoiselle de Joncquières ».
Voilà.

L’admirable engagement du ténor Michael Spyres : deux passionnants entretiens sur l’humanité splendide de son parcours pas seulement musical

19déc

En écoutant le très beau récital Espoir _ soit le CD Opera Rara ORR251 _

du ténor américain Michael Spyres

_ né en 1980 à Mansfield (Missouri) _,

admirable tout spécialement tant dans le répertoire rossinien que dans Berlioz

ainsi que l’opéra français,

je découvre un  très bel _ et très attachant : quelle humanité splendide éclaire et fait rayonner cet artiste !!!entretien, en 2018, de celui-ci

avec Emmanuelle Giuliani.

Le voici _ avec mes farcissures.

Entretien avec Michael Spyres

 

 

 

 

 

Afin de préparer un portrait, à paraître dans La Croix (publié ce vendredi 5 octobre, veille de la représentation, samedi 6, de Fidelio au Théâtre des Champs-Élysées où le ténor américain incarne Florestan), j’ai eu la chance _ oui ! _ de recueillir cet entretien avec Michael Spyres.

Il est long mais si éclairant sur la personnalité et l’engagement de ce formidable artiste que je vous le propose dans son intégralité. Non sans remercier chaleureusement ma collègue Célestine Albert qui en a assuré la traduction, bien mieux que je ne l’aurais fait.

Bonne lecture et à très bientôt !


 Vous interprétez prochainement à Paris le rôle de Florestan dans Fidelio de Beethoven. Comment abordez-ce personnage ? Comment le décrire musicalement et psychologiquement ? Quelle sont les difficultés du rôle.

Michael Spyres : Je pense que la meilleure façon d’aborder le personnage de Florestan est de le faire à travers le prisme des Lumières _ en effet. Il faut comprendre _ bien sûr ! _ la densité et la profondeur des personnages typiques de cette période. L’allégorie de la grotte de Platon est très présente dans le livret et l’on doit voir Florestan comme l’incarnation de l’injustice ou, en des termes qui correspondent davantage à la philosophie jungienne, de l’animal piégé dans une forme humaine.

Le personnage de Florestan représente la condition humaine et la lutte intérieure qu’un homme éprouve dans sa quête d’espoir et de liberté _ une thématique qui résonne puissamment dans la personnalité même de Michael Spyres, et son parcours existentiel, au-delà de son parcours professionnel. Beethoven, comme Mozart avant lui, était bien conscient de ces mythes ancrés dans la tradition maçonnique (il n’y a certes toujours pas de preuve irréfutable que Beethoven ait été lui-même Franc-maçon, mais il avait de nombreux amis qui l’étaient). En fait, le parcours et la dualité de Florestan et Leonore sont à mettre en parallèle avec ceux de Pamina et Tamino, dans la Flûte enchantée. L’objectif est de réaliser que nous devons œuvrer ensemble à trouver une harmonie intérieure, au sein du monde physique. Nous devons tous aspirer à être justes et courageux _ un idéal en perte de vitesse à l’heure du narcissisme égocentré d’un utilitarisme de très courte vue… _, afin de donner un sens à ce monde. Tous les personnages et thèmes évoqués mettent en perspective les désirs du public de l’époque de se libérer de gouvernements tyranniques _ oui.

Face à l’étendue de ces sujets, je dirais que la plus grande difficulté dans l’interprétation du rôle de Florestan est de rester dans la technique et de ne pas se laisser emporter par l’émotion en chantant…

 Votre répertoire est extrêmement vaste. Est-ce important pour vous de chanter des œuvres si variées, de Mozart à Gounod en passant par Berlioz ? Comment abordez-vous un nouveau personnage ? Y en a-t-il que vous savez que vous allez abandonner avec l’évolution de votre voix ? Est-ce difficile ?

..;

Michael Spyres : C’est amusant que vous me demandiez cela, car j’ai fait énormément de recherche sur les répertoires des chanteurs passés _ et pas seulement des compositeurs : voilà qui est passionnant. Florestan sera mon 77e rôle dans, au total, 70 opéras différents. Placido Domingo est le seul ténor contemporain ayant interprété plus de rôles que moi, et j’ai bon espoir de rattraper son total de 150 rôles ! Je ne dis pas cela pour me vanter, mais plutôt pour que les gens prennent conscience qu’il n’est pas si rare qu’un chanteur ait une carrière aussi variée _ un point notable _ que la mienne, même au XXe siècle _ voilà qui élargit considérablement les focales… Si l’on s’intéresse _ culturellement _ aux grands ténors du passé, tels que Jean de Reszke, Mario Tiberini, Manuel Garcia, Giovanni David ou, le plus grand d’entre tous, son père Giacomo David, on constate à quel point les répertoires de ces chanteurs légendaires étaient vastes. Leur carrière _ et ce qui en découle pour l’interprétation _ est devenue pour moi une réelle obsession. Si eux l’avaient fait, j’en étais capable aussi _ voici le défi que se donne Michael Spyres pour ses propres interprétations…

Au fil de mon parcours, j’ai appris quelque chose d’absolument essentiel, que peu de gens ont la chance d’intégrer : la voix et la technique ont besoin de ces variations _ de répertoire _ pour rester performantes, ne pas devenir rigides _ voilà. Je dois avouer qu’il est de plus en plus difficile _ physiquement, pour la voix, en son évolution _ de maintenir certains rôles à mon répertoire, comme les Rossini les plus légers, mais je chanterai toujours du Rossini et du Mozart, tout en continuant, dans les années à venir, à m’essayer aux répertoires plus lourds : Verdi, Wagner et le grand opéra français.

Au Met à la fin des années 1800, De Reszke chantait Roméo, Tristan et Almaviva dans la même semaine, ce qui nous semble insensé aujourd’hui. Très peu de personnes sont prêtes à sortir de leur zone de confort, mais c’est pourtant précisément ce qui m’a permis d’acquérir l’expérience _ voilà _ et la technique _ aussi _ qui en découle _ tout se tient… _, pour survivre dans cette folle profession !

De plus en plus, vous devenez un grand interprète de l’opéra français. Est-ce un répertoire que vous aimez particulièrement ? Pourquoi ? Et comment avez-vous travaillé votre diction pour parvenir à ce point de perfection ? 

Michael Spyres : J’aime le répertoire français dans toute sa splendeur _ c’est dit. La musique et les sujets abordés _ qui importent donc à Michael Spyres _ sont d’un génie inégalé. Les idéaux fondamentaux de la Renaissance et de la Révolution sont au cœur même du Grand Opéra français _ voilà _ et il n’y a pas de forme d’art plus élevée qu’une pièce comme Les Troyens de Berlioz _ en effet !

J’ai grandi en pensant que j’aimais l’opéra italien, puisque c’est l’une des seules formes d’opéra populaire aux Etats-Unis. Mais dès que j’ai commencé à étudier l’opéra sérieusement, le style français a pris possession de mon cœur et mon âme _ voilà une affinité essentielle qu’a ainsi découverte Michael Spyres. Si les grandes questions de la vie vous importent _ voilà _ et que vous lui cherchez un sens _ au-delà des utilités fonctionnelles de circonstance… _, comment ne pas être en admiration face aux accomplissements de la France _ et du génie français, voilà _, depuis l’époque Baroque _ dès le début du XVIIe siècle et le gallicanisme des rois Bourbon _ et jusqu’au XXe siècle ? La France était le centre névralgique de tous les idéaux occidentaux _ oui _ et il n’est pas étonnant que Rossini, Donizetti, Meyerbeer et Verdi soient tous allés chercher leur liberté artistique _ voilà le concept _ en France.

Quant à mes capacités linguistiques en Français, je suis totalement autodidacte. J’ai toujours été assez entêté, mais je crois aussi que, comparé à d’autres, j’ai un don pour imiter les sons _ les phonèmes _ parfaitement, parce que je suis obsédé par la conception même des sons. Pour tout vous avouer, mon objectif dans la vie était de devenir doubleur de dessins animés, et c’est d’ailleurs ainsi que je me suis mis au chant. Honnêtement, le français est la langue que j’ai eu le plus de mal à maîtriser à cause de  son incroyable manque de logique en termes de voyelles ! Ce n’est pas du tout une critique, mais tout comme avec l’anglais, il est très difficile pour une personne dont le français n’est pas la langue maternelle d’en maîtriser toutes les exceptions…

Quelle est votre relation avec votre voix ? Est-ce toujours une amie, devez-vous parfois lutter avec elle? Devez-vous penser à la ménager ou au contraire à repousser ses limites ?

Michael Spyres : Je peux sincèrement dire que ma vie est le chant. J’ai commencé à chanter avant même de savoir parler. Je viens d’une famille qui vit en musique, dans laquelle chaque personne sait chanter et a toujours chanté. Ma mère _ Terry Spyres _ et mon père _ Eric Spyres _ étaient tous deux professeurs de chant _ voilà _ et nous chantions en famille à chaque mariage, enterrement, ou événement de notre enfance. Ma sœur _ Erica Spyres _ est aujourd’hui à Broadway, et mon frère _ Sean Spyres _ et moi tenons la compagnie d’opéra _ the Springfield Regional Opera _ de notre ville natale _ Springfield, Missouri, est en effet la grande ville proche de sa petite ville natale, Mansfield, Missouri. Ma femme _ Tara Stafford-Spyres _ est également chanteuse et, en avril dernier, nous avons produit ma version et traduction de Die Zauberflöte. Ma femme chantait la Reine de la nuit, ma mère _ Terry _ s’est chargée des costumes, mon père _ Eric _ a fabriqué le décor et mon frère _ Sean _ interprétait Tamino en plus d’être assistant metteur en scène. Comme vous pouvez le constater, je ne suis jamais seul dans mon voyage musical et je peux toujours compter sur ma famille lorsque j’ai besoin d’aide.

Je crois qu’il est nécessaire de repousser ses limites en tant que chanteur pour comprendre _ voilà _ son instrument. J’ai le sentiment que très peu de personnes explorent réellement leur voix _ l’authentique curiosité est bien rare ! _ et, du coup, très peu savent la maîtriser. J’ai eu la chance d’avoir assez tôt deux professeurs de musique en l’espace de trois ans. Ils m’ont appris les bases d’une bonne technique lyrique, mais j’ai abandonné les études à 21 ans pour prendre une direction radicale. J’ai constaté que la seule façon pour moi de prendre le contrôle de ma vie et de réussir dans le monde de l’opéra était d’apprendre de mon côté _ de manière autonome _ à contrôler cet instrument qui est en moi. Le chemin pour devenir ténor a été long et plein d’épreuves mais, finalement, le chant doit être un accord organique entre vous et votre voix, sans influence extérieure _ « Vademecum, vadetecum« , telle est la juste devise des éducateurs libérateurs… Les professeurs et livres de technique ont un rôle inestimable mais, si vous n’avez pas une confiance absolue dans vos propres axiomes et votre structure, vous êtes voué à l’échec _ oui. L’apprentissage cultivé (à bonne école) de son autonomie est en effet fondamental.

Il y a peu de ténors, c’est une voix qui fascine le public, et on imagine que vous subissez une grande pression de la part du monde musical. Comment y résistez-vous ? Comment refusez-vous les propositions qui ne vous conviennent pas ou ne vous plaisent pas ?

Michael Spyres : Pour être tout à fait honnête, je n’arrive pas vraiment à dire non, et c’est quelque chose que j’essaye d’apprendre avec l’âge _ oui, cela aussi s’apprend, et toujours à son corps défendant ; en apprenant, peu à peu, à toujours un peu mieux résister. L’an dernier _ en 2017, donc _, je suis arrivé à un stade de ma carrière assez crucial, parce qu’ il y a dix ans, je m’étais fixé comme objectif  d’explorer un maximum de répertoires, et je m’épanouis dans les « challenges » _ les défis à soi-même. Mais j’ai été confronté à mes limites physiques et au vieillissement. Au cours de la saison 2017-2018, j’ai joué dans 8 productions, fait 7 concerts dans 8 pays différents et j’ai fini par devoir, pour la première fois, annuler un concert et une représentation parce que j’étais malade. Au cours de cette dernière année _ 2017 _, mes opportunités de carrière ont vraiment pris un tournant et je suis dans la position merveilleuse _ oui, à l’âge de 38 ans en 2018 _ de pouvoir choisir ou décliner une proposition.

La plupart des gens considèrent que le chanteur est seul responsable de son parcours, mais vers 20 ans, j’ai constaté que l’image que l’on se fait de sa propre voix n’est pas forcément celle que se font les autres. L’une des principales raisons qui m’a poussé à varier autant mon répertoire venait aussi du constat que chaque pays avait sa propre opinion _ réception _ de ma voix _ toujours en fonction d’un contexte culturel particulier… J’ai découvert que, pour réussir _ professionnellement : obtenir des contrats _, il fallait trouver un compromis entre ce que vous voulez faire et les besoins de l’industrie et du marché musicaux. Je fais _ donc désormais _ partie d’un groupe très restreint de chanteurs qui peuvent dire non. Mais le plus important dans ma prise de décision est de savoir si le rôle me correspond _ vocalement et culturellement _et s’il fait évoluer _ positivement : progresser _ ma carrière _ selon l’idéal que Michael Spyres se donne.

Je n’ai que récemment atteint un niveau qui me permet de choisir un rôle. Je me demande alors : « cette œuvre a-t-elle une bonne raison d’exister ? » _ en elle-même, et indépendamment du contexte des circonstances où  elle a pu voir le jour… La plupart des gens n’aiment pas l’avouer mais de nombreux opéras ont été composés simplement dans une recherche _ très circonstancielle _ de profit ou par pur narcissisme _ de son créateur _, et, de ce fait, me semblent n’avoir guère ou même aucune de raison d’être _ maintenant, et à l’aune de l’éternité _ interprétés.

Je ne me prononce pas sur les différentes productions, intellectuelles ou non, mais je suis vraiment heureux de pouvoir désormais choisir sans avoir à dire oui à tout. Je veux aller de l’avant _ artistiquement et culturellement : voilà ! _ et je consacre ma carrière à promouvoir les opéras les plus bouleversants et les plus importants, ceux qui ont été composés pour élever l’humanité _ culturellement _ à un plus haut niveau de conscience en nous forçant à l’introspection et à l’éveil de notre esprit _ cette prise de position est donc à bien remarquer.

Quels sont les interprètes actuels ou passés, chanteurs ou instrumentistes (ou même comédiens, écrivains, peintres…) qui vous inspirent et enrichissent votre propre travail d’artiste ?

Michael Spyres : La liste est longue mais je dirais que les personnes qui m’ont le plus influencé sont, toutes catégories confondues _ on remarquera ici que Michaël Spyres commence par citer des peintres, bien avant des chanteurs, des chefs d’orchestre (un seul : John Eliot Gardiner) et des compositeurs (deux : Rossini et Berlioz) _  : Wassily Kandinsky, Francisco Goya, René Magritte, Hieronymus Bosch, Michael Cheval, Norman Rockwell, Harry Clarke, Thomas Hart Benton, Jan Saudek, Hundertwasser, Alphonse Mucha, Jordan Peterson, Jonathan Haidt, Thomas Sowell, Michio Kaku, Stephen Pinker, Camille Paglia, Mario Lanza, Nicolai Gedda, Roger Miller, Nick Drake, Tom Waits, Air, Andrew Bird, Harry Nilsson, Kishi Bashi, Sleepwalkers, J Roddy Walston and the Business, Vulfpeck, Maria Bamford, Hans Teeuwen, Norm Macdonald, Reggie Watts, Thaddeus Strassberger,  Le Shlemil Theatre, John Eliot Gardiner, Wes Anderson, Terry Gilliam, Alejandro Jodorowsky, Rossini, Berlioz, et surtout, ma famille.

Comment avez-vous décidé de consacrer votre vie au chant ? Avez-vous parfois douté ? Comment, aux Etats-Unis, la musique classique (et, plus particulièrement l’opéra) est-elle considérée dans la société ? Est-ce un art populaire ou au contraire plutôt élitiste ?

Michael Spyres : Comme je vous le disais, la musique coule dans les veines de ma famille, mais je ne me suis mis à envisager cette carrière qu’à 21 ans. Mon rêve était de devenir le futur Mel Blanc (la voix _ le fait est très remarquable _ qui doublait tous les dessins animés d’antan) et d’entrer dans ce milieu de l’animation, si possible en devenant acteur pour Les Simpson. Après une période de réflexion, j’ai compris que si je ne tentais pas une carrière dans la musique _ et pas seulement la diction _  et plus particulièrement, l’opéra, je le regretterais.

Je suis l’homonyme de mon oncle Michael. Son rêve était de devenir chanteur d’opéra mais il est décédé d’un cancer de la gorge à l’âge de 38 ans, alors que je n’étais qu’un bébé. J’ai grandi dans l’ombre de cette histoire, en sentant que mon destin était au moins d’essayer d’embrasser la carrière qu’il n’avait jamais pu avoir.

Bien-sûr, j’ai eu des doutes, toute ma « vingtaine » a été remplie de doutes… Mais quand j’ai eu trente ans, j’ai su avec certitude que je pouvais faire carrière dans l’opéra.

La musique classique, et l’opéra en particulier, sont considérés comme une forme d’art élitiste aux Etats-Unis, mais cette perception est en train de changer avec les plus jeunes générations qui découvrent la joie et les messages profonds _ c’est donc fondamental pour Michael Spyres _ véhiculés par la musique. Mais soyons honnêtes, l’opéra et la musique classique ont, en effet, toujours été une forme d’art élitiste, tout simplement parce qu’il faut beaucoup d’argent et de temps _ bien sûr _ aux artistes pour arriver au niveau de compétence _ artisanale _ nécessaire _ oui ! _ à cette profession. Pour réussir quelque chose d’aussi beau que le classique ou l’opéra, l’élitisme est et a toujours été une force. Même si je pense que tout le monde peut apprécier cet art, il reste dominé par un petit groupe d’artistes et de philanthropes.

Je peux dire toutefois que l’opéra et la musique classique me semblent bien plus démocratiques aux Etats-Unis qu’en Europe où une grande partie du budget est subventionné par l’Etat. Chez nous, les gens sont très fiers d’apporter leur soutien et nos budgets sont presque entièrement financés par des personnes privées.

Êtes-vous engagé sur le plan social, éducatif, voire politique ? Être un artiste donne-t-il selon vous des responsabilités dans la société ?

Michael Spyres : Je suis très investi dans le monde des arts et je crois de tout mon cœur qu’il est de notre devoir en tant qu’artistes d’enseigner _ oui ! _ et de donner son temps à la communauté et à la société au sens large _ c’est là une mission civilisationnelle. L’enseignement est aussi dans mon ADN, puisque tous les membres de ma famille ont été professeurs à un moment ou un autre.

J’ai, en outre, la chance de pouvoir changer la vie de beaucoup de personnes à travers mon rôle de directeur artistique de la compagnie d’opéra de ma ville natale : l’opéra régional de Springfield _ Missouri. Mon frère _ Sean _, ma mère _ Terry _ et moi avons réalisé des projets ensemble, ils ont notamment écrit deux opéras pour enfants _ dont Voix de ville. Nous avons tourné dans les écoles les plus pauvres de notre région avec ces deux créations originales et, à travers l’opéra, nous avons réussi à transmettre des leçons importantes sur la vérité et la responsabilité.

Je crois que beaucoup d’artistes oublient qu’il est de leur devoir de mettre en lumière certains problèmes de la société. Éduquer le public au sens large est primordial _ et c’est fondamental : face à la crétinisation galopante des esprits. Mon père, comme professeur de musique, m’a appris que cet art était une forme de méta-éducation et qu’à travers elle, on pouvait enseigner une grande variété de sujets _ bien sûr. Qu’est-ce qu’une éducation qui n’est pas artistique !?! Avec une simple chanson, vous pouvez apprendre une langue, des maths, de la géographie, de la sociologie, de la philosophie… La musique est un point d’entrée vers la compréhension de l’humanité _ oui _ et, en tant qu’artistes, nous sommes en possession d’un outil de transmission _ et plus encore formation-libération _ très puissant, qui connecte _ de manière désintéessée et généreuse _ les gens _ pour le meilleur, et pas pour le pire.

Lorsque vous voyagez pour vos concerts, avez-vous le sentiment que, depuis l’élection de Donald Trump, l’Amérique est vue différemment dans le monde ?

Michael Spyres : Je suis sûr que certaines personnes perçoivent désormais les Etats-Unis différemment, mais cela n’a jamais été un problème pour moi. Ayant vécu 17 ans en Europe, dans six pays différents, j’ai pu voir des aspects à la fois merveilleux et terribles dans chacun d’entre eux, y compris le mien.

Mais j’ai fini par comprendre qu’il ne fallait pas s’attarder sur les effets que la pensée ou la projection collective d’une nation toute entière peuvent avoir sur vous. Je crois en la souveraineté individuelle _ de la personne ayant conquis son autonomie _ et à l’éveil intellectuel _ et culturel : seul vraiment épanouissant _ et j’essaye de vivre et d’avancer en fonction de cela.

L’un des plus beaux moments de ma vie a été de chanter en duo avec ma femme _ Tara _ à Moscou, à un moment où la relation avec les Etats-Unis était assez compliquée… Après le concert, deux hommes sont venus nous parler dans un anglais parfait pour nous dire à quel point cela les avait touchés de m’entendre chanter dans leur langue natale et combien ils pensaient que notre concert avait apaisé les tensions. Certaines personnes se sont mises à pleurer lorsque j’ai chanté « Kuda, kuda… » _ l’admirable air de Lenskidans Eugène Oneguine et il n’y a pas de sentiment plus grand, ni de façon plus douce, d’apaiser les mœurs que par la musique.

J’ai l’impression que, trop souvent, les gens se laissent dominer par des tendances naturelles « tribales », mais un grand air ou lied peut transcender tout cela _ vers l’universel _ et aider au bien commun de l’humanité, dans la lutte, la joie, le deuil ou l’amour.

En dehors du chant, quelles sont les arts ou les activités qui vous sont nécessaires, qui nourrissent votre esprit et votre émotion ? Comment parvenez-vous à garder votre équilibre de vie avec un métier si exigeant et si prenant ?

Michael Spyres : J’ai très peu de hobbies parce que ma vie est principalement partagée entre ma carrière de chanteur, ma compagnie d’opéra et mon rôle de père. Je joue de la guitare et du piano quand j’en ai l’occasion, chez moi, et j’aime emmener mes fils explorer les bois de notre ferme. Mais honnêtement, quand je ne travaille pas, je passe une grande partie de mon temps à lire des livres de philosophie, de psychologie, d’économie et de sciences _ des livres d’humanités.

Quant à la recherche d’un certain équilibre, c’est vraiment le défi le plus difficile à mes yeux, parce que lorsque vous adorez votre job et que vous aimez travailler autant que moi, vous devez constamment vous forcer à faire des pauses _ certes. Le fait d’avoir mes deux fils et ma femme m’aide à rester ancré dans la réalité _ oui _ et je dirais que le plus dur avec cet emploi du temps de plus en plus chargé est de trouver l’équilibre entre mon temps de travail et ma famille.

J’ai beaucoup de chance d’avoir cette carrière et je n’ai pas encore trouvé beaucoup d’aspects négatifs liés au succès, outre la pression grandissante que je m’impose pour me donner à 100% _ bien sûr. J’ai eu beaucoup d’emplois différents dans ma vie, gardien, jardinier, professeur, serveur, ouvrier du bâtiment, et je suis vraiment heureux de pouvoir gagner ma vie en rendant les gens heureux… Qu’y a-t-il de plus gratifiant ?

Une nouvelle saison musicale commence, vous préparez bien sûr les prochaines… quels sont les projets mais aussi les envies qui vous tiennent le plus à cœur : nouveaux rôles, nouveaux chefs, metteurs en scène ou partenaires, nouveaux pays ?

Michael Spyres : Comme l’an passé, je suis incroyablement pris mais j’ai évidemment hâte de jouer dans Fidelio et ensuite, de retourner au Carnegie Hall avec John Eliot Gardiner _ que Michael Spyres apprécie tout particulièrement. En octobre _ 2018 _, je ferai mes débuts au Concertgebouw d’Amsterdam, et juste après _ le 6 novembre 2018 _, j’interprèterai mon premier récital _ intitulé Foreign Affairs (avec le merveilleux À Chloris, de Reynaldo Hahn)_ avec Mathieu Pordoy _ au piano _, à Bordeaux _ au Grand-Théâtre. Au début de l’année 2019, je jouerai pour la première fois au Teatro Carlo Felice de Gênes à l’occasion d’un récital avec ma chère amie Jessica Pratt, puis je me rendrai au Wiener Staatsoper !

Après Vienne, je ferai mes débuts à Genève, aux côtés de ma collègue Marina Rebeka, pour une Le Pirate de Bellini que nous enregistrerons également. En avril _ du 30 mars au 9 avril _, j’aurai le privilège de jouer le fameux rôle de Chapelou dans la production de Michel Fau _ merveilleux metteur en scène _ du Postillon de Longjumeau _ d’Adolphe Adam _, qui sera présenté pour la première fois depuis 1894 à l’Opéra-Comique _ bravo ! Fin avril, j’aurai la chance de réaliser un nouveau rêve en m’associant avec de fantastiques collègues, Joyce Didonato et John Nelson, dans l’interprétation et l’enregistrement pour Erato de mon rôle préféré : Faust dans La Damnation de Faust, de Berlioz

_ cf mes articles des 13  et 14 décembre derniers :  et

En mai 2019, je reviens une fois de plus à Paris en tant que soliste du Lelio de Berlioz, avec François Xavier-Roth. Je ferai également mes débuts en tant que Pollione dans Norma de Bellini, et le mois sera marqué par mon retour à l’Opernhaus de Zurich. Entre ces deux performances, je retournerai à l’Oper Frankfurt dans le cadre d’une tournée en récital. Je terminerai la saison en jouant le rôle principal dans l’opéra épique Fervaal, de Vincent D’Indy, au Festival de Radio France Occitanie, à Montpellier.

Souhaitez-moi bonne chance et… une bonne santé ! _ certes !

Emmanuelle Giuliani

Voici encore un autre très intéressant entretien _ en anglais cette fois, en janvier 2016, et avec Rose Marthis _ avec Michaël Spyres, et à propos de son engagement très actif auprès du Springfield Regional Opera,

chez lui, dans le Missouri :

SIX QUESTIONS WITH MICHAEL SPYRES

The Mansfield native has performed in operas all over the world, and is now artistic director of Springfield Regional Opera.


BY ROSE MARTHIS

Jan 2016

Michael Spyres of the Springfield Regional Opera

Photo by Kevin O’Riley

Michael Spyres spent his childhood in Mansfield _ Missouri _ singing at every town wedding and funeral with his musically-inclined family. He became interested in opera because he was named after an uncle who aspired to be an opera singer but died at a young age _ 38 ans _ from throat cancer. His mother _ Terry _ and father _ Eric _ were both music teachers, and he grew up on stage. After landing his first role at the Springfield Regional Opera when he was 18 years old, Spyres found his way to Europe at age 24. Now, in addition to his singing career, he has come back to take over the artistic direction of the opera company that gave him a shot—and he’s bringing innovations that could usher in a new era in opera.

… 

417 Magazine : Why did you decide to come back to SRO _ Springfield Regional Opera _ while continuing your career in Europe?


Michael Spyres : The big reason I wanted to come back was to help out the company that gave me the first chance _ voilà. I wouldn’t be in this position without having had the opportunities that I had in Springfield. By the time I was 22 years old, I had already done six roles in a real opera company with an orchestra. Most of my colleagues and friends when I was in these other programs were 22 but they had never even gotten to sing with orchestras. Because Springfield was such a perfect place for me to learn, I got to grow with this company. I just thought it was a perfect time in my career for me to come back and teach the next generation of people _ voilà : donner (avec reconnaissance) comme l’on a reçu _ and give them what has been lacking in the last few years. Give some of these wonderful talented kids from our Ozarks area _ son terroir natal _ a direction and show them that it is absolutely possible and you can achieve your dreams _ oui : « Deviens ce que tu es » !.. _ and do exactly what I did.  I’m from the smallest town you can think of where people have never even heard of opera, but now they know what opera is because I sing all over the world. And I did it from the Ozarks.

…  

417 : Did you make any connections in Europe that can help you in your new role?


M.S. : I have some really good friends in France, Italy and Austria that I’ve kind of recruited and have talked to them about my vision for the opera company. They have all agreed to come to Springfield for very little money and help me with my vision to turn Springfield into an internationally known regional company that does innovative things _ bravo !

… 

417 : Tell us about your vision for SRO.


M.S. : One of the big things that we’re going to be doing is streaming our operas live on YouTube and Facebook. The technology has been around for a couple years but no one has ever done it. Most of my friends who are well known directors, they are going to be coming to Springfield and will be bringing a completely international flair to Springfield by putting on their productions. We’ll be using local talent for singers, and a few of my other friends who are bigger names will come in and be able to sing with our company while teaching at the same time. I want it to be a training grounds _ quel projet  magnifique !

417 : How do you want opera to influence the arts scene in 417-land?


M.S. : I love Springfield but it does seem that a lot of the arts organizations think that there’s a competition going on, but there isn’t. There’s enough public, there’s enough money in the art scene for it to all go around, and it all helps if we bring each other in and we help each other. That’s one of the big things that Christopher Koch, the new music director, and I have been talking about a lot. It’s the inclusion and taking everybody from the theater, and the symphony and the ballet to come together for a project. The opera is a very, very important art form because it’s the first and only one that includes everybody _ oui _ : actors, singers, dancers, composers, directors, lighting people, sound tech, everything is all in one. That’s what opera was originally conceived to do, to be a conglomeration of all the arts _ oui _, where everyone was working together. One of our biggest goals is to always have a project that connects either the symphonies or ballet or street actors or circus performers.

417 : How do you want to partner with the other local arts organizations?

I don’t want to give too much away, but we do have the next three years planned. In opera, we don’t use amplification of the voice;  it’s the natural human voice that has to project over the orchestra. That’s why opera is such a different art form than musicals. Traditional musicals were like that, and they are now sometimes, but for the most part everyone’s miked, which takes away, for me, some of the art and the craft. We are definitely going to be showing people what the power of the human voice can be and how incredible it is _ voilà. To go, wow are they going to get through and be able to sing it ? You know, make it a spectator sport.

… 

417 : What do you want people here to learn about opera?


M.S. : The big thing that I want to do in these next years is educate people about what opera actually is and what it isn’t _ voilà. Everyone has these preconceived notions about what opera is. You say “opera” and they all think, “Oh yeah, fat lady with horns.” And they just think Wagner _ oui. It’s just so not that. Once you understand the origins of what opera is you start to realize, oh my gosh, that’s what influenced everything. Musicals and movies and everything was composed after opera _ oui. Opera was the base for everyone to come together with ideas. Movies would have never happened without opera _ c’est dit.

Five Tips for Opera Novices

Springfield Regional Opera artistic director Michael Spyres shares what you need to know about opera.

1. Opera was conceived as an art form that was the first of its kind in an attempt bring together all of the various art forms into one performance. Opera was born out of the Renaissance period and the etymology of the word actually means “to work”. The Italians chose this word for their new art form in order to symbolize the message of this new art form. Opera was truly conceived to be a transformative art form both for performers and the public as it sought to enlighten and inspire change in society _ l’opera est en effet conçu comme ouvert à un large public : à Venise d’abord.

2. Not all Opera is in Italian ! While it is true that many Operas are composed in Italian, Operas have been written in virtually every language. Generally speaking they are categorized into Italian, German, French, Russian and English genre operas. In the last 150 years new operas have been and are still being composed in various languages spanning entire globe. Again, Opera is a transformative and reflective art form that most always seeks to hold up a mirror to society in order to provoke change _ oui _ and so it is no wonder that Opera is being composed in almost every language worldwide!

3. Opera is an art form, but also as a collaboration, a partnership of people and community. There is no grander form of live entertainment (with the exception of live television.) Depending on the size of production an Opera will bring together anywhere from a hand full to more than 300 participants working simultaneously backstage as well as in the orchestra and on stage _ oui : l’entreprise est collective. You can see why many people consider Opera to be a living art form in that massive amounts of people come together for a common cause and every performance is different. In fact, if Opera had not laid out this massively collaborative art form we would surely not have our beloved art forms of musicals or even movies.

4. Don’t worry if you don’t speak the language that it is in. Supertititles (Translation to a screen above) are the norm in most opera houses. Even if there are no supertitles if you just pay attention and enjoy the art form that is in front of you, you will easily understand what is going on onstage. A good rule of thumb is to do just a little bit of research online before coming to the Opera _ par exemple _ ; so you can get a good framework of the storyline. After all most of us don’t go blindly to a movie without researching beforehand and opera is no different.

5. Don’t be afraid of Opera. We all have preconceived notions about what Opera is (large people yelling in funny hats often comes to mind) but if you have never been to an Opera you really are missing out. If you ask yourself “why is this artform still around after over 400 years ?” you are on the right track. The answer to this question I would propose is because of its intoxicating potion of complexity. Opera is an evolving artform that is tailored to evoke thought and change within _ voilà. It is true that some opera was conceived to just have a good time and entertain like most Hollywood box office films, but the majority of opera is composed in essence like folk music in that there is a reason and strong story behind the subject matter. Love, anger, reverence, and awe are just some of the emotions that are within us ; and Opera provides a beautiful art form in which to celebrate and transform the human condition. Don’t just take my word for it, come see for yourself!

L’admirable degré d’humanité _ et engagement de terrain _ de Michael Spyres

est splendide !

Ce jeudi 19 décembre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Jean Clair, ou « ressaisir le fil qui relie à la vie », et résister à la catastrophe des mésusages de la langue _ et des cinq sens, et du penser…

02août

Mes deux précédents articles consacrés à l’admirable Terre natale _ exercices de piété, de Jean Clair :

et

constituaient un prologue à mon article d’aujourd’hui, sur le fond.


Terre natale _ exercices de piété est la poursuite (et reprise) des précédents « écrits intimes » _ et déjà « exercices de piété«  _ de Jean Clair

que sont Journal atrabilaire (en 2006), Lait noir de l’aube (en 2007), La Tourterelle et le chat-huant (en 2009), Dialogue avec les morts (en 2011), Les derniers jours (en 2013), La Part de l’ange (en 2015) ;

et cela après un accident de santé sien évoqué très discrètement (rien ne sera jamais indiqué de sa nature) à la page 320, au cours du chapitre XIX Athènes et Jérusalem : et seulement afin de justifier (un peu) le fait de n’avoir pu se rendre sur les lieux du Sépulcre, malgré la présence sienne à Jérusalem le 28 septembre 2016, au moment des obsèques de Shimon Pérès ; et c’est là une des rares dates d’événements évoqués… _ qui semble avoir un peu durablement affecté sa santé alors _ et rudoyé son moral _, et maintenu un certain temps alité _ à l’hôpital ou chez lui, ce n’est pas spécifié ; Jean Clair évoque les images suscitées par différentes positions du corps couché, à l’instar de ce qui peut se produire pour des rêves au cours du sommeil… _, et sans pouvoir _ ni d’abord même désirer _ aller rencontrer des interlocuteurs un peu vrais : seule restait comme ressource de présence et interlocution vraie, et avec une altérité riche _ de répondant _, que la lecture :

Pages 31-32, au chapitre I :

« Je n’ai plus _ convalescent, et plutôt déprimé _ la  force que de lire, jour après jour, et du matin au soir. Je m’assois dans mon fauteuil, et je lis à m’épuiser les yeux. (…) Aucun médium, radio, télévision, cinéma, n’a ce pouvoir _ thaumaturgique _ de faire entendre une voix à travers un objet, et de parler en elle. On ne fait pas que ressusciter le mort qui gisait dans ces pages, on lui donne sa voix.

Un livre est toujours un Livre saint. (…) Pour échapper à mon mal _ de « dépression » et absence abyssale à soi-même… _, je lis interminablement et, pendant quelques instants, je suis Baudelaire, Proust ou Flaubert. La magie _ voilà _ peut durer des heures. Fatigué par la transmigration, je referme les pages. L’âme en paix, j’essaie de retrouver le souffle qui est le mien« …

Le texte de ce livre magnifique s’inscrit entre deux acceptions,

aux pages 15 _ et il s’agit là, au chapitre I L’Intrus, de la phrase incipit du livre ! : « J’ai fini par me refuser l’hospitalité«  _

et 398 _ au tout dernier chapitre, le chapitre XXIV La Terre vaine, et juste quatre pages avant la fin : « Si je ne peux plus m’offrir l’hospitalité«  _

du terme « hospitalité » _ accordée, ou pas, à soi-même ; et c’est bien là que gît la difficulté (de « dépression« ) à laquelle s’affronte courageusement l’entière méditation sans cesse creusée, fouillée et approfondie de ce merveilleux livre… _ :

Page 15 : « J’ai fini par me refuser l’hospitalité. Personne _ de conséquent _ n’est là où je suis. (…) Qui étais-je ? Qui suis-je, après toutes ces années ? (…) Comme par distraction, je me suis mis à distance de moi, ouvrant un vide _ abyssal _ que je ne peux plus remplir » ;

page 16 :  « Je suis entré dans la saison du saisissement, qui est la saison du dessaisissement _ de soi-même. Séparé de ce que je croyais être moi et qui me donnait contenance et chaleur _ voilà. Désemparé, sans rempart. (…) Saisi, dessaisi : une outre-tombe. (…) Grelottant, je ne suis pas là, et qui est là, à ma place ? » ;

page 17 : « Penser est une continuité que je n’ai plus _ par défaillances répétées de la mémoire ? par rupture de fil ? _ une fidélité que je ne respecte pas » ;

page 18 : « C’est une disparition. Je me défais » ;

page 20 : «  »Étre soi«  ne serait qu’une obstination à croire en ce qui n’est qu’une suite _ purement accidentelle _ de sensations disparates, une habitude _ de simple fait, mais sans légitimité de droit _, une distraction _ superficielle.

On porte le deuil de _ la consistance de _ sa vie bien avant d’être mort« …

Et page 398 : « Si je ne peux plus m’offrir l’hospitalité _ accueillante _, me reconnaître, me souvenir de ma présence en moi, et m’y réconforter, me souvenir de mon nom paternel _ Régnier _, devenu étranger à moi-même _ faute de fil assez cultivé _, c’est que je ne peux plus habiter la terre natale dont ne me restent que des souvenirs informes, ni reconnaître miens les paysages et les humains que j’ai ensuite aimés » _ et seule une écriture réellement consistante, et renouant les fils et liens négligés, est en mesure de leur rendre forme.

Deux chapitres, vers la fin, le chapitre XVI, Les Dardanelles, et le chapitre XXI, La fugue, développent magnifiquement la ressource du « fil » à renouer

_ « ressaisir » (page 273), « retrouver » (page 274), « rétablir » (page 274), « reprendre » (page 274), faire que « le fil ne soit pas rompu«  (page 275), faire que « un fil échappe au circulum diaboli du temps » (page 278), « ne pas casser le fil » (page 351), trouver le mot qui « redonnerait la vie (…), trouver le mot juste, qui donnerait à la phrase son assise et son sens » (page 352), « vous faire ressaisir le fil de vos pensées et le dérouler dans l’esprit  » (page 354) ; et cette opération très exigeante-là, versus « la catastrophe des « mots libres »«  (page 353), car « « les mots en liberté », dont les surréalistes avaient fait leur profession de foi, étaient un contresens, une impiété. Il n’y avait pas de liberté des mots, mais un choix, un respect, l’obéissance à un ordre », condition absolue de sens, de vérité et de beauté (page 352) _,

par l’écriture, que met en œuvre Jean Clair en ses divers « écrits intimes« ,

et tout particulièrement en ce volume postérieur à l’épisode de la maladie _ qui s’était déclarée en septembre 2016, à Jérusalem _ et de la sévère dépression qui l’a suivie, en ce Terre natale _ exercices de piété.

 


Mais des ressources effectives s’offrent.

Et pour commencer « les papillons«  _ cf le titre du chapitre IV : Les Papillons... _ à saisir _ même si c’est bien difficile _ des rêves nocturnes : par l’écriture notamment ;

à bien distinguer _ Jean Clair y insiste _  de l’activité _ que Jean Clair repousse vigoureusement, elle _ de fiction :

« Parler (…) d’êtres vivants, les imaginer vivants, inventer des personnages et leur prêter des sentiments, des gestes, des paroles : les romans me donnent une insupportable sensation d’ennui. (…) J’ai toujours détesté la fiction _ moi aussi. Je suis incapable d’inventer. Je n’aime pas raconter des histoires, respecter des plans _ convenus à l’avance _, préparer des intrigues _ misérablement artificielles. Moins encore composer des dialogues, cet usage frauduleux de l’écriture. On n’écrit _ vraiment _ que pour obéir au besoin de dire quelque chose qu’on ignore _ encore. On avance alors sans trop savoir. Et puis viens la récompense du mot _ du mot juste et fécond _ qui dit ce que vous ne saviez pas« , lit-on à la page 58 du chapitre III Les Nocturnes..

Ainsi que cette précision-ci, page 60, du même chapitre III Les Nocturnes :

« Il faut être un peu désespéré pour trouver le courage de s’isoler et de tenter d’écrire. La réalité apparaît pourtant si riche alors _ en ce défi aventureux et ouvert de l’écrire _, et si inépuisable _ voilà _, qu’on comprend qu’il est vain de vouloir la changer, voire simplement de l’imaginer autre. Il y a assez à dire _ oui ! _ de ce qui est ou de ce qui a été pour occuper les années de son existence. Proust, Morand, Aragon, Malaparte _ ou Montaigne _ n’ont jamais rien inventé, imaginé, jamais écrit de « romans ». Ils ont été le peintre qui s’efforce, tableau après tableau, de dire, de décrire, de prolonger un peu _ la qualité de présence de _ ce qu’il a sous les yeux, en tournant le dos à la tentation, « fasciste » en effet, de vouloir changer le monde, de recourir à la fantaisie, à l’abstraction, à la violence, à la création _ arbitraire, gratuite _, en usant de systèmes de couleurs et de formes qui seraient capables d’améliorer la réalité, ou, pire encore, à exalter ce qu’on dit être son « moi » « …

 Je reviendrai, bien sûr, à cette ressource capitale qu’est l’écrire _ et à sa conception précise _, pour Jean Clair… Mais pour l’instant c’est à la ressource de « présence«  _ cruciale aussi, fortément _ du rêve nocturne que je désire m’attacher.

À preuve : 

aux pages 64-65 du chapitre III Les Nocturnes, ceci :

« L’étonnant pouvoir _ voilà _ du rêve _ nocturne. (…) D’un être, il nous offre _ la grâce de _ sa présence sensible, parée de toutes les qualités. Nous (…) voyons (…) surgir devant nous ce qu’on pourrait nommer _ en usant du vocabulaire théologique _ une présence réelle, avec sa chaleur _ son éclat _, sa spontanéité _ indépendante de soi _, sa voix _ surtout _, remontée d’on ne sait lequel de ces enfers, qui ne sont pas forcément des lieux de souffrance comme dans nos religions, mais des lieux imaginés par les Anciens ou par le Shéol juif, où ils sont _ seulement _ tenus en réserve, endormis eux aussi _ comme nous-mêmes qui rêvons en notre propre sommeil _ attendant de nous revoir _ et de reprendre notre conversation.

(…) Le rêve est revenance et révélation _ post mortem. (…) Mes rêves se remplissent de figures et deviennent des salons où l’on s’entretient _ voilà _ avec douceur _ surtout. Ce dont le quotidien _ de la maladie, comme de la quotidienneté… _ m’a privé, la nuit me le redonne« …

Je peux maintenant en venir à l’instrument capital du rétablissement du fil de la vie et du soi le plus vrai, je veux dire l’écrire de Jean Clair.


Les deux chapitres _ superbes :  peut-être les sommets de ce livre ! _ sont les chapitres XVI, Les Dardanelles (pages 269 à 280) et XXI, La fugue (pages 351 à 358).

Au chapitre XVI, Les Dardanelles, après avoir expliqué en quoi ce qu’avaient été les Dardanelles selon Paul Morand, l’Isonzo, pour son père, »en 17-18 avait été son grand voyage » : « Mon père n’avait jamais quitté son Morvan : l’Isonzo serait ses Dardanelles« , écrit Jean Clair page 170.

Et c’est à partir de la page 272 que Jean Clair développe ce qu’est pour lui personnellement l’écrire, d’abord abordé par l’expérience d’être lu et entendu par qui sait lire vraiment :

« La puissance, la présence _ et les deux sont très intimement liées : pas de puissance sans vraie présence ; pas de présence sans vraie puissance _ de l’écrivain, qui demeure _ pour celui qui le lit, loin de lui, pourtant, dans l’espace comme dans le temps _, qui ne s’épuise pas, sont bien supérieures à celles du cinéma ou du théâtre _ et je partage complètement cet avis. Invisible, on entend _ oui ! _ sa voix _ et son souffle _, mais on ne le voit pas ; et souvent même, mort depuis longtemps on ne l’a jamais vu. Il est pareil à Dieu, une voix _ sidérante _ dont on ne voit pas le visage. Ou si l’on veut, en termes plus profanes, proche de l’analyste dont le pouvoir de guérison vient du fait qu’il écoute _ et comprend _ et répond _ surtout par ses silences _, mais qu’on ne le voit pas« , page 272.

Et page 273 :

« L’écrivain _ qu’on lit vraiment _ est pareil à la mère des premiers moments, dont on entend la voix, filtrée par l’eau du ventre, alors qu’on n’a pas encore vu le jour, et dont on ignore encore les traits. On ne connaissait pas son visage, et pourtant sa voix avait le pouvoir de guérir« …

Puis Jean Clair passe à ce qu’est pour lui l’écrire, et sa fonction première pour lui _ tout particulièrement en sa phase présente de dépression _ :

« À peine avalé le café du matin, je suis devant ma machine, comme s’il me fallait ressaisir au plus tôt _ et c’est bien de cela qu’il s’agit là ! « se ressaisir », « se reprendre«  _ le fil _ fuyant, il le constate _ qui me relie à la vie. Un mot pour sortir _ émerger _ du néant de la nuit _ et prendre pied, faire face.

Le phénomène est connu des neurologues : au milieu d’un blanc, d’une amnésie, d’une absence, un mot suffit pour reprendre, puisque l’on parle en enchaînant les mots, sans penser au suivant, non pas mécaniquement, mais musicalement _ voilà ; et cela sera magnifiquement repris et développé au merveilleux chapitre XXI, La fugue _, de même qu’un simple accord suffit à dérouler dans la tête la partition oubliée.

Ce qui se dérobe, c’est toujours le commencement. Mais il suffit que je le retrouve et le reste suivra, comme une mélodie, une suite de sons, qui n’ont plus besoin de ma mémoire _ un peu pesamment activée _ pour s’enchaîner, comme si la partition qui me deviendra familière avait été écrite ailleurs et courait _ d’elle-même, indépendamment de soi _ invisible sous les notes« …

Et déjà, avant même de mettre en mouvement et saisir le fil même de son écrire, lire nous offre l’expérience _ modèle ? _ d’un semblable fil se déroulant _ mais c’est déjà celui du langage humain, grâce à l’ordre ouvert de la syntaxe de toute langue : faire des phrases ayant du sens (cf Chosmky) _ :


Pages 274-275 :

« Un livre dont la lecture ne me donne pas l’envie _ et le mouvement entrepris _ d’écrire aussitôt quelques mots, quelques lignes, quelques pages, est un livre inutile _ vain. La lecture est un échange _ ce point est capital ! ouvrant sur une interlocution réciproque entre lecteur et auteur !.. _ où chaque mot se fait l’écho d’un autre _ voilà : oui ! _, sa réponse peut-être _ déjà les mots eux-mêmes (de la langue) se répondent d’eux-mêmes entre eux ! Dans la langue, d’abord (le vocabulaire) ; puis dans les discours (les phrases réalisées) ; et dans la littérature (les œuvres de fond) qui font le meilleur et le plus profond du fond de ses usages… Dans le texte imprimé _ du livre lu _, on devine _ lecteur hyper-attentif _ plus ou moins visible par endroits, le texte caché _ premier, à la source même (de l’écriture) : pensé, murmuré déjà en sa tête par l’auteur qui le reçoit et s’y essaie… _ qu’on va tenter de rétablir _ y accédant à son tour de lecteur. Ainsi se crée cette chaîne ininterrompue des mots qu’on appelle « littérature », mais qui est une parole interprétée sans fin _ par les lecteurs devenant à leur tour auteurs _ par delà les années et les lieux.

Tout lecteur, comme tout écrivain, reprend _ voilà _ le fil, il continue _ oui _, il prolonge _ c’est exactement cela _, en espérant que Shariar _ la vie même, ou/et le lecteur captivé _, au matin, voudra bien surseoir à sa mort _ comme à celle de Shéhérézade dans les Mille et une nuits _ et lui permettre de reprendre _ continuer et poursuivre _ la suite. Un livre à lire, un livre encore à trouver ce matin, un livre _ bouée de secours, bouffée d’air respirable _ comme une main _ et un interlocuteur ! _ qui va vous aider à vous lever, et, si je l’ouvre, la journée pourra se passer, supportable enfin, contenue toute entière dans la tête d’un autre, et le fil _ voilà : le mot est décisif en ce livre, je l’ai déjà souligné _ ne sera pas rompu.

Combien douloureux d’être en revanche interrompu quand, recherchant une idée _ à formuler, donner forme _ et sur le point de la fixer, un importun vient vous troubler et rompre le fil _ du méditer-formuler. Le rompre à jamais ? Comme dans la mort de Bergotte, le vol du papillon qui jamais ne reprendra sa course, l’idée, ici enfuie, qui ne reviendra pas.« 

Et Jean Clair de poursuivre-développer ici ses réflexions sur l’écrire :

« Écrire un livre, se livrer. Cet abandon _ à l’image de celui de l’analysé se livrant au flux de sa parole incontrôlée, dé-chaînée, sur le divan de l’analyste _ suppose une pudeur _ protectrice _, qui vous tiendra _ ce moment-là au moins _ éloigné du monde _ et ses agressions. L’écrivain _ nous y revoilà en plein _ paie par son isolement _ au monde, aux autres _ la liberté de livrer _ ici sans la moindre retenue ni censure : sur la page _ ses sentiments. Ou bien livrer serait se délivrer. Le livre serait alors proche des libérations, des affranchissements qui vous autorisent à parler, à dire, à écrire« …

Puis, pages 278-279, à nouveau sur les modalités les plus sensibles de l’écrire :

« Écrire, se faire invisible. De l’auteur _ quand on le lit _, on entend _ parfaitement _ la voix _ la moindre de ses inflexions et des infimes variations des rythmes de son souffle _, mais on ne le voit pas. (…) A cet égard, c’est un dieu, la voix dont on ne voit pas le visage. Écrire, c’est entrer _ au présent du plus pur instant : celui du commencement, de l’initiative _ dans un temps délivré du temps _ contextuel immédiat, dont alors l’écrivant se sépare. On écrit, et du temps soudain on s’échappe _ au profit d’un pur présent ouvert et fécond, de notre intitiative : libre _ ; et l’on continuera d’écrire ; on poursuit, délivré du temps. La pendule n’a pas cessé de tourner mais sur le papier, un fil _ ouvert ou retrouvé, et nous reliant à notre histoire _ échappe _ se délivrant en l’audace libératrice de son initiative même _ au circulum diaboli du temps.

L’écrivain possède un pouvoir _magistral en dépit de la modestie-humilité de sa solitude _ qui a affaire avec les débuts, avec la naissance des mots, avec le bruit de la langue _ et de la parole formée _, si puissante dans son murmure, que ni les hommes d’action, ni les hommes politiques, de ceux qui croient dans leurs discours peser sur nos vies et emporter nos décisions, ne possèdent _ oui : leur réel à eux étant considérablement plus lourd. La force du for intérieur _ oui _ est le murmure des origines, que la lecture _ du lecteur, qui viendra _, comme une prière, déroule _ le retrouvant _ et permet au monde d’exister. Les mots que l’on écrit disent toujours _ sacralement en quelque sorte _, peu ou prou, nos dernières volontés _ et leur vigueur _ certes _ naît de cette nécessité _ testamentaire vitale. Mais l’on peut toujours modifier ces derniers mots« …


Sur ce sujet de l’écrire, le chapitre XXI, La fugue (aux pages 351 à 358) est encore plus décisif : explicite et magnifique de justesse.

À nouveau sur l’écrire et « ne pas casser le fil« , aux pages 351-352-353 :

« Se soumettre à l’analyse _ psychanalytique _, à peine quittée l’adolescence, et suivre pendant longtemps sa discipline _ de penser sans censure, mais pas anarchiquement, nous l’allons voir _, sans doute pousse à écrire _ et dans des buts que nous allons voir se préciser ; une source indéniable de ce qu’est « écrire«  vraiment pour Jean Clair. Ecrire au fil de la plume ou de la pensée _ les deux profondément liées _, sans trop voir _ à l’avance _ où l’on va, avec, ici et là, la même règle : dire tout ce qui vous passe par la tête. Pas de plan, pas de propos _ fixé _, pas de projet, mais le seul besoin de parler, d’enchaîner les mots, les uns après les autres _ l’un amenant de lui-même l’autre, le suivant, selon quelque improbable et pensée  (mais bien réelle) logique, insue jusqu’ici  _, pour échapper au vide mortel _ déprimant _ du matin et, dans leur embarras, trouver le début _ à poursuivre, un peu plus consciemment _ d’un sens.

Nulla dies sine linea, non la perfection d’un métier qui ne s’atteint qu’à ne pas s’interrompre, mais le souci de ne pas casser _ mais poursuivre, filer, dérouler _ le fil, le fil de la vie même, le fil de la plume, non pas le fil de la plume d’acier, non pas le fil de la plume d’oie, mais le fil du duvet fin et fragile du verbe, du textile dont l’entrelacs est pareil au fil arachnéen dont le tissu cérébral serait fait.

Un mot, parfois, du fond de la nuit _ et d’un rêve reçu _ me venait à l’esprit et s’attardait _ on ne sait comment _ au matin. Ce simple mot suffirait _ de sa force _ à me tirer du lit. Je n’aurais pas de plus grande hâte que d’aller vérifier son existence dans le dictionnaire, d’en découvrir l’étymologie, l’origine et l’histoire _ les filiations dans les langues et la langue _, et par conséquent qu’il avait raison d’exister. C’était comme une révélation théologique _ sacrée. Le mot, le simple mot, n’importe quel mot, redonnait la vie _ qui se fuyait dans une dépression _, après la nuit et son angoisse. Le jour serait nécessaire à _ voilà une direction (et directive) à suivre _ épuiser son _ très riche, toujours _ sens _ les usages des mots sont toujours très divers : pas univoques. 

(…) Un seul mot pour franchir le vide : « Sed tantum dic verbo, et sanatibur anima mea… » (…) C’est par la parole, verbo, et non par l’usage illimité _ sans règle, arbitrairement _ du verbum que vient _ oui _ la grâce. Qu’attend donc le patient de celui qui l’écoute, sinon d’entendre le mot qui va le libérer ?

La parole latine était si proche de ce qu’était _ ou de ce qu’aurait dû être en un autre lieu (que l’église) _ le mot de l’analyste _ et verbo sanabitur anima mea _, qu’il était un rappel à l’ordre. Il fallait écouter, et choisir ce qui délivrerait.

On pouvait passer des heures _ en effet _ à trouver le mot, le mot juste _ voilà _, qui donnerait à la phrase son assise _ oui : il en faut une _ et son sens _ c’est très exactement cela. Mal choisi ou mal taillé, il serait comme de ces cubes mal équarris qui font tomber le petit château des constructions enfantines. Le mot qui manque, et le monde s’écroulerait peut-être.

(Mais tout cela avait été _ hélas, après Dada _ compris à l’envers. « Les mots en liberté », dont les surréalistes avaient fait leur profession de foi, étaient un contresens, une impiété _ voilà. Il n’y avait pas de liberté _ anarchique, en folie _ des mots mais un choix, un respect, l’obéissance à un ordre.)

(Non, chacun désormais puisait dans la langue comme il l’entendait et il n’entendait rien. Il attrapait, goulu, déformait, mutilait les mots et les phrases, sans un instant penser à leur origine et à leur histoire _ en rompant les justes filiations : pourtant comportant de l’ouverture. Il croyait tout cela mis à disposition, depuis toujours, inépuisable, et renouvelée, les mots, comme la nourriture dans les supermarchés. Mais c’était une tromperie et, finalement, une catastrophe _ c’est bien le mot. On ne s’entendait plus _ non plus : chacun enfermé dans sa bulle ou les stéréotypes fallacieux. Il n’ y avait d’ailleurs plus rien à entendre _ hélas. Les « gros mots » _ et leur cancer _ avaient fini par remplacer les vocables qui avaient exprimé la finesse du monde _ voilà : en tout son nuancier délicat. La radio, les journaux, les livres mêmes désormais _ « encore un siècle, disait Nietzsche en 1884 en son Zarathoustra, et l’esprit va se mettre à puer«  _, débordaient de ces immondices« …

Et pages 354-355 :

« Les pouvoirs de la langue me semblent de plus en plus méprisés, au profit du bruit, du cri, de l’éclat, de tout ce qui vous assaille, blesse, écorne, meurtrit, déchire, dilacère, éparpille. Le son des radios et des écrans TV vous met l’âme en sang _ là où les mots des vieux prêches étaient, nés du silentium, des onguents, des pommades, des baumes _ apaisant.

(…) Qu’un mot, un seul, puisse vous faire ressaisir _ voilà ! _ le fil _ coupé, perdu _ de vos pensées, et le dérouler _ alors _ dans l’esprit avec la même sûreté, le même entrain et la même joie que si vous écriviez la phrase entière, la linea d’avant, c’est un miracle aussi confondant qu’en musique, quand un seul accord _ mais un accord musical est beaucoup  plus qu’un simple mot : déjà une expression un peu détaillée et complexe ; et bien et mieux plus lié, organiquement, à ce qui le précède et à ce qui va le suivre _, détaché _ de son contexte _ et par hasard entendu, avant même d’en connaître la suite, fait se dérouler dans votre oreille tout le fil de l’Orfeo de Monteverdi, du dernier quatuor de Beethoven, ou le dernier des Lieder de Strauss _ mais, déjà, cela convient mieux à certaines œuvres, telle aussi celles de Bach ou de Mozart, qu’à d’autres, comme par exemple l’œuvre de Debussy ; lequel détestait que l’oreille puisse se représenter à l’avance et prévoir ce qui allait suivre… L’enchaînement des sons y est d’une rigueur _ ou plutôt perfection musicale ; le mot « rigueur«  ne me paraît pas ici approprié _ telle, au plus profond, là où, précisément, si l’on cherche à savoir, on ne se souvient de rien, que c’est la linea _ musicale _ qui sans effort se déroule en vous, dès la première note » _ mais la cohérence-consistance d’une œuvre musicale n’est pas du même ordre, ni de la même intensité, que la cohérence-consistance d’une œuvre littéraire, considérablement moins organique. Et Jean Clair va bientôt lui-même, dans les lignes qui suivent, en convenir…


La confrontation entre littérature qui suit immédiatement, pages 355-356, est, ainsi, très intéressante :

 

« Deux secondes, un simple accord, et de longs moment superbes vont résonner, comme s’ils étaient inscrits, sans qu’on pût les voir, dans une légende invisible sous les portées _ tout ce que déteste un Debussy, par exemple, dans les œuvres musicales germaniques _, un texte caché, une parole dont on croit entendre les mots, écrite avec la même nécessité que les textes dans les Evangéliaires, au point que le prodige de la mémoire, qui nous restitue des partitions entières, nous fait comprendre comment la création, qui opère sur des durées infinies, est tout entière dans l’instant qui la déclenche, et fait que la musique tient en effet beaucoup plus du miracle qui survient que de la logique que l’on suit, dans une opposition qui contient sans doute la meilleure part de son enchantement, au point qu’elle a le pouvoir de se passer des mots pour dire précisément la plus subtiles des émotions, qui se trouve aussi la plus rigoureuse et la plus attendue _ mais cela seulement l’œuvre une fois très bien connue, et son charme idéalement assimilé ; certainement pas à la première écoute.

« Ich schreibe jeden Tag eine kleine Fugue für den lieben Gott« , la profession de foi de Jean-Sébastien Bach, chaque jour redite

La littérature _ à la différence de la musique selon Jean Clair : mais entend-il cela aussi, au sein de la littérature, de la poésie ?.. _ s’entend toujours pour la première fois. C’est comme si jamais encore on n’avait lu ces mots, lors même qu’il arrive qu’on les relise pour la seconde ou la troisième fois. La musique, en revanche, on l’a _ nous semble-t-il _ toujours entendue, lors même qu’on la découvre. Tout se passe comme si l’on se souvenait d’elle _ comme si la musique, elle, était inscrite de toute éternité ! _, alors qu’on n’en sait rien encore. De quel fond resurgit-elle, alors que la littérature semble toujours arrivée du futur ? _ mais aurait-on pu dire cela aussi des poèmes d’Homère ou de la Chanson de Roland, retenus et retransmis par cœur ? On peut avoir les larmes aux yeux en écoutant Mozart ou Wagner _ à l’Opéra, après et à la suite de tant de mélomanes qui connaissaient effectivement Don Giovanni ou Tristan par cœur  _, comme si le son revenait d’un passé _ c’est-à-dire d’une tradition d’audition passionnément suivie et continuée _ très ancien que l’on redécouvrait _ à notre tour _, bouleversé, avec l’émotion de celui qui retrouve ce qu’il avait oublié et lui était si cher, alors que lire tel ou tel écrivain _ mais solitairement, pas avec d’autres en une salle de concert _, quand même ils nous sont chers et qu’on connaît leurs écrits, ne nous tire pas une larme _ de reconnaissance-retrouvaille avec ce qu’on a déjà lu _, mais nous projette chaque fois vers ce qui arrive _ dans l’œuvre, et nous surprend à nouveau _, nous réveille, nous suscite, au mieux nous tire de notre angoisse ou calme notre souffrance »…

C’est aussi que notre rapport à la littérature n’est pas le même que notre rapport à la musique. et que la langue de la littérature n’est pas non plus celle de la musique : et cela qu’il s’agisse de lire (de la littérature) et écouter (de la musique), ou d’écrire (de la littérature) et composer (de la musique).

En tout cas, maintenir-garder ou ressaisir-retrouver le fil et les filiations est donc on ne peut plus vital pour Jean Clair.

Ce vendredi 2 août 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le superbe « Nettoyer une expression » de Marie José Mondzain en son « Confiscation des mots, des images et du temps »

15mar

Aux Éditions des Liens qui libèrent, Marie José Mondzain vient de faire paraître, le 22 février dernier, un magnifique et dynamisant Confiscation des mots, des images et du temps ;

qu’elle a pris soin de m’adresser ;

et que j’ai lu cette fois à nouveau avec intense jubilation, tant je partage,

(depuis mes lectures de Image, icône, économie _ les sources de l’imaginaire contemporain, en 1997, L’Image peut-elle tuer ?, en 2002, Le Commerce des regards, en 2003, Homo spectator : voir, faire voir, en 2007, Images (à suivre) : de la poursuite au cinéma et ailleurs…, en 2011, pour m’en tenir à ses ouvrages proprement théoriques, si je puis dire, assez improprement…),

et combien profondément !, ses analyses

_ cf mes articles du 26 novembre 2011, Dans et par le battement des images, les aventures du sujet (tenir bon ou céder) vers sa liberté : le livre (montanien !) « Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs » de Marie-José Mondzain », et du 22 mai 2012, Sur nos propres opérations imageantes face à l’imageance même de quelques chefs d’oeuvre de l’Art _ au cinéma et ailleurs _, le regard lumineux de Marie-José Mondzain en sa conférence à la librairie Mollat le 16 mai 2012 », celui-ci après notre entretien à propos de cet Images (à suivre) dans les salons Mollat le 16 mai 2012… Et Homo spectator constituant une référence quasi permanente sous ma plume…

Au passage, je remarque l’identité de l’expression « opérations imageantes« 

sous la plume de Marie-José Mondzain,

et dans la bouche de Michel Deguy, qui lui parle d' »opérations poétiques« , en notre (merveilleux !) entretien (de 75′) à la Station Ausone jeudi dernier 9 mars,

à propos du magnifique et très riche La Vie subite (aux Editions Galilée) de cet immense penseur, poète et philosophe _ et à chaque ré-écoute de ce podcast, je me surprends à rire chaque fois davantage de la finesse toujours discrète, mais bien perceptible, de l’humour, en sa parole, en son souffle, en son rythme, du merveilleux Michel Deguy…

Cf aussi mon article du 23 décembre 2009 sur le livre décisif de Martin Rueff sur la poétique de Michel Deguy, Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel :

la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du « culturel » : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff

Or, en regardant d’un peu près la bibliographie de Marie-José Mondzain, je constate qu’en novembre 2008 est paru un recueil d’articles en hommage à Roland Barthes, intitulé Vivre le sens, qui rassemblait les signatures de Marie-José Mondzain et de Michel Deguy, ainsi que celles du grand Carlo Ginzburg, d’Antoine Culioli et de Georges Didi-Huberman.

Cette proximité de penser entre Michel Deguy et Marie-José Mondzain, me frappe donc.

Fin de l’incise ; et retour à la lecture de ce Confiscation

La quatrième de couverture de ce Confiscation résume excellemment à la fois les origines et les finalités de l’exercice exigeant du penser

auquel se livre, à nouveau ici, cette chère Marie-José Mondzain ;

la voici donc, pour commencer, cette quatrième de couverture, avec mes farcissures :

Confiscation

Ne faut-il pas rendre _ voilà ! _ au terme « radicalité » sa beauté virulente _ vivement réveillante ; mais c’est aussi qu’il y a péril aux endormis ! _ et son énergie _ rendant effectivement le courage de se remettre bien debout, ainsi que la vaillance de s’y tenir _ politique ?

Tout est fait aujourd’hui _ par la très massive propagande (et incessant pilonnage) des médias inféodés aux pouvoirs dominants des puissances d’argent _ pour identifier _ faussement, malignement : George Orwell, au secours ! _ la radicalité aux gestes les plus meurtriers et aux opinions les plus asservies. La voici réduite à ne désigner _ aux oreilles et yeux des adhérents à cette doxa  dénués du moindre esprit si peu que ce soit critique : le public addictif de leurs suiveurs dociles…  _ que les convictions doctrinales _ fossilisées en dogmes arrêtés très vite fermés à la moindre ombre d’interrogation ou de soupçon tant soit peu critique _ et les stratégies _ les plus cyniques et mortifères _ d’endoctrinement.

La radicalité _ véritable, et probe _, au contraire, fait appel au courage _ ainsi qu’à la vaillance : versus paresse et lâcheté ; cf l’actualité comme jamais aujourd’hui de Kant en son lumineux Qu’est-ce que les Lumières ? _ des ruptures _ vis-à-vis de ces doxas et catéchismes en tous genres _ constructives _ elles, et véritablement _ et à l’imagination la plus créatrice _ cf ici le merveilleux L’Institution imaginaire de la société du plus grand que jamais Cornelius Castoriadis ; alors que le livre est paru en 1975.

Cf aussi les divers volumes de ce grand livre qu’est Le Principe Espérance, d’Ernst Bloch.

La véritable urgence _ à l’encontre de toutes celles qui acculent, de plus en plus massivement de jours en jours, d’années en années, au burn-out ; cf le remarquable travail de Pascal Chabot en son très incisif Global burn-out, paru en janvier 2013 _ est bien pour nous le combat _ à mener, sans relâche et sans fin, sans jamais renoncer _ contre la confiscation _ voilà ! _ des mots, des images et du temps _ mots, images et temps (de la vie, unique, pour chacun) constituant les tous premiers biens fondamentaux de notre humanité véritable (inlassablement en chantier de construction !), en tant, à la fois, que personnes et que citoyens, pour le moment encore, du moins ; et biens qui sont, en les divers usages que nous avons à en faire, en permanence à élaborer, former, forger, élever, construire, affiner, et pas seulement réparer au fur et à mesure des raréfactions, dégâts, blessures, mutilations, disparitions, aliénations (surtout insensibles ; cf la grenouille ébouillantée peu à peu, à petit feu, sans qu’elle cherche à nul moment à sauter hors du bocal…) qu’ils subissent.

Ici, que devient l’école ? Et son service public ? Cf le grand livre (indispensable !) de Denis Kambouchner, L’École, question philosophique, paru en 2013, ainsi que mes (modestes) articles des 24 février et 14 mars 2013 sur ce livre majeur : Penser vraiment l’école : l’indispensable et urgent débrouillage du philosophe _ l’admirable travail de Denis Kambouchner et Ecole et culture de l’âme : le sens du combat de Denis Kambouchner _ appuyé sur le « fait du bon professeur »

Les mots les plus menacés sont ceux que la languetelle une nouvelle LTI ; cf la lumineuse analyse de Victor Klemperer à l’égard des dégâts opérés sur la langue allemande de Goethe par la langue des Nazis : LTI, la langue du IIIe Reich _ Carnets d’un philologue  _ du flux mondial de la communication verbale et iconique _ existe en effet aussi un terrible impérialisme des images (dont celles des nouveaux multi-médias) que décrypte si bien Marie-José Mondzain _ fait peu à peu disparaître _ rien moins : la langue, vivante, en effet, évolue au fur et à mesure de ses usages, et en particulier, forcément, de ses usages statistiquement dominants ! via les médias de masse _ après leur avoir fait subir _ à ces mots les plus menacés : ici la réflexion de Marie-José Mondzain se focalise sur les mots « radicalité« , « radicalisation« , « déradicalisation«   _ torsion sur torsion _ voilà _ afin de les plier _ voilà _ à la loi du marché _ et de ce que leurs commanditaires cherchent à faire croire au public adhérant et vite captif, en addiction ; sur le marché (et la révolution culturelle libérale), cf Dany-Robert Dufour : Le Divin marché. Peu à peu, c’est la capacité d’agir _ voilà _ qui _ par la paresse et la lâcheté induites par ces habitudes de croire, et de croire penser ! _ est anéantie _ voilà ! de plus en plus monopolisée qu’elle est, cette « capacité d’agir« , par les pouvoirs de l’argent et ses séides, affaiblissant jusqu’à ceux qui s’y opposent et leur résistent _ par ces confiscations mêmes, qui veulent anéantir toute énergie transformatrice _ qui irait au détriment de (et en résistance à) leurs intérêts de pouvoir (surtout financier). Si ces propositions font penser que je crois dans la force révolutionnaire de la radicalité _ vraie : créatrice et libre, imaginante _, on ne s’y trompera pas, à condition de consentir à ce que la révolution ne peut exister qu’au présent. La lutte n’est et ne sera jamais finale, car c’est à chaque instant que nous sommes _ en permanence, sans relâche, y compris et d’abord physique, nerveuse… _ tenus _ voilà ! C’est là le devoir même

(à l’égard de soi comme surtout des autres : je déteste personnellement l’expression « se devoir de«  quand elle se substitue à l’élémentaire et très impératif « devoir«  ! telle la racine des plus éhontés cynismes sans vergogne ! auxquels nous assistons maintenant, aujourd’hui même, de la part de politiques aspirant (ô la belle exemplarité !) à la fonction présidentielle !!!) ;

c’est là le devoir même d’assumer sa condition d’humain, peu à peu conquise, à l’échelle des peuples comme à celle, aussi, des indivividus-personnes-citoyens ; mais ce qui a été gagné et s’est construit, à la fois lentement, mais aussi par sauts, par bonds, peut, forcément, aussi se détériorer, s’abimer, se ruiner, se perdre et être perdu, peut-être, ou parfois, sans retour ; « Civilisations, nous savons que nous sommes mortelles« , mais résistons !.. _ ;

car c’est à chaque instant que nous sommes tenus

d’être les hôtes _ accueillant _ de l’étrange _ cet étrange même à oser (« Sapere aude ! » est bien la devise des Lumières, comme nous l’a appris Kant), à oser concevoir, oser penser, donc, par ce que personnellement je nomme « imageance« , à partir de ce que Marie-José Mondzain, quant à elle, nomme « opérations imageantes«  _ et de l’étranger _ en un devoir d’hospitalité et d’accueil _ pour faire advenir ce _ c’est-à-dire cette radicalité créatrice, donc _ qu’on _ c’est-à-dire ces pouvoirs et leurs inféodés _ nous demande justement de ne plus attendre et même de repousser _ avec agressivité, colère, fureur, même. La radicalité n’est pas un programme _ ni a fortiori un complot _, c’est la figure de notre accueil _ authentiquement créatif ; du moins s’y essayant : à la Montaigne en ses Essais… ; et de ce qui s’y partage _ face à tout ce qui arrive _ de non programmé, et cela via quelque algorithme que ce soit _  et ainsi continue de nous arriver _ pour peu que ces arrivées-là, en leur diversité, hors de nous et aussi en nous, ne soient pas tout bonnement assassinées, noyées, anéanties et effacées de ce qui s’expérimente jusque dans le plus quotidien.

Pour moi,

le fond du problème _ civilisationnel _ abordé dans ce livre important, consiste dans le crucial et complexe processus de constitution et destruction-annihilation

(menant, non pas à quelque « radicalisation« , mais bien à ce qu’il faut qualifier de « fanatisme » : par « fanatisation« , donc, si on veut, pour bien nommer ce processus _ cf ici les fortes analyses d’Étienne Borne, en son lucidissime Le Problème du mal, publié en 1958 aux PUF)

de la subjectivation _ concept détaillé notamment par Michel Foucault _ dans le devenir même, tout au long de leur vie, des personnes ;

avec la place qu’y prennent et occupent

et la liberté

_ ainsi que la responsabilité qui va avec, notamment face au mal ; cf à propos du constat, pages-131 130, qu’« il n’y a pas de réelle contradiction entre la radicalité du mal chez Kant, et la banalité du mal chez Arendt, parce que l’un et l’autre reconnaissent l’irréductible liberté propre à tout homme. La radicalité renvoie à l’énigme de la liberté, la banalité à la possibilité pour tous de devenir le sujet du mensonge et de la cruauté« , les deux superbes citations, pages 131 et 133, empruntées à l’article, en 1994, Kant et l’idée du mal radical, de Myriam Revault d’Allonnes : « On voit déjà pourquoi le mal radical peut être dit « banal » : il est radical parce qu’il est banal. Il est le mal de tous, même si tous ne le font pas. » et « C’est nier l’insondable pouvoir de la liberté que de vouloir _ par une politique de la régénération (on dirait aujourd’hui « déradicalisation«  !) _ extirper du cœur de l’homme jusqu’au désir de faire le mal : le mal est le mal de la liberté«  : c’est très clair ! _

dans le moindre de nos actes,

et aussi, justement, la radicalité _ voilà ! _ de nos opérations imageantes, à chaque instant ;

radicalité telle que l’analysent _ à partir, par exemple, de quelques lectures très précises de Platon (Timée) ou Aristote (De l’âme) _ un Cornelius Castoriadis,

mais aussi un Ferdinand Deligny, thérapeute,

ou un Masao Adachi, cinéaste,

dans les analyses passionnantes qu’en livre ici Marie-José Mondzain.

Sur le fanatisme

_ un mot curieusement absent ces derniers temps ; et plutôt que de « radicalisation« , pourquoi ne parle-t-on donc pas, ou plus, de « fanatisation » ?.. _ 

comme une des « trois figures essentielles du mal humain« ,

voici ce que disait en 1958, en Le Problème du Mal, Étienne Borne :

Le devoir, inséparable d’une attitude polémique contre le mal, c’est-à-dire de débat _ voilà _ et de combat avec le monde et les hommes, trouve sa vérité philosophique et concrète dans la passion. Rien ne trahit plus le cœur humain que la réduction de la vie morale à une lutte de la raison contre les passions en vue de la possession d’une sagesse paisible. Ôtée la passion, il ne resterait de l’homme qu’une plate caricature, une ombre sur un mur _ oui : désubjectivée… L’immoralité lorsqu’elle va jusqu’au bout d’elle-même poursuit la même dégradation : le propre du vice est d’être sans passion, comme un rituel et une mécanique _ voilà. L’Enfer est le désert de la passion et il faudrait le dire de glace et non de feu _ en effet ! L’homme entre _ oui _ en immoralité l’expression est bien intéressante ! _ lorsqu’il organise la fuite _ oui, par un dispositif _ devant la passion, comme l’avouent si elles sont correctement interrogées les trois figures essentielles du mal humain, le dilettantisme, l’avarice, le fanatisme. Les décrire serait la tâche d’une phénoménologie morale ; on se contentera de les analyser brièvement comme autant de philosophies en action _ contre lesquelles mettre en garde.

Le dilettantisme est un don juanisme _ voilà _ du cœur, des sens et de l’esprit. Rendez-vous élégant de tous les humanismes et de toutes les cultures, produit précieux des civilisations décadentes par excès de richesses, le dilettantisme est monstrueusement intelligent, il excelle à montrer la relativité et le mélange indéfinis du bien et du mal dans les intentions et les actions humaines, il se garde de la partialité et de l’engagement comme d’une grossière faute de goût, il se réclame des apparences successives et contradictoires de la nature et de l’histoire. Le dilettante pratique une technique d’évanouissement du mal _ voilà ! _ qui fait du monde un beau mensonge. Parce qu’il refuse la passion, l’accès à l’existence lui est interdit _ oui. Parce qu’il a peur de prendre le mal au sérieux dans l’angoisse _ que nous avons à assumer, en dépit de son inconfort immédiat _, toute réalité et la sienne propre deviennent de purs possibles sans substance. Le dilettante ne vit pas, il a l’air de vivre _ désubjectivé qu’il est.

L’avarice, en dépit d’un lieu commun tenace, n’est pas une passion. Ne pas vouloir dépendre, s’enfermer dans un système de sécurité, chercher une expérience de parfaite suffisance à soi, c’est l’avarice même _ oui _ et le contraire de la passion qui est l’épreuve continue _ oui : splendide vérité ! _ d’une vulnérabilité à autrui _ voilà : la passion s’expose à l’altérité, et dans la durée longue de la fidélité. L’avare vrai est Gobseck et non pas Harpagon, ce timide, inconséquent et comique apprenti. L’avare intégral entasse l’argent pour ne rien devoir à personne et pour avoir entre ses mains l’infaillible solution de tous les problèmes, pour constamment se retirer et dominer sans le faste puéril du pouvoir visible, bref pour tenir toujours efficacement le mal _ de la dépendance envers autrui _ à distance. L’argent n’est qu’un moyen _ mais très général, en l’apparence de son efficace _ d’y parvenir, plus vivement symbolique, parmi beaucoup d’autres. Le pharisaïsme, ce respect littéral de la loi, qui demande austérité et vertu réelles, est une technique sûre _ car littérale et mécanique _ de préservation du péché et par conséquent une forme d’avarice et une même carence de passion. L’avare est toujours ce prudent, ce vertueux qui a la morale avec lui et qui a su se séparer du mal. Incapable de reconnaissance, il se perd dans une ingratitude de dimensions métaphysiques, parce qu’il n’a pas voulu s’engager _ voilà _ dans la passion qui dissout _ en effet _ les sécurités _ et les prévisibilités _ et dans le risque qui s’ouvre à _ l’inconnu de _ l’espérance.

Le dilettante et l’avare étaient des êtres de solitude, des hommes psychologiques ; le fanatique est un être de communauté, un homme foncièrement sociologique _ un suiveur de pur conformisme. Le dilettantisme était une esthétique universelle, l’avarice un absolu de morale, le fanatisme est une religion politique _ oui _ qui entend résoudre dans l’histoire le problème du mal par des techniques d’écrasement et d’extirpation radicale _ par le meurtre généralisé.  Il professe une doctrine de salut par la nation, la classe ou le parti. Le fanatique est aussi bien esclave terroriste que maître despotique : c’est le même esprit de tyrannie, le même manichéisme qui ne supporte pas le partage des valeurs, le dialogue _ voilà _ des expériences _ une expression que reprendrait, j’en suis sûr, Marie-José Mondzain ; mais pour qu’il y ait « expérience« , encore faut-il qu’il y ait un « sujet«  ; et que celui-ci ait pu, déjà, se constituer en un processus un peu développé de « subjectivation« … ; là-dessus, relire Walter Benjamin et Hannah Arendt… _ et qui a besoin pour se rassurer _ mais très mal ! et pas vraiment ! très illusoirement !!! _ sur le bien et le vrai d’une unification _ artificieuse et criminelle _ des consciences _ réduites alors à de purs réflexes pavloviens !!! et panurgiques… _, impériale, charnelle, violente. Familier des procès d’hérésie, le fanatique poursuit à la fois le déshonneur, la réfutation et la mort de l’adversaire. Sa cruauté est le fruit d’une haine sans passion _ la passion impliquant toujours, elle, un processus long et complexe ; et comportant un engagement envers l’autre, ou envers de l’altérité en son objet visé _ qui s’exerce légalement, mécaniquement _ voilà _, rituellement _ aussi. Le fanatique réduit ses victimes à une condition anonyme, substitue à leur visage concret _ voilà _ la définition abstraite de l’hérétique et du traître _ ôté tout visage… Il résout le problème du mal par la destruction des méchants, comme on vient à bout d’une invasion de microbes et d’un vol de sauterelles _ ou d’une infestation de poux. Mais dépersonnalisant _ et désubjectivant _ l’esprit et lui ôtant la moindre opération d’imageance _, perpétuant la guerre par sa mythologie de la dernière des guerres avant la victoire totale, il paraît parfois se confondre avec l’esprit du mal.

Dilettantisme, avarice et fanatisme ne cessent d’ajouter au mensonge, à l’ingratitude, à la haine ; ils sont le mal parce que dès le départ ils ont refusé cette participation au mal dans l’angoisse _ celle de la liberté (et de la responsabilité), et aussi de l’amour _ qui est la seule voie _ qui prend toujours un minimum de temps, de réflexion, voire de débat avec d’autres, qui soient des interlocuteurs proposant des objections, un dialogue _ vers la libération ; chacun d’eux est un système cohérent et fort de liquidation _ annihilation _ du mal, une solution intégrale _ supposée ! _ du problème — ; et vécus ils aboutissent à une exaspération du mal. Il manque aux moralismes comme aux immoralismes de connaître que la passion est la substance de la vie ; ou plutôt ils n’en ont que trop conscience, tant sont savantes et habiles les précautions qu’ils prennent pour ne se point brûler à cette flamme.

La passion sera alors pour la conscience morale critère d’authenticité. L’âme du devoir est ce prophétisme qui, depuis les temps de l’ancien Israël, se manifeste par la dénonciation des tyrannies et des servitudes, la protestation contre l’iniquité de la mort, la guerre aux idoles, c’est-à-dire au partage de Dieu en valeurs ennemies. Le dilettantisme oubliait, en moquant l’esprit de sérieux, que la colère et l’indignation sont les premiers sentiments moraux. La conscience morale ne sera fidèle à sa propre essence que si elle ne renie pas ses origines. En ce premier sens et comme par enracinement _ à nouveau du radical _, le devoir est déjà passion, ou dilettantisme vaincu.

Fin de citation.

Ici,

et commentant le nettoyage entrepris superbement par Marie-José Mondzain des mots et expressions à partir de « radical« , « radicalisé« , « radicalisation » et « déradicalisation, »

je mettrai donc l’accent sur l’apport magnifique à l’intelligence des enjeux de ce qui nous _ sujets que nous essayons de constituer _ menace et de ce contre quoi il nous faut défendre les sources et ressources _ oui _ de notre liberté la plus effective, efficiente et la plus concrète _ à l’œuvre et en œuvres _ à déployer, développer, épanouir, faire resplendir en actes et en œuvres dans la joie,

que constituent et donnent les trois derniers chapitres de Confiscation,

que Marie-José Mondzain intitule « Image » (aux pages 143 à 164), « Zone et zonards » (aux pages 165 à 189) et « Paysages » (aux  pages 193 à 207).

Analysant, au sous-chapitre (d' »Image« ), qu’elle intitule justement « L’imaginaire radical » (aux pages 153 à 164), les démarches et positions-propositions très riches de Cornelius Castoriadis,

Marie-José Mondzain précise, page 156 :

« L’image est justement le site _ un terme à méditer _ inassignable _ voilà ce qu’elle va, et très brillamment, expliciter et justifier : notamment en commentant, un peu plus loin, au chapitre suivant, certaines pages (37 d) du Timée de Platon, à propos de la « Chôra«  ; et, aussi, des pages du traité De l’âme d’Aristote, à propos du « Diaphane« … _ qui met _ avec audace et pertinence à la fois _ en rapport _ dynamisant et fécond _ ce qui est _ apparemment, au départ du penser-juger, pour soi-même, en son effort courageux de méditation-analyse-prospection _ sans rapport« .

Et, page 157, elle cite l’extrait suivant de la page 481 de L’Institution imaginaire de la société, de Cornelius Castoriadis :

« La représentation est la présentation perpétuelle, le flux incessant dans et par lequel quoi que ce soit se donne. (…)

Le flux représentatif fait précisément voir _ percevoir, concevoir _ l’imagination radicale comme transcendance immanente _ expression-oxymore  que ne renierait pas Michel Deguy ! _,

passage _ voilà ! _ à l’autre _ en son altérité profonde de départ _,

impossibilité pour ce qui « est » d’être

sans _ simultanément _ faire être _ voilà ! _ l’autre (…)

En tant qu’imagination radicale _ nous y voilà ! _,

nous sommes ce qui « s’immanentise » dans et par la position d’une figure

et _ d’un même inséparable mouvement _ « se transcende » en détruisant cette figure par le faire-être d’une autre figure« .

Extrait que Marie-José Mondzain commente aussitôt ainsi :

« L’écriture de Castoriadis est en général si claire qu’on ne peut qu’être encore surpris _ et ébranlé _ par la difficulté et l’absence de fluidité qui surgissent ici dans son expression même« .

Et elle poursuit ce très significatif commentaire pensif, voire interrogatif, de l’extrait, un peu plus loin (page 160) :

« Cet extrait énigmatique est un véritable tour de force conceptuel _ nécessaire et fécond, en son défi _

qui fait qu’une source obscure et même ténébreuse _ plus loin, elle va lui appliquer le terme de « zone«  _ éclaire de tous les feux de l’incarnation _ encore elle ! _ ce qui donne naissance non seulement au sujet _ voilà _, mais à la société tout entière.

Elle est le brasier nucléaire,

détenteur d’une puissance quasi atomique

et sans lequel il n’y a ni invention de l’ordre ni création des événements de l’histoire « .

Et encore :

« Le texte mérite qu’on y examine de plus près les termes _ oui _ dans lesquels l’hypothèse de « l’imagination radicale » plaide pour la radicalité de toute exigence _vraie _ de _ vraie _ liberté, qu’elle soit individuelle ou collective« .

Et cela pour mettre l’accent, page 161, sur le fait que

« chez Castoriadis, la défense de la radicalité

modifie la fable _ du labyrinthe de Dédale et du fil d’Ariane (à impérativement suivre à rebours afin de parvenir à s’en sortir) _

et lui confère au contraire son tranchant »

_ et cela, à l’exact inverse de la pensée « qu’il tient à la continuité _ douce et réconfortante _ d’un fil qu’il suffirait de suivre en le faisant défiler dans sa main _ d’instituer la fidélité des trajectoires et de permettre à la fois d’en finir avec la terreur _ telle celle du Minotaure _ et de retrouver la lumière vivante de l’ordre »

Et de poursuivre :

«  »Tranchant » est un mot radical et fondateur _ voilà, les deux ! _ dans le labyrinthe des explorations, des carrefours et des choix _ à effectuer.

Trancher, c’est choisir en opérant une coupure ;

et pour cela il faut que le fil soit celui du rasoir,

celui de la lame aiguisée, prête pour le combat « .

Ainsi, Marie-José Mondzain avance-t-elle, pages 162-163 :

« Le tranchant du fil _ avec la conséquence de la déprise-rupture qui s’ensuit _ transforme _ donc _ le récit labyrinthique

car le triomphe du Minotaure ne tient qu’à un fil, et sa défaite aussi.

Si le labyrinthe est une affaire

non plus d’architecte abritant la voracité « d’un monstre de la folie unifiante »,

mais de géographe et de géomètre,

alors ce qui importe à chaque carrefour _ voilà _,

ce n’est pas, comme pour le Petit Poucet, de conjurer l’égarement par la conservation des traces ou la continuité d’un fil,

mais au contraire de créer la scène de la séparation _ ou audace de la déprise _ :

pas de fil d’Ariane,

mais à chaque carrefour un combat

pour pouvoir emprunter justement le chemin barré.

La ruse salvatrice du fil d’Ariane consistait à retrouver son chemin,

donc à pouvoir rebrousser

afin de sortir par une issue qui n’est autre que l’entrée elle-même.

Bien au contraire, les carrefours du labyrinthe sont des sites décisifs, sans retour _ voilà ! _,

dont le franchissement ne s’opère qu’en termes de lutte et d’énergie imaginaire c’est-à-dire créatrice.

Pour Castoriadis,

on ne peut pas se perdre si on invente _ soit un acte d’institution imaginaire : acte(s) d’institution de soi comme sujet, comme acte(s) d’institution de la société _ la suite _ cf ici les analyses de ce que sont la « suite » et la « poursuite » dans le travail précédent de Marie-José Mondzain : Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleursAinsi que mes articles : Dans et par le battement des images, les aventures du sujet (tenir bon ou céder) vers sa liberté : le livre (montanien !) « Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs » de Marie-José Mondzain et Sur nos propres opérations imageantes face à l’imageance même de quelques chefs d’oeuvre de l’Art _ au cinéma et ailleurs _, le regard lumineux de Marie-José Mondzain en sa conférence à la librairie Mollat le 16 mai 2012

Choix radical et créateur sur un territoire construit et pensé comme un réseau de chemins _ se croisant, se ramifiant _

où l’on évite les fils _ non créateurs _ de retour et ceux de l’égarement. »

« Le labyrinthe impose _ ainsi _ la nécessité _ courageuse _ du saut (…),

le choix d’une voie périlleuse dont l’issue ne tient pas à la continuité d’un fil,

mais qui tisse lui-même _ de son initiative _ le fil arachnéen où vient se poser _ maintenant, hic et nunc _ son pas et s’inventer son itinéraire.

On ne subit pas le labyrinthe comme un piège préétabli et élaboré par d’autres pour notre perte,

on évolue labyrinthiquement dans des espaces sans retour _ mais qui ont une histoire, et qui, aussi, vont la faire _

dont l’énergie inaugurale _ voilà : aude sapere ! _ nous est sans cesse à charge _ avec espérance.

Quand l’énergie de la provenance n’est autre que celle de la destination elle-même,

les carrefours et les bifurcations inscrivent dans l’espace des zones _ le mot apparaît ainsi ici _ imprévisibles

où se décide à chaque instant _ par nous comme sujet décidant, et sur le champ _ une forme _ voilà _ sans précédent.« 

Avec cette conclusion, pages 163-164, de ce chapitre « Image » et cette sous-partie « L’imaginaire radical » :

« L’image est l’apparition _ survenant alors _ de cette forme ;

la zone est le site de cette géographie des possibles _ s’esquissant ainsi, et ayant à se préciser, dessiner, par nous.

Et on appelle peut-être « artiste« 

le corps qui donne à l’apparition de cette forme une visibilité autorisant le partage,

c’est-à-dire donnant à ce partage le nom d’un acteur qui est celui d’un auteur.« 

Et « c’est à partir de cette zone _ nécessairement indistincte au départ, en même temps, et surtout, que formidable gisement-source d’énergie… _

que je propose

d’inscrire un nouveau déploiement de la radicalité imaginative _ voilà _,

créatrice d’espaces et de temporalité communs » ;

et « je déplacerai le curseur de la lecture de Platon,

pour y repérer (…) une indication fondatrice du rapport de l’image à la temporalité

et à l’exercice étonnant qu’il fait de sa propre fantasia

pour penser l’inscription radicale de l’image dans un site _ ou « zone » _ d’absolue indétermination« .

Dans le chapitre suivant intitulé « Zone et zonards« , pages 165 à 189 _ de Confiscation,

et à partir des lectures _  commentées _ de passages du Timée de Platon par Cornelius Castoriadis et Jacques Derrida,

Marie-José Mondzain en vient, page 167 et suivantes,

« au point nodal où la problématique de l’eidos _ l’idée _ croise _ voilà _ celle de l’eikôn _ l’image.

Platon, plus haut dans le Timée, avant d’inscrire et de décrire son « imaginaire radical »,

avait nommé le temps image _ eikôn _ mobile de l’éternité (37d, 5).

Dire du temps qu’il est image,

et dire de cette image qu’elle est éternité en mouvement,

est une formulation d’une audace et d’une puissance inouïe oui !

Dans une formule de trois mots,

Platon hausse eikôn à hauteur de la zone où se joue le devenir sensible et visible du monde intelligible lui-même,

en se déployant dans le réel selon le nombre en mouvement.

L’image est donc ce qui met en relation dans le temps,

l’éternité de l’idée

et l’espace où nous expérimentons la réalité sensible du devenir dans son apparition _ même.

L’image est apparition voilà ! _ de l’idée dans le monde du devenir temporel.

Mais Platon veut aussitôt préciser la nature de ce « lieu » inassignable,

celui du troisième genre de l’être

où cette relation opère,

où l’eikôn est mouvement de l’eidos, de l’idée en son éternité.

L’image est pour toujours du « troisième genre », lieu non de l’être, mais du « naître ».

C’est pourquoi l’étape suivante de la méditation platonicienne

vient répondre à la question du lieu de naissance _ voilà _ de l’apparition sensible de l’idée.

Platon imagine, au sens plein _ voilà _, la béance _ voilà _ de ce lieu vide _ vacant _ qu’est le site de la gestation du visible.

Il en fait l’hypothèse, le fait surgir, comme si c’était un néologisme, sous le nom de chôra.

Evidemment, ce mot n’est pas un néologisme,

il existe à côté et à distance de topos, qui est le mot de la localisation (…).

Et pourtant, atypique, chôra arrive ici dans le champ philosophique comme une énigme lexicale

qui n’en finira pas de poser un problème de traduction.

Dans la langue commune, il désigne l’espace non urbain.

Il est le champ qu’on peut cultiver, le hors-champ de la cité,

qui échappe à la détermination des limites et des institutions.

Ainsi le mot va-t-il occuper un site intermédiaire,

entre friche et culture, bornage et illimitation,

dont le nom a la porosité de la membrane qui sépare et compose le voisinage entre le logos, qui le désigne, et le muthos, qui l’hallucine.

Platon, pour l’introduire, doit absolument inventer _ oui ! _ ce troisième genre de l’être (triton genos)

qui ne relève

ni du monde intelligible et solaire des idées,

ni du monde des ombres sensibles propre aux incertitudes et aux apparitions précaires.

On doit donc imaginer _ voilà ! _ une « zone » _ voilà ! _ d’où un régime de visibilité surgit _ voilà ! _

à l’image _ seulement, certes _ de l’éternité _ mais incarnant bel et bien celle-ci ! _,

une « zone » d’indétermination originaire _ et féconde _,

sans laquelle _ toutefois _ il serait impossible pour un vivant pensant et parlant d’envisager,

de donner son visage à l’apparition de l’idée _ apparition de l’idée qui, donc a besoin d’un tel visage

Imaginer cette zone sans jamais la voir,

c’est reconnaître en elle la condition _ voilà : comme transcendantale _ de la visibilité elle-même« , page 169.

Et, poursuit Marie-José Mondzain,

« Aristote hérite de cette exigence « mythique » _ de Platon _ lorsque, dans le traité De l’âme, il donne le nom de « diaphane » à une instance sans nom (anonymos)

qui est _ aussi et encore _ la condition invisible de la visibilité.

La chôra platonicienne a bien la diaphanéité, la transparence, de ce qui est _ à la fois _ le recueil et la matrice du visible.

L’origine du visible se trouve _ ainsi _ dans l’invisibilité matricielle de la chôra,

chôra dont il _ Platon _ nous dit qu’elle est obscure (amudron), difficile à penser (kalepon noient), à peine croyable (mogis piston), donnée comme en rêve (oneiropoloumen) et de façon batarde (nothos).« 

Marie-José Mondzain peut donc conclure ce passage, pages 169-170 :

« Platon est donc en effet le premier à formuler en philosophie la nécessité de poser dans sa radicalité _ voilà ! _ une instance imaginaire,

c’est-à-dire de poser l’hypothèse sans laquelle on ne peut rien voir _ voilà ! le regard (tout regard) a une histoire : le regard doit impérativement se former, dès les premiers moments et jours de l »ouverture des yeux du nourrisson ; cf ici par exemple les analyses, dès 1958, de René Spitz (1887-1974) dans Du regard à la parole _ la première année de la vie Et il faut ici aussi se pencher sur le devenir de l’appréhension des formes signifiantes chez les animaux, dans les travaux des éthologues… _

qui donne dans la vie sensible

son lieu voilà ! _ à la pensée

et sa possibilité au savoir« . 

Ajoutant tout aussitôt, page 170 :

« Castoriadis _ tout anti-platocien qu’il se veut _ doit bien à Platon cette symbiose théorique entre originaire et imaginaire,

même s’il ne traduit pas _ lui, Castoriadis _ chôra,

que je traduis ici _ écrit-elle _ par « zone ».

Ce réceptacle du visible en est la source, la matrice (métra),

nourrice (tithènèn) du visible (48a-52e).

L’invisible est _ ainsi _ la condition du visible,

à partir d’un espace sans lieu _ voilà ! _

qui opère radicalement _ comme source féconde _ comme pure indétermination matricielle et donc féconde sans avoir eu besoin d’être fécondée _ mais qui va peu à peu nourrir le visible s’élaborant à partir d’elle, de la réception-assimilation plus ou moins riche, de références culturelles, de tout ce qui va s’apprendre des échanges de signes (dont, pour les humains, la langue !) avec les autres.

On peut saisir au passage la raison pour laquelle les penseurs chrétiens se sont saisis de cette chôra

pour nommer _ en effet _ la Vierge, matrice et nourrice d’un divin bâtard,

membrane diaphane et intacte, qui met au monde, comme on fait apparaître sur un écran l’image naturelle,

archétype de toutes les images possibles, image inengendrée de l’inengendré,

visibilité qui ne cesse de mourir pour ressusciter.

Cette matrice est bien ce qui donne son visage à la transcendance,

ce qui permet (…) d’envisager la visibilité de l’idée.« 

« Traduire chôra par « zone »

est assez fidèle au dispositif spéculatif qui formule les conditions de l’image et du visible,

car zonè est la ceinture _ voilà ! cet élément est important _,

le périmètre _ mais vague et indéterminé, lui, à la différence de la ligne distincte, elle, de l’eidos !.. qui donne sa forme au visible,

la limite de l’incirconscriptible

en même temps que _ déjà, aussi _ l’inscription _ graphè _ de l’illimité.

Mais ce graphe défie l’écriture et sa lisibilité ;

il opère en excès, en débordé de la matérialité des signes.

Le grapheus, lorsqu’il fait des images, est _ ainsi _ un « zonard »,

comme l’est tout artiste dont les gestes _ s’inventant _ qui font naître le sensible

se posent _ dans leur fulgurance _ sur le seuil indiscernable du visible et de l’invisible.

Affaire de membrane, que les Grecs ont désignée du nom d’hymen », pages 170-171.

Marie-José Mondzain explique alors pourquoi elle a « choisi d’appeler « zone  » cette chôra » de Platon et de Castoriadis :

« la raison la plus forte est que cela permet aux zonards, sans domicile fixe et sans identité assignée,

aux exilés et exclus de toutes provenances,

de partager _ avec fécondité _ un site d’hospitalité inconditionnelle,

où tout est possible,

où rien n’est soumis à l’empire _ implacable _ de la nécessité.

Nous pouvons partager avec les zonards la liberté _ ouverte et ouvrante  _ de cette imagination radicale,

c’est-à-dire les débats collectifs sur les conditions de la communauté,

les conversations du regard _ cf Le Commerce des regards _

qui font advenir à la parole _ et c’est très important _ les expériences de la sensibilité.« 

Et elle en déduit que

« nous devons construire ensemble la scène de ce partage.


C’est dans la zone de ce partage de l’appartenance de tout vivant à un espace de liberté et d’invention,

dans cet espace transgénérique, propre à l’image,

que s’inscrivent _ à la fois _ nos gestes inventifs

et nos résistances.« 

Avec cette conséquence cruciale :

« La confiscation _ revoici le mot ! _

et la perte de cette ressource de la radicalité _ ou le cœur du problème abordé en ce livre important ! _,

réduisent tout sujet _ non sujet, en fait, car seulement et totalement passif, décérébré _ de ce dépérissement _ amenant à une terrifiante désubjectivation, annihilation (et suicide) de (ce) qui avait vocation à constituer et devenir un vrai sujet… _

à tenter les expériences _ mais en sont-ce vraiment ? _ extrêmes

que sont la _ fausse _ piété fanatique _ le mot « fanatisme«  apparaît bien ici _,

les rites _ faussement _ purificateurs

et _ tragiquement (en tout ce qu’ils détruisent en les autres comme en soi) _ initiatiques du sacrifice meurtrier et suicidaire _ sadisme et masochisme sont toujours de très puissants facteurs _,

les fureurs de l’intolérance _ envers autrui _

et l’obéissance aveugle _ et affreusement vide _ à des recruteurs impitoyables.  « , page 172.

« Il faut cesser de voir trop commodément _ les convertis à la terreur comme des barbares, des monstres ou des fous.

Ils incarnent _ plus simplement _ la misère profonde _ tant culturelle qu’économique, ainsi que les résultats _ de l’imaginaire collectif

que le capitalisme ne cesse de tarir (…) avec les produits euphorisants, qui se veulent salvateurs, du divertissement et de la guerre sainte » :

ce précisément contre quoi Marie-José Mondzain appelle ici à résister.


Car, dit-elle, pages 172-173,

« c’est au nom de cette résistance possible

que je plaide ici

pour la radicalité émancipatrice de tous les gestes d’hospitalité

et de création« .

Et « créer, c’est sortir de l’impuissance« .

Et « donner à sentir, c’est produire du commun« _ authentiquement partageable _, page 188.


Le dernier chapitre, intitulé « Paysages« , de Confiscation

aborde ce que Marie-José Mondzain appelle, pages 193-194,

« la porosité des espaces

dans lesquels se joue le passage _ mais oui _ de la violence inhospitalière du monde habité,

au site _ de création artiste, ou autre, à la place de la violence et du meurtre ! _ où l’imagination radicale produit la zone sismique _ de création, donc, avec ses cataclysmes _ où poussent avec obstination les saxifrages irréductibles« .

Marie-José Mondzain prend en priorité deux exemples,

touchant « à la question cruciale du hors champ » ;

question qui l’intéresse depuis longtemps, en ses analyses d’images, au cinéma et ailleurs :

_ le hors champ de Poussin et de ses paysages tragiques _ tels ceux des « Quatre saisons« , au Louvre, mais aussi le « Paysage orageux avec Pyrame et Thisbé«  (du Städel Museum de Francfort-sur-le-Main) _ ;

_ et le hors champ du cinéaste japonais Masao Adachi _ notamment dans son film de 1969 « A.K.A. Serial Killer« , et d’après son texte de 1971 « Questions imaginaires au tueur en série. L’affaire Norio Nagayama« .

Avec cette thèse, pages 200-201 :

« Le paysage est bien le palimpseste toujours déchiffrable _ pour qui incline à décrypter… _ de toutes les passions,

c’est-à-dire de tous les crimes commis et de toutes les violences subies,

et même de tous les chagrins éprouvés par ceux qui laissent derrière eux les traces innocentes et visibles de leur disparition violente.

L’événement _ lui-même, en tant que tel _ disparaît du champ _ de vision du regardeur _ ;

et c’est son hors champ, donc le paysage, qui devient mémoire sans fin _ du moins potentiellement _ des crimes invisibles » _ qui y ont eu lieu.


« En suivant l’analyse d’Adachi,

on peut entendre que le premier crime du serial killer est toujours déjà le deuxième,

dans la mesure où il s’inscrit sur la toile _ voilà ! _ des violences désubjectivantes _ voilà !! _

et donc destituantes du paysage

dont il est l’infime symptôme, le misérable rejeton _ superbe analyse !

Les crimes les plus terribles (…) sont commis par des corps pour ainsi dire déshérités d’eux-mêmes _ oui : de sujets désubjectivisés ! nihilistes parce qu’annihilés _,

qui imaginent  _ bien illusoirement _ pouvoir exister _ enfin ! _ dans le regard  _ !!! _ des autres

à la seule condition _ qui soit accessible aux locataires de ces corps, via les médias de masse d’aujourd’hui offerts _ d’organiser le spectacle des tueries qu’ils perpètrent au prix de leur propre disparition.

Examiner la scène où se déroulent des scénarios du désastre,

déchiffrer dans l’espace des villes

la violence inhospitalière et la brutalité de ce qui n’est plus « rencontre », mais « choc accidentel avec le corps de la terreur »,

voilà ce que Masao Adachi voulait filmer

en laissant sa caméra glaner les signes _ voilà ! _ de la déréliction, du désespoir et de la haine dans l’espace urbain de Tokyo.

Si Adachi ne cherchait pas à connaître ou à faire connaître la personne du serial killer,

c’est parce qu’il n’était « personne ».

Le criminel n’était _ certainement _ pas radical.

Adachi déplace _ donc _ la question de la terreur et du crime

pour envisager _ et nous faire envisager, aussi _ dans sa radicalité la responsabilité politique _ oui _ du geste cinématographique _ lui-même _ dans son adresse à la communauté tout entière« , page 202.

« Je crois que nous pourrions de la même façon aujourd’hui filmer

ou décrire l’espace que nous traversons chaque jour

pour en laisser voir _ et faire voir _ la violence dans les signes de la pauvreté _ voilà _,

pour montrer la matière même et les traces visibles et tangibles de l’isolement et de l’inhospitalité « ,

poursuit Marie-José Mondzain.

Et, page 203 :

« Dans le mouvement de sécularisation,

dont on dit qu’il est la marque du désenchantement du monde,

la réanimation sauvage du sacré _ superbe expression _

redonne du service à des fanatismes _ revoici le mot _

qui, précisément, indiquent un besoin de réenchantement dans les propositions les plus extrêmes _ et pas les plus « radicales«  !

Les nouveaux catéchismes imposent des fidélités factices _ certes ! _

et des dépendances suicidaires.

 

Faute de confiance _ authentique_ et de fiabilité _ vraie _,

on se jette à corps perdu _ c’est le cas de le dire ! _ dans les croyances les plus ineptes »

_ et à mes yeux la lente mais profonde détérioration de l’école, pour des raisons probablement d’abord d’économie de budget (mais aussi de mépris des personnes), a sa part de responsabilité aussi ;

celui qui a enseigné (avec bonheur, mais oui !!!) à philosopher durant quarante-deux années, peut rétrospectivement en juger…

Alors, page 204 :

« Y aurait-il des paysages où l’on ne peut _ nécessairement, fatalement _ que tuer ou mourir ?

N’est-ce pas dans le vaste hors champ des actes terroristes qu’a lieu la destruction criminelle de la planète _ Michel Deguy dirait, lui, de la Terre _ elle-même ? « 

Alors, et cependant, Marie-José Mondzain voit dans ce qu’elle nomme « un geste d’art« , page 205,

« le fait de tout geste prenant le risque _ aussi vertigineux _ de manifester cette puissance _ ouverte _ de l’informe

dans la forme même _ de ce qui devient œuvre.

C’est ce que je souhaiterais faire entendre, poursuit-elle, page 205-206, en disant que l’art est toujours zonard,

traitant toujours de l’intraitable _ et acceptant de s’y affronter _

et faisant advenir dans le sensible la temporalité singulière d’une phantasia turbulente et joyeuse _ parce que joyeusement joueuse.

C’est dans l’espace atomique sans limites des opérations imaginantes _ voilà _

que se développe cette zone privilégiée et insigne

où se déploient _ oui _ les jeux _ voilà _ de notre liberté.

Et je crois que la radicalité véritable _ puisque là est le fond de la question de ce livre _ est inséparable de la force irrésistible du rire et de la joie.

Même quand ils s’emparent du pire,

les gestes d’art nous rendent _ très effectivement _ heureux,

car nous y puisons les ressources _ fécondes _ de la joie et du partage.

La joie et le rire sont une source irrépressible d’énergie politique. »

Avec cette conclusion, page 207 :

« Au cœur d’un même événement,

deux régimes sonores se font _ ainsi _ entendre,

deux énergies

dans leur tension _ essentielle _ turbulente et jubilatoire _ oui !!! _ :

celle des craquements jaillissant des fractures _ « saxifrages », dit l’auteur ! _ qui détruisent les chaînes _ d’aliénation _

et rompent le silence de la fatalité _ à immanquablement subir _ et des enchaînements _ mécaniques, algorithmiques, robotisés _,

et celle qui surgit, dans la stridence _ d’art _ des voix, des corps qui dansent ou vagabondent sans orientation prévue,

car ils s’en remettent _ voilà _ à la pure radicalité _ oui : un pur commencement à ouvrir et déployer _ de la rencontre _ vraie : cf mon propre texte, en 2007, Pour célébrer la rencontre, que publia, alors, sur son site, Bernard Stiegler… _ avec celui ou celle qui arrive,

qu’on n’attend pas

et qu’on ne doit _ simultanément _ jamais cesser d’attendre _ afin de savoir être toujours prêt à l’accueillir, en son vivace et souvent bref passage ;

et d’abord apprendre à être apte à savoir, à la seconde, voir, puis saisir, ce qui (et d’abord qui), là, passe furtivement et très vite ;

à l’image du joyeux en même temps que tranchant divin Kairos, aux chevilles ailées,

qu’il peut nous arriver de croiser !

Pour rester radicalement fidèle à cette énergie _ voilà ! _

il faut bien consentir à ce qu’il n’y ait jamais de « lutte finale »,

mais une fidélité tenace _ oui, de chaque instant ! _

envers tout ce que nous devons

ne jamais cesser de combattre

si nous voulons ne pas cesser d’inventer _ oui _

pour le partager » _ absolument.

En trois pages excellemment ramassées,

la conclusion du livre, aux pages 209 à 211, vient relier lumineusement

la double thèse finale de Marie-José Mondzain, soient ces « deux propositions«  _ d’action on ne peut plus effective ! _ que sont

et « l’urgence d’une réappropriation _ par chacun et par tous _ de la parole« ,

et « l’impérieuse nécessité d’un combat _ tout à la fois puissant et joyeux _ contre la confiscation _ éhontée et à très grande échelle : mondialisée ; mais l’art peut, lui aussi, beaucoup ; et même une seule courageuse personne, parfois  _ des images et des mots« ,

à ce qui,

au long des analyses-explorations très fouillées de l’ensemble de ce livre,

est venu, justement, les fonder :

« C’est dans la composition _ au sens de la dynamique des forces, en physique _ sociale _ un art éminemment subtil à construire _ des relations d’échanges et de luttes _ les deux, qui sont liées _

que la paix _ vraie : « union des âmes«  dit Spinoza _ signifie un état positif de la vie antagonistique _ cf ici les décisives analyses de Nicole Loraux, en son La Cité divisée _ l’oubli dans la mémoire d’Athènes

Deux forces radicales _ à la fois de fond, et de capacité de commencement _ agissent dans cette composition _ avec sa résultante _ :

celle qui produit consistance et liaison _ au lieu de schize et déliaison haineuse _ dans un espace de fiabilité _ tellement et ô combien bafouée ces derniers temps-ci _ de la parole

et celle qui fait surgir _ dans l’inattendu de gestes d’essais de création _ des formes inédites _ voilà ! _ dans le voisinage périlleux _ parfois, sinon souvent, vécu dans l’angoisse _ de l’informe _ avec ses ressources de plasticité _ et la béance _ ouverture féconde _ d’un chaos _ généreux _ « …

Et « ces deux énergies s’originent peut-être _ ensemble ! _ dans une zone indiscernable d’indétermination radicale,

où le temps met en mouvement les images de l’éternité« .

Ce qui permet à Marie-José Mondzain de souligner, en commentaire :

« C’est cela, l’imaginaire _ ou «  »imageance« je préfère, pour ma part, ce terme, forgé à partir d’un participe présent de verbe d’action-création… _,

c’est cela, sa radicalité » _ ou puissance (formidable !) de commencement.

Et on comprend que les pouvoirs installés craignent cette puissance rivale de leurs efforts de main-mise, et cherchent à la domestiquer ou l’asservir, en (se) la payant, pour leur exclusif profit !!! Sur ce point, le rappel (in Image, icône, économie _ les sources byzantines de l’imaginaire contemporain) des querelles de l’iconoclastie, est aussi bien éclairant…

Et c’est à cette capacité d' »imageance« -là, en chaque sujet humain,

qu’il nous faut permettre d’apparaitre, surgir ;

et c’est elle qu’il faut protéger, préserver, encourager, en ses commencements,

afin d’aider à la cultiver vraiment par les meilleurs moyens qui soient

et contribuer à ce qu’elle se déploie pleinement,

en chacun des hommes,

afin d’aider à étendre, en se réalisant, en un processus épanouissant de subjectivation, leur humanité vraie,

attaquée qu’elle est par les opérations de décérébrage et désubjectivation à échelle mondiale,

de misérables (!) marchands d’illusions …

Merci, chère Marie-José, pour ce travail  bien utile, dans ces combats pour la culture vraie,

versus les impostures installées…

Titus Curiosus, ce mercredi 15 mars 2017

Face à l’énigme du devenir (poïétiquement) soi, l’intensément troublant « Dialogue avec les morts » (et la beauté !) de Jean Clair : comprendre son parcours d’amoureux d’oeuvres vraies

27mar

Dialogue avec les morts, de Jean Clair,

qui paraît ce mois de mars aux Éditions Gallimard,

est un livre (de vérité ! _ par sa profonde probité ! _) rare à ce degré d’intensité (!!!)

de trouble… :

tant de son auteur l’écrivant,

que des lecteurs qui le découvrent _ et partagent !

et s’en enchantent !!! _,

au fil de ses chapitres,

dont voici les titres successifs :

l’âge de lait (pages 13 à 50),

l’âge de craie (pages 51 à 91),

les mots (pages 93 à 116),

la ville morte _ c’est Venise ! splendidement analysée : un labyrinthe (sans perspectives…) pour métamorphoses (carnavalesquement et très discrètement, à la fois…) secrètes !.. _ (pages 117 à 135),

Hypnos (pages 137 à 153),

l’âge de fer (pages 155 à 178),

la débâcle (pages  179 à 205),

l’âge de chair (pages 207 à 234),

Eros (pages 235 à 254) ;

et, enfin (pages 255 à 280) _ c’est le chapitre ultime du livre : le cinquième et dernier volume de l’autobiographie de Thomas Bernhard, porte (après L’Origine, La Cave, Le Souffle, Le Froid…) presque le même titre : Un Enfant, lui… _,

une enfance

Il s’agit,

en l’aventure intensément troublante de cette écriture (de rare probité : celle à laquelle nous a accoutumés Jean Clair ! de livre en livre, comme de commissariat d’exposition en commissariat d’exposition…) en dialogue avec des voix désormais tues

_ mais lumineusement audibles à qui ose se rendre (et se tendre…) vers elles, et les recevoir (accueillir, écouter) : humblement « dialoguer«  _ oui, voilà… _, enfin… ; si loin, mais en même temps si près, ces « voix«  ombreuses-là, pour peu que l’on ait appris (et consenti) à devenir, silence fait autour (et muri…), enfin « véritablement«  attentif à leur ténue et essentielle musique

qui, encore, s’adressant à nous, toujours, persiste… _

il s’agit, donc,

d’un face à face rétrospectif,

l’âge venu _ celui des rétrospections : « Je suis né le 20 octobre 1940. Ce jour-là, à Paris, pouvait-on lire dans les journaux, il n’y avait plus une seule patate à vendre _ ni, surtout, à pouvoir acheter et se mettre sous la dent… _ sur les marchés. C’était la débâcle. On m’envoya à la campagne«  : en Mayenne, le pays d’origine de sa mère ; ainsi débute le livre, page 15… _,

avec _ ce face à face, donc, rétrospectif… _

avec la formation de lui-même _ de Jean Clair _,

en ses enfance, adolescence et jeunesse

_ du temps que son prénom n’était pas Jean, et que son nom, reçu de son père, morvandiau, était Régnier : mais on trouve aussi des Régnier, et en Flandres, et à Venise (Ranier, ou Ranieri…) ; cf à la page 264 : « Quel étrange détour par l’écriture me faisait réexhumer des passages et réinscrire des palimpsestes que des arrière-parents, dont je ne savais rien, avaient autrefois tracés, quelque part entre Bruges et la Sérénissime ?«  ; avec ce résultat, majeur !, page 265 : « L’écriture est un refuge et un foyer : ce qu’elle désigne, c’est précisément l’impossibilité d’en appeler au Père. Elle trace les repères d’une topographie imaginaire _ où Venise est alors, dans le cas de Jean Clair, à la façon de New-York pour d’autres transhumants encore, un passage (de ressourcement créatif !) crucial ; et pour toujours ! _, dans l’espoir insensé _ malgré tout ! _ d’y découvrir une toponymie familiale« … : j’y reviendrai ! ce point est capital ! _ :

rétrospection

de la naissance (le 20 octobre 1940) jusqu’à la mort de son père (en 1966 ou 1967),

quand le jeune homme passablement turbulent et « en colère » qu’il avait été (en cette jeunesse

_ « quelque temps même ce purgatoire _ celui de son enfance mayennaise, à la Pagerie : cf les premiers chapitres : « l’âge de lait« , « l’âge de craie«  _ devint un enfer« , page 237 : « je devenais la proie de colères violentes » ;

au point qu’« on m’envoya consulter dans ce qu’on appelait alors un dispensaire public d’Hygiène sociale. J’y fus accueilli par une jeune psychologue qui, un peu désemparée, m’adressa à un « psychanalyste », mot nouveau, étrange, inconnu, qui cachait sans aucun doute des savoirs étonnants« , page 237 toujours. « C’était une femme d’une cinquantaine d’années, l’une des premières en France à avoir imposé en hôpital public cette spécialité et à pouvoir l’exercer » : une rencontre déterminante ! « Elle avait été comme ma seconde mère » (celle qui « avait appris la parole » (page 240), même si « les mots ne me viendraient jamais comme il faut _ « faute d’une aisance de naissance que je ne posséderais jamais«   _, comme si je n’avais _ jamais _ pu _ in fine… _ tout à fait _ voilà ! _ me réconcilier« … : j’y reviendrai aussi : c’est l’épisode-seuil sur le chemin de soi, en critique d’art exigeant !, de Jean Clair !.. _),

quand le jeune homme passablement turbulent et en colère, donc, qu’il avait été

_ et demeure, d’une certaine façon (mais contenue et polissée…) encore ! : « la seule rage qui m’habite encore, c’est celle du malappris que je suis resté, et qui parfois explose en mots orduriers. Comme un réflexe primitif, l’enfance remonte en moi. La colère, je crois, ne me quittera jamais« .., voilà !, page 240 _

perdit

_ lui-même était alors en sa vingt-septième année : « à vingt-six ans, quand il _ le père, donc _ avait disparu _ soit en 1966, ou 67 _, j’avais quitté mes études, et, mal à l’aise, n’avais rien décidé de mon avenir, perdais mon temps et multipliais les échecs.

Beaucoup de mon comportement et de mes décisions ultérieurs serait dicté par l’angoisse de réparer _ voilà ! _ cette impression _ laissée au père _, alors qu’il avait dû, en vérité _ tous les mots comptent ! _ emporter sa tristesse et ses craintes dans sa tombe, irrémédiablement », page 254 : voilà ce à quoi il faut donc impérativement et  comme cela se pourra, « remédier«  ! et ce qu’accomplit, probablement, ce livre !!!

même si on lit, page 279, soit à peine vingt-cinq lignes avant le mot final (« les armoires fermées à clef de son enfance« , page 280..), ceci : « J’imagine en ce moment que mon père frappe à la porte, que je lui ouvre et qu’il me dit : « Pardonne-moi, je suis en retard »… Sans prendre le temps d’être saisi, je me précipiterais vers lui et je l’enlacerais, et ce baiser serait si long, pour dissiper le silence et l’absence de toutes ces années d’enfance où il était là et où je ne lui parlais pas, qu’il y faudra tout le temps _ voilà ! _ qui me sépare de ma propre mort« _

quand le jeune homme

turbulent et en colère

perdit, donc,

son père…

Jean Clair entre maintenant _ le 20 octobre 2010 _ en sa septième décennie de vie :

quel nom donne-t-il à ce nouvel « âge » sien-ci de vie ?..

Peut-être celui _ tant qu’il est encore temps : de l’écrire ! Jean Clair est (toujours, encore…) un homme davantage de l’écrire que du parler… : « parler, c’est toujours un peu commander, au moins imposer le silence autour de soi. C’est un travers. Pourquoi parler en tout cas, quand ce n’est pas pour demander ou pour commander ?« , lit-on page 96… _

du « règlement de la dette« 

envers ceux auxquels

l’homme accompli qu’est devenu Jean Clair

doit le plus…

_ cf le commentaire au cadeau paternel de « la tourterelle grise et rose, attrapée dans les champs de son pays« , le Morvan (ce récit, avec cette expression, se trouve page 252 ; cf aussi La Tourterelle et le chat-huant ; ainsi que mon article du 27 mars 2009 : Rebander les ressorts de l’esprit (= ressourcer l’@-tention) à l’heure d’une avancée de la mélancolie : Jean Clair…) : « C’est la colombe qui, succédant au corbeau, vient annoncer aux passagers de l’Arche que la terre approche, et avec elle le salut. Symbolisant le vol de l’âme, serrée dans la main tendue par-dessus le vide, l’oiseau blanc assure la transmission des générations _ voilà ! _, le geste d’amour qui permettra aux enfants de reconnaître la dette et de la diminuer peut-être« , aux pages 252-253 : des éléments cruciaux, comme on voit…

Car « retrouver l’écho _ voilà ! persistant ! et non repoussé… _ des voix de ceux qui ont disparu

me retient désormais _ voilà ! _ avec une force que j’ignorais autrefois _ tant inconsciemment que consciemment : les deux !

C’est sans doute que,

le temps aidant _ il faut le prendre à la lettre : le temps peut, et très effectivement !, « aider » ! si on y met aussi un peu du sien : à travailler avec lui, en ses forces… _,

le fait de me rapprocher d’eux

et de m’éloigner des vivants

_ en proie à bien des « débâcles« , tant et tant (même si pas tous : beaucoup trop !..) ; cf la terrible vérité des croquis de personnes dans le très beau chapitre « La Débâcle«  ; par exemple, à côté de ceux des S.D.F., celui, pages 195-196, du « monomaniaque du mobile« , avec cette conclusion-ci : « ce dialogue avec les spectres, où un individu dans le désert des hommes ne connait que lui-même, me paraît plus inquiétant que celui du bigot ou du fou quêtant son salut ou apprenant sa damnation d’une voix qui sort de bien plus loin que du petit cercle de ses semblables. Cette clôture _ étroitissime ! _ de l’homme sur l’homme seul et parmi les hommes, c’est ce qu’on appelait jadis, probablement, l’Enfer«  _

me les fait entendre plus distinctement _ oui _, et sur un ton plus grave _ et comme profond : d’« élévation« , en fait et plutôt : « monter, accéder à la lumière, élucider, maîtriser les apparences, ce sont des images qui me paraissent préférables à celles qui supposent de se laisser couler vers on ne sait quel abîme _ profond ! et sans fond… _ de l’être, qui n’est que ténèbres, étouffement et solitude« , précise Jean Clair, page 100… _,

par un phénomène spirituel _ voilà _ guère différent de l’effet Doppler en physique« ,

peut-on lire page 97…

Et Jean Clair de préciser, un peu plus bas, pages 97-98 :

« Ce dialogue _ avec réciprocité : davantage qu’autrefois, moins timide… _ avec les morts,

une fois qu’on ne peut plus les entendre _ in vivo _,

prend une forme singulière quand il devient un dialogue avec ses parents ou ses proches

_ Jean Clair évoquera aussi, même si ce sera fort discrètement et très, très rapidement, et à l’occasion du goût

(voire de la cuisine _ cf page 247, en un passage, du chapitre « Eros« , intitulé « L’Apprentissage du goût«  : « Les femmes que l’on a aimées vous ont ouvert avec douceur le royaume des sensations nouvelles jusqu’à pousser la porte de la cuisine. La mère nourricière se confond avec l’amante attentive, dans l’apprentissage _ voilà ! être homme, c’est apprendre ! _ qu’elles offrent l’une et l’autre, au palais du jeune homme que l’on fut, des saveurs, des douceurs et des amertumes d’un genre plus domestique que celles de l’amour des corps, et néanmoins aussi précieux. « Ici aussi les dieux sont présents », avait dit Héraclite près de son four _ une citation qui m’est aussi très précieuse ! C’est une autre version de la Madone au bol de lait, ou à l’auréole d’osier, avec l’ange qui vient familièrement s’inviter à la table« , page 247, donc… _ ),

en de furtifs superbes portraits à peine crayonnés _ à la Fragonard… _,

Jean Clair évoquera aussi, donc,

les femmes qu’il a aimées,

et ce qu’elles lui _ ainsi « conduit par de jeunes fées« , dit-il, page 246 _ ont

merveilleusement généreusement donné

_ le livre lui-même est dédié, page 9, « A la jeune fille«  ;

de même, qu’a pour titre « La Jeune fille«  une partie (très courte) du chapitre « Eros«  ;

que voici, même, in extenso :

« Plus elle avance dans la vie _ voilà ! _

et plus,

sur le cliché qu’on a pris d’elle un jour, bien avant que je la rencontre,

et où elle apparaît radieuse, les mains tendues vers un inconnu demeuré hors champ,

je la vois rajeunir,

me semble-t-il,

comme si les années qu’elle additionne de ce côté-ci du temps

lui étaient à mesure retirées de la photo ancienne,

au point qu’elle finira par m’apparaître sans doute comme cette adolescente

que je regretterai toujours de n’avoir pas connue« 

On échange _ enfin ! _ avec eux

_ « ses parents ou ses proches« , donc,

je reprends le fil de la citation, après l’incise de « La Jeune fille«  _

on échange avec eux

les mots qu’on aurait aimé leur adresser quand ils étaient vivants

et qu’il n’était pas possible _ = trop difficile, alors ! On n’en avait encore acquis la force d’y parvenir ! _ de leur dire.

Ces mots, on les imagine _ maintenant ; et désormais.

Et comme ils ne provoquent pas de réponse _ nette _,

ils se fondent dans un silence embarrassé« …

_ voilà qui m’évoque le dialogue (bouleversant de probité, lui aussi !) avec son épouse disparue, Marisa Madieri,

de l’immense (triestin

_ et Trieste, sinon Magris lui-même, est présente dans ce livre-ci de Jean Clair : aux pages 257 à 266… ;

ces pages, intitulées « Les Miroirs de Trieste« , ouvrent même l’ultime chapitre du Dialogue avec les morts de Jean Clair , « Une enfance« )

voilà qui m’évoque, donc,

le dialogue (bouleversant de probité, lui aussi !) avec son épouse disparue (en 1997), Marisa Madieri,

de l’immense (triestin) Claudio Magris,

en son si intensément troublant (et étrange, et profondément grave), lui aussi,

et sublime,

Vous comprendrez donc :

...

Dialogue avec les morts et Vous comprendrez donc : deux immenses livres

intensément troublants

qui s’adressent à la plus noble (et formatrice : civilisatrice !) part d’humanité des lecteurs que nous en devenons…

De Marisa Madieri,

séjournant de l’autre côté de l’Achéron depuis 1997,

lire le lumineux Vert d’eau, édité en traduction française à L’Esprit des Péninsules…

Et sur la Trieste de Claudio Magris,

courir au merveilleux Microcosmes !!

Et, un peu plus bas encore, page 98,

face à la difficulté de,

en ce quasi impossible dialogue à rebrousse-temps (irrémédiablement passé !), avec les disparus,

face à la difficulté, donc,

de partager (avec eux, les années ayant passé…) la pratique d’une même langue :

« Mais la plupart du temps, comme dans les rêves,

il n’est pas besoin de parler,

la présence suffit

_ voilà !

précise Jean Clair ; parmi un monde de fuyards s’absentant (frénétiquement ou pas) de tout, à commencer d’eux-mêmes et de l’intimité (charnelle) aux autres ; cf ici le beau livre (important !) de Michaël Foessel, La Privation de l’intime ; et mon article du 11 novembre 2008 : la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie

On parle le langage des sourds-muets.

On ne signifie rien,

on ne signale pas,

on signe, simplement« …

_ on fait (enfin ; et pleinement !) simplement acte (plénier)

de reconnaissance : de sujet humain à sujet humain ;

de visage à visage

_ sur la « visée du visage« ,

à partir de l’exemple de la peinture d’Avigdor Arikha (« une peinture qui dit tout, rien que tout, mais tout du tout qui se présente aux yeux« , page 59…),

et débouchant sur une « histoire (…) qu’il faudrait enseigner dans les écoles« , celle qui lie et relie Monet, Bonnard, Balthus et Lucian Freud : « de Monet à Freud, une chaîne s’est formée d’individus qui se reconnaissaient _ voilà _ et qui cherchaient à se parler _ oui ! _ et à transmettre un métier« … : c’est tellement précieux !

Et « de Balthus à Lucian Freud : toute une famille de peintres a rappelé, après la guerre comme avant, qu’un visage était sans prix _ voilà !

Les trois derniers _ soient Bonnard (1867-1947), Balthus (1908-2001) et Lucian Freud (né en 1922) _ ont été les témoins d’une époque où, mû par une idéologie démente, on s’était mis à immatriculer les gens. Ces gens qu’on dénombrait, après les avoir dévisagés, et dont on inscrivait le chiffre sur la peau à l’encre indélébile, craignait-on qu’on n’arrive plus, au Jugement dernier, à les reconnaître et à les distinguer ?

Ce fut l’entreprise la plus meurtrière que l’homme _ individus, un par un, comme l’espèce entière ! _ ait affrontée.

Les vivants ont le nez droit ou recourbé, court ou allongé, mais la mort a le nez camus ; tous les morts ont le nez camus. Pour les distinguer à nouveau, il faut leur refaire un visage. Le peintre y répond _ en peintre ! _ comme il peut : les gens se reconnaissent, non pas à leur numéro d’abattage comme les brebis, mais à leur visage, à leurs traits. Et les nommer, les peindre un par un, les transformer en personne, c’est les tirer _ en leur irréductible singularité ! de sujet ! et pour jamais !!! cf, déjà, les (sublimes) visages du Fayoum… ; là-dessus, lire, de l’excellent Jean Christophe Bailly, le très fin et très puissant L’Apostrophe muette _ de la mort« , page 63 ;

sur la « visée du visage« , donc,

lire (et méditer : longtemps !) l’admirable passage qui court de la page 60 à la page 63 :

par exemple,

« L’homme, en tant que personne, ne se remplace pas. Il n’est pas interchangeable, ni renouvelable, il est unique à chaque fois ; et c’est bien là le mystère auquel le peintre doive s’affronter, et qui suffit à occuper _ certes ! _ toutes ses forces«  ;

et « Dénommer, appeler, rappeler les apparences, c’est sauver l’homme de la mort. Dénommer et non pas dénombrer, désigner et non pas mesurer ou quantifier. Dire et peindre, c’est rappeler les êtres à la vie, c’est le contraire de les précipiter dans le nombre » _ soit le contraire du (stalinien) « à la fin, c’est la mort qui gagne !« 

« Représenter un visage humain et lui donner sa valeur unique, est (…) rare et compliqué puisqu’il est là, devant soi, embarrassant, et qu’on ne peut pas ruser _ voilà ! _ avec sa présence » : c’est elle qu’il faut ainsi, et pour jamais, ressentir et donner…

Et lire aussi l’admirable passage intitulé « Les Guichets« , aux pages 198 à 201 du chapitre « La Débâcle«  :

« On ferme l’un après l’autre les guichets qui étaient à l’homme laïque des temps républicains ce qu’étaient les confessionnaux à l’homme pieux des temps religieux. (…) J’imagine l’homme solitaire, la veuve, la petite vieille, l’étudiant célibataire ; ils vont rester des jours sans pouvoir _ de fait, simplement _ adresser la parole à quiconque.

La disparition lente et sournoise des bistrots où l’on allait prendre un petit blanc au zinc, moins pour se désaltérer que pour acheter le droit, moyennant trois sous, d’échanger quelques propos avec des inconnus, semble le point final de cette métamorphose _ régressive : barbare ! _ urbaine.

(…) Nous nous apprêtons à vivre dans un monde _ psychotique _ de solitaires contraints au silence,

qui, n’auront pas, contrairement aux ordres contemplatifs, le consolant espoir d’une vie dans l’autre monde.

Parallèlement à ce retrait de l’art _ mais oui ! _ de la conversation _ ce fut un art français… _ ,

la multiplication du « self-service »

_ , qu’il s’agisse de se restaurer, de faire un plein d’essence, de réserver un billet de train ou de poster un paquet, il n’est plus possible de s’adresser _ si peu que ce soit _ à quelqu’un ayant face humaine… _

est assurément la trouvaille la plus cynique de l’esprit _ dit : auto-proclamé ! _ moderne,

qui réussit à faire passer _ et le tour est joué ! _ pour une libération

ce qui n’est qu’une servitude _ et comment ! _ supplémentaire.

Plus éprouvante encore que cet effacement _ avec la dé-subjectivation qui l’accompagne ; cf Michel Foucault… _ de la personne,

est l’imposition d’une voix sans visage.

Dois-je me faire livrer un bien, louer une voiture, requérir un service,

je serai « mis en relation » avec un inconnu dont je n’ai jamais vu et dont je ne verrai jamais le visage, et qui, à distance, m’adressera les règles nécessaires et m’adjoindra _ et quasi m’enjoindra : on est au bord de l’injonction !.. _, sans trop de politesse, d’y satisfaire sans trop tarder _ sinon, tant pis pour moi !..

Aucun recours bien sûr _ la marge du recours est un critère déterminant du degré de civilisation… _ s’il se produit, par accident, une confusion ou une erreur.

Si nul ne vous voit,

nul non plus n’est jamais vu

et nul par conséquent _ pas vu, pas pris _

n’est jamais responsable _ ne répond jamais,

en effet.

La relation est devenue immatérielle.

Le visage a disparu.

Vous êtes décidément seul et sans secours.

Maladie mortelle de la société,

la prosopagnosie généralisée _ voilà ! _

d’un monde où les visages pullulent,

mais où nul n’est plus jamais connu, ni reconnu.

(…)

Dans le même temps pourtant,

comme il semble que nous sommes passés insensiblement du visuel à l’abstrait,

pour satisfaire au besoin de la mise en chiffres,

jamais les visages n’auront été aussi continûment photographiés, identifiés, enregistrés et mis en fiche,

de l’aéroport au magasin de mode.

(…)

A peine aurai-je acheté quelques brimborions dans une entreprise de ci ou de ça

que je me verrai envahi d’un courrier promotionnel à mon nom commençant par « Cher client » ou pourquoi pas « Cher ami »,

et que ma boîte électronique débordera de « spams » à mon intention toute « personnelle ».

Anonyme, invisible, inexistant là où je réclame une parole, une aide, un mot,

 je suis enregistré, diffusé, sollicité, sommé et menacé partout où je ne demande rien« ,

lit-on en ces magnifiques lucidissimes « Guichets« , aux pages 198 à 201…

Et voici _ pages 100-101 _

ce qu’apporte

(ou pourrait apporter : à l’écrivant Jean Clair, ici),

et tant bien que mal _ infiniment modestement, en effet ! _,

l’écriture

(en l’occurrence de ce qui peut-être deviendra le livre, soit ce Dialogue avec les morts-ci…) :

« J’écris pour (…) me prouver que j’existe.

Écrire me rassure,

plus qu’une parole ou une rencontre, toujours trop incertaines.

Quand je doute,

de moi, des autres, de la réalité des choses,

je me mets à écrire,

et le maléfice se défait,

le lien _ qui nouait et entravait (tout)… _ se dénoue : je peux vivre à nouveau.

Dans le désarroi du matin,

la langue apporte sa certitude«  _ elle tient !

(…)

Écrire « est le dernier artifice avec lequel se protéger de la tyrannie de la durée que la mécanique puis l’électronique ont numérisée _ à entier rebours de la durée (qualitative !) vivante qu’analysait Bergson _,

dénombrée


_ cf aussi, page 111 : « la dénumération détruit à mesure la réalité sensible que la dénomination avait si patiemment créée. Les nombres détruisent les images _ mentales et spiritualisées , quand les images sont des œuvres !

On croit, par la mesure, comprendre le monde. Vanité des sociologues, de leurs chiffres, de leurs courbes et de leurs statistiques.

Vanité pire encore des psychologues, de leurs graphiques, de leurs pourcentages.

Les chiffres livrent peu _ et c’est un euphémisme ! _ de la réalité singulière des choses _ elles la nient !..

L’étape ultime est la digitalisation,

qui vide peu à peu les rayons des magasins de leurs disques, et les rayons des bibliothèques de leurs livres.

Triomphe d’un monde virtuel où nous appelons des spectres au secours de notre mémoire défaillante.

La philosophie du rationalisme _ en son appendice du pragmatisme utilitariste _ a pour fin, ici comme dans le domaine de l’art et de son marché, d’éliminer le problème des valeurs _ par un coup de baguette magique ! mais ultra-efficace !!! par ses effets dé-civilisationnels sur la foule de plus en plus majoritaire d’esprits bel et bien dé-subjectivisés : l’ignorance et la désinformation coûtent tellement moins cher que l’instruction et le travail de culture… _ pour se limiter au domaine du quantifiable et du mesurable » _ et monnayable… _,

jusqu’à la rendre _ cette « tyrannie de la durée numérisée«  _ insupportable _ et vainement fuie dans la vanité (symétrique !) du vide de l’entertainment aujourd’hui mondialisé : ah les profits expansifs de l’industrie du divertissement (efficacité de l’amplitude de la crétinisation aidant !)… _ comme la goutte d’eau du supplice chinois« …

(…)

« Au contraire de la langue de bois, si bien nommée,

qui flotte à la surface des eaux, qui monte et qui descend mais qui n’avance pas,

les mots que l’on ose et que l’on dépose _ dans le silence pacifié du recueillement _ sur la page

sont des mots singuliers _ voilà ! on y arrive peu à peu… _,

jetés par milliers

_ un trésor infini (« trésor des mots« , dit à plusieurs reprises Jean Clair, par exemple page 112) que celui de la générativité de la parole en le discours qu’offre au parlant la langue reçue, partagée et ré-utilisée, avec du jeu… cf Chomsky… ;

quand il ne s’agit pas de la misérable « langue de bois«  de la plupart des médias (tant la plupart y sont tellement complaisants !), en effet… ; et des « clichés«  que celle-ci répand et multiplie de par le monde… _

comme les laisses du langage sur l’estran du temps,

qui vous pousse et qui vous soutient » _ les deux : à la fois…

« Quand tout a disparu, quand tout est menacé,

il n’y a que les mots que l’on voudrait sauver encore,

l’un après l’autre _ et en leur singularité, en effet ! _,

mesurant _ certes ! _ le dérisoire aspect de l’entreprise,

et cependant convaincu _ qu’on est : aussi ! et plus encore ! _ que

le fil des mots _ voilà : en sa dynamique et son ordre… ; et à rebours des clichés ! _,

si on réussit à le conserver _ il y faut du souffle, et un peu de constance : cela s’apprend, avec le temps, et un peu de vaillance et de courage ! en le travail de subjectivation de soi (et du soi)… _,

suffirait _ et, de fait, il suffit ! _ à tirer du néant _ = ramener et retrouver _

tout ce qui s’y est englouti

_ et en sauver ainsi peut-être, si peu que ce soit, quelque chose,

même si c’est (passablement) encore ridiculement :

en osant espérer que cela ne soit, tout de même, pas trop

ridicule :

« Honneur des hommes, saint langage !« , a proposé le cher Paul Valéry…

J’en viens alors à l’apport plénier, à mes yeux, tout au moins, de ce très grand livre :

comment on apprend _ tel Jean Clair ; ainsi qu’un nouveau Montaigne en ses propres « essais« _ à se former

_ ce que Michel Foucault appelle le processus de subjectivation _,

se donner un peu plus de consistance,

selon une exigence de « forme« , en effet,

de vérité et beauté,

tournant, in fine, plus ou moins à un style un peu singulier,

mais « vraiment« ,

sans pose, posture,

ni, a fortiori, imposture…

En toute vraie modestie…

Déjà, dans la Mayenne de l’enfance de Jean Clair, dans la décennie des années quarante,

« il n’était pas rare, dans cette campagne, qu’on gardât dans la maison une pièce plus belle, plus claire, plus apprêtée que les autres, fournie de quelques meubles et de bibelots gagnés dans les foires et que l’on croyait précieux. Elle était aussi balayée, dépoussiérée, cirée, mais elle demeurait fermée à clef et les rideaux tirés. (…) C’était plutôt une chambre idéale _ voilà ! _, la projection imaginaire, « comme à la ville », d’un lieu où l’on remisait ce qui était jugé « beau » _ voici une première approche de l’« idée«  _, et d’une beauté qui interdisait donc qu’on en fît usage _ ni encore moins commerce, échange.

Même ici, je le découvrais, la vie se déroulait selon deux plans bien distincts : le temps long et éreintant des journées ; et puis un autre temps, à la fin du jour, où l’on imaginait ce que pouvait être une existence autre _ et supérieure _, à laquelle on avait sacrifié _ noblement _ un espace et laissé quelques gages matériels, comme des offrandes à un dieu lare« , page 27…

« Cette permanence d’un monde invisible qui doublait le monde réel était sans doute nécessaire pour supporter la dureté du quotidien. Elle offrait l’attrait d’un au-delà plus sensible et plus simple à imaginer que celui dont parlaient les mystères de la messe dominicale.

Cette chambre vide était en fait un tombeau (…) qui permettait de rêver _ déjà _ à une vie supérieure«  _ voilà ! une vie plus et mieux accomplie ! _, page 28…

En venant de ce monde de « taciturnes » (page 240) « taiseux« , sinon de « rustres » (page 252),

« un doute m’en est resté pourtant.

A l’Université, on me demanda un jour comment quelqu’un comme moi, à peine sorti des champs, avait eu l’envie de consacrer sa vie à un domaine aussi futile et féminin que le goût de la beauté et l’inclination pour les arts.

(…) Il m’en est resté un malaise. Le sentiment ne m’a jamais tout à fait quitté d’avoir _ étant à jamais, en quelque sorte, un « déplacé«  _ trahi, abandonné un front _ celui du plus dur labeur _, gagné _ lâchement _ le confort _ paresseux _ des arrières.

Plus encore quand le soupçon m’a pris, confronté à des œuvres en effet trop souvent inutiles et fort laides, que j’avais lâché la clarté d’un Désert habité par des sages pour gagner paresseusement l’ombre des musées peuplés de gens frivoles et de dandys.

J’ai toujours eu une double identité.

Je demeure un assimilé _ voilà : imparfaitement… _,

parlant un langage emprunté _ voire chapardé _,

traître à ma foi _ avec quelque culpabilité… _

comme un marrane au judaïsme« , pages 45-46 :

à relier à la remarque des pages 242-243 à propos de la psychanalyste qui fut à Jean Clair comme « ma seconde mère » (page 240),

en lui ouvrant le « trésor des mots _ voilà ! _,

un coffre des Mille et Une Nuits,

un Wortschatz possédant la magique propriété de s’agrandir _ oui ! _ à mesure qu’on puisait en lui, et de rendre au centuple _ voilà ! _ l’emprunt qu’on lui faisait » (page 241)

_ « Finalement je me retrouvais _ en cette psychanalyse _ jubilant _ rien moins ! _,

au sortir de l’adolescence comme au sortir de mon mutisme,

prêt à franchir le seuil de ce qui me semblait l’antichambre d’un Paradis« , lit-on aussi, page 238 ; et ce fut bien, en effet, cela qui advint !!! _ :

« Cette femme qui écoutait l’adolescent que j’étais

avec tant de patience et tant d’attention,

venait elle aussi du Peuple élu.

Elle m’avait proposé cette analyse sans rien me demander,

là où l’argent, la « passe », le billet furtivement glissé comme honteux dans la main du praticien deviendraient monnaie courante chez la plupart de ses confrères« …

Fin de l’incise sur ce sentiment de « déplacé »

_ et d’à jamais « en colère« … : « la colère, je crois bien, ne me quittera jamais« , page 240 aussi _

de Jean Clair…

Autre élément éminemment déclencheur de la vocation

au goût de la beauté (et de l’Art)

de Jean Clair,

cette toute première « rencontre » avec la peinture,

à l’école primaire, au final de la décennie _ pauvre ! _ des années 40,

par la grâce d’un instituteur de campagne

de la Mayenne profonde…

A l’école, dans la salle de classe,

première rencontre, donc,

avec « deux peintures dont je me souviens » :

« une nature morte de Braque » et « un paysage de Matisse » :

« Cette Annonciation de la Beauté, comme un ange en Visitation, si inattendue dans la grisaille et la pauvreté d’une classe de l’après-guerre,

cette lumière plus vive qui soudain traversait la salle,

furent une énigme qu’il me faudrait saisir« , page 54…

« Que peut donner la peinture

que le reste du visible ne vous offre pas,

et dont cette expérience enfantine me proposait l’énigme ?« , re-pense ainsi, rétrospectivement, Jean Clair, page 55…

Et puis,

force est aussi de constater que « ce _ tout premier _ don avait, à mes yeux, faibli _ ensuite _ avec le temps« …

« La question ne s’était pas posée aussi longtemps que la peinture avait eu pour mission _ lumineuse ! _ de célébrer _ voilà ! _ la gloire de Dieu et d’en donner l’idée. Elle participait de sa lumière et elle avait par ailleurs la capacité  de nous en faire un peu comprendre les mystères.

Mais, une fois rendue à elle-même, la peinture « libérée » des modernes, (…) coupée du ciel, rendue à l’ici-bas, la peinture finissait par paraître bien pauvre. Plus pauvre encore quand, se détournant de son devoir de représenter le visible pour annoncer l’invisible, elle prétendait à elle seule se représenter, s’auto-représenter, représenter non pas les apparences de telle ou telle chose, mais représenter la façon même dont elle les peindrait s’il lui prenait par hasard la fantaisie de les peindre, cette peinture finissait par cabrioler dans le vide _ voilà ! _ et quêter les applaudissements d’un public _ bien trop _ complaisant.
Ces tours de force forains
_ de bateleurs imposteurs _ m’apparurent finalement dérisoires, répétitifs, lassants et arrogants à la fois« , pages 55-56…

« Le malheur de l’art contemporain _ ensuite ! _, c’est de défendre des théories sur les pouvoirs de l’homme tout en les privant de leur theos, et par conséquent en les rendant impuissantes _ un défaut rédhibitoire ! pour un faire…  _ à illustrer, comme autrefois aux yeux des Anciens la sidération _ voilà ! cf le concept d’« acte esthétique«  selon la merveilleuse Baldine Saint-Girons, in L’Acte esthétique ! un must ! je ne le dirai jamais assez ! _ des formes et des couleurs, ou l’acte de contemplation _ même remarque ! _, ce qui glorifiait Dieu, comme premier et seul Créateur, et la beauté de l’univers qu’il avait créé à leurs yeux, entre six soirs et six matins« , pages 56-57…

Cependant, déjà,

« la petite chambre fermée à clef, à la ferme, qui ne servait à rien,

était un exemple _ un modèle : une première intuition… _

de ce discret appel vers le haut _ voilà _

qui permettait d’échapper à l’ennui répété des jours et de rêver à des vies _ supérieures : plus et mieux accomplies ! _ dont on imaginait mal _ au départ _ les aspects _ précis et détaillés _ et la félicité _ qui serait très effectivement ressentie : une aisthesis

Cela valait l’offrande,

et donnait _ déjà ! _ aux gestes les plus simples et les plus communs

une apparence de nécessité et une obligation de perfection » _ voilà ! voilà ! avec une extrême et permanente (voire perpétuelle) rigueur !, en ce qui se découvrira, plus tard, du travail de l’œuvre de l’artiste « vrai«  ! Jean Clair le découvrira ! Page 58.

Plus généralement,

« C’est du temple _ en effet ; au sens étymologique : un espace élu… _ que le monde se contemple.

Les dieux ne sont pas seulement les protecteurs des frontières, ils sont aussi les gardiens de la forme.

Ils sont là pour protéger du chaos, du monstrueux, et de l’illimité _ tel Apollon terrassant Python sur le territoire de Delphes.

Pareille croyance devient peu à peu incompréhensible en un monde qui se veut sans frontière et sans limite,

comme il est sans norme _ hélas _ dans la construction des formes _ du n’importe comment capricieux _ qu’il propose à notre appréciation.

Celles-ci sont proprement _ en effet ! _ devenues inhumaines si l’on rappelle que l’humus est et la terre nourricière et le mot fondateur _ oui ! _ de notre humanité _ un oubli payé au prix le plus fort !

Ce culte originaire, lié au sacré,

Cicéron l’appelait cultura animi, la culture de l’âme.

Cette belle expression s’est atrophiée sous le raccourci de « culture » _ cf aussi de Jean Clair, L’Hiver de la culture ; ainsi que mon article du 12 mars 2011 : OPA et titrisation réussies sur “l’art contemporain” : le constat d’un homme de goût et parfait connaisseur, Jean Clair, en “L’Hiver de la culture”

Mais cultura animi se retrouve encore chez saint Ambroise…

La suite n’est guère qu’une lente décadence _ certes _ du sens original si riche, profane ou sacré, de « culture ».

Nous n’habitons plus guère _ que dirait Hölderlin ?.. _ le monde _ émondé ! au profit de l’immonde ! _ ;

et les paysans qui le cultivaient

ont à peu près tous disparu _ aujourd’hui : survit une minorité de producteurs de produits agricoles.

La culture de l’âme elle aussi a disparu, du coup.

Dans son Docteur Faustus, Thomas Mann fait dire à Méphisto que « depuis que la culture s’est détachée du culte pour se faire culte elle-même, elle n’est plus qu’un déchet. »

La culture au sens où nous l’entendons aujourd’hui, n’est qu’un culte _ minimaliste _ rendu à l’homme par l’homme seul, une fois que les dieux se sont éloignés. C’est une idolâtrie _ voilà _ de l’homme par lui-même, une anthropolâtrie.

Méphisto, dans le récit de Thomas Mann, en tire la conséquence, avec un sourire ironique : la culture dont vous vous glorifiez est moins qu’un résidu, une ordure, l’émission à jets continus d’un « moi » malodorant ».

(…) La culture laïque, et ses produits, livres, œuvres d’art, musique profane, tout occupée de ne célébrer que l’individu, est allée au désert« , pages 66-67…

« Il n’y a _ a contrario de ces pentes nihilistes _ qu’un dialogue qui vaille _ vraiment : il est sans prix ! _, (…) c’est celui qu’on engage avec les voix des morts.

Ce dialogue ne prétend pas abolir l’espace mais plonge _ avec fécondité : il l’embrasse vraiment… _ dans le temps, discret et silencieux,

et ne réclame de l’interlocuteur qu’un peu de connaissance et de bienveillance.

Chaque fois que j’ouvre un livre _ « vrai« , du moins ; œuvre d’un « vrai«  auteur, qui le signe « vraiment«  !.. _,

se renouvelle un petit miracle _ mais oui ! _ qui me fait entendre, inaudibles à l’enregistreur électronique mais perceptibles à mes propres sens _ voilà : en un « acte esthétique«  _, les voix singulières, jamais confondues _ quand ces voix accèdent à un vrai style, qui soit « vraiment«  (tout naturellement) le leur : pas par artifice de « décalage«  calculé ! _, d’écrivains que je n’ai jamais vus et que je n’ai jamais entendus, parmi tant d’autres perdus dans les siècles.

Ils sont loin,

et pourtant dans les modulations et le rythme de leur style respectif _ et effectivement singulier, sans artifice ! _,

je les distingue _ oui ! _,

je comprends d’emblée _ oui ! _ ce qu’ils veulent dire,

je mesure à chaque ligne le pouvoir indéfiniment renouvelable _ de l’écriture « vraie«  de l’auteur _ et transmis par le simple geste de la main qui sort le livre des rayons _ suivi de l’acte (attentif) de ma lecture… _ qui, sans artifice et sans contrainte, me fait goûter leur présence _ voilà _ et partager leur génie«  _ à l’œuvre, se déployant dans les phrases, irradiant dans les lignes, dans le tracé qui est demeuré, et que je puis toujours contempler… _, pages 70-71…

« La beauté, autrefois, c’était la politesse de la forme« , dit ainsi Jean Clair, page 90, à propos de la statuaire _ dont celles d’Aristide Maillol (1861-1944), Arturo Martini (1889-1947), Raymond Mason (1922-2010) _ quand elle sait se tenir…

Et sur la forme,

cette « belle réflexion de Paul Valéry dans Tel Quel :

« La forme est essentiellement liée à la répétition. L’idole du nouveau est donc contraire au souci de la forme« .

Le drame de la modernité, dans sa composante hystérique, est là résumé.

La forme, en musique, du grégorien à Bach, est répétition ; comme en peinture la forme en écho, des figures des vases grecs à celles de Poussin.

Vouloir innover, ce n’est jamais que casser la forme, faire voler en éclats la plénitude de l’objet sonore ou plastique, qui relève en effet de la répétition, comme d’une loi de la biologie qui répète les formes« , pages 101-102…

Une autre initiation et impulsion à l’Art

(et au goût de la beauté),

fut l’exemple de la psychanalyste des quinze ans

de celui qui n’était pas encore Jean Clair,

à propos de ce qui allait _ « vraiment«  _ devenir son goût de l’Art…

D’abord à propos de la personnalité de cette psychanalyste elle-même :

« Je devais aussi remarquer assez vite que,

parallèlement à la collecte et à la pesée des mots,

il y avait chez elle le goût de la collection et l’amour de l’art _ voilà !

C’était la première fois que je voyais accrochés aux murs d’une maison,

outre la petite gravure de Rembrandt

_ « Au-dessus du divan où j’étais allongé, il y avait, je me souviens _ a-t-il déjà noté, page 239 _, Les Trois Arbres. Je fixais sur eux mon regard. Ils me semblaient d’une infinie solitude. Ce n’était pas les Trois Croix et moins encore la sainte Trinité, c’était les spécimens végétaux d’une triade naturaliste, pleins d’une vie que je devinais riche, emplie d’ombres et d’odeurs, mais qui n’avait pas encore éclaté au milieu de la plaine immense et déserte des polders »  _,

des tableaux de peintres dont je connaissais un peu les noms.

Je me souviens d’un Marquet, d’un Kisling.

Les liens secrets qui unissent l’art et l’or,

je passerais bien plus tard ma vie à en deviner les ressorts,

à en analyser la puissance ou la perversion,

sans doute pour donner quelque raison et quelque apparence de sérieux à une activité, la critique d’art, jugée si étrange _ par d’autres _ quand elle se manifeste chez quelqu’un qui vient d’ailleurs.

Ils avaient pris _ ces liens-là… _ leur forme parfaite

chez ceux sur qui pesait encore l’ancien interdit de la figuration :

la collection de beaux objets,

comme la pratique quotidienne de la lecture

et l’usage des langues

demeuraient essentiels

pour mieux se fondre

et se fonder

là où ils s’établiraient.

Éloigné de mes origines
_ campagnardes _,

j’ai pu me sentir proche _ en effet _ de ceux-là

dont la patrie,

située en nul lieu de l’étendue

mais au cœur même du temps,

se recrée,

non pas dans un terreau appelé « nation »,

mais partout où sont,

mêlés au texte saint,

les livres et les tableaux« , page 243…

Et ceci, encore, sur la psychanalyse même, cette fois,

à la page 244 :


« L’effacement lent de la psychanalyse

et les attaques forcenées dont elle fait aujourd’hui l’objet

ont accompagné ce que, faute de mieux, je ne peux appeler que la débâcle de l’intelligence  _ voilà !


La petite voix sourde,

si vulnérable et si précieuse

de l’analyse,

nul ne peut plus l’entendre aujourd’hui.

Et ce qu’elle dit,

nul ne veut plus l’écouter.

Elle était la dernière sagesse d’un monde

après qu’il a repoussé Dieu,

ou du moins avait-elle été sa dernière discipline.

Thomas Mann l’avait très tôt écrit, je crois, dans sa conférence de 1938.

Bien plus que l’existentialisme de Sartre,

la psychanalyse de Freud avait été un humanisme.

Le dernier sans doute.

Refusée, oubliée, moquée,

elle laisse aux fanatismes du jour,

et d’abord aux fondamentalismes religieux ou idéologiques, nourris de la bêtise du temps,

tout le loisir de reprendre la main

et de faire entendre à nouveau leurs vociférations« , page 244…

Par là,

« la société moderne ne peut fonctionner qu’à l’amnésie« , page 245 :

ce que ne peut certes pas faire un artiste tant soit peu « vrai » ;

tels

un Monet,

un Bonnard,

un Balthus

ou un Lucian Freud (cf pages 62-63) ;

ou, encore, un Avigdor Arikha (cf pages 59 à 61) ;

et un Zoran Music (cf pages 129 à 133), aussi…

Dernier élément que j’aimerais relever :

le rapport (complexe, enchevêtré…) entre création et filiation ;

et la question adjacente du pseudonyme et de la signature…

J’ai déjà relevé, page 265, cette remarque

que

« l’écriture est un refuge et un foyer :

ce qu’elle désigne, c’est précisément

l’impossibilité d’en appeler au Père« …


Jean Clair va creuser plus avant et profond ce point-là…

D’abord, aux pages 268-269 :

« Le désir du retour dans la patrie

n’est pas que la nostalgie du retour à une matrice originelle,

c’est la nostalgie du Vaterland,

autant que celle de la Heimat.

Malade, on est rapatrié,

on n’est pas ramatrié.

On y regagne son feu et son lieu. Hic est locus patriæ.

Pervers, celui qui ne retrouve pas sa voix dans le père,

celui qui se croit,

dans l’excès de ses actes et de ses manifestations,

sans égal et sans pair.« 

Mais : « Rechercher la terre du père, c’est trouver la mort : « Quid patriam quaerit, mortem invenit. »

Était-ce si sûr ? » _ les questions vont bon train…

Jean Clair continue donc de creuser…

Et il en arrive à ceci, vers la conclusion de ce livre,

aux pages 276-277, d’un livre qui en compte 280 :

« Prendre à quinze ans un pseudonyme et rejeter le patronyme _ voilà… _,

ce n’était pas seulement, comme on l’a dit, vouloir attenter à la vie du père.

C’était affirmer l’inutilité de signer une œuvre.

C’était du moins rappeler la vanité de vouloir attacher son nom à ce que l’on fait.

Ce que l’on fait, n’importe qui en ce bas monde, le pourrait faire«  _ pense-t-on alors, à quinze ans…

« Non que les êtres soient interchangeables,

mais que chacun vient en son temps, appelé par la nécessité du moment _ de l’époque, en quelque sorte _,

et non pas mû par la vocation d’un génie _ jugé probablement alors comme une illusion romantique…

Pourquoi donc vouloir « illustrer » son nom _ son patronyme : le nom, aussi, donc, de son père… _ lorsque la création est d’essence anonyme ?

Rien dans ce que faisais _ alors, vers 1955 et après… _, ne justifiait mon patronyme.

Aucune origine _ ni filiation, donc _ n’expliquait mon besoin de tracer des lignes jusqu’à les ratifier _ voilà : par une due signature ! _ d’un nom,

à la façon dont la noblesse justifie ses titres de propriété en exhibant ses armoiries… »

« Qui exactement fait ceci ou cela

dans cette chaîne ininterrompue d’échanges, d’emprunts, de citations, de calques, de moules et de copies _ ouf ! _

dont une œuvre se constitue ?

L’originalité d’une œuvre est sans origine.

L’homme passait _ tout simplement, en un pur et simple relais _ la main.

Et c’était là son pouvoir,

que la femme n’avait pas _ nous étions là dans les années cinquante...

Et c’était ainsi _ et pas autrement ! _,

cette _ pseudo _ nuée ardente de la création :

le nom n’était que la diffusion dans la nuit d’une lumière dont la source serait à jamais inconnue« , page 276…

« Un pseudonyme imposait en revanche ses obligations,

comme si le nom _ que l’on s’attribuait, ex nihilo _ portait avec lui des responsabilités égales à celles qu’on s’engage à assumer envers un enfant qu’on adopterait.

J’avais pu croire le mien _ « Jean Clair« , donc… _ le plus innocent.

Sa sonorité lunaire et transparente, son côté un peu niais,

auraient dû m’assurer l’impunité de l’anonymat.

Mais non : je ne commençai d’écrire que lorsque ce nom prit consistance et force,

prit son vrai sens à vrai dire,

qui est d’avoir le tranchant et la transparence du matériau dont il est fait.

On ne troque les responsabilités héritées de la filiation

que pour mieux assumer les devoirs entraînés par une paternité d’adoption« , page 277… 

Pour conclure, toujours page 277,

et à propos de l’étymologie :

« A défaut d’un lignage, d’un historial, d’une chronique ou d’un récit familial,

je veux,

fils de paysans sans nom et sans renommée,

dans le développement d’une langue aussi commune que celle de la gens d’où je viens,

trouver dans l’origine de ses mots _ de cette langue partagée _,

les traces d’une histoire et d’un

lieu,

les racines mêmes des raisons _ voilà _

pour lesquelles je vis ici et aujourd’hui« …

Et pour en revenir, enfin, au « goût des formes » de Jean Clair

et conclure là-dessus,

encore ce passage-ci, page 253, à propos de son père :

« Cet homme, mon père, d’une grande pudeur et d’une bonté désarmée

_ mais un paysan a-t-il le droit de se montrer tendre ? _,

je l’avais méprisé.

Que les fils tuent les pères

et qu’ils quittent les mères,

oui,

cela se sait, depuis toujours.

Mais au moins, comme on dit, il convient d’y mettre les formes.

Je l’avais fait avec violence _ voilà !

De là peut-être

que,

dans ce qui suivit,

je fus attentif

à reconnaître et à aimer,

sinon à respecter _ on notera la nuance _ les formes.

Bien sûr, ma plus grande peine

est _ et demeurera _ de penser

que mon père est mort avec l’impression

que le fils dont il était si fier,

et pour lequel il avait travaillé bien au-delà de son temps,

était en réalité quelqu’un

qui ne valait rien de bon« …

Voilà,

avec ce beau et grand Dialogue avec les morts,

l’hommage

_ et la réparation ! _

du(s),

par un homme (et auteur) de très grande probité,

à ce père

« d’une bonté désarmée« …


Titus Curiosus, le 27 mars 2011

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